Google, Apple et l’inexorable déclin de l’empire Microsoft

Seanmcgrath - CC byQuel est le dénominateur commun des récents évènements qui ont défrayé la chronique du Web ? L’absence de Microsoft.

On peut à juste titre critiquer Google, et son jeu du chat et de la souris avec nos données personnelles. Dernier exemple en date : Google Buzz.
On peut en faire de même avec Apple, qui prend un malin plaisir à enfermer les utilisateurs dans son écosystème. Dernier exemple en date : l’iPad.

Il n’empêche que ces deux géants innovent en permanence et se détachent chaque jour un peu plus d’un Microsoft visiblement trop lourd pour suivre le rythme[1].

C’est ce que nous rappelle Glyn Moody dans ce très intéressant article qui vient piocher dans la toute fraîche actualité des arguments de son édifiante conclusion.

Il note au passage que contrairement à Microsoft, Google (beaucoup) et Apple (avec parcimonie) utilisent des technologies open source. Ceci participe aussi à expliquer cela.

Il s’est passé quelque chose, mais où est passé Microsoft ?

Something Happened: Where’s Microsoft?

Glyn Moody – 15 février 2010 – ComputerWorld.uk
(Traduction Framalang : Goofy)

Vous en avez probablement entendu parler, la semaine dernière il y a eu tout un pataquès à propos de Google Buzz et de ses conséquences sur le respect de la vie privée. Et voici ce que Google a répondu :

Nous avons bien reçu votre réaction, cinq sur cinq, et depuis que nous avons lancé Google Buzz il y a quatre jours, nous avons travaillé 24h sur 24 pour dissiper les inquiétudes que vous avez exprimées. Aujourd’hui, nous voulons vous informer que nous avons fait ces derniers jours une quantité de modifications en tenant compte des réactions que nous avons reçues.

D’abord, l’ajout automatique des contact suivis. Avec Google Buzz, nous avons voulu faire en sorte que les premiers pas soient aussi rapides et aisés que possible, et donc nous ne voulions pas que vous ayez à reconstruire manuellement votre réseau social depuis zéro. Cependant, beaucoup de gens voulaient juste essayer Google Buzz pour voir en quoi il pouvait leur être utile, et ils n’ont pas été contents de voir qu’ils avaient déjà une liste de contacts suivis. Ce qui a soulevé une énorme vague de protestations et incité les gens à penser que Buzz affichait automatiquement et de façon publique ceux qu’ils suivaient, avant même d’avoir créé un profil.

Jeudi dernier, nous avons entendu dire que les gens trouvaient que la case à cocher pour choisir de ne pas afficher publiquement telle ou telle information était difficile à trouver, nous avons aussitôt rendu cette option nettement plus repérable. Mais ce n’était évidemment pas suffisant. Donc, à partir de cette semaine, au lieu d’un modèle autosuiveur, avec lequel Buzz vous donne automatiquement à suivre des gens avec lesquels vous échangez le plus sur le chat ou par email, nous nous orientons vers un modèle autosuggestif. Vous ne serez pas voué à suivre quiconque avant d’avoir parcouru les suggestions et cliqué sur « Suivez les contacts sélectionnés et commencez à utiliser Buzz ».

Le plus intéressant dans cette histoire c’est que 1. Google aurait pu prévoir un problème aussi évident et crucial et 2. ils ont réagi non pas une mais deux fois en quelques jours à peine. C’est ce qui s’appelle vivre à l’heure d’Internet, et démontre à quel point les choses ont changé depuis le « bon vieux temps » – disons il y a quelques années – où les erreurs pouvaient mariner plusieurs mois dans un logiciel avant qu’on prenne la peine de s’en occuper.

Mais ce n’est pas le seul évènement qui s’est produit la semaine dernière. Relativement masquée par l’excitation autour de Buzz, voici une autre annonce de Google :

Nous avons le projet de réaliser un réseau à large bande ultra-rapide dans quelques localités tests aux États-Unis. Nous fournirons un accès à Internet par fibre optique à 1 gigabit par seconde, soit cent fois plus rapide que ce que connaissent aujourd’hui la plupart des Américains connectés. Nous avons l’intention de procurer ce service à un prix concurrentiel à au moins 50 000 personnes, et potentiellement jusqu’à 500 000.

Notre objectif est d’expérimenter de nouvelles façons d’aider chacun à accéder à un Internet plus rapide et meilleur. Voici en particulier ce que nous avons en tête :

Les applications du futur : nous voulons voir ce que les développeurs et les utilisateurs peuvent faire avec des vitesses ultra-rapides, que ce soit des applications révolutionnaires ou des services utilisant beaucoup de bande passante, ou d’autres usages que nous ne pouvons même pas encore imaginer.

Nouvelles techniques de déploiement : nous testerons de nouvelles façons de construire des réseaux de fibre optique, et pour aider à l’information et au support de déploiement partout ailleurs, nous partagerons avec le monde entier les leçons que nous en aurons tirées.

Le choix et l’ouverture : nous allons organiser un réseau en « accès ouvert », qui donnera aux usagers le choix parmi de multiples prestataires de services. Et en cohérence avec nos engagements passés, nous allons gérer notre réseau d’une façon ouverte, non-discriminatoire et transparente.

Google a démarré, souvenez-vous, comme un projet expérimental sur la recherche : en arriver à déployer chez un-demi million d’utilisateurs finaux des connexions par fibre optique à 1 gigabit, voilà qui en dit long sur le chemin parcouru par Google. Tout aussi impressionnante dans le même genre, l’irruption de Google dans monde des mobiles avec Android. Là encore, le lien avec le moteur de recherche n’est peut-être pas évident à première vue, mais tout cela revient à essayer de prédire le futur en l’inventant : Google veut s’assurer que quel que soit le chemin que prendra le développement d’Internet, il sera bien placé pour en bénéficier, que ce soit par la fibre à débit ultrarapide ou par des objets intelligents et communicants que l’on glisse dans sa poche.

Google n’est pas la seule entreprise qui se réinvente elle-même en permanence. C’est peut-être Apple qui en donne l’exemple le plus frappant, c’était pourtant loin d’être prévisible il y a quelques années. Mais au lieu de disparaître, l’entreprise Apple a colonisé la niche lucrative des produits informatiques sophistiqués, en particulier les portables, et a fini par remodeler non seulement elle-même mais aussi deux marchés tout entiers.

Le premier a été celui de la musique numérique, qui se développait bien mollement sous les attaques répétées d’une industrie du disque à courte vue, qui pensait pouvoir conserver le rôle qu’elle jouait dans le monde de l’analogique, celui d’intermédiaire obligé entre les artistes et leur public. En utilisant ses pouvoirs quasi hypnotiques, Steve Jobs s’est arrangé pour faire avaler à l’industrie du disque le lot iTunes + iPod, et la musique numérique a décollé comme jamais auparavant pour toucher l’ensemble de la population.

Tout aussi significative a été la décision de Jobs d’entrer dans le monde des téléphones portables. Le iPhone a redéfini ce que devait être un smartphone aujourd’hui, et a accéléré la convergence croissante entre l’ordinateur et le téléphone. Beaucoup pensent qu’avec son iPad Apple est sur le point de transformer la publication numérique aussi radicalement qu’il a déjà bouleversé la musique numérique.

Quoi que vous pensiez de ces récents évènements, une chose est parfaitement claire : pas un seul des événements les plus excitants du monde de l’informatique – Buzz, le réseau par fibre à 1 gigabit, le iPad, Android et tout le reste – n’est venu de chez Microsoft. La façon dont Google et Apple ont complètement masqué les nouveautés de Microsoft pendant des mois est sans précédent, et je pense, représente un tournant décisif.

Parce que nous assistons à la fin du règne de Microsoft en tant que roi de l’informatique – sans fracas, mais avec un petit gémissement. Bien sûr, Microsoft ne va pas disparaître – je m’attends vraiment à ce qu’il soit là encore pour des décennies, et qu’il distribue de jolis dividendes à ses actionnaires – mais Microsoft sera tout simplement dépourvu d’intérêt dans tous les domaines-clés.

Ils se sont plantés en beauté sur le marché de la recherche en ligne ; mais, d’une façon plus générale, je ne connais pas un seul service en ligne lancé par Microsoft qui ait eu un impact quelconque. Et ça n’est pas mieux côté mobile : bien que Windows Mobile ait encore des parts de marché pour des raisons historiques, je pense que personne, nulle part, ne se lève le matin en se disant « Aujourd’hui il faut que je m’achète un Windows Mobile », comme le font manifestement les gens qui ont envie d’un iPhone d’Apple ou d’un des derniers modèles sous Android comme Droid de Motorola ou Hero de HTC (même moi j’ai acheté ce dernier modèle il y a quelques mois).

Quant au marché de la musique numérique, le Zune de Microsoft est pratiquement devenu le nom générique de la confusion électronique, tant le système est mauvais et mal-aimé. Et même dans le secteur où la part de marché de Microsoft est davantage respectable – celui des consoles de jeu – le problème de l’infâmant « cercle rouge de la mort » menace là encore de ternir sa réputation.

Tout cela nous laisse l’informatique grand public comme dernier bastion de Microsoft. Malgré des tentatives constamment renouvelées de la part des experts (dont votre serviteur) pour proclamer « l’année des ordinateurs GNU/Linux », Windows donne peu de signes qu’il lâche prise sur ce segment. Mais ce qui est devenu de plus en plus flagrant, c’est que les tâches informatisées seront menées soit à travers le navigateur (porte d’accès à l’informatique dans les nuages) soit à travers les smartphones tels que que le iPhone ou les mobiles sous Android. Les uns comme les autres rendent indifférent le choix du système d’exploitation de l’ordinateur de bureau (d’autant que Firefox tend de plus en plus à faire jeu égal avec Internet Explorer sur beaucoup de marchés nationaux), donc savoir si l’on trouve Windows ou GNU/Linux à la base de tout ça est une question vraiment sans intérêt.

Mais vous n’êtes pas obligés de me croire. Dick Brass est bien mieux placé que moi pour en parler, il a été vice-président de Microsoft de 1997 à 2004. Voici ce qu’il a écrit récemment dans le New York Times :

Microsoft est devenu empoté et peu compétitif dans l’innovation. Ses produits sont décriés, souvent injustement mais quelquefois à juste titre. Son image ne s’est jamais remise du procès pour abus de position dominante des années 90. Sa stratégie marketing est inepte depuis des années ; vous vous souvenez de 2008 quand Bill Gates s’est laissé persuader qu’il devait littéralement se trémousser face à la caméra ?

Pendant qu’Apple continue à gagner des parts de marché sur de nombreux produits, Microsoft en perd sur le navigateur Web, le micro portable haut de gamme et les smartphones. Malgré les milliards investis, sa gamme de Xbox fait au mieux jeu égal avec ses concurrents du marché des consoles de jeu. Du côté des baladeurs musicaux, ils ont d’abord ignoré le marché puis échoué à s’y implanter, jusqu’à ce qu’Apple le verrouille.

Les énormes bénéfices de Microsoft – 6,7 milliards de dollars au trimestre dernier – viennent presque entièrement de Windows et de la suite Office qui ont été développés il y a des décennies (NdT : cf ce graphique révélateur). Comme General Motors avec ses camions et ses SUV, Microsoft ne peut pas compter sur ces vénérables produits pour se maintenir à flot éternellement. Le pire de tout ça d’ailleurs, c’est que Microsoft n’est plus considéré comme une entreprise attractive pour aller y travailler. Les meilleurs et les plus brillants la quittent régulièrement.

Que s’est-il passé ? À la différence d’autres entreprises, Microsoft n’a jamais développé un authentique processus d’innovation. Certains de mes anciens collègues prétendent même qu’elle a développé en fait un processus de frein à l’innovation. Bien qu’elle dispose des laboratoires les plus vastes et les meilleurs du monde, et qu’elle se paie le luxe d’avoir non pas un mais trois directeurs de recherches technologiques, l’entreprise s’arrange habituellement pour réduire à néant les efforts de ses concepteurs les plus visionnaires.

Il y a quelque chose de profondément ironique dans cet échec à innover, parce que Microsoft n’a pas cessé d’invoquer l’innovation comme argument principal pour n’être pas frappé par la loi anti-trust aux États-Unis comme en Europe, et pour justifier notre « besoin » de brevets logiciels. La déconfiture de cette argumentation est maintenant rendue cruellement flagrante par l’échec de l’entreprise à innover dans quelque secteur que ce soit.

