21 degrés de liberté – 8

Passer par un intermédiaire pour obtenir un service (comme le téléphone) était hier protégé légalement contre les atteintes à la vie privée. Aujourd’hui un comportement normal est considéré comme suffisant pour supprimer cette protection.

Voici déjà le 8e article de la série écrite par Rick Falkvinge. Le fondateur du Parti Pirate suédois s’inquiète aujourd’hui de la liberté de s’informer sans être surveillé.

Le fil directeur de la série de ces 21 articles, comme on peut le voir clairement dans les épisodes précédents que nous vous avons déjà livrés, c’est la perte de certaines libertés dont nous disposions encore assez récemment, avant que le passage au tout-numérique ne nous en prive.

De l’analogique au numérique (8/21) : l’utilisation de services tiers ne devrait pas trahir les attentes de respect de la vie privée

Source : Rick Falkvinge sur privateinternetaccess.com

Traduction Framalang : I enter my name again, 3josh, goofy, redmood, mo, draenog, Poca, dodosan, Moutmout + 5 anonymes

Fin décembre, Ross Ulbricht1 a déposé son appel2 à la Cour suprême des États-Unis, soulignant ainsi un droit à la vie privée essentiel : utiliser du matériel qui renseigne une tierce partie sur votre situation ne devrait pas anéantir tout espoir de conserver une vie privée.

La plupart des constitutions prévoient une protection de la vie privée d’une manière ou d’une autre. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne consacre le droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et des communications. Dans la Constitution états-unienne, la formulation est légèrement différente, mais le résultat est le même : le gouvernement n’a pas le droit de s’immiscer dans la vie privée de quiconque sans bonne raison (« perquisitions ou saisies abusives »).

Les tribunaux états-uniens ont longtemps soutenu que si vous avez volontairement renoncé à une partie de vos droits à la vie privée en faveur d’un tiers, vous ne pouvez plus vous attendre au respect de votre vie privée dans ce domaine. Si l’on observe l’équivalent analogique de ces droits, cette doctrine est exécrable. Pour comprendre à quel point, il nous faut remonter à l’avènement des commutateurs téléphonique manuels.

Aux débuts de l’ère des téléphones, les standards téléphoniques étaient entièrement manuels. Lorsque vous demandiez à appeler quelqu’un, un opérateur téléphonique humain connectait manuellement le fil de votre téléphone à celui de votre destinataire et déclenchait un mécanisme qui faisait sonner le téléphone. Les opérateurs pouvaient écouter toutes les conversations s’ils le souhaitaient et savaient qui avait parlé à qui et quand.

Est-ce qu’on renonçait à sa vie privée en faveur d’un tiers en utilisant ce service de téléphonie manuel ? Oui, très certainement. Selon la doctrine numérique actuelle, les appels téléphoniques n’auraient plus rien de privé, quelles que soient les circonstances.

Pourtant, nous savons bien que les appels téléphoniques sont privés. Car en réalité, les opérateurs téléphoniques juraient sous serment de ne jamais divulguer la moindre information qu’ils auraient apprise durant leur travail, sur la vie privée des gens – pour vous dire à quel point la vie privée était prise au sérieux, même par les entreprises qui géraient les standards téléphoniques.

Curieusement, la doctrine du « renoncement de vie privée en faveur d’un tiers » semble être apparue au moment où le dernier opérateur a quitté son travail au profit des circuits automatiques actuels. Cela s’est produit assez tardivement, 1983, pile à l’aube de l’ère de la consommation de masse des appareils numériques, tels que le Commodore 64.

Cette fausse équivalence devrait, à elle seule, suffire à invalider la doctrine du renoncement « volontaire » à la vie privée en faveur d’un tiers numérique, renoncement de fait à toute protection de la confidentialité : l’équivalent dans le monde analogique était aux antipodes de cette doctrine.

Mais ce n’est pas la seule leçon à tirer, sur les services tiers privés, de cette équivalence avec le monde analogique. Ce concept suppose, en creux, que vous choisissez volontairement d’abandonner votre vie privée, c’est-à-dire par un acte conscient et délibéré – et notamment, par un choix qui sort de l’ordinaire, car les constitutions du monde entier sont très claires sur le fait que le choix ordinaire, par défaut, est que vous vous attendiez à ce que votre vie privée soit protégée.

En d’autres termes, vu que la vie quotidienne de chaque individu est protégée par le respect de sa vie privée, il faut une situation extraordinaire pour qu’un gouvernement puisse revendiquer l’autorisation de s’introduire dans la vie privée d’une personne. Et cette situation « extra-ordinaire » est devenue : il suffit que la personne en question ait un téléphone portable sur elle, et donc, qu’elle ait « volontairement » renoncé à son droit à la vie privée, car le téléphone communique sa position à l’opérateur du réseau en contactant les antennes relais.

Mais avoir un téléphone portable est un comportement normal de nos jours. Cela correspond parfaitement à la définition d’ « ordinaire ». En termes d’originalité, ce n’est pas très différent que de porter un jean ou une veste. Ce qui pose la question suivante : en imaginant que les fabricants de jeans de l’époque aient été capables de vous localiser, aurait-il été raisonnable de la part des gouvernements de dire que vous aviez abandonné votre droit à la vie privée, en portant des jeans ?

Bien sûr que non.

Ce n’est pas comme si vous portiez un dispositif de repérage dans le but assumé que des sauveteurs puissent vous retrouver au cours d’une randonnée à risque. Dans de telles circonstances, il est alors possible de dire que vous portez volontairement un dispositif de localisation. Mais pas lorsque vous possédez un objet dont on peut s’attendre à ce que tout le monde en ait un – pire, quelque chose que tout le monde doit avoir, pour ne serait-ce que vivre normalement dans la société actuelle.

