Les dangers du livre électronique, par Richard Stallman

Le jour viendra où lire tranquillement un livre dans un parc deviendra un acte de résistance.

Nous ne sommes plus très loin en effet de Fahrenheit 451 et surtout de la nouvelle Le droit de lire, rédigée par Richard Stallman en… 1997, et malheureusement plus proche aujourd’hui de la triste réalité que de la fiction délirante[1].

Le même Richard Stallman se livre ci-dessous à une comparaison édifiante entre un livre papier et un livre électronique (ou e-book). Je me retourne et suis alors bien content de trouver encore de vrais livres dans ma bibliothèque…

Remarque 1 : Un billet qui fait écho à l’excellent (mais tout aussi inquiétant) Lisez, vous êtes surveillés de Jean-Marc Manach.

Remarque 2 : Raison de plus pour soutenir notre transparent projet Framabook, par exemple en achetant la version vraie livre des ouvrages 🙂

Giles Lane - CC by-nc-sa

Stallman : E-books malfaisants et vie privée

Stallman on E-Book Evils & Privacy

Alan Wexelblat – 19 janvier 2012 – Copyfight
(Traduction Framalang/Twitter : kamui57, HgO, Cubox, ncroizat, Palu, adelos, Felor, Shoods, electronichien, Don Rico)

J’étais invité en fin de semaine dernière à une table ronde sur le droit d’auteur avec Richard Stallman. L’homme s’est certainement assagi avec l’âge (même si je suis heureux de ne pas avoir été invité à une table ronde sur « l’héritage de Steve Jobs » avec lui). Avant le début des discussions, il m’a tendu un papier intitulé « Le danger des e-books », que vous trouverez sur son site (NdT : et donc traduit ci-après par nos soins).

Les points qu’il soulève sont pour l’essentiel ceux dont nous avons débattu ces derniers mois – questions de propriété, formats propriétaires, DRMs restrictifs, etc. Mais j’ai pensé qu’il valait mieux bloguer au sujet de son premier point, qui crève les yeux tellement c’est évident et que j’ai pourtant manqué. Les e-books, du moins la façon dont ils sont vendus aujourd’hui par les principaux fournisseurs, présentent un risque majeur de confidentialité que les livres physiques ne posent pas.

Comme le note Stallman, vous pouvez vous rendre dans une librairie et acheter un livre physique de manière anonyme, le plus souvent juste avec des espèces. Tout au plus pourrait-on exiger de vous de prouver votre âge pour certains contenus, mais aucune trace des informations que vous donnez ne sera conservée. Contrairement à l’achat d’un e-book, qui requiert une identification, reliée à une carte de crédit, un compte bancaire, et d’autres informations difficiles à supprimer. Ces traces d’achat peuvent alors être invoquées ou saisies par les autorités qui pourraient avoir un intérêt à savoir ce que vous avez lu. Avez-vous acheté des livres sur les fertilisants agricoles récemment ? Ou peut-être vivez-vous dans un pays du Moyen-Orient et votre gouvernement se préoccupe soudainement du fait que vous avez acheté des e-books expliquant comment construire des applications se connectant à l’API de Twitter.

Même si les autorités ne saisissent pas vos enregistrements, nous avons déjà nombre de preuves que ceux qui les possèdent vont bafouer la loi pour obtenir des informations personnelles utiles à leur commerce. Si votre liste de lecture ressemble à la mienne, il doit déjà y avoir dessus suffisament de choses pour alimenter les soupçons. Le Comic Book Legal Defense Fund (NdT : Fond de Défense Juridique des créateurs de Bandes Dessinées), par exemple, suit de nombreux cas de gens dont les habitudes de lecture se sont avérées suivies et surveillées pour les autorités.

Jonsson - CC by

Les e-books et leurs dangers

The Danger of Ebooks

Richard Stallman – 2011 – Creative Commons Paternité 3.0
(Traduction Framalang/Twitter : kamui57, HgO, Cubox, ncroizat, Palu, adelos, Felor, Shoods, electronichien, Don Rico)

Alors que le commerce régit nos gouvernements et dicte nos lois, toute avancée technologique offre aux entreprises une occasion d’imposer au public de nouvelles restrictions. Des technologies qui devraient nous conférer davantage de liberté sont au contraire utilisées pour nous entraver.

Le livre imprimé :

  • On peut l’acheter en espèces, de façon anonyme.
  • Après l’achat, il vous appartient.
  • On ne vous oblige pas à signer une licence qui limite vos droits d’utilisation.
  • Son format est connu, aucune technologie privatrice n’est nécessaire pour le lire.
  • On a le droit de donner, prêter ou revendre ce livre.
  • Il est possible, concrètement, de le scanner et de le photocopier, pratiques parfois légales sous le régime du copyright.
  • Nul n’a le pouvoir de détruire votre exemplaire.

Comparez ces éléments avec les livres électroniques d’Amazon (plus ou moins la norme) :

  • Amazon exige de l’utilisateur qu’il s’identifie afin d’acquérir un e-book.
  • Dans certains pays, et c’est le cas aux USA, Amazon déclare que l’utilisateur ne peut être propriétaire de son exemplaire.
  • Amazon demande à l’utilisateur d’accepter une licence qui restreint l’utilisation du livre.
  • Le format est secret, et seuls des logiciels privateurs restreignant les libertés de l’utilisateur permettent de le lire.
  • Un succédané de « prêt » est autorisé pour certains titres, et ce pour une période limitée, mais à la condition de désigner nominalement un autre utilisateur du même système. Don et revente sont interdites.
  • Un système de verrou numérique (DRM) empêche de copier l’ouvrage. La copie est en outre prohibée par la licence, pratique plus restrictive que le régime du copyright.
  • Amazon a le pouvoir d’effacer le livre à distance en utilisant une porte dérobée (back-door). En 2009, Amazon a fait usage de cette porte dérobée pour effacer des milliers d’exemplaires du 1984 de George Orwell.

Un seul de ces abus fait des livres électroniques une régression par rapport aux livres imprimés. Nous devons rejeter les e-books qui portent atteinte à nos libertés.

les entreprises qui les commercialisent prétendent qu’il est nécessaire d’empiéter sur nos libertés afin de continuer à rémunérer les auteurs. Le système actuel du copyright rétribue généreusement ces entreprises, et chichement la grande majorité des auteurs. Nous pouvons soutenir plus efficacement les auteurs par des biais qui ne requièrent pas que l’on porte atteinte à notre liberté, et même légaliser le partage. Voici deux méthodes que j’ai déjà suggérées :

  • Concevoir des programmes permettant aux utilisateurs d’envoyer aux auteurs des paiements volontaires et anonymes.

Les livres électroniques n’attaquent pas systématiquement notre liberté (ceux du Projet Gutenberg la respectent), mais ce sera le cas si nous laissons toute latitude aux entreprises. Il est de notre devoir de les en empêcher.

Soutenez notre cause en vous inscrivant à cette liste de diffusion.

Notes

[1] Crédit photos : Giles Lane (Creative Commons By-Nc-Sa) et Jonsson (Creative Commons By)




Pourquoi les codeurs sont des oiseaux de nuit ?

« Les développeurs travaillent la nuit parce que cela les dispense de contraintes horaires. Ils sont alors plus détendus, ne se dispersent pas, et la luminosité de l’écran neutralise la fatigue. »

Telles sont les hypothèses de Swizec Teller, jeune blogueur (et donc aussi et surtout développeur) slovène[1].

Et vous ? Travaillez-vous aussi principalement de nuit et si oui que vous inspire ce témoignage ?

Stuart Pilbrow - CC by-sa

Pourquoi les programmeurs travaillent de nuit

Why programmers work at night

Swizec Teller – 15 décembre 2011 – A geek with a hat
(Traduction Framalang : Deadalnix, Goofy, Martin, Pandark, DonRico, Antistress)

Il est d’usage de dire que les programmeurs sont des machines qui transforment la caféine en code.

Demandez donc au premier développeur venu à quel moment il est le plus efficace. Il y a de fortes chances qu’il reconnaisse travailler souvent très tard la nuit. Certains sont plus matinaux que d’autres. Une tendance répandue est de se lever à quatre heures du matin et de se mettre au travail avant que la folle agitation de la journée ne commence. D’autres préfèrent se coucher à quatre heures du matin.

L’essentiel, c’est d’éviter les distractions. Mais il est toujours possible de fermer la porte à clé, alors la nuit, qu’est-ce que ça apporte de plus ?

Je pense que cela tient à trois éléments : l’emploi du temps du créateur, le cerveau fatigué et la luminosité des écrans d’ordinateurs.

L’emploi du temps du créateur

C’est en 2009 que Paul Graham a écrit un billet au sujet de l’emploi du temps du créateur – en résumé, il existe deux grandes familles d’emplois du temps en ce bas monde.

D’un côté, l’emploi du temps traditionnel du manager, ou la journée est découpée en heures, et où dix minutes de distraction coûtent, au maximum, l’équivalent d’une heure de temps de travail.

De l’autre, on a ce que Paul Graham nomme l’emploi du temps du créateur – un emploi du temps pour ceux qui produisent quelque chose. Travailler sur des systèmes abstraits de grande envergure nécessite d’avoir l’ensemble dudit système en tête. Quelqu’un a un jour comparé ce processus à la construction d’une maison faite en cristal précieux. Dès que quelqu’un vous distrait, l’édifice s’écroule et se brise en mille morceaux.

