Google et son robot pipoteur(*), selon Doctorow

Source de commentaires alarmants ou sarcastiques, les robots conversationnels qui reposent sur l’apprentissage automatique ne provoquent pas seulement l’intérêt du grand public, mais font l’objet d’une course de vitesse chez les GAFAM.

Tout récemment, peut-être pour ne pas être à la traîne derrière Microsoft qui veut adjoindre un chatbot à son moteur de recherche Bing, voilà que Google annonce sa ferme résolution d’en faire autant. Dans l’article traduit pour vous par framalang, Cory Doctorow met en perspective cette décision qui lui semble absurde en rappelant les échecs de Google qui a rarement réussi à créer quoi que ce soit…

(*) Merci à Clochix dont nous adoptons dans notre titre la suggestion.

Article original : Google’s chatbot panic

Traduction Framalang : Fabrice, goofy, jums, Henri-Paul, Sysy, wisi_eu,

L’assistant conversationnel de Google en panique

par Cory Doctorow

 

Photo Jonathan Worth CC-BY-SA

 

 

Il n’y a rien d’étonnant à ce que Microsoft décide que l’avenir de la recherche en ligne ne soit plus fondé sur les liens dans une page web, mais de là à la remplacer par des longs paragraphes fleuris écrits dans un chatbot qui se trouve être souvent mensonger… — et en plus Google est d’accord avec ce concept.

Microsoft n’a rien à perdre. Il a dépensé des milliards pour Bing, un moteur de recherche que personne n’utilise volontairement. Alors, sait-on jamais, essayer quelque chose d’aussi stupide pourrait marcher. Mais pourquoi Google, qui monopolise plus de 90 % des parts des moteurs de recherche dans le monde, saute-t-il dans le même bateau que Microsoft ?

le long d'un mur de brique rouge sur lequel est suspendu un personnage ovoïde au visage très inquiet (Humpty-Dumpty le gros œuf), deux silhouettes jumelles (Tweedle-dee et Tweedle-dum les personnages de De l'autre côté du_miroir de Lewis Carroll) représentent avec leur logo sur le ventre Bing et google, chacun d'eaux a une tête qui évoque le robot Hal de 2001, à savoir une lueur rouge sur fond noir qui fait penser à un œil.

Il y a un délicieux fil à dérouler sur Mastodon, écrit par Dan Hon, qui compare les interfaces de recherche merdiques de Bing et Google à Tweedledee et Tweedledum :

https://mamot.fr/@danhon@dan.mastohon.com/109832788458972865

Devant la maison, Alice tomba sur deux étranges personnages, tous deux étaient des moteurs de recherche.
— moi, c’est Google-E, se présenta celui qui était entièrement recouvert de publicités
— et moi, c’est Bingle-Dum, fit l’autre, le plus petit des deux, et il fit la grimace comme s’il avait moins de visiteurs et moins d’occasions de mener des conversations que l’autre.
— je vous connais, répondit Alice, vous allez me soumettre une énigme ? Peut-être que l’un de vous dit la vérité et que l’autre ment ?
— Oh non, fit Bingle-Dum
— Nous mentons tous les deux, ajouta Google-E

Mais voilà le meilleur :

— Cette situation est vraiment intolérable, si vous mentez tous les deux.

— mais nous mentons de façon très convaincante, précisa Bingle-Dum

— D’accord, merci bien. Dans ce cas, comment puis-je vous faire jamais confiance ni / confiance à l’un ni/ou à l’autre ? Dans ce cas, comment puis-je faire confiance à l’un d’entre vous ?

Google-E et Bingle-Dum se tournèrent l’un vers l’autre et haussèrent les épaules.

La recherche par chatbot est une très mauvaise idée, surtout à un moment où le Web est prompt à se remplir de vastes montagnes de conneries générées via l’intelligence artificielle, comme des jacassements statiques de perroquets aléatoires :

La stratégie du chatbot de Google ne devrait pas consister à ajouter plus de délires à Internet, mais plutôt à essayer de trouver comment exclure (ou, au moins, vérifier) les absurdités des spammeurs et des escrocs du référencement.

Et pourtant, Google est à fond dans les chatbots, son PDG a ordonné à tout le monde de déployer des assistants conversationnels dans chaque recoin de l’univers Google. Pourquoi diable est-ce que l’entreprise court après Microsoft pour savoir qui sera le premier à décevoir des espérances démesurées ?

J’ai publié une théorie dans The Atlantic, sous le titre « Comment Google a épuisé toutes ses idées », dans lequel j’étudie la théorie de la compétition pour expliquer l’insécurité croissante de Google, un complexe d’anxiété qui touche l’entreprise quasiment depuis sa création:

L’idée de base : il y a 25 ans, les fondateurs de Google ont eu une idée extraordinaire — un meilleur moyen de faire des recherches. Les marchés financiers ont inondé l’entreprise en liquidités, et elle a engagé les meilleurs, les personnes les plus brillantes et les plus créatives qu’elle pouvait trouver, mais cela a créé une culture d’entreprise qui était incapable de capitaliser sur leurs idées.

Tous les produits que Google a créés en interne, à part son clone de Hotmail, sont morts. Certains de ces produits étaient bons, certains horribles, mais cela n’avait aucune importance. Google, une entreprise qui promouvait la culture du baby-foot et la fantaisie de l’usine Willy Wonka [NdT: dans Charlie et la chocolaterie, de Roald Dahl], était totalement incapable d’innover.

Toutes les réussites de Google, hormis son moteur de recherche et gmail, viennent d’une acquisition : mobile, technologie publicitaire, vidéos, infogérance de serveurs, docs, agenda, cartes, tout ce que vous voulez. L’entreprise souhaite plus que tout être une société qui « fabrique des choses », mais en réalité elle « achète des choses ». Bien sûr, ils sont très bons pour rendre ces produits opérationnels et à les faire « passer à l’échelle », mais ce sont les enjeux de n’importe quel monopole :

La dissonance cognitive d’un « génie créatif » autoproclamé, dont le véritable génie est de dépenser l’argent des autres pour acheter les produits des autres, et de s’en attribuer le mérite, pousse les gens à faire des choses vraiment stupides (comme tout utilisateur de Twitter peut en témoigner).
Google a longtemps montré cette pathologie. Au milieu des années 2000 – après que Google a chassé Yahoo en Chine et qu’il a commencé à censurer ses résultats de recherche, puis collaboré à la surveillance d’État — nous avions l’habitude de dire que le moyen d’amener Google à faire quelque chose de stupide et d’autodestructeur était d’amener Yahoo à le faire en premier lieu.

C’était toute une époque. Yahoo était désespéré et échouait, devenant un cimetière d’acquisitions prometteuses qui étaient dépecées et qu’on laissait se vider de leur sang, laissées à l’abandon sur l’Internet public, alors que les princes duellistes de la haute direction de Yahoo se donnaient des coups de poignard dans le dos comme dans un jeu de rôle genre les Médicis, pour savoir lequel saboterait le mieux l’autre. Aller en Chine fut un acte de désespoir après l’humiliation pour l’entreprise que fut le moteur de recherche largement supérieur de Google. Regarder Google copier les manœuvres idiotes de Yahoo était stupéfiant.

C’était déconcertant, à l’époque. Mais à mesure que le temps passait, Google copiait servilement d’autres rivaux et révélait ainsi une certaine pathologie d’insécurité. L’entreprise échouait de manière récurrente à créer son réseau « social », et comme Facebook prenait toujours plus de parts de marché dans la publicité, Google faisait tout pour le concurrencer. L’entreprise fit de l’intégration de Google Plus un « indictateur1 de performance » dans chaque division, et le résultat était une agrégation étrange de fonctionnalités « sociales » défaillantes dans chaque produit Google — produits sur lesquels des milliards d’utilisateurs se reposaient pour des opérations sensibles, qui devenaient tout à coup polluées avec des boutons sociaux qui n’avaient aucun sens.

La débâcle de G+ fut à peine croyable : certaines fonctionnalités et leur intégration étaient excellentes, et donc logiquement utilisées, mais elles subissaient l’ombrage des incohérences insistantes de la hiérarchie de Google pour en faire une entreprise orientée réseaux sociaux. Quand G+ est mort, il a totalement implosé, et les parties utiles de G+ sur lesquelles les gens se reposaient ont disparu avec les parties aberrantes.

Pour toutes celles et ceux qui ont vécu la tragi-comédie de G+, le virage de Google vers Bard, l’interface chatbot pour les résultats du moteur de recherche, semble tristement familier. C’est vraiment le moment « Mourir en héros ou vivre assez longtemps pour devenir un méchant ». Microsoft, le monopole qui n’a pas pu tuer la jeune pousse Google à cause de son expérience traumatisante des lois antitrust, est passé d’une entreprise qui créait et développait des produits à une entreprise d’acquisitions et d’opérations, et Google est juste derrière elle.

Pour la seule année dernière, Google a viré 12 000 personnes pour satisfaire un « investisseur activiste » privé. La même année, l’entreprise a racheté 70 milliards de dollars en actions, ce qui lui permet de dégager suffisamment de capitaux pour payer les salaires de ses 12 000 « Googleurs » pendant les 27 prochaines années. Google est une société financière avec une activité secondaire dans la publicité en ligne. C’est une nécessité : lorsque votre seul moyen de croissance passe par l’accès aux marchés financiers pour financer des acquisitions anticoncurrentielles, vous ne pouvez pas vous permettre d’énerver les dieux de l’argent, même si vous avez une structure à « double pouvoir » qui permet aux fondateurs de l’emporter au vote contre tous les autres actionnaires :

https://abc.xyz/investor/founders-letters/2004-ipo-letter/

ChatGPT et ses clones cochent toutes les cases d’une mode technologique, et sont les dignes héritiers de la dernière saison du Web3 et des pics des cryptomonnaies. Une des critiques les plus claires et les plus inspirantes des chatbots vient de l’écrivain de science-fiction Ted Chiang, dont la critique déjà culte est intitulée « ChatGPT est un une image JPEG floue du Web » :

https://www.newyorker.com/tech/annals-of-technology/chatgpt-is-a-blurry-jpeg-of-the-web

Chiang souligne une différence essentielle entre les résultats de ChatGPT et ceux des humains : le premier jet d’un auteur humain est souvent une idée originale, mal exprimée, alors que le mieux que ChatGPT puisse espérer est une idée non originale, exprimée avec compétence. ChatGPT est parfaitement positionné pour améliorer la soupe de référencement que des légions de travailleurs mal payés produisent dans le but de grimper dans les résultats de recherche de Google.

En mentionnant l’article de Chiang dans l’épisode du podcast « This Machine Kills », Jathan Sadowski perce de manière experte la bulle de la hype ChatGPT4, qui soutient que la prochaine version du chatbot sera si étonnante que toute critique de la technologie actuelle en deviendra obsolète.

Sadowski note que les ingénieurs d’OpenAI font tout leur possible pour s’assurer que la prochaine version ne sera pas entraînée sur les résultats de ChatGPT3. Cela en dit long : si un grand modèle de langage peut produire du matériel aussi bon qu’un texte produit par un humain, alors pourquoi les résultats issus de ChatGPT3 ne peuvent-ils pas être utilisés pour créer ChatGPT4 ?

Sadowski utilise une expression géniale pour décrire le problème :  « une IA des Habsbourg ». De même que la consanguinité royale a produit une génération de prétendus surhommes incapables de se reproduire, l’alimentation d’un nouveau modèle par le flux de sortie du modèle précédent produira une spirale infernale toujours pire d’absurdités qui finira par disparaître dans son propre trou du cul.

 

Crédit image (modifiée) : Cryteria, CC BY 3.0




La médiation numérique est-elle soluble dans la médiation sociale ?

Lorsqu’en décembre 2021, Angie contacte Yann Vandeputte pour échanger autour de la quasi-absence de médiation aux pratiques numériques émancipatrices dans les espaces dédiés à l’accompagnement des citoyen⋅nes aux usages numériques, elle était loin d’imaginer que quatorze mois plus tard, elle lancerait une série d’articles rédigés par les membres du collectif « Lost in médiation » sur le thème La médiation numérique est-elle soluble dans la médiation sociale ? ! Et pourtant, c’est bien de vous plonger dans le monde de la médiation numérique que nous vous proposons pour ces prochaines semaines ! On commence avec un premier article de Yann Vandeputte qui nous présente la démarche et ses enjeux.

Yann Vandeputte est actif dans l’accompagnement aux usages numériques depuis 2004. Comme acteur de terrain pendant une douzaine d’années dans le secteur associatif, puis comme ingénieur de formation chargé de la certification « responsable d’espace de médiation numérique » du ministère du Travail.

« La médiation numérique est-elle soluble dans la médiation sociale ? », une question qui ressemble, dans sa formulation, à un sujet du bac. C’est le premier chantier que pose, comme acte fondateur, le collectif Lost in médiation. S’ouvrir aux autres secteurs et aux autres champs disciplinaires, avec lesquels la médiation numérique partage des gènes dans le grand ADN du care, est la motivation première du collectif. Sept professionnels ou anciens praticiens issus du monde associatif et institutionnel ont rendu leur copie. D’autres réponses pourraient suivre, nous l’appelons de nos vœux.

« Apprendre à se connaître et à se reconnaître ». Tel serait le besoin exprimé et le point de départ qui a animé la question délicate que j’ai posée fin décembre 2021 à une quinzaine d’acteurs de la médiation numérique, de la médiation sociale, du travail social et de la sociologie. Peu ont souhaité répondre gratuitement à cette question, un brin provocatrice, j’en conviens, et je profite de cet espace qui nous est cordialement offert par Framasoft pour remercier les premiers courageux qui ont relevé le défi. L’enjeu de cette demande était d’interroger la médiation numérique au regard d’autres champs, d’autres acteurs qui l’entourent, la croisent, l’aiguillonnent ou simplement l’ignorent, par pure ignorance ou par aimable condescendance.

