Conte cruel de la jeunesse ou le copyright expliqué par une fille

Winter Wonderland est un peu aux USA l’équivalent de notre Petit Papa Noël de Tino Rossi, un standard de la chanson populaire qui s’en revient à chaque fois que tombent les premières neiges, et ce depuis 1934, date de sa création par Felix Bernard et Richard B. Smith.

Comme des milliers d’autres teenagers de sa génération, qui aiment la musique, en jouent et s’amusent à échanger leurs expériences sur YouTube, Juliet Waybret, 15 ans, avait téléchargé une vidéo où elle proposait sa propre interprétation de Winter Wonderland au piano.

Vous ne verrez pas cette vidéo.

Elle a en effet été supprimée par YouTube suite à une plainte des ayant-droits, en l’occurrence Warner Bros.

La distance qui nous sépare de la genèse de l’oeuvre (plus de soixante-dix ans !) associée à la notion toute américaine du Fair Use, auraient pu laisser croire que cette innocente et inoffensive reprise demeurât en ligne. Mais non, c’était sans compter sur l’implacable logique juridique et financière des Majors.

Du coup c’est une Juliet Waybret plus que désappointée qui nous relate rapidement sa mésaventure dans une autre vidéo YouTube[1] sous-titrée ci-dessous par nos soins.

Quelles leçons, elle et ses visiteurs, vont-ils en tirer ? Que peuvent-ils bien penser de ces adultes incapables de faire la distinction entre un remix créatif et une atteinte aux droits d’auteur ? L’incompréhension est grande et la rupture n’est pas loin[2].

Une anecdote à valeur de symbole que nous ferions bien de méditer au moment même où la loi « Création et Internet » est en passe d’être adoptée en France…

—> La vidéo au format webm

Notes

[1] Voici le lien vers la vidéo pointée par Juliet Waybret dans sa propre vidéo.

[2] Sur cette « affaire », on pourra également lire Contenus effacés sur YouTube, l’EFF prépare une riposte juridique sur ReadWriteWeb France.




Le bien commun : l’assaut final – Un documentaire de Carole Poliquin

Nombreux sont ceux qui pensent qu’en France le projet de loi « Création et Internet » (ou Hadopi) n’est pas qu’une simple question technique et juridique pour endiguer le « piratage », mais se situe bien au delà, sur le front politique et sociétal de la défense des biens communs contre une « marchandisation » croissante des activités humaines, ici la culture[1].

C’est pourquoi il nous a semblé intéressant de proposer aux lecteurs de passage un « vieux » documentaire que vous n’avez peut-être pas eu l’occasion de voir à sa sortie en 2002 (durée : 1 heure).

Il a pour titre Le bien commun : l’assaut final et a été réalisé par la québécoise Carole Poliquin (dont nous avons obtenu accord pour diffusion).

Voici ce qu’en disait Bernard Langlois dans le journal Politis :

Sur le fond, c’est une charge très argumentée, très démonstrative contre la mondialisation libérale, nourrie de reportages et de témoignages recueillis au Canada, au Mexique, aux États-Unis, en Inde, en France. Avec les exemples très parlants de la marchandisation en cours de tous ces « biens publics mondiaux » que sont l’eau, les semences, la santé, les gênes, les connaissances et pratiques ancestrales ou nouvelles… Un thème que nous connaissons bien, autant de tristes réalités d’aujourd’hui.

C’est la forme qui est originale, avec un parti pris d’humour en contrepoint très réussi. Carole Poliquin a repris le thème et le découpage de la Genèse, ces sept jours qui bâtirent le monde ; mais ici ce n’est pas Dieu, c’est « l’homme d’affaires » qui se donne une semaine pour asservir le monde au profit, pour créer enfin ce « marché total » qu’on nous propose comme horizon. À chaque jour son thème (l’eau, les semences etc.). Chaque soir de la semaine, l’homme d’affaires reprend son Boeing, volant dans les étoiles vers sa prochaine mission, tandis qu’une voix off commente : « Et l’homme d’affaires se dit que cela était bon pour ses actionnaires ».

On notera que vous pouvez acheter le DVD de ce documentaire directement depuis son site officiel (ou en France chez Voir et Agir), non seulement pour en obtenir une version de qualité, des bonus, etc. mais également pour soutenir l’action de Carole Poliquin et l’aider à produire de nouveaux sujets comme son dernier en date Homo Toxicus[2].

—> La vidéo au format webm

Peut-être le trouverez trop simpliste, trop « altermondialiste », ou trop… réaliste ? Peut-être aurez-vous envie d’y ajouter un « huitième jour » autour de la création numérique (logiciels, œuvres de l’esprit…) ? Peut-être êtes-vous agréablement ou désagréablement surpris de sa mise en lumière sur le Framablog ? Il ne tient qu’à vous de vous exprimer dans les commentaires ci-dessus 😉

Notes

[1] Ce « front des biens communs » fait écho à deux livres de référence du Framablog (disponible tous deux en libre téléchargement) : Du bon usage de la piraterie de Florent Latrive et Cause commune de Philippe Aigrain.

