Geektionnerd : RMLL 2013 clap de fin

On en profite pour remercier tout l’équipe d’organisation.

Rendez-vous l’année prochaine à Montpellier 😉

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Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




RMLL 2013 Bruxelles

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Quelques-unes des participations de Framasoft au programme :

http://schedule2013.rmll.info/programme/cultures-et-arts-libres/cultures-et-arts-libres-6/

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Des milliers de morts, des millions privés de libertés civiles ? Stallman (2001)

À l’heure où les USA sont empêtrés dans une sombre histoire d’espionnage généralisé à grande échelle, il nous a paru intéressant de déterrer et traduire un article de Richard Stallman rédigé en 2001 juste après le 11 septembre.

Force est de reconnaître qu’une fois de plus il avait pressenti les conséquences néfastes que nous subissons aujourd’hui.

Sigg3net - CC by

Des milliers de morts, des millions privés de libertés civiles ?

Thousands dead, millions deprived of civil liberties?

Richard Stallman – 2001 – Site personnel
(Traduction : Lamessen, Slystone, Sky, Amine Brikci-N, Asta)

Dans de nombreux cas, les dommages les plus sévères que cause une lésion nerveuse sont secondaires ; ils se produisent dans les heures qui suivent le traumatisme initial, car la réaction du corps à ces dommages tue davantage de cellules nerveuses. Les chercheurs commencent à découvrir des façons de prévenir ces lésions secondaires et réduire les dommages ultimes.

Si nous ne faisons pas attention, les attaques meurtrières sur New York et Washington vont conduire à des effets secondaires bien pire encore, si le congrès étasunien adopte des « mesures préventives » qui écartent la liberté que l’Amérique représente.

Je ne parle pas de fouilles dans les aéroports ici. Les fouilles de personnes ou de bagages, tant qu’ils ne cherchent pas autre chose que des armes et ne gardent pas de traces de ces fouilles, est juste un désagrément : elles ne mettent pas en danger vos libertés civiles. C’est la surveillance massive de tous les aspects de nos vies qui m’inquiète : de nos appels téléphoniques, nos courriels et nos déplacements physiques.

Ces mesures sont susceptibles d’être recommandées indépendamment du fait qu’elles seraient efficaces pour leur objectif déclaré. Un dirigeant d’une entreprise développant un logiciel de reconnaissance faciale est dit avoir annoncé à des journalistes que le déploiement massif de caméras embarquant un système de reconnaissance faciale aurait empêché les attaques. Le New York Times du 15 septembre cite un congressiste prônant cette « solution ». Étant donné que la reconnaissance humaine du visage effectuée par les agents d’accueil n’a pas permis de stopper les pirates, il n’y a pas de raison de penser que les caméras à reconnaissance faciale informatisée aurait été d’une quelconque aide. Mais cela n’arrête pas les agences qui ont toujours voulu mettre en place plus de surveillance de pousser ce plan aujourd’hui, ainsi que beaucoup d’autres plans similaires. Il faudra l’opposition du public pour les stopper.

Encore plus inquiétant, une proposition visant à exiger des portes dérobées gouvernementales dans les logiciels de chiffrement a déjà fait son apparition.

Pendant ce temps, le Congrès s’est empressé de voter une résolution donnant à Bush les pleins pouvoirs d’utilisation de la force militaire en représailles des attaques. Les représailles peuvent être justifiées, si les auteurs des attaques peuvent être identifiés et ciblés avec soin, mais le Congrès a le devoir d’examiner les mesures spécifiques lorsqu’elles sont proposées. Donner carte blanche au président dans un moment de colère est exactement l’erreur qui a conduit les États-Unis dans la guerre du Vietnam.

S’il vous plait, laissez vos représentants élus et votre président non élu savoir que vous ne voulez pas que vos libertés civiles deviennent les prochaines victimes du terrorisme. N’attendez pas, Les lois sont déjà en cours d’écriture.