Je dirais que le plus grand échec à ce titre a été de refuser de reconnaître que la manière la plus rapide et la plus facile d’innover c’est de commencer à partir du travail des autres en utilisant du code open source. Le succès de Google est presque entièrement dû à son développement de logiciels libres à tous les niveaux. Ce qui a permis à l’entreprise d’innover en plongeant dans l’immense océan du code librement disponible pour l’adapter à des applications spécifiques, que ce soit pour les gigantesques datacenters épaulant la recherche, ou pour la conception d’Android pour les mobiles – dans les deux cas à partir de Linux.

Même Apple, le champion du contrôle total du produit par l’entreprise, a reconnu qu’il était cohérent d’utiliser des éléments open source – par exemple, FreeBSD et WebKit – et s’en servir comme fondation pour innover frénétiquement au dernier étage. Refuser de le reconnaître aujourd’hui est aussi aberrant que refuser d’utiliser le protocole TCP/IP pour les réseaux.

Quelque chose s’est passé – pas juste cette semaine, ni la semaine dernière, ni même durant les derniers mois, mais au cours de ces dix dernières années. Le logiciel libre s’est développé au point de devenir une puissance considérable qui influe sur tout ce qui est excitant et innovateur en informatique ; et Microsoft, l’entreprise qui a reconnu le moins volontiers son ascendant, en a payé le prix ultime qui est son déclin.

Notes

[1] Crédit photo : Seanmcgrath (Creative Commons By)




Libres extraits du rapport Fourgous sur la modernisation de l’école par le numérique

One Laptop Per Child - CC byLa « culture libre » va-t-elle enfin être reconnue, soutenue et encouragée à l’école française ?

Si vous êtes un lecteur régulier du Framablog, vous n’ignorez pas que c’est une question qui nous taraude depuis plusieurs années (sachant que patience et longueur de temps font plus que force ni que rage).

Or on tient peut-être un début de réponse positive avec le rapport de la mission parlementaire du député Jean-Michel Fourgous sur la modernisation de l’école par le numérique. Sous l’égide d’un autre politique issu du monde de l’industrie, le ministre Luc Chatel, ce rapport ambitieux a pour titre Réussir l’école numérique et il a été remis aujourd’hui même à François Fillon.

70 mesures réparties en 12 priorités dans un document de 333 pages, le moins que l’on puisse dire est qu’ils n’ont pas chômé. Enseignant, étudiant[1], parent d’élèves ou simple citoyen curieux de l’avenir du système éducatif dans la société actuelle de l’information et de la communication, je vous invite à le parcourir à votre tour car il y a beaucoup de choses intéressantes dans ce rapport, que l’on soit ou non d’accord avec les analyses, les constats et les pistes de propositions.

En attendant je me suis permis d’en extraire ci-dessous les quelques trop rares passages concernant plus ou moins directement la ligne éditoriale de ce blog. Parce quand bien même ce soit peut-être, ou sûrement, trop timide (est-ce volontaire ?), j’y vois quand même une avancée significative pour le « Libre à l’école » (expression valise que j’avais tenté de synthétiser dans un court article pour une brochure Sésamath).

Des passages dont ne parlent ni la dépêche AFP (et à sa suite tous les grands médias) ni le Café pédagogique (mais ça on sait pourquoi),

On notera que dans le cadre de la consultation préalable, l’April avait envoyé une lettre détaillée et argumentée à Jean-Michel Fourgous. Ceci participant certainement à expliquer cela.

Enfin n’oublions pas qu’un rapport parlementaire n’est qu’un document de travail qui n’augure en rien des décisions qui seront effectivement prises par le gouvernement. Sans compter, comme le souligne cette fois-ci le Café Pédagogique, qu’une « évolution de cette ampleur nécessite une école en paix, est-ce envisageable si l’austérité vient chaque année dégrader la situation scolaire ? »

Libres extraits du rapport Fourgous

URL d’origine du document

Page 29

Grâce aux wikis les contenus sont élaborés de façon collaborative. L’encyclopédie en ligne Wikipedia, les wikilivres (création de ressources pédagogiques libres) ou encore les wikicommons (banque de fichiers multimédias) traduisent la naissance de ce que Pierre Lévy appelle une « intelligence collective » où l’internaute passif, simple « récepteur », est devenu un « webacteur », un « élaborateur » de contenus.

Tiens, Wikipédia et quelques autres projets Wikimédia ont droit de cité. Un peu plus loin, page 141, il sera dit que 40% des « digital natives » consultent l’encyclopédie. Et surtout, le rapport ne craint pas de proposer des liens directs vers ses articles lorsqu’il s’agit d’expliciter certains termes (exemples : Machine to machine, Réalité augmentée, Modèle danois, Littératie, Échec scolaire, Ingénieur pédagogique ou encore Livre électronique). Une telle légitimité officielle est à ma connaissance une grande première dans le secteur éducatif. Serions-nous définitivement en route vers la réconciliation ?

Une note (un peu confuse) est collée aux ressources pédagogiques libres avec un lien Educnet :

Les contenus libres trouvent leurs origines dans le concept de copyleft (en opposition au monopole d’exploitation reconnu par le copyright et le droit d’auteur) né avec les premiers logiciels dit libres car leurs utilisations, copies, redistributions ou modifications étaient laissées au libre arbitre de leurs utilisateurs. L’accès au code source était libre (open source). Cette philosophie du partage et de la promotion du savoir et de sa diffusion s’est propagée ensuite à toutes les formes de créations numériques.

Page 234

Un paragraphe entier est consacré à des pratiques dont je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi on ne veut pas faire ou voir le lien avec la culture du logiciel libre.

Vers de nouvelles pratiques coopératives et collaboratives

« J’ai amélioré ma pratique enseignante parce que je l’ai enrichie de l’expérience de tous les autres »

Cette citation me parle.

Est ensuite fait mention des associations d’enseignants, en distinguant dans cet ordre mutualisation, coopération et collaboration (cf ces dessins).

Il n’est pas anodin de remarquer que l’association la plus avancée dans la collaboration, Sésamath pour ne pas la nommer, a depuis longtemps adopté les licences libres aussi bien pour ses logiciels que pour ses contenus. Il y a corrélation, mais le rapport ne le dira pas.

Le travail d’équipe est, de manière traditionnelle, peu pratiqué et non valorisé sur le plan professionnel. L’organisation des établissements et du service des enseignants ne le facilite d’ailleurs d’aucune manière. L’arrivée de l’Internet et des modèles de travail coopératif ou collaboratif bouleversent les habitudes.

En France, des associations toujours plus nombreuses (Sésamaths, WebLettres, Clionautes…) regroupent des enseignants qui mutualisent leurs supports pédagogiques. La mutualisation correspond à la mise en commun et à l’échange de documents personnels. Dans le travail coopératif chaque participant assume une tâche propre au sein d’un projet donné et dans le travail collaboratif, chaque tâche est assumée collectivement. Ainsi, si Clio-collège est un site de mutualisation, Mathenpoche un exemple de travail coopératif, les manuels Sésamaths sont un bon exemple de travail collaboratif.

(…) La mutualisation arrive officiellement dans les académies : dans celle de Versailles, un site, destiné à recueillir les ressources utilisées par les enseignants sur les tableaux numériques interactifs, a été créé. Les enseignants peuvent y partager les fichiers qu’ils réalisent. En attendant, l’interopérabilité de l’outil, les ressources sont réparties selon les marques de TNI.

C’est l’une des rares fois où l’interopérabilité est évoquée dans le rapport. Un gouvernement responsable n’est pas forcément obligé « d’attendre l’interopérabilité ». Il peut la suggérer fortement, voire l’inclure systématiquement dans ses cahiers des charges.

Les échanges et la communication permettent d’aboutir à une production collégiale finale riche et cohérente et les documents numériques deviennent accessibles et téléchargeables par l’ensemble de la communauté éducative.

(…) Le travail collaboratif prend le pas sur la coopération, comme en témoigne l’évolution depuis quelques mois des associations WebLettres et Clionautes vers ce mode de fonctionnement. Internet permet ainsi de faire évoluer la culture enseignante du « chacun pour soi » vers un travail en équipe.

Les associations Weblettres et Clionautes se dirigent donc vers la collaboration. Ma main à couper qu’elles rencontreront les outils et licences libres en chemin.

Page 267

Un passage important dont le titre est à la fois erroné (« libres de droit ») et peu téméraire (« quelques » avantages) :

Les ressources libres de droit offrent quelques avantages pédagogiques

Quant au corps du paragraphe il a le grand mérite d’exister (Jean-Pierre Archambault est cité dans la note de bas de page) :


Le logiciel libre (gratuit) est mis à disposition des utilisateurs qui peuvent à loisir le modifier ou l’adapter avec pour obligation de le mettre à leur tour à la disposition de tous. Cette technique du « don » permet de générer de la valeur, enrichissant le produit, des compétences et des idées de chacun. Le plus célèbre de tous les logiciels libres est sans conteste le système d’exploitation « Linux » et la suite « Open office » qui se placent en concurrents respectivement de Windows et du pack Office de Microsoft. On peut citer également « Gimp », pendant de Photoshop, le navigateur « Firefox »…

L’entrée du logiciel libre dans l’Éducation nationale s’est réalisée à la suite d’un accord cadre conclu en 1998 avec l’Aful (Association française des utilisateurs de Linux et des logiciels libres).

L’idée de partage et de gratuité a séduit le monde enseignant, mais changer d’environnement de travail nécessite du temps et de la formation.

Certes. Mais se borne-t-on à le constater ou bien agit-on en conséquence comme le Canton de Genève ?

Les avantages pour les élèves sont importants, notamment pour la lutte contre la fracture numérique : l’élève peut en effet télécharger le logiciel gratuitement à son domicile sans aucune difficulté ; en apprenant à utiliser des fonctionnalités plus que des outils, le libre habitue les élèves à la pluralité, à la diversité ; il permet d’entrer dans le programme informatique, de le comprendre voire de le modifier (pour les plus férus d’informatique) : les avantages pédagogiques sont donc plus nombreux.

Cela fait plaisir à lire.

Et pourtant un sentiment mitigé prédomine puisqu’une fois ceci exposé on n’en reparlera plus dans tout le rapport. C’est plus que dommage que dans les 70 mesures préconisées, le logiciel libre n’ait pas fait l’objet d’une mesure à part entière.

Page 274

L’offre libre a peu à peu pénétré le système éducatif : en effet, l’idée de partage et de gratuité (permettant à l’élève de télécharger le logiciel gratuitement à son domicile) a séduit le monde enseignant, de même que l’offre émanant des enseignants eux-mêmes : la collaboration dans le but d’élaborer des ressources adaptées à leurs attentes, remporte un franc succès auprès du monde éducatif. La vocation du métier d’enseignant sera donc sûrement d’évoluer vers plus d’élaborations de ressources, plus de créations, de passer d’un travail solitaire à un travail d’équipe.

Cela séduit le monde enseignant. Mais cela séduit-il le rapport ? Cela n’est pas très clair et ne séduira alors pas forcément le gouvernement.


Page 292

Un long extrait tout à fait pertinent :

Une liberté pédagogique freinée

L’autre problème majeur reste les ressources mises à disposition de l’enseignant afin de préparer son cours : dans l’idéal, la technologie le permettant, chacun s’accorde à penser que les enseignants du XXIe siècle devraient pouvoir trouver sur la toile, toutes les ressources numériques, toute la documentation, toute l’aide qu’ils seraient en droit d’utiliser dans le cadre de leur enseignement.

Pourtant, les droits d’auteur les en empêchent et certains documents qui leur semblent pertinents pour illustrer leurs cours ne leur sont pas accessibles, sauf à se mettre hors la loi.

Ce que font tous les jours des milliers d’enseignants.

En ce temps d’Hadopi, que l’on n’a de cesse de présenter comme une loi « favorisant la création », c’est tout de même intéressant de remarquer qu’ici c’est le rôle castrateur des droits d’auteur qui est mis en exergue. Sans compter que…

Des solutions commencent à apparaître et se révèlent être un appui sérieux pour le travail collaboratif. Les licences creative commons (organisation née en 2001) sont ainsi un début de réponse, de même qu’en sont les cours en ligne sous licences libres proposés par les universités. Creative Commons propose gratuitement des contrats flexibles de droit d’auteur pour diffusions des créations. Ces « autorisations » permettent aux titulaires de droits d’autoriser le public à effectuer certaines utilisations, tout en ayant la possibilité de réserver les exploitations commerciales, les œuvres dérivées ou le degré de liberté (au sens du logiciel libre). Ces contrats peuvent être utilisés pour tout type de création : texte, film, photo, musique, site web… Les enseignants devraient ainsi être incités à partager leurs travaux en protégeant ceux-ci par l’emploi de licences de libre diffusion du type Creative CommonsBySA, GNU Free Documentation License ou Licence Art Libre…

Merci de l’évoquer. Ouf, c’en est fini du temps où l’on criait dans le désert. Mais que ce fut long !

