L’Angleterre se pose la question du Libre dans l’éducation

Superbomba - CC by-saAprès Barack Obama et l’Open Source, voici une autre traduction émanant de la BBC, autour du Libre et l’éducation cette fois.

C’est un plaisir non dissimulé de voir un tel grand média s’intéresser à la question et lui donner ainsi un fort coup de projecteur dans l’opinion (avec analyses, témoignages, perspectives… du vrai travail de journaliste en somme, tout simplement). Mais c’est également une belle satisfaction de constater la maturité du discours et de l’évaluation du logiciel libre chez la Perfide Albion[1].

Il me tarde de voir pareille situation traverser la Manche. Puissent tous les articles connexes de ce blog modestement y contribuer…

La question du Libre dans l’éducation

Open source question for schools

Andrew Miller – 26 janvier – BBC News
(Traduction Framalang : Daria, Olivier, Don Rico)

Andrew Miller se demande si les logiciels Open Source ne pourraient pas aider les écoles à mieux gérer leur budget.

Au salon British Education Training and Technology, BETT 2009, un rapide coup d’œil suffisait pour se convaincre, par la dimension de l’évènement, que les technologies de l’éducation bénéficient d’un budget plus que conséquent.

Sachant que les logiciels Open Source disponibles gratuitement et librement couvrent l’essentiel des exigences du programme national, on peut se demander pourquoi les écoles n’y ont pas plus recours, avec une économie potentielle de plusieurs millions de livres à la clé.

Comme leur nom le suggère, les logiciels Open Source sont des logiciels communautaires et leur code source est ouvert à tous. N’importe qui peut modifier le logiciel selon ses besoins et ensuite partager ces modifications avec tout le monde.

En entendant parler de logiciel Open Source, nombreux sont ceux qui pensent Linux – le système d’exploitation alternatif disponible sous différentes distributions comme Ubuntu, openSUSE ou Fedora.

Linux propulse les serveurs depuis longtemps, mais l’Open Source touche à toutes sortes de projets. Le navigateur Web Firefox et la suite bureautique OpenOffice en sont de bons exemples.

Promotion ouverte

Dans le secteur de l’éducation, seule une poignée de technophiles, agissant de leur propre initiative, font la promotion des logiciels Open Source et les utilisent pour employer au mieux leur budget technologie.

Les critiques accusent Becta – une agence gouvernementale qui supervise les acquisitions de toutes les technologies pour les écoles – de n’avoir pas assez œuvré à la promotion des logiciels Open Source.

Peter Hughes, responsable des accords d’acquisition au Becta, a assuré à la BBC que Becta sera plus actif dans ce sens.

« En tant qu’organisation, on nous a principalement reproché de ne pas avoir présenté comme il se devait les solutions Open Source et de trop favoriser les solutions propriétaires, comme celles de Microsoft. Nous avons tenu compte de ces critiques et, dans l’exercice de nos conseils en matière de stratégie et de distribution de la technologie dans l’éducation, nous avons tenté de rester impartiaux dans les avis que nous émettons pour aider les écoles à faire les meilleurs choix », a-t-il indiqué.

Fin 2008, le Becta a collaboré avec l’organisation gouvernementale des services d’acquisition OGCBuying.Solutions pour approuver 12 fournisseurs, lesquels ont en commun la capacité à équiper les écoles avec des logiciels Open Source.

Le Becta considère la désignation de Sirius comme un « grand pas en avant » et comme un message envoyé à la communauté : « Nous prenons les logiciels Open Source au sérieux ».

John Spencer, chef du développement commercial de Sirius, a confié à la BBC que l’Open Source est encore trop méconnu, pas seulement dans les écoles, et que Linux souffre d’un problème d’image.

« Beaucoup d’établissements scolaires sont restés bloqués en l’an 2000, quand il est devenu évident que la connaissance de l’outil informatique deviendrait une nécessité, mais depuis ils n’ont rien fait. Ils ont peur d’avancer en terrain inconnu, et il ne s’agit pas seulement de Linux mais également de Vista et d’Office 2007. Les bons professeurs chercheront toujours à aller de l’avant mais ils sont si occupés qu’ils préfèrent souvent s’en tenir à ce qu’ils connaissent », a précisé Mr. Spencer.

Sirius a déjà installé des logiciels libres dans beaucoup d’établissements au Royaume-Uni.

Dans le cadre d’un projet mené à Twickenham, on autorise les portables et ultra-portables appartenant à l’établissement ou aux élèves à démarrer sur le réseau pour leur donner accès aux fichiers et aux programmes dont ils ont besoin.

« Le réseau coûte moitié moins que ce que RM peut proposer et les économies d’énergie réalisées permettent au système de s’autofinancer en moins de 3 ans », affirme Mr. Spencer

Le temps de la compétition

Une autre initiative du Becta est centrée sur le site opensourceschools.org.uk, lancé fin 2008. Il a pour objectif de fournir des informations essentielles et des conseils aux professeurs pour une bonne utilisation des logiciels Open Source.

Cependant, le Becta émet quelques réserves.

« Nous voulons que les professeurs se rendent compte qu’ils peuvent, et doivent, considérer les logiciels Open Source comme une alternative solide », a déclaré Mr. Hughes.

« Les établissements doivent malgré tout bien se renseigner. Les mises en garde à l’égard de l’Open Source sont aussi nombreuses qu’à l’égard des logiciels propriétaires. »

Et que pensent les grosses entreprises informatiques des logiciels Open Source qui marchent sur leurs plate-bandes ?

Steve Beswick, le directeur de l’éducation pour Microsoft Royaume-Uni, a déclaré à la BBC que même si les logiciels Open Source peuvent, sur la valeur nominale, permettre des économies, il faut se méfier des coûts cachés, pécuniaires et autres.

« Beaucoup de monde est habitué à utiliser les outils Microsoft, et il faut donc re-former les gens à l’utilisation des solutions Open Source, ce qui peut avoir un coût élevé », affirme-t-il.

« Pour faire le bon choix, les établissements colaires et les universités doivent avoir toutes les informations en main. »

M. Beswick a prétendu que Microsoft n’est pas opposé à l’Open Source, et cite leur « engagement en faveur l’interopérabilité » démontré par le support du format Open Document Format dans le Service Pack 2 d’Office 2007.

Il a aussi mentionné le travail que Microsoft a réalisé en acquérant IIS, son logiciel de serveur phare, pour travailler avec le langage PHP.

Le ministre de l’Éducation, Jim Knight, s’est fait l’écho du point de vue de Becta. Dans une déclaration, il a annoncé : « Les établissements scolaires et les universités doivent maîtriser les tenants et les aboutissants du problème pour faire le bon choix – qu’il se porte vers l’Open Source ou le propriétaire –, et doivent être conscients du coût total de la solution adoptée, en n’oubliant pas le support à long terme et la formation. Je pense que c’est le rôle du Becta de travailler avec les fournisseurs de logiciels, aussi bien Open Source que propriétaires, afin que les écoles et universités puissent tirer au mieux parti des logiciels pour appuyer l’enseignement et l’apprentissage. »

Et du côté de la communauté Open Source alors ?

Gerry Gavigan, le président du consortium Open Source, a dit à la BBC que l’adoption des logiciels Open Source ne pouvait que passer par un changement des mentalités.

« Les coûts de la formation continue ne disparaissent pas simplement grâce au passage des logiciels propriétaires aux logiciels gratuits et Open Source. En revanche, les coûts associés aux formations induites par les mises à niveau encouragées ou forcées par une tierce partie ne sont plus d’actualité », a-t-il indiqué.

On parle aussi fréquemment du problème du verrouillage technologique, une des explications principales, pour les défenseurs de l’Open Source, à la domination prolongée de Windows.

« L’un des paramètres qui n’est pas toujours pris en compte dans le calcul des contrats d’achat de logiciels sont les coûts à long terme résultant des licences ou du verrouillage technologique », a déclaré Mr. Gavigan.

Mr. Gavigan admet que la gratuité des logiciels Open Source leur a parfois nui.

« Annoncer que vous avez essayé de régler un problème en dépensant des sommes faramineuses a plus d’impact sur votre public que de dire que vous avez utilisé une solution gratuite. D’après une croyance malheureuse, si ça ne coûte rien, ça ne vaut rien », a-t-il déploré.

Le monde connecté

Quoiqu’il en soit, certaines écoles se mettent aux logiciels Open Source. Le lycée Highworth, à Ashford, propose à la fois des logiciels propriétaires et des logiciels Open Source à ses étudiants.