Quand la seule alternative pour disposer de la garantie constitutionnelle de votre vie privée est de se tenir à l’écart de toute société moderne, l’argumentaire du gouvernement doit être bien léger… En particulier parce que l’équivalent d’autrefois – les standards téléphoniques analogiques – n’a jamais été une cible légitime dans aucun dossier.

Tout le monde mérite un droit à sa vie privée équivalent à celui du monde analogique.

Jusqu’à ce qu’un gouvernement reconnaisse cela et rende volontairement le pouvoir qu’il s’est lui-même octroyé, ce sur quoi il ne faut pas se faire d’illusions, la vie privée demeure de votre responsabilité.




21 degrés de liberté – 07

Consulter des ouvrages en bibliothèque était hier une opération dont les bibliothécaires défendaient ardemment le caractère confidentiel. Aujourd’hui toutes nos recherches d’informations nous pistent.

Voici déjà le 7e article de la série écrite par Rick Falkvinge. Le fondateur du Parti Pirate suédois s’inquiète aujourd’hui de la liberté de s’informer sans être surveillé.

Le fil directeur de la série de ces 21 articles, comme on peut le voir clairement dans les épisodes précédents que nous vous avons déjà livrés, c’est la perte de certaines libertés dont nous disposions encore assez récemment, avant que le passage au tout-numérique ne nous en prive.

Dans les bibliothèques traditionnelles, la recherche d’informations restait privée

Source : Rick Falkvinge sur privateinternetaccess.com

Traduction Framalang : redmood, mo, draenog, Lumibd, Paul, goofy + 3 anonymes

Pour nos parents du monde analogique, la recherche d’informations avait lieu dans les bibliothèques, et il s’agissait d’un lieu dont l’intimité était jalousement gardée. À l’inverse, lorsque nos enfants du monde numérique recherchent des informations, leurs pensées les plus intimes sont toutes collectées pour faire du marketing. Comment en est-on arrivé là ?

S’il existe une profession du monde analogique pour laquelle la vie privée des usagers était une véritable obsession, c’est bien celle de bibliothécaire. Les bibliothèques étaient des lieux où l’on pouvait faire ses recherches les plus inavouables, qu’il s’agisse de littérature ou de sciences, de faire un achat ou de n’importe quoi d’autre. La confidentialité des bibliothèques était purement et simplement légendaire.

Lorsque les recettes de fabrication de bombes ont commencé à circuler sur le proto-internet des années 80 – sur ce que l’on appelait les BBS – et que les politiciens ont essayé de jouer sur la parano sécuritaire, beaucoup ont rapidement eu le bon sens de signaler que ces « fichiers textes contenant des recettes de bombes » n’étaient pas différents de ce qu’il était possible de trouver dans la section chimie d’une bibliothèque ordinaire – et les bibliothèques étaient sacrées. L’exploitation de la peur n’avait plus d’objet, dès lors que l’on faisait remarquer que ce type de documents était déjà disponible dans toutes les bibliothèques publiques et que chacun pouvait y accéder de manière anonyme.

De fait, les bibliothèques étaient tellement discrètes que, lorsque le FBI a commencé à leur demander les registres indiquant qui empruntait quel livre, les bibliothécaires se sont indignés en masse et c’est ainsi que les tristement célèbres warrant canaries 3 ont été inventés, oui, par un bibliothécaire, pour protéger les usagers de la bibliothèque. Les bibliothécaires ont toujours été les professionnels qui ont le plus farouchement défendu la vie privée, dans le monde analogique comme dans le monde numérique.

Dans le monde analogique de nos parents, la liberté d’Information était sacrée : c’était une soif profonde d’apprentissage, de connaissance et de compréhension. Dans le monde numérique de nos enfants, leurs pensées équivalentes les plus secrètes sont au contraire collectées massivement et bradées pour leur refiler de la camelote au hasard.

Ce n’est pas seulement ce que nos enfants ont recherché avec succès qui est à vendre. Dans le contexte analogique de nos parents, on dirait que c’est toutes leurs bonnes raisons d’aller à la bibliothèque. C’est même tout ce pourquoi ils ont seulement envisagé d’aller à la bibliothèque. Dans le monde numérique de nos enfants, tout ce qu’ils recherchent est enregistré, et tout ce qu’ils envisagent de rechercher même sans le faire.
Pensez-y un instant : une chose tellement sacrée pour nos parents que des secteurs professionnels entiers se mettraient en grève pour la préserver, est maintenant utilisée sans complexes pour un marketing de masse dans le monde de nos enfants.

Combinez à cela l’article précédent sur la façon dont tout ce que vous faites, dites et pensez est enregistré pour être utilisé contre vous plus tard, et il devient urgent pour nous de changer radicalement notre façon de voir les choses.
Il n’y a aucune raison pour que nos enfants soient moins libres de s’informer, au seul motif qu’ils vivent dans un environnement numérique, et non dans l’environnement analogique de nos parents. Il n’y a aucune raison pour que nos enfants ne puissent jouir de droits à la vie privée équivalents à ceux du monde analogique.

Bien sûr, on pourra mettre en avant le fait que les moteurs de recherche sont des services privés, qu’ils sont donc libres d’offrir les services qu’ils souhaitent, selon les termes qu’ils souhaitent. Mais il y avait également des bibliothèques privées dans le monde analogique de nos parents. Nous reviendrons un peu plus tard dans cette série sur l’idée que « si c’est privé, tu n’as pas ton mot à dire ».

La vie privée demeure de votre responsabilité.

 

Pour poursuivre la réflexion :




21 degrés de liberté – 06

Hier nous n’étions surveillés que suite à un soupçon, aujourd’hui nous sommes surveillés en permanence.

Voici déjà le 6e article de la série écrite par Falkvinge. Le fondateur du Parti Pirate suédois s’attaque aujourd’hui à la question de notre liberté de nous réunir et échanger en ligne sans être pistés.

