Libérons le matériel informatique : la lutte continue…

Bohman - CC byNous savons tous que le plus gros frein à une adoption plus importante des systèmes GNU/Linux, c’est l’incompatibilité matérielle. Qui en effet n’a pas rencontré de problèmes de pilotes ou cherché des heures sur les forums pour faire fonctionner sa webcam ? Comment convaincre facilement quelqu’un de passer à Linux tout en devant le prévenir que tout ne fonctionnera peut-être pas sur sa machine[1] ? Pas forcément évident.


Certes, de grandes avancées ont été accomplies dans le monde du libre, comme l’évoque la FSF dans son appel pour 2009, et bon nombre de machines et périphériques tournent aujourd’hui à merveille sous GNU/Linux, d’une part grâce aux efforts de la communauté pour créer des pilotes, et d’autre part grâce aux fabricants qui en fournissent plus volontiers pour les systèmes Linux.

Hélas, trop nombreux sont ceux qui ne proposent pas de pilotes libres et ouverts. Une des priorités établies par la FSF pour 2009 est d’ailleurs l’obtention de pilotes libres pour les routeurs. Rappelons au passage que c’est d’une histoire de pilote d’imprimante que tout est parti.

Même s’il peut être séduisant d’avoir des pilotes et des programmes propriétaires portés sous Linux, qui permettent de bénéficier d’une bonne prise en charge de notre matériel ou d’applications Web à grand succès, cela ne résoud pas les problèmes inhérents aux programmes dont le code n’est pas accessible, puisqu’on ne peut ni l’améliorer, ni l’adapter à ses besoins, ni l’examiner pour éviter les mauvaises surprises (côté applications, on pense à Skype, qui a le fâcheux réflexe d’aller fouiner dans vos données personnelles… et ô surprise, développer un logiciel de remplacement pour Skype est la troisième des priorités de la FSF).

Alors pour illustrer la question, voici un article dénonçant la politique de Nvidia, qui refuse de publier des pilotes ouverts pour ses cartes graphiques, contrairement à ATI, qui le fait depuis son rachat par AMD.

PS : Merci à Antistress pour le lien concernant les pratiques douteuses de Skype.

Nvidia dit non aux pilotes de périphérique libres, je dis non à Nvidia

Nvidia says no to free drivers, I say no to Nvidia

Libervisco – 27 juin 2008 – Nuxified
(Traduction Framalang : Siltaar, Olivier et Don Rico)

Les développeurs du noyau Linux ont plébiscité une motion signée par une centaine de développeurs indiquant qu’ils considèrent les modules non-libres du noyau comme indésirables et dangereux. Comme ils l’expliquent « de tels modules vont à l’encontre de l’ouverture, de la stabilité, de la flexibilité et de la maintenabilité du modèle de développement de Linux et coupent leurs utilisateurs de l’expertise de la communauté de Linux. Les fabricants qui fournissent des modules de noyau à source-fermée forcent leurs clients à abandonner certains avantages clés de Linux ou à choisir de nouveaux fabricants. »

Ils sont allés jusqu’à critiquer spécifiquement Nvidia, qui ne fournit pas de pilotes de périphériques libres. Nvidia a répondu. Ils s’y refusent car, comme ils le disent, les pilotes contiennent « une propriété intellectuelle qu’Nvidia souhaite protéger », et ont de plus expliqué qu’ils fournissent déjà d’excellents services pour Linux, qu’ils ont une équipe chargée de la conception du pilote non-libre, essayant en fait de nous faire croire qu’ils proposent déjà à leurs clients sous GNU/Linux une offre honnête.

Donc mettons les choses au clair : quelle est cette offre ? Vous achetez une carte graphique, obtenez un CD de pilotes qui contient, ou non, une version Linux des pilotes (si c’est non, vous devez vous rendre sur leur site Web pour les télécharger), puis vous les installez et ça marche. Ça a l’air bien, non ? Et si vous pouviez faire mieux ? Et si vous étiez un programmeur qui souhaite améliorer un aspect particulier du pilote ? Ça vous est impossible. Donc, la question qui se pose est : possédez-vous vraiment et entièrement la carte que vous avez achetée ? Peut-être. Mais qu’en est-il de ce truc qui la fait fonctionner, ce truc qui lui fait faire ce pour quoi vous l’avez achetée ?

Eh bien, visiblement, ça ne vous appartient pas. Vous avez tout juste le droit de l’utiliser tel quel, et c’est bien le problème. Si vous pensez que quelque chose ne fonctionne pas à cause d’un bogue dans le pilote, non, vous ne pouvez pas le réparer. Vous ne pouvez que contacter leur super service après-vente et les supplier d’y remédier.

En résumé, l’offre c’est donc : vous achetez une carte, mais la seule façon de l’utiliser c’est de louer un pilote auquel vous n’avez qu’un accès incomplet, rendant ainsi votre fructueuse utilisation de la carte constamment dépendante de Nvidia et limitant évidemment de ce fait le contrôle que vous devriez avoir en tant que supposé propriétaire.

Qui leur donne le droit d’imposer de telles pratiques ? Eh bien, pour être franc, c’est vous, tant que vous achetez la carte. J’ai dit dans mon dernier post ici même que je ne considérais plus forcément leur proposition (répugnante) comme une offre immorale, mais la question est de savoir si vous êtes prêt à l’accepter ? Estimez-vous qu’acheter un produit et en obtenir un contrôle limité constitue une offre honnête à vos yeux ?

C’est une question à laquelle chacun doit répondre pour lui-même. De mon point de vue, alors que je projetais d’acheter une Nvidia, vu que le projet de rétro-conception « nouveau » semble avancer à bonne allure, je pense désormais (avec une certaine rancœur) y renoncer. AMD participe au développement d’un pilote libre pour ses cartes récentes, c’est donc par conséquent la voie à suivre.

Conclusion : Nvidia, vous dites non aux pilotes libres, alors je vous dis non. Pas mal, non ? Peut être que si suffisamment d’acheteurs agissaient de la sorte, la précieuse « propriété intellectuelle » d’Nvidia deviendrait subitement superficielle (cette « propriété » étant la recette qui fait fonctionner MA carte ! (si tant est que je l’achète)) Merci.

Notes

[1] Crédit photo : Bohman (Creative Commons By)




En 2009 avec la Free Software Foundation

Angela7dreams - CC byCertains critiquent leur radicalité, d’autres les admirent pour cela. Quoi qu’il en soit, nous sommes de ceux qui pensent que la situation actuelle du logiciel libre doit beaucoup au travail de la Free Software Foundation et de son président Richard Stallman.

C’est pourquoi nous avons choisi de traduire et relayer leur récent appel à soutien dans un article qui en profite pour faire le point sur de nombreuses actions passées et à venir (DRM, Vista, formats OGG et ODF, brevets, matériels…) qui sont autant de témoignages du dynamisme et du volontarisme de la fondation[1].

La Grande offensive 2009 – Appel de la Free Software Foundation

The Big Push 2009 – Free Software Foundation Appeal

Peter T. Brown – 14 décembre 2008 – FSF.org
(Traduction Framalang : Don Rico et Olivier)

Chers partisans du Logiciel Libre,

Notre communauté a accompli d’immenses avancées en créant des outils qui favorisent la communication et la liberté, et qui influent en profondeur sur la vie de tout un chacun. Le logiciel libre est devenu un modèle démontrant que notre société peut avancer de façon collaborative et, parmi ceux qui défendent ces idéaux, les membres de notre communauté sont à la pointe de la lutte.

La revendication, la diplomatie et l’éducation représentent une composante essentielle du travail qu’effectue la Free Software Foundation pour la communauté, mais afin d’ouvrir la voie à une adoption plus large du logiciel libre, notre œuvre doit aussi dépasser les frontières de cette seule communauté. Nous parvenons à toucher un public plus large grâce à des campagnes d’envergure touchant aux questions éthiques associées à nos préoccupations, telles que Defective by Design, campagne visant à faire disparaître les DRM, qui a eu une grande portée sur la perception qu’a le public des verrous numériques appliqués à la musique, aux jeux, aux livres électroniques et aux vidéos. Par ailleurs, tandis qu’applications Internet et autres services en ligne gagnent en popularité et en commodité, nous œuvrons pour qu’on n’impose pas aux utilisateurs de l’outil informatique d’abandonner leur liberté afin d’en bénéficier. La publication de notre licence GNU Affero General Public Licence (AGPL) et les pourparlers que nous menons actuellement avec le groupe autonomo.us constituent des fondations solides pour aborder cette question et aider la communauté à développer davantage d’alternatives libres pour le bien de la société.