L’administrateur réseau de l’école, Marc Blake, a confié que bien qu’il soit important que les élèves connaissent des alternatives à Windows, il convient de reconnaître qu’ils vivent dans un monde dominé par Microsoft.

Mais il a annoncé à la BBC que d’importantes économies pourraient être réalisées en utilisant des alternatives Open Source.

« Nous proposons à la fois Office 2003 et OpenOffice, de sorte que les clients aient le choix. J’estime que 98% des clients choisissent Microsoft Office à la place d’OpenOffice, mais au moins ce choix existe », a précisé Mr. Blake.

« La seule mise à jour vers Office 2007 de toute l’école nous coûterait environ 27000£, mais ce montant n’inclut pas le coût de remise à niveau des utilisateurs ni les mises à jour des documents associés ou du matériel pédagogique. Acquérir l’équivalent de Moodle (logiciel libre d’e-apprentissage) pour nos 1200 étudiants nous aurait coûter plus de 3000£ par an. Pour ce prix-là on n’a pas le support professionnel, mais si on est prêt à faire ce sacrifice, c’est beaucoup d’argent économisé », a-t-il ajouté.

Avant d’adopter Linux, Mr. Blake s’inquiétait de la compatibilité de certaines des plus récentes technologies du Web. Ses inquiétudes se sont envolées puisque son établissement a maintenant plusieurs Asus EeePC fonctionnant sous Linux qui sont utilisés majoritairement pour les projets Web 2.0.

Cette année au BETT, un nombre non négligeable de logiciels pédagogiques ont fait le grand saut vers le Web 2.0 pour s’assurer une compatibilité avec toutes les plateformes.

L’utilisation de l’Open Source pourrait permettre aux écoles de réaliser d’importantes économies, mais cela implique un gros investissement en temps, en recherche et en formation. Mais allier logiciels commerciaux et logiciels Open Source, comme le fait le lycée Highworth, peut permettre une réduction des coûts tout en donnant le choix aux étudiants.

Voilà un bon point à faire figurer sur le bulletin scolaire des écoles.

Notes

[1] Crédit photo : Superbomba (Creative Commons By-Sa)




À propos du portail ministériel sur les associations

Victoriapeckham - CC byDans la série « le courrier des lecteurs/trices », Isabelle nous écrit pour nous signaler ce qu’elle considère être un problème : la visibilité du Libre sur le site gouvernemental dédié aux associations. « Vous serez à même de réaliser une étude plus poussée que la mienne », nous dit-elle.

Merci pour le crédit et la confiance que vous nous accordez mais nous manquons de temps actuellement (en fait nous manquons toujours de temps) alors plutôt qu’attendre une hypothétique future enquête digne de ce nom, nous avons choisi la voie de la facilité en reproduisant l’intégralité de son message à même ce billet, en espérant que les commentaires viennent enrichir et préciser le propos[1].

J’en profite au passage pour signaler trois ressources intéressantes sur le sujet. Le groupe de travail LibreAssociation de l’April. Le logiciel libre Galette (pour Gestionnaire d’Adhérents en Ligne Extrêmement Tarabiscoté mais Tellement Efficace) qui comme son nom l’indique vous permet de gérer en ligne vos adhérents. Et le livre Réussir un site web d’association… avec des outils libres dans la collection Accès Libre d’Eyrolles (pour l’anecdote ce livre s’appelait avant Réussir un site web d’association… avec des outils gratuits).

Mail d’Isabelle

Bonjour,

Membre de l’association Musique Libre (Dogmazic) et du collectif Gironde Logiciel Libre, je lis avec plaisir et intérêt un bon nombre de vos articles comme par exemple ceux qui décortiquent certains sites à but éducatif.
J’aurais un sujet de ce type à vous soumettre et je pense que vous serez à même de réaliser une étude plus poussée que la mienne. Voilà, lors de mes pérégrinations webesques concernant la gestion d’une association, je suis fatalement tombée sur ce site institutionnel associations.gouv.fr.

Lors de ma (rapide) navigation j’ai pu constater la chose suivante : il semble que le site est en Spip, mais cela n’apparaît clairement quasiment nulle part, en tout cas pas sur l’accueil… il faut cliquer tout en bas sur le petit lien administration.

Il y a beaucoup de rubriques qui parlent de droits d’auteurs et beaucoup de références à la SACEM… rien au sujet des licences ouvertes et libre diffusion… je n’en ai vu aucune, même en faisant une recherche.

Donc pour un site très prompt à rappeler les obligations des associations en matière de droits d’auteur et surtout pécuniaire… je trouve proprement scandaleux que :

  1. Ce site gouvernemental ne respecte pas ces mêmes droits en ne citant pas le logiciel utilisé pour la réalisation du site.
  2. Ce site ne fasse aucune allusion sur la possibilité pour les associations d’utiliser du contenu libre. Il n’existe qu’un seul article datant de 2004 pour promouvoir le logiciel libre où Framasoft est cité (je n’ai pas vu cet article tout de suite : il a fallu que je fasse une recherche sur le mot libre, je crois, il faut dire que pour le trouver on doit faire le chemin suivant pas évident : Accueil > Guide d’informations pratiques > Associations et Internet > Accéder à Internet >). Et puis il y a surtout la rubrique L’association et les droits d’auteur, extrêmement partiale puisque les trois articles qu’elle contient (La propriété littéraire et artistique : le principe, Les sociétés d’auteur, percepteurs des droits, La SACEM) ne font aucune mention de la possibilité d’utiliser des contenus sous licences ouvertes.
  3. Je ne puisse faire toutes ses remarques directement aux responsables de ce site puisque la page contact me donne une page vide.

En espérant que ce sujet retienne votre attention,
Cordialement.

Notes

[1] Crédit photo : Victoriapeckham (Creative Commons By)




VoD : l’interopérabilité selon TF1

J - CC by-saCe billet d’humeur aurait pu s’intituler « TF1 Vision : parcours du combattant », ou « TF1 Vision / Microsoft, descente aux enfers d’un candide linuxien », et pour développer je vais vous conter les déboires que m’a valu mon addiction aux séries TV.

Plantons le décor. Je n’ai pas la télé et je ne regarde que des DVDs, notamment des séries. Parmi ces séries, il y a LOST, et récemment, j’ai découvert que la saison 5 était disponible sur TF1 Vision, le site de vidéo à la demande (ou VoD) de TF1. Enthousiaste, je me voyais déjà passer quelques soirées à me repaître de vidéos. C’était sans compter sur les efforts conjugués de TF1 et de Microsoft[1] pour me mettre des bâtons dans les roues…

L’autre soir, donc, je m’installe derrière mon PC dans l’idée de télécharger deux épisodes de LOST. Le site de TF1 Vision passe bien sous Ubuntu Hardy, malgré une architecture truffée d’éléments en Flash, et l’inscription au service se déroule sans accroc. Mais lorsqu’on arrive sur la page de téléchargement, ça se gâte.

Un assistant de vérification de compatibilité m’annonce que mon système d’exploitation n’est pas pris en charge :

  1. Système d’exloitation : Votre système d’exploitation est incompatible avec notre service. Nos contenus sont accessibles sous Windows XP uniquement.
  2. Navigateur Internet
  3. Lecteur vidéo
  4. Activation des cookies

Copie d'écran - TF1 Vision

Qu’ils n’aient pas pensé à GNU/Linux ne m’étonne guère, mais qu’en est-il de Mac, qui est quand même en train de tailler de sérieuses croupières à Microsoft ? Le service commercial de TF1 devrait se tenir au courant de l’actualité informatique : Apple avait atteint début 2008 les 4% de part de marché en France et bénéficie depuis d’une progression fulgurante, GNU/Linux reste marginal mais connaît un succès croissant, et arrive en bonne place sur les mini-PC. Étrange de se couper ainsi de dizaines de milliers de clients potentiels…

Ayant gardé une partition sous XP au cas où l’on me confierait une traduction nécessitant un programme n’existant que pour Windows, je reboote et retourne sur le site de TF1 Vision. De retour sur la page de téléchargement, je clique sur le teaser de la saison 5 de LOST, pour un essai gratuit (pas fou, non plus…).

Ce qui donne alors :

  1. Système d’exloitation : OK
  2. Navigateur Internet : Votre navigateur Internet est incompatible avec notre service. Nos contenus sont accessibles avec Internet Exporer 6.0 ou plus.
  3. Lecteur vidéo
  4. Activation des cookies

Copie d'écran - TF1 Vision

Firefox n’est pas pris en charge. Apparemment, Safari, Chrome et Opera non plus. Pour TF1, c’est IE ou rien. Là encore, les concepteurs du site et les types du service commercial sont en retard de quelques années. Ignorent-ils que Firefox représente 25% de parts de marché en France, que Safari et Opera représentent malgré tout un nombre non négligeable d’utilisateurs ?