Il y a une note, un peu étrange, concernant les Creative Commons (et Benoît Sibaud, l’excellent mais désormais ex-président de l’April, est cité) :

Creative Commons : Liberté de reproduire, distribuer et communiquer cette création au public, selon les conditions by-nc-sa (paternité, pas d’utilisation commerciale, partage des conditions à l’identique).

Et arrive alors le serpent de mer de « l’exception pédagogique » :

Cependant, beaucoup de ressources n’étant pas sous le « logo » creative commons, les enseignants sont freinés dans leurs pratiques et leur pédagogie (impossibilité de reprendre une publicité ou une photo afin de l’exploiter, de la disséquer pour mieux la comprendre…). L’exception pédagogique, déjà présente dans différents pays s’impose, notamment si on veut éduquer les enfants aux médias numériques et à l’impact de l’image.

Ce n’est pas gagné. Si vous avez cinq minutes, allez jeter un coup d’œil au tout récent Bulletin officiel n° 5 du 4 février 2010 concernant la propriété intellectuelle (partie 1 et 2). Pourquoi faire simple quand on peut faire tellement compliqué que cela en devient totalement incompréhensible !

Toujours est-il que contrairement au logiciel, on a droit à deux mesures bienvenues (dont une « en urgence ») :

Mesure 14 : Créer en urgence, dans le système juridique du droit d’auteur, une exception pédagogique facilitatrice et durable.

Mesure 23 : Favoriser le développement de ressources « libres » et la mise à disposition de ressources non payantes.

Restons sur cette note optimiste pour clore nos morceaux choisis. La balle est désormais dans le camp du législateur.

Pour lire le rapport dans son intégralité

Notes

[1] Crédit photo : One Laptop Per Child (Creative Commons By)




Des statistiques plus qu’encourageantes pour OpenOffice.org

viZZZual.com - CC byUn site allemand a réalisé une étude originale sur l’usage planétaire et comparée des différentes suites bureautiques, MS Office et OpenOffice.org en tête.

L’échantillon est relativement faible (200 000 personnes) et la méthode pas forcément très fiable (à partir des polices installées sur les ordinateurs, sachant de plus qu’installation n’équivaut pas forcément à utilisation au quotidien), mais il n’empêche qu’elle dessine une carte du monde où OpenOffice.org possède une non négligeable part de marché[1].

Et qu’est-ce qui l’empêcherait de suivre la même dynamique ascendante que Firefox ? s’exclame alors un Glyn Moody des plus enthousiastes !

Remarque : Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, je signale également, mais vous le saviez déjà, que la version 3.2 vient de voir le jour avec plein d’intéressantes améliorations dedans.

L’irrésistible ascension d’OpenOffice.org a-t-elle commencé ?

Has the Irresistible Rise of OpenOffice.org Begun?

Glyn Moody – 8 février 2010 – ComputerWorld
(Traduction Framalang : Julien et Martin)

OpenOffice.org - StatistiquesLes lecteurs assidus de ce blog savent déjà que je suis un grand fan d’OpenOffice.org, et que je pense qu’il a le potentiel pour percer auprès du grand public. Peut-être que cette percée a déjà commencé, à en juger par ces récents chiffres (ci-contre) de Webmasterpro.de :

« Les statistiques ont été recueillies au moyen d’une nouvelle méthodologie : plus de 200 000 visiteurs du monde entier ont été analysés par le service de statistiques FlashCounter. En listant (via l’utilisation de Javascript) quelles polices de caractères étaient installées sur le système, nous avons pu identifier les suites bureautiques installées. »

Même répartis tout autour de la planète, ces 200 000 utilisateurs ne sont pas très nombreux, donc je prendrais ces chiffres avec des pincettes. Mais même dans leur orientation générale, ils sont assez significatifs. Par exemple, la Pologne compte 22% pour OpenOffice.org contre les 68% de Microsoft Office ; la République Tchèque compte aussi 22% contre 76% ; tandis que l’Allemagne fait bien avec 21% et 72%. Les pays suivants en ordre décroissant sont la France, l’Italie, l’Espagne, le Danemark, la Belgique, la Suède et l’Autriche.

Le Royaume-Uni, c’est presque inutile de le préciser, tourne misérablement avec 9% – comme les États-Unis – aux côtés d’un massif et moutonnier 80% d’utilisation de Microsoft Office (75% aux États-Unis). La honte.

Ce qui est intéressant dans ces chiffres – en particulier les nombres élevés dans certains pays – est que cela place OpenOffice.org dans la même position de parts de marché que Firefox occupait il y a quelques années. Ce qui soulève deux questions intéressantes. Premièrement, sommes-nous en train d’assister à l’émergence du même type de trajectoire ascendante, et deuxièmement, comment la communauté open source peut-elle propulser plus rapidement OpenOffice.org le long de cette trajectoire ?

Comme Simon Phipps l’a à juste titre souligné sur Twitter, cette rapide évolution n’est pas le meilleur moment pour qu’Ubuntu retire OpenOffice.org de sa prochaine édition pour Netbook : au contraire, il devrait faire tout son possible pour promouvoir cette suite bureautique si son souci affirmé est d’élargir l’écosystème du logiciel libre. Peut-être bien que c’est quelque chose à quoi devrait réfléchir Matt Asay dans la première semaine de sa prise de fonction en tant que Directeur général de Canonical…

Notes

[1] Crédit photo : viZZZual.com (Creative Commons By)




Microsoft en Afrique : Un véritable système d’exploitation ?

OLPC - CC byDans un récent billet nous évoquions la stratégie planétaire de Microsoft dans le secteur éducatif en nous focalisant sur une école française prise consciemment ou non dans les mailles du filet.

Voici que le blog d’André Cotte apporte de l’eau à notre moulin, en signalant et hébergeant un document intéressant rédigé par Marc-Antoine Daneau, étudiant québécois en économie et politique.

Son article évoque en effet les comportements et agissements de la société dans cette région du monde[1]. Un altruisme de façade dont s’accommode souvent fort bien les hommes au pouvoir qui ont du mal à voir plus loin que le court terme. L’état des caisses de l’État faisant le reste…

Et ce n’est pas seulement le logiciel libre qui s’en trouve bloqué mais peut-être aussi le continent tout entier.

Vous trouverez dans le document d’origine une bibliographie non reproduite ici.

L’imposition d’une dépendance : les actions de Microsoft en Afrique

URL d’origine du document (pdf)

Marc-Antoine Daneau – 24 novembre 2009
GNU Free Documentation License

Avec la bulle internet de 1995 à 2000, les technologies de l’information sont entrées de plein fouet dans la culture des pays développés. D’un réseau militaire à un réseau de recherche universitaire, l’internet s’est imposé dans les années 90 telle une révolution informationnelle encore plus rapide que celle imposée par la télévision.

Tout maintenant se trouve et se fait en ligne. Le changement a été tellement rapide qu’on ne conçoit plus la vie sociale et économique sans ce formidable moyen de communication, pis encore, moins d’une génération est passée entre l’apparition des premiers hackers[2] de Berkeley et la normalisation de l’internet en occident.

Cependant et sans grande surprise, ce qui fut une révolution dans les pays développés fut l’établissement d’un retard technologique dans les pays qui le sont moins ou ne le sont tout simplement pas.

La fracture numérique

Le territoire le plus en retard au niveau des technologies de communication est bien évidemment l’Afrique. Dans ce continent où il n’y a rien, tout est à construire, tellement que dans le domaine de la technologie informatique, on y parle de fracture numérique[3]. À propos de l’informatique et d’internet précisément, l’Afrique est terriblement en retard[4][5]. Ce problème se conçoit de deux façons, pour les Africains, il importe de réduire cette fracture numérique pour profiter de la technologie existante; pour les pays développés, il convient de voir l’Afrique comme un marché à développer.

Plus précisément, ce texte porte sur les actions la firme américaine Microsoft en Afrique. Est-ce le fait que Microsoft veuille conquérir le marché africain est à l’avantage des Africains eux-mêmes ou s’agit-il de l’exploitation classique du nord envers le sud ? Ce texte tentera de démontrer qu’agissant ainsi, une firme très importante d’un pays riche tente d’exporter une vieille et désuète technologie dans des pays pauvres.

Logiciels libres versus logiciels propriétaires

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient de présenter les deux modèles économiques existant actuellement en informatique.

Le premier modèle économique est celui qui domine actuellement le marché résidentiel et commercial, soit celui du logiciel propriétaire à code source fermé. Le code source, ce qui est écrit par les programmeurs, n’est pas disponible et gardé secret, ce qui permet aux fabricants de logiciels de vendre des exécutables, des logiciels d’installation autrement dit. La logique de cette mise en marché sous-tend une affirmation générale que l’acheteur doit avoir une confiance absolue envers le fabricant de logiciels. Ce dernier affirmera, à tort ou à raison, que son logiciel est le meilleur du marché, le plus sécuritaire, le plus efficace, le moins gourmand en ressource informatique, etc. La frontière entre la véracité de ces affirmations et la publicité est bien mince et en pratique souvent impossible à déterminer. Le plus gros fabricant de logiciels au monde est Microsoft, que ce soit par son système d’exploitation, le très populaire Windows ou par sa suite bureautique aussi très populaire, Office. Il est à noter que la structure de prix des produits Microsoft maximise leur marge de profits, en étant en situation de quasi-monopole, ils vendent une trop petite quantité trop cher en plus de faire de la discrimination par les prix.

Le modèle économique[6] opposé est celui du logiciel libre, à code source ouvert, ou Linux[7]. Il est reconnu que le logiciel libre est plus stable, plus rapide et plus sécuritaire que les logiciels propriétaires du type de ceux fournis par Microsoft, en plus d’être gratuit et modifiable. Ce que vendent les compagnies qui travaillent avec du logiciel libre, c’est le service. Ce qui différencie les deux modèles au niveau de leur conception est que quand le code source est confidentiel, il est produit par une petite équipe, quand il est ouvert, tout le monde peut l’améliorer ou y ajouter des fonctions, ce qui fait que la progression du logiciel libre est beaucoup plus rapide que celle du logiciel propriétaire.

Ce sont ces deux modèles économiques qui s’affrontent pour le marché africain, d’un côté une firme américaine devenue un monstre multinational qui voit dans le lent développement de l’Afrique une occasion à ne pas manquer pour placer les Africains en position de dépendance informatique[8] s’assurant ainsi un profit maximum à long terme, de l’autre un modèle axé sur l’indépendance informatique, gratuit et adaptable selon les divers besoins. Ce qui revient à la phrase célèbre de Conficius : « Quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner un poisson ».

Un patrimoine de l’humanité fragile

Depuis 1998, l’UNESCO supportait les logiciels libres et en 2003 lui octroya ses titres de noblesse en les classant patrimoine mondial de l’humanité[9]. Néanmoins, le principal intéressé de ce progrès, Richard Stallman et la Free Software Foundation, mettait en garde contre la perte de liberté, du combat à mener pour l’indépendance logicielle dans une lettre adressée à l’Unesco :

But our freedom is not permanently assured. The world does not stand still, and we cannot count on having freedom five years from now, just because we have it today. Free software faces difficult challenges and dangers. It will take determined efforts to preserve our freedom, just as it took to obtain freedom in the first place[10].

Malheureusement, Stallman avait raison, mais en ayant surestimé le temps de réponse de l’industrie du logiciel propriétaire, la charge vint le 17 novembre 2004. En cette date, Microsoft devint un partenaire de l’Unesco, ce qui allait en direction opposée du constat émis par la Cnuced dans un rapport parut en 2003 qui conseillait : « aux pays en développement d’envisager d’adopter les logiciels libres en tant que moyen de combler le fossé numérique »[11].

Avec la signature de cet accord, « Microsoft va ainsi contribuer à la réduction de la fracture numérique » de quatre manières : recyclage de vieux ordinateurs personnels, formation d’enseignants en informatique dans les pays en voie de développement, ouverture d’un centre de ressources informatiques dans le Maghreb et la mise en place d’une « plate-forme pour le partage de contenus numériques ».

Avec cet accord, Microsoft s’engageait aussi à livrer des ordinateurs dans tous les pays d’Afrique, l’Unesco, toujours selon cet accord ferait en sorte que Microsoft en livre partout en Afrique même là où son intérêt économique serait diminué[12].

