Entretien avec Philippe Scoffoni

Philippe Scoffoni - CC byAu fil de mes lectures sur le Web et de mes heures passées à scruter mes flux RSS pour alimenter en liens le canal identi.ca de Framasoft, un nom est apparu de plus en plus régulièrement dans les billets en français que je sélectionnais.

Il s’agit de Philippe Scoffoni, qui depuis quelque temps anime Philippe.Scoffoni.Net, site d’actualités et de réflexion sur les « Logiciels Libres, l’Open Source et technologies ouvertes », que l’on retrouve également sur le très dynamique Planet Libre.

J’apprécie particulièrement le soin apporté à la rédaction des billets et au choix des sujets, qu’il traite en profondeur, avec méticulosité… et humour.

Philippe a donc accepté ici de se prêter au jeu pas forcément évident de l’interview par mails interposés. Il est d’ailleurs possible que ce billet inaugure une future rubrique, car nous espérons à l’avenir offrir notre tribune à d’autres acteurs du libre, francophones ou non, développeurs et/ou blogueurs.

Si vous ne connaissez pas le site de Philippe, allez y jeter un coup d’œil, ça vaut le coup. Si vous le connaissez, vous apprécierez sans doute d’en savoir un peu plus sur l’auteur[1] de ce jeune site très prometteur.

Petit « framapapotage » au coin du modem, donc…

Let’s talk with : Philippe Scoffoni

Présentation

Don Rico : Pour commencer, peux-tu nous en dire un peu plus sur toi ?

Philippe Scoffoni : Côté état civil, je viens de passer la quarantaine gaillardement, je suis marié, j’ai deux filles, un lapin et deux poissons rouge :-) !

Côté cursus personnel, j’ai une formation d’ingénieur en informatique faite au centre universitaire de Sciences et techniques de Clermont-Ferrand en 1992. Je suis plutôt un généraliste de l’informatique.

J’ai travaillé principalement pour deux sociétés :

  • 8 ans chez un éditeur/intégrateur de logiciels dans le domaine de la GED/GRC/CTI (Gestion Electronique de Documents/Gestion de la relation Clients/Couplage Téléphonie Informatique). C’était une petite structure d’une quarantaine de personnes, j’étais donc plutôt multi-casquette (avant-vente, développement produit, intégration client).
  • Depuis 6 ans je travaille comme Responsable Informatique pour une société de service de 250 personnes dont je gère l’informatique interne.

Quand et comment es-tu venu au libre et à GNU/Linux ?

J’ai commencé à mettre en œuvre des logiciels libres pour mon travail il y a 6 ans. Auparavant j’utilisais exclusivement du logiciel propriétaire.

En cherchant une solution pour mettre en place un intranet, j’ai découvert SPIP, qui fut le premier logiciel libre que j’ai réellement utilisé. Après, ce fut un peu un engrenage, j’ai utilisé des distributions comme la Red Hat 8 puis Debian 3 pour déployer des applications Web et de la messagerie. J’ai suivi l’évolution des distributions, mais en restant plutôt sur la partie serveur et les applications Web développées en PHP/MySQL.

Côté poste de travail, j’ai commencé avec la distribution Fedora 4, puis je suis passé à Ubuntu avec sa version 6.

En résumé, je dirais que je suis venu aux logiciels libres pour des raisons essentiellement pragmatiques, pour les avantages qu’ils peuvent procurer. Bien sûr, depuis j’ai découvert tous les principes et idéaux qui se « cachent » derrière ce concept et pour lesquels j’ai un grand respect.

Mais je reste quand même un pragmatique dans le sens où je privilégierai toujours les choix qui me permettent de répondre aux besoins de mes utilisateurs, même si pour cela je dois utiliser un logiciel propriétaire. Au-delà du logiciel libre il y a aussi les formats et protocoles ouverts qui sont importants.

On te retrouve sur plusieurs Planets. Qu’est-ce qui t’a poussé à te lancer dans un blog personnel plutôt que participer à un projet déjà existant ?

Pour faire simple, on va dire que je sortais d’une expérience collective qui n’a malheureusement pas très bien fonctionné. Cela n’avait d’ailleursaucun rapport avec le logiciel libre. C’est donc un peu en réaction à cela que j’ai lancé mon site (désolé, mais je n’aime pas le mot blog 😉 ). Mais je n’exclus pas de participer à d’autres sites à l’avenir.

Le libre sur le Web francophone

Tu apportes un grand soin à ton blog, tant sur le fond que sur la forme. La blogosphère francophone tient-elle la route, d’après toi ?

Il y a de tout, des sites de qualité, des rigolos, des mauvais. Se demander si elle tient la route n’a pas forcément grand sens. Internet est un média de masse. On pourra lui reprocher un certain conformisme et des attitudes de mimétisme auquel il est parfois difficile d’échapper.

Je lis beaucoup de sites anglo-saxons, mais c’est plus pour chercher un autre point de vue que ce que l’on peut lire en France. Leur approche du Free Software est différente, plus orientée business qu’en France, où l’on est plus sur des postures idéologiques.

Que penses-tu du traitement de l’actualité GNU/Linux et Open Source sur le Web ?

Je trouve qu’il n’y a pas assez de blogs qui traitent du logiciel libre dans le cadre des entreprises. Je fais abstraction des magazines pros. Je ne parle pas ici de techniques ou de tutoriels, mais plus de réflexion par rapport à l’utilisation des logiciels libres en entreprise, sur leur mise en place, les avantages, les inconvénients, etc… Mais c’est un jugement qui m’est propre, car cela correspond à mes attentes et pas forcément à celles de tout le monde.

Framasoft, qu’est-ce que ça t’évoque ?

Ma jeunesse :-) ! C’est pour moi le site référence pour celui qui veut découvrir la diversité des logiciels libres. C’est par ce site que j’ai découvert et fait mes premiers pas dans l’univers des logiciels libres.

GNU/Linux et le libre

Quels logiciels affectionnes-tu le plus ? As-tu une application fétiche ?

Une ? Non plusieurs : mon navigateur, mon logiciel de messagerie et depuis quelques mois mon client de micro-blogging, soit respectivement Firefox, Thunderbird et Gwibber.

Quel est, à ton sens, la plus belle réussite du libre ?

C’est celle d’avoir offert une alternative au modèle traditionnel des logiciels propriétaires et d’avoir permis quelques belles réussites dans le cadre de l’adoption de formats « ouverts ». Car, au-delà des logiciels, je pense que les formats de données et les protocoles sont la clef de notre liberté de choix.

Selon toi, quel est le projet libre le plus prometteur ?

Difficile de choisir, il y en a tellement. Forcément, il y a le projet Mozilla et Firefox qui a su bousculer une hiérarchie que l’on croyait inébranlable. Firefox est un très bon cheval de Troie pour permettre une bascule de Windows à une distribution Gnu/Linux.

Dans les projets plus récents, j’attends de voir ce que peuvent donner les initiatives de normalisation autour du cloud-computing et notamment celles qui touchent à la définition de formats et de protocoles ouverts pour cette technologie. Mais pour l’instant il y a au moins trois initiatives différentes (Distributed Management Task Force, l’Open Cloud Consortium et l’Open Cloud Manifesto) et j’ai peur que cet éparpillement ne mène hélas pas à grand chose.

Sinon, il y a le GroundOS sur lequel Framablog a attiré mon attention. Mais la sortie de la bêta a été repoussée en juin. Je suis assez impatient de voir de quoi il retourne.

Y a-t-il une personnalité du libre que tu admires particulièrement ?

Pas vraiment, le Logiciel libre est une œuvre collective. Bien sûr, il y a des leaders, des personnes plus charismatiques que d’autres. Personnellement je préfère tirer un coup de chapeau à tous ces inconnus qui font vivre le logiciel libre par leur activité souvent anonyme.

J’essaie d’aller à leur rencontre en proposant des interviews sur mon site. La semaine dernière il s’agissait de deux développeurs français travaillant sur Frugalware.

Ce sont ces gens-là que j’admire.

Si je devais absolument citer un nom je donnerais celui de Chris Anderson l’inventeur de l’expression la Longue traîne encore qu’il ne soit pas lié directement à l’univers du Libre. Il s’intéresse au modèle du « Gratuit ». Je sais que le logiciel libre n’est pas gratuit. Mais j’aime bien mettre en parallèle ses analyses avec ce qui se passe dans le monde de l’Open Source.

Quels sont les principaux problèmes internes au monde du libre qui gênent son expansion au sein du grand public ? À quoi la communauté doit-elle s’attaquer en priorité pour y remédier ?

C’est un sujet de discussion relativement inépuisable tant les avis divergent. Et c’est peut-être cette divergence qui pose problème. Parfois j’ai l’impression qu’il n’y a pas de stratégie globale, que personne ne mène la danse. Bien sûr il y a la FSF et l’OSI qui, d’une certaine manière et chacun à leur façon, donnent le la.

C’est peut-être aussi inhérent à ce fonctionnement non centralisé des logiciels libres qui peut dérouter et donner cette impression. Chacun essaie des solutions dans son coin et lorsqu’il y en a un qui trouve la bonne, tous les autres peuvent en tirer parti. Je trouve ce principe de fonctionnement très intéressant.

