Dossier OLPC : 6 Sic Transit Gloria Laptopi par Ivan Krstic

Dossier One Laptop Per Child (un portable par enfant)

Sic transit gloria mundi est une locution latine qui signifie « Ainsi passe la gloire du monde » et qui vient rappeler aux hommes qu’aussi puissants soient-ils ils n’en demeurent pas moins mortels…

Sic Transit Gloria Laptopi est un article du blog d’Ivan Krstic[1], hier encore Monsieur Sécurité du projet OLPC, et qui vient rappeler à tous ceux qui s’intéressent au projet quelques vérités qui ne sont pas forcément toutes librement correctes à entendre.

Parce que si l’OLPC est un projet éducatif alors sa technologie libre ne peut constituer une fin en soi…

Copie d'écran - Ivan Krsti? - Sic Transit Gloria Laptopi

Sic Transit Gloria Laptopi

Sic Transit Gloria Laptopi

Ivan Krstic – 13 mai 2008

J’ai été assez mécontent de la qualité des discours de la communauté autour des récentes annonces de passage à Windows comme système d’exploitation. J’ai décidé sur le moment de me retenir de commenter, et n’ai été influencé que par la demi-douzaine de volontaires m’ayant écris personnellement pour de me demander s’il avaient travaillé en vain. Ce n’est pas le cas. Puis je suis parti en voyage quelques jours.

Je ne me suis alors occupé que de mes courriels et flux RSS, et ce que j’ai pu lire a transformé mon mécontentement en colère. Du coup, me voilà finalement parti pour commenter moi aussi la situation, et ce sera le dernier essai que je pense écrire au sujet de l’OLPC. Mais tout d’abord, remettons nous dans le contexte.

Le commencement

Tout au long de sa vie, Nicholas Negroponte à travaillé avec des visionnaires de l’éducation et des technologies tels qu’Alan Kay et Seymour Papert. Au début des années ’80, Nicholas et Seymour lancèrent un programme pilote soutenu pour le gouvernement français qui plaça des machines Apple dans un centre informatique d’une banlieue de Dakar au Sénégal. Ce projet fut un flop spectaculaire pour cause de mauvaise gestion et de conflits de personnalité. En 1983, approximativement un an après le début de l’expérience, le magazine de revue technologique du MIT (NdT : "MIT’s Technology Review") publia cette terrible épitaphe :

Naturellement ça a échoué. Rien n’est aussi indépendant, spécialement une organisation soutenue par un gouvernement socialiste et composée de visionnaires industriels, individualistes forcenés, provenant des quatre coins du globe. De plus, l’altruisme a un problème de crédibilité dans une industrie qui prospère par d’intenses compétitions commerciales.

À la fin de la première année du centre, Papert est parti, tout comme les experts américains Nicholas Negroponte et Bob Lawler. C’est devenu un champs de bataille, marqué par des affrontements de style de direction, de personnalité et de convictions politiques. Le projet ne s’en ai jamais vraiment relevé. Le nouveau gouvernement Français a fait une faveur au centre en le fermant.

Mais Nicholas et Seymour émergèrent tous les deux des cendres du projet pilote à Dakar avec leur foi en les prémisses d’enfants apprenant naturellement avec des ordinateurs intactes. Armés des leçons de l’échec au Sénégal, c’était peut être seulement une question de temps avant qu’ils ne recommencent.

En effet, Seymour essaya seulement deux ans plus tard : le Laboratoire Média (NdT : Media Lab) fut fondé en 1985 et commença immédiatement à supporter le Projet Phare (NdT : Project Headlight), une tentative d’introduction de l’apprentissage constructionniste dans le cursus complet de l’école Hennigan, une école primaire publique à Boston, composée d’étudiants principalement issus de minorités.

Avance rapide d’à peu près deux décennies, aux environs de l’an 2000. L’ancien correspondant étranger du Newsweek devint philanthrope, Bernie Krisher "l’homme unique des Nations Unies", convainquit Nicholas et sa femme Elaine de rejoindre son programme de construction d’école au Cambodge. Nicholas acheta des Panasonic Toughbooks (NdT : ordinateurs portables robustes de la marque Panasonic) d’occasion pour une école, et son fils Dimitri y enseigna quelque temps.

« Il y a sûrement moyen de reproduire ça en plus grand ». C’est l’idée qui s’imposa peu à peu, et le reste de l’histoire est connu : Nicholas courtisa Mary Lou Jepsen alors qu’elle passait un entretien pour un poste dans le corps professoral du Laboratoire, et lui parla de sa folle idée d’une organisation nommée Un Ordinateur portable Par Enfant (NdT : One Laptop Per a Child). Elle vint à bord du CTO (NdT : Chief technical officer, responsable technique). Vers la fin de l’année 2005, l’organisation sorti de l’ombre par un coup d’éclat : Nicholas l’annonça avec Kofi Annan, prix Nobel de la paix et alors secrétaire général des Nations Unies, lors d’un sommet à Tunis.

La partie qui mérite d’être répétée est que le projet éducatif basé sur le constructionnisme de Nicholas au Sénégal fut un désastre complet, à part des commentaires sur les personnalités et égos impliqués, il ne démontra rien. Et le projet de Krisher au Cambodge, celui qui rencontra évidemment un succès suffisant pour motiver Nicholas a démarrer véritablement le projet OLPC, utilisa des pc-portable du commerce, fonctionnant avec Windows, sans aucune personnalisation constructiviste que ce soit du système d’exploitation. (Ils avaient des outils constructivistes, installés sous la forme d’applications normales)

Ce que nous savons

La vérité c’est, lorsqu’il s’agit de passer un programme d’informatique personnelle à une échelle supérieure, que nous sommes complètement dans le noir à propos de ce qui fonctionne véritablement, parce que Eh ! Personne n’a jamais développé un programme d’informatique personnelle à grande échelle avant. Mako Hill écrit :

Nous savons que les bénéficiaires d’ordinateurs portables seront avantagés de pouvoir réparer, améliorer et traduire les logiciels fournis avec leurs ordinateurs dans leur propres langues et contextes. (…) Nous pouvons aider à favoriser un monde où les technologies sont au service de leurs utilisateurs et où l’apprentissage se fait suivant les modalités des étudiants, un monde où tous ceux qui possèdent des ordinateurs portables sont libres car ils contrôlent la technologie qu’ils utilisent pour communiquer, collaborer, créer et apprendre. C’est la raison pour laquelle l’engagement de l’OLPC dans la philosophie constructionniste est si importante à sa mission, et la raison pour laquelle sa mission a besoin de continuer à être menée avec des logiciels libres. C’est pourquoi le projet OLPC doit être sans compromis à propos de la liberté des logiciels.

Ce type d’idéalisme lumineux est séduisant, mais hélas, non soutenu par les faits. Non nous ne savons pas si les bénéficiaires d’ordinateurs portables seront avantagés de pouvoir réparer des bogues dans leurs PC. En effet, je suppose qu’ils vont largement préférer que leur satané logiciel fonctionne et n’ait pas besoin d’être réparé. Alors que nous pensons et même espérons que les principes constructionnistes, comme incarnés dans la culture du logiciel libre, sont utiles à l’éducation, présenter ces espoirs comme des faits encrés dans la réalité est simplement trompeur.

Pour ce que j’en sais, il n’y a pas de réelle étude qui démontre que le constructionnisme fonctionne à grande échelle. Il n’y a pas de projet pilote documenté d’éducation constructionniste à moyenne échelle qui soit un succès convainquant ; Lorsque Nicholas parle de « décennies de travail avec Seymour Papert, Alan Kay et Jean Piaget », il parle de théorie. Il aime à mentionner Dakar, mais n’aime pas trop parler de comment le projet s’est terminé, ou qu’aucun fait à propos de la validité de l’approche n’en soit ressorti. Et, aussi sûrement que l’enfer existe, on ne trouve aucune étude évaluée par des pairs (ou tout autre type, à ma connaissance) montrant que les logiciels libres font mieux que les logiciels propriétaires quand il s’agit d’aider à l’apprentissage, ou que les enfants préfèrent l’ouverture (NdT : du code source) ou qu’ils se préoccupent le moins du monde de liberté des logiciels.

Ayant cela en tête, la missive de Richard Stallman sur le sujet ne fit que m’énerver davantage :

Les logiciels propriétaires laissent les utilisateurs divisés et impotents. Leur fonctionnement est secret, il est donc incompatible avec l’esprit de l’enseignement. Apprendre aux enfants à utiliser un système propriétaire (non-libre) comme Windows ne rend pas le monde meilleur, parce qu’il les met sous le pouvoir du développeur du système – peut-être pour toujours. Ce serait comme initier les enfants à une drogue qui les rendrait dépendants.

Oh, pour l’amour de *$¼?# ! (NdT : la vulgarité employée ne gagnerait pas à être traduite) Tu viens vraiment d’employer une souriante comparaison des systèmes d’exploitation propriétaires avec les drogues dures ? Tu sais, celles qui causent de véritables dommages corporels voire la mort ? Vraiment, Stallman ? Vraiment ?

Si les logiciels propriétaires sont moitié moins efficaces que les logiciels libres pour aider à l’éducation des enfants, alors tu as vraiment raison, ça améliore le monde de faire ces logiciels pour les enfants. Mince, si cela ne limite pas activement l’apprentissage, ça aide à faire un monde meilleur. Le problème est que Stallman ne semble pas se soucier le moins du monde d’éducation (NdT : le langage fleuri employé par l’auteur a ici aussi été adouci) et qu’il ne voit les OLPC que comme un moyen de favoriser son agenda politique. Tout cela est honteux.

Tant qu’on en est à ce sujet

L’un des arguments favoris de la communauté de l’open source et du logiciel libre concernant l’évidente supériorité de ces derniers sur leurs alternatives propriétaires est la capacité supposée de l’utilisateur à prendre le contrôle et modifier un logiciel inadéquat, pour le faire correspondre à leurs souhaits. Comme on pouvait s’y attendre, l’argument à souvent été répété au sujet de l’OLPC.

Je ne peux pas être le seul à voir que le roi est nu.

J’ai commencé à utiliser Linux en 1995, avant que la majorité des internautes actuels n’apprennent l’existence d’un système d’exploitation en dehors de Windows. Il m’a fallu une semaine pour configurer X afin qu’il fonctionne correctement avec ma carte graphique, et j’ai appris d’importantes choses en programmation car j’ai eu ensuite besoin d’ajouter le support d’un disque dur SCSI mal reconnu. (Comme je ne savais pas que la programmation en C et du noyau sont sensés être difficile, je suis resté dessus pendant trois mois avant d’en avoir suffisamment appris pour écrire un patch qui fonctionne.) J’ai été depuis lors principalement un utilisateur d’UNIX, alternant entre Debian, FreeBSD puis ensuite Ubuntu, et j’ai récemment co-écrit un livre à succès à propos de Linux.