Voilà pourquoi les programmeurs supportent si mal que l’on perturbe leur concentration.

À cause de cet investissement intellectuel important, nous ne pouvons tout simplement pas nous mettre au travail avant d’avoir quelques heures de tranquillité devant nous. Inutile de construire ce modèle dans notre tête pour le voir démoli une demi-heure plus tard.

En fait, en interrogeant de nombreux entrepreneurs, vous découvrirez qu’ils pensent ne pas être capables de véritablement travailler pendant la journée. Le flot constant d’interruptions, de choses importantes™ à régler et de courriels à rédiger l’interdit. Résultat, ils accomplissent en grande partie leur « vrai boulot » pendant la nuit, quand les autres dorment.

Le cerveau fatigué

Mais même les programmeurs ont besoin de dormir la nuit. Nous ne sommes pas des êtres supérieurs. Même les programmeurs sont plus attentifs le jour.

Alors pourquoi accomplissons-nous notre vrai boulot, complexe et exigeant, quand notre cerveau réclame du repos, et effectuons des tâches plus simples lorsque nous capacités intellectuelles sont les plus affutées ? Parce qu’être fatigué fait de nous de meilleurs codeurs.

De façon similaire au Ballmer Peak (Ndt : théorie selon laquelle les programmeurs sont plus efficaces avec un certain taux d’alcool dans le sang), la fatigue nous permet d’être mieux concentré, car le cerveau n’a alors d’autre choix que de se focaliser sur une tâche précise ! Il n’a pas assez d’excédent de capacités pour se permettre de vagabonder.

J’ai l’impression que les moments où je suis le moins efficace, c’est quand j’ai bu trop de thé ou une boisson énergisante à un moment mal calculé. La caféine ou les vitamines me rendent hyperactif, et je passe alors en permanence de Twitter au blog de tel ou tel, et j’ai l’impression de m’agiter dans tous les sens…

On pourrait croire que je travaillerais mieux à ce moment-là, quand j’ai de l’énergie à revendre et le cerveau en ébullition, mais non. Je ne cesse de me prendre les pieds dans le tapis, parce que je suis incapable de me concentrer plus de deux secondes d’affilée.

À l’inverse, lorsque je suis en état de fatigue légère, je ne bouge pas les fesses de mon siège et j’écris du code, rien d’autre. Je peux alors coder des heures entières sans même songer à consulter Twitter ou Facebook. C’est comme si internet cessait d’exister.

J’ai le sentiment que ce phénomène se vérifie chez la majorité des programmeurs. Nous disposons de trop de capacité cérébrale pour environ 80% des tâches qui nous incombent. Ne nous leurrons pas, l’écriture d’un tout petit algorithme bien corsé nécessite dix fois plus de ligne de codes que la construction de l’environnement dans lequel il pourra s’exécuter. Même si vous bossez sur l’apprentissage automatique (ou je ne sais quoi d’autre) le plus pointu, une grande partie du travail consiste simplement à nettoyer les données et à présenter les résultats de façon élégante.

Et quand le cerveau ne tourne pas à plein régime, il cherche à s’occuper. La fatigue vous abrutit juste ce qu’il faut pour que votre travail en cours lui suffise.

La luminosité des écrans

Là, c’est plutôt simple. Le soir, restez devant une source de lumière vive, et votre cycle de sommeil se décale. Vous oubliez la fatigue jusqu’à trois heures du matin. Ensuite, vous vous réveillez à onze heures, et lorsque le soir pointe le bout de son nez, vous n’êtes même pas crevé parce, je vous le donne en mille, vous vous êtes levé super tard !

Si cela se reproduit un certain nombre de fois, vous pouvez vous retrouver dans un fuseau horaire différent. Plus intéressant encore, il semblerait que le décalage finisse par stagner, car lorsqu’on atteint un rythme de croisière en se couchant à trois ou quatre heures du matin, on finit par se caler sur ces horaires.

À moins que ce ne soit tout bêtement à cause des radio-réveils, parce que la société nous renvoie l’image de grosses larves si on prend le petit-déj à deux heures de l’après-midi.

Fin

En conclusion, les programmeurs travaillent la nuit parce que cela les dispense de contraintes horaires. Ils sont alors plus détendus, ils ne se dispersent pas, et la luminosité de l’écran neutralise la fatigue.

Notes

[1] Crédit photo : Stuart Pilbrow (Creative Commons By-Sa)




Le jour d’après le blackout SOPA ou ce que j’aurais aimé entendre de Wikipédia & Co

Voilà, le spectaculaire blackout du 18 janvier 2012 touche à sa fin.

Derrière la Wikipédia en anglais, de très nombreux sites se sont mobilisés (américains mais pas seulement), contribuant à faire de cette journée un succès médiatique à l’échelle planétaire. En compliquant à n’en pas douter la tâche de ceux qui voulaient faire passer en douce ces lois liberticides que sont SOPA et PIPA.

Sauf que, comme disait Bécaud : « Et maintenant, que vais-je faire ? »

Vais-je reprendre tranquillement le cours de ma vie en attendant passivement que l’on vienne éventuellement encore me solliciter en urgence, ce qui ne manquera pas d’advenir tant sont actuellement vivaces les tensions entre l‘ancien et le nouveau Monde ?

« SOPA n’aurait pas pu arriver aussi loin si les électeurs avaient été mieux informés et plus actifs », nous rappelle ici Joe Brockmeier, chroniqueur à ReadWriteWeb.

Et l’HADOPI, la LOPPSI, l’ACTA, etc. chez nous en France et en Europe ?

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Ce que j’aurais aimé que Wikipédia et les autres nous disent à propos de SOPA/PIPA

What I Wish Wikipedia and Others Were Saying About SOPA/PIPA

Joe Brockmeier – 18 janvier 2012 – ReadWriteWeb
(Traduction Framalang/Twitter : hms, kamui57, ZeHiro, 0ri0nS, PI3RR3-29, LunixA380, khoyo, vecko_, moala, FredB, DonRico)

Le black-out auquel Wikipédia, Mozilla, WordPress.com et de nombreux autres sites ont participé le 18 janvier pour protester contre SOPA/PIPA attirent (je l’espère) l’attention vers ces projets de lois qui sont considérés comme une menace envers la « liberté sur Internet ». Cette initiative est louable, admirable, et (espérons-le) permettra de freiner SOPA/PIPA pour encore au moins une session parlementaire. Les explications que j’ai pu lire de la part de Wikipédia et d’autres jusqu’à présent détaillent assez bien pourquoi SOPA/PIPA ne doivent pas être adoptés. Ce qu’ils ne disent pas, c’est que SOPA/PIPA font partie de la routine, et que la protestation est un effort de dernier ressort, rendu nécessaire parce que le système législatif et les médias dominants, fondamentalement, ne fonctionnent pas.

Le black-out et les autres actions de protestation qui ont eu lieu aujourd’hui sont le résultat d’une contre-offensive vive et soutenue contre un projet de loi que le Congrès tente de faire passer en force malgré l’opposition générale. Pourtant, Lamar Smith et de nombreux autres membres de la Chambre des Représentants et du Sénat ont foncé tête baissée. Pourquoi ? En partie, bien sûr, parce qu’ils sont généreusement financés par l’industrie du divertissement, qui souhaite voir cette loi votée, mais aussi parce qu’ils croient qu’on les laissera faire.

Le secret inavouable de SOPA, ce n’est pas que l’industrie du divertissement a beaucoup plus d’influence sur le Congrès qu’elle ne le devrait. Quiconque s’intéresse à la question le sait déjà. Le secret inavouable de SOPA, c’est que 99% du temps, presque personne ne s’intéresse à ce que fait le Congrès.

À part sur quelques sujets sensibles, la plupart des électeurs américains se contentent de se plaindre du gouvernement sans jamais s’impliquer en suivant l’élaboration des lois ou des questions de politique, sauf (peut-être) à l’approche d’un scrutin.

La plupart des outils de protestation contre SOPA/PIPA doivent orienter les visiteurs vers leurs représentants car ils ignorent qui ils sont et comment les contacter. Penchons-nous un instant sur cette question. C’est évidemment une bonne pratique pour les organisations politiques que de faciliter autant que possible l’intervention des électeurs. Mais, sans directives, une grande partie des électeurs n’a aucune idée de qui contacter ni comment. Pire encore, sauf à rendre la chose aussi simple que possible, ils ne se donneront pas ce mal.

Dans ce contexte, il n’est guère étonnant que Lamar Smith ait cru qu’il pourrait faire passer SOPA en force malgré l’opposition généralisée de presque tous les acteurs de l’industrie des nouvelles technologies.

Ce que j’aurais aimé qu’ils disent

Je me réjouis que toutes ces organisations s’opposent à ce projet de loi. Mais en appeler à ce que certains nomment « l’option nucléaire » ne servira pas à grand-chose. Même si l’on se débarasse de SOPA/PIPA cette année, elles reviendront sous un nouvel avatar l’an prochain. L’industrie du divertissement a les moyens de tenter sa chance sans relâche, sachant que l’attention du public est éphémère. Les lobbyistes qui travaillent sur des sujets tel que SOPA sont payés pour les faire adopter par le Congrès. Ils peuvent s’y consacrer année après année, alors que l’électorat doit faire un effort important pour surveiller les actions de leurs représentants.

Informer les gens sur SOPA et leur demander d’appeler leurs représentants, c’est très bien, mais c’est loin d’être suffisant.

