Quand Wikpédia rime avec le meilleur des USA

Stig Nygaard - CC byNous avons déjà publié des articles sur Wikipédia à l’occasion de son dixième anniversaire, mais aucun qui n’avait cette « saveur si américaine », et c’est justement ce qui nous a intéressé ici.

L’auteur se livre ici à une description pertinente mais classique de l’encyclopédie libre, à ceci près qu’il y fait souvent mention des États-Unis[1].

Si le récent massacre de Tucson symbolise le pire des USA, alors Wikipédia est son meilleur. Et merci au passage à la liberté d’expression toute particulière qui règne dans ce pays.

En lecture rapide, on aurait vite fait de croire que l’encyclopédie est américaine en fait !

Or le contenu du Wikipédia n’appartient à personne puisqu’il appartient à tout le monde grâce aux licences libres attachées à ses ressources. Mais que le créateur, les serveurs (et donc la juridiction qui en découle), le siège et la majorité des membres de cette Fondation, aient tous la même origine n’est ni neutre ni anodin.

On a vu le venin de l’Amérique – Saluons désormais Wikipédia, pionnier made in US du savoir-vivre mondial.

We’ve seen America’s vitriol. Now let’s salute Wikipedia, a US pioneer of global civility

Timothy Garton Ash – 12 janvier 2011 – Guardian.co.uk
(Traduction Framalang : DaphneK)

Malgré tous ses défauts Wikipédia, qui vient de fêter ses dix ans, est le meilleur exemple d’idéalisme à but non-lucratif qu’on puisse trouver sur Internet.

Wikipédia a eu dix ans samedi dernier. C’est le cinquième site Web le plus visité au monde. Environ 400 million de gens l’utilisent chaque mois. Et je pense que les lecteurs de cet article en font certainement partie. Pour vérifier une information, il suffit désormais de la « googliser » puis, la plupart du temps, on choisit le lien vers Wikipedia comme meilleure entrée.

Ce que cette encyclopédie libre et gratuite – qui contient désormais plus de 17 millions d’articles dans plus de 270 langues – a d’extraordinaire, c’est qu’elle est presque entièrement écrite, publiée et auto-régulée par des volontaires bénévoles. Tous les autres sites les plus visités sont des sociétés commerciales générant plusieurs milliards de dollars. Facebook, avec juste 100 millions de visiteurs en plus, est aujourd’hui évalué à 50 milliards de dollars.

Google à Silicon Valley est un énorme complexe fait de bureaux et de bâtiments modernes, comme une capitale surpuissante. On peut certes trouver des pièces de Lego en libre accès dans le foyer, mais il faut signer un pacte de confidentialité avant même de passer la porte du premier bureau. Quant au langage des cadres de Google, il oscille curieusement entre celui d’un secrétaire de l’ONU et celui d’un vendeur de voitures. On peut ainsi facilement passer du respect des Droits de l’Homme au « lancement d’un nouveau produit ».

Wikipédia, par contraste, est géré par une association à but non-lucratif. La Fondation Wikimedia occupe un étage d’un bâtiment de bureau anonyme situé au centre de San Francisco et il faut frapper fort à la porte pour pouvoir entrer. (On parle d’acheter une sonnette pour fêter les dix ans.) A l’intérieur, la fondation ressemble à ce qu’elle est : une modeste ONG internationale.

Si Jimmy Wales, l’architecte principal de Wikipedia, avait choisi de commercialiser l’entreprise, il serait sans doute milliardaire à l’heure actuelle, comme le fondateur de Facebook Mark Zuckerberg. Selon Wales lui-même, placer le site sous licence libre était à la fois la décision la plus idiote et la plus intelligente qu’il ait jamais prise. Plus que n’importe quel autre site international, Wikipedia fleure encore bon l’idéalisme utopique de ses débuts. Les Wikipédiens, comme ils aiment se définir eux-mêmes sont des hommes et des femmes chargés d’une mission. Cette mission qu’ils endossent fièrement, pourrait se résumer par cette phrase presque Lennonienne (de John, pas Vladimir) prononcée par celui que tout le monde ici appelle Jimmy : « Imaginez un monde dans lequel chacun puisse avoir partout sur la planète libre accès à la somme de toutes les connaissances humaines ».

Insinuer que ce but utopique pouvait être atteint par un réseau d’internautes volontaires – travaillant pour rien, publiant tout et n’importe quoi, sachant que leurs mots sont immédiatement visibles et lisibles par le monde entier – était, bien entendu, une idée totalement folle. Pourtant, cette armée de fous a parcouru un chemin remarquablement long en dix ans à peine.

Wikipédia a toujours de très gros défauts. Ses articles varient généralement d’un sujet ou d’une langue à l’autre en termes de qualité. En outre, beaucoup d’articles sur des personnalités sont inégaux et mal équilibrés. Ce déséquilibre dépend en grande partie du nombre de Wikipédiens qui maîtrisent réellement une langue ou un sujet particulier. Ils peuvent être incroyablement précis sur d’obscurs détails de la culture populaire et étonnement faibles sur des sujets jugés plus importants. Sur les versions les plus anciennes du site, les communautés de rédacteurs volontaires, épaulées par la minuscule équipe de la Fondation, ont fait beaucoup d’efforts afin d’améliorer les critères de fiabilité et de vérifiabilité, insistant particulièrement sur les notes et les liens renvoyant aux sources.

Pour ma part, je pense qu’il faut toujours vérifier plusieurs fois avant de citer une information puisée sur le site. Un article sur Wikipédia paru dans le New Yorker notait à ce propos la fascinante distinction entre une information utile et une information fiable. Dans les années à venir, l’un des plus grands défis de l’encyclopédie sera de réduire l’écart qui pouvant exister entre ces deux notions.

Un autre grand défi sera d’étendre le site au-delà des frontières de l’Occident, où il est né et se sent le plus à l’aise. Un expert affirme qu’environ 80% des textes proviennent du monde de l’OCDE. La fondation vise 680 millions d’utilisateurs en 2015 et espère que cette croissance sera principalement issue de régions comme l’Inde, le Brésil et le Moyen-Orient.

Pour percer le mystère Wikipédia, il ne s’agit pas de pointer ses défauts évidents, mais de comprendre pourquoi le site fonctionne si bien. Les Wikipédiens offrent plusieurs explications : Wikipédia est né assez tôt, alors qu’il n’existait pas encore autant de sites dédiés aux internautes novices, une encyclopédie traite (principalement) de faits vérifiables plutôt que de simples opinions (ce qui est monnaie courante mais aussi un des fléaux de la blogosphère), mais c’est surtout avec sa communauté de rédacteurs-contributeurs que Wikipedia a trouvé la poule aux oeufs d’or.