Le fil directeur de la série de ces 21 articles, comme on peut le voir clairement dans les épisodes précédents que nous vous avons déjà livrés, c’est la perte de certaines libertés dont nous disposions encore assez récemment, avant que le passage au tout-numérique ne nous en prive.

Tout ce que vous faites, dites, ou pensez aujourd’hui sera utilisé demain contre vous.

source : Rick Falkvinge sur privateinternetaccess.com

traduction Framalang : wyatt, mo, draenog, goofy et 2 anonymes

« Tout ce que vous dites ou faites peut être et sera utilisé contre vous, n’importe quand dans un avenir lointain, lorsque le contexte et l’acceptabilité de ce que vous dites ou faites auront radicalement changé. » Avec la surveillance analogique de nos parents, tout était capté dans le contexte de son temps. La surveillance numérique de nos enfants conserve tout pour un usage futur contre eux.

 

 

C’est une réalité si horrible pour nos enfants du numérique, que même 1984 n’y avait pas pensé. Dans le monde de la surveillance analogique, où des personnes sont mises sous surveillance seulement après avoir été identifiées comme suspectées d’un crime, tout ce que nous disions et faisions était passager. Si le télécran de Winston ne le voyait pas faire quelque chose de mauvais, alors il avait raté le moment et Winston était tranquille.

La surveillance analogique était passagère pour deux raisons : premièrement, on savait que toute surveillance était exercée par des personnes sur d’autres personnes ; deuxièmement, que personne n’aurait la capacité de trouver instantanément des mots-clefs dans les conversations des vingt dernières années de quiconque. Dans le monde analogique de nos parents, cela signifiait que quelqu’un aurait dû concrètement écouter vingt ans d’enregistrements sur cassette, ce qui aurait pris soixante ans (nous ne travaillons que 8 heures par jour). Dans le monde numérique de nos enfants, les agences de surveillance saisissent quelques mots et peuvent obtenir la transcription automatique des conversations, sauvegardées à tout jamais, de monsieur tout-le-monde sous surveillance, à l’écran, en temps réel, à mesure qu’ils saisissent ces mots-clefs – pas seulement les conversations d’une seule personne, mais celles de tout le monde (ce n’est même pas exagéré ; c’était la réalité aux environs de 2010 avec le programme XKEYSCORE entre la NSA et le GCHQ).

Dans le monde analogique de nos parents, la surveillance n’existait que quand elle était active, c’était le cas seulement lorsque vous faisiez individuellement et concrètement l’objet de soupçons pour un délit spécifique, grave, et déjà commis.

Dans le monde numérique de nos enfants, la surveillance peut être activée rétroactivement pour quelque raison que ce soit ou même sans raison, avec la conséquence flagrante que chacun d’entre nous est sous surveillance pour tout ce qu’il peut avoir fait ou dit.

Nous devrions dire à tout le monde puisque nous en sommes là : « tout ce que vous dites ou faites peut être utilisé contre vous, pour quelque raison que ce soit ou même sans raison, n’importe quand dans le futur ».

La génération actuelle a complètement échoué à préserver la présomption d’innocence, appliquée à la surveillance, quand on est passé de la génération de l’analogique à celle du numérique.

Tout est enregistré pour pouvoir être ensuite utilisé contre vous : ce nouvel état de fait a décuplé la dangerosité de la surveillance telle qu’on la connaissait.

Supposez que quelqu’un vous demande où vous étiez le soir du 13 mars 1992. Vous aurez, au mieux, une vague idée de ce que vous faisiez cette année-là (« Voyons voir… Je me souviens que mon service militaire a commencé le 3 mars de cette année… et que la première semaine a eu lieu un dur camp d’entraînement dans une forêt d’hiver glaciale… j’étais donc probablement… de retour à la caserne après la première semaine, ayant le premier cours de théorie militaire ou un truc comme ça ? Ou peut-être que si cette date correspond à un samedi ou un dimanche, alors je devais être en permission ? » C’est à peu près la précision maximale qu’est capable de produire votre mémoire en remontant vingt-cinq ans en arrière.)

Cependant, si vous êtes confronté⋅e à des données sûres sur ce que vous avez fait, les personnes que vous affronterez auront sur vous un avantage important et décisif, simplement parce que vous ne pouvez pas le réfuter. « Vous étiez dans cette pièce et avez prononcé telles paroles, d’après notre transcription. Ces autres personnes étaient aussi dans cette pièce. Nous ne pouvons que supposer que ce que vous avez dit a été émis avec l’intention de le leur faire entendre. Qu’avez-vous à dire ? »

Nul besoin de remonter 25 ans en arrière. Quelques mois suffisent pour que la plupart des souvenirs ne soient plus détaillés.

Pour illustrer davantage : considérez que la NSA est connue pour stocker même des copies de correspondances chiffrées aujourd’hui, partant du principe que même si elles ne sont pas cassables pour l’instant, elles le seront probablement dans le futur. Considérez que ce que vous communiquez de façon chiffrée aujourd’hui – texte, message vocal ou vidéo – pourra être utilisé contre vous dans vingt ans. Vous n’en connaissez probablement pas la moité, parce que la fenêtre de comportements acceptables aura bougé de manière imprévisible, comme elle le fait toujours. Dans les années 50, il était absolument acceptable socialement de faire des remarques désobligeantes à propos de certaines minorités en société, ce qui vous ostraciserait socialement aujourd’hui. Pour d’autres minorités c’est encore acceptable d’être désobligeant, mais cela pourrait ne plus l’être à l’avenir.

Quand vous écoutez des personnes qui s’exprimaient il y a cinquante ans, vous savez qu’elles parlent dans le contexte de leur époque, peut-être même avec les meilleures intentions selon nos critères d’aujourd’hui. Cependant, nous pourrions les juger durement pour leurs propos si nous les interprétions dans le contexte actuel, qui est complètement différent.