Ce que les opposants à SOPA devraient expliquer, c’est que même si SOPA est torpillé,on ne sera pas tiré d’affaire pour autant. On ne sera jamais tiré d’affaire. De plus, le public ne doit pas attendre des médias grand public qu’ils les alertent sur l’élaboration de telles lois. C’est d’autant plus vrai lorsque la loi en question est soutenue par les organisations qui possèdent ces mêmes médias.

Bien sûr, contactez vos représentants et sénateurs aujourd’hui. Protestez contre SOPA et PIPA. Mais au-delà de cela, continuez à prêter attention à ce que font vos élus. Prenez un peu plus de temps pour vous intéresser à votre gouvernement, même si cela implique de consacrer un peu moins de temps à vos loisirs.

SOPA n’aurait pas pu aller aussi loin si les électeurs avaient été mieux informés et plus actifs. Il serait rassurant de penser que le Congrès agira pour le bien des citoyens même si l’on ne garde pas en permanence un œil sur lui, mais ne soyons pas dupes.

Ce que j’aurais aimé entendre de la part de Wikipédia (et d’autres) : « Aujourd’hui, nous recourons à une mesure extrême afin d’alerter les citoyens des propositions de loi qui menacent l’internet. Nous agissons ainsi parce que c’était la seule façon d’attirer votre attention. Les médias d’information principaux n’allaient pas vous informer sur SOPA ou PIPA. Beaucoup de vos élus veulent faire passer de force des lois dangeureuses parce que ceux qui les financent l’exigent, et ils savent que vous ne leur en tiendrez vraisemblablement pas rigueur. Il est crucial de faire rejeter SOPA/PIPA, mais il y a plus important encore : que vous vous intéressiez à ce qui se passe et soyez plus exigeants avec votre gouvernement. Même si nous repoussons SOPA, la problématique perdure. Demain, chacun reviendra à ses moutons, mais il ne tient qu’à vous que les membres du Congrès reprennent leurs mauvaises habitudes ou non. »




Le mouvement Occupy prépare un Facebook libre pour les 99 %

Ne faisant pas confiance à Facebook et autre Twitter et dans la foulée d’Occupy Wall Street, une bande de geeks cherchent à mettre en place un réseau social dédié aux mouvements d’activisme et de protestation[1].

Ils nous expliquent ici le pourquoi du comment d’un tel ambitieux projet.

Sasha Kimel - CC by

Les geeks du mouvement Occupy construisent un Facebook pour les 99%

Occupy Geeks Are Building a Facebook for the 99%

Sean Captain – 27 décembre 2011 – Wired
(Traduction Framalang/Twitter : Lolo le 13, AlBahtaar, Destrimi, HgO, Marm, Don Rico)

« Je ne cherche pas à dire que nous créons notre propre Facebook, mais c’est pourtant ce que nous sommes en train de faire, » explique Ed Knutson, un developpeur web et applications mobiles qui a rejoint une équipe de geeks-activistes qui repensent le réseautage social pour l’ère de la contestation mondialisée.

Ils espèrent que la technologie qu’ils sont en train de développer pourra aller bien au-delà d’Occupy Wall Street pour aider à établir des réseaux sociaux plus decentralisés, une meilleure collaboration en ligne pour l’entreprise et, pourquoi pas, contribuer au web sémantique tant attendu – un internet qui soit fait non pas de textes en vrac, mais unifié par des métadonnées sous-jacentes que les ordinateurs peuvent facilement analyser.

Cet élan est compréhensible. En 2010 et 2011, les médias sociaux ont permis aux manifestants du monde entier de se rassembler. Le dictateur égyptien Hosni Mubarak a eu tellement peur de Twitter et Facebook qu’il a coupé l’accès internet de l’Égypte. Une vidéo Youtube publiée au nom des Anonymous a propulsé le mouvement Occupy Wall Street, jusqu’alors confidentiel, aux actulalités nationales. Enfin, apparaître parmi les hashtags Twitter les plus populaires a fait passer #Occupy d’une manifestation ennuyeuse organisée le 17 septembre 2011 à un mouvement national, et même international.

D’après Knuston, il est temps pour les activistes de passer un cap, de quitter les réseaux sociaux existants et de créer le leur. « Nous ne voulons pas confier à Facebook les messages confidentiels que s’échangent les militants », dit-il.

La même approche s’applique à Twitter et aux autres réseaux sociaux – et ce raisonnement s’est trouvé justifié la semaine passée, lorsqu’un procureur de district du Massachusetts a enjoint Twitter de communiquer des informations sur le compte @OccupyBoston, et d’autres, liés au mouvement de Boston. (À son crédit, Twitter a pour politique de permettre aux utilisateurs de contester de tels ordres quand c’est possible.)

« Ces réseaux peuvent rester parfaitement fréquentables,jusqu’au jour où ça ne sera plus le cas. Et ça se produira du jour au lendemain », déclare Sam Boyer, un militant passé développeur web, redevenu militant, qui travaille avec l’équipe technique des occupants de New York.

À plusieurs niveaux au sein des mouvements Occupy, on commence déjà à prendre ses distances avec les principaux réseaux sociaux – que ce soit par les réseaux locaux déjà mis en place pour chaque occupation, par un projet de réseau international en cours de création appelé Global Square, à la construction duquel Knutson collabore. Il est problable que ces réseaux soient la clé de l’avenir du mouvement Occupy, car la majorité des grands campements aux États-Unis ont été évacués – supprimant de fait les espaces physiques où les militants communiquaient lors d’assemblées générales radicalement démocratiques.

L’idée d’une alternative ouverte aux réseaux sociaux détenus pas des entreprises privées n’est pas nouvelle – des efforts pour créer des alternatives à Facebook et Twitter moins centralisées et open source sont à l’œuvre depuis des années, Diaspora* et Identi.ca étant les plus connus.

Mais ces projets ne s’articulent pas spécifiquement sur les mouvements de protestation. Et la montée inattendue du mouvement Occupy aux États-Unis a renouvelé le désir d’une version open source pour une catégorie de logiciels qui joue un rôle de plus en plus important dans la mobilisation et la connexion des mouvements sociaux, ainsi que dans la diffusion de leur action dans le monde.

Les nouveaux mouvements sont tous confrontés à un défi particulièrement ardu pour des services non centralisés : s’assurer que leurs membres sont dignes de confiance. C’est un point crucial pour les militants qui risquent des violences et des arrestations dans tous les pays, voire la mort dans certains. Dans les projets de Knutson et Boyer, les réseaux locaux et internationnaux utiliseront un système de cooptation pour établir une relation de confiance. Les participants ne pourront devenir membres à part entière par eux-même comme c’est le cas avec les réseaux sociaux Twitter, Facebook et Google+.

« Il faut connaître quelqu’un dans la vraie vie qui te parraine », explique Knutson.

Selon Boyer, il est plus important d’identifier une personne comme étant digne de confiance que de s’assurer que son identité en ligne corresponde à son passeport ou à son acte de naissance.

« Je respecte les pseudonymes tant qu’on les considère comme un simple pseudonyme et non comme un masque », explique Boyer. En d’autres termes, nul ne devrait se cacher derrière un faux nom pour mal se comporter en toute impunité – ou dans un cas extrême, infiltrer le mouvement pour l’espionner ou le saboter.

Agé de 36 ans, Knutson, qui vit à Milwaukee dans le Wisconsin, a commencé l’année en tant qu’observateur politique avant de devenir un militant d’OWS convaincu. Sa métamorphose a débuté lors des grèves des fonctionnaires en février contre certaines propositions de loi du gouverneur Scott Walker, lesquelles rogneraient sur leurs traitements et affecterait les acquis de leur convention collective.

« Avant cette année, nous pensions que les choses allaient un peu vers le mieux », raconte-t-il. « Mais quand ça a commencé à bouger, en février, on s’est rendu compte que c’était de pire en pire. »

Alors qu’il organisait un camp de protestation « Walkerville », au mois de juin, Knutson a rencontré, grâce à Twitter, des membres du mouvement de protestation espagnol du 15M. Ils venaient de mettre en place un site web, « Take the Square » (Investis la Place), pour suivre les différentes occupations dans le monde, de la Tunisie à Madrid. Il a également rencontré Alexa O’Brien, fondatrice de l’organisation US Day of Rage, pour la réforme du financement des campagnes électorales, et co-fondatrice du mouvement Occupy Wall Street. Après les débuts d’OWS, Knutson a passé quelque temps sur la Côte Est, où il s’est rendu à New York, Boston et Philadelphie et s’est joint aux techniciens de ces villes.

Grâce à toutes ces rencontres, Knutson s’est attelé au développement de la technologie nécessaire à la mise en place d’un réseau support pour les occupations internationales. Mais la politique est une affaire complexe. « Certaines personnes en Espagne en veulent à OWS, parce qu’ils ont accaparé l’attention médiatique », explique-t-il, rappelant que les occupations espagnoles ont été les premières et rassemblent encore bien plus de monde.

Homologue de Knutson, Sam Boyer se concentre sur les occupations américaines, en mettant au point les technologies qui permettent de rassembler par interconnexion ces réseaux sociaux à travers le pays avec le titre adéquat de « Federated General Assembly » (NdT : Assemblée Générale Fédérée), ou FGA. Son travail sur Occupy lui a donné une vue globale du mouvement.