Crédit photo : Sigg3net (Creative Commons By)




Les statistiques du réseau Framasoft réactualisées au début 2013

En 2008, nous présentions ici-même quelques statistiques mensuelles des cinq premiers sites du réseau Framasoft en terme de trafic. Nous avons réitéré en 2010. Les voici réactualisées en janvier/février 2013 (la même période qu’en 2010).

On constate tout d’abord l’apparition dans le top five de deux de nos services libres : Framapad et Framadate (en lieu et place de Framabook et Framagora).

Si on compare à 2010, du côté des OS, Windows baisse un peu, GNU/Linux stagne et Mac progresse. Tandis que chez les navigateurs, Firefox baisse et Internet Explorer plonge (Safari lui passe même parfois devant) au détriment de Chrome qui gagne en moyenne près de 20%.

Pour ce qui concerne le trafic global, les sites historiques Framasoft et Framakey baissent (plusieurs hypothèses, une interne : la faible mise à jour, et une externe : changement d’usages et d’intérêt), le Framablog progresse et nos services libres font d’emblée une belle percée. N’oublions pas également que le réseau Framasoft compte aujourd’hui une vingtaine de projets, ce qui était loin d’être le cas en 2010.

Statistiques Framasoft entre le 11 janvier et le 10 février 2013

  • Framasoft
    • visiteurs/mois : 208 000
    • visites/mois : 256 000
    • pages vues/mois : 636 000
    • Les 3 premiers OS : Windows 77%, Linux 11%, Mac 10%
    • Les 3 premiers navigateurs : Firefox 48%, Chrome 26%, IE 16%
  • Framablog
    • visiteurs/mois : 63 000
    • visites/mois : 85 000
    • pages vues/mois : 120 000
    • Les 3 premiers OS : Windows 54%, Linux 23%, Mac 13%
    • Les 3 premiers navigateurs : Firefox 49%, Chrome 27%, Safari 9%
  • Framakey
    • visiteurs/mois : 33 000
    • visites/mois : 65 000
    • pages vues/mois : 210 000
    • Les 3 premiers OS : Windows 93%, Linux 4%, Mac 2%
    • Les 3 premiers navigateurs : Firefox 69%, Chrome 12%, IE 10%
  • Framadate
    • visiteurs/mois : 32 000
    • visites/mois : 66 000
    • pages vues/mois : 180 000
    • Les 3 premiers OS : Windows 64%, Mac 16%, Linux 13%
    • Les 3 premiers navigateurs : Firefox 48%, Chrome 18%, IE 17%
  • Framapad
    • visiteurs/mois : 28 000
    • visites/mois : 62 000
    • pages vues/mois : 159 000
    • Les 3 premiers OS : Windows 65%, Mac 16%, Linux 15%
    • Les 3 premiers navigateurs : Firefox 51%, Chrome 27%, Safari 11%



Lire librement Fitzgerald ? — pas avant 2021

L’actualité du cinéma remet périodiquement en lumière des œuvres littéraires qui peuvent ainsi trouver un nouveau lectorat. À condition toutefois de pouvoir y accéder librement sans attendre que plusieurs générations d’éditeurs et d’ayants droits aient tiré un substantiel profit des droits qu’ils confisquent pour un temps toujours plus indéterminé.

Tel est le cas dans cet article pour le roman Gatsby le magnifique, qui aurait dû être élevé depuis quelques années dans le domaine public aux États-Unis, mais qui demeure pour longtemps encore sous copyright. Ce qui n’apportera ni profit intellectuel ni profit économique.

Rappelons que le terme de copyright est conservé dans cette traduction en raison du contexte américain, mais que cette notion n’a pas de fondement juridique en droit français, qui ne connaît que les dispositions du Code de la propriété intellectuelle.

Pourquoi Gatsby le magnifique n’est-il pas encore dans le domaine public ?

Article original de Parker Higgins sur le site de l’Electronic Frontier Foundation : Why Isn’t Gatsby in the Public Domain?