[2] Résumé du documentaire Homo Toxicus de Carole Poliquin (2008) : « Une expérience planétaire est en cours et nous en sommes les cobayes. Chaque jour, des tonnes de substances toxiques sont libérées dans l’environnement sans que nous en connaissions les effets à long terme pour les êtres vivants. Certaines d’entre elles s’infiltrent à notre insu dans nos corps et dans celui de nos enfants. En même temps que notre patrimoine génétique, nous transmettons aujourd’hui à nos enfants notre patrimoine toxique. Dans une enquête inédite, menée avec rigueur et humour à partir de ses propres analyses de sang, la réalisatrice explore les liens entre ces substances toxiques et l’augmentation de certains problèmes de santé comme les cancers, les problèmes de fertilité et l’hyperactivité. Les conclusions sont troublantes… »




Aux développeurs de logiciels libres l’État de New York reconnaissant

Oquendo - CC byDans un billet précédent nous évoquions une éventuelle journée commémorative rendant hommage aux développeurs de logiciels libres à qui nous devons tant.

Voilà que l’État de New York[1], qui s’avoue lui-même utilisateur pleinement satisfait de logiciels libres, propose une déduction fiscale pour les développeurs individuels (qui ne codent pas sur le temps de travail en entreprise). Les sommes en jeu ne sont mirifiques mais cette initiative n’en possède pas moins une belle portée symbolique, d’autant qu’à notre connaissance c’est la première du genre.

Une manière simple, pratique et… élégante pour une institution publique de témoigner de sa gratitude en incitant par là-même les développeurs à poursuivre leur si précieux travail.

New York : déduction d’impôts pour les développeurs Open Source ?

New York: Tax break for open source developers?

Djwm – 8 mars 2009 – Heise Media
(Traduction Framalang : Goofy)

Un projet de loi de l’assemblée de l’État de New York propose de donner aux développeurs Open Source la possibilité de déduire de leurs impôts 20 pour cent de leurs dépenses de développement, jusqu’à un plafond de 200 $.

Le résumé du projet de loi explique que l’Assemblée de New York a considérablement réduit ses dépenses en utilisant des logiciels Open Source tels que « Mozilla pour la messagerie, Firefox pour la navigation sur le Web et WebCal pour les agendas électroniques ».

Selon les dépositaires du projet de loi, une quantité notable de logiciels Open Source sont développés par des bénévoles isolés, chez eux, et – contrairement aux entreprises et aux développeurs qui sont leur propre patron – ils ne bénéficient pas de déductions fiscales pour leurs coûts de développement. Le projet de loi envisage d’y remédier en donnant une incitation au développement de l’Open Source. Le crédit d’impôt proposé s’appliquera seulement aux dépenses personnelles, telles que les frais d’hébergement sur un serveur, les achats de matériels ou la formation.

Notes

[1] Crédit photo : Oquendo (Creative Commons By)




Nous sommes tous des gus dans un garage

Shym0n - CC by« Nous sommes tous des juifs allemands » est l’une des citations célèbres de mai 68, proclamée par la jeunesse en signe de solidarité à Daniel Cohn-Bendit, alors interdit de séjour en France.

Ce soir, la Quadrature du Net peut compter sur « un gus de plus dans son garage », suite à la rocambolesque affaire de la dépêche AFP modifiée que nous relate le site PC INpact.

Ce dimanche 8 mars à 8h13, la dépêche AFP, titrée « Internet : texte antipiratage à l’Assemblée pour la défense de la création », se terminait ainsi :

Un collectif de citoyens, la Quadrature du Net, encourage les internautes à abreuver les députés de mails hostiles à cette loi. « Ce sont cinq gus dans un garage qui font des mails à la chaîne », relativise le cabinet de Mme Albanel.

Une « pointe » de mépris que ne manquât pas de relever PC INpact dans son premier article La Quadrature ? « 5 gus dans un garage » pour le cabinet d’Albanel.

Consciencieux, PC INpact nous a alors pondu un deuxième article : Réaction de la Quadrature du Net aux propos du ministère dont voici un large extrait :

Jérémie Zimmermann : « Nous sommes flattés de tant d’attention de la part du ministère ! Cela prouve que l’action des nombreux citoyens épris de liberté qui contactent leurs députés commence à porter ses fruits. Cela révèle la peur de la ministre de se retrouver confrontée aux réalités techniques et à l’opinion des citoyens. Quelque chose nous dit qu’elle n’a pas fini de nous faire rire !

Internet et les technologies numériques, dont le cabinet de la ministre démontre sa méconnaissance totale dans cette loi imbécile, ont été en grande partie inventés par des gus dans des garages ! C’est peut-être un juste retour des choses : l’arrivée dans le débat des gus dans les garages après des années de lobbyistes dans les cabinets ministériels.

Il faut continuer à informer ses députés, en prenant bien soin d’envoyer des mails personnalisés, et surtout en téléphonant et sollicitant des entretiens ! »

Un peu plus tard dans la journée, troisième épisode et coup de théâtre : la dépêche originale de l’AFP a été « mise à jour » et ne figure alors plus la mention des « gus dans leur garage » !

Le problème c’est qu’il est assez difficile de jouer les cachottiers sur Internet[1]. Toujours aussi consciencieux, PC INpact a en effet gardé une copie écran de la première version de la dépêche dans ce dernier article intitulé La communication autour de la loi antipiratage commence mal.

Vous voulez que je vous dise… je crois que nous nous sommes trouvés un beau slogan !

Merci l’AFP, Mme Albanel et son cabinet.

Notes

[1] Crédit photo : Shym0n (Creative Commons By)




Étudiantes, étudiants : libérez vos travaux universitaires !

Foundphotoslj - CC byLe titre de ce billet est une suggestion et non une injonction. Il invite les étudiants à considérer la mise sous licence Creative Commons de leurs écrits universitaires (mémoires, thèses…) afin de faciliter le partage, l’échange et la mise en commun du savoir et de la connaissance.