Par rapport à l’échelle du phénomène, la masse des rédacteurs réguliers est incroyablement faible. Environ 100 000 personnes rédigent plus de cinq textes par mois mais les versions les plus anciennes comme l’anglais, l’allemand, le français ou le polonais sont alimentés par un petit groupe de peut-être 15 000 personnes, chacune effectuant plus de 100 contributions par mois. Il s’agit en grande majorité d’hommes jeunes, célibataires, qui ont fait des études. Sue Gardner, Directrice Executive de la Fondation Wikimedia, affirme qu’elle peut repérer un Wikipédien-type à cent mètres à la ronde. Ce sont les accros du cyberespace.

Comme la plupart des sites internationaux très connus, Wikipédia tire avantage de sa position privilégiée au sein de ce que Mike Godwin, Conseiller Général chez Wikipédia jusqu’au mois d’octobre dernier, décrit comme « un havre de liberté d’expression appelé les États-Unis » Quel que soit le pays d’origine du rédacteur, les encyclopédies de toutes les langues différentes sont physiquement hébergées par les serveurs de la Fondation situé aux États-Unis. Ils jouissent des protections légales de la grande tradition américaine qu’est la liberté d’expression.

Wikipédia a cependant été remarquablement épargnée par la spirale infernale particulièrement bien résumée par la Loi de Godwin (que l’on doit au même Mike Godwin). Cette règle affirme en effet que « lorsqu’une discussion en ligne prend de l’ampleur, la probabilité d’une comparaison faisant référence au Nazis ou à Hitler est environ égale à 1 ». Ceci est en parti dû au fait qu’une encyclopédie traite de faits, mais aussi parce que des Wikipédiens motivés passent énormément de temps à défendre leurs critères de « savoir-vivre » contre les nombreuses tentatives de vandalisme.

Ce savoir-vivre – traduction française du « civilty » anglais – est l’un des cinq piliers de Wikipédia. Depuis le début, Wales soutient qu’il est possible de réunir honnêteté et politesse. Toute une éthique en ligne, une nétiquette – pardons, une wikiquette – s’est développée et mise en place autour de cette notion, donnant naissance à des abréviations telles que AGF (Assume Good Faith) qu’on pourrait traduire par « Supposez ma Bonne Foi ». Les personnes manquant de savoir-vivre sont courtoisement interpelées puis mises en garde, avant d’être exclues si elles persistent. Mais je ne suis pas en position de juger si tout ceci se vérifie dans les versions sorabe, gagaouze et samoanes du site. Wikipédia a peut-être sa part de propos déplacés, mais si une communauté a tendance à dégénérer, la Fondation a au final le pouvoir d’ôter les tirades incriminées du serveur. (Wikipédia est une marque protégée par la loi, alors que Wiki-autre-chose ne l’est pas ; D’ailleurs Wikileaks n’a rien à voir avec Wikipedia et n’est même pas un « wiki » au sens collaboratif du terme.)

Nous ne sommes toujours pas en mesure de savoir si la fusillade de Tucson, en Arizona, est le produit direct du détestable climat qui règne actuellement sur le discours politique américain, tel qu’on a pu l’entendre sur des émissions de radio et de télévisions comme Fox news. Un fou est peut-être tout simplement fou. Mais le venin servi chaque jour par la politique américaine est un fait indéniable. Pour lutter contre ce climat déprimant, il est bon de pouvoir célébrer une invention américaine qui, malgré ses défauts, tente de propager dans le monde entier une combinaison d’idéalisme bénévole, de connaissance et de savoir-vivre acharné.

Notes

[1] Crédit photo : Stig Nygaard (Creative Commons By-Sa)




Je suis amoureux de Joss Stone !

Interrogée en 2008 par la chaîne de télévision argentine Todo Noticias sur ce qu’elle pensait du « piratage » de la musique sur Internet, la pétulante chanteuse Joss Stone a eu cette réponse pleine de naturel et spontanéité.

« La musique est faite pour être partagée », rien de plus simple et de plus vrai. Et pourtant certains ne l’entendent pas de cette oreille…

Cela méritait bien un petit sous-titrage maison signé Framalang 😉

PS : Drôlement pétillants ses yeux quand même…

—> La vidéo au format webm
—> Le fichier de sous-titres

Transcript du sous-titrage

URL d’origine du document

Le journaliste : Vous êtes chanteuse et faites partie du show-business maintenant, alors que pensez-vous du piratage de musique sur Internet ?

Joss Stone : Je trouve ça génial.

Le journaliste : Génial ?

Joss Stone : Oui, j’adore ça. Je trouve ça brillant et je vais vous dire pourquoi.

La musique devrait être partagée. Je crois que la musique est devenue un business dingue. La seule chose que je n’aime pas dans la musique, c’est le business qu’il y a autour. Par contre, si la musique est gratuite, il n’y a plus de business, seulement de la musique. Donc, j’aime ça. Je crois que nous devrions partager.

Si un seul l’achète, ça me convient. Gravez-le, partagez-le entre amis, je m’en fiche. Je me fiche du moyen de l’écouter, tant que vous l’écoutez. Tant que vous venez à mon concert, et que vous prenez du bon temps en y assistant, c’est parfait. Je m’en fiche. Je suis contente qu’ils l’écoutent.

Le journaliste : Je pense que vous êtes la première chanteuse à me répondre ça.

Joss Stone : Car la plupart des gens ont subi un… lavage de cerveau.




Internet favorise l’anglicisation, la robotisation et la globalisation du monde ?

Pink Sherbet Photography - CC byUne courte traduction à la sauce « Café Philo » qui n’est là que pour engager un petit débat avec vous dans les commentaires si vous le jugez opportun.

Anglicisation, machinisation et mondialisation sont ici trois arguments qui font dire à l’auteur qu’Internet est loin d’être neutre et nous oblige implicitement ou explicitement à adopter certaines valeurs, avec toutes les conséquences que cela implique[1].

Peut-être ne serez-vous pas d’accord ? Peut-être estimerez-vous que l’on enfonce des portes ouvertes ? Peut-être ajouterez-vous d’autres éléments à la liste ?