Lorsqu’il était étudiant en 2005, Boyer, qui a maintenant 27 ans, s’est impliqué au sein de la « Student Trade Justice Campaign », une organisation qui concentre ses efforts sur la réforme de la politique commerciale. En 2007, il voulait mettre en place une plateforme en ligne pour organiser en groupe les sections locales, et relier ces groupes pendant les discussions nationales – grosso modo la fonction de la FGA. Mais Boyer n’a pu la mettre en place, relate-t-il. « Quand j’ai commencé, je ne savais même pas programmer. »

Boyer s’est donc lancé dans l’apprentissage du développement web, pour lequel il s’est pris de passion. D’abord principalement activiste, il s’est ensuite surtout consacré au code. Sa spécialité est le CMS libre Drupal, sur lequel fonctionnera la FGA.

Knutson, Boyer et les autres geeks d’Occupy n’ont cependant pas à tout construire eux-mêmes. « Il existe des standards déjà depuis longtemps, et nous ne réinventons pas la roue », explique Boyer.

Par exemple, les projets s’appuieront sur un ensemble de technologies connues sous le nom d’OpenID et OAuth, grâce auxquelles un utilisateur peut se connecter sur un nouveau site en utilisant son identifiant et mot de passe d’un réseau social comme Facebook, Google ou Twitter. Ces technologies permettent de s’inscrire à un nouveau service, en se connectant à un compte Twitter ou Google, lequel vous identifie sur le nouveau site sans transmettre votre mot passe tout en vous évitant de devoir vous souvenir d’un énième couple identifiant/mot de passe.

Dans la nouvelle technologie OWS, le réseau d’occupation locale d’un militant peut se porter garant d’un utilisateur auprès d’un autre réseau, et l’ensemble des réseaux locaux se faisant mutuellement confiance, ils peuvent se fier à ce militant. Quelqu’un peut se connecter à un réseau, publier et commenter sur tous les autres.

Certains messages sensibles, concernant par exemple la désobéissance civile, seraient privés. D’autres, comme une liste de revendications ou un communiqué de presse, seraient publics, mais seuls les membres reconnus du réseau pourraient les créer.

FGA veut se distinguer du « Moi, moi, moi » narcissique de Facebook, et se destine surtout aux groupes, pour travailler collectivement sur des sujets définis tels que les banques et monnaies alternatives, ou encore une réforme du mode de scrutin.

Et il y a de quoi faire. Actuellement, la gestion des groupes dans les sites liés à Occupy est une vraie cacophonie.

« En arrivant, la première chose tu vois, c’est un flux de messages inutiles », selon Boyer. Chaque commentaire – qu’il s’agisse d’une idée brillante, d’un troll ou du dernier message d’une ribambelle de « moi aussi » -, apparaît dans le fil et se voit validé. « La seule garantie que vous avez, c’est qu’une personne seule – et pas le groupe dans son ensemble – a jugé ce message digne d’intérêt », déplore-t-il.

Dans le système de la FGA, chaque groupe discute des informations à publier sur sa page d’accueil, comme la description d’un événement, un article de blog ou le procès-verbal d’une rencontre. « De la même manière que, lorsque vous consultez Reddit, vous savez que les premiers articles sont ceux qui sont les mieux notés, l’utilisateur peut savoir que les messages apparaissant sur une page d’accueil résultent de l’accord concerté du groupe », déclare Boyer.

Les codeurs militants veulent également être en mesure d’obtenir et publier des infos, de les partager avec le reste du mouvement. L’idée, c’est qu’ils disposent de systèmes disparates classant les infos avec des mots-clé communs qui permettront un jour d’effectuer une recherche sur n’importe quel site et d’acceder précisement à des résultats provenant de partout dans le monde.

Le travail d’Ed Knutson consiste à permettre à ces sites de communiquer, même si le contenu peut être en langues différentes (anglais, espagnol, arabe, etc.) et généré par différents systèmes de gestion de contenu (ou SGC) comme Drupal ou WordPress. Le réseau social Global Square sera connecté non pas à travers ces systèmes, mais à partir des standards du « web sémantique » conçus pour lier des technologies disparates.

Un standard clé dans ce domaine porte le nom verbeux de Cadre de Description de Ressource, ou CDR, un système d’étiquetage universel.

Si un indigné veut poster le procès-verbal d’une réunion, par exemple, il peut les entrer dans la boîte texte appropriée, grâce au logiciel de gestion de contenu qui motorise le site. Ce logiciel envoie l’information à une base de données CDR et lui associe un certain nombre de mot-clés universels – par exemple « procès-verbal », ou quelque autre terme sur lequel les mouvements d’occupation se seraient mis d’accord. L’occupant local pourrait aussi sélectionner « Groupe : Alternatives Bancaires » dans une liste déroulante de propositions et ce mot-clé y serait ajouté aussi. Utiliser les mêmes étiquettes permet à tous les sites d’échanger de l’information. Ainsi, une recherche portant sur un procès-verbal de la part d’un groupe Alternative Bancaire afficherait les entrées de n’importe quel mouvement d’occupation comportant un groupe de ce genre.

Avec CDR, les sites peuvent interagir même s’ils fonctionnent avec différents logiciels de gestion de contenu, comme Drupal (utilisé par la FGA), ou WordPress (utilisé par le groupe espagnol M15).

« La clé, c’est que tout passe par CDR », explique Knutson. « Qu’importe s’ils utilisent Drupal ou un truc à la Frankenstein qui combine différents outils. »

Les codeurs seront toutefois confrontés au problème qui affecte le web depuis des années – les uns et les autres devront se mettre d’accord sur des standards et les adopter. Un projet de longue haleine qui cherche à accélérer ce processus s’appelle Microformats – une façon d’inclure dans le HTML des balises de données invisibles pour le visiteur humain, mais qui peuvent être comprises par leur navigateur ou par un moteur de recherche. Cela permet notamment de marquer des informations de contact de sorte que le lecteur puisse les ajouter à son carnet d’adresse d’un simple clic, ou d’annoter une recette pour qu’un moteur de recherche permette de chercher les recettes contenant l’ingrédient « épinards ».

Ces moyens de liaison et de collaboration seraient utiles bien au-delà du mouvement Occupy.

« Je pense que n’importe quel groupe de petite ou moyenne taille, ou une équipe constituée d’un membre dans huit villes différentes, pourrait l’utiliser pour collaborer », explique Knutson. Et il ne voit aucune raison de ne pas répandre cette technologie dans les entreprises.

« Tous les propriétaires de PME font partie des 99% », poursuit-il. « Par ailleurs, chercher à établir des relations avec les entreprises… c’est assez important si l’on veut un impact tangible. »

« Notre projet, c’est en grande partie de permettre une meilleure communication, afin que cette discussion cacophonique soit mieux coordonnée », précise Boyer, en évoquant à titre de comparaison l’atelier OWS d’une conférence ayant eu lieu le 18 décembre à New York, au cours duquel le modérateur avait demandé à chacun de crier sa meilleure idée pour le mouvement.

Toutes étaient sans doute de bonnes idées, raconte Boyer. Mais il n’a pu en entendre une seule, car elles étaient noyées dans le brouhaha.

La toile de confiance entre réseaux, les étiquetages CDR qui lient les données entre les occupations, les consensus des groupes de travail sur le contenu à publier, tout est conçu pour aider les personnes à se connecter les unes aux autres et accéder à la bonne information. « Que la multitude de gens qui si’ntéressent au mouvement comprennent l’ampleur de ce qui se passe », dit Boyer. Mais pour l’instant, tous ces projets restent au stade des idées. Et quoi qu’il en émerge, cela viendra par fragments.

Sam Boyer espère un lancement dans les prochaines semaines de ce qu’il qualifie de tremplin – une liste des mouvements d’occupations à travers le monde, appelé en toute simplicité, pour l’instant, directory.occupy.net. Le site Take the Square du mouvement M15, fournissait, comme d’autres, quelque chose d’équivalent depuis mai. Mais directory.occupy.net sera unique dans son utilisation des CDR et autres technologies pour étiqueter l’ensemble des données. Il permettra aussi aux participants de tous les mouvements d’occupation d’être maîtres de leurs contributions et de les mettre à jour.

« Ce répertoire devrait être utile, mais ce n’est pas encore notre lancement en fanfare », tempère Boyer. Il espère qu’il aura lieu quelque part au printemps, lors du lancement d’une version rudimentaire de FGA.

Le réseau Global Square que Knutson contribue à mettre en place est en voie de finalisation et devrait être lancé en janvier, avec des liaisons basiques entre divers sites Occupy qui permettront d’échanger des messages, republier des articles et poster des commentaires inter-réseaux.

« Selon moi, ce serait déjà un succès considérable que d’amener quelques-uns de ces outils de conception web utilisés par tout le monde, comme Elgg, Drupal, MediaWiki et peut-être WordPress, à travailler ensemble », explique-t-il.

Mais le simple fait d’organiser cette discussion n’a pas été une mince affaire. « C’est difficile d’amener les uns et les autres à se pencher sur ce genre de question. »

Notes

[1] Crédit photo : Sasha Kimel (Creative Commons By)




Donner envie de lire Un monde sans Copyright

OpenSourceWay - CC by-saIl y a quelques semaines encore, évoquer la disparition de l’euro était totalement impensable. Ce serait, nous disait-on, le chaos absolu. Cela n’a rien certes rien à voir mais plutôt que d’essayer lentement, péniblement, de modifier le droit d’auteur pourquoi ne pas envisager purement et simplement sa suppression ?