La communauté du logiciel libre doit aujourd’hui se pencher sur de nombreuses problématiques : votre employeur ou votre établissement scolaire exige-t-il de vous que vous utilisiez des logiciels Microsoft ? Exige-t-on de vous l’utilisation de formats propriétaires lors de vos échanges avec votre banque ou certaines administrations ? Forme-t-on vos enfants à l’utilisation de produits Microsoft ou Apple au lieu de leur apprendre à avoir le contrôle de leur ordinateur ?

En tant que défenseurs du logiciel libre, nous pouvons bousculer ce statu quo et contester l’argument fallacieux voulant qu’il soit plus commode d’utiliser les outils intrusifs des entreprises de logiciel propriétaire, car nos chances d’obtenir de grands changements n’ont jamais été meilleures :

La Free Software Foundation, dans le cadre de sa campagne End Software Patents (ESP) (NdT : Non aux brevets logiciels) a remis un dossier d’amicus curiae à la cour d’appel du Tribunal Fédéral des États-Unis (CAFC) lors de son audience en banc dans l’affaire Bilski, au terme de laquelle le jugement Bilski a battu en brèche, voire rendu techniquement nul, le jugement State Street qui en 1998 avait ouvert les vannes de la brevetabilité des logiciels et des idées commerciales. Les légions de brevets logiciels utilisés pour menacer les développeurs qui écrivent des logiciels destinés aux distributions GNU/Linux fonctionnant sur les ordinateurs personnels ont, en théorie, été balayées. Le jugement Bilski représente sans nul doute une percée capitale pour le logiciel libre et une victoire pour notre campagne, et grâce à ce jugement nous sommes en mesure de réduire les menaces auxquelles sont confrontées les institutions qui envisagent de passer au logiciel libre.

Des distributions 100% libres, telle la distribution gNewSense, soutenue par la FSF, sont désormais opérationnelles, ce qui semblait hors d’atteinte il y a quelques années à peine. Grâce au travail que nous avons accompli en 2008 auprès de SGI, on peut enfin bénéficier de l’accélération graphique 3D avec des logiciels libres et gNewSense.

Après la mise à jour de notre liste de projets prioritaires, il ressort que le nombre de logiciels propriétaires pour lesquels il n’existe pour l’instant pas de solution de remplacement libre et pour lesquels les utilisateurs estiment qu’on leur force la main se réduit. Une nouvelle preuve si elle était nécessaire que nous attaquons ce problème sur tous les fronts.

Des fabricants de matériel favorables au logiciel libre nous ont offert le premier smartphone sous logiciel libre, le Neo FreeRunner. Le projet OLPC, quant à lui, a débouché sur la création du premier ordinateur portable tournant sous logiciel libre, le XO, lequel a rapidement crée un marché pour les ultraportables à bas prix, marché sur lequel les contraintes économiques ont fait de GNU/Linux une solution incontournable. Depuis quelques mois, les administrateurs système de la FSF travaillent sur le prochain portable Lemote, machine adaptée aux logiciels libres qu’utilise Richard Stallman et qui, nous l’espérons, sera bientôt largement disponible dans le commerce. La possibilité d’acheter du matériel adapté au logiciel libre n’a jamais été aussi grande.

La FSF ne cesse de mener des campagnes pour promouvoir les formats et les standards libres et ouverts. Notre campagne en faveur des codecs audio et vidéo libres porte ses fruits, et le navigateur de Mozilla, Firefox, prendra bientôt nativement en charge le format Ogg, nous offrant ainsi une possibilité sans précédent de promouvoir les codecs libres. Notre action en association avec de nombreux partenaires en faveur du format OpenDocument (ODF) et contre l’OOXML de Microsoft a été couronnée de succès, de nombreux pays ayant adopté des politiques pro-ODF.

Nous avons fêté en 2008 le 25ème anniversaire du projet GNU, avec une vidéo du comédien britannique Stephen Fry qui a fait un tabac. Stephen Fry y fournit un rappel salutaire de notre conception alternative de la technologie, selon laquelle on ne troque pas sa liberté contre une certaine commodité mais on soutient au contraire le développement d’outils qui rendent la société meilleure. Plus d’un million de personnes ont visionné ce film, traduit en 32 langues.

Mises bout à bout, ces percées sont importantes car elles nous donnent l’occasion d’écarter les arguments de ceux qui avancent un soi-disant côté pratique pour promouvoir les outils intrusifs des sociétés à visées monopolistiques, et de soulever des questions vitales auprès de nos employeurs. Pourquoi utilisons-nous ce logiciel propriétaire qui nous rend dépendants de cette entreprise alors que nous pourrions utiliser des logiciels libres qui nous rendraient la maîtrise de nos outils ? Ces avancées nous permettent d’exiger des administrations qu’elles fonctionnent avec des outils ouverts. Pourquoi les administrations de mon pays me forcent-elles à acquérir le logiciel d’une entreprise commerciale alors qu’il existe des formats ouverts fonctionnant avec des logiciels libres ? Et pourquoi tel ou tel établissement scolaire accepte-t-il qu’une entreprise commerciale lui offre des logiciels propriétaires qui mettent des chaînes à l’éducation de mes enfants au lieu d’utiliser des logiciels libres qui leur donneraient la possibilité d’avoir la maîtrise de la technologie dont ils se servent pour apprendre ?

Soutenez dès à présent notre grande offensive pour porter ces questions au premier plan en 2009.
Devenez membre ou faites un don.

Cordialement,

Peter T. Brown
Directeur exécutif de la Free Software Foundation

Notes

[1] Crédit photo : Angela7dreams (Creative Commons By)




Quand l’album de Nine Inch Nails bouscule toute l’industrie musicale

Notsogoodphotography - CC byOn risque d’en parler longtemps. Imaginez-vous en effet un album de musique sous licence Creative Commons, disponible gratuitement et légalement sur tous les sites de partage de fichiers, et qui arrive pourtant en tête de meilleurs ventes 2008 sur la très fréquentée plate-forme de vente en ligne Amazon !

Voilà une nouvelle qui fait du bien et qui va à l’encontre de bon nombre d’idées reçues véhiculées notamment par certaines pontes de l’industrie culturelle (et leurs amis politiques). Une véritable petite bombe en fait, surtout en temps de crise. Les mentalités et les comportements évoluent et cela bénéficie indirectement aux logiciels libres qui sont « gratuits » ou « payants » selon que vous décidez ou non de soutenir le logiciel libre considéré[1].

Nine Inch Nails : l’album MP3 sous licence Creative Commons s’est vendu comme des petits pains

NIN’s CC-Licensed Best-Selling MP3 Album

Fred Benenson – 5 janvier 2009 – Creative Commons Blog
(Traduction Framalang : Don Rico)

L’album de Nine Inch Nails (NIN) diffusé sous licence Creative Commons, Ghosts I-IV, a fait un bon nombre de gros titres.

Pour commencer, l’opus a été salué par la critique et récompensé par deux nominations aux Grammy Awards, ce qui atteste la qualité musicale de cette œuvre. Mais ce qui nous emballe vraiment, c’est le formidable accueil qu’a reçu cet album chez les adeptes de musique. En plus d’avoir généré plus d’un 1,6 million de dollars de gains pour Nine Inch Nails dès la première semaine et d’avoir atteint la première place du classement de Billboard dans la catégorie musique électronique, Ghosts I-IV figure à la quatrième place des albums les plus écoutés de 2008 sur Last.fm, fort de 5 222 525 écoutes.

Mais le plus enthousiasmant, c’est que Ghosts I-IV a été l’album MP3 le plus vendu en 2008 sur la plateforme de téléchargements de MP3 d’Amazon.

Songez un peu à ce que ça signifie.

Les fans de NIN auraient pu utiliser n’importe quel réseau de partage de fichiers pour télécharger légalement l’album entier, puisqu’il est sous licence Creative Commons BY-NC-SA. Beaucoup l’on d’ailleurs fait, et des milliers continueront à le faire. Alors pourquoi les fans prendraient-ils la peine de payer des fichiers identiques à ceux qui sont disponibles sur les réseaux P2P ? On peut d’abord l’expliquer la facilité d’accès et d’utilisation des pages de téléchargements de NIN et d’Amazon. Mais il y a aussi le fait que les fans ont compris qu’acheter des fichers MP3 allait directement profiter à la musique et à la carrière d’un groupe qu’ils apprécient.