Les commentaires vous attendent, même si il est vrai que le débat s’est lui aussi déplacé, des forums et des blogs vers les Facebook et Twitter (et en se déplaçant il a changé de nature également).

Un billet à rapprocher par exemple des articles suivant du Framablog : Code is Law – Traduction française du célèbre article de Lawrence Lessig, Internet et Google vont-ils finir par nous abrutir ?, Quand Internet croit faire de la politique ou encore notre Tag sur Bernard Stiegler.

Utiliser Internet nous force-t-il à adhérer automatiquement à certaines valeurs ?

Does the use of the internet automatically force us to accept certain values?

Michel Bauwens – 19 janvier 2011 – P2P Foundation
(Traduction Framalang : Martin et Goofy)


Ci-dessous une intervention de Roberto Verzola, extraite de la liste de diffusion « p2p-foundation » :

« Je suis assez d’accord avec Doug Engelbart, l’inventeur de la souris, quand il dit que nous façonnons nos outils, et que nos outils nous façonnent à leur tour. Il parle d’une co-évolution de l’homme et de ses outils. Nous devrions peut-être appeler cela « un déterminisme réciproque ». Quand il dit « nous façonne », je suppose que le « nous » désigne aussi les relations sociales.

E.F. Schumacher (Small is Beautiful) va plus loin encore et je suis aussi entièrement d’accord avec lui. Il écrit (dans Work) que dès lors que nous adoptons une technologie (conçue par quelqu’un d’autre probablement), nous absorbons l’idéologie (une manière de voir les choses, un système de valeurs) qui va avec. Schumacher pensait que beaucoup de technologies venaient imprégnées d’idéologies, et que ceux qui pensaient pourvoir en importer une en refoulant l’idéologie qui va avec se trompent. Cette vision met sûrement plus l’accent sur le « déterminisme technologique » que celle de Engelbart, mais je pense tout de même que E.F. Schumacher a raison, du moins pour certaines technologies.

En fait, j’ai analysé Internet avec la perspective de Schumacher, et j’y ai trouvé quelques états d’esprit et systèmes de valeurs que ses utilisateurs sont obligés d’absorber, souvent sans en prendre conscience (pour avoir la liste entière suivre ce lien). Il me suffira d’en mentionner trois :

1. L’usage généralisé de l’anglais dans les technologies liées à Internet, jusqu’aux micro-codes des microprocesseurs, nous force à apprendre l’anglais. Et si vous apprenez la langue anglo-saxonne, vous allez sûrement acquérir certains goûts anglo-saxons. Apprendre la langue, c’est choisir la culture.

2. L’esprit de robotisation : remplacer les hommes par des machines. Cela prend du sens dans un pays riche en capital (même si ça se discute), mais beaucoup moins dans un pays où le travail prévaut. Quand nous remplaçons la force musculaire par celle des machines, nous sommes en moins bonne santé. Mais que va-t-il se passer si l’on substitue des machines au travail mental ?

3. Le parti pris implicite (en fait, une subvention) en faveur des acteurs globaux, et pour la mondialisation. C’est flagrant si l’on considère la struture des coûts sur Internet : un prix indépendant des distances. Un fichier de 1 Mo envoyé à un collègue utilisant le même fournisseur d’accès à Internet coûte le même prix qu’un fichier de taille équivalente envoyé à l’autre bout du globe. Pourtant le deuxième utilise bien plus de ressources réseau (serveurs, routeurs, bande passante, etc.) que le premier. Ainsi les utilisateurs locaux paient plus par unité de consommation de ressources que les utilisateurs globaux, ce qui est une subvention déguisée à la mondialisation intégrée à Internet tel qu’il est aujourd’hui.

Devons-nous pour autant rejeter cette technologie ? La réponse de Schumacher dans les années 1970 était une technologie intermédiaire/appropriée. Aujourd’hui, Schumacher reste pertinent, seul le vocabulaire a peut-être changé. J’ajouterais que nous devons aussi être impliqués dans la re-conception de la technologie. C’est pourquoi parler d’un Internet alternatif sur cette liste m’intéresse beaucoup.

Je ne voudrais pas m’attacher à priori à une conception figée, que ce soit celle des « choses » qui déterminent les relations sociales, ou celle des relations sociales qui déterminent les « choses ». Je voudrais explorer ces perspectives au cas par cas, et utiliser toute suggestion nouvelle et utile qui pourrait se présenter, qu’elle puisse venir de l’une ou de l’autre (ou des deux). »

Notes

[1] Crédit photo : Pink Sherbet Photography (Creative Commons By)




Ils sont devenus fous ou la simple mais affligeante histoire d’un étudiant allemand

Nate Bolt - CC by-saUn étudiant allemand cherche à consulter un article référencé sur Internet. Et le cauchemar commence…

On lui indique qu’il ne peut le faire que dans une bibliothèque (publique) ayant acquis les droits sur l’article en question[1].

Il se rend à cette bibliothèque mais il doit attendre car un autre lecteur est dessus et les droits stipulent qu’on ne peut lire l’article simultanément !

Un peu de patience, la place se libère et il peut enfin parcourir son article. Et là, nouvelle stupeur, impossible de sauvegarder, rechercher, ni même copier/coller tout ou partie de l’article !

C’est une histoire démente. C’est une histoire fictive qui se rapproche chaque jour un peu plus de la réalité. Je me demande même si elle n’existe pas déjà quelque part.

Bienvenue au XXIe siècle…

Ce (faux) témoignage est issu de l’excellent livre « Biens Communs – La Prospérité par le Partage » que nous avons évoqué dans un billet précédent. Il fait tristement écho à l’article Pour libérer les sciences de Christophe Masutti. On pourra également lire avec effroi la nouvelle prémonitoire de Richard Stallman rédigée en 1997 : « Le droit de lire ».

Comment ce qui n’est pas rare le devient – Dissertation d’un étudiant sur le droit d’auteur moderne

URL d’origine du document

Extrait du rapport de Silke Helfrich, Rainer Kuhlen, Wolfgang Sachs, Christian Siefkes
Publié en décembre 2009 par la Fondation Heinrich Böll
Traduit par Jeremy Marham et Olivier Petitjean (Ritimo.org)
Sous licence Creative Commons By-Sa

Devant rédiger un devoir sur les biens communs, j’ai effectué une recherche sur Internet, laquelle fut fructueuse. J’ai pu télécharger facilement plusieurs textes et en inclure certains passages appropriés dans mon brouillon. Jusqu’à ce que mon attention soit attirée par un texte intéressant, qui était payant, c’est-à-dire qu’il ne pouvait être lu que dans une bibliothèque qui en aurait acquis les droits.