Désirant pousser le vice jusqu’au bout, je ferme Firefox et ouvre Internet Explorer 7. Encore une fois, ça coince :

  1. Système d’exloitation : OK
  2. Navigateur Internet : OK
  3. Lecteur vidéo : La version de votre lecteur vidéo est incompatible avec notre service. Nos contenus sont accessibles avec Windows Media 10 ou plus.
  4. Activation des cookies

Copie d'écran - TF1 Vision

N’en ayant pas l’utilité, je n’avais pas installé WMP version 11. Bien entendu, nulle mention d’un autre lecteur, même propriétaire. Il est pourtant loin le temps où Windows Media Player régnait sur le marché des lecteurs multimédia. Quicktime, ne serait que pour le streaming, ou VLC et Miro,comptent un bon paquet d’utilisateurs.

En tant qu’utilisateur de Linux, et même en tant qu’ancien utilisateur de Windows XP, je suis révolté qu’on ne me laisse aucun choix pour les programmes à utiliser. Comble de malchance, un bug de Windows Media Player m’a empêché de voir le fichier téléchargé à grand peine.

Avouez que l’on fait mieux comme expérience utilisateur. Certes, je n’attendais pas de TF1 qu’elle publie ses vidéos au format Ogg et sous licence Creative Commons, mais en arriver à un tel point de mépris de l’interopérabilité est attérant. Pour une entreprise commerciale, se couper d’une part grandissante des consommateurs est par ailleurs une stratégie pour le moins singulière. Mais TF1 n’est hélas pas la seule, de nombreux sites ou plateformes de téléchargement ne respectant pas les standards et l’interopérabilité, Apple et iTunes en tête.

Comment faire lorsqu’on est utilisateur de Linux, que l’on utilise Firefox ou Epiphany pour l’Internet et Totem ou VLC pour le multimédia ? Lorsqu’on est utilisateur de Mac et qu’on utilise Safari et Quicktime, sans parler de logiciels libres ? Et même lorsqu’on est sous Windows mais qu’on préfère surfer avec Firefox ou Opera, et lire ses fichiers vidéo avec VLC ou Miro ?

A-t-on alors d’autre choix que l’abstinence ou le téléchargement illégal lorsqu’on est utilisateur de Linux ? En ce qui me concerne, j’ai une furieuse envie d’installer eMule ou d’aller traîner sur The Pirate Bay… Les entreprises privées qui sont les premières à diaboliser le téléchargement illégal devraient peut-être d’abord faire sauter les verrous (au lieu d’en rajouter, on a vu la pirouette qu’a dû exécuter Apple face à l’ineptie et à l’impopularité des DRM) qui empêchent bon nombre d’entre nous d’accéder à leurs services.

Notes

[1] Crédit photo : J (Creative Commons By-Sa)




Logiciel libre et éducation : quand le Royaume-Uni montre le chemin…

Kifo - CC by-saOn s’active de l’autre côté de la Manche. Preuve en est cette fort bienvenue nouvelle initiative de l’agence britannique Becta, à savoir l’ouverture récente du très prometteur site Open Source Schools dédié, comme son nom l’indique, aux logiciels libres à l’école.

Ce site est l’une des conséquences du rapport Becta Microsoft Vista et Microsoft Office 2007, rédigé il y a un an, que nous avions traduit cet été. Ses conclusions étaient limpides et il en allait selon nous de la responsabilité des autres pays si ce n’est d’adopter la même posture tout du moins de se poser les mêmes questions en évaluant sérieusement la pertinence des produits Microsoft mais surtout des alternatives libres[1].

On pouvait notamment lire ceci en page 34 § 6.11 :

Au cours des douze prochains mois Becta prendra un certain nombre de mesures pour encourager un choix plus efficace dans le cadre d’un usage éducatif. Ce travail inclura la publication d’un programme de travail dont le but sera de :

– fournir plus d’informations sur le site de Becta sur ce qu’est un logiciel libre et quels sont ses avantages pour l’éducation en Grande-Bretagne;

– compléter la base de recherche actuelle qui recense les usages des logiciels libres dans le secteur éducatif et identifier des déploiements modèles de logiciels libres. Cela engloberait également l’esquisse d’un tableau national des usages des logiciels libres dans les écoles et les universités;ourceschools-montre-la-voie-a-suivre

– travailler avec la communauté du logiciel libre pour établir un catalogue en ligne des logiciels libres appropriés pour l’usage dans les écoles de Grande-Bretagne. Parmi les informations disponibles on retrouvera les moyens d’obtenir une assistance dédiée à ces logiciels et comment contribuer à leur développement futur. Ce catalogue sera publié sous une licence Creative Commons afin que les fournisseurs puissent le modifier pour leur propre usage;

– donner des indications aux sociétés de services en logiciels libres pour qu’elles puissent efficacement participer dans de nouvelles structures compétitives et pour qu’elles puissent proposer des logiciels libres via la structure de fournisseurs existante de Becta.

Le site Open Source Schools est donc clairement l’une des concrétisations de ce rapport. Nous vous proposons ci-dessous la traduction du communiqué de presse mis en ligne pour l’occasion sur le site du Becta :

Un service de support pour les établissements scolaires qui utilisent des logiciels libres

Support for schools on using open source software

Becta – 13 janvier 2009
(Traduction Framalang : Don Rico)

Les établissements scolaires peuvent à présent trouver des conseils sur un nouveau site communautaire leur permettant de mieux savoir en quoi l’utilisation de logiciels libres pourrait leur être avantageuse.

Le site Open Source Schools propose des ressources pour montrer en quoi les logiciels libres peuvent profiter à l’enseignement et à l’apprentissage, favoriser l’implication des élèves et des parents, faciliter la gestion des informations et des ressources, et simplifier l’administration de l’établissement.

On y accorde une place centrale à une série d’études de cas sur la mise en place et le développement des logiciels libres dans le milieu scolaire. On y trouve aussi des forums où proviseurs, enseignants, techniciens informatiques et d’autres encore peuvent partager leur expérience de ce modèle alternatif d’acquisition, de distribution et de développement de logiciel. Le site met en exergue des blogs qui traitent des logiciels libres dans l’éducation, des actualités et des liens vers des sites de développeurs de logiciels Open Source.

Ce site s’inscrit dans un projet soutenu par Becta, qui vise à faire connaître les logiciels libres.

Promenons-nous quelques instant sur Open Source Schools

On remarquera tout d’abord que le site est sous Drupal (avec inscription autorisant l’OpenID) mais on remarquera surtout que la licence par défaut est la Creative Commons By-Sa. Droit d’usage, de copie, de distribution, de modification, droit d’exploitation commerciale… autrement dit une licence qui offre à ses utilisateurs les mêmes droits que les licences des logiciels libres (et qui est donc approved for free cultural works).

Il y a un forum, un annuaire sélectif de logiciels libres (où l’on recense la crème de la crème sans oublier la spécificité éducative), et des études de cas (qui sont autant de témoignages d’expériences réussies susceptibles d’influencer positivement les collègues),

Une attention toute particulière a été donnée à l’entrée About OSS (à propos du logiciel libre). Outre une page d’accueil conséquente nous expliquant ce qu’est un logiciel libre, on y trouve également une dizaine d’autres articles abordant des sujets comme la pertinence du logiciel libre en milieu scolaire, le logiciel libre et la gratuité, la différence entre logiciel libre et web 2.0, une information sur les licences, etc.

Parmi ces articles Becta negotiations with Microsoft explique calmement et sereinement entre autres pourquoi il y a des problèmes avec la politique de licences et d’interopérabilité des produits Microsoft (rappelant au passage l’existence du fameux rapport), pourquoi le Becta s’en est plaint auprès de l’Office of Fair Trading, et pourquoi le Becta pousse à ce que Microsoft adopte réellement le format ODF.

On notera enfin que l’on ne craint pas (dans la colonne de droite) de référencer des fils d’actualités de sites ou blogs non institutionnels qui évoquent l’actualité du logiciel libre et sa culture.

Quant à la page About Us (qui sommes-nous ?), il nous a semblé qu’elle méritait elle aussi sa petite traduction :

Notre initiative Open Source Schools Community a pour but de sensibiliser les établissements scolaires aux logiciels libres (LL), de les aider à les adopter, à les utiliser et à les développer. De nombreux établissements ont déjà compris en quoi les LL étaient bénéfiques à leur stratégie TIC. Ce projet s’attachera donc à faire partager leur expérience (appuyée par des exemples de mise en pratique des LL réussie dans d’autres secteurs, aux personnels de l’éducation dans leur ensemble) parmi lesquels enseignants, décisionnaires et spécialistes des technologies de l’information.