Il importe ici d’apporter une nuance essentielle, les enseignants qui seront formés par Microsoft le seront en fonction des produits de cette même firme, pas en fonction de l’informatique ou du fonctionnement d’un ordinateur en soit. Ainsi, quand ces enseignants feront leur boulot, ils enseigneront le fonctionnement des produits Microsoft, ils agiront comme formateurs bénévoles au profit de Microsoft et transmettront leur dépendance informatique à leurs élèves.

Cette même date, lors d’une conférence de presse à Paris, Koïchito Matsuura, directeur général de l’Unesco, affirma que « l’ONU avait reconnu le rôle du secteur privé pour lutter contre la fracture numérique »[13]. Loin de nous ici de douter des mauvaises intentions de l’ONU dans ce dossier, l’Unesco est tributaire des fonds qu’on daigne bien lui alouer, sans plus. Cependant, il est raisonnable de penser que les Africains qui voyaient dans le logiciel libre une façon de se défaire de la dépendance de ce continent sous-développé envers la monde industrisé y ont vu au pire une défaite dans ce combat de la part de leur allié que devrait être l’Unesco, au mieux une instrumentalisation de l’Unesco par Microsoft[14].

Le point de vue des activistes du logiciel libre

Cet accord ne tarda pas à faire réagir. Un peu plus d’une semaine après l’accord parait sur internet un article sur les réactions des activistes du logiciel libre à l’endroit de l’accord. Benoît Sibaud, président de l’April[15], affirmait que l’Unesco « sous-traite ses valeurs au secteur privée » et que « Microsoft détient là une bonne manière de s’infiltrer dans les pays en voie développement. Et ça ne lui coûte pas grand-chose, car il peut se rattraper sur la marge qu’il réalise sur le prix de ses licences dans les pays du Nord »[16]. L’article se termine sur l’affirmation que tant l’April que l’Unesco « s’accordent à dire que si les logiciels propriétaires peuvent aider au développement, ils ne contribuent certainement pas au développement durable ».

C’est bien là tout le problème, qu’un organisme de la trempe de l’Unesco soit pret à permettre un développement qu’il sait voué à l’échec à long terme puisque n’étant pas durable. Janvier 2005, une lettre d’opinion scandalisée est publiée par Benoît Sibaud, Frédéric Couchet[17] et Sergio Amadeu da Silveira[18] dans Libération. Ceux-ci affirment qu’« en faisant le choix du logiciel propriétaire, un État se limite à louer une technologie » au lieu de se l’approprier et de la développer. Ces 3 spécialistes et militants en faveur des logiciels libres mentionnent les spécificités linguistiques de l’Afrique et de ses multiples langues. À titre d’exemple, les auteurs de la lettre d’opinion mentionnent que le navigateur internet Mozilla Firefox a été traduit en luganda[19] « par une petite équipe de huit … utilisateurs motivés … sans financement et sans organisation formelle »[20].

En matière de sécurité informatique, les trois spécialistes cités ci-haut mentionnent que les États qui se fient à Microsoft vont même jusqu’à abdiquer une partie de leur souveraineté étant donné le caractère fermé du code de Microsoft. En effet, comme il est impossible de savoir ce qu’il contient, la sécurité et l’intégrité des données sont remises entre les mains de Microsoft à qui il faut faire confiance[21]. Il apparaît en effet inconcevable qu’un continent qui essaie de se sortir du sous-développement, et donc qui veut prendre la place qui lui revient sur les marchés, et donc dans le domaine de la recherche et du développement (R&D) puissent penser sérieusement pouvoir le faire avec des outils informatiques qui n’assurent en rien la confidentialité ou même l’intégrité de leurs données. Il est clair que d’un point de vue de la sécurité, les pays africains qui font ou feront confiance à Microsoft ouvre la porte à l’espionnage économique.

À ce sujet, la ville de Munich a parfaitement compris et mis en application ce principe, parut en 2008 sur papier, mais se préparant depuis 2001, elle a émis une “Declaration of Independence” informatique, “rather than lowering the IT costs, the main motive is the desire for stratregic independence from software suppliers”[22].

Toujours au niveau de la sécurité informatique, l’affirmation la plus surprennante arrive de la NSA : “Unfortunately, existing mainstream operating systems lack the critical security feature required for enforcing separation: mandatory access control”[23].

C’est dans cette optique qu’il est possible de conclure qu’un pays développé exporte ses vieilles technologies désuètes dans les pays en développement. Les éléments stratégiques de la sécurité nationale américaine sont protégés autant que possible par Linux, mais en même temps, une entreprise de ce même pays exporte dans des pays déjà en difficulté un produit, Microsoft Windows, qui officiellement selon le gouvernement américain n’est pas sécuritaire. Combiné à la publicité de Microsoft et d’un point de vue stratégique, il s’agit de leur vendre un produit qu’on affirme miraculeux, mais qui est dans les faits déficient et dangereux[24].

Ce qui revient à faire payer les Africains pour qu’ils obtiennent le droit à une position de faiblesse au niveau de l’espionnage économique, scientifique et politique.

Le point de vue de Microsoft

La réponse de Microsoft aux accusations d’impérialisme fut pour le moins douteuse, publiée sur le réputé site de nouvelles informatiques Zdnet.com. Le responsable de Microsoft Nigéria, Gerald Ilukwe, affirmait sans gène que le “cost is not important” pour les gouvernements africains, tout en reconnaissant que le salaire moyen d’une Africain résidant dans l’ouest du continent est de 160 dollars américains par année.

Tout comme Neil Holloway, président de Microsoft en Europe, M.Ilukwe maintient que le problème est la connaissance des technologies, et donc implicitement, que la propriété des outils de l’information est accessoire. Tel un missionnaire généreux baignant dans l’altruisme, M.Holloway affirmait “It’s not about the cost of software, it’s about how you take your expertise to people. We are sharing our expertise…”[25].

La campagne de marketing de Microsoft continua inexorablement, toujours avec le même message, Cheick Diarra, responsable des opérations de la firme en Afrique, affirma pour répondre à ses détracteurs que “I try to advise Microsoft, as an ambassador from Africa…”[26], donc, de la manière la plus sérieuse possible, le responsable des opérations africaines de Microsoft affirma être l’ambassadeur des Africains en matière de besoin informatique auprès de la firme qui le rémunère justement pour extraire de l’Afrique le peu de profit, à court terme, qu’il soit économiquement possible d’en tirer.

L’affirmation de M.Diarra dépasse largement le stade du sophisme par l’absence de logique circulaire de son affirmation. L’image que Microsoft veut avoir en Afrique est celle d’une multinationale qui agit pour le bien et le progrès de l’humanité, sans égards à sa marge de profit. Comme si l’entreprise avait une conscience morale, qui en plus d’exister, serait tournée vers l’humanitaire.

Un article du Wall Street Journal qui donne le ton

S’il y a lieu de douter des bonnes intentions de Microsoft, encore faut-il le prouver. Malheureusement, les faits sont récents, les soupçons généreux et cette firme n’ira pas tout bonnement avouer dans un communiqué qu’elle a le comportement colonial et qu’elle tente par la fourberie d’acquérir le marché[27] africain du logiciel.

Néanmoins, un article paru dans le prestigieux Wall Street Journal sous la plume de Steve Stecklow le 28 octobre 2008[28] nous en apprend beaucoup sur les méthodes et les agissements de Microsoft en Afrique.

Premièrement illustration la plus grossière, ils ont embauché des gens bien placés en Namibie. Ils ont engagé Sean Nicholson, auparavant “adviser to Namibia’s Ministry of Education, promoting open-source software” et toujours en ce même pays, Kerii Tjitendero “as a contractor to help in (the) process”. Cependant, M.Tjitendero est le fils de Mose Tjitendero, “formerly speaker of Namibia’s national assembly, who signed the government’s Pathfinder agreement with Microsoft”. Malgré une telle proximité qui serait bannie de facto dans les pays développés, Microsoft affirma que “Kerii had the professional background that made him a good fit for this role”.

Toujours du même article, Microsoft tenta au Nigéria d’acheter pour 400 000 dollars[29] le remplacement de Linux sur les ordinateurs portables des écoles par des produits Microsoft.

Au sujet du Pathfinder, le plan d’action de Microsoft en Afrique, l’article de Stecklow nous apprend que dans une école de Namibie en 2004, à Katima Mulilo, Eric Kouskalis, alors étudiant à Harvard, était enseignant pour l’organisation WorldTeach. Il affirma des ordinateurs fournis par Microsoft qu’ils “weren’t being used at all” bien qu’il “spent weeks fixing software and hardware problems”. Et il en rajoute, si plus d’un étudiant voulait accéder à l’encyclopédie de Microsoft, Encarta, “everything would freeze up”.

Donc, de cette expérience, deux constats peuvent être tirés, soit qu’en fournissant sa propre Encyclopédie aux Africains, Microsoft leur fourni la vision américaine de l’histoire mondiale et des connaissances en général, et aussi que les problèmes logiciels que les produits Microsoft font subir aux consommateurs occidentaux sont les mêmes éprouvés par les Africains, soit l’instabilité et la médiocrité naturelle et intrinsèque de leurs produits. Quant bien même Microsoft leur vendrait un “special $3 Windows package”[30][31], avoir des ordinateurs, mais être bloqué par les logiciels ne vaut pas 3 dollars.

Néanmoins, en juin 2005, Microsoft déclara que Pathfinder était “a success” pour par la suite promettre 4000 ordinateurs usagés à la Namibie, sur ce nombre, 1300 ont été livrés. L’école de Katima Mulilo en reçut 20, le directeur de l’école, Fias Geel, affirma au sujet des ordinateurs reçus que “all but four were broken”. Un autre directeur d’école de la région, Paul Damaseb, affirma qu’aucun de ses 565 étudiants ne pouvait utiliser les ordinateurs “because of a server crash”. Par la suite, Microsoft admit que l’expérience de PathFinder était un processus d’apprentissage “valuable”, ce qui n’empêcha pas le gouvernement de la Namibie de stopper l’action des professeurs de ses écoles qui installaient Linux pour promettre 200 ordinateurs et finalement n’en livrer que 55, “all containing Microsoft software, says a person familiar with the matter”.

PathFinder et Unlimited Potential

Depuis, avec le succès limité, aux yeux de Microsoft, de PathFinder, la firme a lancé un autre programme à la conquête du marché africain, Unlimited Potential. Bien que trop récent pour pouvoir le juger, notons cependant que les éléments avec lesquels Microsoft présente Unlimited Potential sont fondamentalement les mêmes qu’avec Pathfinder, soit à l’aide d’un vocabulaire positif portant sur les engagements Microsoft à l’égard de l’avancement des Africains ou encore des phrases creuses comme “training to its next generation of citizens”, pour être bien certains qu’ils ne connaissent de l’informatique que les produits Windows. La seule différence entre les deux programmes de mise en marché est que maintenant Microsoft légitimise son action avec l’appui reçu par l’Onu[32] et l’Unesco.

La firme clame en effet qu’elle veut “supports and accelerates Africa’s progress toward the Millennium Development Goals”[33]. Quand Microsoft affirme : “… we are working to enable sustained social and economic opportunity for everyone”[34], il serait plus juste de lire qu’ils travaillent pour le profit, comme n’importe quelle entreprise privée, la satisfaction des clients ou la fonctionnalité des produits n’a pas d’importance, pour autant que les clients paient.

Cela dit, face à la critique, Microsoft par l’intermédiaire de son responsable pour le continent africain, M.Diarra, tente de faire croire qu’il ne s’agit que d’un problème de communication, “… it’s sad that sometimes reality has a hard time catching up with perception … we are competing respectfully and openly; you can verify that everywhere”, il rajoute comme pour marteler le message à propos des actions de Microsoft en Afrique “we always try to empower those communities”[35].

Cela dit, en plus de ce qui est documenté, comme la corruption en Namibie, ce qui est douteux comme le fait qu’une entreprise affirme avoir à coeur le bien-être des plus exploités de la planète au cours des derniers siècles, comme si Microsoft n’agissait pas accord avec la continuité historique des rapports nord-sud, il y a ce qui est étrangement circonstanciel. Par exemple, en recoupant les informations vagues[36] disponibles sur le site de la Bill & Melinda Gates Foundation et les pays dans lesquels il y a moyen de savoir avec assurance que Microsoft travaille[37], on arrive à la conclusion qu’environ le deux tiers des pays où la fondation est active sont des pays où Microsoft l’est aussi.