Il y a huit mois, alors que je me retrouvais encore en train de me battre avec la fonctionnalité d’hibernation/réveil de mon pc-portable sous Linux, je me suis tellement fâché que je suis allé chez le revendeur agréé Apple le plus proche, acheter un MacBook. Après 12 ans d’utilisation quasi-exclusive de logiciels libres, je suis passé à Mac OS X. Et vous savez quoi, la mauvaise gestion des ressources et les autres fonctionnalités bancales ne sont pas dues à Linux. C’est de la faute des vendeurs inutilement cachotiers qui ne rendent pas publiques les documentations pouvant permettre à Linux de mieux gérer le matériel. Mais, le jour où les vendeurs de matériel et les développeurs de logiciels libres se retrouveront main dans la main pour spontanément travailler d’arrache-pied en une gigantesque et festive communion (NdT : one giant orgiastic Kumbaya) n’étant pas encore venu, c’est le monde dans lequel nous vivons. Donc pendant ce temps, je suis passé à OS X et j’ai trouvé que c’était une expérience informatique faramineusement plus agréable. J’ai toujours mon shell UNIX libre, mon langage de programmation libre, mon système de ports libre, mon éditeur de texte libre, et j’utilise un bon paquet de logiciels libres dans une machine virtuelle Linux. La majorité, voire la quasi-totalité des utilisateurs d’ordinateurs ne sont pas programmeurs. Et parmi les programmeurs, une majorité, voire la quasi-totalité d’entre eux ne s’aventurent pas au pays des roulements internes du noyau. Faisant partie de ceux qui peuvent effectivement bidouiller à gré leur noyau, je trouve que cette capacité ne me manque pas en fait. Ça y est, je l’ai dit. Pendez moi pour trahison.

Ma théorie est que les techniciens, en particulier quand ils sont jeunes, ont un plaisir particulier à fourrer leur nez un peu partout dans leur logiciel. (NdT : ici aussi une chaste expression française protège le lectorat de l’impudeur de l’auteur) Exactement comme les confectionneurs de boîtiers d’ordinateur fantaisistes et/ou personnalisés, ces gars trouvent honorifique le fait de passer un nombre incalculable d’heures à compiler et configurer leurs logiciels jusqu’à l’oubli. Eh, j’en était là moi aussi. Et plus je me fais vieux, plus j’attends des choses qu’elles fonctionnent « clé en main ». Ubuntu progresse dans ce domaine pour les utilisateurs novices. Mais certains utilisateurs exigeants semblent penser qu’OS X est inégalé en la matière.

J’avais l’habitude de penser que quelque chose clochait chez moi quand je pensais ça. Puis je me suis mis à regarder les en-têtes des mails sur les listes de diffusions auxquelles je suis abonné, curieux de voir ce que les autres utilisaient parmi les gars que je respecte. Et c’était comme si la majorité des experts lumineux de la communauté de la sécurité informatique, une des communautés les plus sévèrement techniques sur la planète, utilisait OS X.

Et, au cas où vous penseriez que je sois payé par Apple, je mentionnerai Mitch Bradley. Avez-vous lu l’histoire de Mel, le programmeur « réel » ? C’est Mitch, en 2008. Super-hacker de microgiciel (NdT : Firmware), auteur du standard IEEE de microgiciel ouvert, auteur du microgiciel que Sun vendit sur ses machines pendant bien deux décennies, et plus généralement une des rares personnes avec qui j’ai jamais eu le plaisir de travailler et dont les compétences dépassaient si extraordinairement les miennes que ça me donnait l’impression de ne pas savoir par où commencer pour le rattraper. L’ordinateur portable principal de Mitch fonctionne avec Windows.

Tour de passe-passe

Mais vraiment, je me perds en digression. Le fait est que l’OLPC était supposé aider l’éducation, pas les logiciels libres. Et la partie la plus énervante de l’annonce à propos de Windows n’est pas qu’elle révéla que les préoccupations d’un certain nombre de participants au projet n’ont rien à voir avec l’éducation, mais le fait que les erreurs et tours de passe-passe de Nicholas furent mise à jour.

La manœuvre qui consiste à dire « nous sommes en train d’inspecter Sugar, il fonctionnera sous Windows » est un simple non-sens. Nicholas sait assez bien que Sugar ne deviendra pas magiquement meilleur par la simple vertu de fonctionner sous Windows au lieu de Linux. En vérité, Nicholas veut livrer des XP complets, il me l’avait dit. Ce qui n’empêchait pas de poursuivre dans un coin le financement de Sugar, pour éviter un désastre dans les relations publiques du projet, et faire savoir mollement et pour la forme sa « disponibilité », comme une option, aux pays acheteurs.

En fait, j’ai arrêté quand Nicholas m’a dit, et pas qu’à moi, que l’apprentissage n’avait jamais fait partie de la mission. Que la mission était, dans son esprit, d’obtenir le plus d’ordinateurs portables possibles ; que de dire quoi que se soit à propos de l’apprentissage serait présomptueux, et que donc il ne voulait pas que le projet OLPC ait une équipe de développement logiciel, une équipe pour le matériel ou une équipe de déploiement qui aille plus avant.

Ouais, je sais pas vraiment ce qui reste du coup.

Il y a trois problèmes clés dans les projets d’informatique personnelle : choisir un dispositif technique qui convient, l’apporter aux enfants et l’utiliser pour créer une expérience pérenne d’apprentissage et d’éducation. Ils sont listés par ordre de difficulté exponentielle croissante.

L’industrie n’a pas voulu aborder le premier car il n’y avait que peu de profit en jeu. Le projet OLPC a réussi à le leur faire faire de la manière la plus efficace possible : en les menaçant de leur voler leur nourriture. Mais l’industrie des fabricants d’ordinateurs portables ne veut toujours pas aborder le déploiement, car c’est vraiment, vraiment sacrément compliqué, ce n’est pas dans un rayon de 200 kilomètres autour de leur compétences de base, et généralement, ça a un retour sur investissement commercial qui fait pleurer le bébé Cthulhu. (NdT : voir Wikipédia à propos de Cthulhu)

Le premier module de déploiement au Pérou était composé de 40 mille pc-portables, à déployer dans 570 écoles à travers jungles, montagnes, plaines et avec une totale variation dans la disponibilité de l’électricité et une uniforme absence d’infrastructure réseau. Un certain nombre d’écoles cibles sont dans des endroits qui nécessitent plusieurs modes de transports pour les atteindre, et sont tellement retirées qu’elles ne sont même pas desservies par le service postal. La livraison des ordinateurs portables allait être accomplie par des vendeurs non sûrs qui allaient être en position de voler les machines en masse. Il n’y a pas de façon simple de collecter des preuves de ce qui a effectivement été livré, où et à qui. Ce n’est pas évident d’établir une procédure pour s’occuper des unités défectueuses, ou de celles qui étaient mortes à l’arrivée. Comparé à cette problématique, le travail technique que je fais c’est des vacances.

À part l’incroyable Carla Gomez-Monroy, qui travailla à mettre en place les projets pilotes, il n’y avait personne d’autre embauché à travailler au déploiement lorsque j’étais au sein du projet OLPC, avec un total de 360 000 pc-portables en cours de dissémination en Uruguay et au Pérou. J’ai été parachuté la dedans, en tant qu’unique membre à m’occuper de l’Uruguay, et envoyé au Pérou à la dernière minute. Et j’ai plutôt un bon sens pratique, mais qu’est-ce que j’y connais moi en déploiement ? C’est à cette époque que Walter fut rétrogradé et théoriquement fait « directeur du déploiement », un poste où il dirigeait la coûteuse équipe qu’il formait à lui tout seul. Puis il démissionna, et voyez-vous ça : à ce moment là, la compagnie avait un demi million d’ordinateurs portables disséminés dans la nature, avec personne pour ne serait-ce que prétendre être officiellement en charge du déploiement. « J’ai démissionné » me dit Walter au téléphone après être parti, « parce que je ne pouvais pas continuer de travailler sur un mensonge. ».

Mais on ne peut pas dire que le projet OLPC fut pris au dépourvu, ou oublia en quelque sorte que ça allait être un problème. J’ai écrit dans un mémo interne en décembre :

Nous avons en cours de nombreux déploiements en parallèle, de différentes échelles. En Uruguay avec huit mille machines, G1G1 avec potentiellement un quart de million, et avec au moins le Pérou et la Mongolie en prévision dans le mois qui vient. Nous n’avons pas de réelle infrastructure pour supporter ces déploiements, notre processus de développement n’alloue aucune marge pour s’occuper de problème critiques de déploiement qui pourrait (vont inévitablement) arriver, et nous n’avons aucun processus pour gérer les crises qui s’ensuivront. Je voudrais pouvoir dire que c’est la plus grande partie de nos problèmes, mais j’ai mentionné ceux-là en premier simplement parce que je prévois que ce sont ces déploiements qui imposeront le fardeau le plus lourd sur cette organisation dans les mois qui viennent, un fardeau que nous ne sommes présentement entièrement pas préparés à assumer.

(…)

Nous n’avons toujours pas un seul employé concentré sur le déploiement, aidant à le planifier, travaillant avec nos pays cibles pour apprendre ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. De toute évidence notre « plan de déploiement » est d’envoyer selon nos disponibilités un champion super-hacker dans chaque pays, de façon à ce qu’il règle tous les problèmes qui apparaissent une fois sur place. Si ce n’est pas notre plan, alors nous n’avons pas de plan du tout.

Que le projet OLPC n’ait jamais été sérieux à propos de réussir son déploiement, et qu’il semble ne même plus s’intéresser à au moins essayer, est criminel. Laissé sans solution, cela fera du projet un raté historique de la technologie de l’information sans précédent par son ampleur.