Open Source Schools est un projet qui doit durer deux ans et qui bénéficie du soutien de Becta. L’objectif étant qu’au terme de cette période la communauté comptera suffisamment de membres actifs pour qu’elle se suffise à elle-même.

Notre site se veut un site d’information objectif visant à montrer quels avantages les LL peuvent apporter à l’apprentissage, à l’enseignement et aux infrastructures scolaires. Notre projet consiste à développer et à soutenir une communauté de pratiques impliquant ceux qui utilisent déjà les LL, accueillant et apportant de l’aide aux nouveaux membres qui souhaitent découvrir le potentiel des LL.

Notre but est de créer un site Internet centré sur l’éducation et dont le contenu sera dicté par les besoins de la communauté – on y répondra aux questions, fournira des conseils sur mesure, ouvrira les perspectives, encouragera les contributions et les débats au sein de la communauté, et donnera les moyens à ceux qui le souhaitent de prendre des décisions en ayant toutes les cartes en main et de devenir des utilisateurs confiants des LL qui répondront à leurs besoins. Pour commencer, il s’agit de développer des ressources avec l’aide de défenseurs chevronnés des LL, en les encourageant à partager leur expérience avec les nouveaux membres désireux de s’initier aux logiciels libres.

Nous sommes là pour compléter des initiatives déjà existantes de la communauté du logiciel libre au sein des établissements scolaires et ailleurs. Nous mettons à disposition un annuaire de logiciels libres et fournisseurs de services dans le domaine des LL, ainsi que des cas d’études de mises en pratique réussies fournis par la communauté, en mettant l’accent sur les bénéfices concrets qu’apportent les LL aux établissements.

Bien qu’il existe déjà une grande quantité d’informations disponibles, le cœur de ce projet consiste à développer une communauté de pratique en ligne rassemblant ceux qui souhaitent découvrir les solutions qu’offrent les logiciels libres pour améliorer l’apprentissage et l’enseignement dans les écoles, et en faire profiter la vie des établissements.

Impressionnant non ? Surtout si l’on envisage ce site tout jeune comme une sorte de version 1.0 sujet à de futures améliorations mais surtout de futures collaborations. Le souci d’accueillir les nouveaux entrants est bien là, tout comme celui de le rendre autonome via une communauté à construire.

Du coup la participation des acteurs éducatifs (enseignants, administrateurs, techniciens) est clairement encouragée. D’abord en permettant à quiconque de commenter et de poster dans les forums sans inscription (et avec modération a posteriori) mais également en invitant les visiteurs à s’inscrire pour rejoindre l’équipe constituée, s’impliquer et bonifier eux-mêmes le site de leur propre contenu

En un mot comme en cent : c’est bien pensé tout ça, chapeau bas le Becta !

Sauf que inévitablement on en vient à se poser la question de la situation française. Comparaison n’est pas raison, mais y aurait-il chez nous quelque chose qui ait l’ambition de ressembler de près ou de loin à ce que nous proposent ici nos amis anglais ?

La réponse à cette question fera l’objet d’un prochain billet où, contrairement à l’habitude, nous irons au delà de simple constat alarmant pour être source de concrètes propositions…

Notes

[1] Crédit photo : Kifo (Creative Commons By-Sa)




Un exemple de cinéma libre (au sens des logiciels libres)

Zara - CC by-saQu’est-ce qu’un « film libre » ? Est-ce qu’une œuvre cinématographique qui interdit la modification et la commercialisation (typiquement sous licence Creative Commons By-Nd) peut encore se considérer comme tel alors même qu’elle assure pourtant le « minimum syndical » de la libre circulation ? On pourrait alors penser qu’il suffit de lever ces clauses (typiquement avec une licence Creative Commons By-Sa) par avoir à faire avec certitude à du « cinéma libre ». Mais là encore ça peut coincer car quid d’une telle œuvre qui ne fournirait pas ses « sources » (rushes en haute définition, musiques, textes…) ? Le logiciel libre n’a pas le monopole de la liberté mais si l’on se réfère uniquement à la définition donnée par les fameuses quatre libertés du logiciel libre (dont deux nécessitent le code source) alors non nous ne sommes toujours pas en présence d’un « film libre ».

C’est pourquoi, au delà de ses qualités artistiques intrinsèques[1], nous avons trouvé intéressant d’évoquer le film anglophone « en construction » Valkaama en traduisant le billet dédié du blog des Creative Commons (et en ajoutant la bande-annonce ci-dessous). L’occasion de rappeler qu’en France nous avons Ralamax Prod qui tente de faire quelque chose de similaire avec leur projet de film sous licence Art Libre Varsovie-Express.

Les sources du film libre Valkaama disponibles en téléchargement

Files seeded for Valkaama, "open source movie"

Michelle Thorne – 16 janvier 2009 – Creative Commons Blog
(Traduction Framalang : Don Rico)

Les fichiers sources de Valkaama, tout nouveau « film Open Source » collaboratif filmé à Cracovie, en Pologne, ont été mis en ligne. Tim Baumann, son réalisateur, a choisi de de procéder à toute la post-production de ce long métrage de façon ouverte, avec l’aide de bénévoles, qu’ils soient amateurs ou professionnels.

Nous publions sur cette page toutes nos sources audio et vidéo afin de vous donner la possibilité de les utiliser comme matière de base. Si vous souhaitez participer à ce projet, en nous aidant à terminer le film, en créant des montages, en proposant une nouvelle bande-annonce, ou si vous voulez publier quoi que ce soit en rapport avec Valkaama, veuillez nous contacter.

Valkaama est une comédie dramatique qui se déroule en Suède et en Finlande, tournée par les élèves d’une école de théâtre et des amateurs venus de Cracovie et ses environs. On y suit les pérégrinations de deux jeunes gens très différents l’un de l’autre, que le destin pousse sur la route de Valkaama. Leurs chemins finissent par se croiser, mais ils ne se rendent pas compte combien leur voyage est déjà déterminé par leurs passés respectifs.

Les films open-source et à contenu libre restent rares. Valkaama est un des premiers films à être distribué gratuitement, et à garantir en outre l’accès libre à tous les matériaux sources utilisés et créés au cours de sa production. Ce projet est placé sous des licences Creative Commons By-Sa 3.0 afin d’assurer une utilisation et réutilisation très souple du matériau produit. À presque chaque texte, image et vidéo, ainsi que qu’à tous les médias téléchargeables, est associé une licence. Les licences sont même parfois incluses dans les fichiers médias eux-mêmes.

Remixez bien !

Notes

[1] Crédit photo : Zara (Creative Commons By)




L’informatique doit-elle rester un simple outil à l’école ?

Laihiu - CC byIl y a un réel débat actuellement qui traverse l’Éducation Nationale autour de la « culture informatique » à transmettre à nos enfants. Pour les uns, on donne une culture à travers l’utilisation des outils (savoir se servir de la messagerie, du traitement de texte…) et c’est ce qui est proposé actuellement, notamment avec le B2i. Pour les autres cela ne suffit pas et il faut un enseignement en tant que tel, comme il y a un cours de français ou de mathématiques. J’en suis,(même si après il convient de voir avec précision ce que l’on met dedans).

Jean-Pierre Archambault, que le monde du libre éducatif français connait bien, fait clairement partie lui aussi de la deuxième catégorie comme en témoignent les deux articles que nous avons choisi de reproduire ci-dessous[1].

Rappelons que Xavier Darcos a dans l’intervalle finalement reporté sa réforme du lycée. Le module informatique dont il est question dans ces deux articles se trouve donc lui aussi suspendu aux futures décisions.

L’acquisition par les lycéens des fondements de la science informatique…

URL d’origine : Médialog (décembre 2008)

Le Ministre de l’Éducation nationale, Xavier Darcos, a annoncé le 21 octobre dernier, lors d’un point d’étape sur la réforme du lycée, qu’un module « Informatique et société numérique » sera proposé en classe de seconde à la rentrée 2009. Nous nous félicitons de cette initiative qui correspond à un besoin profond de la société du XXIème siècle dans laquelle l’ordinateur, l’informatique et le numérique sont omniprésents.