La prochaine fois qu’on tentera de vous convaincre que produire de la musique sous licence Creative Commons entamerait les ventes de musique numérique, souvenez-vous que Ghosts I-IV a prouvé le contraire, et soumettez cet article à votre interlocuteur.

Notes

[1] Crédit photo : Notsogoodphotography (Creative Commons By)




Les drôles de conseils du site Educnet

Zara - CC by-saNous le savons, et n’ayons pas peur de paraphraser les Beatles pour appuyer notre propos (et montrer toute l’étendue de notre culture), « logiciel libre » et « éducation » sont des mots qui vont très bien ensemble.

Voici ce qu’en disait récemment le Département de l’instruction publique du canton de Genève : « Dans sa volonté de rendre accessibles à tous les outils et les contenus, le libre poursuit un objectif de démocratisation du savoir et des compétences, de partage des connaissances et de coopération dans leur mise en œuvre, d’autonomie et de responsabilité face aux technologies, du développement du sens critique et de l’indépendance envers les pouvoirs de l’information et de la communication. »

En France pourtant cette association ne va pas de soi. Nouvelle illustration avec le site Educnet, portail TICE du Ministère de l’Éducation Nationale et du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (autrement dit c’est ici que l’on traite des Technologies de l’information et de la communication pour l’éducation ou TICE).

Sur ce site donc, dans la catégorie juridique Légamédia[1], on trouve, et l’intention est louable, une page consacrée non pas aux logiciels libres mais aux logiciels « Open Source » : L’utilisation et le développement de logiciels issus de l’Open Source.

Il est difficile pour un site qui aborde tant de sujets d’être « expert en tout » mais dans la mesure où il s’agit d’un canal officiel de l’Éducation Nationale, je n’ai pu m’empêcher de réagir[2] et d’en faire ici une rapide lecture commentée.

1- Définition technique et pratique : L’Open Source est le nom donné à leur mouvement en 1998 par les acteurs du logiciel libre. Fruit de la mouvance libertaire de l’Internet, les bases de l’Open Source ont été jetées en 1984 par Richard Stallman avec son projet GNU (GNU’s not Unix). Ce projet consistait à créer un système d’exploitation aussi performant qu’Unix et complètement compatible avec lui. Est ainsi né le premier système d’exploitation dit « libre », car son utilisation, sa copie, sa redistribution voire sa modification étaient laissées au libre arbitre de l’utilisateur. Sous le nom d’Open Source, sont fédérées toutes les expériences d’accès libre au code source des logiciels.

Le site Educnet s’adresse à la communauté éducative dont en tout premier lieu aux enseignants. Expliquer rapidement ce qu’est un logiciel libre n’est pas chose aisée mais on aurait tout de même pu s’y prendre autrement, à commencer par privilégier l’expression « logiciel libre » à celle d’« Open Source ». Par exemple en empruntant la première phrase de l’article dédié de Wikipédia : « Un logiciel libre est un logiciel dont la licence dite libre donne à chacun (et sans contrepartie) le droit d’utiliser, d’étudier, de modifier, de dupliquer, et de diffuser (donner et vendre) le dit logiciel ».

Une fois ceci posé et compris, on aura bien le temps par la suite d’entrer plus avant dans le détail et d’aborder les choses plus finement en évoquant le code source ou les différences d’approche entre « logiciel libre » et « Open Source ». Quant à la « mouvance libertaire de l’Internet » je n’évalue pas l’effet produit sur le lecteur mais elle oriente assurément le propos.

1.1- Les principes de l’Open Source : En réaction au monopole d’exploitation reconnu par le droit d’auteur ou le Copyright, la finalité de l’Open Source est la promotion du savoir et sa diffusion auprès d’un public le plus large possible. Il est proposé aux internautes utilisant et développant les logiciels issus de l’Open Source de créer un fonds commun de logiciels en ligne. Concrètement, l’utilisation de logiciels issus de l’Open Source permet le libre accès au code source du logiciel, sa copie et sa libre redistribution.

Je continue à me mettre à la place d’un enseignant qui découvrirait ici le logiciel libre et cela demeure complexe à appréhender ainsi présenté. Reprendre la traditionnelle introduction de Richard Stallman (« je peux résumer le logiciel libre en trois mots : liberté, égalité, fraternité  ») aurait eu certainement plus de sens et d’impact. Retenons cependant que la finalité est « la promotion du savoir et sa diffusion auprès d’un public le plus large possible », ce qui tombe plutôt bien quand on s’intéresse à l’éducation, non ?!

1.2- Les conditions d’utilisation : Afin de développer à un moindre coût un projet informatique, des élèves et leur enseignant peuvent utiliser des logiciels « Open Source », les modifier ou les améliorer afin de les adapter à leurs besoins. En revanche, les améliorations effectuées sur le logiciel initial doivent être versées dans le fond commun mis en ligne. Il est possible de puiser gratuitement dans le fond des logiciels libres, à condition qu’à son tour on enrichisse le fond de ses améliorations en permettant à d’autres de les exploiter gratuitement…

Qu’est-ce que c’est alambiqué ! Et faux par dessus le marché : nulle obligation d’enrichir le fond des logiciels libres pour les utiliser ! On voudrait nous faire croire que les logiciels libres sont réservés aux informaticiens que l’on ne s’y prendrait pas autrement.

2- Les points de vigilance : En utilisant des logiciels issus de l’Open source, les élèves comme leurs enseignants doivent avoir conscience des conditions d’utilisation particulières de ce type de logiciel. Cela permet d’avoir des outils logiciels performants à moindre coût, mais son apport dans l’amélioration du logiciel n’est nullement protégé. Il faut au contraire le mettre en libre accès en rappelant sur le site de téléchargement du logiciel les principes de l’Open Source.

Là ce n’est plus alambiqué c’est carrément de parti pris ! La tournure et le champ lexical adopté (« vigilance », « avoir conscience », « conditions », « mais », « nullement protégé », « au contraire »…) ne peuvent que conduire à inspirer une certaine méfiance au lecteur alors même qu’on devrait se féliciter de l’existence du logiciel libre, véritable facilitateur de vie numérique en milieu scolaire !

Et pour finir en beauté, l’ultime conseil, dans un joli cadre pour en signifier toute son importance (les mises en gras sont d’origine) :

Conseils : Il est donc déconseillé d’utiliser ce type de logiciel si les élèves, leurs enseignants, voire l’établissement scolaire souhaitent garder un monopole d’utilisation des travaux de développement du logiciel libre. Les principes de l’Open Source obligent les développeurs à garantir un accès libre aux améliorations du code source du logiciel libre.

La cerise sur le gâteau, pour définitivement convaincre le lecteur que non seulement le logiciel libre c’est compliqué mais qu’il est en fait à déconseiller alors même qu’il ne viendrait jamais à l’idée des élèves, enseignants et établissements scolaires de « garder un monopole d’utilisation des travaux de développement du logiciel libre ». Sommes-nous sur Educnet ou sur un site du Medef ?

Que l’Institution souhaite conserver un positionnement neutre vis-à-vis du logiciel libre, je le déplore et le conteste mais je peux le comprendre. Personne ne lui demande en effet de sauter sur sa chaise comme un cabri en criant : logiciel libre, logiciel libre, logiciel libre ! Mais de là à présenter les choses ainsi…

Soupir… Parce qu’on avait déjà fort à faire avec Microsoft et ses amis.

Et ce n’est malheureusement pas terminé parce que, autre intention louable, il y a également une page consacrée (nouvel emprunt à l’anglais) à « l’Open Content » : L’utilisation de contenus issus de l’Open Content.

1- Définition technique et pratique : Dans le prolongement du mouvement Open Source qui concernait que les logiciels, l’Open Content reprend les mêmes principes de libre accès à la connaissance en l’appliquant cette fois à tout type de contenus en ligne (content). Sur l’Internet, des auteurs mettent en libre accès leurs créations musicales, photographiques, littéraires, etc. … Ils choisissent ainsi de contribuer à l’enrichissement d’un fonds commun de savoir mis en ligne. Lors de l’élaboration d’un site web ou de tout autre travail, les élèves ou les enseignants peuvent utilement puiser dans ce fonds et intégrer ces contenus issus de l’Open Content dans leurs propres travaux. Enfin, à leur tour, les élèves et leurs enseignants peuvent aussi verser leurs propres travaux dans le fonds commun de l’Open Content. Il faut pourtant garder à l’esprit quelques règles à respecter.