Et pour le dernier problème clé, transformer des pc-portables en objet d’apprentissage est un saut logique non trivial, qui demeure inadéquatement expliqué. Non, nous ne savons pas si ça va marcher, spécialement sans professeurs. Et c’est ok — une manière de savoir si ça fonctionne peut très bien être en s’y essayant. Parfois il faut courir avant de pouvoir marcher, ouais ? Mais la plupart d’entre nous qui rejoignirent le projet OLPC étaient convaincus que la philosophie éducative derrière le projet est ce qui en faisait un projet différent des tentatives similaires du passé. Un apprentissage qui soit ouvert, collaboratif, partagé et exploratoire, nous pensions que c’était ça qui pouvait faire fonctionner le projet OLPC. Car certains avaient participé à des projets d’éducation avec des ordinateurs portables ordinaires par le passé, et comme le New York Times le nota en couverture il n’y a pas si longtemps, ils échouèrent lamentablement.

Le nouveau OLPC de Nicholas abandonne ces fantastiques objectifs d’éducation, et oriente le projet vers une organisation sans but lucratif de 50 personnes produisant des ordinateurs portables, en compétition avec Lenovo, Dell, Apple, Asus, HP et Intel sur leur propre terrain, et en utilisant la stratégie que nous savons vouée à l’échec. Mais eh ! Je suppose qu’ils vendront plus d’ordinateurs portables ainsi.

La théorie bancale de Windows

J’ai déjà essayé d’établir qu’il n’existe aucune preuve tangible quant à la supériorité des logiciels libres concernant l’éducation, lorsqu’ils sont comparés à un système d’exploitation propriétaire. Ce point appelle à quelques précisions. Bernie Innocenti, encore récemment CTO de la jeune section Europe de l’OLPC, a écrit il y a quelques jours :

Je ne m’opposerai pas personnellement à un port de Sugar pour Windows. Je ne perdrai jamais mon temps à ça, ni n’encouragerai quiconque à perdre du temps dessus, mais c’est un logiciel libre et donc n’importe qui est libre de le porter vers tout ce qu’il veut.

Stallman a également récemment qualifié de « pas bonne chose à faire » le port de Sugar vers Windows. En fait, un tel port n’est qu’une perte de temps si le logiciel libre n’est pas un moyen ici, mais une finalité. Sur une sollicitation de Nicholas, j’ai écrit un mémo interne à propos de la stratégie logicielle au début de mars. Il fut co-signé par Marco Pesenti Gritti, l’inimitable leader de l’équipe Sugar. Je n’ai pas la liberté de reproduire l’intégralité du document, mais je vais en citer les parties les plus importantes qui tiennent en un minimum de lignes :

… Nous (avons fortement argumenté que nous devrions) découpler l’interface graphique de Sugar du reste des technologies Sugar que nous avons développées comme le partage, la collaboration, le stockage de données et ainsi de suite. Nous devrions peut être alors faire fonctionner ces services dans des environnement Linux normaux, et redéfinir le concept d’activité de Sugar comme étant simplement des applications Linux classiques capables d’utiliser les services Sugar. L’interface graphique de Sugar pourrait elle même, optionnellement et à une date ultérieure, être fournie comme un lanceur graphique, peut être développé pour la communauté.

L’erreur principale de l’approche actuelle de Sugar est qu’elle associe des idées extraordinairement puissantes à propos d’apprentissage, qui devraient être partagées, collaboratives, de pair à pair et ouvertes, avec la notion que ces idées doivent être présentée dans un nouveau paradigme graphique. Cette association est intenable.

Choisir de ré-inventer le paradigme de l’environnement graphique signifie que nous utilisons nos ressources extrêmement limitées à lutter contre des interfaces graphiques, et non à développer de meilleurs outils pour l’éducation. (…) Il est très important de reconnaître que des changements de paradigme graphique ne sont essentiels ni à notre principale mission, ni aux principales idées de Sugar.

Nous gagnerions énormément à détacher les technologies qui supportent directement le mode d’apprentissage qui nous intéresse de l’interface graphique de Sugar. Il devient notamment beaucoup plus facile de répandre ces idées et technologies au travers des plate-formes car nos composants d’interface graphique sont les parties les plus dures à porter. Si les technologies inhérentes à Sugar étaient facilement accessibles à tous les principaux systèmes d’exploitation, nous pourrions favoriser la créativité et travailler à l’élargissement de la communauté pour construire des outils logiciels. Ces outils pourraient ensuite être utilisés globalement par tous les élèves et sur n’importe que ordinateur, XO ou autre. Ça aurait dû être notre constant objectif. Beaucoup des technologies que nous avons construites seraient alors accueillies à bras ouverts dans les système Linux modernes, et un grand nombre de développeurs viendraient nous aider si nous leurs en donnions la possibilité. Au contraire de la situation actuelle, un tel modèle devrait être la direction à prendre : le projet OLPC dirigeant bénévolement des développements eux-mêmes principalement réalisés par la communauté.

Finalement, au regard de la question politiquement sensible de l’engagement de l’OLPC par rapport à l’open source, nous pensons qu’il y a une réponse simple : la politique du projet OLPC devrait être de ne développer que des logiciels libres, utilisant des standards ouverts et des formats ouverts. Nous ne pensons pas qu’un engagement plus grand soit nécessaire. Notre préférence pour la liberté des logiciels ne devrait résulter que de la conviction qu’elle offre un meilleur environnement éducatif que les alternatives propriétaires. À ce titre posséder un ensemble de technologies open source multi plates-formes pour construire des applications d’apprentissage collaboratif fait véritablement sens. Mais fondamentalement, nécessiter une interface graphique particulière ou même un certain système d’exploitation semble entièrement superflu ; nous devrions nous satisfaire de n’importe quel environnement où nos technologies de base peuvent être utilisées comme des briques de base pour délivrer l’expérience éducative qui nous importe tant.

Finalement, il importe peu à notre mission éducative de savoir sur quel noyau fonctionne Sugar. Si Sugar lui même demeure libre, ce qui n’a jamais été remis en question, toutes les fonctionnalités concernées, comme la touche visualisation du code source restent opérationnelles, qu’elles soit sous Windows ou sous un autre OS. Le projet OLPC ne devrait jamais aller dans une direction qui limite volontairement l’audience de ses logiciels éducatifs. Windows aujourd’hui est le système d’exploitation le plus diffusé. Un Sugar compatible-Windows pourrait potentiellement apporter sa riche vision de l’apprentissage à des dizaines voire des centaines de millions d’enfants de par le monde dont le parents ont un ordinateur équipé de Windows, que ce soit des ordinateurs fixes ou portables. Suggérer que cette façon de procéder soit mauvaise car philosophiquement impure est carrément démoniaque.

Et eh, peut être qu’une version Windows de Sugar intéressera suffisamment les enfants au fonctionnement des ordinateurs (et des programmes) pour vouloir vraiment passer à Linux. Trolltech, la compagnie derrière le toolkit graphique Qt fut récemment achetée par Nokia et annonça qu’elle allait ajouter une plate-forme de support pour les versions mobiles de Windows, essuyant alors les accusations de trahison de la communauté du logiciel libre. Mais le responsable technique de Trolltech, Benoit Schillings, ne voit pas les choses ainsi :

Certaines critiques concernent le fait que le support de Windows mobile par Trolltech pourrait limiter la croissance des technologies Linux mobiles et embarquées, mais Schillings voit les choses différemment. En permettant aux développeurs d’application de créer un seul code de base qui puisse être porté sur différentes plateformes de manière transparente, il dit que Trolltech rend la transition à Linux plus simple pour les compagnies qui utilisent actuellement Windows mobile, ce qui signifie pour lui plus d’adoptions du système d’exploitation libre à long terme.

L’homme parle sagement.

Maintenant, faites particulièrement attention : autant je suis clairement enthousiaste à l’idée de porter Sugar pour n’importe quel système d’exploitation, autant je suis absolument opposé à ce que Windows devienne l’unique système d’exploitation que le projet OLPC offre pour ses XOs. Les deux sujets sont complètement orthogonaux, et la tentative de Nicholas de confondre les deux en qualifiant la communauté du logiciel libre de « fondamentaliste » (et regarder la communauté écumer de rage au lieu d’épingler sa logique) est simplement une autre erreur. Ce n’est pas qu’il faille ne pas se sentir légitimement offensé. C’est seulement qu’il a pris l’habitude d’appeler terroristes ses employés.

Le projet OLPC devrait être philosophiquement pur à propos de ses propres machines. Être un organisme à but non lucratif qui attire la bonne volonté d’un grand nombre de volontaires communautaires de par son succès et dont la mission principale est un objectif de progrès social, cela implique une grande responsabilité. Ça ne devrait pas devenir un moyen de créer une incitation économique pour un vendeur particulier. Il ne faudrait pas croire le non-sens qui veut que Windows soit une obligation pour le monde du travail après l’école. Windows est demandé parce que suffisamment d’enfant ont grandit avec, et non l’inverse. Si le projet OLPC faisait grandir un milliard de personne avec Linux, Linux ne serait qu’un dandy pour le monde du travail. Et le projet OLPC ne devrait pas choisir un unique système d’exploitation qui paralyse le matériel des ordinateurs du projet : les versions courantes de Windows ne peuvent ni utiliser intelligemment la gestion de l’énergie des XO, ni son maillage complet ou ses capacités avancées d’affichage.

Plus important encore, le système d’exploitation fourni avec l’OLPC devrait incarner la culture de l’éducation à laquelle le projet adhère. La culture d’enquête ouverte, de divers travaux coopératifs, de la liberté d’utiliser et déboguer, ça c’est important. Le projet OLPC a la responsabilité de diffuser la culture de la liberté et les idées que sa mission éducative soutient ; ceci ne peut être fait en offrant uniquement un système d’exploitation propriétaire pour ses ordinateurs portables.

Dit différemment, le projet OLPC ne peut pas clamer qu’il est préoccupé par l’éducation et dans le même temps entrainer les enfants à être des drones d’informatique de bureau, contraints par l’invisible rhétorique des drones de bureau à déployer des ordinateurs contenant des logiciels de drones de bureau. Nicholas avait l’habitude de dire qu’imaginer que les XOs puissent être utilisés pour enseigner à des enfants de six ans comment se servir de Word et Excel le faisait grincer des dents. Apparemment, ce n’est plus le cas. Qu’en est-il aujourd’hui ? L’indécision doit prendre fin. Comme on dit chez nous : relance ou casse-toi (NdT : shit or get off the pot)

Comment aller plus loin

Voici un extrait d’un de mes derniers mails à Nicholas, envoyé peu de temps avant ma démission :

Je continue de penser qu’ils est fort dommage que tu ne tires pas avantage de la position actuelle de l’OLPC. Maintenant qu’il a réussi à faire travailler l’industrie sur des ordinateurs portables à bas prix, le projet OLPC pourrait devenir le point de rassemblement de la défense du constructionnisme, publiant du contenu éducatif, fournissant des logiciels d’apprentissage, et gardant trace des déploiements mondiaux et des leçons à en tirer. Quand un pays choisit cette option, le projet OLPC pourrait être l’endroit où s’arrêter en travaillant véritablement avec ce pays pour aider à sa réalisation, sans s’occuper du fabriquant qui aura été choisi, capitalisant ainsi sur les plans de déploiement, l’expérience et la base de logiciels et contenus facilement disponibles. Dit autrement, le projet OLPC pourrait être le service global IBM des programmes d’informatique personnelle. C’est, je le maintiens, la bonne voie à suivre pour avancer.