Photo Stefan Schweihofer – Pixabay

Les six articles qui ouvrent ce premier chantier seront présentés chaque jeudi sur cet espace d’expression libre qu’est le framablog :

  • 9 mars : Allons-nous vers un métier unique de la médiation numérique et sociale ? par Didier Dubasque
  • 16 mars : Où est passée la culture numérique ? par Vincent Bernard
  • 23 mars : Médiation sociale et médiation numérique : solubilité ou symbiose ? par Garlann Nizon et Stéphane Gardé
  • 30 mars et 6 avril : La translittératie numérique, objet de la médiation numérique. Analyse d’une expérimentation : remobilisation scolaire et articulation de médiations par Corine Escobar, Nadia Oulahbib et Amélie Turet

Et plus tard, peut-être, d’autres éclairages que vous souhaiteriez apporter à ce premier tableau ?

Des contributeurs à la croisée des champs

Cette série introductive de quatre articles associe six professionnels issus de la médiation numérique (Vincent Bernard, Garlann Nizon et Stéphane Gardé), du travail social (Didier Dubasque) et de la recherche en sciences humaines et sociales (Amélie Turet et Corine Escobar). Je ne déroulerai pas ici leur CV bien fourni. Je me limiterai à une courte présentation. Leurs articles respectifs étant leur meilleure carte de visite.

Didier Dubasque est l’auteur de Comprendre et maîtriser les excès de la société numérique et de Les Oubliés du confinement. Hommage aux plus fragiles et à ceux qui les aident, parus aux presses de l’EHESP. Impliqué dans le travail social depuis plus de trente ans au niveau départemental (Loire-Atlantique) et national, il a notamment coanimé les travaux du Haut Conseil du Travail Social (HCTS) sur les enjeux des pratiques numériques dans l’action sociale. Chroniqueur social, il anime le blog Écrire pour et sur le travail social et contribue au développement de l’association nantaise Le coup de main numérique.

Vincent Bernard est coordinateur de Bornybuzz numérique et juré pour le titre professionnel de Responsable d’Espace de Médiation Numérique. Il veille à inscrire dans ses pratiques de médiation numérique l’éducation aux médias, aux écrans et à la culture numérique. À ce titre, il associe régulièrement des travailleurs sociaux et des psychologues à des projets destinés aux adultes et aux jeunes publics. Il participe également à des publications collectives.

Garlann Nizon est cheffe de projet, formatrice et consultante en inclusion numérique depuis de nombreuses années, à l’échelle de la Drôme et de l’Ardèche dont elle a structuré les EPN et les actions, et de la région dont elle a coanimé le réseau d’acteurs Coraia puis Hinaura. En tant que salariée associée au sein de la CAE Prisme, elle est également administratrice à la coopérative La MedNum où elle représente le collège des médiateurs et personnes physiques. Toujours en coordination des acteurs de la médiation numérique drômoise (médiateurs et CNFS notamment), elle travaille également sur les sujets relatifs à la numérisation de la santé et les modèles économiques des structures de médiation notamment.

Stéphane Gardé est consultant-formateur engagé depuis presque vingt ans dans la médiation numérique. Son regard de philosophe ouvert aux cultures non occidentales et son intérêt pour les pédagogies actives lui ont permis pendant quinze ans d’accompagner, notamment en itinérance, des publics en situation d’illettrisme et d’illectronisme et différents acteurs de l’intervention sociale.

Corine Escobar est enseignante chercheure depuis plus de 40 ans, au service de l’égalité des chances. Institutrice en France, puis professeure de français en Espagne, suède et Allemagne, elle a expérimenté différentes pédagogies holistiques. Une thèse de doctorat en sciences de l’éducation lui a permis d’observer et d’évaluer la puissance associative au service des plus faibles. Déléguée du préfet depuis plus de 10 ans, elle accompagne les associations investies auprès des publics des quartiers prioritaires notamment sur la remobilisation éducative.

Nadia Oulahbib est chercheure et analyste clinique du travail en santé mentale, observatrice des scènes de travail dans le monde de la fonction publique, l’entreprise associative, coopérative, industrielle et également liés aux métiers du social. Elle apporte son soutien à la parole sur le travail pour entretenir le dialogue collectif. Elle est aussi maîtresse de conférences associée pour l’UPEC.

Amélie Turet est docteure qualifiée en sciences de l’information et de la communication, chercheure associée à la Chaire UNESCO « Savoir Devenir » et au MICA, enseignante à l’UPEC sur le numérique dans l’éducation populaire et l’ESS, spécialiste de l’appropriation socio-technique des dispositifs liés au numérique. Membre de l’ANR Translit, elle a présenté ses travaux sur la médiation numérique lors des rencontres EMI de l’UNESCO à RIGA en 2016. CIFRE, diplômée de l’université Paris-Jussieu en sociologie du changement, elle a conduit des projets de R&D dans le secteur privé puis au service de l’État sur la transformation numérique, la démocratie participative, l’inclusion numérique, la politique de la ville et l’innovation.

« Lost in médiation » : besoin de médiations pour des remédiations ?

Lost in médiation2 est né il y a plusieurs années d’une gêne personnelle due à un prurit chronique causé par l’irritant médiation. « Médiation » par-ci, « médiation » par-là, pour ci et pour ça, le pouvoir d’attraction de la blanche colombe m’a un jour donné le vertige et l’envie de lui tordre le cou pour commencer à lui faire rendre gorge. Le dessein, un peu violent et d’une prétention inouïe, tant la tâche est immense, demande que je m’explique et que je lance dans ces colonnes un appel à l’aide à toutes les bonnes volontés. Vouloir dissiper le brouillard qui entoure la notion de médiation et ses innombrables costumes3 et faux-nez est une entreprise qui relèverait de toute une vie. Quelques personnes plus savantes et plus talentueuses s’y sont déjà essayé et n’y sont pas parvenues.

Le projet Lost in médiation est plus modeste, certes, mais il ne se prive pas de questionner la composante « médiation » dans la médiation numérique. Nous espérons que des professionnels qui pratiquent d’autres médiations (sociale, artistique, documentaire, scientifique, conventionnelle, etc.) et d’autres types d’accompagnement dans les secteurs du travail social, du médico-social et de l’éducation populaire pourront alimenter le « processus de communication éthique » qui définit la médiation dite « conventionnelle4 ».

Un chantier ouvert pour faire acte de médiation ?

Lost in médiation se veut une œuvre collective ouverte où les expressions et les sensibilités peuvent prendre des formes variées : écrits (articles, témoignages, retours d’expérience, analyses de pratiques, etc.), podcasts sonores et vidéo, objets graphiques ou hybrides. La seule contrainte que notre ouvroir s’impose, c’est l’opportunité de croiser des regards intérieurs et extérieurs au secteur de la médiation numérique. Prendre le recul nécessaire permet, nous semble-t-il, de nous extraire des mécanismes réflexes, des recettes de cuisine, des formules toutes faites servant à nourrir la viralité et le prêt-à-penser qui favorisent les bulles informationnelles. Convoquer des pratiques et des cultures issues d’autres champs disciplinaires aide à nous décentrer, ouvre des horizons et nous donne une capacité à élargir nos réflexions et à entrevoir des pistes de solutions difficiles à imaginer quand se mettent en place des entre-soi. L’équation que Lost in médiation entend poser est donc « comment penser avec les autres pour penser contre soi-même ? ».

Inscrire la médiation numérique dans une généalogie ancienne

Si elle ne sort pas de la cuisse d’un Jupiter ni même de la côte d’un Adam, la médiation numérique n’est pas non plus une création ex nihilo. Au-delà du chaudron de l’éducation populaire dans lequel elle est tombée à sa naissance, nous postulons qu’elle porte derrière elle un bagage largement insoupçonné venant d’antécédents plus illustres et plus lointains n’ayant, en apparence, aucune connexion avec elle. Et pourtant. Qu’elle le veuille ou non, par l’adoption même du terme médiation qui plus est associé à numérique5, la voilà embarquée, bon gré mal gré, dans une histoire longue et touffue qu’elle va devoir un jour assumer si elle veut honorer ces deux blasons.

En prendre conscience permet de convoquer l’aide de ses ascendants et de les questionner avec assertivité. La médiation ne passe-t-elle pas inlassablement par des reformulations pour s’assurer que chaque participant, chaque acteur a bien saisi ce qui s’énonce ? Plus concrètement, éducateurs, animateurs, formateurs, penseurs et chercheurs en sciences humaines et sociales (SHS), artistes (et bien d’autres !), qui ont parlé, expérimenté et écrit sur les relations interpersonnelles et culturelles, le care, l’accompagnement et l’éthique, ont pleine légitimité à nous dire et à nous apprendre des choses sur nous-mêmes. Nous essaierons, le plus possible, dans notre projet ouvert, de les rappeler à notre bon souvenir.

L’aller vers en partage ?

La volonté de se mouvoir vers une altérité (humaine, non-humaine, conceptuelle) est partagée par toutes les médiations. Nous nous appuierons donc sur ce socle commun, représentant à nos yeux un avatar du principe de l’aller vers que nous empruntons au travail social et que nous tenterons d’appliquer au champ de la médiation numérique.

La traçabilité de la locution aller vers mériterait d’être établie. Je conseille pour commencer de lire les articles que Didier Dubasque a consacré à cette notion sur son blog. Il cite, entre autres, les travaux de son ami sociologue, Cyprien Avenel, qui rappelle que « l’aller vers n’est pas une pratique nouvelle […] il « renvoie aux fondamentaux du cœur de métier du travail social et de l’intervention sociale ».

Pour ce qui nous intéresse, cela ressemble un peu au jeu du « passe à ton voisin » qui marque une certaine porosité entre les champs d’intervention. Comme le terme médiation, cette expression est devenue désirable, car véhiculée à tour de bras. Elle est passée de mains en mains : du travail social à la médiation sociale qui l’a même inscrite dans sa norme AFNOR NF X60-600 conçue en 2016 et entrée en vigueur en 2021. On y lit, à la page 11, au deuxième paragraphe de l’article 3.1.2 Modalités d’intervention de la médiation sociale, que « le médiateur social intervient sur l’ensemble des espaces de vie de son territoire d’intervention et organise ses pratiques autour de deux principes directeurs : aller vers et faire avec la ou les personnes ».

Une nouvelle injonction pour de nouvelles pratiques

De fil en aiguille, l’aller vers, flanqué de son binôme faire avec, navigue et suture les différentes pièces de l’intervention sociale, jusqu’à arrimer aujourd’hui la médiation numérique. D’année en année, ses occurrences et ses déclinaisons augmentent significativement dans la prose institutionnelle consacrée à l’inclusion numérique, reprise à l’envi par certains professionnels du terrain. À titre d’exemple, l’aller vers est mentionné à plusieurs reprises dans l’Observatoire de l’inclusion numérique 2022 de la MedNum. Il faisait aussi l’objet d’un atelier au dernier Numérique en Commun[s] (NEC) 2022 à Lens et la Base du numérique d’intérêt général lui consacre la fiche Comment favoriser le « aller vers » dans mon quotidien ? destinée aux conseillers numériques France Services (CNFS).

La viralité est donc en marche, mais qui s’en plaindrait ? Qui refuserait d’aller porter assistance aux personnes qui ne poussent jamais la porte des espaces de médiation numérique ? Qui souhaiterait laisser pour compte celles et ceux qui ne manifestent aucune demande alors que leurs besoins élémentaires en termes d’accès au droit(s)6 ne sont pas satisfaits ? Absolument personne. Et pourtant, rappelle Didier Dubasque, ce déplacement qui provoque une inversion ne va pas de soi, car elle met le professionnel dans une « position basse », inconfortable : « ce n’est plus la personne qui demande, c’est le professionnel ».

L’heure est donc au démarchage tous azimuts. Il faut aller chercher les isolés à la force des jambes et du poignet, dans les moindres recoins. Les non-recours ne doivent plus avoir cours ! Est-ce à dire que les pratiques des professionnels de la médiation numérique ont radicalement changé ? Que la majorité d’entre eux sillonnent les routes de France, de Navarre et des îles pour aller au contact des usagers les plus éloignés, montent les étages des immeubles et font du porte-à-porte, arpentent les rues en faisant des maraudes ? Nous n’y sommes pas encore. Si peu aujourd’hui le font, la question qui se pose est bien de savoir s’ils en ont la capacité, la motivation et les moyens. Car ajouter une nouvelle mission, une nouvelle pratique, suppose la formation qui va avec et l’aller vers ne s’improvise pas. C’est un art de l’approche qui relève d’un artisanat social qui s’acquiert patiemment sur le terrain, par essais-erreurs, au rythme qu’imposent les publics accompagnés. Pour aller vers les autres, on doit bien apprendre à les connaître et à les reconnaître, on n’a pas le choix : il faut bien faire avec !

Le Réseau national Pimms Médiation, première éprouvette d’une médiation numérique OGM ?

Une fois encore, même si la solubilité de la médiation numérique n’est pas pleine et entière dans la médiation sociale, il n’empêche qu’une forme de mouvement de l’une vers l’autre s’est établi ces dernières années. Peu veulent le voir, l’acter ou le reconnaître, mais les technologies finiront bien un jour par les mettre d’accord. Car le numérique permet et accentue cette liquidité7, gomme petit à petit les frontières ou les rend plus floues.

Des structures comme les points d’information médiation multi services (PIMMS), dont le réseau national comprend aujourd’hui 100 lieux d’accueil de proximité, incarnent bien cette soudure. Ce n’est pas un hasard si le réseau a créé le mot-valise « médiation socio-numérique » pour qualifier sa pratique hybride. Ce mot, par contamination (ou par solubilité ?) est déjà repris par des acteurs du canal historique de la médiation numérique. Ce n’est pas non plus un hasard si ce même réseau des PIMMS, à la croisée des chemins, est membre du réseau France Médiation8 et sociétaire de la MedNum. Ses représentants participent régulièrement aux événements qu’organisent ces deux instances professionnelles de portée nationale.