« Aucun problème, me suis-je dit, la bibliothèque universitaire est reliée au net, et son catalogue est accessible en ligne. » Et, de fait, l’article dont j’avais trouvé la référence était indiqué comme « disponible sous format électronique ». Pourtant, lorsque je tentai de le télécharger, un message d’erreur s’afficha: « Cet article n’est consultable que dans l’espace de la bibliothèque. » Je restai sans voix. Pourquoi donc ?

Je pris donc le bus jusqu’à la bibliothèque nationale – un trajet d’une petite heure – et m’orientai jusqu’aux places réservées à la consultation d’Internet. Là encore, je trouvai dans le catalogue en ligne la référence de l’article recherché.

Mais un nouveau message s’afficha à l’écran: « Le recueil recherché est actuellement consulté par un autre utilisateur. La bibliothèque n’a fait l’acquisition que d’un seul recueil et ne peut, selon le principe d’accessoriété au fonds, permettre un accès simultané qu’à autant d’articles qu’elle détient de droits sur l’édition achetée. Nous ne voyons pas dans votre cas une exception à cette règle. » À nouveau, je restai sans voix.

Je n’ai pas compris le terme «accessoriété au fonds», mais j’ai compris ce qu’il signifiait : je devais attendre !

Mais pourquoi donc ? N’avais-je pourtant pas appris récemment dans un séminaire que les ressources électroniques peuvent faire l’objet d’une utilisation non rivale ? Mon utilisation ne porte pas atteinte à celle des autres. J’ai brusquement pris conscience de ce que signifiait le fait de rendre rares et exclusives des choses comme la lecture d’un texte, qui ne devraient pas l’être selon cette théorie.

Bon, un café ne me ferait pas de mal…et, après le café, la voie était enfin libre ! Comme de toute façon l’article était plutôt long, je décidai de le sauvegarder sur ma clé USB afin de pouvoir le relire plus attentivement. «Save as». Une troisième fois, je restai sans voix. Cette fois, le message m’apprit que le texte ne pouvait pas être sauvegardé.

Contraint par la force des choses, je commençai à lire le texte. Puis je décidai de rechercher les passages comprenant les termes « commons » et « bien commun », qui m’intéressaient plus particulièrement. Résultat : « Aucun passage trouvé ». Étrange, c’est pourtant le sujet de l’article ! Je testai avec un mot courant de tous les jours : « Aucun passage trouvé ». La fonction de recherche en plein texte ne fonctionnait pas.

À bout de nerfs, je décidai de ne copier qu’une seule phrase importante, que je souhaitais citer, dans le presse-papiers et de la coller ensuite sur ma clé. Encore une fois, un message d’erreur apparut, où je trouvai finalement l’indication décisive: « Il s’agit d’un PDF protégé par un système de gestion des droits numériques ou digital rights management (DRM). Tous les droits appartiennent à la maison d’édition. Vous ne pouvez lire l’article qu’à l’écran. Vous avez le droit de prendre des notes. »

Je ne m’attendais pas à une telle mesure technique de protection dans une bibliothèque publique. Pour moi, cela signifiait soit que je devais passer les deux heures suivantes devant l’écran pour prendre des notes, comme c’était l’usage à l’époque de Gutenberg, soit que je quittais la salle de lecture en décidant que l’article en question n’avait pas assez importance. Je rejetai d’emblée la troisième possibilité consistant à acheter l’article en ligne à l’éditeur pour 30 euros, d’autant que je n’aurais reçu, même dans ce cas, qu’une licence pour mon usage personnel sur mon propre ordinateur.

Ah oui, et le message d’erreur ajoutait que le système de DRM était « dans mon propre intérêt »…

J’ai renoncé à l’article, mais je voulais tout de même au moins savoir la raison de tout ceci. J’avais toujours associé les questions de droits d’auteur et de copyright aux débats sur l’utilisation de la musique, des vidéos, des jeux ou de la littérature de divertissement. Mais la recherche, l’enseignement, les études ? Je me rappelai alors l’article 5 de la Loi fondamentale allemande :

(1) Chacun a le droit d’exprimer et de diffuser librement son opinion par la parole, par l’écrit et par l’image, et de s’informer sans entraves aux sources qui sont accessibles à tous…

(3) L’art et la science, la recherche et l’enseignement sont libres…

Une bibliothèque publique, ayant fait l’acquisition contre paiement des ouvrages qui y sont disponibles, est accessible à tous, mais je n’y ai pas bénéficié d’un accès libre. Et aurais-je mal compris également le passage concernant la liberté de la science ?

J’appris par la suite, en évoquant cette expérience avec mon professeur, que les droits énumérés dans la Loi fondamentale et ceux qui sont explicitement formulés dans une loi avec des restrictions éventuelles sont deux choses totalement différentes. Mon cas tombait sous la juridiction du droit des auteurs, lequel protège avant tout l’auteur, ou celui qui aurait acquis les droits de celui-ci dans le but de publier et exploiter ses ouvrages.

Certes, il existe bien sûr, afin de garantir l’intérêt public, certaines limites aux droits des auteurs ou des exploitants, qui pourraient permettre l’utilisation pleine et entière de documents électroniques dans les bibliothèques sans avoir à en demander la permission aux ayant droits. Mais seulement lorsque le législateur en dispose ainsi !

Et pourquoi n’est-ce pas le cas en l’occurrence ? Mon professeur me renvoya au paragraphe 52b de la loi sur les droits d’auteur, qui réglemente la « consultation d’ouvrages au moyen de postes de lecture électroniques dans les bibliothèques … » J’y trouvai toutes les dispositions législatives qui m’avaient empêché de travailler à la bibliothèque comme je suis habitué à le faire avec Internet. À vrai dire, je ne comprends pas. Pourquoi nos parlementaires adoptent-ils une loi qui rend l’accès à l’information et au savoir pour les étudiants et les professeurs plus difficile qu’au temps de Gutenberg ? D’autant plus que ce savoir est généralement produit grâce à des financements publics. Il me semble que cela mériterait un recours pour inconstitutionnalité.

En tout cas, j’ai trouvé le sujet de mon devoir :

Ce qui est dans le domaine public ou ce qui est financé par les deniers publics doit rester accessible à tous.