Je suis en train d’essayer de convaincre Walter de ne pas démarrer une Fondation Sugar, mais une Fondation de l’Éducation Libre (NdT : Open Learning Foundation). Pour ceux qui s’intéressent encore à l’éducation dans ce panier de crabes, la mission pourrait être de lancer cette organisation, puisque le projet OLPC ne veut pas l’être. Avoir une compagnie indépendante de tout matériel et concentrée entièrement sur l’écosystème éducatif, depuis le déploiement jusqu’au contenu de Sugar, ce n’est pas seulement ce que je pense être prioritaire pour vraiment porter les efforts d’informatique personnelle à un autre niveau, mais c’est également une approche qui a une bonne chance de faire en sorte que cette organisation fasse des choses à peu près auto-financées.

Donc voilà pour l’éducation ouverte, le logiciel libre, la force des convictions personnelles, et pour avoir suffisamment de foutu humilité pour se souvenir que le but est d’apporter l’éducation à un milliard d’enfants de par le monde. Le milliard attend que nous mettions nos idiotes querelles de côté, que nous finissions nos interminables complaintes, pour y aller enfin.

Allons-y maintenant.

Notes

[1] Merci à Simon Descarpentries pour la traduction.




22 trucs cools que l’on peut faire sous Linux mais pas sous Windows ou Mac

Sur son blog, Matthew Helmke[1] a listé une vingtaine de choses sympas qui peuvent selon lui être réalisées si votre ordinateur est sous GNU/Linux mais pas si vous êtes sous Windows ou Mac.

Une manière de rechercher les avantages et les caractéristiques de Linux. Une manière aussi de rendre curieux voire de convaincre ceux qui n’y sont pas. Une manière enfin de poser la même question à ceux sous Linux qui passeront par ici et qui voudront bien compléter ou critiquer ce billet via les commentaires pour alimenter le débat 😉

Copie d'écran - Matthew Helmke

Quels est le truc le plus sympa qu’on peut faire avec Linux mais pas avec Windows ou un Mac ?

What is the coolest thing you can do using Linux that you can’t do with Windows or on a Mac?

Matthew Helmke – 2 février 2008

C’est une question qu’on m’a posée récemment. Comme je n’ai pas qu’une seule réponse, j’ai dressé une liste des trucs auxquels j’ai pensé et je l’ai mailée à mes amis… puis je me suis dit que je pourrais la publier ici et m’en servir de référence pour plus tard. Vous êtes libres de faire des ajouts à cette liste !

1. Mettre à jour légalement et sans avoir à payer.

2. Obtenir les dernières versions du système d’exploitation qui fonctionnent plus rapidement sans toucher au matériel.

3. Installer et exécuter facilement différentes interfaces graphiques si je n’aime pas la configuration par défaut.

4. Installer une vingtaine de programmes par une simple commande.

5. Avoir un système qui met à jour automatiquement les programmes déjà installés.

6. Installer la même copie de mon OS (Ubuntu) sur plusieurs machines sans me soucier des restrictions de licences ou de clés d’activation.

7. Distribuer des copies de mon système d’exploitation et des programmes qui tournent dessus sans violer aucune loi, gouvernementale, éthique ou morale, parce que tout a été prévu dans ce sens.

8. Avoir le contrôle total du matériel installé sur ma machine et savoir qu’il n’y a pas de porte dérobée dans mes logiciels, installés là par des éditeurs peu scrupuleux ou par le gouvernement.

9. Fonctionner sans utiliser d’anti-virus, de protection anti-adware ou spyware, ne pas avoir à redémarrer ma machine pendant des mois tout en recevant toujours les derniers correctifs de sécurité.

10. Fonctionner sans avoir à défragmenter mon disque dur, jamais !

11. Essayer des logiciels, décider qu’ils ne me plaisent pas, les désinstaller et savoir qu’ils ne laissent pas derrière eux des traces dans la base de registre, s’y accumuler et ralentir ma machine.

12. Pouvoir faire une énorme erreur qui nécessite la réinstallation complète de mon système et être capable de le faire en moins d’une heure, parce que j’ai mis toutes mes données sur une partiton séparée du système d’exploitation et des programmes.

13. Pouvoir démarrer mon système avec de supers effets, aussi sympa que ceux de Vista, sur une machine qui a 3 ans… en moins de 40 secondes, temps d’identification compris (nom d’utilisateur + mot de passe).

14. Etre capable de configurer tout ce que je veux, légalement, y compris mes programmes fétiches. Je peux même contacter les développeurs du logiciel concerné pour leur poser des questions, leur donner des idées et être impliqué dans la construction ou le développement de la version en cours si j’en ai envie.

15. Avoir plus de 4 fenêtres de traitements de texte ouvertes, écouter de la musique, jouer avec les effets graphiques du bureau, être en contact avec une large communauté sympathique et avoir Firefox, ma messagerie instantanée et mon client de courrier électronique ouverts en même temps sans que le système se mette à tourner si lentement qu’il en deviendrait inutilisable.

16. Utiliser la commande dpkg –get-selections > pkg.list pour obtenir la liste exhaustive et détaillée de tous les logiciels que j’ai installés, faire une sauvegarde de mes répertoires /etc et /home sur une autre partition et ainsi être capable de restaurer mon système à tout moment, facilement.

17. Faire tourner plusieurs bureaux en même temps, voire autoriser plusieurs utilisateurs à se connecter et à utiliser la machine en même temps.

18. Redimensionner une partition du disque dur sans avoir à la détruire et perdre les données qu’elle contient.

19. Pouvoir utiliser le même matériel pendant plus de 5 ans avant qu’il n’ait réellement besoin d’être remplacé… J’ai toujours du matériel qui a presque 10 ans, qui tourne sous Linux et qui est toujours utile.

20. Pouvoir surfer sur internet pendant que l’OS s’installe !

21. Utiliser à peu près n’importe quel matériel en sachant que le pilote est déjà présent dans le système d’exploitation… éliminant ainsi la nécessité de rechercher le site du fabriquant pour trouver ce pilote.

22. Obtenir le code source de pratiquement n’importe quoi, y compris celle du noyau du système d’exploitation ou celle de la plupart de mes applications. Je pourrais encore en rajouter, mais je pense que c’est déjà pas mal !

Notes

[1] Traduction GaeliX puis relecture Olivier et enfin validation Don Rico.




Comment Eben Moglen a rencontré Richard Stallman

Tranche d’Histoire du logiciel libre…

Aux premiers temps de l’informatique, (presque) tous les logiciels étaient libres (sans même le savoir). Puis vient le temps de la propriétarisation du code qui obligea certains, comme Richard Stallman, à protéger la liberté des logiciels ou plus précisément la liberté des utilisateurs de logiciels.

Cette protection serait d’autant plus forte qu’elle serait sans faille vis-à-vis de la loi. Et c’est ainsi que le monde des hackers fit connaissance avec celui des juristes pour enfanter de licences qui font bien plus qu’accompagner les logiciels libres puisqu’elles participent à leur définition même.

Or, l’une des rencontres les plus fécondes entre le juridique et l’informatique (libre) est très certainement celle d’Eben Moglen avec Richard Stallman. Et c’est pourquoi nous avons jugé intéressant de traduire[1] la retranscription d’une interview qu’Eben Morglen a donné à Joe Barr de Linux.com en juin dernier pour en sous-titrer la vidéo[2].

« Nous sommes des nains juchés sur les épaules des géants. Stallman était un géant, je me suis juché sur ses épaules et j’ai vu le monde. »

Vous trouverez la version au format libre Ogg de l’interview sur Linux.com. Si vous souhaitez lui ajouter le sous-titrage en voici le fichier SRT.

Eben Moglen: How I discovered Free Software and met RMS (video)

Comme Stallman, John Gilmore et d’autres de ma génération, on peut dire que j’ai été impliqué dans le logiciel libre quand j’étais enfant car les logiciels étaient libres pour eux. J’ai commencé à 14 ans comme développeur d’applications APL pour Scientific Time Sharing Corporation (STSC) en 1973. J’ai travaillé à la conception et à la mise en oeuvre d’applications APL pour STSC et pour Xerox dans les années 70 et, en 79, j’ai été travailler pour IBM au laboratoire de Santa Theresa où j’ai modifié les interpréteurs APL pour IBM. J’ai travaillé sur l’APL et APL2. J’ai écrit une bonne partie du premier compilateur pascal d’IBM.

La manière dont nous travaillions était basée, après tout, sur le partage du code avec les personnes (clients) qui utilisaient les ordinateurs sur le terrain. Ils nous aidaient à concevoir, mettre en œuvre, améliorer et modifier les choses (code). Ils avaient les sources et quand ils émettaient un APAR (NdT : Authorized Program Analysis Report, dans la nomenclature d’IBM ce terme désigne un problème officiellement reconnu et diagnostiqué par le centre de support IBM), ils envoyaient un patch.

Ainsi, dans un sens, nous vivions dans un environnement où le logiciel était encore libre. Bien sur, nous avions des principes de propriété mais, en 1979, quand la commission "CONTU" terminait sa réflexion sur le logiciel libre, ces principes de propriété n’étaient pas encore bien compris et dépendaient à la fois de tout le monde et de personne.

Pouvait-on y attacher une propriété intellectuelle? AT&T et IBM n’étaient pas d’accord. Quelle partie du code pouvait-on protéger par un brevet ? Quasi rien. Pouvait-on le considérer comme un secret industriel ? Et bien non, ce code permettait seulement de différencier des ordinateurs onéreux.