La dématérialisation, vers une nouvelle forme d’œcuménisme ?

Par la force centripète qu’elle provoque, la dématérialisation administrative crée, à sa manière, de l’aller vers entre professionnels des trois sphères du champ social. Elle oblige des professionnels qui ne se fréquentaient pas (ou peu) à apprendre à s’identifier, à comprendre la culture et les contraintes des uns et des autres et, cerise sur le gâteau, à travailler en bonne intelligence afin de créer un « espace d’aide potentiel9 », une zone de confiance entre les différentes parties prenantes de dispositifs d’accompagnement : personnes accompagnées et professionnels accompagnants. L’enjeu est bel est bien de rendre fluides les échanges, d’éviter les ruptures pour les usagers, de limiter les incompréhensions, les lenteurs et les blocages. Ces évidences méritent d’être rappelées à l’ensemble des maillons de ce qui forme, dans le fond, une chaîne de solidarités professionnelles.

La médiation numérique a tout à apprendre de la médiation sociale et du travail social et inversement. « Assurer une présence active de proximité », « participer à une veille sociale et technique territoriale » sont des principes inscrits dans la norme de la médiation sociale que la médiation numérique devrait ou est en train de faire siens. Le principe de l’aller vers que nous avons à peine esquissé est connecté en permanence avec ces deux principes d’arpentage du territoire. Mais la réalité de terrain montre que les échanges « gagnants-gagnants » qui relèveraient d’une forme de symbiose – que décrivent Garlann Nizon et Stéphane Gardé – sont encore loin d’être la norme. En inversant le mouvement, il est clair que les médiateurs et travailleurs sociaux ont à s’inspirer des pratiques d’accompagnement aux usages numériques de leurs frères et sœurs d’armes conseillers et médiateurs numériques.

Fécondations croisées

A l’heure du Conseil national de la refondation (CNR) et de la future feuille de route pour la « stratégie nationale numérique inclusif » à mener dans les cinq années à venir, le groupe de travail 3 « formation-filière » était chargé récemment de réfléchir à la structuration de la filière de la médiation numérique et de la formation des futurs professionnels, des professionnels en poste et des aidants numériques. Dans le volet formation, il est souvent question de « socle commun de compétences ». S’il voit le jour, ce socle serait bien inspiré de cartographier au préalable les activités communes aux trois champs de l’intervention sociale, en lien direct ou indirect avec l’accompagnement aux usages numériques, pour en tirer les savoir-faire (techniques, relationnels, organisationnels) et les connaissances qui forment un génome commun : la compétence. L’aller vers fait partie de ces chromosomes qui constituent le génome, mais ce n’est pas le seul. Les professionnels des trois champs ont tout à gagner d’unir leur force en mettant au pot ce qu’ils ont de meilleur pour créer ensemble une variété robuste de médiation, résistante aux multiples variations de notre climat social et sociétal.

« Il n’y a pas de grande Nation numérique si nous laissons une partie de Françaises et Français sur le bord du chemin » disait Jean-Noël BARROT10 en préambule au « Plan France Numérique Ensemble ». Nous choisirons pour conclure de le paraphraser en affirmant qu’il n’y a pas de grande nation ni de grands professionnels qui ne sachent pas travailler main dans la main pour atteindre des objectifs communs, profitables à des territoires tout entiers. Par leur intelligence collective, leur courage et leur ténacité, les Ukrainiens nous enseignent l’adage au quotidien.

Alors, puisque la chimie, mère de nombreuses disciplines, est à l’honneur de notre sujet du bac, assisterons-nous plutôt à des phénomènes de solubilité, de synthèse, d’hybridation ou de symbiose entre les différents champs ? Nul ne peut le dire aujourd’hui. Probablement un peu des quatre. Nous ne pouvons que scruter l’horizon et nos pieds pour percevoir les moindres signaux, les moindres traces de ce changement en marche. L’histoire finira par trancher. Ce seront les contextes, les situations, les opportunités et les aubaines qui choisiront.

Un grand merci à Yann Vandeputte d’avoir partagé avec nous ses réflexions. Si cette longue introduction vous fait réagir, n’hésitez pas à partager vos réflexions en commentaires. On en remet une couche (de réflexion) dès la semaine prochaine…




La dégooglisation du GRAP, partie 3 : Le bilan

On vous a partagé la semaine dernière la deuxième partie de La dégooglisation du GRAP qui vous invitait à découvrir comment iels avaient réussi à sortir de Google Agenda et gmail. Voici donc la suite et fin de ce récit palpitant de dégooglisation. Encore merci à l’équipe informatique du GRAP d’avoir documenté leur démarche : c’est vraiment très précieux ! Bonne lecture !

 

Dans l’épisode précédent…

Après la sortie de Google Drive remplacé par Nextcloud, Google Agenda par Nextcloud Agenda, nous avons fini par le plus gros bout en 2021-2022, sortir de Gmail et en finir avec le tentaculaire Google.

Le mardi 23 novembre, nous débranchions enfin Google. Nous voilà libres ! Presque 😉

Bilan dégooglisation

Après 4 ans de dégooglisation, où en sommes-nous de notre utilisation de logiciels non libres ?

Dans l’équipage ⛵

Système d’exploitation Libre ? Commentaire
Windows 13 personnes
Ubuntu 9 personnes
Gestion documentaire et travail collaboratif
Nextcloud Files Tout le monde depuis 2020 ✅
Nextcloud Agenda Tout le monde depuis 2021 ✅
Téléphonie et visio
3CX Tout le monde  ❌
Nextcloud Discussions
Mail et nom de domaine
Gandi
Tout le monde depuis 2022 ✅
Logiciels métier
Odoo (suivi des actis, achat/revente, facturation)
Pôles info, accompagnement et logistique
EBP (compta)
Pôle compta
Cegid (paie) Pôle social
Gimp, Inkscape, Scribus (graphisme et mise en page)
Pôle communication
BookstackApp (documentation) Tous pôles
Logiciels bureautique
Suite Office
Suite LibreOffice
Réseaux sociaux
Facebook, Linkedin, Twitter, Eventbrite
Peertube

Nos pistes d’amélioration en logiciel libre sont donc du côté du système d’exploitation et des logiciels métiers.

Les blocages sont dus :

  1. à certains logiciels métiers qui n’existent pas en logiciel libre
    → à voir si on arrive à développer certains bouts métier sur Odoo dans les prochaines années
  2. à la difficulté de se passer d’Excel pour certaines personnes grandement habituées à ses logiques et son efficacité
    → à voir si LibreOffice continue à s’améliorer et/ou si on se forme plus sur LibreOffice

Dans la coopérative  🌸

Système d’exploitation Libre ? Commentaire
Ubuntu Dans tous les points de vente
ordinateurs portables
Windows ou Mac Les autres ordinateurs portables
Gestion documentaire et travail collaboratif
Nextcloud Files Tout le monde y a accès depuis 2020 ✅
Fournisseur mail principal
Gandi
55%
Gmail 37%
Ecomail ? 4%
Logiciels métier
Odoo (achat, revente, stock, facturation, intelligence décisionnelle)
Utilisé par 95% des activités
Autres
❌ ✅ Dur à dire, mais la majorité des activités de transformation utilise des tableaux Excel ou des logiciels dédiés
Logiciels bureautique
Suite Office Pas de référencement fait. Aucune visibilité actuellement
Suite LibreOffice

Nos pistes d’amélioration sont donc du côté des logiciels mails et des logiciels métiers.

→ Un des gros chantiers de 2022-2023 est justement le développement et la migration sur Odoo Transfo. Pas pour le côté politique du logiciel libre mais bien de l’amélioration continue d’un même logiciel partagé dans la coopérative.

→ À voir si la dégooglisation de l’équipe « inspire » certaines activités pour se motiver à se dégoogliser. Nous serons là pour les accompagner et continuer à porter le message à qui veut l’entendre.

Bilan humain

À l’heure où nous écrivons (fin octobre 2022), il est trop tôt pour faire le bilan de la sortie de Gmail. Nous comptons d’ailleurs envoyer un nouveau questionnaire dans quelques mois qui nous permettra d’y voir plus clair. Mais nous pouvons d’ores et déjà dire que ce fut clairement l’étape la plus compliquée de la dégooglisation.

Sortir d’un logiciel fonctionnel, performant et joli est forcément compliqué quand on migre vers un logiciel aux logiques différentes (logiciel bureau VS web par exemple) et qui souffre de la comparaison au premier abord. Pour compenser cela, nous avons fait le choix de dédier beaucoup de temps humains (nombreuses formations par mini groupes ou en individuels, réponses rapides aux questions posées) et beaucoup de documentations et de partage de retour d’expériences.

La sortie de Google Drive et Google Agenda furent relativement douces et moins complexes que Gmail. Le logiciel Nextcloud étant assez mature pour assurer un changement plutôt simple et serein.

Ça paraît simple une fois énoncé, mais plus les gens travaillent avec un outil (Google par exemple), plus il sera difficile de les amener à changer facilement d’outil.

Conseil n°5 :
Dans la mesure du possible, la meilleure des dégooglisation est celle qui commence dès le début, par l’utilisation d’outils Libres. En 2022, quasiment tout logiciel a son alternative Libre mature et fonctionnel.
Si ce n’est pas possible, dès que les moyens humains sont disponibles et que la majorité le veut, envisagez votre dégooglisation ?

À Grap, il existe une certaine culture politique de compréhension autour des enjeux du logiciel libre et des GAFAM. Cela nous a aidé. Et cela nous parait quasiment obligatoire avant d’envisager une dégooglisation. Car c’est un processus long où l’on a besoin du consentement – au moins théorique – des gens impactés pour que celleux-ci acceptent de se former à de nouveaux outils, s’habituer à de nouvelles habitudes etc.

Conseil n°6 : avant d’entamer une dégooglisation, faire monter en compétences votre groupe sur les sujets autour du Logiciel Libre et des enjeux des Gafam à travers des projections de films par exemple.
Voici un récap de quelques ressources.

Bilan technique

Voici nos choix de logiciels pour notre dégooglisation :

  • Nextcloud pour la gestion documentaire et le travail collaboratif (agenda, visio, gestion de tâches)
    • complété par Onlyoffice avec une image Docker sans limitation d’usage (pendant 2 ans l’image nemskiller007/officeunleashed puis désormais alehoho/oo-ce-docker-license)
    • sauvegarde quotidienne par le logiciel de sauvegarde Borg
  • BookstackApp et Peertube pour la documentation écrite et vidéo
  • Meshcentral pour la prise en main à distance d’autres ordinateurs
  • Gandi pour le prestataire de mails
  • Thunderbird pour le logiciel bureau pour gérer ses mails (et K9Mail sur téléphone)

Voici nos choix d’infrastructure :

  • OVH et Online  pour la location de serveurs faisant tourner ses services (choix historique)
  • 4 serveurs :
    • 1 serveur dédié Nextcloud de 2To (Gamme Start-1-L Intel Xeon E3 1220v2 @3,1 Ghz, 16Go RAM)
    • 1 serveur dédié Nextcloud Test en miroir du Nextcloud
    • 1 serveur de sauvegarde (mutualisé avec d’autres services de la coopérative)
    • 1 serveur dédié à différents services (Peertube, Meshcentral, Bookstackapp)

Bilan économique

Pour calculer le coût économique de notre dégooglisation commencé en 2018, voici les chiffres retenus.

☀️ Le scénario « Dégooglisation » est celui réellement effectué depuis 2018.
Son coût comprend :

  • le temps de travail du service informatique, découpé en
    • l’aide au collègue habituelle : qui subit une augmentation du fait de l’internalisation de certaines questions, notamment avec le changement de Gmail à Thunderbird
    • le support et administration système des services :
      • toutes les recherches techniques (comment bien gérer les installations, sauvegardes etc.)
      • toutes les questions / réponses par mail et téléphone
    • le « temps de dégooglisation » qui correspond
      • les temps d’écriture de documentation et de formation
      • les mails d’annonce, de relance, de re-re-relance  😉
  • le coût des serveurs informatiques pour faire tourner les logiciels remplaçant les services Google et Teamviewer

🤮 À l’opposé, le scénario Google comprend :

  • le temps de travail du service informatique sur l’aide au collègue – accès stable dans le temps – qui augmente par le nombre de gens dans l’équipe, mais diminue par notre appropriation des logiciels, améliorations de l’existant, documentation etc.
  • la facturation des comptes Google Workspace
    • stable depuis 2018, Google a annoncé cet été l’augmentation de ces prix. Les pauvres n’ont eu que 6% de croissance en 2022 avec 14 milliards de dollars de bénéfices. Passant donc les comptes pro de 4€ à 10,40€/mois à partir de juin 2023.
  • la facturation hypothétique (car elle n’a jamais eu lieu) de Teamviewer Pro
    • En effet, jusqu’à juin 2019, nous utilisions Teamviewer pour aider les activités de la coopérative à distance. Mais notre utilisation intensive ne rentrait plus dans la version gratuite et Teamviewer nous bloquait l’usage du logiciel pour que l’on souscrive à leur abonnement.
    • Heureusement, nous sommes passés sur des logiciels auto-hebergés et libre : RemoteHelp (un logiciel libre abandonné depuis) puis en décembre 2020 sur Meshcentral.

En prenant en compte ces données, le scénario « Dégooglisation » finit par devenir moins cher que le scénario « Google ».
Pour le coût mensuel, cela arrive dès septembre 2022 (quasi à la fin de la sortie de Gmail donc) !  🎉
Pour le coût cumulé, cela devient rentable deux ans après, en septembre 2024 !  🎉

Ces chiffres s’expliquent par :

  • le coût important au démarrage de la sortie de Google Drive
    • 128h passées sur les 5 premiers mois pour valider la solution Nextcloud
  • un temps de support / administration système pour Nextcloud qui baisse progressivement
    • passant de 14h mensuels en 2019, à 9h en 2020, à 5h en 2021, à 3h en 2022
  • le prix de Google qui aurait augmenté (mais on y a échappé avant, ouf !)