Traduction Framalang : , Michael, Garburst, Shanx, Slystone, Asta, goofy

Quand le film Gatsby le magnifique débarque dans les cinémas de tout le pays, il porte à l’écran l’histoire connue par des millions de lecteurs de ce classique de la littérature, souvent appelé proverbialement « le grand roman américain ». Voici un fait que peu de gens connaissent : même si le livre a été publié il y a maintenant presque 90 ans et fait partie de longue date de notre patrimoine culturel, il n’est pas encore entré dans le domaine public.

Oui, alors même que F. Scott Fitzgerald est mort il y a 73 ans (et donc est peu susceptible d’être sollicité pour créer davantage de chefs-d’œuvres), Gatsby le magnifique est toujours limité par le copyright.

En fait, il ne sera pas totalement libre pour le public américain avant le 1er janvier 2021 ; et encore, seulement si les durées de copyright ne sont pas encore une fois prolongées. Grâce à la loi Sonny Bono de 1998 sur l’extension du copyright, aucune œuvre publiée aux États-Unis n’entrera dans le domaine public avant 2019. Certains pays ont des lois légèrement plus saines sur le copyright, mais le représentant américain au commerce travaille ardemment à tirer profit des accords internationaux comme le TPP pour élargir le champ du copyright partout dans le monde.

Pire encore, une décision dramatique de la Cour suprême en 2012 a décidé que même une fois dans le domaine public, des œuvres peuvent en être retirées sur décision du Congrès. Entre les extensions excessives des durées de copyright et l’incertitude sur le statut du domaine public, créer de nouvelles œuvres fondées sur le domaine public est devenu difficile et risqué.

Nous ressentons concrètement les effets pernicieux des extensions du copyright tous les jours. Par exemple, une étude datant de l’année dernière sur les livres d’Amazon a révélé que les livres publiés après la date limite critique de 1923 sont bien moins disponibles que d’autres livres même plus âgés d’un siècle. Le résultat c’est que la littérature du XXe siècle a disparu de l’histoire des livres.

Couverture du roman The Great Gatsby

Et le problème ne s’arrête pas aux livres. Une autre étude par un professeur d’économie au MIT s’est penchée sur une archive de magazines sur le baseball, qui incluait des numéros dans le domaine public, et d’autres qui sont encore assujettis au régime du copyright. Par opposition, les images des numéros dans le domaine public peuvent être numérisées et redistribuées, si bien que leur disponibilité a énormément amélioré la qualité (et donc accru la lecture et l’investissement dans l’édition) des articles de Wikipédia sur les joueurs de baseball de cette époque.

Vous pouvez vous soucier ou non de certains joueurs de baseball des années 60, mais cette situation se répète encore et encore dans différents secteurs. Au nom de la préservation des profits pour une poignée d’ayants droit, notre histoire culturelle part en miettes dans un flou artistique légal qui nous est imposé.

Un domaine public réduit à la portion congrue ne nous vole pas seulement les œuvres passées, mais aussi nos œuvres futures qui pourraient se baser sur un domaine public élargi. Les ayants droit ont le pouvoir de bloquer des œuvres dérivées simplement en refusant d’accorder la licence pour ces œuvres. Et si on ne peut pas retrouver la trace ou confirmer l’identité des ayants droit, ce qui est tout à fait possible quand on discute d’œuvres qui ont presque un siècle, la difficulté d’obtenir une licence peut stopper tout simplement la production.

Ironiquement, cela cause du tort aussi à ces mêmes studios qui ont initialement fait du lobbying en faveur de la loi pour l’extension du copyright. Adapter des œuvres célèbres est un moyen puissant d’atteindre un public déjà familiarisé avec les personnages et l’histoire ; un vaste public est le terreau fertile pour de nouvelles œuvres. Par exemple, les premiers films de Disney exploitaient librement le domaine public pour proposer des versions des contes de fées classiques, mais son lobbying pour toujours plus de restrictions sur le droit d’auteur a privé les autres (et le public) des mêmes possibilités.