Ainsi, d’une certaine manière, le monde dans lequel nous vivions présupposait une liberté à bricoler (le code). J’ai principalement travaillé sur des langages interprétés où les codes source et objet sont confondus. Il fallait partager le code. J’ai travaillé sur des produits distribués sur des environnements 370 (NdT : IBM mainframe) où le client s’attendait à recevoir le code source et s’il avait le code source de VM (NdT : OS) et que quelqu’un lui fournissait du MVS (NdT : OS) dans un langage appelé PLS pour lequel il n’avait pas de compilateur, il se plaignait ; parce qu’il s’attendait à pouvoir compiler le produit sur le site. Il s’agissait tout de même d’un super-ordinateur de plusieurs millions de dollars, qui aurait osé lui dire qu’il n’avait pas le droit de compiler le logiciel sur sa machine ?

D’une certaine façon, je dirais que j’ai toujours vécu dans le logiciel Libre. Ce toujours a néanmoins connu une pause.

Alors que je travaillais chez IBM en 1979, on m’a demandé de tester et de faire un rapport interne sur un machin nommé LISA ; le dernier gadget de Apple pour faire entrer la technologie de Xerox PARC (NdT: Palo Alto Research Center) dans le monde de Steve Jobs. Le LISA était une sorte d’ordinateur Pre-Macintosh ; j’ai donc écrit mon rapport interne sur cette machine et le contenu de ce rapport était le suivant : C’est une catastrophe. Cette machine incarne la fin du langage en relation avec l’ordinateur, c’est l’interface de l’homme des cavernes : tu vises et tu grognes. Si on résume l’interaction homme machine à viser et grogner, on écarte le rôle du langage dans l’évolution de l’esprit humain et de sa conscience. Le langage est ce qui nous rend plus intelligent, si nous n’utilisons pas le langage pour communiquer avec les machines alors ni nos cerveaux ni ceux des machines ne s’épanouiront comme ils devraient le faire. Cet argument eu peu de poids chez IBM et il en eu encore moins dans le monde en général au fil du temps.

Je devins moins enthousiaste devant la perspective de programmer dans ce monde car j’étais mordu de langage de programmation et le langage n’était plus ce qui était en vogue. Je suis donc parti et j’ai obtenu une licence de droit et un Doctorat en histoire et je suis devenu Historien du droit et j’ai fait d’autres travaux. J’ai débuté avec un emploi en tant qu’assistant Juge (NdT: Law Clerk) pour Weinfeld à NY, j’ai été assistant de Thurgood Marshal, puis j’ai commencé à me demander de quelle manière on pouvait rendre le monde plus juste !

J’ai eu ensuite un boulot d’enseignant dans une excellente Université en tant que Historien du droit. J’y ai fait ma thèse de Doctorat et écrit quelques articles d’histoire. Je m’intéressais à la signification à long terme de l’information dans la société humaine. Puis j’ai voulu coder car je suis un codeur compulsif et aussi parce que j’avais un PC à ma disposition qui, certes n’était pas la machine de onze millions de dollars à laquelle j’étais habitué, mais c’était un ordinateur qui pouvait servir à deux trois petites choses. Je n’aimais pas beaucoup DOS mais je n’ai jamais utilisé Windows qui était La Chose mauvaise pour les ordinateurs. Je n’allais pas utiliser quelque chose que je considérais comme la pire des choses. Je savais ce que X windows était, mais qui désirait utiliser ça, vous savez… le cerveau etc… Je suis donc passé chez Coherent lorsque la compagnie de Mark Williams créa un Unix estropié à 99$. Je l’ai essayé et j’ai commencé à l’utiliser avec les Outils du projet GNU puis ensuite j’ai utilisé les outils GNU sous DOS. J’utilisais DJGPP, puis le compilateur C de Delorie pour porter UNIX sur le DOS afin d’utiliser EMACS sur ma machine DOS car tout comme Stallman j’avais une grande dévotion pour EMACS.

Donc quelque part le logiciel libre a toujours été présent mais l’essentiel de ma vie était non technologique. En 1991 je décidais que je savais ce qu’il fallait faire pour commencer à travailler pour la liberté au 21 siècle: La cryptographie à clé publique était la première chose à implémenter. Nous en avions besoin pour deux raisons: garder les secrets à l’abri du gouvernement et faire du commerce électronique. Donc j’ai commencé à m’intéresser à la question, à chercher un moyen de faire de la cryptographie pour casser les règles du gouvernement sur le chiffrement de données. En Juillet 1991 j’ai vu un programme appellé Pretty Good Privacy (PGP) publié sur un forum. J’ai récupéré l’archive zip, j’ai lu le manuel de l’utilisateur et j’ai lu le code source car celui-ci était fourni, puis j’ai écrit un email non sollicité à l’auteur Phil Zimmerman qui n’avait jamais entendu parler de moi et je lui ai dit: « Bravo, tu vas changer le monde. Tu vas aussi ne pas tarder à être dans un merde noire, lorsque ça te sera tombé dessus je pourrais t’aider. Voici qui je suis, voila ce que j’ai fait et voici ce que je sais, quand tu auras des soucis appelle moi. » Dix jours plus tard le FBI frappait à sa porte et les ennuis commencèrent.

Donc j’ai décidé de travailler comme bénévole dans un groupe local de défense ; nous étions quelques personnes à prendre sur notre temps libre pour essayer d’empêcher le gouvernement fédéral d’accuser Zimmerman de violation de la loi sur le trafic d’armes. Notre but était d’aller aussi loin que possible avec cette affaire jusqu’au cœur des choses, afin de mettre les contradictions au grand jour. Alors que je travaillais sur l’affaire Zimmerman j’ai passé du temps avec John Markov du Times et au cours d’une interview je lui ai exposé mon idée selon laquelle le droit de parler le PGP (communiquer avec PGP) était le pendant numérique du droit de parler le Navajo. Markov fit paraître ceci dans le Times et ça devint une maxime que de nombreuses personnes utilisèrent comme signature dans leurs emails pendant quelques mois. Stallman vit la couverture de Markov sur le Times et il m’écrivit. Il me dit « j’ai un problème légal/juridique personnel et j’ai besoin d’aide; il me semble que tu es l’homme qu’il me faut. » Je lui ai répondu: « J’utilise Emacs tous les jours et il faudra du temps pour que tu épuises ton crédit d’aide juridique gratuite!.» il m’a demandé de le faire et j’ai fait ce qu’il fallait faire pour lui.

J’ai réalisé qu’il était la source même d’informations sur ce que je devais faire. J’avais fait ce qu’il me semblait important de faire au sujet de la cryptographie et je voyais que le problème était sur le point d’être réglé, mais je ne savais pas quoi faire ensuite pour apporter la Liberté technologique au 21ème siècle. C’était en automne 1993 et j’ai réalisé que toute personne qui avait un souci concernant la Liberté Technologique ne connaissait qu’une seule adresse mail : rms AT gnu.org. Si RMS me transférait tout ses messages nécessitant l’intervention d’un juriste, je serais assez rapidement mis au courant de ce qu’il y avait à faire en ce bas monde. RMS avait la meilleure prospective stratégique qui soit.

Je me suis donc assis sur ses épaules pour quelques années, faisant tout le travail qu’il considérait comme important et me tenant au courant de tout ce que les gens lui écrivaient. A la fin, je lui ai dis « tu as besoin d’un conseiller juridique » et il a dit « bien sûr ! » et j’ai commencé à faire le travail qu’il y avait à faire. C’était juste du travail que je faisais sur mon temps libre, j’étais toujours un historien du droit, personne parmi mes collègues académiques n’avait la moindre idée de ce dont il s’agissait, tout le monde savait que je racontais que le logiciel libre allait conquérir le monde et il me répétaient « oui oui, c’est formidable, super, merci beaucoup, à bientôt » et ça en restait là. Mais je savais où nous allions et surtout j’avais compris que Stallman en personne était la plus haute des montagnes et qu’en étant assis sur ses épaules on voyait bien plus loin.

Newton et consorts jusqu’à Bernard de Chartres avaient raison. Nous sommes des nains juchés sur les épaules des géants et c’est ce qui s’est passé : Stallman était un géant, je me suis juché sur ses épaules et j’ai vu le monde. Donc d’une certaine manière on pourrait dire 1993, ou 1995, ce qu’on peut dire en tout cas c’est que j’en ai fait de plus en plus plus car il y avait de plus en plus de travail. Mais je ne pouvais pas me multiplier par neuf ! Et puis d’un coup l’espace temps à gonflé et on s’est tous rendu compte que c’était arrivé.

En gros, la réponse est que j’étais là avant le Big Bang et le temps n’existait pas encore. Beaucoup de personnes ont commencé à s’y référer seulement après que tout cela ait vraiment commencé. Mon point de vue est que tout cela entre dans la continuité de quelque chose qui a commencé il y a bien longtemps, c’est le renversement d’une singularité dans le déroulement du temps. Microsoft a, un temps, réussi à faire croire que le logiciel pouvait être un produit. Maintenant ce n’est que rarement un produit. L’information technologique précisant la façon dont nous et nos cerveaux numériques existent, ce n’est pas un produit, c’est une culture, c’est l’empreinte d’un être humain en interaction avec les autres. C’est comme la littérature, ça ne peut être un produit.

Donc, nous sommes en train de découvrir qu’il s’agit d’une culture engendrée par des communautés; nous aurions pu nous en rendre compte en 1965 où en 1970. C’était difficile à voir en 1990 mais c’est devenu évident (rires) en 2006. Pour moi il s’agit plus, d’un point de vue historique, de mettre un terme à une confusion temporaire plutôt que de parler d’un mystèrieux et étrange point de départ qui aurait surgit d’on ne sait où.

Notes

[1] Grand merci à Ripat, Ziouplaboum et Olivier pour la traduction.

[2] Grand merci à Xavier Marchegay pour le sous-titrage.




Dossier OLPC : 2 La dépêche AP (qui a déclenché la polémique)

Dossier One Laptop Per Child (un portable par enfant)

Fin de la série de traductions sur le projet OLPC afin de constituer un petit dossier cohérent même pour un public non averti. Parce que nous pensons que le sujet le mérite (et que les grands médias s’en désintéressent).

C’est ici qu’est parti la récente polémique avec la communauté Open Source qui s’est vue traiter de fondamentaliste par un Nicholas Negroponte prêt désormais à accueillir Windows dans son ordinateur.

Une dépêche AP traduite par Yonnel.

Copie d'écran - Associated Press (Google News)

Démission d’un des principaux leaders du programme de portables à bas coût

Low-cost laptop program sees a key leadership defection

Brian Bergstein – 22 avril 2008 – Associated Press

BOSTON (AP) — Un des personnages clés du projet de portable à 100 $ pour les enfants, a démissionné, alors que l’organisation se prépare à faire évoluer son approche open-source en intégrant Windows, le système d’exploitation de Microsoft Corp.