Notes

[1] Crédit photo : Nate Bolt (Creative Commons By-Sa)




À lire et à faire lire : Biens Communs – La Prospérité par le Partage

Ed Yourdon - CC by-saEn avril dernier nous mettions en ligne un remarquable article de Silke Helfrich « Les biens communs ou le nouvel espoir politique du XXIe siècle ? ». Cette fois-ci nous avons le plaisir de relayer l’annonce de la traduction française d’un rapport d’une cinquantaine de pages sur ces fameux Biens communs, où l’on retrouve Silke Helfrich parmi les nombreux auteurs de cet ouvrage collectif. Il a pour titre « Biens Communs – La Prospérité par le Partage » et il est naturellement placé sous licence libre Creative Commons By-Sa.

Nous avons déjà eu l’occasion de dire que nous pensions que « les Biens communs seront à n’en pas douter non seulement l’un des mots clés de ces temps nouveaux qui s’offrent à nous, mais aussi, si nous le voulons bien, l’un des éléments moteurs et fédérateurs des politiques progressistes de demain ». Ce rapport est une pièce important à verser au dossier, tellement importante que d’aucuns pourraient presque y voir une sorte de manifeste pour les générations à venir[1].

Il n’est pas toujours aisé de définir avec précision ce que sont les Biens communs, d’ailleurs ceci fait l’objet d’un chapitre dédié en guise de préambule. Mais à chaque fois que l’on tente d’en dresser une liste, les logiciels en font partie, à la condition d’être libres. On ne s’étonnera donc pas qu’ils soient souvent cités ici.

Il est également dit que « les biens communs ont besoin d’hommes et de femmes qui soient prêts à les défendre et qui s’en sentent responsables ». Aussi modeste soit notre contribution, nous en sommes 😉

Vous trouverez le rapport en version PDF en suivant ce lien. Et pour vous donner plus encore envie de le lire (ce qui implique le dur sacrifice de devoir laisser au repos son compte Twitter pendant une petite heure), nous en avons reproduit ci-dessous la quatrième de couverture, l’introduction et la conclusion.

Remarque : Le document est agrémenté de citations comme, par exemple, celle-ci de Benni Bärmann que je soumets à votre sagacité : « Les biens communs plairont aux conservateurs par leur dimension de préservation et de communauté, aux libéraux par la mise à distance de l’État et l’absence d’incompatibilité avec le marché, aux anarchistes par la mise en avant de l’auto-organisation, et aux socialistes et communistes par l’idée de propriété commune sous contrôle collectif. »

Biens Communs – La Prospérité par le Partage (extraits)

URL d’origine du document (dans son intégralité)

Un rapport de Silke Helfrich, Rainer Kuhlen, Wolfgang Sachs, Christian Siefkes
Publié en décembre 2009 par la Fondation Heinrich Böll
Traduit par Jeremy Marham et Olivier Petitjean (Ritimo.org)
Sous licence Creative Commons By-Sa

Quatrième de couverture

Ce sont de grands inconnus, et pourtant nous vivons tous grâce à eux. Ils sont au fondement même de notre vie collective. Ce sont les biens communs. L’air, l’eau, les savoirs, les logiciels et les espaces sociaux. Et bien d’autres choses qui rendent possible la vie quotidienne et le bon fonctionnement de l’économie.

De nombreux biens communs sont cependant menacés – ils sont ôtés à la collectivité, commercialisés, détruits de manière irréversible. Au lieu de cela, ils devraient être cultivés et développés.

Nous avons besoin d’une nouvelle conscience de l’importance de ces « choses qui nous sont communes ». Sans eux, il n’y a en effet pas de bien-être et pas de prospérité possibles. Les biens communs ont besoin d’hommes et de femmes qui soient prêts à les défendre et qui s’en sentent responsables.

De nombreux problèmes de notre époque pourraient être résolus si nous dirigions l’énergie et la créativité dont nous disposons vers ce qui fonde notre richesse, ce qui fonctionne, et ce qui aide les hommes et les femmes à développer leur potentiel.

Ce rapport vise précisément à mettre ces choses, ainsi que les principes d’une «production par les pairs basée sur les biens communs», au centre de l’attention publique.

Objet de ce rapport

Ce que l’on appelait traditionnellement res communes – les choses qui nous appartiennent en commun – a été sinon oublié, du moins supplanté par les res privatae organisées par le marché, ainsi que par les res publicae mises à disposition par l’État. Elles sont dès lors traitées comme des res nullius, c’est-à-dire des « choses de personne ».

L’air et l’eau sont de parfaits exemples de biens communs qui, malgré leur importance, partagent bien souvent le triste sort des « choses de personne », de ces choses dont personne ne s’occupe. Les conséquences catastrophiques pour nous tous d’un tel état de fait se manifestent aujourd’hui de toute part.

Les « biens communs » – res communes, ou encore « commons » en anglais – ne sont pas des biens « sans maître ». Ils ne peuvent pas et ne doivent pas être utilisés à n’importe quelle fin, et encore moins détruits. Chacun de nous peut légitimement faire état de droits sur eux. Les biens communs sont les choses qui nous nourrissent, qui nous permettent de communiquer ainsi que de nous déplacer, qui nous inspirent et qui nous attachent à certains lieux– et dont, de manière tout aussi significative, nous avons besoin pour déverser nos gaz d’échappement et nos eaux usées.

La conception classique de la propriété, comprise en premier lieu comme droit de l’individu, acquiert une nouvelle dimension si l’on prend conscience de l’existence d’un droit collectif sur les biens communs.

  • Quelles sont les conséquences d’une redéfinition des terres comme biens communs ?
  • Qu’advient-il de l’espace public lorsqu’il n’est plus possible de le privatiser à volonté par la publicité, les décibels, les voitures ou les parkings ?
  • À quoi ressemblerait une société où l’utilisation libre des biens relatifs à laconnaissance et la culture serait devenue la règle, et leur utilisation commerciale l’exception ?
  • Quelles sont les règles et les institutions qui encouragent un rapport riche de sens aux biens communs ?

Ces questions ne sont débattues ni sur le plan théorique ni sur le plan de leurs conséquences politiques, sociales ou économiques.

Nous avons voulu dans ce rapport étudier le potentiel des biens communs lorsqu’ils sont utilisés de manière appropriée et durable. Nous y examinons les facteurs qui menacent leur existence. Nous y montrons quelles sont les règles qui ont fait leurs preuves dans certaines situations, et quelles sont celles qui doivent être entièrement repensées. Dans les pages qui suivent, nous partageons avec vous nos réflexions et nos expériences.