Le réalisateur de Gatsby, Baz Luhrmann, a lui-même tiré avantage du domaine public avec son film « Roméo+Juliette » en 1996. Le film était, bien sûr, une version très modernisée et adaptée de la pièce classique de Shakespeare, exactement le genre de chose qu’un ayant droit pourrait interdire en raison d’une « intégrité artistique », s’il existait une entreprise commerciale « Shakespeare » aussi douée pour le lobbying que Disney ou la MPAA.

Mais le film a aussi été un succès populaire et critique, rapportant presque 150 millions de dollars de recettes au box office, et le monde du cinéma se serait appauvri sans lui. Il devrait être évident pour Hollywood que le domaine public joue un rôle important en faveur d’une culture prospère, aussi bien sur le plan artistique que sur le plan économique. Augmenter la portée du copyright peut avoir paru un bon moyen de garantir les profits annuels, mais finalement le prix à payer est fort élevé aussi bien pour Hollywood que pour l’intérêt général.

Crédit photo : Bill Mc Intyre – licence CC BY-NC-SA 2.0





Geektionnerd : Journée mondiale 2013 contre les DRM

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Source : Journée internationale contre les DRM – édition 2013 (April)

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Des ponts entre les hommes (Libres conseils 42/42)

Voici traduit en français le dernier épisode du recueil de conseils OpenAdvice, Notre expérience collaborative sur le pads de traduction s’est avérée un marathon (presque 42 kilomètres aussi) parcouru quelquefois au grand galop par une quasi-centaine de relayeurs. Merci à tous ceux qui sont passés parfois pour risquer un mot ou une phrase, parfois pour dévorer des paragraphes entiers, voire pour devenir des habitués indispensables d’une séance à l’autre.

L’aventure toutefois n’est pas terminée, des membres de Framalang vont maintenant réviser l’ensemble des traductions réunies sur la plateforme Booktype, et préparer un .PDF qui sera lui-même révisé avant le Framabook qui devrait paraître… quand il sera prêt.

Il est un peu tôt pour annoncer les dates avec certitude, mais Paris en mai et Bruxelles en juillet auront la primeur de la publication. Restez tunés !

* * * * *

Traduction Framalang : Ouve, Julius22, Sphinx, AC!63, jcr83, goofy, peupleLà, merlin8282, Sinma, tcit, SaSha_01, lamessen, Sky, jpierre03

Lancer des ponts

Shane Coughlan

Shane Coughlan est un expert en méthodes de communication et en développement d’affaires. Il est surtout connu pour créer des passerelles entre les différentes parties, commerciales et non commerciales, dans le secteur des technologies. Au plan professionnel il a œuvré avec succès pour la création d’un département juridique pour la Free Software Foundation Europe (FSFE), la principale organisation non gouvernementale pour la promotion du logiciel libre en Europe. Il a également contribué à l’établissement d’un réseau professionnel de plus de 270 experts juridiques et techniques à travers 27 pays, à la fondation d’un projet d’outil de conformité de code binaire. Il a travaillé à rapprocher intérêts privés et communautaires pour le lancement du premier examen critique d’une loi dédiée au logiciel libre et open source. Shane a une connaissance étendue des technologies de l’Internet, des bonnes pratiques de gestion, de la construction de communautés et du logiciel libre et open source.

Lorsque j’ai commencé à travailler dans le logiciel libre, j’ai été frappé par ce qui était perçu comme une différence entre les parties prenantes « communautaires » et « commerciales » dans ce domaine. Selon l’opinion largement admise à l’époque, les développeurs s’intéressaient au bidouillage du code  et les commerciaux utilisaient leur travail de manière contestable s’ils n’étaient pas surveillés de près. C’était une supposition relativement infondée et presque entièrement défendue par des gens qui s’identifiaient à la communauté plutôt qu’à ceux qui se préoccupaient davantage des intérêts commerciaux. Mais elle était très répandue.