L’informatique irrigue la vie quotidienne de tout un chacun. Elle modifie progressivement, et de manière irréversible, notre manière de poser et de résoudre les questions dans quasiment toutes les sciences expérimentales ou théoriques qui ne peuvent se concevoir aujourd’hui sans ordinateurs et réseaux. Juristes, architectes, écrivains, musiciens, stylistes, photographes, médecins, pour ne citer qu’eux, sont tout aussi concernés.

L’informatique s’invite également au Parlement. Ainsi, on s’en souvient, en 2006, la transposition de la directive européenne sur les Droits d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information (DADVSI), suscitait des débats complexes dans lesquels exercice de la citoyenneté rimait avec technicité et culture scientifique. S’il fut abondamment question de copie privée, de propriété intellectuelle, ce fut sur fond d’interopérabilité, de DRM (Digital rights management), de code source… La question est posée des représentations mentales, des connaissances incontournables qui permettent d’être un citoyen à part entière.

Par ailleurs, il y a de plus en plus d’informatique dans la société, mais les entreprises ont du mal à recruter les informaticiens qualifiés dont elles ont besoin, et cela vaut pour l’ensemble des pays développés. Le Syntec, la chambre syndicale des sociétés de service en informatique et des éditeurs de logiciels, se plaint du manque d’attractivité chez les jeunes pour les métiers de l’informatique.

Il y a donc pour le système éducatif, au nom de ses missions traditionnelles, un enjeu fort de culture générale scientifique et technique qui passe par une discipline scolaire en tant que telle, en complémentarité avec l’informatique outil pédagogique, de plus en plus présente dans les autres disciplines.

Répondant à une commande du Recteur Jean-Paul de Gaudemar, qui pilote la mission sur la réforme du lycée, le groupe « Informatique et TIC » de l’ASTI (Fédération des Associations françaises des Sciences et Technologies de l’Information) et l’EPI (Enseignement public et informatique) ont élaboré, pour ce module « Informatique et société numérique », une proposition de programme qui se veut contribution constructive. Elle comprend de l’algorithmique et de la programmation, la représentation des informations, l’architecture des ordinateurs et des réseaux, et vise également à ce que les élèves aient une idée plus globale de ce qu’est l’informatique.

Un chantier institutionnel majeur s’ouvre qui vise l’acquisition par les lycéens des fondements de la science informatique au service de leur compréhension et de leur action dans la société numérique : une ardente obligation !

Maurice Nivat
membre correspondant de l’Académie des Sciences
Jean-Pierre Archambault
président de l’EPI

Culture informatique et culture numérique

URL d’origine : EPI (décembre 2008)


L’année 2008 se termine qui a vu l’EPI prendre de nombreuses et diverses initiatives en faveur d’un enseignement disciplinaire de l’informatique au lycée. Nous pouvons donc exprimer notre satisfaction de la création à la rentrée 2009 d’un module « informatique et société numérique » en classe de seconde. Cette décision, annoncée le 21 octobre dernier par le Ministre de l’Éducation nationale, Xavier Darcos, correspond aux exigences de la société dans laquelle nous vivons. Elle s’inscrit dans une vision globale de l’informatique éducative. L’enjeu est clair, conforme aux missions traditionnelles de l’École : former l’homme, le travailleur et le citoyen de la société numérique.

Sur le plan économique, le défi est majeur. Lors de la table ronde organisée par notre association à l’occasion du salon Educatice 2008, Gérard Berry a souligné la différence essentielle qui existe entre la « consommation » et la « création » d’informatique. Il a rappelé que, dans le monde, plus de 30 % de la R&D était consacré à l’informatique (la France est en deçà). Il a posé la question de savoir si notre pays se destinait à utiliser des produits conçus et réalisés par d’autres. Dans cette même table ronde, Gilles Dowek a rappelé que les sciences physiques étaient devenues une matière scolaire car elles sous-tendaient les réalisations de la société industrielle (mécanique, électricité…). Or le monde moderne « se numérise » à grands pas. Ce qui a valu, et vaut toujours pour la physique, vaut aujourd’hui pour l’informatique (et ses fondamentaux : algorithmique, programmation, théorie de l’information, architecture des matériels et réseaux). Lors du récent Forum Mondial du libre, Roberto Di Cosmo indiquait qu’« écrire un programme » et « bien écrire un programme » étaient deux choses fort différentes ! Or l’on sait que le lycée est à la fois un moment de la vie et un lieu où naissent bien des vocations…

Il est bien connu que nous avons toujours considéré qu’un enseignement de l’informatique en tant que tel était indispensable et complémentaire de l’utilisation de l’informatique dans les autres disciplines. L’informatique est objet d’enseignement et outil pédagogique, mais aussi facteur d’évolution des autres disciplines, dans leur « essence », leurs objets et leurs méthodes, comme dans les enseignements techniques et professionnels ou dans les sciences expérimentales avec la simulation. L’informatique est aussi bien sûr outil de travail personnel et collectif de la communauté éducative dans son ensemble, par exemple avec les ENT. Ces différents statuts loin de s’opposer se renforcent mutuellement.

La culture informatique, scientifique et technique, est une composante nécessaire de la culture numérique.

Le citoyen éclairé participe aux débats de société sur le nucléaire ou les OGM. Pour cela il dispose d’un appareillage conceptuel que les enseignements des sciences de la vie et de la terre et des sciences physiques lui ont donné. Dans la société numérique, il doit pouvoir intervenir pleinement dans des problématiques comme les « droits d’auteurs et droits voisins dans la société de l’information » ou droits et libertés. Ce sont des domaines compliqués (interopérabilité, DRM, code source, adresse IP…), inaccessibles si l’on ne s’est pas approprié le noyau de connaissances stables et transmissibles qui sous-tendent la société numérique, si l’on ne s’en ait pas fabriqué une représentation mentale opérationnelle. Cela vaut également pour les usages des objets du quotidien qui intègrent de plus en plus des ordinateurs et de l’information numérique.

Répétons-le, en matière de formation solide et durable, la simple utilisation « spontanée » d’outils ne suffit pas. Il ne faut pas faire un sort particulier à l’informatique. Maîtriser sa langue maternelle, acquérir la culture mathématique nécessaire sont des processus longs où les élèves apprennent des notions que l’humanité a mis des siècles à élaborer. Les notions de lettre, mot ou nombre sont des abstractions difficiles pour un jeune enfant. Et pourtant… La culture scolaire au lycée est aussi faite de probabilités, de fonctions… et d’algorithmique, programmation, information, réseaux. Et, bien entendu, faut-il le répéter, la pédagogie impose de s’appuyer sur l’environnement des élèves, leurs pratiques du numérique, pour mieux les dépasser.

L’on entend parfois dire que, l’informatique ayant beaucoup changé en vingt ans, des concepts enseignés il y a vingt ans n’auraient plus cours aujourd’hui. Bizarre. Le monde bouge plus vite que les fondamentaux de la connaissance scolaire. C’est la nécessaire loi du genre. Le théorème de Pythagore est vieux de 25 siècles, ce qui n’empêche pas les collégiens d’encore l’étudier de nos jours ! Socrate et Platon n’ont pas été rendus caducs par Descartes et Kant. Molière est toujours très actuel car universel et « éternel ». La programmation est partie intégrante de l’informatique, moyen irremplaçable pour comprendre l’intelligence de la science informatique et outil pertinent pour les autres disciplines. Si elle s’enrichit en permanence, pour autant, du point de vue de la culture scolaire en classe de seconde, elle n’a pas vieilli.

L’EPI a été auditionnée par le groupe d’experts ministériel pour l’élaboration du module « Informatique et société numérique » pour la classe de seconde. La rencontre a donné lieu à des échanges riches et approfondis. L’EPI, association d’enseignants, se propose d’« accompagner », à sa manière et avec sa spécificité, la mise en œuvre du module de seconde. Avec l’objectif qu’il soit une « belle » réussite pérenne.

En attendant, bonnes fêtes de fin d’année à toutes et à tous.

Jean-Pierre Archambault
Président de l’EPI

Notes

[1] Crédit photo : Laihiu (Creative Commons By)




Le Centre Français d’exploitation du droit de Copie mène l’enquête à l’école

iLoveButter - CC byDans un récent billet intitulé De l’usage des « œuvres protégées » à l’Éducation Nationale, j’évoquais la situation difficile voire parfois carrément ubuesque dans laquelle était placé l’enseignant suite à des accords complexes avec les ayant-droits détenteurs des droits exclusifs d’exploitation.