Alors que la paternité de la fondation One Laptop Per Child est attribuée à Nicholas Negroponte, du Massachusetts Institute of Technology, son collègue de longue date Walter Bender était son bras droit. Bender gérait la partie logicielle et le contenu pour les portables “XO” vert-et-blanc, dont l’interface utilisateur a été spécialement conçue comme un outil éducatif.

Mais en mars, après que les premières livraisons de portables à 188 $ aient atteint moins d’enfants qu’il était prévu à l’origine, Bender est devenu responsable du “déploiement”.

Officiellement, OLPC a déclaré que la restructuration de l’organisation était due au fait que la technologie du portable était pour ainsi dire aboutie. Un point de vue différent est exprimé par l’ancien responsable sécurité du XO, Ivan Krstic, qui a écrit sur son blog que Bender avait été dégradé. Selon Krstic, OLPC est en pleine “restructuration interne drastique”, et qu’elle “change radicalement d’objectifs et de vision”.

Puis, la semaine dernière, Bender a complètement quitté le groupe. Cela fait le troisième départ majeur pour OLPC. En plus de Krstic, Mary Lou Jepsen, qui en était directeur technique, est partie au mois de décembre.

Negroponte a déclaré que Bender était à bout de souffle, après avoir aidé à façonner OLPC depuis deux ans, pendant lesquels plus de 500 000 portables ont été vendus dans des pays tels que Haïti, l’Afghanistan, le Rwanda, le Pérou, l’Uruguay ou la Mongolie.

Bender a déjà un nouveau projet : le lancement d’une structure indépendante pour s’occuper du développement du logiciel spécifique au XO, que l’on connaît sous le nom de Sugar, dans le but de l’adapter à des ordinateurs sous Linux autres que les XO. “Sugar est à l’étroit, il est temps de lui donner de l’air”, a-t-il lancé dans un échange d’e-mails.

Sugar repose beaucoup sur les icônes et d’autres fonctionnalités graphiques, et évite le format de fichiers et dossiers propre à Windows. Le but était d’être intuitif pour les enfants des pays en voie de développement qui n’ont jamais croisé un PC, mais certains gouvernements ont hésité à investir dans des portables sans Windows. Certains portables concurrents, présentés comme des outils éducatifs, comme le Classmate PC développé par Intel Corp., sont bien sous Windows.

Depuis environ un an, pourtant, Microsoft travaille sur une version allégée de Windows pour fonctionner sur les portables XO. Conséquence : Négroponte a estimé mardi dernier qu’il s’attend à ce que les XO aient bientôt une option “dual-boot”, ce qui signifie que les utilisateurs pourraient choisir entre Windows et Sugar.

Un des points actuellement en suspens est le coût du matériel nécessaire à Windows, ce qui ajouterait 7 à 12 $ au prix du XO, et l’emmènerait encore plus loin du but ultime de produire les machines pour moins de 100 $. Finalement, a ajouté Negroponte, Windows pourrait être le seul système d’exploitation, et Sugar le logiciel éducatif qui s’exécuterait par-dessus.

Cela pourrait décevoir les promoteurs de l’open source, qui ont aidé à financer OLPC et qui encourageaient le défi que cela représentait face à la domination de Microsoft. A la différence de logiciels propriétaires comme Windows, les applications open source sont développées par une communauté de programmeurs, et le code sous-jacent est partagé en toute liberté.

Wayan Vota, dont le blog OLPC News a annoncé le départ de Bender lundi dernier, a avoué sa peur de voir Sugar perdre de l’attention sur les XO utilisant Windows. “Derrière quoi pensez-vous que Microsoft mettra sa puissance marketing ?” a-t-il demandé.

Le principal souci de Negroponte, selon ses propres termes, est de placer autant de portables que possible dans les mains des enfants.

Il s’est plaint qu’une insistance trop importante sur l’open source avait handicapé l’XO, et que Sugar “était devenu amorphe” et “n’avait pas d’architecte logiciel qui soit ferme”. Par exemple, les portables ne supportent pas les animations Flash, très répandues sur le web.

“Il y a plusieurs exemples comme celui-là, que nous devons régler sans nous soucier du fondamentalisme d’une partie de la communauté open source”, a-t-il déclaré. “On peut promouvoir l’open source sans être un fondamentaliste de l’open source.”

Au-delà d’une nouvelle conception de la technologie du portable, Negroponte veut qu’OLPC soit plus efficace. Depuis plus d’un an, un cabinet de chasseur de têtes est à la recherche d’un directeur pour le groupe.




Dossier OLPC : 4 Le souhait de Benjamin Mako Hill

Dossier One Laptop Per Child (un portable par enfant)

Après l’intervention de Stallman et la précision de Negroponte, Nous poursuivons aujourd’hui notre petit dossier sur l’OLPC qui se trouve clairement aujourd’hui à la croisée des chemins.

Il faut dire que, sauf erreur de ma part, les grands médias francophones ne semblent pas du tout s’y intéresser (et c’est bien décevant). Les seuls qui abordent le sujet sont les sites web spécialisés en informatique alors que c’est avant tout d’éducation qu’il s’agit. Ceci n’a pas échappé à Benjamin Mako Hill[1] dont je partage totalement le point de vue[2].

Une traduction que nous devons à Simon Descarpentries pour une relecture by myself.

OLPC - Barnaby - CC-By

Libération des ordinateurs portables

Laptop Liberation

Benjamin Mako Hill – mardi 29 avril 2008

Au cours de la semaine dernière, Nicholas Negroponte donna cette malheureuse entrevue décriant « l’intégrisme du logiciel libre » (ndt, open source fundamentalism), et indiquant la possibilité d’une relation plus chaleureuse avec Microsoft. Comme on pouvait s’y attendre, cela a suscité un flux ininterrompu de commentaires sur OLPC News et sur les listes de diffusion du projet OLPC.

Quelques jours avant que la déclaration de Negroponte n’atteigne le presse, j’ai donné une conférence nommée Libération des ordinateurs portables au Penguicon où j’ai pu expliquer pourquoi je pensais que l’utilisation d’un système d’exploitation libre et l’adoption des principes du logiciel libre par le projet OLPC étaient essentiels pour le succès de l’initiative et de ces propres objectifs de réforme de l’éducation. Et cela fait un certain temps que je dit des choses similaires.

Mon propos peut se réduire à quelque chose, d’assez approprié, que Nicholas Negroponte aimait à dire quand le projet s’appelait encore le Portable à 100$ : un pc-portable extrêmement peu cher n’est pas une question de « si », mais de « quand » et « comment ». Cette technologie définira les modalités par lesquels les étudiants communiqueront, collaboreront, créeront et apprendront. Ces modalités sont dictées par ceux qui ont la capacité de changer les logiciels — ceux qui ont accès aux ordinateurs, aux sources nécessaires pour faire les changements et à la liberté de partager et de collaborer.

Le constructionnisme (la philosophie éducative de l’OLPC) consiste à mettre de puissants outils, et le contrôle sur ses puissants outils, dans les mains des étudiants. Il s’agit de l’apprentissage par l’exploration et la création, il s’agit également de façonner son propre environnement d’apprentissage. Les principes constructionnistes portent en eux des similarités non négligeables avec ceux du logiciel libre. En effet, l’engagement du projet OLPC auprès des logiciels libres ne s’est pas produit par accident. Le projet OLPC argumenta de manière convaincante qu’un système libre était essentiel à la création d’un environnement d’apprentissage qui puisse être utilisé, bidouillé et ré-inventé par ses jeunes utilisateurs. À travers ces processus, l’XO devient une force pour l’apprentissage de l’informatique, et un environnement via lequel les enfants et leur communautés peuvent utiliser la technologie suivant leurs choix, dans des conditions appropriées qu’ils auront eux-mêmes décidé.

Nous savons que les bénéficiaires d’ordinateurs portables seront avantagés de pouvoir réparer, améliorer et traduire les logiciels fournis avec leurs ordinateurs dans leur propres langues et contextes. Mais le plus important, c’est ce qui sera fait de ces ordinateurs, et que le projet OLPC n’a pas encore imaginé. L’OLPC est un puissant outil éducatif, mais le pouvoir ultime n’est que dans les mains de ceux qui peuvent librement utiliser, modifier et collaborer à la définition des modalités de leur environnement d’apprentissage. Par son engagement pour la liberté du logiciel, le projet OLPC fit le choix de ne pas être arrogant, en s’imaginant savoir comment ses bénéficiaires utiliseront leurs ordinateurs. Un environnement flexible, conçu pour l’apprentissage constructionniste, et une plate-forme de développement libre protègent de cette arrogance.

Le constructionnisme et le logiciel libre, implémentés et enseignés en classe, offrent un très fort potentiel d’exploration, de création et d’apprentissage. Si quelque chose te déranges, change-le. Si quelque chose ne fonctionne pas bien, répare-le. Le logiciel libre et le constructionnisme placent les élèves en situation d’appropriation de leur environnement d’apprentissage, de la manière la plus importante et la plus explicite possible. Ils créent une culture de l’autonomisation. La création, la collaboration et l’engagement critique deviennent la norme.

Le projet OLPC n’a pas à choisir si la technologie éducative arrive à maturité. Si nous travaillons dur pour ça, alors nous pourrons peut être influencer le « comment » et le « qui ». Les éditeurs de logiciels propriétaires tel que Microsoft veulent que le « qui » soit eux. Avec les logiciels libres, les utilisateurs peuvent être au pouvoir. L’enjeux n’est autre que l’autonomie. Nous pouvons aider à favoriser un monde où les technologies sont au service de leurs utilisateurs et où l’apprentissage se fait suivant les modalités des étudiants, un monde où tous ceux qui possèdent des ordinateurs portables sont libres car ils contrôlent la technologie qu’ils utilisent pour communiquer, collaborer, créer et apprendre.

Ceci est, pour moi, la promesse de l’OLPC et sa mission. C’est la raison pour laquelle je me suis engagé et que je supporte le projet depuis quasiment son premier jour. C’est la raison pour laquelle j’ai laissé Canonical et Ubuntu pour revenir à l’école au MIT, et être plus proche du projet indépendant qui naissait alors. C’est la raison pour laquelle l’engagement de l’OLPC dans la philosophie constructionniste est si importante à sa mission, et la raison pour laquelle sa mission a besoin de continuer à être menée avec des logiciels libres. C’est pourquoi le projet OLPC doit être sans compromis à propos de la liberté des logiciels.