Bien que je sois principalement associé à la partie communautaire des choses, j’ai résisté à l’idée selon laquelle il y aurait deux camps intrinsèquement ennemis se faisant face à propos de l’avenir du logiciel libre. Cela semblait trop simple pour décrire les dynamiques de contribution, d’utilisation et de support comme une interaction entre les nobles créateurs et les sournois téléchargeurs de gratuit. Cela semblait en effet plus être une situation dans laquelle la complexité, les changements et l’incertitude avaient conduit à la création de récits simplistes destinés à rassurer un peu ceux qui sortaient de leur position confortable. Je pouvais ressentir la tension ambiante, entendre les querelles autour des stands lors des rencontres et les commentaires acerbes ou bien les montées en pression dans les conférences. Mais que signifiait tout cela ?

Que nous parlions de contribution à des projets de logiciels libres, de gestion de projet ou de respect des licences, les relations entre les parties prenantes s’accompagnaient souvent de préjugés, d’un manque de communication et d’émotions négatives. Ceci conduisait ensuite à une plus grande complexité, à une augmentation proportionnelle de la difficulté à prendre des décisions unifiées ainsi qu’à résoudre les problèmes. Je savais que l’un des plus grands défis était de jeter des ponts entre les individus, les projets et les entreprises. C’est une étape nécessaire pour assurer une compréhension commune et une communication croisée des règles, des normes et des raisons qui sous-tendent les licences et autres mesures officielles qui régissent ce domaine. Mais le savoir ne suffit pas à trouver le moyen de s’attaquer efficacement au problème.

C’était la période charnière où la GPLv3 était en cours de rédaction. Les technologies fondées sur Linux commençaient à apparaître dans toutes sortes de produits électroniques grand public et le logiciel libre était sur le point de se démocratiser. Il y avait du changement dans l’air et les investissements commerciaux autour des principaux projets de logiciel libre atteignaient des sommets. Tout à coup, on voyait des employés de grandes entreprises s’atteler à des tâches complexes, on avait des fonds importants pour les événements. De nombreux logiciels cessaient d’être une simple question de plaisir et commençaient à connaître les jalons, les livrables, l’assurance qualité et l’ergonomie.

Ce fut probablement un sérieux bouleversement pour ceux qui réalisaient du logiciel libre depuis longtemps : la majeure partie de l’évolution du logiciel libre ne concernait pas seulement l’exploration et la perfection technique, mais aussi l’interaction sociale. C’était un bon moyen pour des gens intelligents bien que parfois bizarres de partager un intérêt commun, de se lancer des défis et de coopérer au sein de projets bien définis et prévisibles. Tout comme collectionner des timbres, compter les trains ou connaître (par coeur) l’univers de Star Trek, c’était quelque chose qui fédérait des gens avec des centres d’intérêt bien particuliers en leur offrant de surcroît le bénéfice d’une agréable socialisation. Les premiers contributeurs ne s’attendaient sûrement pas à rencontrer là des cadres moyens et un développement orienté vers le volume de production. Pas étonnant que certains s’y soient cassé le nez.

Et pourtant… Tout s’est bien passé. Le logiciel libre est partout et sa position paraît être inexpugnable en tant que composant majeur de l’industrie des technologies de l’information. Des projets comme le noyau Linux ou le serveur Web Apache ont continué à se développer, à innover et à attirer de nouvelles parties prenantes, tant commerciales que non commerciales. L’équilibre des pouvoirs entre les individus, les projets et les entreprises a changé, parfois avec des conflits et des perturbations, mais jamais au détriment d’une coopération sur le long terme, ni en portant préjudice aux valeurs fondamentales du logiciel libre.