L’idée générale de ces accords étaient de permettre aux enseignants d’utiliser ces « œuvres protégées » avec leurs élèves sans avoir à demander à chaque fois les autorisations aux ayant-droits quand bien même sous certaines conditions (voir le billet cité plus haut pour juger de la pertinence pédagogique et technique de certaines conditions !). En contrepartie les différentes sociétés de perception et de répartition de droits (selon le média : livre, presse, image, cinéma, musique…) ont reçu en deux ans, de 2006 à 2008, pas moins de quatre millions d’euros de la part du contribuable Ministère de l’Éducation Nationale.

Mais premier problème avec la redistribution de cette somme rondelette. Comment savoir en effet si une ressource donnée a été utilisée par un enseignant afin de justement rémunérer les ayant-droits de cette ressource ?

Pour le savoir les accords prévoyaient ceci :

La reproduction numérique d’une œuvre doit faire l’objet d’une déclaration pour permettre d’identifier les œuvres ainsi reproduites. Cette déclaration consiste à compléter le formulaire mis en ligne à l’adresse suivante.

Second problème, puisqu’à mon humble avis absolument aucun enseignant (ou presque) n’est venu remplir ce formulaire, tout simplement parce que rien n’a été fait pour le prévenir que cela faisait partie de ses « obligations de service ». Et puis quelle fiabilité peut-on accorder à un formulaire qui ne demande aucune identification (l’ayant-droit de la ressource X peut si cela lui chante entrer cinquante fois la ressource X dans le formulaire). Échec prévisible, échec sûrement constaté.

Qu’a cela ne tienne, on trouvait également ce paragraphe dans ces fameux accords :

Les représentants des ayants droit pourront procéder ou faire procéder à des vérifications portant sur la conformité des utilisations d’œuvres visées par l’accord au regard des clauses de l’accord. Les agents assermentés de chaque représentant des ayants droit auront la faculté d’accéder aux réseaux informatiques des établissements afin de procéder à toutes vérifications nécessaires. Ils pourront contrôler notamment l’exactitude des déclarations d’usage et la conformité de l’utilisation des œuvres visées par l’accord avec chaque stipulation de l’accord.

Je n’ai pas ouïe dire qu’à ce jour des « agents assermentés » soient entrés dans les lycées pour contrôler « l’exactitude des déclarations d’usage et la conformité de l’utilisation des œuvres visées par l’accord ».

Par contre voici le mail que m’a tout récemment envoyé un collègue (le CFC c’est donc le Centre Français d’exploitation du droit de Copie) :

Je suis un lecteur assidu du Framablog et accessoirement, je suis enseignant au lycée. J’avais bien ri (jaune …) en lisant ton billet sur les droits de reproduction d’oeuvres protégées dans notre belle maison. Sauf, qu’aujourd’hui, je ne rigole plus puisqu’on me demande d’endosser le costard d’inspecteur du CFC. En effet, mon établissement a été sélectionné pour participer à une enquête visant à recenser les œuvres copiées sur une durée d’un mois pour évaluer les reversements aux ayant-droits. Chaque prof doit donc se farcir le remplissage d’un tableau (voir copies jointes).

Le plus intéressant est que ce document était accompagné d’une note de notre chef d’établissement dont je ne peux m’empêcher d’en reproduire la dernière phrase : « Dans l’hypothèse où vos documents ne correspondraient pas à l’attente du CFC comme cela s’est passé dans d’autres établissements, le CFC nous demandera de recommencer et de bloquer notre système de photocopie. »

Ca fait froid dans le dos ! En ce qui me concerne, je vais leur rendre très rapidement leur papier en signifiant que je ne reproduis que des documents dont je suis l’auteur et à défaut des documents sous licences libres. Pas sûr que ça corresponde aux attentes du CFC !

Vous trouverez ci-dessous les copies jointes en question permettant à l’enseignant de renseigner l’enquête. Ici point de formulaire en ligne mais du bon vieux papier à remplir à la main en indiquant a chaque fois titre, auteur, éditeur, collection, niveau scolaire, nombre de pages par élèves, nombre d’élèves destinataires et nombre total de photocopies effectuées (ouf !). Dans la première page il est clairement stipulé que « cette enquête est une obligation prévue par le contrat signé entre votre établissement et le CFC (article 6 du Bulletin Officiel n°15 du 8 avril 2004). »

Allons bon, ce n’est pas des accords sectoriels sur l’utilisation des œuvres protégées à des fin d’enseignement et de recherche qu’il s’agit (Bulletin Officiel n°5 du 1er février 2007) mais d’un accord antérieur et spécifique au CFC : Mise en œuvre par les établissements d’enseignement secondaire publics et privés sous contrat du protocole d’accord du 17 mars 2004 sur la reproduction par reprographie d’œuvres protégées.

Ici en fait nous ne sommes plus dans le numérique mais autour de la photocopieuse[1]. Lorsque l’on se rend sur le site du CFC, on est accueilli par le slogan suivant qu’on ne peut pas louper : « photocopier oui, photocopiller non ». C’est le même glissement sémantique que l’on observe avec le « piratage » de la musique, parce que si j’en crois Wikipédia (si, si, j’y crois moi à Wikipédia), voici que ce nous donne l’article pillage : « Le pillage est un acte de guerre qui tient de la destruction et du vol massif, souvent accompagné de viols, et par extension, tout type d’actes civils semblables ».

Toujours est-il que dans le paragraphe « L’accord assure le respect de la loi » de ces accords spécial CFC, on peut lire ceci :

Le droit d’auteur, récemment consacré, comme le droit à l’éducation, par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, est ancré dans la tradition juridique française depuis plus de deux siècles. Il reconnaît notamment à l’auteur le droit d’autoriser toute reproduction de son œuvre et d’obtenir une juste rémunération.

Le développement rapide de la photocopie depuis les années 1970 a conduit à une multiplication des atteintes aux droits des auteurs face à laquelle le législateur est intervenu, par la loi du 3 janvier 1995, pour mettre en place un régime de gestion collective obligatoire qui confie à des sociétés agréées par le ministère de la culture le droit d’autoriser ou d’interdire la reproduction par reprographie de tout type d’œuvre.

Le service public de l’enseignement doit enseigner le respect du droit d’auteur, trop souvent méconnu voire contesté, alors qu’il est essentiel à la vitalité de la création littéraire et artistique. Cela suppose d’abord que l’éducation nationale montre l’exemple en le respectant pleinement elle-même. L’accord conclu avec le Centre français d’exploitation du droit de copie et avec la Société des éditeurs et des auteurs de musique, même s’il ne couvre qu’une partie des utilisations d’œuvres protégées au sein du service public de l’enseignement, apporte une contribution majeure au respect du droit d’auteur dans le cadre de l’enseignement.

Si l’accord traite principalement la question des droits patrimoniaux des auteurs et de leurs ayants droit, il faut rappeler sans cesse l’importance cruciale du respect du droit moral qui est profondément enraciné dans la conception française du droit d’auteur et qui la distingue du copyright anglo-saxon. Il impose de rappeler, à l’occasion de toute utilisation d’une œuvre protégée, le nom de l’auteur, et interdit de porter atteinte à l’intégrité de l’œuvre. Ces principes, qui sont inscrits dans les dispositions législatives du code de la propriété intellectuelle, constituent également des principes pédagogiques de base, inscrits dans l’éthique de l’enseignement. Ils se rattachent à l’exigence de rigueur et d’honnêteté intellectuelle qui est au cœur de la mission du service public de l’enseignement.

Certes. Je ne prône pas la « photocopie libre » dans le monde non marchand par excellence qu’est l’école, et je comprends bien les motivations des deux parties qui cherchent là un compromis satisfaisant. Mais de là à en appeler aux « principes pédagogiques de base, inscrits dans l’éthique de l’enseignement »…

J’ai vraiment hâte que les ressources éducatives numériques libres (c’est-à-dire sous licences libres ou en « copyleft ») se développent et se diffusent au sein du corps enseignant. Elles n’en sont qu’à leurs balbutiements, mais le jour où elles auront atteint une certaine masse critique, elles feront voler en éclat ces accord hérités du siècle précédent.

Notes

[1] Crédit photo : iLoveButter (Creative Commons By)




Ubuntu dans le New York Times

Stopped - CC bySamedi dernier Ubuntu a eu l’honneur d’apparaître dans les colonnes du très prestigieux et (encore) très diffusé journal américain New York Times, repris ensuite par le non moins prestigieux mais plus européen International Herald Tribune.

Il s’agissait avant tout de dresser le portrait de son charismatique et atypique père fondateur Mark Shuttleworth. Il n’en demeure pas moins qu’à travers ce prisme c’est non seulement la plus célèbre des distributions GNU/Linux mais également, nous semble-t-il, la communauté du libre dans son ensemble qui se trouve ainsi mise en lumière auprès d’un large public[1].