Bilan politique

Nous sommes fièr·es en tant que coopérative de porter concrètement nos valeurs dans le choix de nos logiciels qui sont plus que de simples outils.

Ces outils sont porteurs de valeurs démocratiques très fortes. Nous ne voulons pas continuer à engraisser Google – et autres GAFAM – de nos données privées et professionnelles qui les revendent à des entreprises publicitaires et des états à tendance anti-démocratique (voir les révélations Snowden, le scandale Facebook-Cambridge Analytica). Cela est en contradiction avec ce que nous prônons : la coopération, de l’entraide et le lien humain.

Nous avons besoin d’outils conviviaux, modulables et modifiables selon qui nous sommes. Nous avons besoin de pouvoir trifouiller les outils que nous utilisons, comme nous pouvons trifouiller un vélo pour y réparer le frein ou y rajouter un porte-bagages. Des outils émancipateurs en somme, qui nous empouvoire et ne rendent pas plus esclave de la matrice capitaliste.

Notre démarche n’aurait pas pu avoir lieu sans le travail et l’aide de millions de personnes qui ont construit des outils Libres, des documentations Libres, des conférences et autres vidéos Libres. Elle n’aurait pas eu lieu non plus sans l’inspiration de structures comme Framasoft ou la Quadrature du Net. Merci.

 🍎 La route est longue, la voie est libre, et sur le chemin nous y cueillerons des pommes bios et paysannes.  🍏

Encore un grand merci aux informaticiens du GRAP pour leur travail de documentation sur cette démarche. D’autres témoignages de Dégooglisation ont été publiés sur ce blog, n’hésitez pas à prendre connaissance. Et si vous aussi, vous faites partie d’une organisation qui s’est lancée dans une démarche similaire et que vous souhaitez partager votre expérience, n’hésitez pas à nous envoyer un message pour nous le faire savoir. On sera ravi d’en parler ici !

 




La dégooglisation du GRAP, partie 2 : Au revoir Google Agenda et Gmail

On vous a partagé la semaine dernière la première partie de la démarche de dégooglisation du GRAP qui vous invitait à découvrir comment iels avaient réussi à sortir de Google Drive. Voici donc la suite (mais pas la fin) de ce récit de dégooglisation qui nous permet de prendre conscience que ce n’est toujours facile de sortir des griffes de ces géants de la tech. Bonne lecture !

Dans l’épisode précédent…

En janvier 2020, après plus d’un an à avoir pris la décision de passer sur Nextcloud en remplacement de Google Drive, la migration était officiellement finie ! Mais voilà, nous passions encore pas mal de temps à ouvrir un onglet Google pour consulter nos agendas, ainsi que nos mails pour les personnes utilisant Gmail en ligne.

/2021/ Fini Google Agenda, go Nextcloud Agenda

Fin septembre 2020, nous décidons collectivement de passer sur l’agenda Nextcloud. Nous nous laissons 3 mois pour commencer l’année 2021 sur le nouvel outil. Quelques personnes (notamment le pôle informatique) vont alors tester en conditions réelles Nextcloud Agenda.

Le challenge est sympa car nous décidons de faire ça en pleine migration d’Odoo de version 8 à la version 12, qui est le résultat de pas moins de 1000 heures de temps de travail et 294 tests de non régression.

L’export de données de Google Agenda se passe relativement bien, et l’import sur Nextcloud Agenda aussi. Les seuls soucis viennent de soucis d’exportation d’évènements récurrents du côté Google. On demande alors de recréer ces évènements du côté de Nextcloud Agenda.

Début 2021, la migration n’est pas possible pour trop de monde dans l’équipe : nous décidons de nous donner du mou et de fixer une date de bascule au 29 mars 2021 après que certains temps collectifs soient passés (l’assemblée générale notamment).

Une procédure est écrite pour que chaque personne s’autonomise dans sa migration, mais la majorité de la migration se fait collectivement à la date choisie du 29 mars :

  • export de l’agenda Google
  • import dans l’agenda Nextcloud
  • partage de son agenda au reste de l’équipe
  • (optionnel) synchronisation de l’agenda avec Thunderbird
  • création des agendas partagés pour les salles de réunion

Tout est documenté ici : https://librairie.grap.coop/books/nextcloud/page/agenda-nextcloud

Depuis avril 2021, nous sommes donc officiellement toustes sur Nextcloud Agenda.

L’application reçoit régulièrement des mises à jour porteuses de fonctionnalités bien chouettes (corbeille, recherche d’évènements, recherche d’un créneau de disponibilité), ou de corrections de bugs.

/2021-22/ La transformation complète : sortir de Gmail

Nous voilà arrivé·es à la dernière étape qui nous permet de sortir des outils Google pour l’équipage (nouveau nom de l’équipe interne). La plus dure. Même si cette étape ne concerne « que » les membres de l’équipage, cette transformation fut la plus longue à mener.

Pourquoi ? Parce que :

  • le mail est l’outil principal de la majorité des salarié·es de l’équipe qui l’utilisent toute la journée
  • Gmail est très performant, notamment dans la recherche de mail
  • certain·es personnes ont jusqu’à 10 ans d’habitudes de travail avec Gmail

D’ailleurs, on l’a constaté empiriquement, les personnes les plus anciennes de Grap furent les personnes les plus compliquées à faire transiter. Autant du point de vue technique (transférer 10 ans de mail est forcement plus compliqué que pour une personne arrivée récemment) que des habitudes prises sur le logiciel.

Conseil n°1 : plus on s’y prend tôt à se dégoogliser, moins ça sera compliqué dans la conduite du changement de logiciel.

🌱 Été 2021 – Trouver la solution technique remplaçante

Gandi pour la gestion de l’hébergement de mail

Nous travaillons avec Gandi pour la majorité des activités de Grap afin de gérer leur nom de domaine et leurs mails. Pourquoi Gandi ?

  • Gandi est engagé depuis longtemps dans le respect de la vie privée
  • Gandi est une entreprise qui roule à priori bien sur laquelle on peut compter sur la durée
  • Gandi a un support de qualité qui répond rapidement à toutes nos demandes (et ce fut bien utile lors des moments de doute technique pour cette dégooglisation)
  • Gandi est une entreprise française qui paye à priori ses impôts en France  😉

Thunderbird comme logiciel bureau

Thunderbird va être notre pierre angulaire pour cette dé-gmail-isation. Autant pour permettre le transfert des mails de Google à Gandi, que pour travailler ses mails pour la suite. Ce fut une évidence de partir sur Thunderbird au début.

  • Ce logiciel libre est complet. Peut-être même trop complet, ce qui rend son ergonomie critiquable.
  • Ce logiciel est aussi assez ancien, ce qui lui donne une bonne robustesse. Peut-être trop ancien, ce qui rend son ergonomie critiquable  😉
  • Ce logiciel a une communauté importante qui développe de très nombreux modules complémentaires (à voir ici) qui viennent se greffer à Thunderbird pour apporter une myriade de possibilités.

Quelques mois plus tard, après la prise en main de certain·es utilisateur·ices, et de leur critique légitime, on s’est senti obligé de réaliser un banc d’essai (benchmark), qui validera définitivement ce choix.

Le benchmark pour choisir notre logiciel de bureau pour la gestion des emails

Les critères suivants ont été retenus :

  • logiciel libre
  • fonctionne sur Linux Ubuntu et Windows
  • communauté vivante et grande
  • modèle économique viable
  • installation simple
  • rempli les fonctionnalités de base demandées par les collègues (voir plus tard dans le texte)

🌿 Automne 2021 – Identifier les besoins et fonctionnalités utilisées

Pour être certain de pouvoir sortir de Google, il faut s’assurer que les collègues vont retrouver leurs petits, ou que l’on assume collectivement que l’on perdra des usages / fonctionnalités en passant sur Thunderbird.

Pour cela, nous envoyons un sondage qui nous permet d’y voir plus clair sur les fonctionnalités utilisées par l’équipe pour ajuster nos formations, documentations et recherches de modules complémentaires dans Thunderbird.

Réponse à la question « Quelles fonctionnalités mail utilises-tu actuellement ? »

 

Réponse à la question « Quelles fonctionnalités mail AIMERAIS-tu découvrir ou utiliser ? »

Sur la question « Sur une échelle de 0 à 6, est-ce que tu souhaites être précurseur·se de ce changement ? (0 : non / 6 : trop chaud·e)« , la moyenne et la médiane est à 3,5. Les gens sont donc.. moyennent chaud·es en général !

⚠️ Voici les points les plus bloquants pour un passage sur Thunderbird selon notre analyse :

  • les mails ne sont pas gérés sous la forme de fils de conversation
  • la recherche Thunderbird est laborieuse et pas aussi précise et rapide que Gmail
  • la peur de perdre des mails anciens
  • l’ergonomie de Thunderbird, notamment la différence de fluidité par rapport à une page web comme Gmail

Pour réussir ce changement de logiciel, il faut que les étapes soient claires et transparentes pour les utilisateur·ices. Cela leur permet de se projeter : « ok dans 6 mois / 1 an je change d’outil et je sais à peu près ce qui m’attend ! ».

Après ce premier sondage, un calendrier a donc été partagé, indiquant les différentes dates menant à la dégooglisation de tout le monde.

🪴 Automne – Hiver 2021 – Formation et Documentation Thunderbird

4 personnes sur 20 utilisent déjà Thunderbird. Pour les 16 autres, nous prévoyons d’étaler les formations par petits groupes sur 3 mois : les personnes les plus intéressées commencent dès mi-octobre, et les personnes les plus frileuses seront formées en janvier, ce qui nous laissera le temps d’avoir des retours, d’ajuster la formation et la documentation.

La formation suit le programme que vous pouvez retrouver ici :

  • une aide à l’installation de Thunderbird et du paramétrage du compte Gmail
  • une présentation globale de l’outil
  • une présentation des fonctionnalités de base
  • des conseils globaux d’utilisation et la présentation des meilleurs modules complémentaires.

La documentation va jouer un rôle très important dans la dégooglisation. Et dès septembre, on va mettre le paquet pour tout bien documenter.

✊ Dégooglisation – sortir de Gmail → https://librairie.grap.coop/books/mail/chapter/degooglisation-sortir-de-gmail
📪 Tutos Thunderbird 💻 → https://librairie.grap.coop/books/mail/chapter/tutos-thunderbird

Ce travail de plusieurs mois va être itératif : chaque formation apporte son lot de questions, ou de bugs, ou de besoins qu’il faut alors documenter et faire repartager à tout le monde. De nombreux points mails (ou des messages informels) sont envoyés à l’équipe pour leur faire part des retours, de l’avancée et des nouveaux modules complémentaires ou paramétrages trouvés pour faciliter l’utilisation de Thunderbird.

🙊 Une difficulté anticipée mais relou : le lien Thunderbird – Gmail

Thunderbird a des défauts indéniables. Mais dans cette dégooglisation, on n’est pas aidé par Gmail qui aime bien avoir des comportements… embêtants. Une de ses particularités est le traitement des mails dans un dossier appelé « Tous les messages ». Pour citer la doc officielle de Thunderbird :

Tous les messages : contient une copie de tous les messages de votre compte Gmail, en incluant le dossier « Courrier entrant », le dossier « Envoyé » et les messages archivés.

Donc si vous avez 10 000 messages entrants et sortants, Thunderbird va télécharger 20 000 mails. Sachant qu’on retrouve tous ses mails dans Courrier entrant et Envoyés, ce dossier ne sert donc à rien. Après plusieurs semaines d’utilisation, et certains ralentissements au lancement de Thunderbird, nous avons fini par conseiller aux gens de se désabonner de ce dossier.

D’autres conseils seront documentés par la suite ici : https://librairie.grap.coop/books/mail/page/thunderbird-et-gmail

☘️ Avril 2022 – Premier bilan et questionnement technique

Le calendrier des formations a été quasiment tenu. C’est seulement en janvier que certaines formations n’ont pas eu lieu, du fait de difficultés professionnelles rencontrées dans certains pôles de l’équipe. Il ne restait alors que 2 personnes à former.

Mais entre temps, Quentin qui est responsable de cette dégooglisation, est parti en congés sans solde en février-mars. La décision avait été prise de ne pas se presser avant son départ et de faire le point en avril, nous y voilà.

  • 2 personnes non formées en janvier + 2 arrivées
  • Certaines personnes de l’équipe n’ont pas pris le pli et sont revenues un peu / beaucoup sur Gmail
  • Un tableau partagé a fait remonter les problèmes soulevés :
    • La plupart peuvent être réglés par contournement ou par une meilleure documentation.
    • La recherche de mails est laborieuse.

Nous décidons de :

  • former les gens qui ne l’ont pas été
  • continuer à documenter et informer des meilleurs modules et petits paramétrages qui changent la vie
  • s’interroger sur pourquoi certaines personnes n’ont pas pris le pli
  • demander l’avis des membres de l’équipe sur Thunderbird et la dégooglisation en cours
  • faire un benchmark des solutions (voir si Thunderbird est vraiment le cheval gagnant)
  • s’assurer et valider le processus technique de bascule qu’il faudra faire (le voici)
  • prendre une décision lors de notre comité de pilotage informatique qui arrive

Conseil n°2 : Nous prenons aussi la décision que Quentin ne soit pas le seul porter ce projet. Il ressent une charge mentale et une certaine pression à gérer les retours des personnes en difficulté. Pour ne pas non plus tomber dans une posture de l’informaticien libriste qui impose le choix, et pour bien affirmer que nous prenons des choix collectivement, nous allons dé-personnifier le projet. Désormais le travail sera soutenu et partagé avec Sandie, et les mails signés par le pôle informatique.