Nous avions tenté en introduction d’un billet précédent d’expliquer la différence entre « copyleft » et « copyright ». Or, en l’absence de toute mention de licence, les travaux sont alors automatiquement placés par défaut sous le régime du « copyright classique », avec des effets collatéraux, comme ceux décrits ci-dessous, qui ne sont pas forcément désirés par leurs auteurs.

Étudiantes[1], étudiants, vous pouvez bien entendu refuser ce choix (par exemple parce que, modestes, vous ne jugez pas votre travail digne d’être diffusé). Mais encore faudrait-il que vous ayez conscience qu’un tel choix existe[2].

Les choses bougent mais, nous semble-t-il, encore trop rares sont les étudiants réellement au courant de cette alternative. Et nous comptons sur les enseignants et leurs administrations universitaires pour en faire si ce n’est la promotion tout de moins le minimum syndical en matière d’information.

Copyright et Copyleft dans les publications universitaires

Copyright and Copyleft in Publications

Ian Elwood – 17 février 2009 – The Daily Californian
(Traduction Framalang : Don Rico)

Creative Commons une alternative au traditionnel copyright ou la promotion d’un accès plus large à la connaissance

Le prix des recueils de textes et documents pour les cours d’université s’élève à 200 dollars à cause des coûts excessifs des autorisations de droits d’auteur. Les bibliothèques sont paralysées par les prix exorbitants des bases de données propriétaires et des revues à accès restreint. L’accès au savoir devient de plus en plus la chasse gardée de grosses entreprises qui cherchent à rentabiliser l’éducation en limitant l’accès à l’information.

À l’université de Californie, à Berkeley, nombreux sont les étudiants à ne pas se soucier de la propriété intellectuelle ou des droits d’auteur. Même si les travaux d’étudiants tels que les thèses ou les mémoires sont la propriété de l’étudiant, jusqu’à une période récente la mention de copyright standard sur un mémoire indiquait par défaut « Tous droits réservés ». Bien que cette pratique n’ait pas d’impact direct sur l’augmentation du coût des études, un étudiant qui choisirait une solution alternative au droit d’auteur traditionnel constituerait une action modeste pouvant servir de catalyseur à la réduction de nombreux coûts dans le domaine des études.

Lawrence Lessig, professeur de droit à l’université de Stanford, a créé les licences Creatives Commons afin que les détenteurs de droits d’auteur puissent autoriser de nouvelles façons d’utiliser leurs travaux artistiques et universitaires. Le détenteur d’un copyright peut opter pour une licence « Certains droits réservés » qui encourage les autres membres de la communauté à adapter et à réutiliser ses travaux sans avoir à demander l’autorisation ou verser des droits d’auteur. Cette licence ouvre de nombreuses possibilités dans le monde universitaire, tels que la mise à disposition de recueils de textes et documents en ligne gratuits, de contenu multimédia éducatif à coût nul, et de didacticiels en ligne gratuits. Même le prix des manuels scolaires pourrait en être fortement réduit. Plus important peut-être que l’aspect financier, utiliser la licence Creative Commons revient surtout, en partageant vos productions intellectuelles avec la communauté universitaire, à apporter votre pierre à la mise en commun du savoir, car les générations futures de chercheurs auront un accès facilité à vos travaux.

Deux étudiants de Berkeley, Joseph Lorenzo Hall et Danah Boyd, ont récemment placé leur mémoire sous une licence Creative Commons. Hall s’est heurté de nombreux obstacles bureaucratiques, mais la plupart de ses difficultés provenaient de simples problèmes formels, et non d’opposition idéologique de la part l’université. Peu après, une autre diplomée de la School of Information (NdT : faculté des Sciences de l’information), Danah Boyd, a elle aussi placé son mémoire sous licence Creative Commons.

Le 28 janvier 2009, le Doyen du département de troisième cycle s’est engagé à ce que les futurs étudiants puissent opter pour la licence Creative Commons. Tous les étudiants désireux de rendre l’éducation plus abordable et plus accessible devraient envisager de recourir aux Creative Commons plutôt qu’au copyright traditionnel.

Prendre part à ce mouvement est d’une simplicité enfantine : il suffit de procéder à deux modifications sur un mémoire ou sur une thèse. Tout d’abord, l’auteur inscrit « Certains droits réservés » au lieu de « Tous droits réservés » sur la page de copyright. Ensuite, il inclut en appendice le contrat complet (Code juridique) de la licence Creative Commons de son choix. Ceux qui souhaitent libérer leur publications universitaires peuvent voir des exemples sur les sites respectifs de Joseph Lorenzo Hall et Danah Boyd.

Notes

[1] Crédit photo : Foundphotoslj (Creative Commons By)

[2] Le choix ne se limite pas aux licences Creative Commons. Ne pas oublier qu’il existe également la Licence Art Libre qui, bien que peu diffusée dans le monde anglophone, est tout aussi indiquée dans le cas qui nous concerne ici.




Le projet OpenOffice.org est-il en bonne ou mauvaise santé ?

Joseppc - CC by-saMichael Meeks n’est pas forcément neutre lorsqu’il évoque la suite bureautique libre OpenOffice.org (OOo). Il est en effet desktop Architect chez Novell, la société qui a « pactisé » avec Microsoft. A ce titre il participe activement au projet Go-oo, une version modifiée d’OpenOffice.org (située à la limite du fork, parfois appelée « alternative Novell à OOo »).