On est face à une problématique de changement. Comment le conduire, comment l’accompagner, ce n’est jamais simple. En ce qui me concerne j’aurais plutôt tendance à prôner une approche pas à pas en recherchant de stratégies de conversion. On parlait des navigateurs, c’en est une.

La communauté

Certains redoutent que les nouveaux venus, imprégnés d’automatismes acquis sur Windows, ne dénaturent l’esprit du Libre. Cette crainte te paraît-elle fondée ?

Certes, les utilisateurs de Windows ont été formatés à des pratiques, et celles des logiciels libres sont différentes. Mais en fin de compte ces utilisateurs de Windows cherchent juste des solutions simples et efficaces pour répondre à leurs besoins, et bien entendu des solutions les moins coûteuses possibles, surtout en ce moment.

Le logiciel libre a toutes les caractéristiques pour les séduire. Souvent, lorsqu’une idéologie, un concept est adopté par une grande masse de personnes, elle prend le risque de se voir modifier, altérer. C’est ce qui se passe avec le logiciel libre. Alors j’ai envie de dire, n’utilisons pas ce terme à tort et à travers et réservons-le à un usage précis pour lui conserver toute sa pureté. Je suis persuadé que du logiciel libre au sens de la FSF sortira quelque chose de différent. Par exemple, Ubuntu me semble quelque chose de différent.

Je n’ai donc pas de craintes pour l’esprit du Libre. Il a ses gardiens du temple.

Récemment, tu es revenu sous Debian après quelques années passées sous Ubuntu. Je te sais modéré sur le sujet, mais c’est à la mode de cracher sur Ubuntu, qui pourtant donne une visibilité sans précédent à GNU/Linux. Qu’en penses-tu ?

Je ne cracherai certainement pas sur Ubuntu, bien au contraire. Je suis revenu sur Debian non pas pour des raisons idéologiques mais pragmatiques : Debian est la distribution de mes débuts, j’aime bien son principe de fonctionnement et elle marche sur mon PC. Ubuntu a toujours planté dessus malgré les multiples réinstallations et mises à jour. J’avais le choix entre changer de PC ou changer de distribution. La deuxième solution m’a couté beaucoup moins cher. 😉

Comme je le disais plus haut, Ubuntu, c’est quelque chose de différent. C’est à mon sens la seule distribution qui de par ses choix stratégiques et marketing clairement orientés vers une diffusion de masse peut reproduire ce qui s’est passé avec Firefox : un basculement. Reste à Canonical à trouver le modèle économique qui lui sera associé. Ubuntu One me semble une bonne approche. Mais attention à la façon dont sera traitée la problématique des données et des formats associés. Il faut que tout soit « ouvert ».

Ubuntu a fait des choix techniques, des raccourcis qui ont été pris pour des raisons de pragmatisme et qui de fait ne la rendent pas totalement Libre au sens de La FSF. On peut ne pas être d’accord avec la définition de la FSF et considérer qu’Ubuntu est une distribution libre selon sa propre définition.

C’est là que se situe la zone de « conflit » entre les gardiens du temple et les Ubunteros. C’est dans cette définition du Libre.

Je n’y vois pas d’inconvénient du moment que cela permet de faire entrer plus d’utilisateurs dans un certain monde du logiciel libre qui sera de toute façon toujours bien meilleur que celui de Microsoft. Mais il faut rester vigilant et les gardiens du temple sont indispensables pour nous le rappeler.

Que dirais-tu à ceux qui sont convaincus par le Libre mais qui, par habitude ou frilosité, restent sous Windows ou Mac (on appelle ça le « syndrôme Bayrou », chez nous…)

Je leur dirais seulement : essayez, courage… Les changements sont souvent douloureux, on y laisse toujours une part de confort au début. Mais il y a des gains à la clef.

Souhaites-tu porter un ou des acteurs du Libre francophone à l’attention de nos lecteurs ?

Question piège, si je cite des noms on va m’accuser de copinage ! Si je n’en cite pas je serais une peau de vache 🙂 .

Alors, je vais donner un coup de pouce à un nouveau venu, le site Informatique et liberté qui a ouvert depuis le 7 mai. Son auteur est un étudiant en informatique qui garde l’anonymat mais qui s’appelle Philippe. J’avoue avoir été assez troublé au début, proximité du nom oblige, et dans la mesure où il a écrit un certain nombre d’articles que « j’aurais pu écrire » et que j’ai apprécié en tout cas.

Tu es très actif sur identi.ca, où tu exerces comme moi une veille sur l’actualité Open Source. Cette ville est-elle assez grande pour nous deux, hombre ?

Hola Muchachos, je pense qu’il n’y a pas de soucis, le sujet est tellement vaste et il y a tellement de monde à qui faire découvrir cet univers du logiciel libre !

Vous pouvez retrouver Philippe sur identi.ca et sur Twitter.

Notes

[1] Crédit photo : Philippe Scoffoni (Creative Commons By)




Les Non-humains – Une geekerie de Lionel Dricot

Lampeduza - CC by« Voulez-vous installer Linux mademoiselle ? »

En avril dernier LinuxFr lançait un concours qui comportait notamment la rédaction d’une nouvelle sur le libre (sous licence libre). And the winner is… Lionel Dricot, plus connu sous son pseudo Ploum.

Vous en trouverez une version PDF et ODT sur son site. Quant à nous, nous vous en proposons une version HTML ci-dessous.

L’auteur précise : « J’ai pris une soirée pour commettre une petite nouvelle sur le logiciel libre et sa communauté. Je voulais faire un texte accessible au grand public mais, emporté par mon sujet, j’ai lamentablement terminé avec une suite de private jokes à tendance moulesque. Je dédie donc ce texte aux moules de DLFP (dont ceux qui se reconnaitront) et à tous les non-geeks qui prendront la peine de lire l’histoire juste pour le plaisir. »

Effectivement, dans un style agréable et sur fond assez classique d’un récit de science-fiction « oppresseur/opprimé »[1], c’est plein de petits clins d’œil (pour ne pas dire easter eggs) en direction de la communauté, dont certains m’ont échappés d’ailleurs !

En y ajoutant quelques notes, et quelques soirées supplémentaires, ça pourrait faire un chouette et original framabook en fait 😉

Edit février 2012 : il y a une suite à cette histoire…

Les Non-humains

Une geekerie de Lionel Dricot – avril 2009 – Licence Creative Commons By

URL d’origine du document

À tous les geeks de DLFP, à ceux qui comprendront, à Bersace, cordialement.

Un frisson la parcourut lorsque les ténèbres de la ruelle semblèrent l’engloutir. Le pavé humide résonnait sous ses pas rapides. D’une démarche qu’elle voulait résolue, elle s’avança bravement.
– Quel quartier sinistre. Je n’aurais pas dû venir seule, se murmura-t-elle.
Loin de la réconforter, le son de sa voix se répercutant sur les façades des immeubles abandonnés lui fit presser le pas.

Soudain, elle le vit. Une ombre décharnée, tête nue et hirsute, se découpant dans la pleine lune crépusculaire. Figée par la terreur, elle tenta de pousser un hurlement qui mourut dans sa gorge pâle et délicate. Aucun doute, c’était bien vers elle qu’il s’avançait. Bientôt, elle serait à sa portée et alors…
– Mademoiselle…
Elle se retourna pour fuir, paniquée, mais une main ferme se posa sur son épaule.
– Voulez-vous installer Linux mademoiselle ?
Se débattant avec toute l’énergie du désespoir, elle échappa à l’étreinte. Une traction se fit sur son jupon de dentelle.
– Lâchez moi ! Allez-vous-en !
Sous ses efforts désordonnés, le vêtement se déchira dans un bruissement d’étoffes. Emportée par son élan, elle chuta lourdement sur le sol. Étourdie, elle leva les bras pour se protéger le visage tandis que la forme sombre se penchait vers elle, menaçante.

– Monsieur le Ministre, la situation est intenable. Ils sont de plus en plus nombreux. Et que fait notre gouvernement ?
– Très cher ami, je conçois votre émoi mais votre réaction n’est-elle pas disproportionnée ? Puis-je également vous rappeler qu’il est de vigueur d’utiliser nos prénoms entre gentlemen du Catacomb’s Club ?

En réponse, le petit homme sec aux favoris grisonnants tapa des deux poings sur les accoudoirs du Chesterfield dans lequel il était assis.

– Disproportionnée ? Arthur ! Par les gousses d’ail de la Reine, tu sais aussi bien que moi que la situation est dramatique. Nous l’avons tout d’abord ignoré, nous en avons ensuite ri. Mais ils sont de plus en plus nombreux. Nous n’osons même plus sortir la nuit. Heureusement, la majorité de la population ne s’en rend même pas compte. Dieu merci, car ce serait la panique.
– Ils sont insidieux, il est vrai.
– Insidieux et perfides. Ils ne respectent rien, ils tuent, ils empalent. Des pirates, voilà ce qu’ils sont. Des flibustiers. Ah, si seulement nous avions encore un Nelson !
– Je ne dis pas le contraire, comprenez-moi bien. Cependant, je pense que la mésaventure survenue à votre fille vous rend particulièrement sensible à ce sujet.
– Sensible ? Mais que voulez-vous de plus ? Les laisser prospérer et ruiner notre pays ? Les laisser nous sucer le sang ?
À ces mots, un éclair d’ironie passa dans son regard. Il poursuivit :
– Tu le sais Arthur. Tu sais comme moi ce qu’ils font à leurs victimes. Celles-ci deviennent ensuite leurs semblables. Ils ne respectent même pas les brevets ou le droit d’auteur. Rien que d’en parler, j’en ai des frissons.