⚡ Mai 2022 – La recherche boostée à notre rescousse !

Enfin ! Nous avons trouvé un moyen de répondre aux soucis de recherche sur Thunderbird. Avec un habile mélange de dossier virtuel et d’un module complémentaire de recherche avancée, nous parvenons à lier rapidité et complexité de recherche !

Nous le documentons dans la partie 4 de ce tuto : https://librairie.grap.coop/books/mail/page/recherche-mail-booste

🍀 Juin 2022 – Deuxième bilan : on y va, on sort de Google ?

Notre comité de pilotage ne prend pas une décision ferme. On continue juste à valider de travailler sur cette dégooglisation. En dehors de tous les aspects politiques, en sortant de Google, nous allons cesser de payer 2000€/an pour les comptes pros que nous avons, et c’est toujours ça de gagné dans un moment de crise économique !

Deux mois plus tôt, nous avions envoyé ce formulaire à l’équipe, commenté par cette phrase qui résume son intention « Vive le consentement, à bas la coercition 🌞 » pour prendre la température de l’équipe sur l’utilisation de Thunderbird. Voici notre analyse résumée des résultats :

🔴 les personnes n’ayant pas encore franchi l’étape Thunderbird sont :

  • une grande partie d’un pôle en surcharge
  • les « ancien⋅nes » qui sont là depuis longtemps

🔴 les difficultés principales vis-à-vis de l’outil sont :

  • la recherche de mail
  • le changement d’usage ergonomique
  • des problèmes liés à la connexion avec Google
  • des besoins spécifiques non fonctionnels (invitation Outlook)
  • des problèmes spécifiques réglés depuis (soucis d’antivirus, paramétrage mail d’absence, etc.)

✅ l’équipe est chaude pour sortir de Google !

✅ l’équipe se sent bien accompagnée à ce changement.

☑️ une minorité de l’équipe (3~4 personnes) ne se sent pas sécurisée ou perd quelques minutes par jour à l’utilisation de Thunderbird. Ces 3~4 personnes se recoupent avec les personnes utilisant Gmail. Nous pensons qu’avec l’usage et les améliorations du logiciel, nous parviendrons à améliorer ça.

⭕ les personnes revenues sur Gmail l’expliquent par :

  • « la flemme »
  • un mauvais timing / mauvais paramétrage au début
  • pôle ou personne avec grosse charge de travail

Nous décidons alors :

  • de réaliser deux sessions de formation à la recherche boostée  ⚡
  • de travailler sur la solution d’application smartphone adéquate pour sortir de l’application Gmail
  • de redonner une formation aux 5 personnes qui n’ont pas fait le switch afin qu’elles y arrivent
  • de fixer la date de sortie de Google : cela sera la 1ère ou 2ème semaine d’août
  • de commencer à créer toutes les boîtes mails et redirections mails nécessaires

Conseil n°3 : Nous avions 17 boîtes mails à recréer et 80 redirections de mails assez complexes à réaliser. C’est un travail fastidieux qui demande de se concentrer pour ne pas louper un mail dans la redirection mail créée. Car non, il n’existait pas d’export Google des « groupes Google » que nous utilisions. Le conseil est donc le suivant : partagez le travail 🙂 Merci Sandie pour ce gros taf !

🚀 Juillet 2022 – la bonne nouvelle : Thunderbird s’améliore

Alors que nous venions de fixer le créneau de départ de Google (début août), Thunderbird sort sa dernière version (la 102), le 29 juin. Cette version apporte de très nombreuses améliorations ergonomiques, rendant le logiciel bien plus agréable à utiliser. Et quand on utilise un logiciel toute la journée, ce n’est pas un petit détail que de pouvoir modifier la taille d’affichage, la taille de police, les couleurs des dossiers mails ou encore une gestion des contacts totalement re-désignée. Leur annonce officielle ici.

Et les bonnes nouvelles s’enchaînent :

  • Thunderbird annonce rejoindre le projet K-9 Mail pour une application libre sur Android qui va donc s’améliorer encore plus vite !
  • Et leur feuille de route de modifications futures sont très très prometteuses pour répondre aux soucis les plus courants :
    • des fils de conversations natifs !
    • une ergonomie qui s’améliore de jour en jour avec notamment l’affichage des mails sur plusieurs lignes
    • une synchronisation de son compte qui permettrait d’avoir deux Thunderbird sur deux ordis différents

🌸 Voici à quoi pourrait ressembler Thunderbird en mi-2023 🌸

🌲 9 Août 2022 – Le fil rouge sur le bouton rouge..

Depuis quelques mois, on discutait avec Gandi pour nous assurer que la procédure était la bonne. Quel plaisir d’avoir des gens qui répondent rapidement à ces demandes. Merci ! Nous étions donc plutôt prêts pour ce switch. Le mardi 9 août à 22h, alors que les collègues sont pour la plupart en vacances, on change les DNS du domaine grap.coop (DNS = règles techniques qui disent ce qui se passe avec grap.coop) pour débrancher Google et brancher Gandi.

Le mardi 9 août à 23h50, après quelques tests d’envoi et de réception de mails, j’annonce officiellement que tout semble fonctionner comme prévu. Les mails de Gandi partent bien. On reçoit bien les mails sur la nouvelle boîte mail. Le monde n’a pas cessé de tourner. Victoire !

Grap vs Google, allégorie

🙊 Une difficulté pas anticipée : l’envoi de mail par notre logiciel Odoo [tech]

En créant toutes les boîtes mails sur Gandi, nous nous étions rendu compte des cas particuliers (des personnes qui avaient un compte mail mais qui n’étaient pas ou plus dans l’équipe par exemple) mais ce n’est que tardivement qu’on a réalisé que la boîte mail serveurs <arobase> grap.coop servait de boîte d’envoi à l’ensemble des mails du logiciel Odoo utilisé par les 65 activités. Comment cela allait se comporter en passant chez Gandi ? Deux soucis sont encore en cours :

1 – L’usurpation d’identité
  • En fait, chaque activité envoie ses bons de commandes et factures depuis Odoo. Odoo utilise une seule boîte mail serveurs grap.coop mais lors de l’envoi, prend l’identité de l’activité qui envoie un mail.
  • Cette « usurpation d’identité » était bien acceptée car nous étions chez Google. Mais avec le passage chez Gandi, cette usurpation d’identité n’est plus acceptée par les boîtes mail à la réception si celles-ci sont chez Google.
  • L’activité a un mail d’envoi géré par Gandi → envoi par serveurs qui est géré par Gandi → OK
  • L’activité a un mail d’envoi géré par Google / OVH / Ecomail etc. → envoi par serveurs qui est géré par Gandi → NOK si à la réception la personne utilise Google.

La solution future : améliorer l’envoi de mail sur Odoo pour que chaque activité puisse envoyer avec les informations de sa vraie boîte mail.

2 – Les mails envoyés par les serveurs <arobase> grap.coop ne sont pas automatiquement enregistrés dans le dossier Envoyés
  • À priori, l’envoi de mail n’est pas totalement bien développé et il manque quelques informations dans le mail pour que celui-ci soit bien mis dans le dossier Envoyés.
  • Mais avec Google, cela fonctionnait. Il devrait réussir à comprendre qu’un mail partait de sa boite mail, et il le plaçait le mail dans le dossier Envoyés. Ce qui était pratique pour vérifier que le mail était bien parti.

La solution future : améliorer l’envoi de mail sur Odoo pour que le mail arrive dans le dossier Envoyés.

🙊 Un comportement pas anticipé : Google, le mort-vivant

Malgré la déconnexion technique du nom de domaine grap.coop avec Google, il était encore possible de se connecter à Gmail et d’envoyer des mails. Alors certes, les réponses n’arrivaient plus sur Gmail, mais cela permettait encore aux irréductibles de résister au changement ! 😛

Surtout, même après avoir supprimé le compte Google sur Thunderbird (n’ayant alors que le compte Gandi), un paramétrage technique (le serveur SMTP d’envoi) faisait que les mails envoyés l’étaient par le serveur Google.

Donc au moment de la suppression réelle du compte Google, l’envoi par Thunderbird était bloqué. Ce n’est pas un gros souci, mais nous avons documenté le petit changement à faire.

🐢 Septembre 2022 – La fin de la route est longue, mais la voie est libre

Après la dégooglisation technique, place à la dernière étape, supprimer réellement les comptes Google. Chaque personne devait suivre un tutoriel nommé « Google débranché 💃🕺 La suite ✌️ » comportant ces étapes :

  • 🧹 Nettoyer derrière soi
  • 🚪 Fermer la porte
  • 🔧 S’assurer que l’on envoie ses mails avec les bons paramétrages
  • 🫑 Embellir son nouveau jardin
  • 📫 Découvrir le webmail (logiciel en ligne) de Gandi
  • 📱 Connecter son ordiphone
  • 💥 Quitter définitivement Google

Il a fallu 2 mois pour que les 30 personnes concernées suivent réellement ce tutoriel – voire rattrapent leur « retard » pour sortir leur mail de Google. Ce fut l’une des étapes les plus chronophages en termes de relance, de suivi personnel, de questions / réponses, de gestion de cas particuliers (certaines personnes n’avaient pas pu transférer leur mail à cause d’une connexion Internet trop faible par exemple). C’est aussi à ce moment que l’on devait bien vérifier qu’aucune autre donnée n’était encore stockée sur Google Drive / Google Photos / Agenda etc., ce qui a ralenti quelques personnes.

Conseil n°4 : pour motiver chaque personne à passer le pas, communiquer de façon informelle et encourageante !

💀 Octobre 2022 – Au revoir Google, tu ne vas pas me manquer

Même si nous avons tout fait pour être coercitifs, certaines personnes ont besoin de date limite pour prioriser leur travail. Trois semaines avant, la date butoir du 07 octobre est donc fixée pour motiver les dernières personnes.

🎄 Novembre 2022 – Jusqu’au bout !

La première date butoir et les nombreuses relances n’ont pas suffi à faire remonter en priorité n°1 à tou·te·s les collègues de sortir de Gmail.

Comme nous ne sommes pas des grands méchants, et que nous comprenons les difficultés et calendrier de chacun·e, nous redonnons du rab : le mardi 23 novembre. La veille de la fête des 10 ans de Grap, cela semble une date symbolique et assez lointaine pour réellement partir. Pour de bon.

Le mardi 23 novembre, à 13h35, nous étions 5 à nous réunir autour d’un ordinateur, observant ce moment… un peu stressant, comme quand on part d’un lieu en espérant n’y avoir rien oublié. À 13h43, Google était derrière nous.  ✊

To be continued…

Dans la troisième (et dernière) partie, nous continuerons notre récit de dégooglisation en faisant le bilan de cette démarche. A la semaine prochaine !

Si vous aussi, vous faites partie d’une organisation qui s’est lancée dans une démarche similaire et que vous souhaitez partager votre expérience, n’hésitez pas à nous envoyer un message pour nous le faire savoir. On sera ravi d’en parler ici !




L’aventure de la modération – épisode 5 (et dernier ?)

Maiwann, membre de l’association, a publié sur son blog une série de cinq articles sur la modération. Nous les reproduisons ici pour leur donner (encore) plus de visibilité.

Voici le cinquième. Le dernier, pour l’instant.

Si vous avez raté les articles précédents, vous pouvez les retrouver par ici :
– Chapitre 1 : Un contexte compliqué
– Chapitre 2 : La découverte de la modération
– Chapitre 3 : La pratique de la modération
– Chapitre 4 : Bilan

 

Pour conclure cette série de textes sur la modération, et maintenant que j’ai grandement détaillé comment il est possible, sur Mastodon, d’avoir une modération qui fait le taf, je voulais revenir sur pourquoi, à mon avis, il est impossible pour les grandes entreprises capitalistes de faire correctement de la modération (et pourquoi ça ne sert à rien de leur demander de faire mieux !).

 

C’est le cœur de cette série car je suis très frustrée de voir systématiquement une bonne analyse faite sur les problèmes des outils, qui se casse la figure au moment d’évoquer les solutions. Alors c’est parti !

 

N.B. : je fais cette analyse sans considérer qui est le PDG au moment où je publie car je pense que ça ne change pas grand chose sur le fond, au pire le nouveau sera plus transparent sur sa (non-)politique de modération.

 

Twitter ne fera pas mieux car…

Twitter ne veut pas dépenser d’argent pour construire des équipes de modération

 

Vous le savez sans doute, c’est passé dans de nombreux articles comme celui de Numérama : Twitter assume n’avoir quasiment pas de modérateurs humains

Twitter emploie 1 867 modérateurs dans le monde.

 

Pour 400 millions d’utilisateurices, ça fait 1 modérateurice pour 200 000 comptes. Donc évidemment la modération ne peut pas être suffisante et encore, on ne sait pas comment les effectifs de modération sont répartis selon les langues. Il est évident qu’il est extrêmement difficile de modérer, alors modérer dans une langue qu’on ne maitrise pas c’est mission impossible !

 

Je rajoute rapidement qu’en plus, contrairement à ce que j’évoquais dans mes articles précédents sur « comment prendre soin » et construire un collectif de modération, il n’y a absolument aucune notion de soin et de collectif lorsque l’on est modérateurice chez Twitter. Il y a au contraire des conditions de travail délétères qui amplifient le problème : interdiction de parler à ses collègues, de raconter à l’extérieur ce à quoi on a été confronté, pression temporelle intense donc pas possible de récupérer après un moment violent.

 

Bref, Twitter veut économiser de l’argent, et le fait notamment sur le dos de ses modérateurices qui sont envoyées au massacre psychologique de la modération, et donc au détriment de ses utilisateurices les plus fragiles.

 

 

Pepper la sorcière et Carrot le chat dorment paisiblement contre un éléphant (un mastodonte) dans une jolie jungle.
My Neighbor Mastodon – CC-BY David Revoy

Twitter préfère les robots

Face aux critiques qui lui sont faites, Twitter répond qu’il compte sur l’automatisation des robots pour faire ce travail pénible.