Nos enfants, ceux du numérique, devront faire face exactement au même scénario, parce que tout ce qu’ils font et disent pourra être et sera utilisé contre eux, n’importe quand dans l’avenir. Il ne devrait pas être en être ainsi. Ils devraient avoir tous les droits de jouir de libertés fondamentales individuelles égales aux libertés analogiques.

 

La vie privée demeure de votre responsabilité.




21 degrés de liberté – 05

Hier nous pouvions facilement rencontrer qui nous voulions physiquement de façon privée et être à l’abri des oreilles indiscrètes si nous l’avions décidé. C’est devenu presque impossible aujourd’hui dans l’espace numérique.

Voici déjà le 5e article de la série écrite par Falkvinge. Le fondateur du Parti Pirate suédois s’attaque aujourd’hui à la question de notre liberté de nous réunir et échanger en ligne sans être pistés.

Le fil directeur de la série de ces 21 articles, comme on peut le voir clairement dans les épisodes précédents que nous vous avons déjà livrés, c’est la perte de certaines libertés dont nous disposions encore assez récemment, avant que le passage au tout-numérique ne nous en prive.

Mais où est donc passée la liberté de réunion ?

Par Rick Falkvinge, source : Private Internet Access
Traduction Framalang : redmood, Penguin, mo, draenog, goofy et 2 anonymes

Nos parents, dans leur monde analogique, avaient le droit de rencontrer qui ils voulaient, où ils voulaient, et de discuter de ce qu’ils voulaient, sans que le gouvernement n’en sache rien. Nos enfants du monde numérique4 ont perdu ce droit, simplement parce qu’ils utilisent davantage d’outils modernes.

vue plongeante surun groupe de jeunes de 20 ou 30 ans qui échangent et discutent au cours d'un cocktail

De nombreuses activités de nos enfants ne se déroulent plus en privé, car elles ont naturellement lieu sur le net. Pour les personnes nées à partir de 1980, faire la distinction entre activités « hors-ligne » et « en ligne » n’a pas de sens. Là où les personnes plus âgées voient « des gens qui passent tout leur temps avec leur téléphone ou leur ordinateur », les plus jeunes voient un moyen de socialiser, à l’aide de leur téléphone ou de leur ordinateur.

Il s’agit là d’une distinction essentielle que nos aînés ont du mal à comprendre.

Peut-être qu’une anecdote à propos de la génération précédente pourra encore une fois mieux illustrer le propos : les parents de nos parents se plaignaient déjà que nos parents parlaient avec leur téléphone, et non avec une autre personne grâce au téléphone. Ce que nos parents voyaient comme un moyen d’entretenir un contact social (à l’aide des lignes téléphoniques analogiques de l’époque), était vu par leurs propres parents comme une obsession pour un outil. Rien de nouveau sous le soleil…

Cette socialisation numérique, toutefois, peut être limitée, elle peut être… soumise à autorisation. Au sens où une tierce personne (entité) doit donner son accord pour que vous et vos amis puissiez établir le contact social qui vous convient, ou même établir un lien social quel qu’il soit. Les effets du réseau sont forts et génèrent une pression qui se concentre sur quelques plates-formes où tout le monde se retrouve. Lesdites plates-formes sont des services privés qui peuvent donc dicter toutes les conditions d’utilisation qu’ils souhaitent sur la façon dont les gens peuvent se rassembler et entretenir leurs liens sociaux − pour les milliards de personnes qui se retrouvent ainsi.

Un exemple, pour illustrer tout cela : Facebook utilise des valeurs américaines dans les rapports sociaux, pas des valeurs universelles. Être totalement contre toute forme de nudité, même la plus discrète, tout en acceptant les discours haineux n’est pas quelque chose qui se fait partout dans le monde ; c’est propre aux Américains. Si Facebook avait été développé en France ou en Allemagne, et non aux États-Unis, la nudité sous toutes ses formes aurait été la bienvenue dans un cadre artistique et une culture de « corps libre » (Freikörperkultur) ainsi qu’une manière parfaitement légitime de créer des liens sociaux, mais la moindre remise en cause d’un génocide aurait donné lieu à un bannissement immédiat et à des poursuites judiciaires.

Ainsi, en utilisant simplement le très connu Facebook comme exemple, toute manière non-américaine de créer des contacts sociaux est totalement bannie dans le monde entier, et il est extrêmement probable que les personnes qui développent et travaillent pour Facebook n’en ont pas conscience. D’ailleurs la liberté de réunion n’a pas été limitée seulement dans le cadre d’Internet, mais aussi dans notre bon vieux monde analogique, où nos parents avaient l’habitude de traîner (et le font encore).

Vu que les gens sont constamment géolocalisés, comme nous l’avons vu dans le billet précédent, il est possible de croiser les positions de plusieurs individus et d’en déduire qui parlait à qui, et quand, alors même qu’il s’agissait d’un échange en face à face. Si je regarde par la fenêtre de mon bureau en écrivant ces lignes, le hasard fait que les vieux quartiers de la Stasi en face de l’Alexanderplatz dans l’ancienne partie Est de Berlin se trouvent dans mon champ de vision. C’était un peu comme l’Hôtel California ; les personnes qui y entraient avaient tendance à ne plus jamais en ressortir. La Stasi espionnait aussi les gens afin de savoir qui discutait avec qui, mais cela nécessitait beaucoup d’agents pour suivre en filature et photographier ceux qui se rencontraient pour se parler. Il y avait donc une limite économique dans la manière dont les gens pouvaient être suivis au-delà de laquelle l’État ne pouvait se permettre d’augmenter la surveillance. Aujourd’hui, cette limite a totalement disparu, et tout le monde peut être pisté à tout moment.

Êtes-vous réellement libre de vous réunir, quand le simple fait d’avoir fréquenté une personne – dans la réalité, peut-être avez-vous seulement passé un peu de temps à proximité de celle-ci – peut être retenu contre vous ?