Dans la mesure où, au-delà de cette reconnaissance de principe, l’article nous a semblé intrinsèquement intéressant, nous avons mis nos plus fins limiers traducteurs sur le coup pour vous le proposer moins d’une semaine après sa parution.

Un bon samaritain du logiciel qui ne fait pas du Windows

A Software Populist Who Doesn’t Do Windows

Ashlee Vance – 10 janvier 2009 – The New York Times
(Traduction Framalang : Goofy et aKa)

On les considère soit comme de misérables casse-pieds soit comme ceux-là même qui pourraient causer la chute de Windows. À vous de choisir.

Au mois de décembre, des centaines de ces développeurs controversés de logiciels étaient rassemblés pour une semaine au quartier général de Google à Mountain View, en Californie. Ils venaient des quatre coins du globe, arborant beaucoup de signes de reconnaissance des mercenaires du code : jeans, queues de cheval, visages hirsutes aux yeux injectés de sang.

Mais au lieu de se préparer à vendre leur code au plus offrant, les développeurs ont conjugué leurs efforts généralement bénévoles pour essayer d’ébranler le système d’exploitation Windows de Microsoft qui équipe les ordinateurs personnels, et dont les ventes ont rapporté près de 17 milliards de dollars l’an dernier.

Le clou de la réunion était une chose appelée Ubuntu et un certain Mark Shuttleworth, le charismatique milliardaire sud-africain, qui tient lieu de chef spirituel et financier de cette tribu des codeurs.

Créé il y a maintenant tout juste quatre ans, Ubuntu (prononcez ou-BOUN-tou) s’est imposé comme la version du système d’exploitation pour Linux dont le développement a été le plus rapide et la notoriété la plus grande, il concurrence Windows avant tout par son très, très bas prix : 0 dollar.

On estime à plus de dix millions le nombre d’utilisateurs d’Ubuntu aujourd’hui, et ils représentent une sérieuse menace pour l’hégémonie de Microsoft dans les pays développés, peut-être même plus encore dans les contrées qui sont en train de rattraper la révolution technologique.

« Si nous réussissons, nous changerons complètement le marché du système d’exploitation,» a déclaré M. Shuttleworth pendant une pause au cours de la rencontre, le sommet des développeurs d’Ubuntu. « Microsoft devra s’adapter, et je ne pense pas que ce soit une mauvaise chose. »

Linux est gratuit, mais il y a toujours moyen de gagner de l’argent pour les entreprises qui gravitent autour du système d’exploitation. Des firmes comme IBM, Hewlett-Packard et Dell installent Linux sur plus de 10% de leurs ordinateurs vendus comme serveurs, les entreprises paient les fabricants de matériel et de services informatiques comme les vendeurs de logiciels Red Hat et Oracle, pour régler tous les problèmes et tenir à jour leurs systèmes basés sur Linux.

Mais Canonical, l’entreprise de Mark Shuttleworth qui élabore Ubuntu, a décidé de se concentrer à court terme sur les PC utilisés au travail et par les gens chez eux.

Les partisans de l’Open Source caressent depuis longtemps le rêve de voir en Linux un puissant rival de Windows, et dans une moindre mesure de l’OS X pour Mac de Apple. Ils proclament haut et fort que les logiciels qui peuvent être librement modifiés par le plus grand nombre peuvent s’avérer moins chers et meilleurs que le code propriétaire produit par des entreprises boulimiques. Cependant, ils ont eu beau faire tout leur possible, les adeptes zélés de Linux n’ont pas réussi à provoquer un usage généralisé de Linux sur les ordinateurs de bureau et les portables. Cet excentrique objet qu’est le logiciel demeure la spécialité des geeks, pas celui des grands-mères.

Mais avec Ubuntu, croient les prosélytes, il se pourrait qu’il en aille autrement.

« Je pense qu’Ubuntu a attiré l’attention des gens sur l’ordinateur de bureau Linux, » a déclaré Chris DiBona, le patron du département des logiciels Open Source chez Google. « S’il existe un espoir pour l’ordinateur de bureau Linux, c’est d’Ubuntu qu’il viendra »

Près de la moitié des 20 000 employés de Google utilisent une version légèrement modifiée d’Ubuntu, plaisamment appelée Goobuntu.

Les gens qui feront connaissance avec Ubuntu pour la première fois le trouveront très proche de Windows. Le système d’exploitation propose une interface graphique agréable, avec des menus familiers et toute la gamme des applications habituelles d’un ordinateur : un navigateur Web, un client courriel, un logiciel de messagerie instantanée et une suite bureautique libre pour créer des documents, des feuilles de calcul et des présentations.

Bien que relativement facile à utiliser pour les familiers de la technologie numérique, Ubuntu – et toutes les autres versions de Linux – peut poser quelques problèmes à l’utilisateur moyen. Beaucoup d’applications créées pour Windows ne fonctionnent pas sous Linux, y compris les jeux les plus populaires et les logiciels de gestion financière, par exemple. Et les mises à jour de Linux peuvent provoquer quelques problèmes dans le système, affectant des fonctions de base comme l’affichage ou la gestion de la carte son.

Canonical a essayé de régler en douceur un grand nombre de problèmes qui empêchaient Linux d’atteindre le grand public. Cette attention portée aux détails dans une version de Linux pour ordinateur de bureau contraste vivement avec les préoccupations des grands distributeurs de systèmes d’exploitation comme Red Hat et Novell. Bien que ces entreprises produisent des versions pour ordinateur de bureau, elles passent le plus clair de leur temps à rechercher de juteux profits sur les serveurs et les centres de traitement des données. Résultat : Ubuntu est apparu comme une sorte de communauté rêvée pour tous ces développeurs de logiciel idéalistes qui se voient comme des acteurs d’une contre-culture.

« C’est tout à fait comparable à ce qu’ont réussi des firmes comme Apple et Google, c’est-à-dire constituer une communauté mais surtout une communauté de passionnés », a dit Ian Murdock, le créateur d’une version précédente de Linux appelée Debian, sur laquelle est bâti Ubuntu.

Les entreprises de technologie grand public ont pris bonne note de la vague d’enthousiasme autour d’Ubuntu. Dell a commencé à vendre des PC et des ordinateurs de bureau avec ce logiciel dès 2007, et IBM a commencé plus récemment à proposer Ubuntu en tête d’un lot d’applications qui rivalisent avec Windows.

Canonical, implanté à Londres, a plus de 200 employés à temps plein, mais sa force de travail entière s’étend bien au-delà, grâce à une armée de bénévoles. L’entreprise a invité à ses frais près de 60 d’entre eux à assister à une réunion de développeurs, en considérant qu’ils étaient des contributeurs importants du système d’exploitation. 1000 personnes travaillent sur le projet Debian et mettent leur logiciel à la disposition de Canonical, tandis que 5000 diffusent sur Internet les informations sur Ubuntu, et 38000 se sont enregistrés pour traduire le logiciel en diverses langues.

Lorsqu’une nouvelle version du système d’exploitation est disponible, les fans d’Ubuntu se ruent sur Internet, sur les sites Web souvent dépassés par les événements qui distribuent le logiciel. Et des centaines d’autres organisations, surtout des universités, aident également à la distribution.

La société de recherche en hautes technologies IDC estime que 11% des entreprises américaines utilisent des systèmes basés sur Ubuntu. Ceci dit, la majeure partie des adeptes d’Ubuntu est apparue en Europe, où l’hégémonie de Microsoft a dû subir un sévère contrôle politique et juridique.

Le ministère de l’éducation de Macédoine fait confiance à Ubuntu, et fournit 180000 copies du système d’exploitation aux écoliers, tandis que le système scolaire espagnol procure 195000 portables Ubuntu. En France, l’Assemblée Nationale et la Gendarmerie Nationale (un corps militaire chargé de missions de police) sont équipés ensemble de 80000 ordinateurs sous Ubuntu. « Le mot libre était très important », précise Rudy Salles (NdT : Difficile ici de savoir si il s’agit de « free » dans le sens de « libre » ou de « gratuit », sûrement un peu des deux), le vice-président de l’Assemblée, en observant que cet équipement a permis au corps législatif d’abandonner Microsoft.

Il ne fait aucun doute que la croissance rapide d’Ubuntu ait été aidée par l’enthousiasme qui a entouré Linux. Mais c’est M. Shuttleworth et son mode de vie décoiffant qui ont surtout suscité un intérêt dont bénéficie Ubuntu. Alors qu’il préfère se vêtir sans façons à la manière des développeurs, certaines de ses activités, notamment un voyage dans l’espace, sortent de l’ordinaire.