Les biens communs ne sont pas tous similaires, pas plus que les habillages institutionnels nécessaires pour transformer des ressources existantes en biens communs sécurisés. La remise du prix Nobel d’économie 2009 à la théoricienne des biens communs Elinor Ostrom a attiré l’attention du monde entier sur les questions discutées ici. L’approche théorique du juriste Yochai Benkler, avec le motif d’une « production par les pairs basée sur les communs » (commons-based peer production) qu’il met en avant, est elle aussi stimulante.

Il faut renforcer les biens communs, au-delà et de manière complémentaire au marché et à l’État. Chacun est appelé à assumer ses responsabilités en tant que copossesseur des « choses qui nous sont communes », afin d’en tirer davantage de liberté et de communauté. Les biens communs ont besoin d’hommes et de femmes, non seulement de marchés, d’aides gouvernementales ou de régulation étatique. La richesse qui se dispense à travers les biens communs doit être partagée de manière nouvelle et équitable dans toutes les sphères de notre vie.

Pour conclure : une vision

Nous avons besoin de changement, et nous connaissons la direction à emprunter. De nombreuses personnes sont déjà en chemin.

Ce rapport démontre que l’idée des biens communs peut faire nconverger différents mouvements. Voilà leur point fort.

Elle permet de rassembler en une stratégie commune la diversité des expériences pratiques et des projets, sans pour autant renoncer à la diversité des perspectives et des idéologies.

  1. Nous pouvons directement vouer notre énergie, nos institutions et nos talents aux biens communs et à ce qui constitue leur essence: la diversité de la vie.
  2. Nous pouvons nous demander systématiquement, à propos de tout projet, de toute idée ou de toute activité économique, s’il apporte plus aux communautés, à la société et à l’environnement qu’il ne leur retire.
  3. Nous pouvons reconnaître et soutenir matériellement en priorité les activités qui génèrent, entretiennent ou multiplient des biens à la libre disposition de tous.
  4. Nous pouvons faire en sorte que la participation collective et équitable aux dons de notre Terre ainsi qu’aux réalisations collectives du passé et du présent soit institutionnalisée et devienne la norme.
  5. Nous pouvons recourir à des processus décisionnels, des moyens de communication et des technologies transparents, participatifs et libres, ainsi que les améliorer.
  6. Nous pouvons inverser la tendance actuelle: en nous fixant des limites et en utilisant de manière durable les ressources naturelles, mais en étant prodigues en matière de circulation des idées. A insi nous bénéficierons au mieux des deux.
  7. Nous pouvons trouver des moyens intelligents de promouvoir la progression de tous, au lieu de nous concentrer exclusivement sur l’avancement individuel.

Lire le rapport « Biens Communs – La Prospérité par le Partage » dans son intégralité …

Notes

[1] Crédit photo : Ed Yourdon (Creative Commons By-Sa)




L’accueil, le Sud et la défense d’Internet : des défis majeurs à venir pour Wikipédia

Enokson - CC byL’extraordinaire encyclopédie libre Wikipédia a 10 ans et c’est naturellement l’occasion de faire des bilans.

Nous avons préféré ici nous projeter dans l’avenir en compagnie de Sue Gardner, à la tête de la Wikimedia Foundation depuis 2007 (dont Jimbo Wales en personne nous dit que le recrutement fut certainement « l’une des meilleures décisions que nous ayons jamais prise au cours de cette première décennie »).

L’accueil[1] et la diversification de nouveaux éditeurs, l’ouverture au monde et tout particulièrement vers « le Sud » et son utilisation croissante des terminaux mobiles, mais aussi l’inquiétude (ô combien partagée) de l’émergence de lois potentiellement liberticides pour Internet et de ce que pourrait faire ensemble les Wikipédiens pour le défendre, sont quelques uns des thèmes abordés ici.

Rendre Wikipédia plus accueillant : un véritable défi

The battle to make Wikipedia more welcoming

Olivia Solon – 10 janvier 2011 – Wired.co.uk
(Traduction Framalang : Olivier Rosseler, Martin et Goofy)

L’un des défis majeurs pour Wikipedia est d’étendre sa base de collaborateurs. Ce ne sont pas les volontaires qui manquent, le problème vient plutôt de l’accueil pas très chaleureux qui est réservé aux novices. Sue Gardner, directrice exécutive de la fondation Wikimédia, annonce des mesures pour y remédier, dans une interview donnée à Wired.co.uk.

Le profil du contributeur de Wikipédia moyen, pour sa version anglaise est le suivant : homme (88%), jeune (pas encore tout à fait trentenaire), féru de technique, disposant d’une bonne éducation et qui habite dans l’hémisphère nord. Pour cette raison, les centres d’intérêt de l’encyclopédie tournent plus autour de l’informatique, de l’astronomie ou de la culture populaire qu’autour de l’agriculture, de l’art au moyen-âge ou de la linguistique, par exemple.

Afin de corriger ce déséquilibre, et pour élargir sa base de contributeurs et la rendre plus représentative de la population mondiale, Wikipédia est sur le point de lancer une campagne d’accompagnement des novices pour leurs 100 premières éditions. Cela implique de se pencher sur l’ergonomie du site, mais il s’agit surtout de s’assurer que les contributeurs chevronnés se montrent plus accueillants pour les nouveaux éditeurs.

Sue Gardner, directrice générale (NdT : Executive Director) de la fondation Wikimedia, se confie à Wired.co.uk : « Les Wikipédiens ne se montrent pas toujours très compréhensifs avec les nouveaux arrivants qui ne maîtrisent pas encore tout à fait l’outil et les règles. On parle beaucoup de « septembre sans fin » (NdT : endless September) – un terme inventé par Dave Fisher pour décrire le débarquement annuel d’étudiants qui se créaient leur premier adresse mail aux débuts d’Internet – et lorsque je suis entrée chez Wikimédia, l’idée de recruter de nouveaux contributeurs rencontrait énormément de résistance. »

« Les contributeurs de Wikipédia veulent que l’encyclopédie soit de très bonne qualité, et ils ne voient donc pas forcément d’un bon œil l’arrivée de personnes qui n’en connaissent pas les valeurs et les processus de publication. Il n’y avait pas une bonne perception de ce que pouvaient apporter de nouveaux éditeurs. »

Les contributeurs mystérieux

Après deux ans de discussions internes, les choses sont en train de changer. Une évolution majeure a été réalisée quand des contributeurs expérimentés ont mené une expérience en se faisant passer pour des contributeurs anonymes pour voir comment leurs modifications étaient reçues. Ils ont pu constater qu’elles avaient été annulées ou supprimées même si leurs contributions étaient d’aussi bonne qualité que celles faites en leur nom. On ne prenait même, en général, pas la peine de leur expliquer pourquoi elles étaient effacées.