D’après Meeks, Go-oo est justement né pour pallier certaines lacunes d’OpenOffice.org, d’abord techniques mais aussi organisationnelles, principalement liées à un leadership trop fort de la société Sun sur le projet. Chiffres à l’appui, il a n’a ainsi pas hésité à qualifier OOo de « profondément malade ». C’est le sujet de la traduction du jour issue du site ZDNet (Asie).

Pour de plus amples informations, nous vous suggérons de parcourir ces deux dépêches LinuxFr : Go-oo, une alternative à OpenOffice et surtout Go-oo et OOo : fr.OpenOffice.org répond à vos questions.

Au delà de la polémique, se pose donc la question des avantages et des inconvénients d’un projet libre piloté (« de trop près » ?) par une société commerciale.

On peut également en profiter pour faire le point sur les qualités et les défaut intrinsèques de la suite bureautique OpenOffice.org par rapport à la concurrence. Selon certains observateurs, MS Office 2007 aurait ainsi pris un peu d’avance ces derniers temps, surtout si Microsoft se décide à réellement implémenter nativement le format ODF (ce qui n’est pas encore le cas malgré les déclarations d’intention). Sans oublier les solutions « dans les nuages » de type Google Docs qui font de plus en plus d’adeptes[1].

Openoffice.org est-il un cheval mourant ?

Is OpenOffice.org a dying horse?

Eileen Yu – 12 janvier 2009 – ZDNet Asia
(Traduction Framalang : Vincent)

Openoffice.org n’a toujours pas dépassé sa date d’expiration, mais il y a encore beaucoup à faire pour piloter et organiser la participation de la communauté et s’assurer que le logiciel Open Source reste pertinent, affirment des observateurs du secteur.

Officiellement sortie sur le marché en avril 2002, Openoffice est une suite bureautique Open Source disponible en téléchargement gratuit. Sun Microsystems en est le premier sponsor et le principal participant au code du projet OpenOffice, qui compte également Novell, Red Hat, IBM et Google parmi les sociétés contributrices.

Sun a cependant été critiqué pour son contrôle trop étroit d’un projet qui n’encourage alors pas assez la participation communautaire.

Dans un article de son blog posté en Octobre l’année dernière, Michael Meeks, développeur d’OpenOffice.org, incluait des données et des statistiques qui, disait-il, soulignaient le « lent désengagement de Sun » et « une spectaculaire baisse de croissance » de la communauté des développeurs OpenOffice.

En le qualifiant de « mourant » et de « projet profondément malade », Meeks demandait à Sun de s’éloigner de OpenOffice et de réduire sa mainmise sur le code. Contacté sur ce point, Sun n’a pas été en mesure de répondre à l’heure où nous mettions sous presse.

Dans une interview réalisée par e-mail avec ZDNet Asie, Meeks reconnaît que Sun est un participant important à OpenOffice, fournissant le plus grand nombre de développeurs au logiciel. Cependant, il a ajouté qu’il devrait y avoir plus de contributeurs de grandes sociétés impliquées dans le projet.

« Je pense que la raison pour laquelle les autres sociétés trouvent difficile de s’impliquer fortement dans OpenOffice et précisément le fait que Sun possède et contrôle l’ensemble du projet », note-t-il. « Il est alors plus compliqué d’attirer une large base de participants. »

« Les sociétés investissent largement dans Linux qui a alors plus de succès pour attirer des développeurs que OpenOffice. »

Le job de Meeks est d’être le leader de l’équipe de développement OpenOffice.org chez Novell, mais il tient à souligner que ses réflexions sur OpenOffice ne reflètent pas celles de son employeur.

« Il y a beaucoup de problèmes de process (associés avec OpenOffice) et un manque d’engagement externe, et même lorsqu’il s’agit de changement de code mineure les procédures se révèlent super-pesantes pour n’importe quel changement de code mineur. Les problèmes pourraient être facilement résolues dans un communauté plus large », a-t-il dit.

La contribution au code n’est pas un indicateur précis

David Mitchell, vice-président senior de la recherche IT chez Ovum, est en désaccord avec le fait qu’un manque de contribution communautaire doit être interprété négativement, en notant que le succès des produits Open Source dépend de l’adoption du produit par les utilisateurs, pas du profil des développeurs.

« L’implication et l’engagement des développeurs diffèrent selon la maturité des projets, les projets matures auront presque toujours moins de nouveau code validé que les projets tous neufs », expliquait Mitchell dans un échange de mails. « Une restructuration massive d’un code défaillant ou mal structuré peut aussi produire de nombreuses lignes de code, mais ne va pas nécessairement refléter un produit solide et robuste. »

Le code de OpenOffice, a-t-il ajouté, est déjà « assez mature » et « relativement stable ».

Peter Cheng, fondateur et responsable d’une firme de conseil en Open Source, TargetSource, est d’accord.

Contestant l’observation de Meek selon laquelle le logiciel est « mourrant », Cheng a déclaré à ZDNet Asie que le code de OpenOffice continuait à croître, quoique à un rythme plus lent.

Parce que le logiciel est devenu un projet vaste et complexe, on ne peut pas s’attendre à ce que son code croisse au même rythme que lorsqu’il a été lancé, déclara-t-il. Basé à Pékin, Cheng est aussi un blogueur de ZDNet Asie sur l’Open Source.

Il a noté que OpenOffice est supporté par une communauté de 451 contibuteurs.