D’un regard distrait, le Ministre fixa le fond de son verre de Sherry dans lequel se reflétait la chaleur des flammes de l’âtre.
– Le problème est plus complexe que cela George. Beaucoup plus complexe…

– Mademoiselle ? Comment vous sentez-vous ?
Péniblement, elle ouvrit un œil. Une lumière bleuâtre et tremblotante semblait éclairer la petite pièce dans laquelle elle se trouvait. Les murs étaient encombrés de caisses et de matériels divers. Il y avait même un poisson-coffre empaillé perché sur un promontoire de porcelaine.
– Qui… Qui êtes-vous ? articula-t-elle péniblement.
– Je m’appelle Lilo. Vous vous êtes évanouie dans la rue et je vous ai ramené chez moi. Votre jupon s’est accroché à une vieille caisse et s’est déchiré mais à part ça, je ne pense pas que vous soyez blessée.
Un éclair d’inquiétude passa dans le regard de la jeune fille.
– Vous… Vous me séquestrez ?
– Par toutes les ferrites, bien sûr que non ! Quelle drôle d’idée.
– Qu’allez-vous me faire ?

Lilo parut honnêtement surpris.
– Eh bien, je ne sais pas. Que voulez-vous ? Un thé ? Autre chose ? Je peux demander à mon ami Bersacelli de vous monter un petit cordial si vous le désirez.

Restée silencieuse durant toute la conversation, la jeune femme qui se tenait dans le coin de la pièce interrompit les deux hommes.
– Assez ! Vous parlez d’eux comme si c’étaient des monstres.
– Et ils le sont !
– Non père, ce sont des êtres comme vous et moi. Vous ne les connaissez pas.
– Mademoiselle Vista, votre père a raison. Ce ne sont pas des êtres comme nous. Nous ne sommes pas de la même race.
– Ils ont des sentiments ! Ils aiment et chérissent leur liberté, c’est tout. Certes, ils ont un langage parfois étrange mais ils ne sont pas tels que vous les décrivez.
– Vista, mon enfant, je vous prie de cesser ces simagrées. Vous êtes en présence d’un Ministre de la Reine, je vous le rappelle. Vous avez été fort imprudente de vous aventurer seule dans un tel quartier à quelques heures à peine de l’aube. Vous nous avez rendu fous d’inquiétude pendant trois longues nuits. Je conçois que ces épreuves vous aient marquée psychologiquement, aussi ne vous tiendrai-je pas rigueur de ces propos absurdes. Vous devez être très fatiguée.

Distinguée, la jeune femme se dirigea d’un pas raide vers la porte. En se retournant, elle lança d’un ton hautain :
– Je vous souhaite le bonsoir, Monsieur le Ministre.
Elle tourna son regard empreint d’une tristesse dure vers le fauteuil au centre de la pièce.
– Ce n’est pas parce que vous ne les comprenez pas qu’ils ont tort. Ce n’est pas parce que vous êtes dans un système depuis vingt ans qu’une alternative est forcément mauvaise. Bien le bonsoir, père.

La porte claqua sur ses talons.

L’éclat de rire de Lilo était si franc, si sincère que Vista sentit la gaieté peu à peu l’envahir. Il semblait si joyeux, si vivant.
– Comment dis-tu ? Nous découperions nos victimes ? Et en tranches de quelle épaisseur ?
– C’est pourtant ce que l’on raconte sur vous…
– En tout cas, mon activité principale est de charger des bottes aux embarcadères. Est-ce répréhensible ? Fed ? Tu entends ce qu’on dit sur nous ?
Un petit gros coiffé d’un chapeau rouge s’approcha.
– Oui, j’ai entendu. Dis moi, c’est une véritable cabale montée contre nous !
La jeune fille s’agita.
– Il n’y a pas de cabale. Cela n’existe pas. Tout ce que j’ai dit à votre propos est même écrit noir sur blanc dans l’Encyclopedia Mortalis. Que pouvez-vous répondre face à cela ?
Les deux hommes se regardèrent une seconde et répondirent en chœur :
– Référence nécessaire !

Ils s’esclaffèrent bruyamment. Vista les regarda, interloquée.

Les deux hommes se tenaient sur le pas de la porte. Une fine pluie battait le pavé tandis qu’un allumeur tendait sa perche étincelante vers le réverbère le plus proche.
– Veuillez excuser ma fille, Arthur.
– Un cas très intéressant du syndrôme de Vasa, mon cher George. Rien de plus.
– Le syndrôme de Vasa ?
– C’est ainsi que l’on nomme le comportement psychologique d’une victime qui prend parti et cause pour ses ravisseurs. C’est particulièrement courant dans ce genre de situations mais sans gravité. Je me suis laissé dire que le docteur McOazix avait développé une thérapie par les électrochocs particulièrement efficace.
– Vous me rassurez. Je ne sais déjà par quel miracle elle s’en est sortie indemne.
– Physiquement, tout du moins.
– Arthur, si jamais ma fille persiste à tenir des propos incohérents, à défendre des idées dangereusement subversives, à parler de la liberté de partage, de redistribution, je te jure que j’étranglerai cette vermine de mes propres mains. Un par un !
– J’espère qu’on ne devra pas en arriver là, sourit le Ministre tout en lissant sa moustache.

Il se dirigea vers le fiacre, se ravisa un instant et se retourna.
– Vous savez Arthur, cette histoire n’est pas simple. À moi aussi ils me font peur. Ils représentent ce que nous craignons. Ils semblent abhorrer notre morale, ils s’abouchent avec les coquins. Et pourtant, parfois je me demande si ce n’est pas juste nous qui ne les comprenons pas. Nous les croyons opposés au droit d’auteur, mais peut-être en ont-ils simplement une autre lecture. Nous les considérons comme impossibles et ils nous grignotent du terrain. Leur simple existence infirme la plupart de nos préceptes. S’ils étaient aussi néfastes que nous le disons, comment expliquer leur persévérance ? Comme dirait le passager du Beagle, peut-être sont-ils plus adaptés que nous ? Peut-être devrions-nous rejoindre leur camp avant d’être défaits ? Je ne sais pas Arthur, je ne sais pas…

Il monta dans la voiture tandis que le cocher fouettait les chevaux. L’attelage s’enfonça dans la nuit de pavés et d’étoiles.

– Hihi, arrête, Lilo ! Tu me chatouilles ! Et puis je ne comprends pas ce que tu dis.
– Pourtant cette langue est libre et ouverte. La grammaire est disponible.
Il mis un lourd dictionnaire poussiéreux dans les mains de la jeune fille qui vacilla sous le poids et s’assit sur le lit.
– Tu n’espères quand même pas que je vais lire ça ?
– Non, mais l’important est que tu puisses le faire. Tu comprends ? C’est une de nos libertés fondamentales. Tu dois pouvoir étudier et comprendre la langue que tu utilises. Peut-être n’en as-tu pas envie maintenant. Ni jamais. Dans mille ans, nos écrits seront toujours lisibles car les archéologues en auront la grammaire. Communiquer doit être libre, tu comprends ?
– Tu sais que tu es mignon quand tu m’expliques tout cela. Mais je ne suis pas sûre de comprendre. Tout cela est si différent. Si technique.
– Vista, ce n’est pas seulement technique. Nous refusons de rentrer dans le moule !
– Coin, Coin !
Un canard vola dans la pièce en poussant son cri. Une détonation mis fin au périple du palmipède.
Lilo fit un clin d’œil à Vista.
– Ce n’est rien, juste Fed qui s’amuse. Ne t’inquiète pas pour lui.
Vista riait. Elle regarda le poisson-coffre sur l’étagère à côté du lit.
– Mais, il n’était pas là avant-hier, ce poisson ! Il était sur le promontoire de porcelaine.
– En effet, nous n’avons pas encore trouvé de place satisfaisante. C’est qu’il n’est pas facile à installer ce poisson. Elle rit.
– Je ne sais pas pourquoi mais je vous trouve drôles. Vous êtes vraiment des gens étranges.
– Juste différents. À nos yeux, c’est plutôt vous qui êtes étranges avec vos manies de vous compliquer la vie, vos alertes incessantes au virus pour lesquelles vous devez vous cacher dans vos caves, votre refus de la lumière, vos habitudes alimentaires.
– Tu sais, on grandit avec. C’est normal pour nous. Je n’arrive pas à croire que vous ne souffriez pas du virus. Et puis, personnellement, je ne vais même plus à la cave. Je dis juste “Ok” quand on me demande quoi que ce soit sans même réfléchir.

Leurs mains s’étaient rapprochées subrepticement, comme mues d’une volonté propre.
– Lilo…
– Vista…
Leur front se touchèrent. Pendant une longue minute ils restèrent sans parler, sans même oser respirer. Leurs lèvres se frôlèrent…

– Non !

D’un même mouvement de recul, ils sursautèrent. Vista paraissait paniquée, elle porta ses mains à sa bouche à laquelle perlait une goutte de sang. Les mains de Lilo tremblaient. Le premier, il rompit le pesant silence.
– Est-ce que ton père ne va pas s’inquiéter de ton absence ?
– Mon dieu ! C’est vrai que cela fait déjà trois nuits que je suis ici.
– Je vais te reconduire jusqu’à ton quartier.
– Oui, le temps d’emballer mes affaires. Le crépuscule est déjà tombé.