C’est la thèse radicale du framabook que nous avons publié en mai dernier et dont nous vous proposons ci-dessous quelques extraits de l’introduction.

Le titre exact est Un monde sans copyright… et sans monopoles et les auteurs sont les néerlandais Joost Smiers (professeur de science politique à l’École Supérieure des Arts d’Utrecht) et Marieke van Schijndel (directrice du Musée Catharijne Couvent à Utrecht).

Il est disponible en ligne ou dans notre boutique EnVenteLibre pour 10 €[1].

À l’heure où Cory Doctorow nous parle d’une « guerre du Copyright » prémisse à une éventuelle guerre totale, il n’est peut-être pas si délirant que cela d’étudier aussi cette option.

Extrait de l’introduction

Joost Smiers et Marieke van Schijndel – Amsterdam / Utrecht, janvier 2011
Licence Creative Commons Zero

Le droit d’auteur confère aux auteurs le contrôle exclusif sur l’exploitation d’un grand nombre de créations artistiques. Souvent, ce ne sont pas les auteurs qui détiennent ces droits, mais de gigantesques entreprises à but culturel. Elles ne gèrent pas seulement la production, mais aussi la distribution et le marketing d’une vaste proportion de films, musiques, pièces de théâtre, feuilletons, créations issues des arts visuels et du design. Cela leur donne une grande marge de manœuvre pour décider de ce que l’on voit, entend ou lit, dans quel cadre, et, par-dessus tout, de ce que l’on ne peut pas voir, lire ou entendre.

Naturellement, les choses pourraient atteindre un stade où la numérisation permettra de réorganiser ce paysage hautement contrôlé et sur-financé. Cependant, on ne peut en être sûr. Partout dans le monde, la quantité d’argent investi dans les industries du divertissement est phénoménale. La culture est le nec plus ultra pour faire du profit. Il n’y a pas de raison d’espérer, pour le moment, un quelconque renoncement à la domination du marché de la part des géants culturels, que ce soit dans le vieux monde matériel ou dans le monde numérique.

Nous devons trouver le bon bouton pour sonner l’alerte. Lorsqu’un nombre limité de conglomérats contrôle la majorité de notre espace de communication culturelle, cela a de quoi ébranler la démocratie.

La liberté de communiquer pour tous et les droits de chacun à participer à la vie culturelle de sa société, comme le promeut la Déclaration universelle des droits de l’homme, peuvent se trouver dilués au seul profit de quelques dirigeants d’entreprises ou d’investisseurs et des programmes idéologiques et économiques qu’ils mettent en œuvre.

Nous sommes convaincus que ce choix n’est pas une fatalité. Néanmoins, s’il est possible de créer un terrain commun, le droit d’auteur présente selon nous un obstacle.

Corrélativement, nous avons remarqué que les bestsellers, blockbusters et stars des grosses entreprises culturelles ont un effet défavorable. Ils dominent le marché à un tel point qu’il y a peu de place pour les œuvres de nombreux autres artistes poussés à la marge, là où il est difficile pour le public de découvrir leur existence.

Dans le premier chapitre, nous analyserons les inconvénients du droit d’auteur qui rendent illusoire l’idée d’y placer davantage d’espérances.

Comme nous ne sommes pas les seuls à être conscients que cet instrument est devenu problématique, nous consacrerons le second chapitre aux mouvements qui tentent de remettre le droit d’auteur sur la bonne voie. Or, bien que nous soyons impressionnés par les arguments et les efforts de ceux qui essayent de trouver une alternative, nous sentons qu’une approche plus fondamentale, plus radicale, nous aidera plus tard, au XXIe siècle.

C’est ce que nous exposerons dans le chapitre 3. Nous nous efforcerons alors de créer un terrain commun pour les très nombreux entrepreneurs du monde culturel, y compris les artistes. En effet, d’après notre analyse, il n’y a plus aucune place sur ce terrain de jeu ni pour le droit d’auteur ni pour les entreprises qui dominent d’une manière ou d’une autre les marchés culturels.

Voici nos prévisions :

  • Sans la protection de l’investissement du droit d’auteur, il ne sera plus rentable de faire de gigantesques dépenses dans les blockbusters, les bestsellers et les vedettes. Ils ne seront alors plus en mesure de dominer les marchés.
  • Les conditions du marché qui permettent l’apport financier à destination de la production, de la distribution ou du marketing, n’existeront plus.
  • Dès lors, notre héritage passé et présent d’expression culturelle, les biens communs de la créativité artistique et de la connaissance, ne seront plus privatisés.

Le marché sera alors tellement ouvert que de très nombreux artistes, sans être dérangés par les « géants » du monde culturel, seront capables de communiquer avec le public et de vendre plus facilement leurs œuvres. Dans le même temps, ce public ne sera plus saturé de marketing et sera capable de suivre ses propres goûts, de faire des choix culturels dans une plus grande liberté.

Ainsi, par de courtes études de cas, le chapitre 4 montrera comment nos propositions peuvent atteindre leurs buts.

Nous sommes conscients de proposer là d’importants bouleversements. Parfois, cette pensée a de quoi rendre nerveux. Nous voulons diviser les flux financiers des segments majeurs de nos économies nationales et de l’économie globale — ce que sont les secteurs culturels — en portions bien plus petites.

Cela impliquera une restructuration du capital d’une portée incommensurable et quasiment sans précédent. En conséquence, les industries culturelles, dans lesquelles les chiffres d’affaires atteignent des milliards de dollars, seront totalement bouleversées.

Nous n’avons guère de prédécesseurs ayant visé aussi systématiquement à construire des conditions de marché totalement novatrices pour le champ culturel, ou du moins à poser les fondations théoriques de cette construction.

Aussi, nous fûmes agréablement surpris de lire dans le New York Times, le 6 juin 2008, les propos de Paul Krugman, Prix Nobel d’économie :

« Octet par octet, tout ce qui peut être numérisé sera numérisé, rendant la propriété intellectuelle toujours plus facile à copier et toujours plus diffcile à vendre au-delà d’un prix symbolique. Et nous devrons trouver les modèles d’entreprises et les modèles économiques qui prennent cette réalité en compte. »

Élaborer et proposer ces nouveaux modèles d’entreprise et d’économie est précisément ce que nous faisons dans ce livre.

Notes

[1] Crédit photo : OpenSourceWay (Creative Commons By-Sa)




Avec Mozilla Popcorn la vidéo sur le Web prend une autre dimension

Il y a quelques temps de cela, Tristan Nitot nous présentait ce qu’il appelait de « l’hyper-vidéo », c’est-à-dire de la vidéo boostée par du JavaScript et du HTML5, avec une impressionnante démonstration à la clé.

Le projet a évolué depuis pour devenir le très prometteur Mozilla Popcorn. Les démonstrations également, comme celle, lumineuse, qui sert de fil conducteur à cet article.

Au départ il ne s’agit que d’un extrait vidéo d’une représentation du Macbeth de Shakespeare. Sauf que nous ne sommes pas sur YouTube mais avec Mozilla Popcorn ce qui enrichit considérablement le potentiel de l’expérience utilisateur.

Le plus simple est de s’y rendre tout de suite pour comprendre de quoi il en retourne.

Le projet évolue vers une prise en main de plus en plus aisé autorisant enseignants, étudiants, et tout un chacun à se l’approprier.

À Mozilla, l’éducation reconnaissante (il va sans dire que tout ceci est libre), il n’y a plus qu’à se retrousser les manches désormais pour proposer des ressources pédagogiques pertinentes et innovantes réalisées avec Popcorn.

PS : Et au passage on fait la nique au déclinant format Flash, si j’ose m’exprimer ainsi 🙂

Mozilla Popcorn Demo

Shakespeare devient social ou Mozilla Popcorn dans les salles de classe

Shakespeare goes social: Mozilla Popcorn in the classroom

OpenMatt – 8 décembre 2011 – Blog personnel
(Traduction Framalang : Clochix)

Que peut faire la vidéo sociale pour l’éducation ?

La très talentueuse Kate Hudson (co-fondatrice du site openjournalism.ca et auteure du manuel data journalism présenté lors du dernier festival Mozilla de Londres) a créé une exceptionnelle démonstration, « Popcorn Shakespeare », qui met en lumière tout le potentiel éducatif du projet Popcorn de Mozilla.

Je pense que nous assistons là à la naissance d’un nouveau genre de films interactifs — appelons-le « hyper-vidéo », « vidéo sociale » ou « vidéo aux hormones » — qui peut révolutionner la place du multimédia dans les salles de classe, et peut-être même devenir la lingua fanca de l’éducation. Le tout entièrement créé avec des technologies open source.

Utiliser le Web pour, dans le contexte, interagir avec des images animées

« Popcorn Shakespeare » propose une expérience utilisateur astucieusement simple : regarder une vidéo d’une représentation d’une pièce de Shakespeare, déplacer la souris à n’importe quel moment pour arrêter la vidéo et obtenir de l’aide et des informations sur des mots ou des passages que vous ne comprenez pas. Vous pouvez également approfondir le contexte ou parcourir les notes de votre enseignant ou de vos camarades de classe.

Mais cet outil est bien plus qu’un glossaire. Vous pouvez également parcourir la vidéo en cliquant directement sur les passages du texte (Mark Boas a présenté un projet similaire, hyperaudio à Londres). Certains mots et extraits ont leur propre lien, ce qui vous dirige alors directement vers une scène donnée pour l’étudier — permettant ainsi de citer et de pointer vers la vidéo aussi facilement que s’il s’agissait de texte.