De mon point de vue, dans le domaine juridique — qui n’est après tout qu’un langage formel qui fournit un contexte pour l’interaction au travers de règles mutuellement comprises et applicables — la tension dans le logiciel libre ne s’est pas formée avec l’introduction d’une activité commerciale accrue, ni avec la participation grandissante d’employés dans des projets, ni avec le changement lui-même. Le vrai problème réside dans l’écart entre une élite précédente en perte de vitesse et de nouveaux venus parfois très différents.

Le défi était de créer un terrain de jeu équitable où les différents intérêts pourraient coexister dans un respect mutuel. Le logiciel libre devait devenir un point de rencontre où n’importe qui pouvait à tout moment obtenir des informations comme les compétences appropriées, les obligations d’une licence ou les pré-requis pour la soumission de code à un projet. La subjectivité et l’imprécision devaient être mises de côté pour permettre l’émergence de transactions plus formelles, ce qui agit alors comme le précurseur essentiel d’une forte activité économique, en particulier dans le contexte d’une communauté internationale voire mondiale.

Ce qui a fonctionné dans les premiers jours — qu’il s’agisse de la confiance de quelques-uns ou de l’entente mutuelle d’un groupe homogène ayant des intérêts communs — ne pouvait plus agir en tant que facteur social ou économique pour l’avenir du domaine. Parfois, il semblait que c’était une barrière insurmontable et que les tensions entre les contributeurs de longue date au logiciel libre et les nouveaux acteurs devaient conduire à un effondrement de la coopération et, peut-être, à celui des progrès accomplis. Mais un résultat aussi sombre supposait des conditions qui n’existaient tout simplement pas.

Le logiciel libre a apporté beaucoup de choses à des tas de personnes et d’organisations, en se fondant sur quelques concepts très simples comme la liberté d’utiliser, de modifier, d’améliorer et de partager la technologie. Ces concepts ont permis beaucoup de flexibilité. Et tant que les gens reconnaissaient leur valeur et continuaient à les respecter, les conflits portants sur des points secondaires comme la gouvernance ou les zones d’ombre des licences étaient plutôt sans importance — à long terme. Le reste est principalement du bruit. Les communications habituelles sont dérangées par tous ces pièges dramatiques qui arrivent inévitablement lorsqu’un groupe social est rejoint par un autre. Cela s’applique à toutes les discussions, que l’on parle d’un coin de pêche, d’un pays accueillant (ou non) les immigrants ou de deux entreprises fusionnant.

Les changements au sein du logiciel libre semblaient tous un peu confus à l’époque, mais ils se décomposent principalement en trois leçons utiles qui seront familières aux étudiants d’histoire ou de sciences politiques. Premièrement, chaque fois qu’il existe une élite, elle cherchera à préserver son statut et parlera du conflit perçu comme une évolution négative dans le but de l’ébranler. Deuxièmement, malgré la tendance inhérente de chaque base de pouvoir à être conservatrice, la participation statique dans un domaine en évolution aura pour seul effet de déplacer la possibilité d’une amélioration des parties existantes vers de tierces parties. Enfin, si quelque chose a de la valeur, alors les difficultés rencontrées en matière de gouvernance sont peu susceptibles de porter atteinte à cette valeur, mais fourniront au contraire une méthode pour redéfinir à la fois les mécanismes de gouvernance et les personnes en mesure de les appliquer.

Le développement du logiciel libre en tant que technologie démocratisée a connu une professionnalisation croissante parmi les développeurs comme dans la gestion de projets. Nous avons aussi vu s’accroître le respect envers les licences de la part des individus, des projets et des entreprises. Ce ne fut pas une mauvaise chose, et malgré quelques moments houleux le long du chemin — que l’on peut choisir parmi les querelles inter-communautaires, les entreprises qui ne tiennent pas compte des termes des licences ou l’agacement causé par un éloignement de l’esprit décontracté habituel — notre position en est consolidée, plus cohérente et de plus grande valeur.




Le juriste et le logiciel libre (Libres conseils 41/42)

Traduction : Framalang d’après une première traduction effectuée par Liu qihao (aka Eastwind) qui remercie François van der Mensbrugghe, Catherine Philippe et Ciarán O’Riordan.