Cela commençait fort bien mais, comme précédemment, un bémol final : « il faut pourtant garder à l’esprit quelques règles à respecter ». C’est tout à fait juste au demeurant, il y a bien des règles à respecter, celles de la licence accolée à la ressource. Amusez-vous cependant à comparer par exemple la licence (« Open Content ») Creative Commons By-Sa avec les directives (non « Open Content ») concernant les usages des « œuvres protégées à l’Éducation Nationale, effet garanti !

2- Les points de vigilance : L’Open Content est un choix conscient et maîtrisé par l’auteur, comme le démontrent les licences d’utilisation de ce type de « contenus libres ». Les conditions d’utilisation sont claires.

Là encore, il faut que le lecteur soit « vigilant » en ayant la « maîtrise » des « conditions d’utilisation » et la « conscience » de ses choix. Faites mille fois attention avant d’adopter de telles licences ! Dois-je encore une fois renvoyer à cet article pour illustrer des conditions d’utilisation bien moins claires que n’importe quelle ressource sous licence libre ?

2.1- Les prérogatives morales : Tout d’abord, les licences sont l’occasion de rappeler aux futurs utilisateurs, élèves et enseignants les prérogatives morales de l’auteur : le respect de la paternité et de l’intégrité de l’œuvre. En utilisant ces contenus, le nom de l’auteur doit être mentionné et aucune modification à l’œuvre originale doit être apportée sauf si elle est mentionnée avec l’accord de l’auteur.

Avec l’accord de l’auteur… sauf dans le cas où la licence choisie confère d’office certains droits à l’utilisateur qui n’a alors rien à demander à l’auteur pour jouir de ces droits. C’est justement le positionnement adopté par les licences libres et les licences de types Creative Commons (voir ce diaporama à ce sujet), licences de la plus haute pertinence à l’ère du numérique surtout en… milieu scolaire. Imaginez-vous en effet devoir demander à chaque auteur les autorisations d’usage pour chaque œuvre que vous souhaitez utiliser et étudier en classe !

Et n’oublions pas non plus l’existence du domaine public qui n’est pas mentionné ici.

2.2- Les prérogatives patrimoniales : De même, la licence précise les conditions d’exercice des prérogatives patrimoniales de l’auteur : les droits de reproduction et de représentation. Sur ces points, selon le principe de libre accès, la licence permet la copie et la redistribution de l’œuvre à condition que les copies soient faites dans une finalité non commerciale. Il s’agit d’une cession à titre gratuit limitée. Les contenus issus de l’Open Content peuvent donc être utilisés sans restriction dans le cadre de l’activité scolaire à la condition de respecter les prérogatives morales des auteurs initiaux et en rappelant sur les pages où se trouvent les contenus « libres » les conditions des licences « Open Content ».

Encore du jargon juridique qui n’est pas de nature à être véritablement compris par l’enseignant, qui plus est sujet à caution puisque les licences libres autorisent généralement aussi bien la modification que l’exploitation commerciale d’une œuvre soumise à cette licence.

Et comme pour l’article précédent, un (étrange) conseil à suivre pour conclure :

Conseil : Il est par contre déconseillé au milieu scolaire d’utiliser ce type de contenus si on envisage de valoriser ses travaux en s’associant avec un partenaire privé pour une exploitation commerciale.

S’agit-il de « valoriser » ou de « monétiser » les travaux ? Et là encore, vous en connaissez beaucoup vous des enseignants qui envisagent de s’associer à un partenaire privé pour une exploitation commerciale ? De plus il n’y a aucune antinomie, on peut très bien adopter des licences libres et s’associer à un partenaire commercial pour exploiter (avec succès) ses travaux, Sésamath et ses manuels scolaires libres en vente chez l’éditeur Génération 5 nous en donne un parfait exemple.

Résumons-nous. Avec les licences libres appliquées aux logiciels et aux ressources, on tient de formidables instruments favorisant l’échange, le partage et la transmission de la connaissance en milieu scolaire (c’est ce que je tente de dire modestement au quotidien sur ce blog en tout cas). Mais de cela nous ne saurons rien si ce n’est que consciemment ou non tout est fait pour dissuader l’enseignant de les évaluer sérieusement en le noyant sous la complexité et les mises en garde avec des considérations économiques qui viennent parasiter un discours censé s’adresser à la communauté éducative.

Ces deux pages, non retouchées depuis un an, mériteraient je crois une petite mise à jour. Qu’il me soit alors permis de suggérer à leurs auteurs la lecture de ces quelques articles qui ne viennent pas d’un illégitime électron libre et « libriste » (comme moi) mais qui émanent du sérail : Les Creative Commons dans le paysage éducatif de l’édition… rêve ou réalité ? (Michele Drechsler, mars 2007), Un spectre hante le monde de l’édition (Jean-Pierre Archambault, septembre 2007) et Favoriser l’essor du libre à l’école (Jean-Pierre Archambault, juin 2008). Peut-être y trouveront-ils alors matière à quelque peu modifier le fond mais aussi la forme du contenu tel qu’il se présente actuellement.

Sur ce je souhaite une bonne rentrée à tous les collègues et à leurs élèves, ainsi qu’une bonne année à tous les lecteurs du Framablog. Il serait tout de même étonnant que l’année qui vient ne voit pas la situation évoluer favorablement pour le logiciel libre et sa culture, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’école.

Notes

[1] On notera par ailleurs, bien mise en évidence dès l’accueil de la rubrique Légamédia, un « conseil de prudence aux agents publics souhaitant bloguer » qui doivent avoir le souci « d’éviter tout propos susceptible de porter atteinte à la fois à la dignité des fonctions qu’ils exercent et aux pouvoir publics  ». C’est bien de le rappeler mais on retrouve le même climat de méfiance voire de défiance, cette fois-ci vis-à-vis des blogs. J’espère que critiquer comme ici le contenu d’un site officiel ou s’interroger sur la pertinence des accords sur l’usage des « œuvres protégées » n’entrent pas dans ce cadre sinon je crains que ce billet soit l’un des derniers du Framablog.

[2] Crédit photo : Zara (Creative Commons By-Sa)




Espéranto et logiciel libre

L’espéranto m’a toujours fasciné et si j’avais eu sept vies comme les chats, j’en aurais certainement consacré une à son apprentissage. Et ce n’est pas cette conférence qui me fera changer d’avis. Bien au contraire, elle vous pousserait presque à modifier vos plans (et vos bonnes résolutions 2009) pour vous y mettre dès le lendemain.

Intitulée malicieusement Linux, l’espéranto des logiciels / L’espéranto, le Linux des langues elle a été donnée par Tim Morley en juillet 2005 dans le cadre des RMLL de Dijon. Voici ce qu’en disait Thomas Petazzoni sur son blog : « Cette conférence a été vraiment animée de manière excellente par Tim, un anglais maîtrisant très bien le français et l’espéranto. Il a pu présenter ce qu’est l’espéranto, et surtout les points communs entre les valeurs de l’espéranto et celles du logiciel libre. »

Tim Morley est le chef de projet de la traduction d’OpenOffice.org en espéranto. Ne vous arrêtez ni à la durée (env. 1h) ni à la piètre qualité sonore de l’enregistrement car cette vidéo est vraiment très intéressante et méritait bien qu’à la faveur de notre projet Framatube, nous lui donnions une nouvelle visibilité.

—> La vidéo au format webm




Maximum respect for the Ubuntu french team

Voici une petite interview de Christophe Sauthier, président de la french LoCo team à savoir l’association Ubuntu-fr, réalisée début décembre à Mountain View (oui, oui, chez Google) lors du récent Ubuntu Developer Summit, UDS chez les initiés.

Il a beaucoup impressionné l’assemblée, c’est-à-dire ses petits camarades ubunteros venus du monde entier pour l’occasion, avec ses 4000 visiteurs de la récente Ubuntu Party de Paris à la Villette (d’ailleurs il est désormais surnommé 4K, c’est vous dire). Il évoque également tous les avantages de devenir Masters of the Universe (MOTU) chez Ubuntu et son souci de faciliter la tâche et l’accueil des nouveaux contributeurs.

PS : C’est en anglais mais comme c’est un français qui parle anglais on comprend encore mieux que d’habitude 😉

—> La vidéo au format webm

Si jamais il vous venait l’envie d’en savoir plus sur Christophe Sauthier et son rôle au sein d’Ubuntu, vous trouverez ci-dessous un entretien paru dans la lettre hebdomadaire Ubuntu n°121 (7 au 13 décembre 2008) sous licence GNU FDL.