En tant que conseiller et parfois contractant du projet OLPC, ce dernier n’est pas en devoir de m’écouter. Mais j’espère, pour notre bien à tous, qu’ils le feront.

Notes

[1] Pour mémoire nous avions traduit un autre article de Mako Hill : Pourquoi faire un don à Wikipédia ? (et soutenir la culture libre et ses utopies).

[2] Photographie : détail de Mexican Children with OLPC XOs par Barnaby sous licence Creative Commons By.




Dossier OLPC : 3 Quand Negroponte précise sa position

Dossier One Laptop Per Child (un portable par enfant)

Pour enrichir et faire écho au précédent billet, voici la traduction d’un email de Nicholas Negroponte[1], directeur du projet OLPC.

Ce message est adressé à sa communauté suite aux remous provoqués par les récentes déclarations du même Negroponte qui n’hésitait pas à critiquer Sugar et à envisager de s’appuyer désormais sur Windows pour le futur système d’exploitation de son ordinateur. Arguant à demi-mot qu’il ferait alors ainsi peut-être moins peur aux clients potentiels (principalement les organismes publiques des pays en voie de développement).

Pour une meilleure compréhension, précisons que, tel GNOME ou KDE, le très original Sugar est l’environnement graphique du XO, l’ordinateur développé et vendu actuellement par le projet. Voici ce qu’on en dit sur un blog québécois « L’interface graphique de Sugar diffère nettement des systèmes d’opérations conventionnels (Windows, Mac OS X, Ubuntu, etc.). En effet, la métaphore de bureau y est complètement écartée pour faire place à quatre vues toutes plus sublimes les unes que les autres. Les concepteurs n’ont certes pas omis que, comme le souligne si souvent Nicholas Negroponte, il s’agit là d’un projet pédagogique et non technologique. L’apprenant est donc plongé dans un environnement d’apprentissage polymorphe qui suscite inévitablement une prise en compte du caractère pluriel d’un environnement d’apprentissage. »

Précisions également que le Walter dont il est question est Walter Bender l’ancien responsable de la division logicielle du projet (dont Sugar justement) et qui vient de donner sa démission. Précisions enfin que le constructionnisme est une théorie d’apprentissage développé par Seymour Papert, créateur notamment du langage Logo, et qui a participé activement au projet OLPC.

Grand merci à Yonnel pour la traduction dont je me permets de glisser ici un extrait de notre correspondance sur ce travail, histoire d’alimenter le débat. « Eh bien, cet article était très excitant à traduire… on est vraiment au coeur de l’évolution du libre, et la mise en perspective par rapport à Stallman est saisissante. Purisme vs pragmatisme, libre vs open source, philosophe vs businessman, le libre par des chevaux de Troie ou directement, frontalement. En tout cas, les deux sont des évangélisateurs, mais je suspecte que ce n’est pas de la même évangélisation que l’on parle. L’OLPC est vraiment un enjeu crucial dans la croissance de la civilisation numérique. Et quand même, les Negroponte, quelle famille ! Les deux frangins sont tous les deux des experts en langue de bois et en "conduite du changement" (avec des gros guillemets), ils sont impressionnants. Le Nicholas, il veut gagner sur tous les tableaux : la collaboration du libre et le soutien de Microsoft. Alors, vertueux ou arnaqueur ? »

Negroponte - OLPC - World Economic Forum - CC-By-Sa

À propos de Sugar

on Sugar

Email de Nicholas Negroponte du 23 avril adressé aux listes devel, sugar et community-news du projet OLPC

On me pose sans cesse la question :

Oui, l’implication d’OLPC pour Sugar a changé. Nous sommes maintenant plus impliqués, et non l’inverse. Contrairement aux interférences engendrées par le départ de Walter, par la presse et par des sources vénérables telles que OLPC News, nous faisons évoluer Sugar, nous ne le faisons pas régresser. Laissez-moi vous expliquer.

Sugar est une très bonne idée, avec une mise en oeuvre loin de la perfection. J’attribue nos faiblesses à des objectifs de développement et à des pratiques manquant de réalisme. Notre mission n’a jamais changé. Elle est d’apporter des portables connectés pour l’éducation des enfants, dans les endroits les plus pauvres et les plus reculés du monde. Notre mission n’a jamais été de prêcher le modèle de l’enseignement parfait ou le pur Open Source. Je crois que le meilleur outil pour l’éducation est le constructionisme, et que la meilleure méthode de développement de logiciel est l’Open Source. Dans certains cas on y arrive mieux avec des chevaux de Troie, par opposition à une confrontation directe ou à une isolation par souci de perfection. Rappelez-vous l’expression : le mieux est l’ennemi du bien. Nous avons besoin d’atteindre le plus d’enfants possibles et s’en servir comme des leviers, des agents du changement. Cela ne fait aucun sens pour nous de rechercher le modèle d’apprentissage parfait.

Pour cette raison, Sugar a besoin d’une base plus large, d’être installé sur plus de plate-formes Linux et d’être installé sous Windows. Nous sommes en discussion avec Microsoft depuis plusieurs mois, pour explorer une version dual boot du XO. Certains d’entre vous ont vu ce que Microsoft a développé de son côté pour XO. Cela fonctionne bien, et maintenant il faut mettre Sugar par-dessus (façon de parler).

En tant qu’organisation à but humanitaire et non lucratif, OLPC est dans une position unique en son genre, depuis laquelle elle peut changer le monde pour les enfants et l’éducation. La ruée des fabricants de portables sur le marché du bas de gamme est un exemple parfait d’une sorte de réussite. Une autre réussite sera ce que les gamins feront après l’école, et avec les autres gamins dans le monde. Une troisième est ce que nous faisons.

Nous ne sommes pas une entreprise, mais nous avons besoin de ressembler plus à une entreprise : respecter les échéances, gérer les attentes et tenir les promesses. Pour ce faire, nous devons engager plus de développeurs, travailler plus ensemble et passer moins de temps à nous disputer. A cause de notre exposition au public, tout ce que nous dirons sera cité hors contexte. Nous ne pouvons nous exprimer qu’à travers nos actions, et celles-ci se résument à : un Sugar fiable et omniprésent. Cela inclut d’être nous-mêmes des ingénieurs plus collaboratifs, et de mieux engager la communauté. Nos limitations ne sont pas financières, mais elles sont d’identifier les ressources humaines nécessaires et de s’y tenir.

Ce qui nous attend est une opportunité pour un grand changement. Sugar est au coeur de ce processus. Prétendre qu’il n’en est pas ainsi serait risible. Ceci dit, nous devons démêler Sugar. J’utilise toujours l’analogie de l’omelette, qui veut que l’oeuf soit frit, avec un jaune et un blanc distincts, plutôt que d’avoir l’interface, les outils collaboratifs, la gestion de l’alimentation et les radios amalgamés dans un seul ensemble flou et amorphe. Sinon, Sugar est impossible à débugger, et sera limité au petit monde de la plate-forme matérielle XO, même si celui-ci grandit.

Alors que nous allons vers l’engagement d’une communauté plus large, un certain purisme doit se transformer en pragmatisme. Il est absurde de suggérer que cela est un abandon de l’Open Source ou une nouvelle direction dans notre mission. Les enfants seront les agents du changement, et notre travail est d’en atteindre le plus grand nombre. Ce n’est pas seulement vendre des portables, mais rendre Sugar aussi solide et largement répandu que possible.

Nicholas

Notes

[1] Illustration : World Economic Forum Annual Meeting Davos 2006 sur Flickr.com et sous licence Creative Commons By-Sa.




Dossier OLPC : 5 Quand Stallman migre vers un OLPC qui risque de migrer vers Windows

Dossier One Laptop Per Child (un portable par enfant)

Le projet OLPC avec son ordinateur XO, était sur le papier un projet passionnant. Et il doit le demeurer.

Or le projet est aujourd’hui en pleine tourmente. Difficultés économiques, démissions, déclarations contradictoires… pour aboutir à la confusion actuelle qui voit la remise en cause de l’option full logiciel libre jusqu’à évoquer très sérieusement la piste Windows XP comme futur nouveau système d’exploitation du XO.

Vous imaginez la consternation dans la communauté. Il n’en fallait pas plus pour que Mister Stallman en personne prenne la plume pour défendre un OLPC qui, sous Windows, perdrait tout ou partie de sa substance.

Merci à Yonnel pour la traduction.

Copie d'écran FSF.org

Peut-on délivrer l’OLPC de Windows ?

Can we rescue OLPC from Windows?

Richard Stallman – 29 avril 2008 – FSF.org

J’ai lu la déclaration de Negroponte présentant l’OLPC XO comme une plate-forme pour Windows dans les circonstances les plus ironiques qui soient, en plein milieu d’une semaine où je me préparais à une échéance : ma migration personnelle vers un XO.

J’ai pris cette décision pour une raison précise : la liberté. Les IBM T23 que j’utilisais depuis de nombreuses années sont convenables dans la pratique, et les systèmes et applications qui y étaient installés sont des logiciels entièrement libres, mais pas le BIOS. Je veux utiliser un portable avec un BIOS libre, et le XO est le seul dans ce cas.

Les logiciels habituellement installés sur l’XO ne sont pas libres à 100% ; le firmware de la carte wifi ne l’est pas. Cela implique que je ne peux pas faire complètement la promotion de l’XO tel quel, mais il m’a été aisé de résoudre ce problème pour ma propre machine : j’ai tout simplement supprimé ce fichier, ce qui a rendu la carte wifi interne inopérante, mais je peux m’en passer.

Comme toujours, des problèmes sont apparus, ce qui a repoussé la migration jusqu’à la semaine dernière. Vendredi dernier, quand j’ai discuté de problèmes techniques avec l’équipe de l’OLPC, nous avons aussi évoqué la manière de garantir le futur du projet.

Certains férus du système GNU/Linux sont extrêmement déçus par la perspective de voir l’XO, en cas de succès, ne pas devenir une plate-forme pour le système qu’ils aiment. Ceux qui ont contribué au projet OLPC par leurs efforts ou leur argent pourront très bien se sentir trahis. Toutefois, ces soucis ne sont rien par rapport à ce qui est en jeu : que l’influence de l’XO soit un vecteur de liberté ou un instrument de soumission.