Quelques considérations sur le rôle du juriste dans le domaine du logiciel libre et open source

Till Jaeger

Le docteur Till Jaeger est collaborateur du cabinet d’avocats JBB Rechtsanwaelte depuis 2001. Avocat diplômé et spécialisé dans le domaine du droit d’auteur et du droit des médias, il conseille autant les grandes et moyennes entreprises du secteur des technologies de l’information que les institutions gouvernementales et les développeurs de logiciels sur des sujets impliquant contrats, licences et usage en ligne. Son travail est orienté vers les contentieux relatifs aux logiciels libres et open source. Il est co-fondateur de l’institut pour l’étude juridique du logiciel libre et open source (ifrOSS). En outre, il aide développeurs et éditeurs de logiciels dans le processus de mise en compatibilité et en conformité de leurs licences libres. Till a représenté le projet gpl-violations.org dans plusieurs procès (NdT : devant les juridictions allemandes) dont l’objet portait sur le respect de la GPL. Il a également publié divers articles et livres à propos de questions juridiques sur les logiciels libres et open source. Il a été membre du comité C lors de l’élaboration de la GPLv3.

Pour commencer, clarifions une chose : je ne suis pas un geek. Je ne l’ai jamais été, et je n’ai aucune intention de le devenir. En revanche, je suis juriste. La plupart des lecteurs de ce livre auront probablement tendance à éprouver une plus grande sympathie à l’égard des geeks qu’envers les juristes. Cependant, je ne souhaite pas éluder ce fait : la communauté du logiciel libre et open source n’est pas nécessairement passionnée par les juristes, elle est trop occupée à développer du code. Cela, je le savais déjà au début de l’année 1999, lorsque nos chemins se sont croisés pour la première fois. Néanmoins, d’autres éléments m’étaient, à ce moment-là, encore inconnus. En 1999, tandis que je terminais ma thèse de doctorat portant sur le droit d’auteur classique, j’évaluais l’étendue des droits moraux. Dans ce contexte, j’ai passé un certain temps à réfléchir à la question suivante : comment les droits moraux des développeurs sont-ils protégés par la licence GPL, étant donné que celle-ci confère aux utilisateurs un droit de modification sur leurs logiciels ? C’est ainsi que je suis entré pour la première fois en contact avec le logiciel libre et open source.

À cette époque, les qualificatifs « libre » et « ouvert » avaient évidemment des significations différentes. Mais dans le monde dans lequel je vivais, cette distinction ne méritait pas d’être débattue. Cependant, vu que j’étais libre d’étudier ce qui m’intéressait et ouvert à l’exploration de nouvelles questions sur le droit d’auteur, j’ai rapidement découvert que les deux termes ont quelque chose en commun : bien qu’ils soient effectivement différents, ils sont bien mieux utilisés lorsqu’ils sont ensemble…

Voici trois choses que j’aurais souhaité savoir à l’époque :

Tout d’abord, que mes connaissances techniques, en particulier dans le domaine du logiciel, étaient insuffisantes. Ensuite, que je ne comprenais pas véritablement la communauté et que j’ignorais ce qui importait aux yeux de ses membres. Et cerise sur le gâteau, que je ne connaissais pas grand-chose aux juridictions étrangères, à l’époque. Ces notions m’auraient été précieuses si j’avais pu les aborder dès le départ.

Depuis, j’ai appris suffisamment et, à l’instar de la communauté qui se réjouit de partager ses réalisations, je suis heureux de partager mes leçons (1).