Entretien avec huats, leader de l’équipe d’Ubuntu-fr

Qui es-tu ? Où habites-tu ? Que fais-tu dans la vie ?

Je m’appelle Christophe Sauthier et mon pseudo IRC est huats. J’ai 31 ans, j’habite à Toulouse et je vis en couple. Je travaille pour une société de service (makina corpus) qui travaille exclusivement dans le monde de l’open-source. Je suis impliqué dans tout ce qui est formation, assistance, migration à Ubuntu, ainsi que sur certains dévelopements en PHP (Drupal) ou Python (Plone). Je suis impliqué directement dans Ubuntu en tant que président de la LoCo française. Mon autre rôle dans la communauté est de coordonner les tutorats des MOTU, dont le but est d’aider les nouveaux venus dans le monde du développement pour Ubuntu. J’essaye aussi d’être actif au niveau développement en aidant au packaging de quelques applications, essentiellement autour de l’environnement GNOME.

Comment es-tu entré dans le monde de Linux et d’Ubuntu ?

Il y a très très longtemps (quelque chose comme 1996), j’avais demandé son avis à quelqu’un au sujet d’un script Perl sur lequel je bossais (un CGI pour site web en l’occurence) et il m’avait dit : « Si tu veux coder un peu en Perl, fais-le sous Linux. Tu peux faire comme ça pour l’installer… » Ça a été mon premier contact avec Linux. À cette époque, j’utilisais surtout Suse et Debian. Et puis un beau jour, je tombe sur quelque chose basé sur Debian, mais qui n’avait pas encore de nom. C’est devenu Ubuntu. C’était en 2004, et depuis ce jour, Ubuntu est l’unique distribution que j’utilise.

Comment as-tu démarré avec la communauté française ?

Je faisais depuis un moment quelques traductions pour des logiciels (essentiellement dans GNOME) et je suis tombé un jour sur un billet du wiki de la LoCo française qui mentionnait des projets sur le point d’être lancés. L’un d’eux était l’organisation d’entretiens (puis leur traduction) avec quelques membres clés de la communauté. Ce projet a évolué plus tard en diverses choses comme BehindUbuntu.

Qu’est-ce qui t’a amené à prendre la tête de la LoCo française ?

Après cette première expérience dans la communauté française, j’ai décidé de rester dans les parages, fréquentant différents chats IRC francophones, ou passant de temps en temps sur les forums. C’est là que j’ai vu la campagne pour vendre des t-shirts pour la LoCo. Ma première pensée a été « j’en veux un ! », et ma deuxième « je suis sûr que je peux les aider à organiser ça »… après avoir commandé le mien, j’ai pris contact avec le gars qui s’occupait de ce projet, et il y avait tellement de boulot que mon coup de main a été le bienvenu… Il s’est trouvé que Yann (le gars que j’avais contacté) était le président de la communauté française, et après pas mal de discussions, il m’a dit qu’un coup de main serait bien utile aussi pour le développement du site web. Il m’a demandé de montrer que je pouvais aider en codant un module pour PunBB (le forum que nous utilisons). J’ai pris en charge de plus en plus de choses dans la LoCo, et quand le président a décidé de passer la main, on m’a demandé si je me sentais de relever le défi : monter une nouvelle équipe, avec une nouvelle organisation. C’est ainsi que je suis devenu le président d’Ubuntu-fr, et que j’ai essayé de changer l’organisation en me basant sur le concept de «travail d’équipe».

Quels sont les défis dans la gestion d’une grande LoCo? Comment votre LoCo fait-elle pour communiquer et couvrir un si grand territoire ?

Il y a de nombreux défis, mais c’est aussi un boulot passionnant. Le premier défi est, bien sûr, d’en faire le maximum tous les jours. Il y a beaucoup de sollicitations et nous ne pouvons satisfaire tout le monde, même si nous essayons. A la fin, certains peuvent croire que nous ne sommes concentrés que sur un domaine et que nous nous fichons des autres. En fait, nous manquons tout simplement de main-d’oeuvre et de temps, et pour le montrer, nous communiquons de plus en plus au travers d’un blog pour les rapports. Ce blog fait partie du Planet francophone et donc tout le monde peut y accéder. Mais nous ne voulons pas seulement nous limiter au blog, nous essayons d’être aussi transparents que possible sur les décisions prises. Environ une fois par mois, nous tenons une réunion publique sur IRC. Nous essayons de nous occuper de chaque aspect de notre communauté : nous parlons des actions passées (depuis la dernière réunion), des actions en cours, et de celles à court et moyen terme. Nous consacrons aussi du temps à répondre aux questions et tout le monde peut proposer un nouveau sujet de discussion. Je pense que cette transparence intéresse les gens, ainsi à la dernière réunion, environ 60 personnes étaient présentes.

Comment la LoCo française est-elle organisée? Est-elle centralisée ou décentralisée ?

C’est un mélange. Il y a bien sûr un groupe de personnes qui forme le noyau de la LoCo, mais avec la nouvelle organisation de l’équipe, ce groupe s’est quelque peu agrandi. Le but est que chaque personne ait une vue d’ensemble de tout ce qui se passe dans la LoCo, ou du moins qu’elle en sache autant que possible. De cette manière, si quelqu’un se désiste, il est plus facile de le remplacer. Autour du noyau, il y a un plus grand cercle d’individus qui sont plus particulièrement investis dans un ou deux domaines. Ce deuxième groupe peut être considéré comme plusieurs équipes vouées à un domaine en particulier. Donc, pour résumer : un noyau de moins de 10 personnes, qui mène des activités de groupe indépendantes les unes des autres. Chaque équipe a une grande liberté d’action, même si nous aimons être tenu au courant des décisions importantes.

Parfois, les communautés connaissent des périodes creuses, pendant lesquelles la motivation ou la participation peuvent retomber. Comment fait la communauté française pour remédier à cela ?

Je pense que nous avons également eu un tel épisode, mais son effet a été amoindri par les changements d’organisation que j’ai mentionné plus tôt. C’était perceptible lorsque les principaux protagonistes de la communauté ont ralenti un peu, mais il n’y a pas eu de gros ralentissement de nos activités. C’est le signe distinctif des communautés les plus importantes, qui peuvent s’autogérer sans dommage majeur… Tant que cela ne dure pas trop longtemps bien sûr… Depuis, la communauté est revenue sur les rails, et elle très active. Les séances que nous avons eu dans tout le pays pour Intrepid, ainsi que l’évènement de Paris avec plus de 4000 visiteurs dans le week-end en sont de bons exemples. Puisque nous ne voulons plus ralentir, nous avons lancé quelques petits projets qui devraient nous aider à aborder des sujets qui nous intéressent. Cela devrait nous aider à maintenir la croissance de notre communauté. Il y a quelques projets qui m’ont donné envie de m’investir dans la communauté, donc vous pouvez imaginer que j’y suis très attaché. Nous avons le sentiment que, de cette façon, nous pourrons compenser une décroissance, ou un ralentissement de la participation en ajoutant de nouveaux centres d’intérêts dans lesquels s’impliquer.

Quels sont les projets de la LoCo à court et long terme ?

Je dirais continuer le travail actuel que nous avons juste initié : compléter les diverses équipes (certaines sont encore un peu floues, ou commençent seulement à prendre forme). Par exemple, il n’y avait pas vraiment d’équipe de développement web, puisque nous nous contentions de réunir les ressources au besoin. Aujourd’hui, un groupe de personnes très talentueuses travaille sur divers aspects de l’utilisation à long terme, pas seulement à la demande. C’est nécessaire si nous voulons pouvoir continuer à innover. Donc pour le court terme, cela signifie trouver une nouvelle apparence pour l’ensemble des sites ubuntu-fr (site web, documentation, forum et planet), utiliser au mieux notre nouveau site web (drupal), et donner à nos éditeurs les droits pour plusieurs équipes (celles de kubuntu ou d’edubuntu). Nous espérons être capables de faire ceci dans les prochains mois. Pour le long terme, nous voulons vraiment continuer nos efforts de diffusion d’Ubuntu en France, ce qui demande l’organisation de sessions supplémentaires dans tout le pays (en continuant sur notre lancée après tous les évènements accompagnant la sortie d’Intrepid). Nous souhaitons aussi organiser des colloques réguliers, où les gens pourront se rencontrer physiquement plutôt qu’à travers IRC. Cela permettrait d’aider les novices à ressentir une appartenance à la communauté. Cela pourrait aussi se traduire par des ateliers de débuggage, des ateliers de documentation (comme un atelier de débuggage mais pour vérifier la documentation disponible), ou même quelques ateliers de traduction. Enfin, nous essaierons de définir une réelle politique pour la participation aux évènements pour permettre aux gens de rencontrer l’équipe personnellement pour poser des questions et obtenir des réponses.