Gardner ajoute : « je pense que maintenant nous comprenons le problème, mais il nous reste à évaluer notre gestion des 100 premières contributions, qui sont si cruciales. ».

Ils projettent de modifier l’interface, pour la rendre plus accueillante, avec plus de messages encourageants. Contrairement à d’autres sites où le contenu est généré par les utilisateurs, Wikipédia a toujours évité de contacter ses utilisateurs par e-mail. Mais envoyer des messages comme « Untel a apporté des modifications à l’article que vous avez rédigé » ou « Vous avez édité cet article, peut-être voudriez-vous également éditer celui-ci » renforcerait peut-être l’adhésion au site des nouveaux utilisateurs.

Mais au-delà des modifications de l’interface, la communauté tente d’inciter ses contributeurs actifs à être plus accueillants. Le but est de les encourager à adopter le même comportement avec les anciens qu’avec les novices.

« On ne peut pas vous assurer de ne pas rencontrer de méchanceté sur Wikipédia, mais il nous faut encourager les discussions constructives, » nous dit Gardner.

L’un des plus gros défis de Wikimédia est d’encourager les contributions du « Sud » (au sens économique). Fruit d’une année de discussions collaboratives, la stratégie établie est de mettre l’accent sur les pays moins développés économiquement.

Actuellement, la version anglaise de Wikipédia compte le plus grand nombre d’articles (plus de 3 500 000), viennent ensuite la version allemande, puis la version française, avec plus d’un million d’articles chacune. On dénombre quasiment 300 versions de Wikipédia dans d’autres langues, qui affichent entre un et 750 000 articles. Il y a environ 67 000 articles en Hindi, 55 000 en Urdu et 21 000 en Swahili, par exemple.

2011 verra l’ouverture du premier bureau hors des États-Unis, en Inde. Ce sera la première initiative de « plusieurs tentatives d’incursion dans des parties du monde où les contributeurs et les utilisateurs potentiels sont nombreux, mais ces possibilités sont encore bridées » d’après Gardner. L’amérique latine et les pays arabophones sont les prochains sur la liste.

Wikipédia souhaite recruter de nouveaux éditeurs, mieux faire connaître ses besoins, faciliter techniquement l’édition et accélérer le site. L’idée est d’éviter que Wikipédia ne soit une encyclopédie rédigée par des gens uniquement dans les pays riches.

Pour corriger ce déséquilibre géographique, il faudra travailler sur l’énorme barrière que représente l’interface pour mobiles. Dans les pays en voie de développement, la majorité des personnes accède au Web grâce à leur mobile. Même si Wikipédia est optimisée pour être lue sur un téléphone portable, contribuer à l’encyclopédie à partir d’un mobile reste très difficile. Il y a bien une éditrice de la version indonésienne de Wikipédia qui y parvient grâce à un clavier externe connecté à son téléphone, mais « ça à l’air extrêmement laborieux », d’après Gardner.

Elle s’interroge : « La question préalable demeure : est-il possible de créer une interface d’édition ergonomique sur téléphone portable ? »

Une autre menace se fait de plus en plus sentir : l’instabilité des lois. Actuellement, aux États-Unis, Wikipédia est protégée des poursuites si un contributeur met en ligne quelque chose de diffamatoire par le Communications Decency Act. Sans ce régime de responsabilité favorable, il serait presque impossible pour Wikipédia de maintenir son modèle d’encyclopédie rédigée par les utilisateurs.

Gardner dit : « Nous devons sans cesse nous faire entendre pour définir ce qu’Internet doit être à nos yeux. Dans les premières années, le pouvoir législatif s’est contenté d’observer son développement, mais maintenant il veut de plus en plus avoir son mot à dire. »

Elle se dit inquiète des interventions de plus en plus fréquentes des gouvernements qui censurent le Web à l’échelle nationale, comme l’Australie qui a mis en place une liste noire des sites interdits à ses concitoyens ou encore comme le Royaume-Uni, en la personne de Ed Vaizey, qui demande aux fournisseurs d’accès de se montrer plus stricts sur le pornographie pour combattre l’exposition trop précoce des enfants au sexe (NdT : Elle aurait également pu citer la France avec sa loi LOPPSI 2 !).

« Au début, on pensait qu’Internet ne connaîtrait pas de frontières. Mais on se rend de plus en plus compte que d’un pays à l’autre, la manière de l’utiliser diffère fortement. J’aimerais vraiment que les Wikipédiens aient voix au chapitre sur ce point ». Elle cite l’expérience d’eBay Main Street Initiative, le volet « local » du site d’e-commerce qui informe les vendeurs des projets législatifs qui pourraient les concerner, comme modèle à imiter. Ils encouragent ainsi les vendeurs sur eBay à faire pression sur le gouvernement lorsque leurs intérêts sont menacés. Ils les incitent à écrire des lettres, à envoyer des e-mails ou encore à appeler leurs élus lors des débats importants.

« J’aimerais que les Wikipédiens s’engagent de cette manière afin d’influencer le développement d’Internet. » ajoute-t-elle.

À quoi donc ressemblera Wikipédia dans 10 ans ? « J’aimerais qu’elle soit plus complète, qu’elle soit plus dense. La version anglaise est vraiment impressionnante, mais la variété de son contenu réflète malheureusement la catégorie sociale prédominante des éditeurs. J’aimerais au contraire que, pour toutes les langues, le contenu bénéficie des connaissances et du savoir de toute la population. »

Notes

[1] Crédit photo : Enokson (Creative Commons By)




Où est le bouton « J’aime pas » Facebook ?

ZuckRépondons sans attendre à la question du titre. Vous trouverez la version française du bouton « J’aime pas » Facebook, ci-dessous, sur le Framablog ! Explications…

Il aurait pu faire comme Le Monde et désigner Julian Assange mais non, le célèbre hebdomadaire américain Time Magazine a choisi le fondateur de Facebook Mark Zuckerberg comme Personnalité de l’année 2010.