D’après Khairil Yusof, un développeur de logiciel Open Source consultant chez Inigo Consulting, une équipe réduite de collaborateurs actifs n’est pas un problème majeur pour les utilisateurs de grandes sociétés.

De par la nature de l’Open Source et des standards ouverts, dit Yusof, les sociétés peuvent fournir des services de développeurs indépendants ou de fournisseurs de service Open Source, pour travailler sur OpenOffice et corriger des problèmes critiques pour leurs affaires. Basé en Malaisie, Inigo fournit des services de conseil spécialisés dans le logiciel Open Source.

« Ceci peut être fait indépendamment même de Sun ou Novell, sur le modèle de ce qu’a fait Novell avec sa propre version de OpenOffice », a-t-il dit à ZDNet Asie.

Est-ce que Sun doit renoncer à son rôle ?

D’après Mitchell, savoir si Sun doit renoncer à son rôle est discutable parce que ça ne changerait pas forcément les choses pour la communauté ou le produit.

« La forte gouvernance du développement qui provient d’un sponsor principal pourrait bien alors souffrir d’une fragmentation de la communauté », nous dit l’analyste.

Meeks, de son côté, pense que le logiciel se porterait bien mieux sans Sun sur son dos.

Il nous a expliqué que le conseil communautaire qui supervise OpenOffice a simplement un rôle consultatif et ne possède rien dans le logiciel.

« Ceci a l’air tout beau et ouvert, mais il n’a aucune autorité réelle. La gouvernance actuelle est assez sclérosée, et n’est clairement pas orientée vers les développeurs », dit-il. « Pire, sous le capot, la seule entité légale qui possède les avoirs intéressants est Sun. »

« A cause de cela, vous pouvez traduire des questions comme pourquoi les gens n’investissent-ils pas dans OpenOffice ? en pourquoi les gens n’investissent pas dans Sun ? La réponse étant, je pense, assez triviale : parce que c’est une société commerciale », raconte Meeks.

« Si nous pouvions transformer OpenOffice en fondation, avec une gouvernance juste et représentative par les développeurs, alors oui, je suis certain que le projet se porterait bien mieux sans un veto de Sun à chaque étape », dit-il.

Yusof supporte également l’appel de Meeks pour que Sun abandonne sa propriété.

« Comme c’est souvent le cas avec d’autres projets réussis et orientés vers une communauté active de développeurs, c’est souvent mieux que la gestion du projet soit faite par une fondation indépendante », explique-t-il.

La Fondation Apache, par exemple, a été fondé par des concurrents commerciaux, tels que IBM et Microsoft, dit-il. La fondation Gnome est également co-opérée par des concurrents tels que Red Hat, Sun et Novell, qui contribuent tous activement au développement du logiciel, ajoute Yusof.

Meeks a ajouté que cette façon de faire pourrait également être une bonne opportunité pour Sun, car cela attirerait plus d’intérêt autour d’OpenOffice, réduirait la fragmentation actuelle, et construirait un OpenOffice plus grand et plus apprécié. Sun serait alors bien positionné pour tirer de substantiels bénéfices du support de ses développements potentiels.

Mitchell note que OpenOffice 3.0 a été une version majeure en 2008, et que l’on devrait voir une adoption croissante cette année.

Les fournisseurs qui ont fait du développement spécifique sur OpenOffice vont également aider à son adoption, dit Mitchell, citant pour l’exemple la suite Lotus Symphony de IBM, qui a été développée sur la base du code OpenOffice. L’analyste pense que 2009 sera « une bonne année » pour OpenOffice en termes de croissance du nombre d’utilisateurs.

« Cependant, savoir si Sun pourra transformer cette augmentation de l’adoption de OpenOffice en source de revenus est une autre affaire », dit-il. « Monétiser MySQL et OpenSolaris est probablement plus facile pour Sun, car la demande en contrats de supports pour les entreprises est probablement plus grande. »

Cheng a déclaré : « Sun est bon dans la technologie, mais pas dans les affaires ».

Il a ajouté que, même si la société a depuis plusieurs années adhéré au logiciel, spécifiquement Open Source, comme part intégrante de sa stratégie, Sun est de manière inhérente « encore une société de matériel ». « Toutes les intentions de la société sont focalisées sur la vente de ses machines », dit-il.

« Je pense que la chose la plus importante pour Sun, par rapport à sa stratégie avec OpenOffice, est de déterminer comment équilibrer la communauté et les affaires », dit Cheng, ajoutant que la communauté des développeurs doit avoir suffisamment d’espace de liberté pour « gérer les choses comme elle l’entend ».

« Si vous regardez la fondation Eclipse, dans les cinq dernières années, elle a bâti un bel écosystème autour de la plate-forme. Chaque participant à la communauté peut en bénéficier, pas seulement les individus, mais également les entités commerciales. »

« OpenOffice devrait repenser sa position en tant que communauté Open Source, améliorer la structure de gouvernance de cette communauté, et inciter plus de collaborateurs d’enterprises aussi bien qu’individuels se joindre au projet », dit-il.

Garder une communauté active de développeurs

Maintenir un écosystème en bonne santé, et une communauté active est critique pour le développement des logiciels libres, note Cheng. Il ajoute que les innovations les plus importantes seront impulsées quand le processus de développement recueillera plus de participants.

Sur ce point, Meeks est d’accord, en notant que les développeurs sont le plus grand challenge que le projet OpenOffice ait à résoudre.