Une des idées que vous avez évoquées avec le conseil de la communauté est le jumelage. Qu’est-ce que c’est? L’avez-vous déjà mis en pratique?

Le jumelage des LoCo peut prendre plusieurs significations. Celle qui me tient à coeur est l’aide qu’une communauté importante, comme la communauté française, peut apporter aux plus modestes. Cette aide pourrait être de l’expérience, ou l’organisation de campagnes à grande échelle, ou même des dons pour les aider à lancer leurs évènements. C’est quelques chose à laquelle notre équipe a du faire face à ses débuts, et sans l’implication financière de quelques membres, nous n’aurions jamais pu faire autant de choses. Comme la communauté française est plus puissante maintenant, cela pourrait être une bonne chose d’aider les autres équipes à se lancer. En fait, c’est plutôt proche des concepts clés qui menèrent à la création de Ubuntu-eu il y a quelques années. Ubuntu-eu est un effort commun pour partager l’hébergement de leur site web. Depuis, plusieurs communautés ont trouvé un hébergement à cet endroit, ce qui est clairement une aide fort utile pour les équipes les plus récentes. Pour revenir au processus de jumelage, nous avons commencé à travailler un peu sur le sujet, avec la communauté tunisienne, mais nous n’avons pas avancé beaucoup dans le processus par manque de temps. Je suis sûr que nous travaillerons bientôt à nouveau là-dessus.

L’équipe française Ubuntu a organisé une Ubuntu Party à laquelle ont participé 4000 personnes. Pouvez-vous la décrire ? Comment l’avez-vous préparé ? Combien de temps cela a-t-il pris?

Cet évènement, qui a eu lieu à Paris, était un mélange de tous les différents types d’atelier qu’on peut avoir : installation, nouvelle version, conférence… C’est pourquoi on peut simplement l’appeler un “atelier Ubuntu”. On prépare cet évènement tous les 6 mois, pendant le week-end, un mois à peu près après la sortie d’une nouvelle version. Pendant l’atelier, les gens viennent pour avoir une installation d’Intrepid ou parce qu’ils ont des problèmes avec leur installation. On a aussi présenté plus de 14h de conférences, et un atelier débuggage…une station de radio a même émis depuis l’Ubuntu Party pendant tout le week-end. L’équipe préparait cet évènement depuis la fin du précédent (c’est-à-dire début juin), donc on a assisté au résultat de 6 mois de travail par l’équipe toute entière. Certains travaillaient sur la communication (les médias et le public visé), d’autres sur les besoins matériels de l’évènement, et d’autres sur les conférences. Maintenant, on fait l’analyse de cet évènement, ce qui nous aidera à préparer le suivant en mai 2009.

Que fais-tu dans ton temps libre ?

À part mes activités LoCo, je fais aussi du développement pour Ubuntu. Même si je sais que cela est lié a notre communauté, je considére cela clairement comme une activité à part. Cependant, je fais aussi pas mal de sport : du basketball et de la randonnée dans les Pyrénées (les montagnes près de chez moi). À part cela, j’aime cuisiner pour mes amis. D’ailleurs, je pense qu’il y a clairement un point commun entre cuisiner pour les autres et participer à des activités liées aux logiciels libres…




Les bonnes résolutions du logiciel libre pour 2009 ?

Foxypar4 - CC byNous pouvons nous réjouir du succès croissant que connaît le logiciel libre depuis quelques années, emmené par quelques projets phares tels que Firefox, Wikipédia, OpenOffice.org et Ubuntu pour les plus connus d’entre eux.

Les solutions Open Source sont de plus en plus utilisées sur les ordinateurs personnels et plus seulement dans le monde des serveurs, et entre le fiasco Vista et la crise, on se prend à rêver de jours radieux pour le libre…

Sauf que… Tout n’est pas rose au royaume du code ouvert ! Ces belles réussites cachent parfois des problèmes plus ou moins inquiétants : Firefox, fort de son record de téléchargements pour sa version 3.0, pourrait voir sa juteuse alliance avec Google menacée par les ambitions du géant de la recherche dans le domaine des navigateurs. Wikipédia mène en ce moment même une campagne d’appel aux dons massive pour lui permettre de poursuivre son développement. OpenOffice.org, adoptée par de plus en plus d’administrations et de particuliers, connaît quant à elle quelques couacs en coulisses, où des tensions se créent entre Sun et la communauté (nous traiterons de ce sujet dans un prochain billet).

Alors même si l’heure n’est pas à l’alarmisme[1], il convient de ne pas se laisser griser par le succès et de garder à l’esprit qu’il y a encore du boulot…

L’excellent Bruce Byfield, dont nous avons déjà traduit plusieurs articles dans les colonnes du Framablog, a publié un billet où il dresse avec une grande pertinence une liste de neuf problèmes de comportement qu’il a relevés chez les partisans du libre (et chez lui…) qui nuisent au développement des projets Open Source et à la communauté. Il y parle entre autres de l’acharnement aveugle contre Microsoft, de l’hostilité envers les nouveaux venus, et de la tentation d’accepter des compromis qui au bout du compte, pour quelques parts de marché en plus, risquent de nuire à long terme au mouvement du libre.

Bien sûr, en homme raisonnable, il propose à chaque fois une solution pour y remédier et faire en sorte que le libre poursuive sa marche vers "la domination du monde", comme il l’évoque en plaisantant dans les lignes que vous allez lire.

Neufs bonnes résolutions pour bien commencer l’année 2009, donc… (J’en profite au passage pour adresser mes meilleurs vœux aux lecteurs du Framablog).

Neuf problèmes de comportement qui font du tort au logiciel libre

Nine Attitude Problems in Free and Open Source Software

Bruce Byfield – 15 octobre 2008 – Datamation
(Traduction Framalang : Don Rico et Goofy)

Le logiciel libre et Open Source (NdT : Free and Open Source Software ou FOSS), j’adore ça. C’est une cause, une extension de la liberté d’expression, que je peux défendre en tant qu’auteur, et les membres de la communauté, en plus d’être brillants, sont à la fois passionnés et pragmatiques. C’est un domaine stimulant, et celui dans lequel j’ai choisi de travailler.

Parfois, néanmoins, le pire ennemi de la communauté, c’est la communauté elle-même. Certains comportements, souvent enracinés, nuisent à son unité et à ses objectifs communs, tels que fournir une alternative au logiciel propriétaire ou prêcher la bonne parole du FOSS. Au sein de la communauté, presque tout le monde s’est un jour rendu coupable d’un de ces comportements fâcheux, moi y compris, mais nous en discutons rarement. C’est pour cette raison que ces comportements perdurent et gênent les efforts de la communauté.

Admettre l’existence de ces comportements me semble être un bon début pour y remédier, alors voici neuf de ceux que j’ai le plus souvent constatés chez moi comme chez d’autres.

1) Se tromper d’ennemi

Chaque fois qu’une communauté se construit sur un certain idéalisme ou des convictions, les luttes intestines semblent être la norme. Cela s’applique aux groupes religieux et politiques, et il n’y a donc rien de surprenant à ce que ce soit aussi la norme au sein du FOSS, où les opinions de beaucoup sont souvent très tranchées.

Trop souvent, hélas, les conflits internes semblent l’emporter sur les objectifs communs. Plusieurs grands pontes professionnels ou semi-professionnels se forgent un nom en s’en prenant à d’autres membres de la communauté (peu importe leur nom, si vous vous intéressez à la question, vous savez de qui il s’agit, et je me refuse à les encourager dans leur démarche en leur faisant de la publicité gratuite).

Parfois, comme le mentionne Jeremy Allison, ces pontifes osent émettre des critiques que nul autre n’oserait exprimer. Mais la plupart du temps, leur motivation semble n’être que d’attirer l’attention sur eux, sans se soucier des divisions qu’ils créent au sein de la communauté, et en lisant les propos de ces pontes, nous encourageons ces divisions.

Pis encore, les dissensions entre les défenseurs du logiciel libre et ceux du logiciel Open Source. Certes, ce sont deux philosophies différentes : le logiciel libre (free software) s’attache à la liberté de l’utilisateur, alors que l’Open Source se soucie surtout de la qualité du logiciel. Pourtant, malgré ces distinctions fondamentales, les membres des deux camps travaillent sur les mêmes projets, avec les mêmes licences, et ont beaucoup plus de points qui les unissent que de points qui les opposent.