Afficher le contexte et les métadonnées à la demande

Lors d’une récente conférence téléphonique (ces conférences consacrées aux créateurs du Web sont ouvertes à tous, n’hésitez pas à nous rejoindre), Kate a expliqué que ce qui avait inspiré sa démonstration était de voir certains étudiants lutter avec la langue des pièces de Shakespeare, et la difficulté à chercher de nombreux mots dans un dictionnaire au cours d’une représentation.

Ce qui rend sa démo si pertinente est la façon dont elle a résolu ce problème avec une interface utilisateur simple et ergonomique : lorsque la souris sort de la vidéo, celle-ci s’arrête, lorsque la souris y revient elle reprend de façon transparente. On évite alors l’effet de surenchère de données constatée lors des premières démonstrations de Popcorn. Au lieu de noyer les utilisateurs dans trop d’information, cette démo n’affiche les metadonnées que lorsque vous le souhaitez.

Passer de la position assise « vautré sur le canapé » à la position active debout et « prêt à interagir avec la culture »

Pour moi, la démo de Kate dévoile tout le potentiel de la vidéo sociale pour apprendre : elle transforme une activité auparavant passive (regarder une vidéo) en une expérience sociale et interactive. Cela peut permettre à des professeurs de parler la langue multimédia que pratiquent la plupart des étudiants, tout en en faisant une expérience qui incite d’avantage à s’investir que lorsque l’on est assis dans une pièce sombre à regarder un film sans possibilité d’interagir.

Cela va bien plus loin que les vidéos éducatives de notre enfance, ça transforme la vidéo en une toile sur laquelle on peut créer, apprendre et jouer avec la lumière et les images animées.

Créer vos propres vidéos sociales

Naturellement, le but est de permettre aux apprenants de réaliser simplement leur propres vidéos sociales, pas de juste consommer le travail fait par d’autres.

Pour créer sa démo, Kate a utilisé directement la bibliothèque popcorn.js, qui est plutôt destinée aux développeurs. Mais une version 0.1 de Popcorn Maker vient juste de sortir. C’est un outil pour faciliter la création de vidéos sociales pour tous ceux qui ne maîtrisent pas le développement, les réalisateurs ou les jeunes par exemple. Il va permettre à tout un chacun de devenir un créateur de vidéos Web.

Comme disait ce bon vieux Bill dans La tempête « O brave new world, / That has such people in’t! ».




Bépo, libérons les claviers, une touche après l’autre

Le saviez-vous ? Il n’y a pas que l’azerty (ou le qwerty) dans la vie des claviers qui peuvent eux aussi se libérer !

Il faut parfois du temps pour apprivoiser GNU/Linux et libérer son ordinateur acheté avec un système d’exploitation propriétaire dedans. Mais ceux qui y sont arrivés savent pourtant que le jeu en vaut la chandelle.

Et s’il en allait de même de nos claviers, libérables grâce à la disposition bépo sous Creative Commons By-Sa, spécialement conçue pour la saisie du français ?

Ceux qui ont fait l’effort de migrer de l’azerty au bépo peuvent en témoigner : vous aurez alors le plaisir de tapoter sur un clavier libre tout en gagnant en confort et rapidité d’exécution, ce qui est bien là l’essentiel.

Et pour vous donner plus envie encore de vous y frotter, rien de tel qu’une présentation assortie d’un petit voyage dans le temps pour comprendre comment et pourquoi le bépo a vu le jour. Une belle histoire (à rebondissements) racontée par notre ami Ploum.

Surprenons-nous à rêver. Peut-être qu’un jour on le trouvera dans les écoles et que les constructeurs seront alors obligés de suivre.

C’est la seconde contribution de Ploum sur le Framablog après le tout aussi intéressant article sur la monnaie libre Bitcoin.

Clavier Bépo - A2 - CC by-sa

Le Bépo n’est pas un numéro, c’est un clavier libre

Ploum – décembre 2011
Licence Creative Commons By-Sa

Je fais partie de ces personnes qui cherchent sans relâche à comprendre l’origine de nos habitudes, à remettre en question l’acquis. Entre nous, si vous lisez ceci, il y a de fortes chances que vous en fassiez partie vous aussi.

Si la technologie bouleverse bien des choses, elle impose aussi ses petites manies dont l’origine se perd parfois dans les brumes de sa courte histoire. Prenons l’exemple de cette machine que vous connaissez certainement et qui requiert des ses utilisateurs d’apprendre à manipuler plus d’une centaines de boutons, lesquels sont placés dans un ordre purement arbitraire et sans alignement correct.

Je parle bien entendu de l’ordinateur et de son mode d’interaction majeur: le clavier.

Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi l’on tapait sur un clavier Azerty en France et en Belgique francophone ? Et bien, vous ne l’apprendrez pas dans cet article car, malgré toutes mes recherches, j’ai été incapable de le découvrir.

Commençons par le commencement : un beau matin de 1868, alors que les États-Unis résonnent encore des canons de la guerre de sécession, un bricoleur du Wisconsin du nom de Sholes invente la première machine à écrire. Sans se poser trop de question, il place logiquement les touches par ordre alphabétique.

Chaque touche appuyant sur une barre métallique horizontale qui ne peut pas frotter contre ses voisines, Sholes se voit dans l’obligation de décaler les rangées de touches, décalage qui est encore présent, sans aucune raison autre qu’historique, sur votre clavier, voire même sur les claviers virtuels des tablettes et des écrans tactiles !

Un autre problème apparait rapidement : les utilisateurs ont meilleure vitesse de frappe que prévu et si deux touches concomitantes sont pressées trop rapidement, le système se bloque.

En attendant de résoudre la cause mécanique du problème, Sholes propose un bon gros « hack » en décidant de placer les touches de manière tout à fait aléatoire mais en évitant que deux touches souvent utilisées ensemble soient proches sur le clavier. L’engin se calera toujours mais moins fréquemment. James Desmore, le marketing manager embauché par Sholes, propose que la marque qu’ils ont créés pour l’engin, « Typewriter », puisse être écrite en n’utilisant que la première rangée, histoire de faciliter le travail des démonstrateurs.

C’est ainsi qu’apparait la disposition Qwerty décalée, disposition la plus utilisée dans le monde et installée par défaut sur tous les systèmes informatiques. Comme je vous l’ai annoncé précédemment, la raison pour laquelle cette disposition se modifie en traversant la manche est inconnue. On pourrait penser une adaptation à la langue mais l’Azerty ne s’avère pas particulièrement propice à l’usage du Français et, de plus, on remarque facilement que la disposition de clavier ne dépend pas de la langue. Ainsi, si les Français utilisent l’Azerty, les Belges l’ont modifié pour en faire l’Azerty belge, les Canadiens utilisent un Qwerty francophone et les Suisses un Qwertz francophone également. L’observation des autres langues parlées dans plusieurs pays (comme l’Espagnol) démontre que l’usage d’une langue n’est en rien liée à une disposition de clavier.

Remarquons que Sholes lui-même dénoncera cet état de fait. Une fois les problèmes techniques de son invention réglés, il travaillera à optimiser la disposition en fonction de la fréquence des lettres en langue anglaise. Las, les utilisateurs se sont déjà habitués au Qwerty et les commerciaux de l’époque ne souhaitent pas prendre le risque de proposer une alternative.

Il faut alors attendre les années 1920 pour que le professeur de psychologie August Dvorak s’attaque à la mise au point une méthode précise permettant de déterminer la disposition optimale des touches sur un clavier, en fonction de la langue. Cette méthode nécessite de choisir un échantillons de textes représentatifs d’une langue et de déterminer la fréquence d’apparition de chaque lettre, individuellement ou dans un groupe donné (digramme, trigramme voire plus). Dvorak classe aussi les touches par degré de « confort » et détermine d’autres caractéristiques importantes, telles que le bénéfice d’une alternance gauche-droite lors de la frappe.

En 1932, Dvorak est fier de présenter une disposition particulièrement adaptée à l’anglais. Hélas, on lui oppose deux arguments : la nécessité de remplacer les machines actuelles et la nécessité de réentraîner les dactylos. Dvorak persévère et démontre que devenir dactylo en Dvorak est plus rapide qu’en QWERTY. Les dactylos Dvorak atteignent des vitesses impressionnantes. Ainsi, Barbara Blackburn bat le record du monde en maintenant une vitesse moyenne de 150 mots par minutes durant 50 minutes, avec des pointes à 170 mots par minutes. Personne n’a fait mieux depuis. À titre de comparaison, une personne n’ayant jamais fait de dactylo et tapant « vite » à 6-7 doigts dépasse rarement 50 mots par minutes. Et seuls de très bons dactylos pointent à 80-90, la moitié du record de Blackburn !

Toute cette histoire est très bien racontée en BD (et en anglais) sur DVZine, je vous en conseille la lecture.

Mais revenons à notre clavier. Devant la résistance des fabricants et du marché, l’invention du professeur Dvorak restera une curiosité jusqu’à l’avènement d’un nouvel outil : l’ordinateur.