« Nous devons rentrer dans le jeu, être fiers de notre code, en lire plus, le réparer, l’affiner et l’améliorer. Nous devons être plus rapide, plus concis, plus clair presque partout dans le code, il y a un énorme travail à faire », dit-il. « Bien sûr, du point de vue des fonctionnalités, nous devons également rester compétitifs. »

« Ce n’est pas le travail qui manque dans OpenOffice. Par exemple, le nouveau composant Base nécessite un large effort pour le rendre comparable à Access, et nous avons également besoin d’un concurrent à Visio, etc. », dit-il.

Meeks note un contraste fort entre la participation de la communauté sur le noyau Linux et sur OpenOffice. « Linus (Torvalds) a déclaré plusieurs fois que le noyau Linux était presque terminé et inintéressant, que les gens devaient se focaliser sur les couches plus hautes du système, et pourtant, il semble attirer toujours plus de participants. »

« OpenOffice a clairement de nombreux points à améliorer, et pourtant il attire un faible nombre de collaborateurs, cela montre clairement qu’il y a un problème. »

Les licences, également, peuvent devenir un problème.

Cheng note que OpenOffice est actuellement soumis à de trop nombreuses licences, notamment la GPL 3, la nouvelle licence BSD, et Mozilla Public Licence 1.0.

« Quiconque voudrait construire une application basée sur OpenOffice sera face à des problèmes juridiques trop complexes à traiter », dit-il. « Je pense que c’est pour cela que l’écosystème de OpenOffice ne fonctionne pas aussi bien que celui d’Eclipse. »

Notes

[1] Crédit photo : Joseppc (Creative Commons By-Sa)




De l’efficacité des agités du bocal Internet

Grégoire Lannoy - CC byNumerama et le Framablog ont une intersection de lecteurs non vide mais une réunion non confondue. Lorsque l’excellent Guillaume Champeau a mis en ligne l’article que je vous propose reproduit ci-dessous, je lui ai de suite envoyé un mail pour le féliciter et lui dire qu’il me dispensait alors d’écrire un billet similaire qui me trottait dans la tête depuis un petit bout de temps (oui, je sais, ça mange pas de pain, et ça fonctionne avec tout le monde : bonjour Mr Kant, merci pour votre Critique de la raison pure, que j’avais justement pour projet de rédiger…).

Comment se fait-il qu’on se retrouve avec un projet de loi Hadopi qui fait quasiment l’unanimité contre lui sur le Net mais qui se heurte à l’indifférence de Mme Michu ? La faute aux grands médias ? Non, la faute aux internautes qui se complaisent à penser qu’en restant assis le cul derrière leur chaise à parer leur site de noir, il vont faire pencher la balance du bon côté. Telle serait, en (très) gros, la problématique posée par l’article.

Bon, il faut dire aussi que l’on n’est pas forcément aidé par nos représentants publiques, à commencer par certains partis politiques[1] traditionnels qui se distinguent par leur… atonie ! Le parti Chasse, pêche, nature et traditions défend des intérêts bien identifiés, faudra-t-il en venir à la création d’un équivalent du Parti pirate suédois ?

En apparté : Même si de gros progrès ont eu lieu ces derniers temps sous l’impulsion de nombreux acteurs de terrain, on est assez proche de la même situation pour ce qui concerne Mme Michu et les logiciels libres : il y a bien un moment où il faut descendre dans l’arène si on veut réellement être efficace et rassembleur (on en parlait hier justement).

Riposte graduée : pourquoi la contestation s’arrête aux frontières du net ?

URL d’origine du document

Guillaume Champeau – 5 mars 2009 – Numerama.com
Licence Creative Common By-Nc-Nd

A moins d’une semaine de l’examen du projet de loi Création et Internet, le débat sur la riposte graduée et ses implications sur la société tout entière n’a pas émergé. Pas en dehors du net, où les voix, pourtant extrêmement nombreuses et majoritaires, ne se font pas entendre. Pourquoi ?

Le débat sur la loi Création et Internet et la riposte graduée doit débuter mardi à l’Assemblée Nationale. Et Madame Michu l’ignore.

Elle ignore que le texte présenté par le gouvernement prévoit de l’obliger à sécuriser sa connexion à Internet, et qu’elle n’aura ni les moyens juridiques ni les moyens matériels de se défendre si, par malheur, elle était accusée par l’Hadopi d’avoir téléchargé le dernier single de P. Diddy. Laurence Ferrari ne l’a pas prévenue.

Elle ignore, aussi, que le texte pose la première pierre d’une obligation générale de filtrage qui, sans qu’un juge n’ait son mot à dire, aboutira à limiter la liberté d’expression de ses concitoyens, au bon vouloir du gouvernement. David Pujadas n’en a rien dit.

Elle ignore enfin, que le paysage dévasté par le piratage que décrit Nicolas Sarkozy a été dessiné par les lobbys qui ont intérêt à voir la loi s’appliquer, alors qu’il est en fait riche de mille fleurs et n’a jamais été aussi prolifique. Le Président l’a dit dans sa dernière interview : « on m’a fait beaucoup de reproches dans ma vie politique, pas de mentir ». Comment Madame Michu pourrait-elle en douter ?

Comment Madame Michu pourrait-elle savoir que le projet de loi anti-piratage qu’on lui présente comme un texte de pédagogie et de méthode douce favorable aux artistes vise en réalité à contourner la justice au bénéfice de quelques intérêts privés et à imposer à tous les internautes des outils de filtrage qui pourront être employés, à des fins politiques, pour censurer tel ou tel site Internet gênant. Ou, de manière plus subtile et en apparence plus démocratique, pour favoriser les sites d’information sponsorisés par l’Etat qui recevront un label de qualité pris en compte par les filtres imposés par l’Hadopi ?