Ils sortirent et se mirent à marcher en silence.

– Voilà, dit-il. Dans cette rue, les fenêtres ne sont plus cassées. Tu n’es plus très loin de chez toi. C’est préférable que l’on ne nous voie pas ensemble. Vista…
– Lilo, fit-elle en fermant les yeux. Merci pour tout. Je… Je… Fais attention à toi !
Elle ouvrit les yeux. La rue était vide. Elle le chercha du regard puis, se ravisant, se mit à marcher.

Elle ne se retourna pas.

Trois coups secs retentirent à la porte de la chambre.
– Vista ? Puis-je entrer ?

La jeune femme était assise face à sa coiffeuse.
– Vista, j’espère que vous n’êtes pas en colère contre moi, fit le vieil homme en lui posant la main sur l’épaule.
– Non, père.
Elle posa la brosse à cheveux qu’elle tenait à la main.
– Je n’ai pas toujours été un très bon père, je l’admets. La cour, la justice, les plaidoiries. Tout cela m’a pris plus de temps que je ne l’aurais voulu. Malgré tout, vous savez, je comprends vos sentiments. Je comprends votre expérience. Mais n’oubliez pas qu’ils sont différents. Ce ne sont pas des êtres comme nous. Ils se nourrissent différemment, ils vivent de manière contraire à nos mœurs. Ils regardent le soleil en face. Ils sont d’une autre race, tout simplement. Faites de doux rêves, mon enfant, ne prenez pas trop cette histoire de libertés à cœur…

Il se retira en fermant doucement la porte derrière lui.

Vista passa son doigt sur les longues incisives pointues qui dépassaient de ses lèvres. Comme à l’accoutumée, son miroir lui renvoya l’image d’une robe de chambre flottant dans une pièce totalement vide.
– À cœur, soupira-t-elle. Une autre race.

Rédigé avec Pyroom à Lillois, 25 avril 2009 dans le cadre du concours DLFP : « Écriture d’une nouvelle sur le libre ». Relu et corrigé par Serge Julien

-> La suite ici

Notes

[1] Crédit photo : Lampeduza (Creative Commons By)




Kidimath : le nouveau projet Sésamath pour élèves (et parents)

Kidimath - Sésamath« À l’heure où de plus en plus de sites payants d’accompagnement à la scolarité fleurissent sur l’internet, Sésamath a décidé d’ouvrir un espace dédié, entièrement gratuit, sans aucune publicité, dans un esprit de service public. »

C’est ainsi qu’est introduit le projet Kidimath dans la brochure dont j’ai déjà eu l’occasion de parler.

En attendant (impatiemment) l’ouverture officielle du site, prévue le 30 mai, nous avons eu envie d’en savoir plus en interrogeant Noël Debarle, qui anime, entre autres choses, le très intéressant blog de Sésamath.

Vous trouverez ci-dessous en bonus une courte vidéo présentant le projet.

Entretien avec Sésamath

aKa : Bonjour Sésamath, alors comment vous portez-vous après toutes ces années ?

Noël Debarle : Bien ! Officiellement, Sésamath aura 10 ans en 2011. Mais comme les premiers contacts et échanges ont eu lieu dès 1998, 1999, on peut dire que Sésamath a déjà 10 ans : peut-être l’âge de raison !

L’association grandit à tous points de vue, dans un monde de l’éducation qui bouge et qui est passablement compliqué… et donc il faut chaque fois se remettre en question. L’une des maximes fortes de Sésamath « Modestement, mais résolument » n’a sans doute jamais été aussi vraie que maintenant.

Par ailleurs, Sésamath essaie de plus en plus d’expliciter la philosophie qui sous-tend son action. C’est par exemple le cas dans la brochure qui sera envoyée dans tous les collèges français à la fin de ce mois, brochure qui contient une « profession de foi ». Juste une phrase qui permet de bien situer cette philosophie : « Sésamath est une association à but non lucratif dont la philosophie repose sur l’ouverture, la solidarité et l’entraide. »

Mais quel est donc ce nouveau et ambitieux projet « Kidimath » ?

Kidimath est d’abord une réponse à un besoin et une attente. En effet, de nombreux élèves et parents nous écrivent régulièrement pour témoigner de leur utilisation des ressources de Sésamath. Or la mise à disposition de ces ressources a été essentiellement pensée par des profs, pour des profs… et pas directement pour des élèves ou leurs parents.

Créer des ressources et les mettre en ligne est une chose, faire en sorte qu’elles soient accessibles et faciles de prises en main pour différents types d’utilisateurs est clairement une autre chose. C’est l’effort principal de Sésamath cette année. Le corollaire de la mise en place d’un espace réservé au profs (Sésaprof) est la création de cet espace destiné aux familles (Kidimath). Entre les 2, Sésamath fait également évoluer la version réseau de Mathenpoche, remplacée par Labomep en Septembre prochain. Pourquoi entre les 2 ? car Labomep est un espace dans lequel les enseignants peuvent créer des séances pour leurs élèves, qu’ils soient en classe ou à la maison.

Sésaprof, Kidimath et Labomep ont été pensés par rapport aux utilisateurs, en intégrant toutes les ressources crées par Sésamath, et même au-delà : une sorte de Sésamath 2.0

Kidimath, un « espace non marchand » dans le milieu très marchand des sites d’accompagnement scolaire ?

Il y a d’autres initiatives très réussies… Je pense notamment à Cyberpapy. On ressent dans ce genre de site que toute l’énergie est déployée pour une utilité maximale pour les élèves et pas dans la recherche de rentabilité.

Malheureusement, les Maths sont fortement associés à la sélection et on arrive vite à la sélection par l’argent. Il y a ceux qui peuvent éventuellement se payer des cours particuliers… et les autres. C’est d’autant plus paradoxal, d’une certaine façon, qu’il n’y a pas plus ouvert que les Mathématiques, François Elie le rappelle d’ailleurs souvent quand il fait l’analogie entre la libération du logiciel et la libération des Mathématiques il y a plusieurs siècles.

On serait très content dans Sésamath, si les Maths pouvaient plutôt être associées à des notions de solidarité, d’échange et de partage. Sans publicité, gratuit, ouvert à tous, nous espérons que Kidimath y contribuera.

Pour la première fois, vous ne vous adressez plus aux enseignants mais directement aux élèves et aux parents hors temps scolaire, comment avez pris en compte cela dans Kidimath ?

Nous avons eu la chance de travailler avec un collègue documentaliste, qui a fait son mémoire sur ce projet. Et d’ailleurs nous espérons poursuivre nos échanges avec les documentalistes, qui accompagnent très efficacement les élèves.

La difficulté est d’essayer de rendre le contenu accessible sans perdre en rigueur. En effet, l’objectif essentiel de Kidimath est de permettre aux élèves d’améliorer leurs résultats en Maths : pour cela, il est nécessaire de coller assez fortement aux attentes des professeurs sur le terrain. Mais Kidimath a aussi pour ambition de susciter du plaisir à faire des Maths et c’est pourquoi toute une partie du site est consacrée aux jeux en Mathématiques, avec par exemple le passage de ceintures de calcul mental. Si vous avez envie de devenir ceinture noire dixième dan de calcul mental, ce sera bientôt possible sur Kidimath !

Comme tout projet à ses débuts, Kidimath va également nous servir de laboratoire pour tester un certain nombre de choses afin d’améliorer constamment le site. Bref, on est plutôt au début d’une nouvelle aventure.

Pensez-vous que ce site soit susceptible de redonner à certains de « l’appétence » pour les mathématiques ?

Nous l’espérons en effet. C’est d’ailleurs ce que nous disent déjà beaucoup d’élèves et de parents concernant Mathenpoche. Maintenant, un certain nombre de questions restent posées : comment vont s’articuler les passages entre la partie « jeux » et la partie plus scolaire ? Est-ce que d’autres types d’accompagnements seront nécessaires (forums…) ?

Kidimath est amené à évoluer et toutes les bonnes idées seront les bienvenues… en particulier celles des nombreux lecteurs de ce blog !

Kidimath ou Facebook, quel sera le choix des élèves une fois rentrés à la maison ?

Qui sait ?

Ce qui est certain, c’est que Facebook existe, est gratuit et facile d’accès, offre des outils élaborés et est bien connu par nos élèves. Pour que les élèves aient le choix, il faudrait que Kidimath aient les mêmes caractéristiques.

Il est possible aussi que les parents aient leur mot à dire là-dedans… Kidimath leur est aussi destiné. Il est parfois difficile pour les parents d’aider efficacement leurs enfants. Des parents nous disent que Mathenpoche est pour eux une vraie bouffée d’oxygène. Kidimath devrait leur faciliter encore plus la tâche. Du moins nous l’espérons.

Et « le libre » dans tout ça, il se situe où dans Kidimath ? Plus dans l’état d’esprit que dans les outils ? Est-ce que n’importe qui peut télécharger et installer le site sur ses propres serveurs ?

L’ensemble des contenus et le site lui-même sera sous licence libre (mélange GPL, FDL et CCbysa). On va aussi travailler (plus tard) pour mettre l’ensemble en téléchargement.