Voici encore un exemple pour illustrer cela. Dans une des fuites d’informations majeures récentes, il n’est pas important de savoir laquelle, il se trouve qu’un lointain collègue à moi avait fêté un gros événement en organisant une grande fête, qui s’est déroulée à proximité du lieu où des documents étaient en train d’être copiés, il n’en savait rien et la proximité des lieux n’était qu’une coïncidence. Des mois plus tard, ce même collègue participait à la couverture journalistique de la fuite de ces documents et de la vérification de leur véracité, toujours dans l’ignorance de leur provenance et du fait qu’il avait organisé sa grande fiesta dans un lieu très proche de celui dont les documents étaient issus.

Le gouvernement, en revanche, avait parfaitement conscience de cette proximité physique ainsi que de l’implication du journaliste dans le traitement des documents et a émis non pas un, mais deux mandats d’arrêt à l’encontre de ce lointain collègue, sur la base de cette coïncidence. Il vit maintenant en exil hors de Suède et n’espère pas à être autorisé à rentrer chez lui de sitôt.

La vie privée, jusqu’au moindre de vos déplacements, demeure de votre responsabilité.




21 degrés de liberté – 04

Hier notre position dans l’espace géographique était notre affaire et nous pouvions être invisibles aux yeux du monde si nous l’avions décidé. C’est devenu presque impossible aujourd’hui dans l’espace numérique.

Voici déjà le 4e article de la série écrite par Falkvinge. Le fondateur du Parti Pirate suédois s’attaque aujourd’hui à la question de notre géolocalisation.

Son fil directeur, comme on peut le voir clairement dans les épisodes précédents  que nous vous avons déjà livrés, c’est la perte de certaines libertés dont nous disposions encore assez récemment, avant que le passage au tout-numérique ne nous en prive.

Le groupe Framalang a trouvé intéressant de soumettre à votre réflexion les 21 articles qu’il a publiés récemment. Nous nous efforçons de vous les traduire, semaine après semaine. Les commentaires, comme toujours, sont ouverts.

De l’analogique au numérique : nos enfants ont perdu le droit à la confidentialité de leur position

Par Rick Falkvinge, source : Private Internet Access

Traduction Framalang : mo, draenog, goofy et 2 anonymes

Dans le monde analogique de nos parents, tout citoyen ordinaire  qui n’était pas sous surveillance car suspecté de crime pouvait se promener dans une ville sans que les autorités ne le suivent pas à pas : c’était un fait acquis. Nos enfants n’ont plus ce droit dans leur monde numérique.

Même les dystopies du siècle dernier (1984, Le Meilleur des Mondes, Colossus, etc.) ne sont pas parvenues à rêver une telle abomination : chaque citoyen est dorénavant porteur d’un dispositif de localisation gouvernemental. Et non content de simplement le transporter, il en a lui-même fait l’acquisition. Même Le Meilleur des Mondes n’avait pas pu imaginer cette horreur.

Cela a commencé innocemment, bien sûr. Comme c’est toujours le cas. Avec les nouveaux « téléphones portables », ce qui à l’époque signifiait « pas de fil à la patte », les autorités ont découvert que les gens continuaient à appeler les numéros d’urgence (112, 911, etc.) depuis leurs téléphones mobiles, mais qu’ils n’étaient pas toujours capables d’indiquer eux-mêmes où ils se trouvaient, tandis que le réseau téléphonique pemettait désormais de le faire. C’est alors que les autorités ont imposé que les réseaux téléphoniques soient techniquement capables de toujours indiquer l’emplacement d’un client, au cas où il appellerait un numéro d’urgence. Aux États-Unis, ce dispositif était connu sous le nom de loi E911.

C’était en 2005. Les choses ont rapidement mal tourné depuis. Imaginez qu’il y a seulement 12 ans, nous avions encore le droit de nous balader librement sans que les autorités puissent suivre chacun de nos pas, eh oui, cela fait à peine plus d’une dizaine d’années !

Auparavant, les gouvernements fournissaient des services permettant à chacun de connaître sa position, comme c’est la tradition depuis les phares maritimes, mais pas de façon à ce qu’ils puissent connaître cette position. Il s’agit d’une différence cruciale. Et, comme toujours, la première brèche a été celle des services fournis aux citoyens, dans ce cas des services médicaux d’urgence, et seul les plus visionnaires des dystopistes s’y seraient opposés.

Qu’est-il arrivé depuis ?

Des villes entières utilisent le suivi passif par Wi-Fi5  pour suivre les gens de façon individuelle, instantanée et au mètre près dans tout le centre-ville.

Les gares et les aéroports, qui étaient des havres respectant notre anonymat dans le monde analogique de nos parents, ont des panneaux qui informent que le Wi-Fi et le Bluetooth passifs sont utilisés pour suivre toute personne qui seulement s’approcherait, et que ce suivi est relié à leurs données personnelles. Correction : ces panneaux informatifs existent dans le meilleur des cas, mais le pistage est toujours présent.

La position des personnes est suivie par au moins trois… non pas moyens mais catégories de moyens différents :

Actif : vous transportez un détecteur de position (capteur GPS, récepteur GLONASS, triangulation par antenne-relais, ou même un identificateur visuel par l’appareil photo). Vous utilisez les capteurs pour connaître votre position à un moment donné ou de façon continue. Le gouvernement s’arroge le droit de lire le contenu de vos capteurs actifs.

Passif : vous ne faites rien, mais vous transmettez toujours votre position au gouvernement de façon continue via un tiers. Dans cette catégorie, on trouve la triangulation par antenne-relais ainsi que les suivis par Wi-Fi et Bluetooth passifs qui ne nécessitent pas d’autre action de l’utilisateur que d’avoir son téléphone allumé.

Hybride : le gouvernement vous localise au moment de ratissages occasionnels et au cours « de parties de pêche ». Cela inclut non seulement les méthodes reliées aux portables mais aussi la reconnaissance faciale connectée aux réseaux urbains de caméras de surveillance.