La loi Création et Internet n’est pas une loi sur le piratage, c’est une loi sur la liberté d’expression, qui concerne tout le monde.

L’opposition, sur Internet, existe. Elle est même très vive. Il est difficile, voire impossible, de trouver des communautés favorables à la loi, y compris dans les rangs de l’UMP. Mais comme au moment de la loi DADVSI, le débat reste figé dans les frontières d’Internet. Les actions, qu’elles soient symboliques ou plus musclées, restent cloîtrées dans les mailles de fibres optiques, sans jamais atteindre le tube cathodique (ou la dalle LCD) de Madame Michu. Même François Bayrou, qui a fait de la défense des valeurs républicaines et d’Internet son cheval de bataille lors la dernière élection présidentielle, se désintéresse totalement de la loi Création et Internet alors qu’elle pourrait apporter au MoDem une vitrine précieuse à quelques mois des élections européennes. Les quelques députés du Parti Socialiste qui s’apprêtent à défendre avec force les internautes à l’hémicycle, le feront sans le soutien public de leur première secrétaire Martine Aubry, qui se garde bien de se mettre les artistes les plus populaires à dos, et surtout sans la force médiatique que peut offrir l’appareil lorsqu’il se met en marche pour attaquer le fichier Edvige ou le CPE.

Comme il y a trois ans avec la loi DADVSI, le débat sur la loi Création et Internet restera un débat de spécialistes, concentré sur les questions techniques et sur les dommages causés par le piratage, sans que les questions sociétales ne soient soulevées.

La faute aux médias ? Non, la faute aux internautes, incapables de porter leur opposition au delà des frontières du numérique.

Nicolas Vanbremeersch, plus connu sous le pseudonyme de Versac, tente une explication intéressante sur le site Slate.fr : « Les internautes sont incapables de s’organiser pour faire pression avec efficacité (…) Il existe un camp, en France, prêt à rassembler plusieurs centaines de milliers de signataires sur une pétition, plusieurs dizaines de milliers de relais actifs, mais incapable de transformer cette action dans la vraie vie (…) Le web manque d’acteurs qui ont un réel intérêt dans cette affaire. Pas de génération spontanée d’acteur fédérateur, militant, actif. »

« Cette absence de mobilisation est symptomatique, non de la déshérence des internautes, mais de l’atonie des corps constitués, des intermédiaires de représentation, des syndicats et associations, qui, pour la plupart, ne sont pas à la recherche de soutiens populaires, d’appels à mobilisations. C’est également symptomatique d’un corps politique également assez protégé de l’opinion, et attendant plus de son leader politique que des citoyens mobilisés. A force de blocages, de manque d’ouvertures, d’autisme, les corps constitués anéantissent l’espoir des citoyens que leurs mobilisations puissent parvenir à quelque chose. La lassitude est forte. »

« A travers le débat sur Hadopi, c’est en fait l’effritement d’un système médiatique et politique, ses failles, ses lambeaux de peinture, qui sont mis sous nos yeux, et la nécessité d’une forme de renouveau, qui peut venir du web, qui est, en creux, mise en exergue », estime Nicolas Vanbremeersch.

Le net, qui réinvente des modèles économiques parfois proches d’une forme de néo-communisme, porte peut-être en lui le germe d’une nouvelle démocratie qui ne voit pas l’utilité d’aller se faire entendre dans le champ traditionnel de la démocratie déclinante. On commence à voir apparaître, en Suède, toute une nouvelle génération d’électeurs prête à porter aux urnes une nouvelle forme de démocratie. Si les lois ne s’adaptent pas à Internet, les internautes les ignoreront, comme ils l’ont fait depuis 10 ans des lois anti-piratage. Chaque nouvelle législation qui tente de ramener Internet vers les lois historiques de la démocratie traditionnelle en ignorant les spécificités et la culture sociétales portées par Internet accentuent une tension entre deux mondes qui, un jour, explosera, sous une forme ou sous une autre.

Et vous, qu’en pensez-vous ? Pourquoi sommes nous incapables de lancer des chaussures contre le ministère de la culture, d’entourer le cercueil de la justice dans une longue procession funèbre de la place Vendôme jusqu’à la Bastille, ou de bloquer les trains gare du Nord ?

Notes

[1] Crédit photo : Grégoire Lannoy (Creative Commons)




Que pensez-vous de la Fondation Bill & Melinda Gates ?

Meanest Indian - CC byJe viens de parcourir un article extrêmement critique vis-à-vis de la Bill & Melinda Gates Foundation. Le titre parle de lui-même : Bill Gates, apôtre de l’impérialisme humanitaire.

Cet article est issu de Mondialisation.ca. Je ne connaissais pas ce site mais, d’après ce que j’ai pu rapidement observer, il s’inscrit dans une mouvance altermondialiste pour le moins radicale vis-à-vis de la politique et des responsabilités des États-Unis (et son « complice » Israël) dans la situation du monde actuelle, participant comme d’autres à remettre par exemple en cause les thèses officielles sur le 11 septembre.

Il conviendra donc de parcourir l’article avec les précautions d’usage liées à ce positionnement (d’autant que cela manque parfois de sources) mais il n’en demeure pas moins qu’il pose de nombreuses questions et laisse souvent perplexe voire pantois.