Il y a beaucoup de contenus en Flash dans Kidimath. C’est un souci qu’on a identifié depuis longtemps. Et d’ailleurs on voit bien tout ce qu’on perd à ne pas avoir utilisé des outils libres à ce niveau. Mais avec le recul, il n’était sans doute pas possible de faire autrement. On espère toujours des alternatives viables !

Kidimath peut aussi être une vitrine d’autres logiciels libres en Mathématiques. Si certains ont des propositions, qu’ils nous contactent !

D’autres « grands projets » après Kidimath ?

Labomep sera ouvert en Septembre.

Sésamath travaille également sur les livrets proposant des activités TICE en Mathématiques, en liaison avec d’autres associations en lettres et en Histoire-Géographie.

Plus globalement, les contacts se multiplient avec les professeurs de Maths à l’étranger et nous espérons que cela conduise à des partenariats. Sésamath souhaite aussi travailler de plus en plus étroitement avec les chercheurs en didactique et en sciences de l’éducation pour améliorer les contenus proposer et étudier leur impact. Là aussi, des projets prometteurs sont en cours… donc on aura encore sans doute le plaisir de revenir discuter sur le Framablog.

Présentation vidéo de Kidimath

—> La vidéo au format webm




Le petit livre mauve (et libre) de Nicolas Dupont-Aignan

Le petit livre mauve - Nicolas Dupont-Aignan - ILV - CC by-saTous ceux, nombreux, qui ont suivi les débats à l’Assemblée autour du projet de loi Création et Internet, auront peut-être découvert ou en tout cas retenu les noms de certains parlementaires qui auront tenté jusqu’au bout de refuser cette loi inique.

Le député Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout la République, était de ceux-là.

Or, celui qui a comparé les pro-Hadopi « aux moines copistes qui voulaient emprisonner Gutenberg et interdire l’imprimerie », nous revient aujourd’hui avec un livre original et très certainement pionnier en son genre en France : Le petit livre mauve.

Ce livre, qui s’inscrit dans la perspective des élections européennes (à ce propos n’oubliez pas Le Pacte), est selon ses dires un abécédaire « de l’Europe qui marche sur la tête… et qu’il faut remettre sur ses deux jambes ! »

Il ne s’agit pas pour moi ici d’en faire la critique politique, mais de souligner que ce livre est rien moins que disponible chez InLibroVeritas[1], sous licence, tenez-vous bien, Creative Commons By-Sa !

Et dans sa version print (comprendre vraie livre physique) il ne vous en coutera que 2 €.

Voici ce qu’on peut notamment lire sur le blog de Nicolas Dupont-Aignan :

Ce livre est publié par Inlibroveritas, une maison d’édition originale qui fait le pari innovant de l’émergence d’un nouveau modèle économique et culturel du livre, fondé sur l’accès gratuit aux œuvres sur internet. Créée en 2005 par Mathieu Pasquini, Inlibroveritas édite des livres sous licences totalement libres de droits, qui sont diffusés à la fois sur support physique payant et sur support numérique gratuit par internet. Le site communautaire d’Inlibroveritas constitue ainsi une sorte de bibliothèque ouverte contenant toutes les œuvres publiées par cette maison et qui draine plus d’un million et demi de connexions par mois. La démarche d’Inlibroveritas s’inscrit dans le concept d’ « édition équitable », qui est un peu au livre ce que la licence globale – l’un des combats majeurs de Debout la République – est à la musique et au cinéma.

Ce n’est certainement pas ceci qui me fera voter pour lui, mais cela y participe.

D’autant qu’avec ce modèle il est bien plus facile de s’informer de ce que l’homme politique a à dire et à proposer.

Notes

[1] Il est également à noter qu’InLibroVeritas inaugure une nouvelle collection, Science Libre, avec comme premier ouvrage L’évolution du vivant expliquée à ma boulangère de Virginie Népoux (toujours sous la très libre licence Creative Commons By-Sa).




De l’art libre et de la Culture Libre par Antoine Moreau

Philippe Jimenez - Licence Art LibreNous sommes toujours ravis d’accueillir en ces lieux la prose d’Antoine Moreau, précurseur et visionnaire de l’Art Libre, à moins que ce ne soit l’art libre.

Justement, le simple fait de mettre ou ne pas mettre de majuscules au concept procède déjà du choix voire du parti pris. Et si le parti est pris, il n’est plus libre (cette dernière phrase étant une tentative maladroite de « faire moi aussi mon Antoine Moreau », mais c’est impossible, il est unique !).

Une conférence donnée à la Biennale de Montréal le 3 mai dernier qui interroge les relations entre l’art et la culture libre[1], en soulignant l’importance du copyleft, cet étrange mais fondatrice « interdiction d’interdire ».

De l’art libre et de la Culture Libre.

URL d’origine du document

Antoine Moreau – 3 mai 2009 – Licence Art Libre

Introduction.

La rupture esthétique a ainsi installé une singulière forme d’efficacité : l’efficacité d’une déconnexion, d’une rupture du rapport entre les productions des savoir-faire artistiques et des fins sociales définies, entre des formes sensibles, les significations qu’on peut y lire et les effets qu’elles peuvent produire. On peut le dire autrement : l’efficacité d’un dissensus[2].

Si l’expérience esthétique touche à la politique, c’est qu’elle se définit aussi comme expérience de dissensus, opposée à l’adaptation mimétique ou éthique des productions artistiques à fins sociales[3].

Avec la venue de l’internet et la généralisation du numérique dans de nombreuses pratiques culturelles nous observons la mise en place d’un nouveau type de culture nommée « Culture Libre »[4] basée sur le partage et la diffusion des productions de l’esprit. « Libre » fait ici référence aux logiciels libres dont le code-source est ouvert. Ils sont définis par quatre libertés fondamentales : liberté d’exécuter le programme, d’en étudier le fonctionnement, de redistribuer des copies et d’améliorer le programme (et de publier ces améliorations).

La question des droits d’auteur est au cœur de cette nouvelle donne culturelle. Un juriste, Lawrence Lessig, en 2001, s’est inspiré des principes de création des logiciels libres pour rédiger des licences dites « libres »[5] pour les œuvres non logicielles. Mais on ne pourrait réduire l’intention d’ouvrir la création à des questions de droit et je vais essayer de vous montrer que c’est le processus de création artistique lui-même qui ouvre et libère la création.
Un an avant l’apparition des licences Creatives Commons, en janvier puis en mars 2000, j’organisais avec un groupe d’artistes[6] les Rencontres Copyleft Attitude. Elles ont donné naissance à la Licence Art Libre, rédigée en juillet 2000[7]. C’est une licence libre de type copyleft, inspirée de la General Public License[8] et recommandée par la Free Software Foundation en ces termes :

We don’t take the position that artistic or entertainment works must be free, but if you want to make one free, we recommend the Free Art License[9].

Voici un extrait du préambule de la Licence Art Libre :

Avec la Licence Art Libre, l’autorisation est donnée de copier, de diffuser et de transformer librement les oeuvres dans le respect des droits de l’auteur.
Loin d’ignorer ces droits, la Licence Art Libre les reconnaît et les protège. Elle en reformule l’exercice en permettant à tout un chacun de faire un usage créatif des productions de l’esprit quels que soient leur genre et leur forme d’expression. (…) L’intention est d’autoriser l’utilisation des ressources d’une oeuvre ; créer de nouvelles conditions de création pour amplifier les possibilités de création. La Licence Art Libre permet d’avoir jouissance des oeuvres tout en reconnaissant les droits et les responsabilités de chacun.
Elle s’appuie sur le droit français, est valable dans tous les pays ayant signé la Convention de Berne[10].

Cette initiative d’artistes, n’était pas tant motivée par des questions liées au droit d’auteur ou à l’informatique, que par le processus de création qu’ils éprouvaient dans leurs pratiques. Il s’agissait d’observer ce que le numérique et l’internet fait à la création pour en prendre acte et agir en conséquence. Agir en phase avec l’écosystème du net et du numérique qui ne fait, en fait, que confirmer nos pratiques artistiques ordinaires. Le logiciel libre ouvre tout simplement la voie pour formaliser nos intentions de créations libres.
Aujourd’hui, cette préoccupation artistique est devenue une occupation sociale, culturelle, politique et économique. En m’appuyant notamment sur les notions de « société close » et « société ouverte » développées par Bergson[11], je vais tenter de clarifier ce qui se joue entre la « culture libre » et l’« art libre ».
Tout d’abord essayons de comprendre ce que fait la Culture Libre à la Culture.

1. Ce que fait la Culture Libre à la Culture.

Si nous entendons par « Culture » ce qui « permet à l’homme non seulement de s’adapter à son milieu, mais aussi d’adapter celui-ci à lui-même, à ses besoins et à ses projets », alors la « Culture Libre » est une adaptation à cette nouvelle donne naturelle qu’est l’immatériel, mais également ce qui « rend possible la transformation de cette nature »[12] portée par le numérique.

Ce nouveau paradigme, nous devons reconnaître qu’il procède d’une nouvelle dogmatique[13]. Il s’agit, pour la Culture Libre, comme pour toute culture, d’instituer ce qui va faire tenir une société et ses sujets à l’intérieur de celle-ci. Cette nécessité institutionnelle est indéniable et la Biennale de Montréal consacrée à la Culture Libre en est le signe. Voyons maintenant ce que l’Art Libre fait à la Culture Libre.