Les ordinateurs offrent en effet une particularité extraordinaire par rapport aux machines à écrire : ils peuvent être programmés. Leur comportement peut être modifié. Il ne faut pas longtemps donc pour que des bidouilleurs ressortent la disposition Dvorak du placard, reprogramment leurs ordinateurs pour l’utiliser à la place du QWERTY et, pour faire joli, collent éventuellement des autocollants sur les touches.

Le Dvorak commence une seconde vie. Grâce à Internet, les principes du professeur Dvorak se répandent hors Anglophonie, menant à des initiatives plus ou moins heureuses de clavier Dvorak adapté à d’autres langues.

En France, outre une initiative restée lettre morte dans les années 1970 (le clavier Marsan), il faut attendre 2002 pour que Francis Leboutte crée une version Dvorak-fr. Cette version est modifiée par Josselin Mouette, développeur Debian, qui l’adapte à ses besoins. C’est ainsi que le clavier Leboutte-Mouette devient le Dvorak-fr présent sur la plupart des systèmes Linux.

Cependant, Francis Leboutte réclame les droits de cette disposition et déclare qu’ils ne sont pas sous licence libre. Les modifications de Josselin Mouette pourraient donc être illégales. Pendant que les discussions s’enlisent sur la pertinence de soumettre une disposition de clavier à une licence, un groupe de volontaires décide de faire table rase du passé et de recommencer à zéro.

Une grande partie de la subtilité de la méthode Dvorak réside dans le choix des échantillons de texte dits “représentatifs”. Notre nouveau groupe pose plusieurs bases :

  • Les textes auront une couverture très large. Outre les textes littéraires ou courants, la programmation, le courriel et la messagerie instantanée seront pris en compte.
  • Le clavier favorisera le respect des règles typographiques du Français, trop longtemps bafouées à cause d’un clavier inadapté (majuscules accentuées, espaces insécables, guillemets francophones, …)
  • Autant que possible, le clavier devra permettre l’utilisation d’autres langues que le français. ¡ Me gusta !
  • Le résultat et tous les outils produits seront sous licence libre.
  • Le projet sera mené démocratiquement et évoluera au gré des votes de ses membres.

Très vite, la disposition des touches principales s’impose. Les quatre premières donneront leur nom au projet : BÉPO.

En 2008, après 5 ans de travail et d’itérations multiples, la communauté présente le Bépo 1.0. Rapidement, celui-ci est inclus dans les distributions Linux et devient le Dvorak-fr par excellence. Il est d’ailleurs disponible sur la majorité des systèmes d’exploitation.

Aucune étude indépendante n’a jamais prouvé l’avantage de la vitesse d’une disposition sur une autre, ce qui a d’ailleurs été une des principales critiques faites au professeur Dvorak, celui-ci ayant mené toutes les études par lui-même. Ne voulant tomber dans le même piège, le projet Bépo a choisi de mettre en avant le confort de frappe plutôt que la vitesse.

Le Bépo serait donc un outil de confort, les doigts devant parcourir une distance nettement réduite. Les retours des utilisateurs souffrant de troubles musculosquelettiques (parmi lesquels, à cet époque, votre serviteur) tendent à montrer une nette amélioration voire, une guérison totale. Mais, encore une fois, ce résultat est à prendre avec des pincettes n’étant pas scientifique.

À titre d’exemple, voyez cette vidéo d’un même texte tapé par une personne maîtrisant à la fois l’Azerty et le Bépo.

On remarque qu’avec la disposition Bépo, les mains ne semblent bouger qu’à peine. Or, le texte en Bépo est en fait tapé plus rapidement que celui en Azerty !

Ceci dit, changer de disposition n’est pas chose aisée , surtout après plusieurs décennies d’Azerty. Pour une migration efficace et en suivant une méthode structurée, comptez quand même plusieurs semaines. Je peux en témoigner.

Mais, après tout, n’est-il pas temps de faire table rase des habitudes absurdes héritées du passé pour prendre soin de notre confort ? Ne doit-on pas encourager ces évolutions disruptives, surtout lorsqu’elles proviennent d’un projet libre et démocratique comme le Bépo ?

Rien que pour la beauté du geste, le Bépo mérite d’y consacrer quelques semaines, vous ne trouvez pas ?

PS: Et le décalage des rangées de touches me direz-vous ? J’allais oublier ! À ma connaissance, un seul fabricant de clavier a décidé de s’atteler au problème, donnant naissance au TypeMatrix. Les amateurs de la disposition Bépo sont nombreux à vanter ce clavier très particulier qui, en plus d’être confortable, peut être commandé en Bépo. On regrettera cependant son prix élevé (près de 90€) et le manque d’intérêt de la part des autres constructeurs.

Quand à Josselin Mouette, il m’a avoué être retourné sur un Azerty tout ce qu’il y a de plus banal mais je ne désespère pas de le convaincre de se mettre au Bépo.

Bépo Logo




Aux armes citoyens du net et du monde ?

Bisounours, passe ton chemin ! La traduction que nous vous proposons aujourd’hui est en effet d’une rare violence.

Il s’agit d’un article de Rick Falkvinge, fondateur du parti pirate suédois et désormais invité régulier du Framablog.

Mais est-ce l’article qui est violent ou la société qui nous entoure et qui oblige certains à envisager d’y recourir ?

Gun and Target - Falkvinge

Faut-il se préparer à prendre les armes ?

Do We Really Have To Prepare For The Fourth Box?

Rick Falkvinge – 16 décembre – Site personnel
(Traduction Framalang : Kamui57, Goofy, Phi, Oli44, Salelodenouye, Alexis, Zdeubeu et Don Rico)

Quand je constate que les abominations législatives intitulées SOPA, PIPA et NDAA se conforment au DMCA et au Patriot Act aux États-Unis, je prends conscience que le pire scénario possible concernant les libertés individuelles est en passe de se concrétiser.

Les discussions au sein du Parti pirate suédois ont longtemps eu pour sujet ce que nous pouvions faire pour empêcher l’Europe de s’enfoncer dans une sorte de totalitarisme fascisant. Les États-Unis sont déjà perdus, ils s’y enfoncent irrémédiablement. Notre travail consiste à empêcher l’Europe de suivre allègrement le même chemin, pour au contraire se libérer à temps de ses chaînes. C’était déjà perceptible il y a cinq ans, aujourd’hui c’est d’une évidence criante.

Un article difficile à rédiger : Cela m’a pris plus de vingt-quatre heures pour rédiger cet article, après une semaine passée à glandouiller. D’habitude, c’est le genre d’article que je réalise en trente à quarante-cinq minutes dès que je sais quoi raconter. Dans le cas présent, le problème n’était pas de savoir quoi écrire, car il y a beaucoup à dire, mais de savoir jusqu’où aller. Au final, j’ai décidé de livrer le fond de ma pensée sans retenue.

J’utilise dans ce billet une image déjà employée par beaucoup, celle des quatre « boîtes ». La liberté se défend avec quatre boîtes : la caisse à savon, l’urne électorale, le tribunal (NdT: jury box, en anglais, soit « le banc des jurés ») et la boîte à munitions. À utiliser dans cet ordre.

Mon blog étant à vocation internationale, je me dois d’expliquer ici le sens de l’expression américaine. Ces « quatre boîtes » ne sont pas évidentes à identifier pour un non-anglophone qui en outre vit hors de la sphère culturelle américaine.

  • La caisse à savon (soap box) : celle sur laquelle on se hisse au coin de la rue pour exposer ses opinions aux passants. Au sens figuré, cela consiste à rallier l’opinion publique à votre cause.
  • L’urne électorale (ballot box) : les élections libres, publiques et démocratiques. Si les lois ne fonctionnent pas, et que les élus ne le comprennent pas, remplacez-les par d’autres.
  • À la barre ou le box des jurés (jury box) : si aucun homme politique ne réagit, ni parmi les élus ni parmi ceux qui sont susceptibles de le devenir, l’avant-dernière ligne de défense est le système judiciaire, capable d’abroger les lois contraires aux droits les plus fondamentaux.
  • La caisse à munitions (ammo box) : lorsque le système est corrompu jusqu’à la moëlle, au point que tout l’establishment agit comme un seul homme, et qu’il n’est pas possible de modifier la loi pour préserver les libertés fondamentales, il ne reste alors plus qu’une possibilité.

Nous en sommes actuellement au stade de la troisième boîte, dont le fond commence à céder. J’essaie de refaire fonctionner la deuxième, de revenir en arrière, du moins en Europe. Mais c’est une immense tâche, même si c’est en théorie possible. Encore pire, les personnes au pouvoir créent un état d’esprit où la recherche des faits et l’éducation sont considérées comme des distractions enfantines.

La législation est devenue anti-scientifique, essentiellement dirigée par quatre groupes de pression dont aucun ne veut voir les faits interférer avec l’idéologie-religion qui les anime. Les principes hérités des Lumières sont progressivement devenus un obstacle. L’information est devenue quelque chose de dangereux, et elle est pourtant diffusée à un rythme jamais vu auparavant. C’est peut-être pour cette même raison qu’elle est considérée comme si dangereuse.

« Prenez garde à celui qui vous refuse l’accès aux informations, car au fond de lui, il ne rêve que devenir votre maître » Le préfet Pravin Lal.

Quatre groupes-clés guident cette évolution. Ils y contribuent chacun à leur manière, mais en les réunissant, les conditions sont rassemblées pour verrouiller la société.