Je pense que cette posture ne tient pas pour plusieurs raisons :
1. C’est technosolutionniste que de penser que des robots peuvent répondre à un problème social (et donc à mon avis voué à l’échec).

2. Les robots sont alimentés par ce que nous leur donnons, et donc remplis de biais qu’ils vont répercuter dans leur politique de modération. Dans un collectif de modérateurices, ces biais sont atténués par les débats et discussions. Je ne crois pas que les robots soient très portés sur la discussion de ce qui est juste ou non.

3. Le contexte est primordial en modération, et un robot ne peut pas être assez « intelligent » pour comprendre ce contexte. Pour exactement le même contenu, selon d’où parle la personne, la réponse de modération ne sera pas la même. Vous imaginez bien qu’entre une femme qui dit subir du sexisme ou un homme, on n’est pas sur la même action à réaliser, l’une subit une oppression systémique tandis que l’autre récupère maladroitement ou stratégiquement un mot en le détournant.

 

Les robots ne sont donc pas une solution sur laquelle on peut compter, mais sont une bonne façon de détourner la discussion du sujet « Pourquoi n’avez-vous pas plus de modérateurices ? ». Il vaut mieux répondre « Le boulot est trop ingrat, on préfère que se soit des robots, on les améliore chaque jour » plutôt que « on ne veut pas mettre d’argent à payer des modérateurices et puis quoi encore ? ». (Quoique en ce moment, il y a une bonne clarification des postes considérés comme utiles chez Twitter, et la modération n’en fait pas partie !).

 

On pourra me dire : «oui mais un robot, c’est fiable car ça prend toujours les mêmes décisions !»

Et c’est peut-être vrai, mais pourquoi avons-nous besoin d’une modération qui ne bouge pas dans le temps ? Comment s’améliorer, comment faire évoluer nos pratiques si toute la connaissance est refilée aux robots ?

 

Nous avons besoin de remettre de l’humain dans nos médias sociaux, et déléguer aux robots ne fait que contourner le problème.

 

Twitter a besoin que les gens soient blessés

 

Enfin, de par le fonctionnement même de Twitter, le réseau social a besoin pour son modèle économique de gens qui souffrent, qui sont malheureux, blessés, en colère, pour gagner plus d’argent.

 

C’est le principe de l’économie de l’attention : plus vous restez sur un média social, plus vous partagez vos données, regardez des pubs, interagissez et faites rester les autres.

 

Et pour vous faire rester, rien de tel que de vous confronter à ce qui vous énerve, ce qui vous fait vous sentir mal, ce qui vous fait réagir.

 

Pour cela, les comptes d’extrême-droite sont de l’or en barre : ils passent leur temps à dire des saloperies, et à un moment l’une d’elle va forcément vous toucher plus particulièrement qu’une autre, soit parce que vous êtes concerné·e, soit parce que quelqu’un de votre entourage l’est.

 

Ensuite on cite le tweet concerné en disant qu’il faut surtout pas écouter ce genre de personne, on déconstruit l’argumentaire en un fil de huit tweets, tout cela augmente la visibilité du contenu initial et donc d’idées d’extrême-droite, personne n’a changé d’avis à la fin mais vous vous sentez sans doute encore moins bien qu’au début, ou plus énervé·e… et chouette pour Twitter, parce qu’être en colère ou triste ça rend davantage sensible à la publicité.

 

Vous l’aurez compris, il y a donc par nature un problème de fond : si Twitter vire tous les comptes d’extrême-droite, son chiffre d’affaire va chuter. Alors il peut promettre la main sur le cœur qu’il compte le faire, les yeux dans les yeux, et vous avez le droit de le croire.

 

Pour moi les résultats sont là, rien ne se passe, et il n’y a pas de raison que ça s’arrange avec le temps (au contraire !).

 

Oui mais… et la violence à laquelle sont soumis les modérateurices dans tout ça ?

 

Les entreprises capitalistes du numérique entretiennent savamment la croyance que puisqu’il y a de la violence dans le monde, il n’y a rien à faire, quelqu’un doit bien se farcir le taf ingrat de subir cette violence transposée sur les réseaux sociaux, et ces personnes, ce sont les modérateurices.

 

Je ne suis pas d’accord.

 

Je pense que nous pouvons collectivement améliorer de beaucoup la situation en priorisant des technologies qui prennent soin des humains, et qu’il est immoral de perpétuellement déléguer le travail de soin (des enfants, de la maison, des espaces en ligne) à des personnes qui sont toujours plus mal payées, plus précaires, plus minorées, à l’autre bout du monde…

 

Nous pouvons avoir des réseaux qui fonctionnent correctement, mes articles sur Mastodon en font l’exemple.

 

Est-ce que c’est parfait ? Non, mais au moins, la modération est gérée à petite échelle, sans la déléguer à des personnes inconnues qu’on rémunère de façon honteuse pour faire le « sale travail » en leur détruisant la santé.

 

Et si à terme Mastodon grossit tellement qu’il sera soumis aux contenus les plus atroces, et que cela rendra la modération impossible ou complètement délétère pour les modérateurices, eh bien il sera temps de l’améliorer ou de tout fermer. Parce que nous pouvons aussi faire le choix de ne pas utiliser un outil qui abime certain·es d’entre nous plutôt que de fermer les yeux sur cette violence.

 

Peut-être que le fonctionnement fondamental des réseaux sociaux a finalement des effets délétères intrinsèques, mais pourquoi se limiter à ça ? Pourquoi ne pas discuter collectivement de comment faire mieux ?

 

Et sur un autre registre, il est aussi possible de mettre de l’énergie en dehors de la technologie, sur un retour à plus de démocratie, plus de débat apaisé. Parce que peut-être que si chacun·e retrouve une confiance sur le fait que son avis et ses besoins seront entendus, il sera possible de retrouver collectivement plus de sérénité, et cela se ressentira sûrement dans nos interactions numériques.

 

Un autre monde (numérique) est possible, il nous reste à le construire, pour contribuer à une société empreinte de justice sociale où le numérique permet aux humain·es de s’émanciper, à contre-courant des imaginaires du capitalisme (de surveillance).

 

« Mastodon, c’est chouette » sur Grise Bouille, par @gee@framapiaf.org
https://grisebouille.net/mastodon-cest-chouette




L’aventure de la modération – épisode 4

Maiwann, membre de l’association, a publié sur son blog une série de cinq articles sur la modération. Nous les reproduisons ici pour leur donner (encore) plus de visibilité.

Voici le quatrième.

Alors maintenant que je vous ai dit tout ça, faisons un petit bilan des avantages et surtout des limites de ce système !

Si vous avez raté les articles précédents, vous pouvez les retrouver par ici :
– Chapitre 1 : Un contexte compliqué
– Chapitre 2 : La découverte de la modération
– Chapitre 3 : La pratique de la modération

 

Pepper la sorcière et Carrot le chat dorment paisiblement contre un éléphant (un mastodonte) dans une jolie jungle.
My Neighbor Mastodon – CC-BY David Revoy

Les avantages

Je vais être courte parce que mon point n’est pas ici d’encenser Mastodon, donc je ne creuserai pas trop les avantages. Cependant je ne peux pas m’empêcher de remettre en avant deux points majeurs :

Indéniablement, on bloque très vite les fachos. C’est quand même, à mon avis, le grand intérêt, qui n’est pas assez connu au-delà de Mastodon. De ce fait nous avons une exigence collective très faible par rapport à la modération : quand Twitter annonce qu’il ne peut pas faire mieux, on le croit sur parole alors qu’une alternative sans moyens d’envergure y arrive… Journalistes spécialisés si vous lisez ce message !

 

Ensuite, le fonctionnement est beaucoup plus démocratique car : ce sont des humains que vous choisissez qui font la modération. Et ça, ça change beaucoup de choses. Déjà parce qu’on est dans un fonctionnement beaucoup plus… artisanal de la modération, donc potentiellement avec plus de proximité, dans l’idéal on peut discuter / appeler à l’aide ses modérateurices… et même selon les endroits, proposer de participer à la modération et ça, ça compte pour se rendre compte du boulot que c’est, et participer aux décisions importantes !

 

Les limites

 

Comme rien n’est parfait, et que nous sommes sur une alternative qui évolue tout le temps, quelques points qui restent des limites malgré le modèle anti-capitaliste de Mastodon.

 

Temps de traitement d’un signalement

 

Il y a un difficile équilibre entre le temps de traitement d’un signalement et le temps d’entendre plusieurs avis du collectif de modération. Je pense qu’il est sain de prendre le temps, mais il y a des situations où l’un·e des modérateurices peut considérer qu’il y a « urgence » et dans ce cas, attendre 48h c’est beaucoup (pour protéger une personne par exemple). C’est un point que nous n’avons pas encore creusé à Framasoft (comment gérer le dilemme rapidité d’action vs. disponibilité du collectif), mais que je me note de rajouter en discussion pour nos prochaines retrouvailles !

 

Encore une fois je parle là des cas difficiles à départager. Si il s’agit de pédopornographie, les salariés de Framasoft sont déjà habitués à devoir réagir rapidement pour supprimer le contenu, donc je ne traite pas ce sujet ici car il n’est pas spécifique.

 

Beaucoup d’utilisateurices, beaucoup de problèmes

Framasoft est une association très connue, et nos utilisateurices nous choisissent souvent car iels ont confiance en nous (merci !).

Mais cela entraine une responsabilité compliquée à gérer : plus de monde chez nous, ça nous fait plus de travail, de modération notamment.

 

Aussi, dans un cadre plus large qui était celui de la déframasoftisation d’Internet, nous avons fermé les inscriptions, ce qui nous a permis d’alléger la charge de notre coté.

 

Et comme tous les Mastodon sont interconnectés, il est possible d’aller s’inscrire ailleurs pour suivre ce qui se passe chez nous, donc c’est un fonctionnement technique qui nous permet de mieux vivre le travail de modération… youpi !

 

Éviter la « spécialisation » des modérateurices

 

Lors de la mise en place d’une équipe de modération à Framasoft, il a fallu faire un petit temps de formation-découverte à l’interface de modération de Mastodon.

 

Or on a vu apparaitre assez rapidement une « spécialisation » entre celleux qui « savaient » utiliser l’interface, et celleux qui n’osaient pas car ne « savaient pas » l’utiliser.

 

Pourtant il y a beaucoup de valeur à ce que la connaissance autour des outils circule auprès de tou·tes celleux que cela peut intéresser :
— Pour qu’il y ait de plus en plus de modérateurices, ce qui répartit le temps dédié à la modération,
— Pour que la discussion soit ouverte à des personnes qui n’ont pas la tête plongée dans la modération, ça permet d’entendre d’autres paroles, c’est appréciable.

 

Pour résoudre ce problème, nous avons organisé des visios de modération !

C’est une pratique que nous avons dans ma coopérative : faire des tâches chiantes, c’est quand même bien plus sympa ensemble !

Alors quand l’un de nous disait « bon, là, il y a quand même beaucoup de signalements qui s’accumulent » je répondais parfois « ça vous dit on fait une visio pour les traiter ensemble ?! »

 

Nous n’avions pas besoin d’être beaucoup, à 2, 3 ou 4 c’était déjà bien plus sympa, même les contenus agressifs sont plus faciles à traiter quand les copains sont là pour faire des blagues ou râler avec toi ! Nous lancions un partage d’écran, idéalement d’une personne pas hyper à l’aise pour l’accompagner, et nous traitions les signalements.

 

Autre effet bénéfique : la boucle de « je demande leur avis aux copaines, j’attends, je traite le signalement » est raccourcie car nous pouvons collectivement débattre en direct du problème. C’est vraiment une façon très sympa de faire de la modération !

 

Les « On va voir » et autres « On peut pas savoir »

 

Enfin, si tout cela est possible actuellement, une part de moi me demande si ce n’est pas dû au fait que Mastodon passe encore « sous les radars ».

C’est un sentiment que j’ai tendance à minimiser vu que cela ne nous a pas empêché d’avoir des hordes de comptes d’extrêmes droites qui se ramenaient. Donc une part de moi pense que le réseau (qui a déjà six ans donc on est loin du petit truc tout nouveau qui a six mois) a un fonctionnement déjà résilient.

Et une autre partie de moi sait qu’elle n’est pas voyante, donc on verra bien dans le futur !

 

Par contre je voudrais insister sur le fait qu’on ne peut pas savoir. Tous les articles qui vous expliqueront que Mastodon ne peut pas fonctionner parce que « intégrer un argument d’autorité sur le fait que ce n’est pas assez gros » ne sont pas mieux au courant que les utilisateurices et administrateurices depuis des années. Et je n’ai pour l’instant vu aucun argument pertinent qui aurait tendance à montrer que le réseau et ses modérateurices ne peut pas supporter une taille critique.

 

Comme d’hab, le secret : il faut prendre soin

 

Cette conclusion ne va étonner personne : La solution pour une bonne modération, c’est de prendre soin.

 

Prendre soin des utilisateurices en n’encourageant pas les discours haineux (techniquement et socialement), en ne les propageant pas (techniquement et socialement).

 

Prendre soin des structures qui proposent des petits bouts de réseaux en leur évitant d’avoir trop de pouvoir et donc trop de responsabilités sur les épaules (et trop de coûts).

 

Prendre soin des modérateurices en les soutenant via un collectif aimant et disponible pour leur faire des chocolats chauds et des câlins.

Cher·e modérateurice qui me lis, tu fais un boulot pas facile, et grâce à toi le réseau est plus beau chaque jour. Merci pour ton travail, j’espère que tu as un collectif qui te soutiens, et que se soit le cas ou non, pense à avoir sous la main le numéro d’un·e psychologue, au cas où un jour tu tombes sur quelque chose de vraiment difficile pour toi/vous.