Depuis l’annonce du lancement de l’OLPC, nous l’avons vu comme un moyen de mener des millions d’enfants dans le monde entier vers une pratique de l’informatique en liberté. Le projet a annoncé son intention de donner aux enfants une manière d’apprendre l’informatique en leur permettant de manipuler les logiciels et d’en étudier le fonctionnement. Cela peut encore être le cas, mais il y a un danger que ce ne le soit pas. Si la plupart des XO réellement utilisés sont sous Windows, le résultat final aboutira à son contraire.

Les logiciels propriétaires laissent les utilisateurs divisés et impotents. Leur fonctionnement est secret, il est donc incompatible avec l’esprit de l’enseignement. Apprendre aux enfants à utiliser un système propriétaire (non-libre) comme Windows ne rend pas le monde meilleur, parce qu’il les met sous le pouvoir du développeur du système – peut-être pour toujours. Ce serait comme initier les enfants à une drogue qui les rendrait dépendants. Si l’XO se révèle être une plate-forme qui répand l’usage de logiciels propriétaires, il aura au final un effet négatif sur le monde.

C’est également superflu. L’OLPC a déjà inspiré d’autres ordinateurs bon marché ; si le but n’est que de mettre à disposition des ordinateurs peu chers, le projet OLPC est une réussite, que d’autres XO soient construits ou pas. Donc pourquoi continuer à en construire davantage ? Apporter la liberté serait une bonne raison.

La décision du projet n’est pas arrêtée ; la communauté des logiciels libres doit faire tout son possible pour convaincre l’OLPC de rester (mis à part un paquet de firmware) une force de liberté.

Ce que nous pouvons faire, par exemple, c’est proposer notre aide aux logiciels développés pour ce projet. OLPC espérait avoir la contribution de la communauté pour son interface, Sugar, mais cela n’a pas vraiment été le cas. En partie, cela est dû au fait que OLPC n’a pas structuré son développement pour faciliter l’aide de la communauté – ce qui signifie, pour être constructif, que OLPC peut obtenir plus de contributions en ayant cette démarche.

Sugar est un logiciel libre, et y contribuer est une bonne chose. Mais n’oubliez pas l’objectif : les contributions utiles sont celles qui rendent Sugar meilleur sur les systèmes d’exploitation libres. Le portage sur Windows est autorisé par la licence, mais ce n’est pas une bonne chose.

Je tape ces mots sur un XO. Lors de mes voyages et de mes discours des prochaines semaines, j’y ferai référence, pour évoquer ce problème.

Copyright 2008 Richard Stallman
Verbatim copying and distribution of this entire article are permitted worldwide without royalty in any medium provided this notice is preserved.




Stallman – How a hacker became a freedom fighter

Une courte interview de Richard Stallman traduite par Olivier et relu par GaeliX (Framalang).

L’occasion pour moi d’annoncer que la traduction collective de sa biographie a retrouvé de l’énergie. Ce sera pour cet été si tout va bien…

Interview Stallman - NewScientist.com

Entretien : Comment un hacker est devenu un combattant pour la liberté

Interview: How a hacker became a freedom fighter

Michael Reilly – 12 avril 2008 – NewsScientist.com

L’un des pères fondateurs du « logiciel libre » et membre vénérable de la communauté des hackers, Richard Stallman a fait de la défense des libertés individuelles le combat de sa vie. Cela se traduit généralement par la fourniture de logiciels aux hackers et par des attaques contre les lois du copyright. Mais comme il le confie à Michael Reilly, sa défense des libertés personnelles individuelles s’étend à la protection de la vraie démocratie et des droits de l’Homme qui sont de plus en plus piétinés aux USA et ailleurs.

Est-il vrai qu’à une époque vous viviez dans votre bureau ?

Oui c’est exact. J’y ai vécu durant la moitié des années 80 et quasiment durant l’ensemble des années 90.

Qu’est ce qui vous a poussé à faire ça ?

C’était pratique et économique. Devoir me déplacer pour rentrer chez moi quand j’avais sommeil était mauvais : d’abord parce que si j’avais sommeil ça pouvait me prendre deux heures pour me motiver et mettre ma veste et mes chaussures et tout ça. Et ensuite, la marche jusqu’à chez moi m’aurait réveillé, donc une fois arrivé je n’aurais quand même pas été au lit. C’était nettement plus simple de pouvoir dormir à l’endroit où j’étais.

Pour vous, qu’est ce que veut dire « hacker » ?

Un hacker est quelqu’un qui apprécie l’intelligence espiègle. Je sais que pour beaucoup de personnes il représente un pirate informatique, mais puisqu’au sein de ma communauté nous nous appelons « hacker » je n’accepterai aucune autre signification. Si vous voulez parler de ces personnes qui cassent les codes de sécurité vous devriez parler de « cracker ». Le terme « hacker » ne se limite pas au domaine des ordinateurs. Au Massachusetts Institute of Technology il existe une ancienne tradition, les gens « hackent » les bâtiments et les lieux publics en y accrochant le fameux panneau de signalisation « Nerd Crossing » par exemple. Aucune sécurité n’est détournée et c’est espiègle et intelligent.

À propos de l’espièglerie, quand avez-vous commencé à dire « happy hacking » à la place de « Au revoir » ?

Quelque part dans les années 70. Je cherchais un moyen de dire au revoir et de souhaiter mes meilleurs vœux aux autres hackers et « happy hacking » semblait parfait pour ça. C’est devenu une habitude.

Quand êtes-vous passé de hacker à activiste ?

Cela s’est produit en 1983 quand j’ai initié le mouvement du logiciel libre (NdT : the free software movement). J’étais arrivé à la conclusion que les logiciels libres étaient le seul moyen d’apporter la liberté aux utilisateurs, j’ai donc lancé le mouvement pour provoquer cela.

Au fond, qu’est ce que le mouvement des logiciels libres ?

Il provient d’un désir de liberté. Je veux utiliser un ordinateur sans que personne ne contrôle ce que je fais dessus. Et je veux être libre de partager avec vous. Cela signifie donc que je ne peux pas utiliser les logiciels propriétaires inclus avec la plupart des ordinateurs dans les années 80. Les logiciels propriétaires éloignent les utilisateurs et les rendent impuissants : éloignés parce qu’il est interdit de les partager et impuissants parce qu’ils ne disposent pas du code source. Les développeurs décident donc de ce que fait le logiciel et les utilisateurs n’ont pas leur mot à dire.

Pour changer cet état de fait j’ai écrit le système d’exploitation GNU. Dans le même cadre j’ai rédigé la GNU General Public License, qui garantit que tous les utilisateurs de ce système d’exploitation reçoivent, en plus du logiciel, quatre libertés essentielles : la liberté de faire fonctionner le programme comme ils le souhaitent, la liberté de partager le logiciel avec leurs amis et leurs voisins, la liberté de modifier le programme à leur convenance et la liberté de distribuer leur copie modifiée à tout le monde.

Lorsque la composante Linux a été ajoutée au système GNU nous avions un système d’exploitation complet et les gens se sont vraiment mis à l’utiliser. Ils ont aussi découvert certains avantages pratiques. C’est un système puissant et stable et bien sûr vous n’aviez pas à payer le droit de l’utiliser, ce qui est un avantage plutôt superficiel mais qui était important aux yeux de nombreuses personnes.

Les gens l’ont-ils largement adopté ?

Le système GNU/Linux est devenu plutôt populaire, même si le souci de liberté ne s’est pas répandu autant que le système lui-même. Beaucoup de gens ont ainsi reçu la liberté sans trop savoir ce que cela représentait. Lorsque les gens ont la liberté mais n’en jouissent pas il est probable qu’ils la perdront. Par exemple, au milieu des années 90, certains distributeurs de GNU/Linux, on en trouvait déjà un certain nombre, ont commencé à ajouter des logiciels propriétaires et disaient « Regardez ce que l’on vous offre ! ». Ils répandaient principalement le message que les programmes non-libres sont bons. Ce n’est pas ainsi qu’on fera passer le message que la liberté est importante. Cela montre bien que de perdre de vue la liberté a des conséquences concrètes.

Vous êtes inquiet de la perte de toutes sortes de liberté. Est-ce pour cela que vous avez soutenu Dennis Kucinich dans sa campagne pour devenir le candidat Démocrate aux élections présidentielles ?

J’ai soutenu son programme de restauration de différents droits de l’Homme, tel que l’habeas corpus, qui a été en partie détruit aux USA. Le président Bush a obtenu le pouvoir de mettre en prison des étrangers simplement en les désignant comme des « combattants ennemis ». Kucinich milite également pour l’arrêt de la torture et des guerres d’agressions. Il aurait mis un terme à l’occupation de l’Irak.

Quel est la plus grande menace qui pèse sur le monde ?

Les logiciels libres ne sont pas la première priorité, mais c’est un domaine dans lequel j’ai vu comment apporter ma contribution. Je pense qu’il y a deux graves problèmes. Le premier est le réchauffement climatique et l’environnement. Le second est la démocratie des droits de l’Homme et la séparation de la politique du monde des affaires. La seule façon de restaurer la démocratie est de mettre un terme au pouvoir politique du monde des affaires.

Comment peut-on y parvenir ?

Son emprise est si forte, je ne sais pas comment la renverser. Tout ce que je peux dire c’est qu’il faut le faire. Les gens tiennent pour acquis que le monde des affaires ait une grande influence en politique, mais tant que cela sera vrai nous n’auront pas de vraie démocratie.

Est-ce que certains hommes politiques partagent cette vision ?

Le président de l’Equateur, Rafael Correa, se bat vraiment pour la démocratie. Il est aussi en faveur des logiciels libres. Je lui ai expliqué le concept en personne et il a compris que cela avait du sens, sur le plan pratique comme sur le plan éthique. C’est un ancien professeur d’économie. Il a flanqué à la porte l’influence des US et des multinationnales et a refusé de signer un traité d’échange avec les USA. Et une fois que le traité concernant les bases militaires américaines arrivera a expiration il ne le renouvèlera pas.

Votre foi dans les logiciels libres vous a amené à considérer des manières de réformer les lois sur le copyright. Comment vous-y prendriez-vous ?

Avec un copyright modéré. Les gens devraient être libres de redistribuer des copies exactes de quasiment tout, films, CD, … à leurs amis ou à des inconnus si c’est à but non commercial. Les autres usages devraient toujours être couverts par le copyright.

Croyez-vous que les gens se sensibiliseront aux logiciels libres et à la liberté en général ?

Je suis de nature pessimiste. Mais tellement de choses surprenantes se sont produites que je ne pense pas savoir ce qui se passera aux cours des dix prochaines années. Je préfère admettre mon ignorance.