2. Ce que fait l’Art Libre à la Culture Libre.

Distinguons la culture de l’art. Sans les opposer frontalement, il s’agit de ne pas les confondre, prendre acte du hiatus qu’il y a entre ces deux notions. Disons-le d’une formule simple, qui prend la lettre comme image : la culture est une police de caractères, l’art est du vent dans les glyphes[14]. Le sculpteur Carl André le dit autrement : « La culture, c’est ce que d’autres m’ont fait. L’art, c’est ce que je fais à d’autres[15]. »

Ce qui diffère l’art libre de la Culture Libre, c’est ce je-ne-sais-quoi et presque-rien[16] qui procède davantage de la sensibilité que du raisonnement. L’art libre est une trouée dans la Culture Libre. Car si toute culture peut être comparée à un édifice, l’art est alors une fenêtre ou une porte, toutes ouvertures, tout vide qui laisse passer l’air. L’air de rien, l’art est là dans le passage qui permet la respiration. Ce que fait l’art libre à la Culture Libre, c’est d’ouvrir ce qui s’offre à l’ouverture, de mettre en branle ce qui se met en mouvement, d’émanciper ce qui se libère. Car si la Culture Libre procède d’une intention de liberté, l’art libre procède d’une liberté libre, celle qu’exprime le poète aux semelles de vent lorsqu’il constate : « Que voulez-vous, je m’entête affreusement à adorer la liberté libre (…)[17]. »

La « liberté libre » c’est ce qui est imprenable, comme on le dit de la vue imprenable qui offre un paysage protégé des captations propriétaires. C’est ce que fait, précisément, le copyleft en interdisant la prise exclusive des œuvres ouvertes qui s’offrent au bien commun. C’est l’objet de la Licence Art Libre et la licence Creative Commons Attribution-Share Alike[18], licences copyleft pour ce qui concerne les créations hors logiciel.

L’art libre échappe donc très concrètement à l’appropriation exclusive. Comme tous langages, il traverse et nourrit les esprits pour à nouveau se transporter et ainsi de suite, sans cesse et sans fin, de façon à créer au passage, des objets tangibles, traces de langages. Mots, images, sons, gestes, etc. Ainsi, l’art, libre, se renouvelle et demeure vivant. Imprenable définitivement, il ne se prend et ne se comprend que momentanément dans le mouvement même de son apparition et de sa création. Et ce moment là est aussi un moment d’éternité. L’art libre, grâce au copyleft, ne peut pas être captif d’une emprise qui voudrait en arrêter le cours. C’est la raison pour laquelle, par ailleurs, même s’il produit des objets apparemment finis, l’art libre est davantage un mouvement gracieux qu’un objet quand bien même serait-il gratuit. Il ne s’agit pas de nier la production d’objets, mais d’observer l’opération qui se fait entre esprit et matière. Ceci est amplifié avec l’immatériel qui :

(…) trouve sa source dans la séparation du matériel et du logiciel. (…) Tout document informatiquement conservé n’existe que sous forme de bribes disjointes, qu’il peut être dupliqué et multiplié, retouché et transformé. Il ne s’agit pas de matière d’une chose, mais d’un état de la matière, celle des circuits. Il ne s’agit pas des circuits en tant que circuits mais de leur état physique. Il ne s’agit pas de matériel versus immatériel, mais d’état de la matière (…)[19].

En posant le copyleft comme principe conducteur, l’art libre[20] renoue avec ce qu’a toujours été l’art depuis la nuit des temps, avant même que soit reconnue son histoire : une mise en forme de ce que produit l’esprit, insoumise à la culture qui voudrait la comprendre et la dominer. Cet exercice invente des formes qui découvrent l’esprit humain au delà de l’imagination, au delà d’un projet, d’une projection calculée. Sans raison, si ce n’est celle qui excède le raisonnement calculateur. Car il s’agit d’être en présence de ce qui se donne, du don qui élève, sans penser au retour sur investissement. C’est en cela que l’art est une pratique libre par excellence qui émancipe y compris l’idée de liberté quand celle-ci devient un mot d’ordre, un absolu, un fétiche ou une qualité culturelle.
Pour paraphraser Adorno nous dirons alors que : l’art libre c’est ce qui résiste à son assimilation culturellement libre[21].

Mais l’art libre, en trouant la culture libre, en procédant par négativité, n’est pas pour autant iconoclaste et négateur. Il ne détruit pas son cadre d’exercice, il le travaille au corps, il en fait de la dentelle. Plus celle-ci est fine, plus elle est forte. L’art libre porte attention à ce qui fait tenir la fabrique de l’esprit humain : la culture aérée par l’art. Sans ce souci d’aération, c’est l’étouffement, c’est le renfermement. Y compris le renfermement « libre » d’une « Culture Libre ». C’est bien pourquoi l’initiative de Copyleft Attitude, qui a eu pour conséquence la rédaction de la Licence Art Libre, n’a pas été le fruit d’un raisonnement savant mais le passage à l’acte d’une intuition. Car si la Culture Libre est intelligente, on parle même d’intelligence collective, l’art libre, lui, est une pratique qui se passe sans trop de réflexion. C’est ce passage à l’acte qui ouvre et invente la vie et la création qui va avec.

Il est de l’essence du raisonnement de nous enfermer dans le cercle du donné. Mais l’action brise le cercle. Si vous n’aviez jamais vu un homme nager, vous me diriez peut-être que nager est chose impossible, attendu que, pour apprendre à nager, il faudrait commencer par se tenir sur l’eau, et par conséquent savoir nager déjà. Le raisonnement me clouera toujours, en effet, à la terre ferme. Mais si, tout bonnement, je me jette à l’eau sans avoir peur, je me soutiendrai d’abord sur l’eau tant bien que mal et en me débattant contre elle, et peu à peu je m’adapterai à ce nouveau milieu, j’apprendrai à nager (…) Il faut brusquer les choses, et, par un acte de volonté, pousser l’intelligence hors de chez elle[22].

Voyons maintenant de quelle nature est l’art libre en émettant l’hypothèse qu’il est une création qui tend à l’incréé.

3. L’art libre tend à l’incréé.

Décréation : faire passer du créé dans l’incréé.
Destruction : faire passer du créé dans le néant. Ersatz coupable de la décréation.
(…)
La création : le bien mis en morceaux et éparpillé à travers le mal.
Le mal est l’illimité, mais il n’est pas l’infini.
Seul l’infini limite l’illimité[23].

Nous le constatons, l’art libre est un art qui n’a pas forcément les qualités reconnues habituellement à la création artistique. Du fait de son ouverture, il prend aussi le risque d’une destruction. Mais, son mouvement procède d’une décréation qui ouvre sur l’incréé car, s’il œuvre, c’est en passant. Il peut-être passable et fort médiocre comme possiblement génial. Si nous essayons de trouver des repères dans l’histoire de l’art récente nous pourrions dire qu’il relève de l’art brut inventé par Dubuffet et du readymade de Duchamp. Art brut, parce qu’il est fait par « l’homme du commun à l’ouvrage »[24] sans trop de volonté artistique et readymade parce qu’il est déjà fait et qu’il suffit de l’observer avec des yeux d’artiste.

Quel est le plus difficile de tout ? Ce qui te paraît le plus facile : Voir avec tes yeux ce qui se trouve devant tes yeux[25].

Maintenant que nous avons posé l’art libre en rapport avec la Culture Libre, posons-nous la question :

4. Une Culture Libre est-elle possible, est-elle souhaitable ?

Non seulement la Culture Libre est possible mais elle est inévitable, car elle procède d’une logique (im)matérialiste propre à la numérisation de la culture mondiale via les pratiques qui vont avec et notamment via l’internet, mais pas seulement. Par contre, elle n’est souhaitable que si, et seulement si, elle comprend le mouvement imprenable d’une création qui tend à l’incréé. Sinon,

(…) se referme le cercle momentanément ouvert. Une partie du nouveau s’est coulé dans le moule de l’ancien ; l’aspiration individuelle est devenue pression sociale ; l’obligation couvre le tout[26].

Pour maintenir ce qui s’ouvre et ne pas voir refermer le cercle, l’institution du copyleft est nécessaire car il interdit de refermer ce qui a été ouvert. S’agirait-il finalement de modifier le Code de Propriété Intellectuelle de façon à ce que soit inclus, comme droit de l’auteur, la copie, la diffusion et la modification des œuvres sans autoriser la captation exclusive ? Une sorte de domaine public, mais qui reste ouvert et ne peut être refermé. Sans doute, cette piste est-elle à envisager[27].

5. L’art libre : de l’art tout simplement possible.

Et si c’était l’art, activité considérée comme dépassée[28], qui, avec le copyleft comme principe de création, demeurait toujours possible ? Possible car impossible à clore de façon définitive. Un possible toujours à faire, une impossible affaire dont on n’a pas fini de faire le tour. Car la « réelle présence »[29] de l’art (libre) ne se confond pas avec le présent de la Culture (Libre), même s’il peut y prendre part. L’art libre serait alors le fil conducteur ténu mais persistant de ce qu’une Culture Libre promet, mais sans pouvoir le faire tenir durablement : une société ouverte à tous et à chacun et qui ne se referme pas mais poursuit tout simplement son mouvement gracieux d’ouverture.