 

Cœur sur vous <3

 

Et pour finir ?

Je n’ai pas pu m’empêcher de conclure avec un billet dédié au contraste entre mon expérience de la modération et ce qui se passe sur Twitter. La semaine prochaine paraîtra donc un billet spécialement dédié à l’oiseau bleu : et Twitter alors ?




L’aventure de la modération – épisode 3

Maiwann, membre de l’association, a publié sur son blog une série de cinq articles sur la modération. Nous les reproduisons ici pour leur donner (encore) plus de visibilité.

Voici le troisième.

Les cas d’étude c’est bien sympa, mais cela ne donne qu’une vision partielle du fonctionnement. Aussi je vais détailler ma montée en compétence sur la modération, et celle du collectif parce que ça fait partie des solutions à mettre en place pour que se soit un boulot le moins délétère possible !

 

Les outils accessibles via Mastodon

Mastodon permet, pour les utilisateurices inscrites chez nous de :
— flouter toutes les images de ce compte (et celles qu’il publiera ensuite) (pratique pour les instances qui hébergent du porno)
— supprimer un message
— limiter la visibilité du compte à ses abonnés seulement
— suspendre le compte sur un temps restreint
— supprimer le compte définitivement
— contacter l’utilisateurice par message privé
— contacter l’utilisateurice par mail
— bloquer un Mastodon entier (!!) (aussi appelé instance).

 

Pour les utilisateurices qui ne sont pas chez nous, il est seulement possible de :
— flouter toutes les images de ce compte (et celles qu’il publiera ensuite) (pratique pour les instances qui hébergent du porno)
— limiter la visibilité du compte à ses abonnés
— bloquer le compte
— contacter l’utilisateurice par message privé.

 

Lorsqu’une personne effectue un signalement, nous recevons une notification par mail si :
— la personne faisant le signalement se trouve chez nous
— la personne signalée est chez nous ET que la personne ayant fait le signalement a demandé explicitement à ce que nous le recevions.

 

Les signalements les plus importants à gérer étant évidemment ceux concernant des personnes se trouvant sur notre (instance de) Mastodon et ayant un comportement problématique. Actuellement, la majorité des signalements pour lesquels nous sommes notifiés sont faits par une personne inscrite chez nous à propos de contenus qui se trouvent ailleurs, sans doute pour prévenir les modérateurices de l’autre Mastodon qu’il y a quelque chose à regarder de leur coté.

 

Au fur et à mesure du temps, j’ai l’impression que si les signalements ne sont pas liés à du contenu chez nous, et ne sont pas explicitement problématiques, on peut laisser la responsabilité d’agir aux modérateurices des autres instances.

 

L’important étant de bien s’occuper de ce qui se trouve chez nous. 🙂

 

Pepper la sorcière et Carrot le chat dorment paisiblement contre un éléphant (un mastodonte) dans une jolie jungle.
My Neighbor Mastodon – CC-BY David Revoy

 

Comment ça se passe ?

Donc une fois la notification par mail reçue, on se connecte à un compte avec les droits de modération (pour certains leur compte personnel, pour d’autres le compte de modération que nous avons créé à la sortie de la charte pour avoir un compte dédié à ce sujet). Nous avons accès à une interface récapitulant le compte concerné, les contenus signalés, le message du signalement expliquant pourquoi il a été effectué (extrêmement important car sinon on perd énormément de temps à comprendre ce qui est reproché) et quelques autres indicateurs (notamment le nombre de signalements déjà effectués, pratique pour repérer les récidivistes).

 

Démarre ensuite dans la grande majorité des cas un travail d’enquête afin de comprendre le contexte. C’est une action extrêmement chronophage mais qui nous permet de savoir si la personne a une façon de se comporter correcte, un peu pénible ou carrément problématique, ce qui va influencer le niveau de sévérité de l’action de modération.

 

Si nous avons de la chance, il suffit de parcourir une dizaine de contenus, mais parfois la personne a partagé des vidéos, et il est nécessaire de regarder l’entièreté de la vidéo pour se rendre compte de son caractère problématique… ou non. C’est comme cela que je me suis retrouvée à regarder vingt minutes d’une vidéo célébrant le Brexit où se trouvaient Asselineau, Nicolas Dupont-Aignan, Florian Philippot. Quel excellent moment.

 

C’est ce travail de contextualisation qui explique pourquoi il est extrêmement important, lorsque vous réalisez un signalement, de mettre le plus de détails possibles : quels sont les contenus incriminés ? Pourquoi pensez-vous que cela mérite une action de modération ? Trop souvent nous avons un signalement composé d’un seul pouet, hors contexte, qui nous oblige à nous y attarder bien plus que si on nous avait fourni des explications détaillées. (Merci pour nous !)

 

Une fois cette contextualisation réalisée, il est temps de se décider… est-ce qu’il y a quelque chose à faire ? Est-ce qu’on supprime les contenus incriminés ? Est-ce qu’on contacte la personne ?

 

À Framasoft nous avons un tchat dédié à la modération, dans lequel nous partageons notre analyse du contexte, le signalement, et nous proposons l’action ou les actions qui nous semblent les plus appropriées. L’idée est de pré-mâcher le travail aux copaines tout en n’ayant pas à porter seul le poids de la décision de la « bonne » action de modération à réaliser.

 

Donc une fois que j’ai une idée de ce qui me semblerait « le mieux » à faire (ou pas), je demande leur avis aux copaines sur ce tchat. Il y a ensuite un petit temps d’attente nécessaire, pas problématique dans la plupart des cas mais très stressant quand la situation revêt un caractère « d’urgence », et que quelques heures comptent (par exemple si quelqu’un commence à se prendre une vague de harcèlement, plus vite on peut la protéger mieux c’est).

 

Si on n’est pas d’accord, on discute, jusqu’à tomber d’accord ou ne pas tomber d’accord et utiliser la règle du « c’est qui qui fait qui décide ». Donc si on se dit « cette personne il faudrait la contacter pour lui expliquer » mais que personne n’a l’énergie de rédiger quelque chose… ben on fait différemment en choisissant une action qui tient compte du niveau d’énergie des modérateurices.

 

Et enfin, on réalise l’action de modération « finale » qui, si elle est technique, est hyper rapide (nonobstant un petit message pour prévenir si on a envie d’en faire un), mais qui si elle est dans la « communication » n’est que le début du chemin !

 

J’espère que cela vous permet de davantage mesurer l’effort invisible qu’est la modération : Recevoir la notification, Identifier le niveau d’urgence, Contextualiser, Synthétiser, Trouver une décision juste, la Soumettre au collectif, Attendre les retours, Discuter, Agir, peut-être Répondre… 9 à 10 étapes qui ne sont vues de personne, excepté si les contenus ou le compte sont purement et simplement supprimés. Il est donc très facile de dire que « rien » n’est fait alors que ça s’active en coulisses.

 

De plus, dans un monde où tout et n’importe quoi est « urgent » autant vous dire que ça n’est pas facile de prendre le temps de décider sereinement d’une action la plus juste possible alors que précisément, cela demande du temps de ne pas réagir sur le coup de l’émotion !

 

L’anonymat des modérateurices

 

Lorsque j’ai débuté la modération, j’avais dans l’idée qu’il était important que les modérateurices soient clairement identifié·es pour qu’il soit plus simple de savoir d’où iels parlent. Non seulement pour savoir si iels sont directement concerné·es par certaines oppressions systémiques, mais aussi pour pouvoir avoir un œil sur leur niveau de déconstruction (ce n’est pas parce qu’on est une meuf et donc qu’on subit le sexisme que cela nous donne un badge « a déconstruit le patriarcat », loin de là).

 

J’en suis complètement revenue, ou plutôt j’ai bougé sur ma position : ce ne sont pas les individus qu’il faut connaitre, mais la position d’un collectif, et savoir si on a envie de faire confiance à ce collectif… ou non !

 

Pourquoi ce changement ? Déjà parce que lors de la vague de harcèlement que nous avons subie à la publication de la charte, la violence était très intense alors que je n’étais pas directement citée : c’était le compte de l’association (@Framasoft@framapiaf.org) qui l’était, et je ne voyais que ce qui tombait dans mon fil ou ce que j’allais voir de moi-même (enfin en étant sous le coup de la sidération, moment où l’on a pas toujours les bonnes pratiques : maintenant je ferme l’ordinateur pour m’éloigner du flot).

 

Si j’étais frustrée de ne pas pouvoir mettre de visage « humain » sur les personnes qui avaient écrit cette charte, j’ai surtout été très protégée par mon anonymat du moment. Et j’ai pu choisir, en mes termes et dans un timing que j’ai choisi, de partager mon ressenti sur la situation (avec l’article intitulé Dramasoft du nom du hashtag utilisé pour l’occasion).

 

Et je me souviens que je savais très clairement que je prenais un grand risque en communiquant sur ma participation à cette charte (et j’ai fait attention à ne pas parler des actions de modération en tant que telle dans un espoir de limiter l’impact). Le fait d’en contrôler la totalité de la publication, quand, sur quel support, auprès de qui, quand je me suis sentie prête, m’a énormément protégée.

 

Je reviens d’ailleurs sur une partie de ce que j’ai énoncé au-dessus, l’importance de

savoir si iels [les modérateurices] sont directement concerné·es par certaines oppressions systémiques

 

Je pense à présent qu’il est très problématique de penser pouvoir regarder un·e individu pour se permettre de juger de si iel ferait un·e bon·ne modérateurice : ce sont les actions et la direction dans laquelle se dirige le collectif qui compte. Nous ne pouvons pas déterminer, de par quelques pouets ou contenus partagés, si une personne est « suffisamment » déconstruite ou non.

 

Pire, cela nous encourage à faire des raccourcis, qui peuvent être d’une violence inouïe. Aussi, il nous a par exemple été reproché de concevoir une charte pour des enjeux de modération dont nous n’avions pas conscience, notamment parce que nous n’avions pas de personnes concerné·es par les oppressions systémiques dans l’équipe (qui seraient composés de mecs cis, het, blancs…).

Déjà c’est faux, car il y a des femmes qui subissent le sexisme qui en font partie (dont moi par exemple !) mais surtout parce qu’il n’est pas possible de savoir quel est le contexte et l’identité de chacun·e des membres, et notamment si certain·es seraient par exemple dans le placard, cachant soigneusement leur identité ou orientation sexuelle.

Rendez-vous compte de la violence, pour quelqu’un qui n’a pas fait son ou ses coming-out, de recevoir de la part d’adelphes qui sont dans le même groupe oppressé qu’elle un message sous entendant qu’elles ne sont pas légitimes puisqu’elles ne sont pas out. La violence est infinie, et je crois que c’est ce qui m’a mise le plus en colère dans cette histoire, car je ne pouvais pas vérifier si des membres étaient touché·es par ces accusations (puisque n’ayant pas fait leur coming-out… vous m’avez comprise).

 

Aussi, à nouveau, je pense que la solution repose sur le collectif, pour pouvoir à la fois s’adresser à quelqu’un tout en protégeant les individus.

À Framasoft, nous avons publié cette charte et ouvert un compte modération derrière lequel chaque membre peut lire les messages, et nous agissons pour des personnes qui nous font confiance. Plus récemment encore, nous avons re-partagé notre vision du monde dans notre manifeste, sans compter les nombreuses conférences et articles de blog qui expliquent comment nous nous positionnons. Si cela ne suffit pas aux utilisateurices, ils peuvent nous bloquer ou aller ailleurs, sans animosité de notre part : nous faisons avec nos petits moyens.

 

Le temps passé

 

Une question qui m’a été souvent posée c’est : Combien de temps vous y passez, à faire de la modération ?

 

Alors déjà il y a une grosse différence de temps passé entre le moment de mise en place de la charte de modération, et maintenant.

 

Lors de la mise en place de la charte et environ un an ensuite, nous étions sur quelques heures par semaine. Actuellement, c’est plutôt quelques heures par mois, et pour des cas moins complexes à gérer (même si on n’est pas à l’abri d’une vague de harcèlement !). Et c’est à mettre au regard du nombre : 1600 utilisateurs actifs chez nous, 11 000 inscrit·es (donc beaucoup de comptes en veille) et 6 millions d’utilisateurs au total sur tout le réseau.

 

Cette immense différence s’expliquer par deux raisons :
– Nous avons viré tous les relous.
– Nous avons fermé les inscriptions, et donc il n’y a plus de nouveaux.

 

Les utilisateurices qui restent sur framapiaf sont celleux qui ne nous demandent pas trop de boulot, et donc on s’en sort bien !

 

Mais je pense que même sur une instance dont les inscriptions restent ouvertes, on doit gagner en tranquillité grâce aux blocages d’instances déjà effectués et à la montée en compétence de l’équipe de modération (si l’équilibre est entretenu pour que les modérateurices restent, ça veut dire que le collectif en prend suffisamment soin !).

 

Note : Si les chiffres d’Olivier Tesquet sont bons (je n’ai pas vérifié), il y a en fait sur Mastodon une bien meilleure façon de modérer que sur Twitter parce que les modérateurices seraient juste… plus nombreuxses ?

 

Mastodon compte aujourd’hui 3615 instances, c’est à dire 3615 politiques de modération potentiellement différentes.
Au passage, ramené au nombre d’utilisateurs actifs, ça fait au moins un modérateur pour 250 mastonautes. Sur Twitter, c’est un pour… 200 000.

Et après ?

C’est l’heure de faire un petit bilan de cette triplette d’articles ! Ce sera dans le prochain épisode !




L’aventure de la modération – épisode 2

Maiwann, membre de l’association, a publié sur son blog une série de cinq articles sur la modération. Nous les reproduisons ici pour leur donner (encore) plus de visibilité.

Voici le deuxième.

Maintenant que je vous ai fait une introduction de six pages, c’est le moment de passer au concret : Comment est-ce que se déroule la modération ?