Conclusion

En 2007, l’ampleur du désastre se mesurait, selon les affirmations officielles de Microsoft, par la conquête de “15 African countries: Angola, Burkina Faso, Gabon, Ghana, Kenya, Madagascar, Mozambique, Namibia, Nigeria, Rwanda, Senegal, Seychelles, Uganda, Botswana and South Africa, and to date has trained 200,000 teachers and reached 21 million students”[38]. C’est 21 millions de personnes, en plus des fonctionnaires des différentes administrations publiques africaines, que Microsoft a placées sous son contrôle. Il s’agit ici d’une forme lourde de dépendance au sentier, un sentier par ailleurs, sombre, sinueux et vaseux, où s’en sortir requière pour une société des coûts supérieurs à ce qu’aurait été l’investissement initial de l’éviter.

En faisant le choix des logiciels propriétaires de Microsoft au détriment des logiciels libres et gratuits GNU/Linux, les pays africains choisissent de payer pour un produit dont la qualité est plus que douteuse au niveau de l’efficacité informatique et carrément incertaine en ce qui a trait à la sécurité des informations gérées. De plus, ces pays n’auront pas le choix de payer pour les autres logiciels, comme des antivirus qui sont nécessaires avec Windows, ou payeront en temps, puisque Windows est impérativement plus lent que Linux, et ainsi de suite.

Bref, les logiciels propriétaires ne peuvent qu’être un mauvais choix pour toutes les administrations publiques et spécialement pour celles des pays en voie de développement, qui n’ont pas d’argent. Selon la formule rependue sur les blogues portant sur le sujet, « l’Afrique a déjà assez de problèmes comme ça, n’y ajoutez pas Microsoft” »[39]. Clairement, entre la dépendance que leur offre Microsoft et l’indépendance que leur offre Linux, les Africains et leurs gouvernements auraient tout avantage à choisir l’indépendance.

En conclusion, quand Microsoft parle de Windows comme d’un système d’exploitation, la firme a entièrement raison et est pour une fois honnête, car c’est tout ce que c’est : un système d’exploitation.

Notes

[1] Crédit photo : One Laptop per Child (Creative Commons By)

[2] Le terme hacker a une connotation négative depuis le milieu des années 80. Le terme se référait plutôt à ce qu’il est convenu d’appeler un bidouilleur. L’industrie informatique en générale doit beaucoup à ses hackers, que l’on pense seulement aux fondateurs de Apple ou au célèbre Captain Crunch. Ce dernier, John Drapper de son vrai nom, découvrit qu’un jouet contenu dans une boite de céréales émettait exactement la même fréquence que celle utilisée par AT&T pour indiquer qu’une ligne de téléphone est disponible, ce qui lui permit de faire des appels sans payer. Il inventa par après la blue box, un générateur de fréquences avec laquelle il testa les limites du système téléphonique de AT&T. Résultat, les compagnies de téléphone durent revoir à la hausse la sécurité de leurs réseaux de télécommunications.

[3] La définition de Statitics Canada au sujet de la fracture numérique, parue dans l’introduction d’un document de recherche intitulé The Digital Divide in Canada, est particulièrement pertinente : “Commonly understood as the gap between ICT ‘haves’ and ‘have-nots’, it serves as an umbrella term for many issues, including infrastructure and access to ICTs, use and impediments to use, and the crucial role of ICT literacy and skills to function in an information society.” ICT réfère à “information and communications technologies”.

[4] Les statistiques de l’ONU sont à ce sujet très claires. Aucun calcul n’est nécessaire pour constater qu’il y avait plus d’ordinateurs par 100 habitants aux États-Unis ou au Canada il y a 20 ans qu’il y en a maintenant par 100 habitants dans les pays africains. Concernant le nombre d’habitants qui accèdent à internet, les données de l’ONU, toujours par 100 habitants, nous indiquent que le niveau d’accès à internet est actuellement en Afrique ce qu’il était il y a 15 ans aux États-Unis et au Canada. Voir Millennium Development Golas Indicators, Internet users per 100 population et Personal computers per 100 population.

[5] En septembre dernier, une compagnie sud-africaine, Durban IT a testé la vitesse du réseau de Telkom, le plus gros fournisseur d’accès internet en Afrique du Sud. Ils ont, au même moment, lancé un transfert de 4Gb sur le réseau ADSL de Telkom tout en relâchant un pigeon sur lequel était attaché une clé usb de 4Gb. “Winston the pigeon took two hours to carry the data 60 miles – in the same time the ADSL had sent 4% of the data”. Source : BBC, 10 septembre 2009.

[6] Le Rapport sur le commerce électronique et le développement de la Cnuced en 2003 nuance avec les propos suivants : « Les logiciels libres ne devraient pas différent. Ils sont un moyen différent d’élaborer, de préserver et de modifier les règles qui régissent les flux d’information. Ils bouleversent la conception que l’on a de l’écriture de logiciels ? des personnes habilitées à les modifier et sous quelles conditions ? ainsi que des libertés et des responsabilités y afférentes. Ils donnent aux peuples et aux nations non seulement la possibilité, mais aussi, de manière plus importante, le pouvoir de gérer eux-mêmes le développement des TIC. » p.21.

[7] Il est nécessaire ici de noter, sans entrer dans les détails, qu’il existe plusieurs types de licences concernant les logiciels libres. Autrement dit, il y a des schismes au sein de la communauté des logiciels libres concernant certaines nuances à propos des droits d’auteurs des logiciels libres. Loin de nous l’idée d’entrer dans ce débat, la définition des logiciels libres qui sera utilisée est celle qui est la moins restrictive possible, soit tout ce qui est disponible sans payer ou enfreindre les droits d’auteurs des fabricants de logiciels. À titre d’exemple seulement, il est impossible d’écouter un fichier mp3 ou d’écrire ce texte en Times New Roman, comme le requière le Département de science politique, sur Linux sans enfreindre des lois de propriétés intellectuelles. La définition orthodoxe du logiciel libre définit par Richard Stallman et la Free Software Foundation se lit comme suit : « L’expression « Logiciel libre » fait référence à la liberté pour les utilisateurs d’exécuter, de copier, de distribuer, d’étudier, de modifier et d’améliorer le logiciel ». La définition complète est disponible à http://www.gnu.org/philosophy/free-sw.fr.html.

[8] Le phénomène de l’enfermement propriétaire est bien connu et pas seulement dans le domaine informatique. Dans ce domaine précis, l’UNESCO définie le mécanisme du Vendor Lock-In comme étant le fait que “While the software industry will continue to innovate, some product categories are reaching maturity and users should not be driven to pay for new features and product versions that have minimal impact on their needs”.

[9] Cette année là, le logiciel libre est devenu pour l’UNESCO une partie du patrimoine mondial : “Moreover, free software gives independence, from governments, from companies, from political groups, etc. And better, an economical independence: it isn’t plagued by compulsory profit. In fact, Free software is already the heritage of mankind, in the common sense”.

[10] Richard Stallman, 2003. UNESCO and Free Software. Disponible dans les archives des communications de l’UNESCO.

[11] Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED), 2003. Rapport sur le commerce électronique et le développement. p.21.

[12] Citations et information depuis un article de Marc Cherki, parut dans Le Figaro le 17 novembre 2004, Microsoft devient partenaire de l’Unesco.

[13] Citation depuis un article de Capucine Cousin, parut dans Les Echos le 17 novembre 2004, L’Unesco compte sur le privé pour former les enseignants aux nouvelles technologies.

[14] À ce sujet, on peut prendre pour exemple le fait que les documents statistiques de l’ONU soient disponibles en 3 formats Microsoft Office Excel, XML et CVS. Les deux derniers sont des formats textes standards, mais qui ne peuvent être lus sans quelques contorsions ou connaissances informatiques précises. Le format Excel quant à lui est propriétaire, c’est-à-dire qu’il faut avoir acheté un programme pour le lire les informations qu’il contient. L’ONU ne fournit malheureusement rien en format OpenOffice, qui aurait le mérite de pouvoir être lu correctement, facilement et sans devoir payer pour le logiciel. Il n’y a bien sûr pas de lien direct entre cette observation et les liens qui unissent Microsoft et l’Unesco depuis 2004, cependant, ça permet de constater l’incompréhension de la question des logicielles de la part de l’ONU.

[15] April, acronyme de l’Association pour la Promotion et la Recherche en Informatique Libre.

[16] Selon un article d’Yves Drothier, dans le Journal du Net, 26 novembre 2004.

[17] Fondateur de l’April et président de la Fondation des logiciels libres (Free Software Foundation, branche française) de 2004 à 2007.

[18] Président de l’Institut national de technologie et de l’information du Brésil.

[19] Langue parlée par 10 millions de personnes en Ouganda.

[20] Sérgio Amadeu da Silveira, Benoît Sibaud et Frédéric Couchet. 5 janvier 2005, La Libération. Bill Gates à la conquête du sud : Le partenariat entre Microsoft et l’Unesco risque d’assujetir les pays en développement.

[21] Les auteurs mentionnent sur ce point qu’en 2000, un rapport de la Délégation des affaires stratégiques du ministère français des Armées mentionnait, prudemment et sans accusé directement, la collusion entre la National Security Agency (NSA) et Microsoft. Aussi en 2004, un « rapport parlementaire sur l’intelligence stratégique … soulignait les mêmes dangers attachés au logiciel propriétaire en matière de dépendance informationnelle ».

[22] Declaration of Independence: The LiMux Project in Munich. Ville de Munich, 2008.

[23] Citation complète : “End systems must be able to enforce the separation of information based on confidentiality and integrity requirements to provide system security. Operating system securitymechanisms are the foundation for ensuring such separation. Unfortunately, existing mainstream operating systems lack the critical security feature required for enforcing separation: mandatory access control. As a consequence, application security mechanisms are vulnerable to tampering and bypass, and malicious or flawed applications can easily cause failures in system security”. Depuis le site de la National Security Agency, http://www.nsa.gov/research/selinux/.

[24] Il est de notoriété publique que des agents de la NSA travaillent chez Microsoft, eux affirment que c’est pour renforcer la sécurité des produits de Microsoft, il y a naturellement lieu d’en douter. L’affaire éclata en septembre 1999, quand une mystérieuse clé de cryptage nommé _NSAKEY fut découverte dans Windows NT4, puis dans Windows 95, 98 et 2000. On peut lire sur le site de CNN “Microsoft operating systems have a backdoor entrance for the National Security Agency, a cryptography expert said … but the software giant denied the report and other experts differed on it”. Il n’y a donc rien de certain en ce sens, mais Microsoft a par la suite été incapable d’expliquer de manière convaincante ce qu’était cette _NSAKEY.

[25] Ingrid Marson, 18 octobre 2005, Microsoft: Africa doesn’t need free software.

[26] Nancy Gohring, 25 septembre 2008, PC World, Microsoft’s Africa Chairman Tackles Access Problems.

[27] À titre indicatif, rappelons que Microsoft a été condamnée par l’Union européenne en février 2008 à payer 899 millions d’euros, qui « s’ajoutent à une première amende de 497 millions d’euros donnée à Microsoft en mars 2004 pour « abus de position dominante » ». Selon un article parut dans Branchez-Vous!, le site qui s’occupe des nouvelles technologiques pour Le Devoir. Si Microsoft agit de telle manière dans un marché lourdement réglementé, il est possible d’imaginer ce qu’il fait sur un continent comme l’Afrique où les États sont faibles.

[28] Microsoft Battles Low-Cost Rival for Africa, 28 octobre 2008, The Wall Street Journal.

[29] Extrait de l’article : “In Nigeria, Microsoft proposed paying $400,000 last year under a joint-marketing agreement to a government contractor it was trying to persuade to replace Linux with Windows on thousands of school laptops. The contractor’s former chief executive describes the proposal as an incentive to make the switch – an interpretation Microsoft denies.”

[30] Toujours du même article de Stecklow : “Some of Africa’s poorest countries also have discovered that they can’t meet the terms of a special $3 Windows package for "underserved" students around the world, announced last year by Microsoft Chairman Bill Gates.”

[31] Pour 3$, les étudiants africains obtiennent les logiciels suivants Microsoft Learning Essential 2.0, Microsoft Math 3.0, Microsoft Office, Windows Live Mail, qui est en fait Hotmail et Windows XP Starter Edition. Cette version de Windows est conçue pour les ordinateurs peu puissants et limite plus que ne le fait la version normale de Windows XP ce que les utilisateurs peuvent faire avec leurs ordinateurs. Autrement dit, c’est le meilleur moyen d’handicaper un étudiant, surtout que le terme “Starter” signifie implicitement que ce n’est qu’un début, qu’une fois formés avec les produits Microsoft et en fonction de ceux-ci, ils devront payer pour obtenir la version normale des systèmes d’exploitation de Microsoft. Il est à noter que des distributions Linux spécialisées dans l’éducation existent, par exemple EduLinux conçue entièrement au Québec, à l’Université de Sherbrooke. Plus populaire, il y a Edubuntu, qui est disponible dans de multiples langues. Edubuntu est devenue la norme dans tous les ordinateurs des écoles primaires et secondaires de la République de Macédoine, cette distribution Linux serait définitivement meilleure pour les étudiants africains que Windows XP Starter Edition.