Ainsi, pour celui qui contemple l’univers avec des yeux d’artiste, c’est la grâce qui se lit à travers la beauté et c’est la bonté qui transparaît sous la grâce. Toute chose manifeste, dans le mouvement que sa forme enregistre, la générosité infinie d’un principe qui se donne[30].

« De l’art libre et de la Culture Libre », Antoine Moreau
Texte de la conférence donnée le 03 mai 2009 lors de la Biennale de Montréal
Copyleft : ce texte est libre, vous pouvez le copier, le diffuser et le modifier selon les termes de la Licence Art Libre

Notes

[1] Crédit photo : Philippe Jimenez (Licence Art Libre)

[2] Jacques Rancière, Le spectateur émancipé, La Fabrique éditions, Paris, 2008, p 66.

[3] Jacques Rancière, Idem, p 67.

[4] Lawrence Lessig Free Culture, how big media uses technology and the law to lock down culture and control creativity, Penguin USA, 2004, traduction française en téléchargement sur ReadWriteWeb.

[5] Les licences Creatives Commons, au nombre de 11 à l’origine, puis de 6 (sans compter les cas particuliers).

[6] Regroupés autour de la revue Allotopie (François Deck, Emmanuelle Gall, Antonio Gallego, Roberto Martinez).

[7] Par Mélanie Clément-Fontaine, David Geraud (juristes) et Isabelle Vodjdani, Antoine Moreau (artistes).

[8] GPL version 3. Traduction non officielle en français de la version 2.

[9] GNU Operating System, Licenses,

[10] Licence Art Libre.

[11] Henri Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, PUF, Quadrige, Paris, 1988.

[12] Denys Cuche, La notion de culture dans les sciences sociales, La découverte, Paris, 1996, 2001, 2004, p.3.

[13] « Dogmatique est le discours occupant la place mythique de la vérité et, de ce fait, servant de fondement aux images identificatoires, pour la société en tant que telle et pour tout sujet ressortissant de cette représentation. » Pierre Legendre, Leçons VI. Les enfants du Texte. Étude sur la fonction parentale des États, Fayard, 1992, p. 68.

[14] « Représentation graphique en variation d’un signe ou caractère typographique. » Wictionary.

[15] Carl André, cité par Boris Groys, Politique de l’immortalité, quatre entretiens avec Thomas Knoefel, Maren Sell Éditeurs, Paris, 2002-2005, p. 77.

[16] Vladimir Jankélevitch, Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien 1/ La manière et l’occasion, Seuil, Essais, 1980.

[17] Arthur Rimbaud, Lettre à Georges Izambard – 2 novembre 1870.

[18] Attribution-Share Alike 3.0 Unported.

[19] C. Herrenschmidt, Les trois écritures. Langue, nombres, code, Gallimard, 2007, p. 453, 454.

[20] Ne mettons pas de majuscule pour signifier qu’il n’a rien de grandiose.

[21] Cité par Christiane Carlut : « Adorno définissait l’œuvre d’art en tant que résistance à son assimilation au culturel », Copyright \ Copywrong, Éditions MeMo, 2003, p. 18.

[22] Henri Bergson, L’évolution créatrice, PUF, Quadrige, 2006, p.193-195.

[23] Simone Weil, La pesanteur et la grâce, Plon, Agora, 1947 et 1988, p. 81 et p.130.

[24] Jean Dubuffet, L’homme du commun à l’ouvrage, Gallimard, Idées, 1973.

[25] Goethe, Xenien, cité par Pierre Hadot, Le voile d’Isis, Gallimard, Folio, p. 332.

[26] Henri Bergson. Les deux sources de la morale et de la religion, PUF, Quadrige, Paris, 1988, p. 284.

[27] À notre connaissance, cette piste a été envisagée par Mélanie Clément-Fontaine dans son article « Faut-il consacrer un statut légal de l’œuvre libre ? » PI, n° 26, janvier 2008.

[28] « L’art n’apporte plus aux besoins spirituels cette satisfaction que des époques et des nations du passé y ont cherchée et n’ont trouvé qu’en lui (…). L’art est et reste pour nous, quant à sa destination la plus haute, quelque chose de révolu. Il a, de ce fait, perdu aussi pour nous sa vérité et sa vie authentique. » Hegel, Cours d’esthétique, Tome 1, Aubier, Paris, 1995-1997, p. 17 & 18, cité par Bernard Bourgeois, Le vocabulaire de Hegel, Ellipses, Paris 2000, p. 12.

[29] Référence au livre de Georges Steiner, Réelles présences, les arts du sens, Gallimard Folio, 1994.

[30] Bergson, La pensée et le mouvement, PUF, 2003, p. 280 cité Pierre Hadot, op. cit., Gallimard, Folio, p. 296.




Largage de liens en vrac #16

Pitel - CC by-saNouvelle fournée des liens en vrac autour des (supposées ou avérées) nouveautés logicielles. Si il fallait lui donner une note, je dirais… 16/20.

J’en profite pour lancer un appel à participation parce qu’à Framasoft nous croulons sous le boulot en ce moment.

Y aurait-il de gentils volontaires prêts à maintenir avec moi cette rubrique des Liens en vrac ? Et pourquoi pas aussi pousser la chose plus loin, en effectuant un véritable test lorsque le logiciel semble vraiment intéressant ? Test qui pourrait faire l’objet d’un billet à part entière ici.

Pour le dire autrement, un peu comme sur Facebook, je veux me faire des amis pour ne plus être seul[1] avec cette rubrique qui je sais rend service mais qui prend pas mal de temps à rédiger à chaque fois.

Si vous voulez « être mon ami », il suffit de m’envoyer un message via notre formulaire.

Et c’est parti, mon kiki…

  • SRWare Iron : Justement, à propos de Chrome, la principale raison de ne pas y passer c’est… Google. Voici donc la tentative allemande d’un Chrome sans Google (à partir des sources de Chromium, la version libre de Chrome, je sais c’est compliqué). Toutes les qualités de Chrome moins les problèmes de privacy ?
  • The Open Video Player Initiative : « The Open Video Player Initiative is a community project dedicated to sharing player code and best practices around video player development and monetization. » Pas besoin de traduire non ? Il y a Adobe et Microsoft dans les partners. Doit-on alors se méfier ?
  • Dogma Player : Codé en Flex, un player musical (encore en bêta) pour avoir accès à tout le catalogue Dogmazic.
  • Pixie : Un site web permettant de créer des sites web ! Intituitif et sexy.
  • Papillon : Outil en ligne de réservation de ressource et d’affichage de disponibilité. Un Doodle libre à surveiller de près.
  • Open Font Library : Une sorte de forge spécialement dédiée aux polices de caractères très bien présentée. Piochez mais aussi créez et partagez vos polices libres et ouvertes ! (Mozilla est impliquée dans le projet)
  • LMMS : Acronyme de Linux Multi Media Studio. Sorte d’alternative libre à Cubase (mais à vérifier, je suis pas très calé en création musicale). On pourra lire ce tutoriel sur Linux MAO.
  • Sockso Personal Music Server : Hadopi appréciera moyennement cet outil pour se créer sur son ordi son petit serveur musical que l’on peut partager avec ses amis sur le Net (Java inside)
  • UltraStar Deluxe : Un logiciel de karaoke libre inspiré de Singstar (Playstation).
  • Thematic : Pour que le webmaster blogueur en herbe se fasse un WordPress aux petits oignons.
  • AlbanEye : Un JavaScript qui déroule un coin de page terrifiant sur l’œil de Moscou Christine Albanel. Peut resservir pour d’autres occasions.
  • Monkey Smileys : Des smileys mais sous forme de tête de singe, par notre ami Poupoul2.
  • Circos : Pour visualiser le génome mais par extension toutes sortes de données, le tout dans un cercle dont les points sont liés par des courbes de couleurs. Un truc un peu mutant mais très très joli (si quelqu’un veut nous en dire plus dans les commentaires…).
  • ICEpdf : Ce lecteur de PDF en Java vient de passer Open Source.
  • jsPDF : Pour générer du PDF uniquement en JavaScript (et donc à partir de votre navigateur si vous le souhaitez).
  • Flot : Utilise toujours l’excellente bibliothèque JavaScript jQuery pour faire de bien jolis graphiques.
  • FullCalendar : Encore avec jQuery, j’ai relevé ce calendrier à mettre sur son site web.
  • jCart : Et pour en finir avec jQuery, la petite boutique de vente en ligne avec panier et tout et tout (intègre Paypal).
  • Cinecode : Si j’ai bien compris un encodeur permettant de convertir d’un simple glisser/déposer n’importe quel fichier vidéo (ou presque) en Flash (.flv).
  • Appetizer : Un esthétique lanceur d’applications (ou dock) pour Windows. Existe en version portable.
  • Open Paint : Qui n’a pas connu le logiciel Paint de Windows ? (à l’école, les élèves continuent de l’utiliser dès qu’on a le dos tourné). On tient ici une tentative de clonage Open Source de Paint déjà bien aboutie.
  • Miro Adoption : Miro propose ses lignes de code à l’adoption. Une manière originale de lancer une campagne de dons.
  • Le Wecena ? : Je le signale car j’ai trouvé le mot intéressant (contraction si j’ai bien compris de web et mécénat). « Le wecena met au service de projets d’intérêt général la créativité et le savoir-faire technologiques des meilleurs ingénieurs et informaticiens de la profession. Le wecena, c’est le mécénat de compétences en informatique. »
  • TaskJuggler : Un logiciel de gestion de projet (vous n’en saurez pas plus !)
  • Web Optimizer : Ensemble d’applications permettant de réduire le temps de chargement de vos pages web.
  • Ulteo Virtual Desktop : Philippe Scoffoni nous annonce la sortie en version 1.0 de la solution de bureau virtuel Ulteo Virtual Desktop (je n’arrive pas à comprendre si le projet Ulteo, de Gaël Duval, ex-fondateur de Mandrake, est un espoir ou une déception, vous avez un avis ?).