D’ailleurs même l’article dédié de Wikipédia, pourtant succinct car en ébauche, propose un paragraphe « Critiques » où l’on peut lire (pour le moment) ceci :

D’après le Los Angeles Times, la Fondation Bill & Melinda Gates aurait investi 423 millions de dollars dans les entreprises ENI, Royal Dutch Shell, Exxon Mobil, Chevron Corporation et Total. Ces investissements iraient à contre-courant des objectifs de la fondation, le Los Angeles Times citant dans un dossier de huit pages le cas du delta du Niger où la fondation lutte contre la poliomyélite et la rougeole et dans le même temps finance les entreprises pétrolières qui sont responsables d’une très grande partie de la pollution du fleuve et de l’air, à l’origine de maladies notamment respiratoires.

Mais revenons à notre article initial. La thèse défendue ici est bien résumée dans la conclusion :

Sous prétexte de charité, Gates impose la loi de la finance jusque dans le domaine des solidarités internationales. A travers sa fondation, le philanthrope américain domine progressivement la scène mondiale de l’action humanitaire et impose sa suprématie donc ses dictats. Sa fondation est en cela un instrument essentiel de l’influence américaine dans le monde. Une poignée d’individus confisque ainsi l’aide humanitaire avec la passivité complice des Etats qui renoncent à leur rôle de garant du bien collectif et de la justice sociale.

La fondation Bill & Melinda Gates, c’est à la fois la privatisation de l’action humanitaire au profit des multinationales et le cheval de Troie de l’impérialisme américain.

Je vous laisse juge de ce constat. Quoiqu’on en pense, il me semble que la question suivante est assez légitime : « Mais pourquoi monter sa propre association humanitaire au lieu de faire des donations à un organisme ou à une association existants, qui partagent les mêmes objectifs et qui disposent déjà d’une expertise reconnue dans ce domaine ? ». Tout comme il est légitime de s’interroger sur le pouvoir et l’influence d’un organisme qui pèse (dixit l’article) près de 60 milliards de dollars, dépassant ainsi les budgets de l’Unesco, OMS et FMI réunis !

Plus près de nous (c’est-à-dire de la ligne éditoriale de ce blog), il y a aussi la problématique (et la « culture ») des licences et des brevets qui ont massivement contribué à faire la richesse de Bill Gates avec Microsoft. La Fondation est-elle à même de favoriser par exemple les médicament génériques[1] dans les pays qui en ont le plus besoin ? Idem pour les logiciels libres dans les plans d’éducation et du lutte contre la fracture numérique où est engagée la Fondation[2].

Un dernier extrait :

Cinq ans après, selon des chiffres de l’OMS, il n’y a toujours aucun générique disponible dans la plupart des pays en voie de développement et malgré les négociations à l’OMC pour permettre aux populations des pays en développement d’accéder à des médicaments bon marché, la politique de libre-échange des Etats-Unis réduit à néant les quelques avancées obtenues. Au mépris de leurs engagements multilatéraux, les Etats-Unis se sont lancés dans une politique effrénée d’accords régionaux et bilatéraux de libre-échange avec les pays en développement. Ces accords imposent systématiquement aux pays signataires des dispositions en matière de propriété intellectuelle, dites « ADPIC+ », plus contraignantes que celles de l’accord ADPIC (rallongement de la durée des brevets au-delà de 20 ans, extension des critères de brevetabilité, blocage de l’enregistrement des génériques, etc.). Elles limitent également le recours à un certain nombre de flexibilités prévues par la déclaration de Doha sur l’accord ADPIC et la Santé Publique, notamment le recours plein aux licences obligatoires et aux importations parallèles.

Ce n’est pas Bill Gates qui s’élèvera contre ce principe de protection des brevets et de monopole. Fondateur de la multinationale informatique Microsoft, sa fortune fut acquise grâce à une démarche commerciale agressive qui tenta d’imposer partout dans le monde un système d’exploitation et les logiciels coûteux qui les accompagnent. Ainsi, lors d’une tournée en Afrique effectuée avec son épouse pour le compte de sa fondation, il a organisé une réunion en 2003, sur le thème de « L’édification de la société de l’information en Afrique ». A cette occasion, il a qualifié Microsoft de « meilleure entreprise du monde » pour proposer des logiciels gratuits, des formations, le tout subventionné par la Gates Foundation dont les sommes énormes ont déjà séduit des pays comme l’Ouganda, l’Angola et la Namibie, les dissuadant d’utiliser les logiciels libres. A ce titre, il cherche à s’immiscer dans le projet « One Laptop per Child » qui vise à terme à équiper les enfants scolarisés des pays émergents d’ordinateurs à prix réduit, soit 100 dollars. Conformément à cette démarche, ces machines sont pourvues de logiciels libres dont Linux; voyant cela, le PDG de Microsoft, qui avait dénigré ce projet dans un premier temps, a fait ajouter une carte externe à ces ordinateurs pour pouvoir les faire fonctionner sous Windows.

Le titre de ce billet ouvre sur une question et attend vos réponses. La Fondation est-elle un agent déguisé du grand complot américain ou une réel bienfaiteur de l’humanité candidat au Nobel de la Paix ?

Notes

[1] Pour ce qui concerne cette question des médicaments génériques et plus généralement des licences et des brevets dans l’industrie pharmaceutique, on pourra lire ou relire Du bon usage de la piraterie de Florent Latrive.

[2] Crédit photo : Meanest Indian (Creative Commons By)