[32] United Nations Press Release  : United Nations hosts launch of Microsoft Programmes. Extrait  : “Amir Dossal, Executive Director of the United Nations Office for Partnerships, and Akhtar Badshah, Senior Director of Community Affairs, Microsoft Corp., welcomed participants. Mr. Dossal underscored that public-private partnerships were the key to the achievement of the Millennium Development Goals.”

[33] Microsoft, Realizing Unlimited Potential in Africa, 2009.

[34] Microsoft, Microsoft Unlimited Potential Enables Social and Economic Opportunity, 2009.

[35] Alka Marwaha, BBC News, The hi-tech battle for Africa, 2009.

[36] La plupart des liens sur la carte de l’Afrique ne fonctionnent pas, de plus les liens sont parfois situés sur des frontières. http://www.gatesfoundation.org/regions/Pages/default.aspx?4#/?action=region&id=africa

[37] Angola, Burkina Faso, Gabon, Ghana, Égypte, Kenya, Madagascar, Mozambique, Namibie, Nigeria, Rwanda, Sénégal, Seychelles, Ouganda, Botswana et Afrique du Sud.

[38] Microsoft, Unlimited Potential Engagement in Africa, 2007.

[39] J’ignore de qui est cette citation, elle se retrouve en anglais avec quelques variantes sur plusieurs blogues et forums de discussion. Il s’agit cependant de ma traduction.




Le Geektionnerd débarque sur le Framablog !

Le Geektionnerd est un blog tout en images de Simon Gee Giraudot, sous licence Creative Commons By-Sa. Appréciant son univers, son style et son geek & nerd sense of humour, nous avons décidé de l’inviter hebdomadairement (modulo Pi) sur le Framablog.

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Rendez-vous la semaine prochaine donc…

Et pour vous faire patienter, voici une petite sélection randomisée (ou presque) de ses archives : Belette de glace, Yéti, Éditeur de texte, Pirate, Post-it, Reboot, Ubuntu, Pingouin, Lycos, Google is your friend, Corbeille, F5, Sans titre, Pile. Mark Shuttleworth, 200%, Monopoly, Noob, Fork, Panda roux, GNU & Linux, Gnome ou KDE ?, Bill Gates, Minitel ou encore Windows[1],

Notes

[1] Si vous avez remarqué d’autres planches, n’hésitez pas à nous les signaler dans les commentaires, mon petit doigt me dit que ça pourrait faire un chouette framabook plus tard…




Ubuntu et Mozilla : l’inévitable alliance pour résister à Google ?

Jane Rahman - CC byJe suis de ceux qui pensent que le futur Chrome OS de Google est susceptible de bousculer les hiérarchies établies.

Pour rappel Chrome OS sera un système d’exploitation reposant uniquement sur le navigateur Chrome. Tout se fera en ligne, dans les nuages, et si vous n’allumez plus votre machine que pour aller sur Gmail, Reader, Twitter ou Facebook, alors vous êtes une cible toute indiquée.

Imaginons en effet que les premiers ordinateurs Chrome OS, prévus pour la fin de l’année 2010, soient un succès. Hypothèse plausible parce qu’un netbook sexy, peu cher, rapide au boot (on parle de 5 secondes) et rapide à la navigation (et encore plus rapide sur les services Google : Gmail, Docs, YouTube, Maps,etc), ça peut tenter même les plus rétifs.

Si le succès est donc au rendez-vous alors vous pourrez toujours arriver avec vos beaux (mais anciens) discours de migration vers des alternatives libres (change ton Internet Explorer pour Firefox, change ton Windows pour GNU/Linux), les gens s’en foutront complètement. Cela n’aura aucune prise sur eux, s’ils ont déjà entre les mains ce nouveau terminal véloce et sécurisé, qui se met à jour tout seul, et qui ne demande aucune installation classique du moindre logiciel (du reste la notion même de logiciel disparait, quant à nos bons vieux fichiers ils ne se portent guère mieux).

D’ailleurs si on se regarde un peu le nombril, c’en est également fini du service global que rend le réseau Framasoft, mais j’y reviendrai dans un futur billet[1].

La menace est réelle (d’autant que Google met le paquet comme jamais niveau marketing pour le faire connaître). Il eut été rassurant qu’elle vienne du Grand Méchant Microsoft, mais c’est ici bien plus complexe que ça, puisque c’est du plus grand contributeur mondial open source qu’il s’agit. Et pour couronner le tout il existe une version libre du navigateur Chrome et de Chrome OS avec la sous-couche Chromium.

Certes, en terme de parts de marché, le navigateur Chrome tient toujours une place modeste. Mais comparons les statistiques du Framablog il y a un an : Firefox 68%, Internet Explorer 21% et Chrome 1% à celles d’aujourd’hui : Firefox 66%, Internet Explorer 14% et Chrome 7%. La croissance est significative. Bien sûr c’est avant tout Internet Explorer qui en a pâti, mais Firefox a stagné et même, pour la première fois, un peu baissé.

Or le public de ce blog est un public disons… « averti ». Il est sensibilisé au Libre et compte aujourd’hui, parmi ses visiteurs, 32% de GNU/Linux. Comment expliquer cette forte avancée de Chrome au détriment de Firefox ? J’ai un peu peur d’en connaître la raison : bien que fort jeune Chrome est déjà un excellent navigateur qui dépasse techniquement et ergonomiquement Firefox dans bien des domaines (surtout ne l’essayez pas sous Linux avec la rapidité de Firefox en tête !). D’accord, le panda roux vient de sortir en version 3.6 mais Chrome n’est pas en reste puisque son nouveau millésime 4.0 vient faire tomber l’un des dernières barrières que constituait l’absence d’extensions.

Donc la qualité est là. Et puisque nos usages informatiques se concentrent désormais presque exclusivement sur Internet, la situation est mûre pour que Chrome OS vienne se faire rapidement une place au soleil, en court-circuitant complètement le parcours balisé qui souhaitait inciter les utilisateurs à substituer leur Windows pour du GNU/Linux. Comme dans le même temps Mac OS X continue sa progression (10% sur le Framablog), on pourrait bien se retrouver à terme avec une situation où les trois géants que sont Microsoft, Apple et Google se partagent le marché des OS grand public en laissant totalement à la marge GNU/Linux.

GNU/Linux abandonnerait alors son ambition grand public pour revenir à la case départ des serveurs et n’être plus qu’un OS pour « experts bidouilleurs », ce qu’il avait un peu cessé d’être pourtant avec l’avènement de la populaire distribution Ubuntu.

C’est pourquoi non seulement Firefox est en danger mais également Ubuntu. Du coup, l’article ci-dessous tire le bilan de la nouvelle donne et suggère fortement une association Mozilla Ubuntu pour tenter de contrarier la marche triomphante de Google (on aurait pu s’attendre à une association Mozilla Canonical plutôt, soit dit en passant).

Ce n’est pas idiot. Pour Mozilla et Ubuntu d’abord, mais aussi pour le logiciel libre dans son ensemble qui a beaucoup à perdre dans l’histoire. Parce qu’au final quelle est la plus grande différence entre Mozilla et Google ? Comparer Le Manifeste de l’un et Les conditions d’utilisation de l’autre vous donnera peut-être un début de réponse…

Ubuntu et Mozilla : L’inévitable alliance

Ubuntu and Mozilla: The inevitable alliance

Ronnie Whisler – décembre 2009 – Buntufu.com
(Traduction Framalang : Olivier et Goofy)

Les spéculations sont au journalisme technique ce que sont les prophéties à la religion. Elles n’ont d’importance, de crédibilité ou de génie que si elles se révèlent exactes. Il ne nous viendrait toutefois pas à l’idée de publier un article technique sans y risquer quelques spéculations. Spéculez sur quelques idées folles, c’est l’étincelle qui enflammera la créativité de certains individus ou de certaines entreprises. Vous voyez où je veux en venir ? Tant mieux, parce que cet article est entièrement conçu à partir de cela. En d’autres termes, tout ce que vous trouverez dans cet article n’est que pure spéculation, je n’ai aucune preuve pour étayer mes dires.

Commençons par une revue des forces en présence. À ma droite, vous avez Mozilla qui nous a prouvé que la guerre des navigateurs n’est pas terminée et que Microsoft n’est pas intouchable. À ma gauche, vous avez Ubuntu qui nous a prouvé que Linux sur l’ordinateur personnel n’est pas une utopie, qu’il peut être simple et populaire. Et finalement, il y a Google qui s’est inspiré des succès des deux autres protagonistes et qui travaille sur son propre système d’exploitation basé sur Linux, dont la pièce maîtresse est le navigateur Chrome.

Certains vous diront que c’est l’évolution. J’appelle plutôt ça tacler ses concurrents en s’appuyant sur leurs points forts et en insistant bien sur le fait que c’est un système d’exploitation tourné vers le Web dédié aux netbooks. Ça n’est, pour moi, rien d’autre qu’un stratagème pour éviter que la concurrence ne réagisse en formant des alliances avant que Chrome OS ne dévoile tout son potentiel.

Est-ce à dire que je pense que Google c’est le mal ? Non. Cependant, un grand pouvoir implique de lourdes responsabilités, mais leur puissance est telle que céder à la tentation serait facile. La tentation étant ici de tuer toute compétition pour faire rentrer plus d’argent plus facilement et faire gonfler les bénéfices. Dieu seul sait le retard qu’a pris l’Ère du Numérique parce que les hommes et les femmes à la tête de certaines grosses entreprises ont cédé à la tentation. Honte à vous tous.

Ceci étant dit, considérons les points de friction qui pourraient naître entre Google d’un côté et Mozilla et Ubuntu de l’autre si le système d’exploitation Chrome OS devenait populaire. On pense évidemment en premier lieu aux revenus de Mozilla, dont Google est la principale source. Google pourrait commencer à réduire sa rétribution au clic ou à la recherche. Google pourrait étoffer les fonctionnalités de Google search et réserver ses innovations à son navigateur pour vous pousser à utiliser Chrome, etc. On pourrait encore spéculer longtemps comme ça. Mais on a mieux à faire, non ?

La situation entre Google et Ubuntu me rappelle celle de Microsoft et Sega. Vous souvenez-vous de ce qui s’est passé quand Microsoft a aidé Sega à créer la Dreamcast ? Moi je m’en souviens ! Sega n’a pas tenu longtemps et Microsoft a lancé la Dreamcast 2… pardon, la Xbox. Quelque chose me dit que ce scénario pourrait bien se reproduire ici. Canonical devrait rester sur ses gardes. Rien n’empêcherait Google de racheter Ubuntu/Canonical évidemment. Ça ne serait pas si surprenant, après tout, si Mark Shuttleworth sait faire quelque chose, c’est bien créer une société avec le vent en poupe et la revendre avec un joli profit.

Maintenant, si Mozilla et Ubuntu/Canonical venaient à s’allier, ils devraient avoir le poids pour rivaliser avec Google ou n’importe qui d’autre. De toutes façons face aux autres grosses entreprises, ils ne peuvent pas se contenter d’être passifs au risque de se faire écarter du marché qu’ils ont aidé à créer. Fini le temps des « On verra ». L’heure est venue de se préparer pour le futur et de choisir des alliés solides.

Notes

[1] Crédit photo : Jane Rahman (Creative Commons By)




Rencontre avec Jean-Christophe Frachet et Valentin Villenave du Parti Pirate

Parti Pirate - Affiche élections régionales 2010Ce blog tente modestement d’en témoigner au quotidien, quelque chose d’important est en train de se jouer actuellement autour d’Internet et des nouvelles technologies.

En caricaturant à l’extrême, on pourrait, c’est maladroit et réducteur mais c’est parlant, poser la question ainsi : souhaitons-nous, pour aujourd’hui et pour demain, vivre dans un monde « inspiré par l’Hadopi » ou dans un monde « inspiré par le logiciel libre » ?

Politiques, industriels, juristes, financiers, publicitaires, grands médias… les tenants d’un « monde Hadopi » sont nombreux et puissants. Structurellement et culturellement issus du millénaire précédent, ils ont toutes les peines du monde à comprendre pourquoi on leur répond partage quand ils nous disent consommation. Ils ont une bonne longueur d’avance parce qu’ils possèdent pouvoir, argent, monopoles, brevets ou propriété intellectuelle, et influencent plus ou moins directement tous les moyens de communication de masse, permettant ainsi trop souvent de modeler ou endormir les esprits (qui ne se réveillent que pour les soldes).