Notes

[1] Crédit photo : Pitel (Creative Commons By-Sa)




Souhait post Hadopi

Hamed Masoumi - CC byNous y sommes, le projet de loi Création et Internet vient d’être adoptée par l’Assemblée. Il était temps parce qu’avec 296 voix pour et 233 contre nous sommes loin de la quasi unanimité du Sénat au mois d’octobre dernier.

Sans vouloir ni dramatiser ni nous montrer grandiloquent, je crois que la meilleure réponse que Framasoft puisse aujourd’hui donner, c’est de modestement tenter de continuer à exister et se développer.

En effet, qu’on le veuille ou non, proposer, depuis plus de sept ans, un ensemble de services et de ressources collaboratives (sous licences libres et formats ouverts) autour du logiciel libre, participe de cette culture qui s’inscrit en opposition souvent frontale avec la philosophie générale de cette loi qui, on l’a vu, a complètement débordé le cadre de la simple lutte contre le téléchargement illégal.

Cela ne sera pas facile car nous demeurons plus que fragiles. Mais ce malheureux épisode aura sans conteste permis de nous compter[1], et nous espérons bien en être et apporter notre petite pierre le plus longtemps possible.

Ce qui ne nous tue pas, nous rend plus fort…

Notes

[1] Crédit photo : Hamed Masoumi (Creative Commons By)




Le journal La Croix consacre un dossier au logiciel libre

Intéressante évocation du logiciel libre dans le journal La Croix du jour. D’abord parce qu’on y parle de libre dans un grand quotidien, mais aussi par le contenu des articles (pluriels, et qui forment donc un véritable dossier).

Il y a tout d’abord l’article Les logiciels libres, histoire d’un succès qui introduit le dossier.

Depuis leur apparition il y a vingt-cinq ans, les logiciels libres n’ont cessé de se développer, convainquant un large public, professionnels comme amateurs, entreprises comme administrations, de l’efficacité de leur modèle de développement.

On y parle de vente liée, de Stallman et des méthodes de travail du libre. Une large place est faite au témoignage d’Alexandre Zapolsky (président de la FniLL et de Linagora), pour qui le libre sait s’adapter aux difficultés des temps actuels.

Reste que « le libre profite de la crise », selon Alexandre Zapolsky. Jusque-là, les grands organismes ne voulaient pas prendre de risques en abandonnant le « propriétaire » au motif que, selon Loïc Rivière, « la possibilité de l’accès au code peut tenter des personnes mal intentionnées ». « Mais cette frilosité s’estompe avec les restrictions budgétaires », reprend Alexandre Zapolsky. L’argument économique n’est cependant pas la seule cause de la progression du secteur : « Nos clients veulent leur indépendance à l’égard des grands éditeurs et fournisseurs », ajoute le président de la FniLL.

J’ai noté une double citation, de l’Afdel et de NKM, qui pourrait faire l’objet d’un petit débat.

Des solutions qui coûtent souvent beaucoup moins cher que celles qui font appel à des logiciels propriétaires. « C’est moins cher à court terme, mais à long terme, les services achetés à une société du libre peuvent coûter plus cher que l’acquisition d’un logiciel propriétaire », rétorque Loïc Rivière, délégué général de l’Association française des éditeurs de logiciels (Afdel), qui veille à ce que l’État reste neutre en face du choix de solutions entre « libre » et « propriétaire ».

(…) « Ce que beaucoup redoutent, ce n’est pas forcément le libre, mais c’est la migration vers un environnement différent, analyse Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État au développement de l’économie numérique. Pour les collectivités, l’État finance beaucoup de formations aux logiciels libres en direction des élus. Mais on ne peut pas les forcer à faire le choix entre libre et propriétaire. »

L’Angleterre semble avoir fait un choix différent. Il ne s’agit pas de forcer mais d’inciter fortement pour les raisons que l’on sait (par exemple en parcourant les cinq cents articles du Framablog !).

Un deuxième article s’intitule Peaufiner les logiciels est un modèle de science participative.

Il s’agit donc de comprendre un peu mieux comment fonctionne le logiciel libre et de faire plus ample connaissance avec tous ces gens qui gravitent autour non, sans un certain enthousiasme.

Parmi eux, il y a un administrateur de Rue89, l’incontournable April et… notre ami Pierre-Yves (alias Pyg quand il est rédacteur du Framablog). Ce dernier me fait savoir dans l’oreillette que retenir ce qui suit sur près d’une heure d’entretien téléphonique avec la journaliste, c’est un peu… frustrant ! (d’autant qu’il lui arrive d’être barbu et de manger des pizzas à 3 heures du mat’).

« Nous ne sommes pas des utopistes barbus qui mangent de la pizza à 3 heures du matin. » Pierre-Yves Gosset, délégué général de l’association Framasoft, s’élève contre les clichés qui frappent les développeurs de logiciels libres. « Les gens pensent toujours que c’est un sujet technique seulement maîtrisé par les informaticiens », déplore-t-il.

Lancé par des spécialistes en informatique, le mouvement du « libre » rassemble aujourd’hui des profils très divers, techniciens comme profanes. Framasoft structure un réseau de sites Internet et met à la disposition du public des ressources sur les logiciels libres.

Avec une volonté participative : ce sont les utilisateurs de logiciels eux-mêmes qui rédigent leur présentation, enrichissent l’annuaire, traduisent des textes pour les mettre à la portée de tous. « Nous encourageons les utilisateurs à s’entraider et à publier de l’information, c’est une sorte de “Wikipedia du libre” », précise Pierre-Yves Gosset.

(…) À distance, un échange se crée entre développeurs professionnels, traducteurs bénévoles, utilisateurs vigilants. Leur passion commune permet d’améliorer sans cesse les logiciels existants, ou d’en créer de nouveaux. « Le public est très varié, confirme Pierre-Yves Gosset. Il y a des médecins, des plombiers, des couturières. Chacun peut devenir producteur et créateur. »

Quand je pense qu’il ne m’a jamais présenté la couturière ! Bref passons…

Par contraste, « l’enfermement du savoir » est le principal reproche adressé aux logiciels propriétaires. « Le logiciel est l’expression technique d’une idée, affirme Pierre-Yves Gosset. C’est un enjeu éthique : est-ce que le marché peut s’approprier quelque chose qui relève du bien commun ? »

(…) Les acteurs du libre refusent néanmoins qu’on leur prête des intentions idéologiques. Bill Gates, le richissime fondateur de Microsoft, les surnomme « les communistes d’un nouveau genre ». Ils admettent en revanche défendre une vision « citoyenne ». Pierre-Yves Gosset résume les valeurs du « libre » par une devise bien connue : « Liberté, égalité, fraternité. »

Fallait bien la placer quelque part la devise 😉

Un troisième article se demande si Le logiciel libre paraît-il utopique ? dans une sorte de dialogue entre NKM et François Elie (cf la récente interview).

L’avis de NKM sur le sujet laisse à penser qu’elle a bien compris le logiciel libre et ses enjeux. De quoi être malgré tout un peu optimiste pour la période gouvernementale post-Hadopi ?

« Le logiciel libre est d’abord une philosophie, avant d’être un standard ou un modèle économique. Je n’irais pas jusqu’à dire que c’est une religion, bien que l’on parle des commandements du logiciel libre !

(…) Le modèle de financement du libre est cependant plus fragile que celui du logiciel dit propriétaire. Les éditeurs de logiciels disposent de la rente annuelle de licences. Dans le libre, il faut sans cesse inventer et améliorer des produits pour pouvoir survivre. L’avantage du libre est son caractère innovant.

(…) Le libre est un peu l’anti-trust d’un secteur facilement monopolistique. Du coup, la philosophie du libre s’étend et un équilibre dynamique s’installe entre “libre” et “propriétaire” avec des mouvements de vague tantôt dans un sens tantôt dans l’autre. Je ne crois donc pas que cette évolution aboutisse à la disparition du propriétaire. »

C’est pourtant ce que prophétise peu ou prou François Elie dans son livre Économie du logiciel libre.

Il n’y a pas de fatalité à ce que ce logiciel soit propriétaire. Toute l’informatique est en train de basculer vers un autre modèle. Même Microsoft songe à basculer vers le libre. »

Il y a également un petit Lexique sur les logiciels libres expliquant le logiciel libre, l’open source, le logiciel propriétaire, et la licence GPL.

D’habitude lorsque le Framablog pointe un article de presse autour du logiciel libre, il y a toujours de « gentils pinailleurs » prêts à dégainer dans les commentaires pour en souligner les inexactitudes (sachant qu’il n’est pas toujours simple de vulgariser le logiciel libre, sachant aussi que ces précisions apportent de l’information aux lecteurs du blog).

En ira-t-il de même ici ? Vous le saurez en parcourant… les commentaires 😉