La confidentialité de notre position est l’un des sept droits à la vie privée et nous pouvons dire qu’à moins de contre-mesures actives, ce droit a entièrement disparu dans le passage de l’analogique au numérique. Nos parents avaient le droit à la confidentialité de leur position, en particulier dans des endroits animés tels que les aéroports et les gares. Nos enfants n’auront pas de confidentialité de position d’une manière générale, ni en particulier dans des lieux tels que les aéroports et les gares qui étaient les havres sûrs de nos parents de l’ère analogique.

Aujourd’hui, comment pouvons-nous réintroduire la confidentialité de position ? Elle était tenue pour acquise il y a à peine 12 ans.

La vie privée reste de votre responsabilité.




21 degrés de liberté – 03

Voici déjà le 3e article de la série écrite par Falkvinge. Le fondateur du Parti Pirate suédois s’attaque aujourd’hui à la question de la publication sous anonymat. Une traduction du groupe Framalang, qui a trouvé intéressant de soumettre à votre réflexion les 21 articles qu’il a publiés récemment.

Son fil directeur, comme on peut le voir clairement dans les épisodes précédents  que nous vous avons déjà livrés, c’est la perte de certaines libertés dont nous disposions encore assez récemment, avant que le passage au tout-numérique ne nous en prive.

Nous nous efforcerons de vous traduire ces articles, semaine après semaine. Les commentaires, comme toujours, sont ouverts.

De l’analogique au numérique : publier un message public anonymement

par Rick Falkvinge

source : https://falkvinge.net/2017/12/20/analog-equivalent-rights-posting-anonymous-public-message/

Traduction Framalang : wyatt, Penguin, mo, draenog, simon, goofy et 2 anonymes.

Les libertés tenues pour acquises pour nos parents ne le sont pas pour nos enfants – beaucoup d’entre elles ont disparu au cours de la transition vers le numérique. Aujourd’hui, nous traiterons de l’importance de pouvoir publier un message public anonymement.

Quand j’étais adolescent, avant l’Internet (si, vraiment), il y avait ce que l’on appelait des BBS  – Bulletin Board Systems. C’était l’équivalent numérique d’un panneau d’affichage, une sorte de panneau en bois dont le but est d’afficher des messages pour le public. On peut considérer les BBS comme l’équivalent anonyme des logiciels de webforums actuels, mais vous vous connectiez au BBS directement depuis votre ordinateur personnel via une ligne téléphonique, sans avoir à vous connecter à Internet au préalable.

Les panneaux d’affichage sont encore utilisés, bien entendu, mais principalement pour la promotion de concerts ou de mouvements politiques.

Au début des années 90, des lois étranges ont commencé à entrer en vigueur un peu partout dans le monde sous l’influence du lobbying de l’industrie du droit d’auteur : les propriétaires d’un BBS pouvaient être tenus responsables de ce que d’autres personnes avaient publié dessus. La suppression de la publication dans un délai de sept jours était l’unique possibilité afin d’éviter toute poursuite. Une telle responsabilité n’a pas d’équivalent analogique ; c’est une idée complètement ridicule que le propriétaire d’un bout de terrain soit tenu responsable pour une affiche apposée sur un de ses arbres, ou même que le propriétaire d’un bout de carton public puisse être poursuivi en justice pour des affiches que d’autres personnes auraient collées dessus.

Reprenons encore une fois : d’un point de vue légal, il est extrêmement étrange qu’un hébergeur électronique soit, de quelque manière que ce soit, responsable des contenus hébergés sur sa plateforme. Cela n’a aucun équivalent analogique.

Bien sûr, les gens peuvent placarder des affiches analogiques illégales sur un panneau d’affichage analogique. C’est alors un acte illicite. Quand cela arrive, le problème est celui du respect de la loi mais jamais celui du propriétaire du panneau d’affichage. C’est une idée ridicule qui ne devrait pas exister dans le monde numérique non plus.

L’équivalent numérique approprié n’est pas non plus de demander une identification pour transmettre les adresses IP des personnes qui postent aux forces de l’ordre. Le propriétaire d’un panneau d’affichage analogique n’a absolument pas l’obligation d’identifier les personnes qui utilisent le panneau d’affichage, ni même de surveiller si on l’utilise ou non.

L’équivalent du droit à la vie privée analogique pour un hébergeur de contenus est que l’utilisateur soit responsable de tout ce qu’il publie à destination de tous, sans aucune responsabilité d’aucune sorte pour l’hébergeur, sans obligation pour lui de pister la source des informations publiées pour aider les forces de l’ordre à retrouver un utilisateur. Une telle surveillance n’est pas une obligation dans le monde analogique de nos parents, de même qu’il n’y a pas de responsabilité analogique pour du contenu publié, et il n’y a aucune raison qu’il en soit autrement dans le monde numérique de nos enfants, uniquement parce que certains ne savent pas comment gérer une entreprise autrement.

Accessoirement, les États-Unis n’existeraient pas si les lois actuelles de responsabilité d’hébergement avaient été mises en place au moment de leur création. À l’époque, de nombreux écrits qui circulaient revendiquaient la rupture avec la couronne anglaise et la formation d’une république indépendante. D’un point de vue légal, cela correspond à de l’incitation et de la complicité pour haute trahison. Ces écrits étaient couramment cloués aux arbres et sur les lieux d’affichages publics pour que la population les lise et se fasse sa propre opinion. Imaginez un instant que les propriétaires des terrains où poussaient ces arbres aient été poursuivis pour haute trahison suite à du « contenu hébergé ». L’idée est aussi ridicule dans le monde analogique qu’elle l’est dans le monde numérique. Il nous faut seulement nous défaire de l’illusion que les lois actuelles d’hébergement numérique ont du sens. Ces lois sont réellement aussi ridicules dans le monde numérique de nos enfants qu’elles l’auraient été dans le monde analogique de nos parents.