Tous les moyens de communication sauf un. Ils ont mis du temps à comprendre mais ils ont désormais pris la mesure de la menace et ils ne s’en laisseront pas compter.

C’est dans ce contexte qu’une « minorité d’agités avant-gardiste » a décidé d’entrer en résistance pour préserver tous les possibles qu’offre potentiellement Internet (normalement, là, la musique de Star Wars devrait se déclencher).

Les modalités d’actions sont diverses et variées. Cela peut par exemple prendre la forme d’un réseau de sites et de projets collaboratifs qui placeraient subversivement toutes ses ressources sous licence libre. Cela peut également prendre la forme d’un groupe de pression qui, de Paris à Strasbourg en passant par Bruxelles, obligerait les élus du peuple à se rappeler au bon souvenir de leurs responsabilités et obligations citoyennes.

Mais cela peut aussi, et pourquoi pas, prendre carrément la forme d’un parti politique, original et différent, qui viendrait se mêler à la cour des grands pour y apporter sa fraîcheur et sa vision.

Telle est mon introduction toute personnelle du Parti Pirate, qui après une sorte de galop d’essai remarqué lors d’une législative partielle dans les Yvelines, a décidé de déployer ses voiles à l’occasion des prochaines élections régionales, où tout le monde peut encore être candidat à la candidature (on appréciera au passage la déclaration d’intention de Perline, tête de liste à Paris).

Le connaissant finalement assez peu, j’ai décidé d’en savoir plus en interviewant deux de ses membres ci-dessous.

Entretien croisé avec Jean-Christophe Frachet et Valentin Villenave

Bonjour Jean-Christophe, bonjour Valentin, pouvez-vous vous présenter rapidement ?

Jean-Christophe – Je m’appelle Jean-Christophe Frachet, j’ai 44 ans. J’ai récemment démissionné du MRC de Jean-Pierre Chevènement, où j’étais responsable de fédération, et délégué national aux TIC. J’ai, de plus, été élu à Paris dans le 2e arrondissement délégué au TIC et au développement économique de 2001 à 2008. J’ai été PDG d’un groupe de communication pendant 10 ans ; je suis aujourd’hui responsable de la mission TIC à la direction générale d’un département d’Île-de-France. Je suis au Conseil d’administration de la FING et de Silicon Sentier. J’ai une petite fille de 18 mois, et je joue de la guitare basse dans un groupe.

Valentin – Je m’appelle Valentin Villenave, j’ai 25 et je suis musicien. J’ai découvert les licences libres grâce à Framasoft, et je suis très vite devenu activiste du Libre, tant dans le domaine culturel qu’informatique (je suis contributeur du projet GNU LilyPond). J’ai rejoint le Parti Pirate dès son apparition en juin 2006, et au fil du temps, je me suis retrouvé parmi l’équipe dirigeante : je suis aujourd’hui trésorier du parti.

Qu’est-ce que le Parti Pirate ? Quel est son programme, sa motivation ?

Valentin – L’histoire du Parti Pirate commence comme une blague, un soir de réveillon (trop ?) arrosé. Un programmeur suédois qui, sur un coup de tête et pour épater ses amis, ouvre une page web avec simplement « Parti Pirate » en noir sur fond blanc. La blague marche au-delà de toute attente : des dizaines de milliers de citoyens accourent, parce qu’il y a longtemps qu’ils ne se reconnaissent plus dans les partis politiques traditionnels, parce qu’ils n’en peuvent plus d’être traités, à longueur de médias, de « pirates » pour un oui ou pour un non, et parce qu’ils y voient, enfin, l’espoir de se réapproprier une vie politique qui leur est étrangère. Rien qu’en 2006, une vingtaine de Partis Pirates apparaissent, en Europe puis dans le monde (il y en a aujourd’hui deux fois plus). En France, l’indignation suscitée par la loi « DADVSI » est grande, et les débuts du Parti Pirate seront volontiers provocateurs ; il faudra quelques semaines pour que se stabilisent une idée-force simple et évidente : il faut réaffirmer les Droits de l’homme et les valeurs citoyennes dans la société d’aujourd’hui, en tirant pleinement parti des possibilités ouvertes par le progrès technologique.

Cela passe, notamment, par un accès plus transparent, plus immédiat et universel à l’information, à la culture et à la connaissance. Le droit de la « Propriété Intellectuelle », ces deux derniers siècles, s’est transformé en un outil d’asservissement, de maintien de monopoles et de raréfaction artificielle (alors que, nous le savons bien, les richesses immatérielles peuvent aisément être partagées à l’infini). Le droit (originellement) « d’auteur », par exemple, happe les artistes dans un engrenage d’intermédiaires et d’industriels qui, de fait, les dépossède du contrôle de la façon dont est diffusé le fruit de leur travail.

Autre exemple, le système des brevets tourne en circuit fermé (ex: brevets logiciels), s’étend à tout et n’importe quoi (ex: brevets sur le vivant), et ce au détriment des régions déshéritées du monde (ex: les brevets pharmaceutiques qui empêchent l’accès au soin). Enfin, il est urgent de s’interroger sur l’avenir qui se dessine, aussi bien dans « nos » démocraties occidentales que dans le monde entier : les citoyens doivent faire entendre leur voix, partout, pour que la technologie soit un outil d’émancipation et d’enrichissement, et non d’asservissement ou de flicage. Pas besoin d’aller chercher loin pour en trouver des exemples : ici-même, sous nos yeux, la neutralité du réseau, l’accessibilité et la transparence de l’information, les libertés civiques les plus fondamentales (liberté d’expression, droit à la vie privée) sont constamment rognées sous des prétextes de lutte contre le terrorisme, contre la pédophilie,… sans oublier les vilains « pirates » !

Jean-Christophe. – Après trois ans et demi d’existence en France, j’ai proposé au Parti Pirate de se doter d’un premier texte fondateur, que nous avons rédigé ensemble pour récapituler nos positions et nous permettre de nous exprimer dans différents domaines. Nous en avons assez de la politique purement gestionnaire qui navigue à vue. On arrive à des absurdités où l’on se plaint qu’on ne vend pas assez de voitures mais il ne faut pas s’en servir parce que ça pollue ! On appuie sur le frein et l’accélérateur en même temps.

Le Parti Pirate défend les valeurs de Liberté, Egalité et Fraternité, que l’on pourrait appeler le socle Républicain. Il est le seul qui prend aujourd’hui en compte le bouleversement de l’arrivée de l’internet et des nouvelles technologies avec tout ce que cela modifie dans nos sociétés et nos organisations. Le « développement durable » est aussi une dimension très présente, qui complète notre réflexion. C’est sur ces trois piliers que s’articulent nos prises de positions et propositions.

Est-ce à dire que les partis traditionnels déjà en place ne remplissent pas toutes leurs responsabilités ? Se coupent-ils de la jeune génération ?

Jean-Christophe – Je pense que les Partis « traditionnels » ne prennent pas en compte les bouleversements de l’arrivée des TIC. Nous avons des générations d’hommes et de femmes au pouvoir qui sont nés dans l’illusion d’abondance de ressources et d’énergie, mais dans une rareté de l’information. Cependant c’est aujourd’hui le contraire : il y a pénurie de ressources et d’énergie, alors que l’information est accessible au plus grand nombre. Je crois aux fondamentaux Républicains et à ce projet de société. Pour moi, c’est un projet collectif au service des individus. Mais si on prend en compte le passage de l’ère industrielle à la société de l’information, beaucoup de paradigmes sont remis en question (biens dématérialisés, temps, espaces, citoyenneté, sphère privée,…). Il ne faut pas chercher les solutions de demain avec le contexte d’hier. Je pense que la fracture est là.

Valentin – Nous n’avons pas la prétention d’être un parti générationnel ! Il est certain qu’une certaine partie de la population s’est déjà rendu compte des formidables opportunités nouvelles qu’ouvre, par exemple, Internet ; nous ne devons pas nous en réjouir, mais faire en sorte que cette connaissance s’étende le plus vite possible au reste des citoyens ! En ce qui concerne les partis traditionnels, nous avons bon espoir qu’ils comprendront tôt ou tard qu’il n’y a pas de sens à s’accrocher à un édifice républicain « pyramidal ». Cette prise de conscience a déjà commencé, et se traduit par des réactions de peur, ou de convoitise. Nous voulons croire que peu à peu la notion d’intérêt général prédominera. Le but ultime du Parti Pirate… c’est qu’il n’y ait plus besoin de Parti Pirate !

Et êtes-vous réellement si différent d’un parti écologiste par exemple ? Et que feriez-vous si un tel parti, ou un autre, adoptait en bloc votre programme ?

Valentin – Cela a déjà commencé, très tôt. Nous nous en réjouissons, même si nous regrettons souvent que nos propositions les plus marquantes (par exemple, légalisation du P2P) soient reprises sans les questions fondamentales qui vont avec : à aucun prix nous ne voulons devenir un simple distributeur à buzzwords. Nous cherchons à inventer et proposer un modèle de société, pas à fournir des concepts creux pour communicants de tous poils. Tu évoques les mouvements écologistes ; il est vrai qu’on nous en rapproche parfois, et d’ailleurs les députés européens Pirates siègent avec le groupe parlementaire des Verts. Mais nous osons croire que (tout comme nos préoccupations) le souci des générations futures et du Tiers-monde ne sont pas l’apanage d’un parti quel qu’il soit !

Jean-Christophe – Avant tout, nous défendons des idées. Les idées appartiennent à ceux qui les mettent en œuvre en politique. Il me semble néanmoins qu’il est nécessaire d’avoir une vision politique au delà de telle ou telle proposition. Certains points peuvent nous rapprocher effectivement d’un parti écologiste, mais je ne vois pas pourquoi seulement de ce type de parti. Mon modeste parcours en politique m’a appris à me méfier des étiquettes. J’ai tellement rencontré, par exemple, de militants ou d’élus qui se réclamaient de Gauche et qui avaient oublié l’intérêt général et la défense des services publics ! C’est pour ça qu’au delà des Partis, il y a les idées et les actes.

Jean-Christophe, tu te présentes aux prochaines régionales en tête de la liste Île de France du Parti Pirate. Quelles sont les spécificités de cette région par rapport aux thèmes qui vous sont chers ?

Jean-Christophe. – Avec la réforme territoriale, la Région va prendre de plus en plus d’importance. Et l’Île de France, à ce titre, est symbolique de par son rayonnement national et international. Les problématiques de transport, de logement ou d’éducation y prennent des proportions considérables. Je ne pense pas qu’il y ait un seul domaine qui ne puisse pas être regardé sans tenir compte de l’arrivée des nouvelles technologies et du développement durable. C’est transversal, général et inéluctable.

Par exemple, passer du transport à la mobilité. Comment rendre utile le temps de transport et favoriser le télétravail plutôt que multiplier le nombre de routes ou bien la taille des trains. Cela ne suffira jamais avec l’évolution de la démographie. La spécificité de l’ïle de France, c’est 20% de la population Française, un territoire parmi les plus visités au monde et un rayonnement international.

Valentin – D’une façon générale, les régions sont un espace de choix pour implémenter une politique publique d’accès aux infrastructures, au savoir (lycées, portails Internet, information du grand public,…) et à la culture. Et elles ont également un rôle primordial à jouer dans la défense des libertés civiques : ainsi, la région Île-de-France est particulièrement mise à contribution de la politique sécuritaire que prévoit le projet de loi « Loppsi », que nous avons lu très attentivement et dont nous serons amenés à beaucoup reparler dans les semaines à venir…

Ce n’est pas la première expérience électorale nationale du Parti Pirate puisqu’il y a eu la législative partielle de la 10ème circonscription des Yvelines en septembre dernier. Quels enseignements en avez-vous tiré ? La petit polémique qui a suivi était-elle infondée ?

Jean-Christophe – Même si je suivais déjà tout ça avec attention, je n’étais pas encore au Parti Pirate à cette époque. Valentin ?

Valentin – Ah, les Yvelines… Une bonne surprise au premier tour (où nous avons fait plus de 2%), une mauvaise surprise au second tour (où l’UMP s’est maintenue, à 5 voix près !). Notre candidat Maxime Rouquet n’avait pas voulu donner de consigne explicite, mais avait signalé que le choix de nos électeurs serait « décisif, et pourrait faire basculer cette circonscription » en faveur de la candidate écologiste. D’aucuns ont accusé le Parti Pirate d’avoir fait le jeu de la droite, d’où cette « tempête dans un Vert d’eau » à laquelle tu fais allusion.