Les cas simples : les fachos, les mascus, l’extrême-droite

De façon surprenante, j’ai découvert que tout ce qu’il y a de plus délétère sur les réseaux sociaux capitalistes, c’est à dire en résumé : les comptes d’extrême-droite, étaient très simples à modérer.

Nous en avons eu un exemple lors de l’été 2018. Twitter a réalisé une vague de fermeture de comptes de mascus provenant du forum tristement connu de jeuxvideo.com, surnommé le 18-25. Comme souvent, ces personnes crient à la censure (…) et cherchent un réseau social alternatif dont la promesse serait de promouvoir une liberté d’expression leur permettant de dire les atrocités qu’ils souhaitent.

 

Pepper la sorcière et Carrot le chat dorment paisiblement contre un éléphant (un mastodonte) dans une jolie jungle.
My Neighbor Mastodon – CC-BY David Revoy

 

 

Ils débarquent donc sur Mastodon, avec un schéma qui a été le suivant :

1° Première inscription sur le premier Mastodon trouvé

Les 18-25 étant majoritairement francophones, ils se sont retrouvés souvent sur mamot.fr et parfois chez nous en s’inscrivant sur framapiaf.org, parfois sur mastodon.social qui est le Mastodon proposé par le développeur principal.

Nous avons donc pu commencer une première vague de bannissement en suivant les profils des nouveaux inscrits, et leurs premiers contenus qui concourraient au prix de « qui dit les choses les plus atroces ».

Nous avons fermé les inscriptions momentanément pour endiguer le flot, et peut-être avons nous à un moment viré massivement les nouveaux comptes.

 

« Quoi ?! » vous entends-je dire, « mais c’est en opposition totale avec le point 3 de la charte » !

 

Nous différencions personnes et comportements. Nous modérerons les comportements enfreignant notre code de conduite comme indiqué au point 5, mais nous ne bannirons pas les personnes sous prétexte de leurs opinions sur d’autres médias.

Ma réponse est donc « vous avez raison » suivie d’un « et nous sommes humains donc nous faisons ce que nous pouvons, en commençant par nous protéger ».

Je ne me souviens pas vraiment de notre façon de modérer à ce moment là : avons-nous attendu que chacun poste quelque chose de problématique avant de le virer ? Ou avons-nous agi de façon plus expéditive ? Même si nous étions dans le second cas, nous étions sur un grand nombre de compte qui venaient de façon groupée pour revendiquer une « liberté d’expression » leur permettant de dire des horreurs… Il n’y a à mon avis pas besoin d’attendre que chacune de ces personnes indique quel est sa façon de penser alors qu’elles viennent massivement d’un endroit (le forum de jeuxvideo.com) qui porte une vision de la société délétère.

 

Donc peut-être qu’on n’a pas respecté strictement la charte sur ce moment là, et encore une fois, je préfère protéger les membres de l’association et les utilisateurices en faisant preuve d’un peu d’arbitraire, plutôt que de suivre une ligne rigide.

 

2° S’inscrire sur un autre Mastodon

Après leur premier bannissement, des informations sur le fonctionnement décentralisé de Mastodon ont circulé. Les nouveaux arrivants se sont donc inscrits sur une autre instance, et ont plus ou moins rapidement été bannis une nouvelle fois.

 

C’est alors que des personnes du fédiverse ont expliqué à ces personnes qui se plaignaient de la fameuse « censure » qu’ils pouvaient monter leur propre Mastodon, et y appliquer leurs propres règles.

 

3° Monter une instance Mastodon rien que pour les 18-25

Sitôt dit, sitôt fait, les nouveaux arrivants s’organisent, montent leur Mastodon (soit grâce à leurs compétences techniques, soit grâce à un service qui propose de le faire) et s’y inscrivent tous.

 

Victoire ! Leur instance Mastodon, leurs règles, plus personne ne les bannira !

 

Quand à nous, nous n’avions plus qu’à appuyer sur le bouton « Bloquer l’instance » pour nous couper de ce Mastodon dédié au 18-25. Problème réglé.

 

Alors je ne voudrais pas vous faire croire que cette cohue s’est faite sans effet problématique. Déjà parce que je ne connais pas ses effets sur tous les utilisateurices de Mastodon, mais aussi parce que les 18-25 ont eu le temps de poster des contenus très violents, le point culminant étant une photo de la salle du Bataclan le soir du 13 novembre, remplie de cadavres. Je n’ai pas vu cette image mais un ami de l’association oui, et je maudis notre manque d’expérience pour ne pas avoir pu empêcher qu’il soit confronté à cette image horrible.

 

Mais de façon générale, tous les discours de haine sont vraiment aisés à modérer. Juste : Ça dégage. Fin de la discussion.

 

Là où ça devient difficile, se sont sur les cas qui jouent avec les limites.

 

Cas limites : quand une personne est… pénible

Je pense que c’est ce type de cas qui nous a valu une réputation de « mauvaise modération » : certaines personnes qui ne posaient pas de problème légaux, n’étaient pas agressifs au sens strict du terme ou ne partageaient pas de contenu violent, mais qui étaient… relous.

 

Un peu de mansplanning par ci, une discussion sur un sujet d’actualité avec une position moralisante par là… Bref, tout ce qui fait plaisir à lire (non) sans réellement mériter de couperet de la part de la modération.

 

Nous sommes arrivés à un point où les salariés qui faisaient de la modération avaient masqué le compte depuis leur profil personnel, mais ne se sentaient pas légitimes à le virer de notre Mastodon puisque rien de suffisamment répréhensible n’avait été fait.

 

Maintenant que j’ai un peu de recul, je peux dire que nous avons deux postures possibles dans ce cas, chacune nécessitant un travail de contextualisation lié au compte : quelle description du compte ? Quels contenus partagés ? Dans quelle ambiance est la personne ? Ça n’est pas la même chose si la personne écrit dans sa biographie « Mec cis-het et je vous emmerde » que si il est écrit « Faisons attention les un·es aux autres ».

Bien sûr, rien n’est strictement « éliminatoire », mais chaque élément constitue un faisceau d’indices qui nous pousse nous-même à passer plus ou moins de temps à prendre soin de la personne, de façon équivalente au soin que cette personne semble mettre dans ces échanges sur le média social.

 

Si la personne semble globalement prendre soin, mais a été signalée, nous pouvons décider de rentrer en discussion avec elle. C’est une option intensément chronophage. On pourrait se dire que pour trois messages de 500 caractères, pas besoin d’y passer trop de temps… au contraire !

Autant que possible, chaque message est co-écrit, relu, co-validé avant d’être envoyé, afin de s’assurer que le plus de personnes possibles de l’équipe de modération soient en accord avec ce qui y est écrit, le ton donné… et cela dans un temps le plus réduit possible histoire que l’action de modération ne date pas de quinze jours après le contenu (c’est parfois ce qui arrive). Or les membres de l’équipe sont pour beaucoup bénévoles, ou sinon salarié⋅es avec un emploi du temps très chargé.

Il faut aussi pas mal de relecteurices pour éviter LE truc qui fait perdre trois fois plus de temps : se faire mal comprendre par la personne à laquelle on écrit. Et là… c’est le drame !

 

Une autre option, ressemblant à celle-là mais avec moins de précautions de notre part est d’utiliser notre position d’autorité « Nous sommes la Modération » pour signaler aux personnes que nous comptons sévir en cas de récidive.

 

Cependant, si la personne ne semble pas intéressée par le fait de prendre soin des autres personnes, nous avons une astuce pour ne pas retomber dans le cycle infernal du « est-ce qu’on devrait faire quelque chose ou non ? » : le « ça prend trop d’énergie à l’équipe de modération ».

 

Cependant, nous bannirons toute personne ayant mobilisé de façon répétée nos équipes de modération : nous voulons échanger avec les gens capables de comprendre et respecter notre charte de modération.

En effet, c’est un indicateur qui nous permet de ne pas « boucler » trop… si l’on est plusieurs à se prendre la tête sur un signalement, alors que notre énergie serait mieux ailleurs… alors on décide souvent que cela suffit pour mériter un petit message disant en gros « Bonjour, vous prenez trop de temps à l’équipe de modération, merci d’aller vous installer ailleurs ». Cela nous a sorti de maintes situations délicates et c’est une félicité sans cesse renouvelée que de pouvoir citer cette partie de la charte.

 

Cas limites : quand la revendication est légitime

Autre cas compliqué à gérer : les différents moments où les personnes ont une revendication dont le fond est légitime, mais où la forme fait crisser les dents.

 

Par exemple, revenons sur la réputation de Framapiaf d’avoir une mauvaise modération (ou une absence de modération ce qui revient au même).

 

Clarifions un instant les reproches qui me semblent étayées de celles pour lesquelles je n’ai pas eu de « preuve » :

— Il a été dit que nous ne faisions pas de modération, voire que nous ne lisions pas les signalements : c’est faux.

— Par contre, comme expliqué dans le cas au-dessus, nous n’étions pas outillés et expérimentés pour gérer des cas « limites » comme ceux au-dessus qui ont entraine une pénibilité dans les interactions avec de nombreuxses utilisateurices.

 

Nous avions donc bien un manque dans notre façon de faire de la modération. Si vous avez déjà les explications du « pourquoi », je tiens à dire que cela ne nous empêche pas de nous rendre compte que cela a été pénible pour d’autres utilisateurices.

 

Cependant, la façon dont le problème nous a été remonté l’a été de façon souvent agressive, parfois violente car insinuant des choses à propos de nos membres (qui ne seraient que des personnes non concernées par les oppressions… et c’est faux !).

 

Aussi, comment traiter ce sujet, qui porte des valeurs avec lesquelles nous sommes aligné·es (protéger les personnes des relous, facile d’être pour…) mais qui dans le même temps, nous agresse également ? Et comment faire cela sans tomber dans le tone policing, argument bien trop utilisé pour couper court à un débat en tablant sur la forme plutôt que le fond ?

 

Tone-policing : littéralement « modération du ton ». Comportement visant à policer une discussion ou un débat en restreignant ou en critiquant les messages agressifs ou empreints d’une forte charge émotionnelle.

 

Voici mon point de vue : au vu de notre petite taille, nos faibles capacités humaines (des salariés qui font mille choses, des bénévoles), que notre structure est à but non lucratif (donc n’est pas là pour faire du bénéfice pour enrichir quelqu’un) et notre posture d’écoute que nous essayons d’équilibrer avec notre énergie disponible, il n’est pas OK de mal nous parler sauf cas exceptionnel.

Alors bien sûr les cas exceptionnels, ça se discute, ça se débat, mais en gros, à part si nous avons sérieusement blessé quelqu’un de par nos actions, il est possible de nous faire des critiques calmement, sans faire preuve de violence.

 

Et dans un souci d’équité, nous faisons l’effort de creuser les arguments de fond quand bien même la forme ne nous plait pas, afin de vérifier si les reproches que nos recevons sont des critiques avec de la valeur et de l’agressivité, ou seulement de l’agressivité.

 

Cela peut vous sembler étrange de passer du temps là-dessus, mais tant que vous n’êtes pas dans l’association, vous ne vous rendez pas compte de la quantité de gens qui la critiquent. Chaque semaine, des personnes nous signalent par exemple qu’elles sont désespérées par notre utilisation de l’écriture inclusive alors que nous l’utilisons depuis plus de quatre ans. Ou régulièrement parce que nous sommes trop politiques. Alors oui, des reproches agressifs nous en avons régulièrement, mais des critiques constructives, c’est malheureusement bien plus rare.

 

Donc que faire face à cela ? Eh bien mettre le soin au centre pour les personnes qui reçoivent les agressions. Alors encore une fois, je ne parle pas de soutenir les méchants oppresseurs agressifs envers qui on serait en colère, il ne s’agit pas de ça. Il s’agit de réussir à voir chez une personne de notre archipel qu’elle a fait une erreur, tout en prenant soin de l’humain qui a fait cette erreur.

 

Nous voulons prendre soin : de nous, d’autrui, et des Communs qui nous relient

 

Parce que personnellement j’ai vu que se faire agresser alors que l’on fait honnêtement de son mieux n’entraine qu’un repli sur soi, coupant la personne de son désir de contribuer à un monde meilleur, parce qu’elle a été trop blessée.

 

Et bien sûr, l’équilibre entre protéger les personnes blessées et celles qui blessent sans le vouloir est extrêmement difficile à tenir. Il faut donc réussir à faire preuve de franchise : oui, là, tu ou on aurait pu faire mieux. À partir de maintenant, comment on fait pour que se soit possible de faire mieux ?

 

Inutile de dire que non seulement ça prend du temps, mais c’est aussi carrément risqué, car on peut se mettre à dos par effet domino tout le groupe dont les membres exprimaient directement cette agressivité, ou indirectement par du soutien aux contenus en questions. Que du bonheur !

 

Les autres cas…

 

Alors oui il y a des robots, mais ça c’est un peu pénible mais vite résolu.

 

Il y a aussi des spécificités liées à Mastodon : comment gérer des contenus qui sont sur un autre Mastodon, auquel vous êtes connectés, et qui sont illégaux dans votre pays mais légaux dans d’autres ? On prend souvent l’exemple dans ce cas du lolicon : les dessins « érotiques » représentant des mineures sont autorisés et courants au Japon, mais interdits en France. Il faut y penser !

 

Enfin un autre cas que vous avez en tête est peut-être le contenu pornographique. Nous n’en faisons pas grand cas ici : nous demandons à ces comptes de masquer par défaut leurs images (une fonctionnalité de Mastodon qui permet de publier la photo floutée et de la rendre nette sur simple clic) et idéalement de rajouter un #NSFW (Not Safe for Work) pour simplifier leur identification.

 

La suite

 

J’espère que ces cas un peu concrets vous permettent de mieux vous rendre compte des interstices qui complexifient le travail de modération. Mais du coté fonctionnement collectif, comment ça se passe ? Je vous raconte ça dans l’article numéro 3 la semaine prochaine.