La vie privée reste de votre responsabilité.




21 degrés de liberté – 02

Voici le deuxième article de la série écrite par Falkvinge. Ce militant des libertés numériques qui a porté son combat (notamment contre le copyright6) sur le terrain politique en fondant le Parti Pirate suédois n’hésite pas à afficher des opinions tranchées parfois provocatrices 7.

Le groupe Framalang a trouvé intéressant de soumettre à votre réflexion la série d’articles qu’il a entreprise récemment. Son fil directeur, comme il l’indique dans le premier épisode que nous vous avons déjà livré, c’est la perte de certaines libertés dont nous disposions encore assez récemment, avant que le passage au tout-numérique ne nous en prive.

Nous nous efforcerons de vous traduire ces articles, semaine après semaine. Les commentaires, comme toujours, sont ouverts.

De l’analogique au numérique : la correspondance

Par Rick Falkvinge, source : Private Internet Access
Traduction Framalang : draenog, wyatt, mo, simon

Au sein de leur monde analogique nos parents considéraient leurs libertés comme acquises. Ces mêmes libertés qui ne sont pas transmises à nos enfants dans la transition numérique — telles que simplement le droit d’envoyer une lettre sans mention externe de l’expéditeur.

Lors d’interventions, il m’arrive de demander aux personnes du public combien d’entre elles approuveraient des sites tels que The Pirate Bay, alors même qu’ils engendrent une perte de revenus pour les artistes (je pose la question en partant du principe que cette assertion est vraie). La proportion de spectateurs qui lèvent la main varie selon le public et le lieu.

Les défenseurs du droit d’auteur affirment que les lois hors ligne ne sont pas respectées sur Internet, lorsqu’ils souhaitent poursuivre en justice les personnes partageant savoir et culture. Ils n’ont pas tort, mais pas comme ils l’imaginent. Ils ont raison sur un point, il est clair que les lois relatives au droit d’auteur s’appliquent aussi en ligne. Mais ce n’est pas le cas des lois sur la protection de la vie privée, or cela devrait l’être.

Dans le monde hors ligne, le courrier bénéficiait d’un certain niveau de protection. Il n’était pas censé uniquement s’appliquer à la lettre elle-même, mais à toute correspondance ; la lettre était simplement l’unique moyen de correspondance lors de la conception de ces libertés.

D’abord, le courrier était anonyme. Libre à l’expéditeur de se faire connaître à l’extérieur ou seulement à l’intérieur de l’enveloppe (de cette façon l’expéditeur était inconnu du service postal, seul le destinataire en avait connaissance), ou pas du tout.

De plus, le courrier n’était pas pisté durant son transport. Les quelques gouvernements qui suivaient à la trace la correspondance de leurs citoyens étaient largement méprisés.

Troisièmement, la lettre était secrète. Jamais l’enveloppe n’était ouverte durant son transfert.

Quatrièmement, le transporteur n’était jamais tenu responsable du contenu, pour la simple et bonne raison qu’il lui était interdit d’examiner ce contenu. Quand bien même il aurait pu le faire, avec les cartes postales sans enveloppe par exemple, il ne pouvait être tenu responsable de faire son travail de transporteur — ce principe d’immunité du transporteur ou du messager remonte à l’Empire Romain.

Ces principes de liberté de correspondance devraient s’appliquer à la correspondance qu’elle soit hors ligne (la lettre) ou en ligne. Mais ça n’est pas le cas. En ligne vous n’êtes pas libre d’envoyer ce que vous souhaitez à qui vous le souhaitez, parce que cela pourrait constituer une atteinte au droit d’auteur — nos parents jouissaient pourtant de cette liberté dans leur monde hors ligne.

Les défenseurs du droit d’auteur ont raison — envoyer par courrier la copie d’un dessin est une violation du droit d’auteur, tout autant qu’envoyer une musique piratée via Internet. Seulement hors ligne, ces lois ont des pondérations. Hors ligne, quand bien même cela constitue une violation du droit d’auteur, personne n’est autorisé à ouvrir une lettre en transit simplement pour vérifier si son contenu n’enfreint pas la loi, parce que le secret de la correspondance privée est considéré comme plus important que la découverte d’une violation de droit d’auteur. C’est primordial. Ce principe de hiérarchie n’a pas été appliqué dans le monde numérique.

Le seul moment où une lettre est ouverte et bloquée, c’est lorsqu’une personne à titre individuel est suspectée au préalable d’un crime grave. Les mots « grave » et « au préalable » sont importants : l’ouverture de lettres simplement pour vérifier si elles contiennent un élément de crime sans grande gravité, tel qu’une violation du droit d’auteur, n’est tout bonnement pas autorisée du tout.

Il n’y a aucune raison que les libertés concédées à nos parents dans le monde hors ligne ne soient pas transposées en ligne de la même manière à nos enfants, peu importe si cela signifie que des modèles économiques deviennent caducs.

Après avoir mis ces points en évidence, je repose la question aux spectateurs pour savoir combien d’entre eux approuveraient des sites tel que The Pirate Bay, alors même qu’ils engendrent une perte de revenus pour les artistes. Mon argumentaire terminé, tous les spectateurs lèvent la main pour signifier leur approbation ; ils souhaiteraient que nos enfants jouissent des mêmes libertés que nos parents, et que le respect des acquis du monde hors ligne soit également appliqués en ligne.

Dans la suite de la série nous aborderons des sujets apparentés – les annonces publiques anonymes et le rôle essentiel rempli par les tribunes improvisées dans l’exercice de la liberté.

Votre vie privée est votre propre responsabilité.




21 degrés de liberté – 01

Vous ne connaissez peut-être pas le nom de Falkvinge. Ce militant des libertés numériques qui a porté son combat (notamment contre le copyright) sur le terrain politique en fondant le Parti Pirate suédois n’hésite pas à afficher des opinions tranchées parfois provocatrices 8.