Mon principal regret est que cette campagne tout entière ait été submergée par la loi «Hadopi», ce qui a notamment permis au député UMP sortant de brouiller les pistes en s’achetant une vocation de anti-hadopiste de la onzième heure. Il n’en demeure pas moins que le (relatif) enthousiasme provoqué au premier tour par la présence du Parti Pirate ne pouvait que s’estomper lors d’un second tour entre deux partis plus traditionnels.

Nous avons d’ailleurs tenu à rencontrer les Verts par la suite, pour réaffirmer clairement que notre propos n’est pas de faire obstacle à un parti en particulier, et certainement pas au leur. Bien au contraire, comme je le disais plus haut, nous ne pouvons qu’appeler de nos vœux une remise en question profonde des partis traditionnels, que nous souhaiterions plus proches des citoyens, plus ouverts à la société et au monde d’aujourd’hui. Et il sera à ce titre particulièrement intéressant de voir dans quel sens les Verts ont la volonté (et la capacité) d’évoluer.

Comment s’inscrit le Parti Pirate au sein des autres partis pirates nationaux ? Je pense notamment au suédois qui a fait grand bruit aux dernières élections européennes. Et d’ailleurs que fait-il ce Piratpartiet suédois depuis qu’il siège au parlement ?

Valentin – Le mouvement Pirate a ceci d’intéressant (et d’inédit) qu’il a commencé à exister au niveau international avant même le niveau national. Le Parti Pirate International, comme il convient aujourd’hui de l’appeler, est un agrégat à la fois disparate et surprenamment uni ; non en ce qu’il n’y a pas de débats animés, mais qu’on trouvera souvent plus de dissensions entre deux pirates d’un même pays qu’entre des pirates des quatre coins du monde ! Premier parti pirate historiquement, le Piratpartiet est aujourd’hui l’un des partis les plus importants de Suède. Outre son efficacité et le talent de ses membres, il a bénéficié (comme nous-même avec Hadopi) de la politique inique et choquante du gouvernement : la mascarade de procès The Pirate Bay, etc.

Vous apportez un regard nouveau à notre fameuse devise républicaine sur votre site. Or Richard Stallman commence toujours ses conférences en français par : « Je puis définir le logiciel libre en trois mots : liberté, égalité, fraternité… ». Dans la mesure où Framasoft sort en ce moment un livre qui lui est consacré, que vous inspirent cette personnalité et sa croisade pour le logiciel libre ?

Jean-Christophe – Je trouve l’analogie avec les fondamentaux républicains très intéressante. En effet, le logiciel libre regroupe ces concepts. Richard Stallman est « un grand bonhomme », qui a fait beaucoup pour apporter une vision politique, même si cela n’est pas vu comme tel pour une « population » qui, même si elle est militante, se défend d’être politisée. Je pense que c’est dans quelques années que le grand public se rendra compte de l’apport théorique qu’il a apporté à cette société de l’information qui se met en place. Va-t-on revenir aux deux blocs de la guerre froide, du moins sur le plan idéologique ?

Valentin – RMS est sans aucun doute le participant le plus éminent des discussions du Parti Pirate International, dont il ne loupe pas une miette, toujours avec la patience et la minutie qui le caractérisent. J’ai deux grandes fiertés : la première est de pouvoir entretenir, grâce à notre Parti Pirate frenchy, une relation privilégiée avec lui ; nous avons d’ailleurs été les premiers à prendre en compte ses remarques sur la réforme du copyright. La seconde, bien moins anecdotique, est qu’il est également indéniable que l’apparition du Parti Pirate a visiblement nourri la pensée de rms lui-même, et contribue à donner corps à ce qu’il avait pressenti dès le début : « le logiciel Libre est un mouvement social ».

Lorsqu’il nous a rejoints cet automne, Jean-Christophe a été (agréablement, je crois) surpris de constater combien nous étions attachés aux valeurs citoyennes de Liberté, Égalité, Fraternité. De fait, c’est peut-être là l’extraordinaire convergence que permet de réaliser le Parti Pirate : offrir aux communautés du Libre, du P2P, aux artistes, aux citoyens de tous horizons une base commune de dialogue, de réflexion et d’action. Mes collègues du PP vont probablement me dire que ce sont de bien grands mots, mais c’est exactement cette convergence qui m’a amené à tenir bon, contre vents et marées, depuis près de quatre ans, en tant que contributeur Libriste, enseignant, auteur, et citoyen avant tout, le Parti Pirate est presque un résumé de ma vie 🙂

Et d’ailleurs que vous inspire la citation qui orne le Framablog : « …mais ce serait peut-être l’une des plus grandes opportunités manquées de notre époque si le logiciel libre ne libérait rien d’autre que du code » ?

Valentin – … Que cette phrase a une mauvaise influence sur les âmes trop sensibles, puisqu’elle m’a moi-même conduit à gaspiller bêtement quatre ans de ma vie au lieu de m’inscrire à la SACEM « comme tout le monde »… Au-delà de l’anecdote, nous espérons que le Parti Pirate pourra « hacker » la vie politique de la même façon que RMS a « hacké » le copyright lorsqu’il a rédigé la toute première licence libre. L’internet a potentiellement aboli la distance entre émetteur et récepteur, et ouvre la voie à de nouveaux modèles sociaux : contributifs, plus horizontaux et moins pyramidaux. Du reste, les mordu(e)s du Libre ne s’y trompent pas puisque Perline, grande SPIPienne devant l’Éternel, nous a également rejoints il y a peu !

Jean-Christophe – Je pense qu’en effet, il y a des modèles dans le libre qui peuvent être déclinés dans la vie matérielle. Nous avons besoin de revisiter certains fondamentaux de notre société et la société de l’information va très vite, on pourrait dire des années de chien (1 an = 7 ans) ! Il y a des modèles qui se mettent en place, évoluent, mutent et se perfectionnent ou meurs rapidement. C’est presque un laboratoire en accéléré de différents modes de société. Il me semble que l’on pourrait s’en inspirer parfois en politique.

Et pour parfaire le tableau, notre slogan : « La route est longue mais la voie est libre… »

Valentin – Je relis cette phrase avec un peu de nostalgie car elle me renvoie à une époque lointaine où l’on pouvait se dire que la vie politique française avait touché le fond… Nous étions loin du compte.

Jean-Christophe – En effet, nous n’en sommes qu’au début.

Quant à Lenine, il disait : « le communisme, c’est les soviet plus l’électricité ». Et Internet, c’est les réseaux sociaux plus l’électricité ?

Jean-Christophe – Je pense que le réseau c’est le cartographie d’un nouveau monde avec de nouvelles frontières, de nouvelles règles et de nouveaux acteurs. Il y a 15 ans, on ne se serait pas douté de ce qui advient aujourd’hui, alors dans 15 ans… Tout est possible, le meilleur comme le pire, mais à une échelle de temps très réduite.

Valentin – À titre personnel, l’expression même de « réseau social » me hérisse. Nous sommes heureusement nombreux à faire tout notre possible pour qu’Internet ait davantage à apporter aux populations du monde que des gadgets branchouilles et propriétaires.

Vous souhaitez en profiter pour lancer un appel important je crois…

Jean-Christophe – En effet, nous proposons à tout citoyen qui partage nos idées de partager les listes avec nous, sans nécessairement adhérer au Parti Pirate : nous défendons des idées, pas des étiquettes.

Nous avons fait un dossier à télécharger où tout est expliqué. Il ne faut pas trainer, les listes sont à déposer début février ! Vous pouvez en savoir plus sur : http://2010.parti-pirate-elections.fr/Etre-candidat-a-la-candidature

En tout cas, bravo pour le travail que vous faites à Framasoft, c’est utile pour aujourd’hui et pour demain. Et en plus, c’est sympa, ce qui ne gâche rien !

Valentin – Merci à toi aKa pour ton curiosité, ton dévouement et tes questions toujours pertinentes et approfondies. À très bientôt !




Critique de la biographie de Richard Stallman par Sébastien Broca

Richard Stallman - Bastien WirtzSébastien Broca a été parmi les rares privilégiés à acquérir le livre Richard Stallman et la révolution du logiciel libre avant les autres, au cours de la rencontre organisée par les éditions Eyrolles à Paris le 12 janvier dernier (dédidace « Happy Hacking » de Richard incluse[1]).

Le lendemain, il m’envoyait spontanément un courriel enthousiaste en me faisant part de ses premières impressions sur un livre qu’il avait parcouru dans sa totalité en moins de 24h !

Et moi, ni une ni deux, de lui demander gentiment de pousser la chansonnette jusqu’à en faire un billet pour le Framablog 😉

Difficile de vous cacher que cela nous a fait à tous très plaisir à lire…

Le livre lu par Sébastien Broca

Compte-rendu : Richard M. Stallman, Sam Williams, Christophe Masutti, « Richard Stallman et la révolution du logiciel libre. Une biographie autorisée », Eyrolles, Paris, 2010.

La biographie de Richard Stallman publiée aux Éditions Eyrolles constitue un ouvrage inhabituel à plus d’un titre. Il s’agit tout d’abord du premier ouvrage en français à se pencher en détail sur la vie du fondateur du mouvement du logiciel libre, dont la notoriété dans le monde informatique ne s’est pas encore vraiment étendue au grand public. C’est également un ouvrage présentant la particularité d’être publié sous une licence dite « libre » (la GNU Free Documentation License), c’est-à-dire donnant droit à chacun de le copier, de le distribuer et de le modifier. Il s’agit enfin d’une biographie singulière, dans la mesure où Richard Stallman a lui-même relu l’ensemble du manuscrit, y apportant des remarques personnelles et des corrections, lorsque certains faits lui paraissaient rapportés de manière erronée ou incohérente. L’ouvrage se présente ainsi comme une œuvre à trois voix. Le texte original publié aux Etats-Unis en 2002 par Sam Williams a été largement retravaillé par Richard Stallman, avant d’être traduit par la communauté en ligne Framasoft, à la source du projet français.


Ce processus d’écriture original confère à l’ouvrage toute sa dynamique. Si Sam Williams fait preuve d’une certaine admiration pour le père du logiciel libre, et plus encore pour son œuvre, il insiste également sur les tensions que son intransigeance morale, couplée à son souci quasi obsessionnel de l’exactitude verbale et conceptuelle, n’ont pas manqué de susciter à travers les ans, et ce jusque dans son propre « camp ». L’inflexibilité de Richard Stallman a ainsi scindé la communauté du libre entre partisans du free software et adeptes de l’open source ; ces derniers axant leur discours sur les qualités techniques et les opportunités économiques propres aux « logiciels à source ouverte », et non sur les raisons éthiques de préférer le logiciel libre. Les différents volets de ce débat, symbolisé par les personnalités largement antithétiques de Richard Stallman et Linus Torvalds (créateur du noyau Linux), sont bien rapportés. Le lecteur en retire une compréhension fine des ressorts de l’engagement de Richard Stallman, et des différentes controverses idéologiques qui traversent la communauté du logiciel libre.


D’autres épisodes narrés par Sam Williams peuvent paraître plus anecdotiques, mais ils donnent à l’ouvrage toute son épaisseur historique et humaine. Des passages relativement longs sont ainsi consacrés à la description du milieu de la recherche informatique aux Etats-Unis dans les années 1970, avant l’apparition de l’ordinateur personnel. Le lecteur se trouve ainsi plongé dans l’ambiance particulière, qui régnait au laboratoire d’intelligence artificielle du MIT, dont Richard Stallman fut membre jusqu’en 1984. Il y découvre les spécificités de l’ethos professionnel des hackers, caractérisé par un rapport passionnel à la programmation et une valorisation sans limites du partage et de la collaboration entre pairs. Il comprend de la sorte les raisons de l’indignation ressentie par Richard Stallman, face au mouvement de privatisation connu par l’industrie informatique au début des années 1980. Ces passages figurent ainsi parmi les plus intéressants du livre, en ce qu’ils éclairent à merveille le contexte sociologique et historique ayant présidé à la naissance du mouvement du logiciel libre.


Les interventions de Richard Stallman dans le texte, à travers de petits encarts dans lesquels il réagit aux événements racontés ou aux idées qui lui sont prêtées, donnent à l’ouvrage une saveur supplémentaire. On y retrouve ainsi par petites touches l’expression de son intelligence hors du commun et de son horreur de l’imprécision, le tout asséné sur un ton parfois assez sec et pince-sans-rire. Ces intrusions intempestives offrent presque toujours un contrepoint intéressant, et achèvent de faire de cette biographie une nouvelle référence, pour quiconque souhaite comprendre un personnage hors norme, et un mouvement, dont la portée sociale excède désormais de loin le seul domaine informatique.

Notes

[1] Crédit photo : Bastien Wirtz (OpenCoding)