Alors pourquoi s’attarder sur les différences ? À l’évidence, les partisans du logiciel libre et ceux de l’Open Source ne trouveront personne d’autre avec qui ils ont plus en commun.

2) Ennuyer le monde avec des histoires de logiciels

Le logiciel étant l’un des éléments centraux de la communauté du FOSS, ses membres passent logiquement beaucoup de temps à en discuter. Pourtant, si vous essayez d’intéresser quelqu’un au FOSS, parler de logiciel ne fonctionne que si vous vous adressez à un auditoire de développeurs. Pour les autres, même la gratuité du FOSS n’a pas grand intérêt, sinon les partagiciels ou shareware seraient beaucoup plus utilisés.

Pour la plupart des gens, le logiciel en soi n’a pas grand intérêt, même s’ils passent de dix à douze heures par jour devant leur ordinateur.

Comme l’a signalé Peter Brown, le président de la Free Software Foundation, il y a quelques années, le FOSS doit s’inspirer des méthodes des partisans du recyclage. Ces partisans du recyclage ne défendent pas leur cause en expliquant où sont amenés les matériaux recyclables pour leur donner une seconde vie, ni en expliquant comment on fait fondre le verre pour le réutiliser plus tard… non, ils présentent les bénéfices du recyclage dans le quotidien de tout un chacun.

De la même façon, au lieu de parler du logiciel ou de ses licences, la communauté du FOSS doit davantage évoquer les problèmes tels que les droits, la protection de la vie privée et de la liberté d’expression des utilisateurs, des questions qui vont bien au-delà du clavier et de l’écran.

3) Se contenter d’imiter d’autres systèmes d’exploitation

Pendant des années, le FOSS a dû s’efforcer de rattraper le développement de Windows et d’OS X. C’était une nécessité incontournable, parce que le FOSS a commencé plus tard, et pendant longtemps, a disposé de moins de ressources que ses rivaux du monde propriétaire.

En outre, les utilisateurs changent d’autant plus facilement de système d’exploitation pour passer au libre que ce dernier ressemble à ce qu’ils connaissent. Et les développeurs ne vont pas non plus perdre leur temps à réinventer l’ordre des entrées de menu dans une fenêtre ou les raccourcis clavier pour copier ou coller.

Cependant l’imitation pose aussi des problèmes. Elle peut mener à copier à l’aveugle, par exemple à placer le menu principal en bas à gauche alors que c’est en haut à gauche qu’on le trouve le plus vite. Cela signifie aussi qu’on a toujours un train de retard, ce qui n’attire guère de nouvelles recrues – après tout, qui voudrait s’embarrasser d’un système d’exploitation qui n’est pas à jour ?

La vérité, c’est que dans un nombre croissant de domaines, y compris celui du bureau d’ordinateur et de la suite bureautique, le FOSS a déjà rattrapé les systèmes propriétaires, ou est en passe de le faire. Dans certains cas, tels que KDE4, le FOSS a pris la tête en ce qui concerne l’expérimentation. Mais la majeure partie de la communauté n’est pas encore passée de l’idée d’imitation à celle d’innovation, et cette absence de prise de conscience risque d’entraver les progrès du FOSS.

Comme l’indiquait justement Mark Shuttleworth de Canonical l’été dernier, il ne suffit pas d’égaler Apple. Le but devrait être de le dépasser.

4) Se méfier des nouveaux venus

Toute communauté tend à se replier sur elle-même. Du fait qu’elle est constituée de réseaux d’associations qui existent depuis des années, et que le statut de chacun y dépend de ses contributions, la communauté FOSS est probablement plus insulaire que la plupart. Un nouveau venu au FOSS doit à la fois maîtriser un certain volume d’expertise technique mais aussi tout un répertoire de connaissances et de principes implicites, avant de pouvoir espérer intégrer la communauté.

Tout cela est compréhensible, mais ne peut justifier l’impatience affichée ni le dédain que beaucoup de membres de la communauté infligent aux nouveaux venus. Trop souvent, j’ai vu des débutants animés de bonnes intentions, même s’ils étaient trop peu informés, perdre tout intérêt pour le FOSS parce que leurs questions basiques déclenchaient des répliques cinglantes dans lesquelles le commentaire dominant était : « RTFM » (NdT : Read The Fucking Manual, soit « Lisez Le Putain De Mode d’Emploi »).

Apparemment, beaucoup de membres de la communauté doivent encore prendre conscience que la plupart des gens ont pour premier réflexe de demander l’aide de quelqu’un avant de se documenter, ou que poser une question au lieu de se renseigner par soi-même est souvent autant une tentative d’établir le contact qu’un appel à l’aide.

Certes, tout le monde n’a pas la capacité d’assurer une aide technique. Mais si l’on créait un code de bonne conduite traitant spécifiquement de l’accueil des nouveaux venus, la communauté pourrait accueillir quelques recrues supplémentaires au lieu de les faire fuir. Ce serait aussi davantage en accord avec les quatre libertés du mouvement du logiciel libre, et avec la définition de l’Open Source, comme le soulignait récemment un blog sur GNUMedia.

5) Accorder aux développeurs un statut privilégié

Le mouvement du FOSS a pris naissance chez les développeurs, et leur travail reste un élément central du mouvement. Mais ce qui semble échapper à beaucoup, c’est que la communauté s’est étendue bien au-delà de son cercle d’origine. En ce qui concerne les projets d’envergure, en particulier, responsables de la documentation, testeurs, artistes, responsables du marketing et chefs de projet – sans parler des utilisateurs finaux – sont devenus des rouages essentiels. De plus en plus, la conception d’un logiciel libre prend la forme d’une collaboration entre personnes issues de divers domaines de compétence.

Malgré ce changement, néanmoins, on traite dans de nombreux projets les non-développeurs comme des collaborateurs de second ordre. Souvent, ils ne peuvent devenir membres à part entière du projet et n’ont pas voix au chapitre. Si un non-développeur émet une suggestion susceptible d’améliorer le projet, trop souvent la réponse qu’il obtiendra d’un développeur sera "Nous attendons ton code avec impatience", le développeur sachant très bien qu’il ne s’adresse pas à un codeur.

En de telles circonstances, difficile de reprocher aux non-développeurs de perdre leur enthousiasme pour un projet. Et sans eux, la plus grosse partie du travail nécessaire à un logiciel moderne ne sera simplement pas effectuée.

6) Passer son temps à cracher sur Microsoft

La communauté tout entière se méfie de Microsoft, et ce à juste titre, nulle autre entreprise de logiciel propriétaire n’a fait preuve d’autant d’hostilité à l’égard du FOSS, et ses tentatives récentes pour un réchauffement diplomatique sont trop hésitantes pour convaincre qui que ce soit. Toutefois, certains au sein de la communauté semblent plus motivés par l’envie exprimer bruyamment leur hostilité inébranlable à l’encontre de Microsoft que par le souci de défendre la liberté informatique.

Il serait bon de s’élever contre cette hostilité, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, elle se révèle contre-productive et ne contribue en rien à promouvoir les objectifs du FOSS. Comme le fait remarquer Joe Brockmeier, chef de file de la communauté openSUSE, et qui fut aussi mon collègue chez Linux.com, il semblerait que ceux qui passent leur temps à cracher sur Microsoft ne contribuent jamais à aucun projet.

Plus grave encore, ces râleurs patentés criant plus fort que tout le monde, on les prend souvent à tort, vu de l’extérieur, pour la majorité de la communauté, et l’on s’imagine que tout le monde dans l’univers du FOSS est gueulard et parano. Une telle perception ne risque pas d’encourager grand monde à s’impliquer. Et de nos jours, s’en prendre à Microsoft est tellement à la mode que les gueulards, et donc le FOSS tout entier, risquent d’être noyés dans la masse.

Mais la principale raison pour laquelle il faut rejeter ces violents préjugés anti-Microsoft, c’est qu’à cause d’eux la communauté risque de ne se montrer assez vigilante à l’égard d’autres adversaires aussi dangereux. Personne, par exemple, ne semble s’inquiéter des actes liberticides d’Apple, même si à bien des égards cette entreprise est en train de devenir le principal ennemi du logiciel libre.