Le groupe Framalang a trouvé intéressant de soumettre à votre réflexion la série d’articles qu’il a entreprise récemment. Son fil directeur, comme il l’indique dans le premier épisode que nous vous livrons aujourd’hui, c’est la perte de certaines libertés dont nous disposions encore assez récemment, avant que le passage au tout-numérique ne nous en prive.

Nous nous efforcerons de vous traduire ces articles, semaine après semaine. Les commentaires, comme toujours, sont ouverts.

De l’analogique au numérique : nos enfants devraient pouvoir profiter des mêmes droits que ceux dont jouissaient nos parents

Par Rick Falkvinge, source : Private Internet Access

Traduction Framalang : draenog, mo, goofy, simon, 1 anonyme

Dans une série de 21 articles sur ce blog nous examinerons comment le droit à la vie privée, une liberté fondamentale, a complètement disparu quand on est passé à l’ère numérique. Sa dégradation n’est rien moins que catastrophique.

Nous aborderons toute une série de domaines dans lesquels la vie privée a tout simplement disparu avec la transition vers le numérique, et où cela nous mène. Pour chacune de ces thématiques, nous examinerons la position des différentes juridictions et les tendances qui se dessinent. La motivation principale est claire — il n’est absolument pas déraisonnable de penser que nos enfants devraient avoir au moins les mêmes libertés fondamentales individuelles que celles dont jouissaient nos parents, et aujourd’hui ce n’est pas le cas. Pas du tout.

dossiers empilés et cadenassés

Pour démarrer, nous traiterons des libertés concernant la correspondance postale, et comment de nombreuses libertés associées — comme le droit considéré comme acquis d’envoyer une lettre anonyme — ont été complètement perdues. Même chose pour les affiches anonymes sur les panneaux d’affichages ; qui défend votre droit de faire une déclaration politique anonyme aujourd’hui ?

Nous constaterons que nous n’avons plus le droit de nous balader sans que personne ne nous traque. C’était un fait acquis pour nos parents : les aéroports et les gares étaient des lieux où chacun pouvait être anonyme ; aujourd’hui nos téléphones permettent de nous localiser en temps réel aussitôt qu’on s’en approche.

De plus, nous verrons que les autorités devaient auparavant vous prendre en flagrant délit si vous faisiez quelque chose d’interdit. Elles sont maintenant capables de rembobiner les archives sur vingt ans ou plus pour trouver quelque chose qu’elles auraient raté lorsque cela s’est produit, ou qui simplement leur était indifférent à l’époque. Peut-être quelque chose auquel vous n’aviez même pas prêté attention à ce moment-là, et que vous avez complètement oublié 20 ans plus tard.

Nos parents allaient dans des bibliothèques à la recherche d’informations. Les bibliothécaires prenaient de grandes précautions, inventant même le warrant canary 9, pour assurer que n’importe qui puisse chercher n’importe quelle information à son gré et puisse lire n’importe quel livre sans que les autorités le sachent. Aujourd’hui Google prend les mêmes précautions extrêmes, mais pour noter tout ce que vous avez recherché, jusqu’à ce que vous avez failli chercher sans l’avoir fait. Bien entendu, tout ceci est disponible pour les autorités et gouvernements qui n’ont qu’à demander à Google de se conformer à la loi qui vient d’être publiée .

Il n’est absolument pas déraisonnable d’exiger que nos enfants aient au moins autant de libertés fondamentales – droit à la vie privée — dans leur environnement numérique que celles dont nos parents ont bénéficié dans leur environnement analogique. Cependant, les droits à la vie privée ont été quasiment abolis par la transition au numérique.

En parlant de lecture, nos parents pouvaient acheter un journal au coin de la rue pour quelques pièces de monnaie. Ils lisaient un journal sans que quiconque sache qu’ils l’avaient acheté ou lu. À l’inverse, pour nos enfants, est soigneusement enregistré quel journal ils lisent, quand, quels articles, dans quel ordre, pour quelle durée — et peut-être pire, quel comportement ils ont eu peu après, et si ce comportement semble avoir été provoqué par la lecture de l’article.

Ah, la monnaie au kiosque… L’argent liquide partout en fait. Plusieurs pays tentent de supprimer l’argent liquide, rendant toutes les transactions traçables. Une carte de paiement est plus commode ? Peut-être. Mais elle n’est pas plus sûre. Chaque achat est enregistré. Pire, chaque presque-achat de nos enfants est aussi enregistré, chose qui aurait été inconcevable dans le monde de nos parents. Encore pire, chaque achat est aussi soumis à autorisation, et peut être refusé par un tiers.

Nos parents n’avaient pas d’appels vidéos, ou de télés les observant. Mais s’ils en avaient eu, je suis à peu près sûr qu’ils auraient été horrifiés que des gouvernements puissent les observer directement dans leur salon ou pister leurs appels vidéos privés, y compris les plus intimes.

Quand nos parents avaient une conversation au téléphone, il n’y avait jamais de voix inconnue débarquant dans l’appel pour dire « vous avez mentionné un sujet interdit, veuillez ne pas aborder de sujets interdits à l’avenir ». C’est ce qui se produit dans les messages privés de Facebook dans le monde de nos enfants. Bien évidemment ceci est lié à l’idée de conversations privées à la maison, un concept que nos enfants ne comprendront même pas (mais ils comprendront qu’ils peuvent demander à la petite boîte à l’écoute de leur donner des gâteaux et une maison de poupée).

Nous examinerons aussi comment l’industrie du droit d’auteur exploite à peu près tout ceci pour tenter de changer radicalement le monde, dans ce qui ne peut être décrit que comme une faillite morale.

Nous aborderons tout cela et bien d’autres choses encore, dans la série à venir de 21 articles, dont voici le premier.

Votre vie privée est votre propre responsabilité.