Connaissances techniques

Comment est formée une architecture logicielle ? À quoi ressemble la structure technique d’un logiciel ? Quelles sont les licences compatibles ou incompatibles entre elles ? Comment et pourquoi ? Quelle est la structure du noyau Linux ? Pour citer un exemple, la question essentielle des éléments constitutifs d’une « œuvre dérivée » selon la GPL détermine la manière dont le logiciel pourra être licencié. Tout élément rentrant dans le champ d’une œuvre dérivée d’un logiciel originaire sous licence GPL doit être redistribué selon les termes de cette dernière. Pour évaluer si un programme constitue une « œuvre dérivée » ou pas, il est nécessaire d’avoir au préalable une compréhension technique approfondie. Ainsi, l’interaction des modules de programmes, des liaisons, des IPC (Communications inter-processus), des greffons, des infrastructures technologiques, des fichiers d’en-tête, etc. détermine au niveau formel (parmi d’autres critères) le degré de connexité d’un logiciel par rapport à un autre, ce qui aide à le qualifier ou non d’œuvre dérivée.

Connaissance de l’industrie et de la communauté

Au-delà de ces questions fonctionnelles, l’étendue de mes connaissances des principes régissant le libre était limitée, tant au regard de la motivation des développeurs que des entreprises utilisant du logiciel libre. En outre, je ne connaissais pas son arrière-plan philosophique, et n’étais pas plus familier avec les modalités pratiques d’interactions sociologiques de la communauté. Ainsi, les questions : « Qui est mainteneur ? » ou « Quel est le fonctionnement d’un système de contrôle de version ? » ne trouvaient pas d’écho à mes oreilles. Or, pour servir du mieux possible vos clients, ces questions sont toutes aussi importantes que la maitrise des aspects d’ordre purement technique. Par exemple, nos clients nous demandent de nous occuper du côté juridique des modèles économiques construits sur une double licence de type « open core ». Ceci inclut la gestion des contrats de supports, de services, de développements ainsi que les conventions applicables aux codes sources venant des contributions. Ce faisant, nous guidons entreprises et institutions dans la grande réserve du logiciel libre lors de la mise en place de ces modèles.

D’autre part, nous conseillons aussi les développeurs sur la manière de régler les litiges nés des violations de leur droit d’auteur, notamment via l’élaboration et la négociation de contrats en leur nom et pour leur compte. Ceci étant, pour répondre à tous ces besoins de manière complète, il est fondamental de s’être familiarisé avec cette multiplicité de points de vue.

Connaissances en droit comparé

La troisième chose dont un juriste libriste a besoin, c’est de connaissances à propos des juridictions étrangères, au moins quelques-unes et, plus il en acquiert, mieux il se porte. Pour pouvoir interpréter les différentes licences correctement, il est essentiel de comprendre l’état d’esprit dans lequel s’inscrivaient les personnes qui les ont écrites.

Dans la plupart des cas, le système juridique américain est d’une importance capitale. Par exemple, lors de l’élaboration de la GPL, celle-ci a été écrite avec, à l’esprit, des notions issues de la common law étasunienne. Aux États-Unis le terme « distribution » inclut la distribution en ligne. Or, le système de droit d’auteur allemand établit un distinguo entre la distribution en ligne et hors-ligne. Dès lors,  les licences qui ont été rédigées par des juristes de la common law étasunienne peuvent être interprétées comme incluant la
distribution en ligne. Au cours d’un procès, cet argument peut devenir particulièrement pertinent (2).

Un apprentissage permanent

Au final, toutes ces connaissances sont d’une grande utilité. Aussi, j’espère qu’à l’image du processus d’évolution d’un logiciel, qui apporte son lot de solutions aux besoins de tous les jours, mon esprit continuera à répondre aux défis que la vibrante communauté du logiciel libre et open source pose constamment à l’attention d’un juriste.

(1) L‘Institut für Rechtsfragen der Freien und Open Source Software (institut des questions de droit sur les logiciels libres et open source) propose, entre autres, une collection d’ouvrages et de jurisprudences en lien avec les logiciels libres et open source ; pour plus de détails, voir sur le site http://www.ifross.org/.

(2) Voir : http://www.ifross.org/Fremdartikel/LGMuenchenUrteil.pdf, Cf. Welte v.Skype, 2007