En bref, quel que soit l’angle sous lequel on le considère, cet acharnement contre Microsoft est un frein dont la communauté doit se débarrasser, ou qu’elle doit reléguer au second plan.

7) Prendre comme modèle de croissance le mode de développement des entreprises commerciales

Avec le succès viennent les problèmes d’échelle. Lorsqu’on les identifie, il faut rapidement s’atteler à les résoudre, aussi est-il peut-être naturel aux projets FOSS de s’inspirer des procédés de développement des entreprises commerciales pour gérer leur croissance.

Quelles qu’en soient les raisons, les gros projets FOSS agissent de plus en plus comme des entreprises commerciales de logiciels. Les dates de publication fixes, par exemple, sont devenues la norme pour de nombreux projets, tels que GNOME, Ubuntu et Fedora, qu’il y ait ou non nécessité de publier une nouvelle mouture. Depuis peu, Mark Shuttleworth propose en outre une publication synchronisée pour les projets les plus importants, de sorte qu’il soit plus facile aux distributions de prévoir leur dates de publication, même si jusqu’à présent cette idée n’a pas trouvé un écho très favorable.

Dans certains cas, emprunter des idées aux entreprises commerciales peut se révéler utile. Il faut néanmoins garder à l’esprit que, même si le FOSS peut s’accorder avec un mode de fonctionnement commercial, ses objectifs sont différents. Qu’advient-il, par exemple, de la politique propre à l’Open Source (ne publier un logiciel que lorsqu’il est prêt) si un projet s’engage à des dates de sortie régulières ? Tôt ou tard, on ne pourra échapper à des problèmes de contrôle de qualité.

Plus important encore, le développement du FOSS reste dans la plupart des cas fondamentalement différent du développement d’un logiciel commercial. Dans de nombreux cas, les développeurs du FOSS comptent parmi eux une forte proportion de bénévoles, et sont souvent dispersés en davantage de lieux que les membres d’une équipe de développement d’un projet commercial. Étant donné ces circonstances, le FOSS doit, comme depuis ses origines, organiser le déroulement de ses travaux au fur et à mesure. Par exemple, comment mener à bien des phases de test lorsque les testeurs sont tous bénévoles ? En ce domaine, comme dans bien d’autres, le FOSS doit innover plutôt qu’emprunter ses idées ailleurs.

8) Placer les parts de marché en tête des priorités

Une blague bien connue dans l’univers du libre dit que l’objectif du FOSS est de devenir le maître du monde. Et qui, au sein de la communauté, ne ressent pas une certaine fierté quand un gouvernement ou une entreprise choisit de passer au libre, ou qu’une application comme Firefox gagne quelques points de parts de marché ?

Toutefois, comme je l’ai déjà écrit, attirer de nouveaux utilisateurs n’a aucun intérêt si on le fait au détriment des idéaux du libre, ou si ces nouveaux utilisateurs ne les défendent pas. Même s’il est grisant d’obtenir enfin la reconnaissance qui lui est due, la communauté ne doit pas oublier que le but du jeu n’est pas seulement de fournir des logiciels alternatifs, mais aussi une philosophie et un rapport à l’informatique alternatifs.

Si l’on emploie seulement ses efforts à gagner des parts de marché, ce qui semble être le cas d’un nombre croissant d’acteurs de la communauté, alors le libre assure sa défaite au moment même où il semble connaître le plus de succès.

9) Se contenter d’un système d’exploitation qui ne soit pas complètement libre

Maintenant que la communauté touche au but et qu’elle est à deux doigts de pouvoir proposer un système d’exploitation complètement libre, on pourrait croire que tout le monde voudrait donner un dernier coup de collier pour transformer l’essai. Pourtant, comme le montrent les réactions à la liste de priorités principales que la Free Software Foundation a récemment réactualisée, un nombre étonnant de membres de la communauté ne ressentent pas le besoin d’atteindre cet objectif final. Peu importe, disent-ils, s’ils doivent utiliser des pilotes propriétaires pour leur carte vidéo ou le Flash Player d’Adobe sur YouTube. D’après eux, nous sommes arrivés assez près du poste de travail libre pour ne pas chercher à combler les derniers trous, et au moins on peut télécharger gratuitement les éléments qui manquent.

Penser que la situation actuelle est assez satisfaisante n’est pas cohérent avec le souci d’excellence qui est la clé de voûte de l’Open Source. Plus important encore, cela signifie qu’on accepte l’échec, et qu’on abandonne le projet de fournir des systèmes d’exploitation alternatifs 100% libres. Pourquoi jeter l’éponge alors qu’on est si près du but ?

Débattre de ces problèmes

Ces comportements qui entravent le mouvement du logiciel libre sont bien sûr bien sûr une question de point de vue. J’imagine sans mal un défenseur de l’Open Source me rétorquer que se focaliser sur la liberté de l’utilisateur nuit à la diffusion en masse, ou le chef d’une entreprise dont l’activité est fondée sur le logiciel libre me répondre que considérer le libre comme un projet d’abord non commercial constitue un frein à la réussite.

Mais mon propos va au-delà de ces points précis. Le message que je veux vraiment faire passer, c’est que le libre a tellement gagné en importance, et si vite, qu’il n’a pas eu le temps de se demander si les comportements des débuts étaient encore pertinents ou si les nouvelles approches s’accordaient avec ses valeurs essentielles. Avant de croître davantage, la communauté doit se pencher sur ses modes de fonctionnement et les évaluer. Si elle ne le fait pas, elle risque, sinon de s’effondrer sous le poids des contradictions, du moins de se créer sans nécessité de lourds handicaps.

Notes

[1] Crédit photo : Foxypar4 (Creative Commons By)




Brève de comptoir sur le logiciel libre et la crise des subprimes

Saad Akhtar - CC byL’autre jour, je passe furtivement devant un écran de télévision et tombe sur une scène du film Witness où un Harrison Ford des beaux jours s’associe à toute la communauté Amish pour faire sortir de terre une grosse grange en bois le tout en une seule petite journée.

Ce n’était que du cinéma mais qui correspondait à une vieille tradition agricole connue sous le nom de barn raising. Le challenge est de construire collectivement, et dans un temps limité, un édifice en impliquant tous les membres d’une communauté (les hommes au charbon, les spécialistes aux tâches critiques, les vieux à la direction des opérations, les femmes au ravitaillement, et les jeunes qui regardent en prenant de la graine pour le futur). Le fruit de cette réalisation pouvant bénéficier à l’un des membres de la communauté (tels de jeunes mariés) ou à l’ensemble de la communauté (hangar, école, four à pain, etc.).

De retour à la maison, recherche sur le net… Et voici l’extrait sous vos yeux ébahis (et vos oreilles germanophones). Pratique, soit dit en passant, les Youtuberies & co, quand bien même on soit très souvent border line en ce qui concerne le copyright :

Au final, on se retrouve donc avec une maison créée en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Certes, si on veut l’eau, le gaz ou l’électricité c’est un peu plus compliqué dans la pratique mais le principe coopératif est là, tout comme l’esprit festif et le sentiment de savoir pourquoi l’on travaille.

Ci-joint également une autre illustration vidéo, prise dans la vraie vie cette fois et en 2007, histoire de témoigner du fait que tout ceci n’a pas complètement disparu :

Prenez maintenant l’origine de la crise des subprimes, c’est-à-dire rien moins que l’origine de la crise actuelle qui a vu s’évaporer des centaines de milliards de dollars. Il s’agissait également au départ de maisons et du désir légitime de posséder un toit pour des millions d’américains à faible revenu.

Sauf qu’ici :

  • Vous êtes tout seul[1]
  • Enfin pas tout à fait seul puisqu’il y a votre banquier
  • Votre banquier ne fait pas preuve de la même empathie à votre égard que la communauté Amish
  • Votre maison n’a pas été bâtie pour vous à plusieurs mains sur un air de fête, sachant que vous-même aviez contribué à bâtir plein d’autres maisons pour les autres
  • Ce n’est pas la maison « en 24h chrono » mais la maison « en plusieurs dizaines d’années d’endettement chrono »
  • Vous risquez d’être bientôt à la rue car expulsé de votre maison insolvable et impayée

Bon, où est-ce que je veux en venir… Ah oui, j’avais promis une brève de comptoir dans le titre alors la voici : Dans un monde où les valeurs du logiciel libre seraient davantage partagées, l’immobilier serait assurément plus amish et moins subprimes.

Délire d’une fin d’année trop arrosée ou petit fond de vérité ?

Notes

[1] Crédit photo : Saad Akhtar (Creative Commons By)