  • Les politiciens techniquement apathiques : des décideurs et des politiciens qui non seulement ne comprennent rien aux implications techniques de leurs décisions et de leurs lois, mais qui sont fiers de ne pas comprendre les infrastructures de la société, comme si ce type d’effort était indigne d’eux. Ils essaient aussi de marquer des points en servant les intérêts des trois autres groupes, et ce par des coups bas qui ridiculisent le peu de leurs collègues qui comprennent les répercussions techniques des propositions étudiées.
  • L’industrie du copyright : une industrie menacée d’obsolescence par le concept même des libertés civiles combinées aux les technologies modernes de l’information. Étant donné que les industriels ne peuvent pas revenir en arrière sur les avancées technologiques, ce sont les libertés qui constituent leur cible.
  • Les profiteurs de la sécurité : une groupe très restreint est en train de réussir un beau coup en supprimant nos libertés civiles, l’une après l’autre. Prenez l’exemple du scanner déshabillant dans les aéroports. Il s’agit du même type de personnes qui provoquent la guerre pour générer du profit, qui pensent « On s’en fiche si quelques centaines de milliers de personnes meurent ». On peut mentionner les noms d’Halliburton et de Blackwater Security, par exemple.
  • La coalition des fondamentalistes anti-liberté : les individus prêts à vous dicter ce que vous devez faire de votre vie sont légion. Peu importe qu’ils veuillent vous priver de vos libertés pour préserver les valeurs du christianisme ou de l’islam, du socialisme ou de quelque autre manuel de prescriptions qui prétend avoir une réponse à tout, ils représentent finalement une seule et même menace. Les pires d’entre eux sont ceux qui prétendent le faire « dans l’intérêt des enfants », comme ECPAT (End Child Prostitution, Child Pornography and Trafficking of children for sexual purposes).

Une fois rassemblés, ils provoquent la conjoncture délétère qui permet de mettre en place des politiques non pas destinées au peuple, mais dirigées contre lui, au nom d’intérêts très particuliers. Les lois ainsi promulguées permettent alors sans problème de nous retirer toutes nos libertés, du droit à la vie privée, à la liberté d’expression (industrie du copyright), à notre liberté de mouvement, et jusqu’au droit même à la vie (les profiteurs de la sécurité). Pour cela, il est nécessaire de créer un environnement qui soit fondamentalement hostile aux enquêtes et aux études indépendantes. Cet environnement est déjà en place (une fois de plus : l’industrie du copyright, le « terrorisme »).

Prenons l’exemple de la criminologie, cette science à moitié politique. Elle est fondée sur les preuves et prédit ce qui arrive selon la façon dont on organise les lois, leur application, et la graduation des peines. Il existe un concept appelé dissuasion marginale affirmant que quand quelqu’un commet un crime, afin d’éviter une escalade de violence, il existe toujours une sanction plus lourde à éviter.

Par exemple, si l’on prévoit la même peine pour un cambriolage ou un meurtre, il serait logique pour un cambrioleur de tuer chacune de ses victimes, puisque cela ne changerait rien pour le criminel en cas d’arrestation. Au contraire, avec un témoin en moins, les risques d’être pris s’en trouveraient réduits. Par conséquent, on applique une peine significativement plus élevée pour un meurtre que pour un vol. Voilà un exemple de dissuasion marginale.

Le 16 décembre, le Sénat des États-Unis a fait fi de toute sagesse de ce type et voté à 86 voix contre 13 que tout un chacun pourrait être emprisonné indéfiniment, ou même exécuté, sans procès ni charges contre lui. 86 contre 13 ! Voilà ce que je j’entends par « les États-Unis sont déjà perdus ». Où en sommes-nous si malgré le grand nombre de citoyens qui s’efforcent de respecter les lois, on peut tout de même les jeter en prison, voire les exécuter ? Lorsqu’on ne passe même plus par la case simulacre de procès ? J’ai tweeté à ce sujet hier, en faisant déjà allusion à la quatrième boîte.

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De plus, la novlangue a déjà commencé à appliquer cela aux dissidents les plus ordinaires. Les gens qui ne sont pas d’accord avec le gouvernement et l’autorité. La détention sans limite et les exécutions arbitraires s’appliqueront uniquement aux « terroristes », mais en même temps l’on a appelé « terroristes de basse intensité » des manifestants lambda lors d’un rassemblement. Pas la peine d’être un génie pour comprendre vers quoi on se dirige, même si beaucoup de gens, et cela n’a rien de surprenant, se voilent la face et refusent de voir ce qui se passe sous leur nez. Comme je l’évoquais précédemment, les prochaines décennies s’annoncent des plus sombres pour les États-Unis.

Laissez-moi vous montrer la gravité de la situation. Lorsque ce genre de lois seront passées et qu’un certain nombre de gens auront disparu, si des policiers viennent pour arrêter, le réflexe le plus logique sera simplement de les abattre à distance. Rien de pire ne peut vous arriver pour l’avoir fait, et cela augmentera vos chances de rester en vie et en liberté. Et les gens se regrouperont en bandes pour s’entraider dans ce seul but – très vite. À ce stade, les lois ne seront plus pertinentes (même s’il y avait des simulacres de procès) ; seule la débrouillardise de la rue déterminera votre sort.

En Suède, j’ai assisté à un exemple concret de population qui se voile la face, il y a quelques années, lorsqu’on abolissait le droit à la vie privée au profit de la mise sur écoute. Les autorités allaient pouvoir procéder à des écoutes en nombre, sans mandat, ni avertissement, ni soupçon de délit, rien. Alors que nous organisions des manifestations pour protester et lisions la proposition de loi aux passants, qui correspond mot pour mot à la loi qui a été votée, ils refusaient de nous croire. Ils ont purement et simplement refusé de voir ce qui se passait, ils pensaient que nous l’avions inventée et que c’était trop invraisemblable pour être avéré. Ce fut l’un des moments les plus exaspérants de ma vie politique. J’y reviendrai dans un prochain billet.

Mais cela illustre un autre problème. Les armes qui jouent un rôle prépondérant, et c’est là l’ironie de la situation, ne sont pas celles qui propulsent du plomb, du cuivre ou de l’acier à une vitesse létale, mais les téléphones portables. Si l’on observe les jeunes – grosso modo la moitié la plus jeune de la population – lorsqu’ils assistent à un crime, vous constaterez qu’ils sortent tous leurs téléphones portables, mais n’appellent pas la police. Ils sortent leurs téléphones portables pour filmer, l’enregistrement se faisant de préférence ailleurs que sur leur téléphone (qui risque d’être détruit vu sa proximité avec le lieu de l’événement).

Slim Amamou, l’activiste du parti pirate tunisien qui a été secrétaire d’État au sein du gouvernement d’union, a remarqué que sur toutes les photos d’activistes du Printemps arabe figurent d’autres gens qui photographiaient la même scène avec leur téléphone. Ainsi, le carburant de cette révolution ne se résumait pas à une image – chaque acteur de la révolution diffusait aussi des instructions sur la façon de propager les informations sur d’autres violations du droit.

Il existe une raison pour laquelle la nomenklatura veut à tout prix le contrôle d’Internet. C’est pour cette même raison que nous devons nous battre pour lui.

Je suis convaincu que la démocratie doit être le chemin à suivre, sans condition, tant qu’elle donne un espoir de liberté. Mais, hélas, cette possibilité se referme – par le biais de nos élus, pour le compte de groupes d’intérêts particuliers. Les profits et le fondamentalisme. Elle n’est pas encore close, mais bien des groupes y œuvrent d’arrache-pied.

Je suis un Européen blanc, d’âge moyen. Un entrepreneur hautement qualifié. Distingué comme l’un des penseurs les plus brillants au monde. Je serre la main des présidents, des membres des gouvernements, et des secrétaires d’État, dans le monde entier. Je n’ai absolument rien à craindre du gouvernement tant que je ne fais pas de vagues. En toute logique, je devrais être l’un des derniers à me rendre compte que l’on peut en arriver là.

Cette considération est moins effrayante si elle est erronée que si elle se vérifie : il est possible que j’aie raison. Peut-être que beaucoup de personnes partagent mes craintes sans les formuler. Si c’est le cas, une grande proportion de la population des pays occidentaux a observé le Printemps arabe et se prépare à devoir probablement faire la même chose de leur vivant.

Certaines personnes pensent que l’Europe en général (et les pays nordiques en particulier) représente un élan d’espoir. J’illustrerai dans des articles à venir comment certains politiciens semblent ne vouloir rien de plus que de marcher dans les pas des États-Unis vers l’obscurité, même si l’Europe peut encore être sauvée. Ici, l’activisme peut avoir un résultat, comme le peut le travail des politiques, en agissant dans la rue. Nous pouvons inverser cette tendance. Nous en sommes capables, et c’est notre devoir.

Je ne souhaite pas que l’on en arrive à la situation que je décris dans cet article. Au contraire. Je jette tous les mauvais sorts du monde à ceux qui ont créé cette situation et me contraignent à voir les choses ainsi. Mais si l’on doit en arriver là après des années de protestation et de dur labeur, alors je m’adapterai. Je me battrai pour la liberté autant que je le peux, et j’aiderai les autres à s’organiser autour de la cause. Je suis passé de la préparation mentale à une réelle préparation à l’effrayante et douloureuse possibilité que la situation puisse devenir vraiment moche.

La photo qui illustre cet article, le pistolet et la cible, n’est pas tirée d’un catalogue comme 99% des photos de ce blog. Cette photo a été prise de mon bureau, à cinquante centimètres de là où je suis assis.