Et cette décision est restée un peu en travers de la gorge de la Free Software Foundation, qui du coup vous propose une contre-offensive en détournant ce pernicieux espion traceur que représente le bouton Facebook « J’aime », qui pullule déjà sur d’aussi naïfs que nombreux sites.

Bouton que notre ami Poupoul2 s’est fait un plaisir d’adapter à notre langue et que vous trouverez en pièce-jointe (au format .SVG) à la fin de la traduction du billet de la FSF expliquant et justifiant cette action.

À partager et diffuser sans modération si affinités dans la démarche.

J'aime pas Facebook

Mark Zuckerberg, personnalité de l’année selon TIME Magazine ? Où est le bouton « J’aime pas » ?

Mark Zuckerberg is TIME Magazine’s Person of the Year? Where’s the “dislike” button?

Matt Lee et John Sullivan – 4 janvier 2011 – FSF.org
(Traduction Framalang : Julien et Antistress)

TIME Magazine fait l’éloge de Mark Zuckenberg pour avoir créé un système qui a interconnecté les gens du monde entier.

Malheureusement, les conditions sous lesquelles il prétend avoir réalisé cela a créé un épouvantable précédent pour notre avenir — s’agissant de la maîtrise des logiciels que nous utilisons pour interagir avec les autres, du contrôle de nos données et de notre vie privée. Les dégâts ne sont pas limités aux utilisateurs de Facebook. Parce que tant de sites — y Compris TIME — utilisent le bouton Facebook « J’aime » de traçage des internautes, Zuckerberg, est capable de collecter des informations sur des personnes qui ne sont même pas utilisatrices de son site. Ce sont des précédents qui entravent notre capacité à nous connecter librement les uns aux autres. Il a créé un réseau qui est avant tout une mine d’or pour la surveillance gouvernementale et les annonceurs publicitaires.

Tout cela est bien connu s’agissant du comportement du site Facebook lui-même et de ses relations avec l’extérieur — mais les choses pourraient s’avérer en fait bien pires. Les utilisateurs de Facebook ne se connectent pas directement entre eux. Ils parlent à M. Zuckenberg qui commence par enregistrer et stocker tout ce qui est dit, et, alors seulement, le transmet éventuellement à l’utilisateur destinataire, si ce qui est dit lui convient. Dans certains cas, il ne le fait pas — comme en sont témoins les récents comptes-rendus montrant que le service de messagerie de Facebook bloque des messages en se basant sur les mots et liens qu’ils contiennent, parce que ces liens pointent vers des services que Facebook préférerait que l’on évite de mentionner.

Heureusement, il y a de nombreux efforts en cours pour fournir des services distribués, contrôlés par l’utilisateur, permettant de faciliter la mise en relation entre les gens, dont GNU social, status.net, Crabgrass, Appleseed et Diaspora. Ces services n’auront pas les mêmes types de problèmes parce qu’à la fois le code permettant le fonctionnement du réseau et les données échangées seront entre les mains des gens qui communiquent.

Ces efforts finiront par être couronnés de succès. Nous espérons que, lorsque ce sera le cas, TIME réparera son erreur d’appréciation en décernant le titre de la Personnalité de l’année avec plus de discernement.

Not Facebooked Me - FSF

Copiez et collez ce code dans votre propre site :

<a href="http://www.fsf.org/fb"><img src="http://static.fsf.org/nosvn/no-facebook-me.png" alt="Not f'd — you won't find me on Facebook" /></a>

En attendant, vous pouvez encourager les gens à ne pas se connecter à Zuckenberg lorsqu’ils croient qu’ils se mettent en rapport avec vous, en plaçant ce bouton sur votre blogue ou site web, avec un lien vers la méthode que vous préférez qu’ils utilisent pour vous contacter directement — peut-être votre compte sur identi.ca ou tout autre serveur status.net.

Sinon, vous pouvez faire pointer un lien vers ce billet ou tout autre article qui souligne les problèmes avec Facebook, tel que « Des amis tels que ceux-ci… » (NdT : dont il existe une traduction en français) de Tom Hodgkinson, ou les ressources disponibles sur http://autonomo.us — en particulier la « Déclaration sur la Liberté et les Services Réseaux de Franklin Street » (NdT : nommée d’après l’adresse des bureaux de la FSF à Boston).

Notre bouton n’est évidemment pas relié à une quelconque base de données de surveillance ou autre système de traçage.

Téléchargez notre bouton « J’aime pas » et ajoutez le à votre site web, ou imprimez vos propres autocollants.

Tous les boutons sont mis à disposition sous la licence Creative Commons Paternité – Partage des Conditions Initiales à l’Identique (CC BY SA).

Vous êtes libre de modifier les boutons, mais veuillez garder la mention des créateurs originaux intacte, et assurez-vous que vos boutons soient sous la même licence.

Vous ne me trouverez pas sur Facebook




Citation de Lessig à propos de la Free Software Foundation de Stallman

Il y a un an, Lawrence Lessig, qu’on ne présente plus (sinon un coup de Wikipédia et ça repart), rendait en vidéo un bel hommage à la Free Software Foundation (FSF) de Richard Stallman, dans le cadre de sa campagne de soutien[1].

Nous avons choisi d’en traduire un court passage jugé particulièrement fort et significatif.

Le monde se numérise à une vitesse telle que l’on n’a parfois même pas le temps de penser aux enjeux et conséquences de cette numérisation. Fort heureusement il existe quelques boussoles qui évitent de totalement nous perdre…

“The Free Software Foundation and Richard Stallman’s work represents the most important work for freedom that this culture (the American culture) has seen in many many generations, because it takes the idea of freedom and it removes it from the ivory tower and it removes it from lawyers and places it in a community—a technology community—that is one of the most important communities defining the contours of freedom that most people in our culture—and increasingly around the world—will know.”

Ce qui pourrait donner :

« Les activités de la Free Software Foundation et de Richard Stallman constituent pour la liberté le travail le plus important qu’ait vu cette culture, la culture américaine, depuis plusieurs générations. En effet, la Fondation s’empare de l’idée de liberté et la sort de sa tour d’ivoire, elle la soustrait à la chasse gardée des juristes, et la plonge au cœur d’une communauté – de nature technologique – qui est l’une des mieux à même de définir les contours de la liberté telle que vont la connaître la plupart des gens, dans notre société et dans le monde entier. »

Notes

[1] J’en profite pour signaler que la Free Software Foundation a toujours besoin de nous.