« Bon, j’ai une vie très privilégiée, d’accord… » dit M. Shuttleworth. « Je suis milliardaire, célibataire, ex-cosmonaute. La vie pourrait difficilement être plus belle pour moi. Être un fondu de Linux rétablit une sorte d’équilibre.»

M. Shuttleworth a commencé à fonder sa fortune juste après avoir obtenu un diplôme de commerce de l’Université du Cap en 1995. Il payait ses factures en gérant une petite entreprise de conseil en technologie, en installant des serveurs Linux pour que des compagnies puissent faire tourner leur site Web, et autres services de base. Son goût pour le commerce et ses connaissances acquises dans les technologies numériques l’ont incité à miser sur l’intérêt croissant de l’Internet. « Je suis plus un universitaire qu’un marchand de tapis prêt à tout pour faire des coups », dit-il. J’étais très intéressé par la façon dont Internet modifiait le commerce et j’étais résolu à aller plus loin encore.»

M. Shuttleworth décida de lancer en 1995 une entreprise appelée Thawte Consulting (NdT : à prononcer comme « thought » la pensée), qui proposait des certificats numériques, un système de sécurité utilisé par les navigateurs pour vérifier l’identité des entreprises de commerce en ligne. À l’âge de 23 ans, il rendit visite à Netscape pour promouvoir un standard généralisé de ces certificats. Netscape, qui était alors le navigateur Web dominant, prit une participation, et Microsoft, avec son navigateur Internet Explorer, en fit autant.

Quand la folie du point.com (NdT : La bulle internet) se déclencha, des entreprises se montrèrent intéressées par cette boîte implantée en Afrique du Sud qui faisait du profit. En 1999, VeriSign, qui gérait un grand nombre de services structurels pour Internet, acheta Thawte pour 575 millions de dollars. (M. Shuttleworth avait décliné une offre à 100 millions de dollars quelques mois plus tôt.) Comme il était le seul détenteur de la société Thawte, M. Shuttleworth, fils d’un chirurgien et d’une institutrice de jardin d’enfant, s’est retrouvé très riche à 26 ans à peine.

Alors que peut bien faire un millionaire fraîchement éclos ? M. Shuttleworth a regardé vers les étoiles. En versant une somme évaluée à 20 millions de dollars aux autorités russes, il s’est offert un voyage de 10 jours dans l’espace à bord de la station spatiale internationale Soyouz TM-34, en 2002, devenant ainsi le premier « afronaute », comme l’a appelé la presse. « Après la vente de la société, il ne s’agissait pas de se vautrer sur des yachts avec des bimbos » a-t-il dit. « Il était très clair que j’étais dans une situation exceptionnelle qui me permettait de choisir de faire des choses qui auraient été impossibles sans cette fortune. »

Dans les années qui ont suivi, M. Shuttleworth a soutenu des startups et des organisations humanitaires. Grâce à ses investissements aux États-Unis, en Afrique et en Europe, il dit avoir amassé une fortune de plus d’un milliard de dollars. Il passe 90% de son temps, cependant, à travailler pour Canonical, qu’il considère comme un autre projet destiné à reculer les limites du possible.

« Je me suis bien débrouillé dans mes investissements, dit-il, mais cela n’a jamais été pleinement satisfaisant. J’ai peur d’arriver à la fin de ma vie en ayant l’impression de n’avoir rien bâti de sérieux. Et réaliser quelque chose que les gens pensaient impossible est un défi excitant ».

Le modèle choisi par Canonical permet cependant difficilement d’en tirer économiquement profit.

Beaucoup de compagnies Open Source offrent gracieusement une version gratuite de leur logiciel avec quelques limitations, tout en vendant la version intégrale accompagnée des services additionnels qui assurent au produit sa mise à jour. Canonical offre tout, y compris son produit phare, et espère que quelques entreprises vont alors se tourner vers lui pour acheter des services comme la gestion de grands parcs de serveurs et d’ordinateurs, au lieu de gérer ça elles-mêmes avec des experts maison.

Canonical dispose d’une autre source de revenus avec des compagnies comme Dell qui vendent des ordinateurs avec Ubuntu installé, et qui contribuent au logiciel avec des projets technologiques tels que l’implantation de fonctions propres à Linux sur les portables. L’un dans l’autre, le chiffre d’affaires de Canonical doit s’approcher des 30 millions de dollars par an, selon M. Shuttleworth. Un chiffre qui n’a pas de quoi inquiéter Microsoft.

Mais M. Shuttleworth défend l’idée que 30 millions de dollars par an est un revenu qui se suffit à lui-même, juste ce dont il a besoin pour financer les mises à jour régulières d’Ubuntu. Et un système d’exploitation qui s’auto-finance, dit-il, pourrait bien changer la manière dont les gens perçoivent et utilisent le logiciel qu’il ont chaque jour sous les yeux.

« Sommes-nous en train de répandre la paix sur le monde ou de le changer radicalement ? Non », dit-il. « Mais nous pouvons faire évoluer les attentes des gens et le degré d’innovation qu’ils peuvent espérer pour chaque dollar dépensé. »

On estime que Microsoft emploie depuis 5 ans 10000 personnes sur Vista, son nouveau système d’exploitation pour ordinateur de bureau. Le résultat de cet investissement qui se chiffre en milliards de dollars est un produit arrivé trop tard sur le marché, et que les critiques ont descendu en flammes.

Dans le même temps, Canonical publie une nouvelle version d’Ubuntu tous les six mois, en ajoutant des fonctionnalités qui tirent parti des dernières avancées fournies par les développeurs et les fabricants de composants comme Intel. Le modèle de développement de la société c’est avoir une longueur d’avance sur Microsoft, à la fois sur les prix et sur des fonctions qui lui ouvrent de nouveaux marchés.

« Il est pour moi tout à fait clair que la démarche Open Source aboutit à de meilleurs résultats,» dit M. Shuttleworth. De tels propos venant d’un homme désireux de financer un logiciel pour les masses – et par les masses – confortent ceux qui voient dans l’Open Source plus une cause à défendre qu’un modèle économique.

Sur son temps libre, Agostino Russo par exemple, qui travaille à Londres pour un fonds d’investissement chez Moore Europe Capital Management, a conçu une application appelée Wubi qui permet d’installer Ubuntu sur des ordinateurs tournant sous Windows.

« J’ai toujours pensé que l’Open Source était un mouvement socio-économique très important » dit M. Russo.

Mais en fin de compte, plusieurs aspects de l’entreprise de M. Shuttleworth paraissent encore chimériques. Linux demeure mal dégrossi, et le modèle économique de Canonical le rapproche plus d’une organisation humanitaire que d’une entreprise en passe de devenir un poids lourd de l’édition logicielle. Et même si Ubuntu, produit Open Source, s’avère un succès phénoménal, le système d’exploitation sera largement utilisé pour tirer parti de services en ligne propriétaires proposés par Microsoft, Yahoo, Google et les autres.

« Mark est tout à fait sincère et il croit véritablement à l’Open Source » dit Matt Asay, un chroniqueur des technologies Open Source qui dirige la société de logiciels Alfresco. « Mais je pense qu’à un moment donné il va passer par une remise en question de son credo. » M. Asay se demande si Canonical pourra faire vivre durablement sa philosophie du « tout est offert » et « tout est ouvert ».

Canonical ne montre pourtant pas de signe avant-coureur de ralentissement ni d’inflexion de sa trajectoire. « Nous avons déjà une idée claire du terrain sur lequel il nous faut concurrencer Windows », dit M. Shuttleworth. « Maintenant la question est de pouvoir créer un produit élégant et épatant. »

Dans sa vie privée, il continue de tester tout ce qui est possible, demandant par exemple qu’une connexion par fibre optique soit installée chez lui, à la frontière des quartiers chics de Londres que sont Chelsea et Kensington. « Je veux savoir ce que ça fait d’avoir une connexion à un gigaoctet chez soi », dit-il. « Ce n’est pas que j’aie besoin de regarder du porno en haute définition mais parce que je veux voir en quoi ça modifie notre comportement. »

Il affirme que Canonical n’est pas simplement une entreprise de bienfaisance menée par un individu qui a du temps, de l’argent et la volonté de s’attaquer à Microsoft bille en tête. Son idéal est de faire d’Ubuntu le standard pour un ou deux milliards d’êtres humains qui vont bientôt s’acheter un ordinateur personnel.

Notes

[1] Crédit photo : Stopped (Creative Commons By)