Frama, c’est aussi des personnes au service des services

Installer 16 services en ligne sur des serveurs, c’est une chose. Assurer leur sécurité, leurs mises à jour, leur sauvegarde, en est une autre. Si on ajoute à cela un travail sur l’accueil, les réponses aux questions de chacun·e et l’accompagnement vers d’autres hébergeurs de confiance… Alors cela représente un effort quotidien de multiples personnes.

« Frama, c’est pas que… »

Pour l’automne 2021, chaque semaine, nous voulons vous faire découvrir un nouveau pan des actions menées par Framasoft. Ces actions étant financées par vos dons (défiscalisables à 66 %), vous pouvez en trouver un résumé complet, sous forme de cartes à découvrir et à cliquer, sur le site Soutenir Framasoft.

➡️ Lire cette série d’articles (oct. – déc. 2021)

Héberger un service en ligne, ce n’est pas juste appuyer sur un bouton. C’est plusieurs personnes qui appuient sur de nombreux boutons, toute la journée. Car si on veut proposer des services en lesquels vous pouvez avoir confiance, il faut forcément mettre des humain·es derrière les machines.

jeu de cartes Framasoft "des personnes au service des services"

Accueil des services

Nous entreprenons actuellement une campagne de mise à jour des pages d’accueil des services que nous proposons. La page d’accueil, c’est LA page de référence qui doit vous donner les bons accès et les explications que vous recherchez au premier coup d’œil.

Carte "Accueil des services" Nous sommes en train de ré-imaginer chaque page d'accueil des services en ligne que nous proposons. Synthétique, cette page doit donner une image claire et un accès direct au service, tout en informant de ce qu'il fait, ses limites, ses conditions, sa raison d'être…

Pour cette nouvelle version, nous avons conçu une page d’accueil qui vous permet une découverte progressive du service, au fur et à mesure de votre défilement sur la page. Le premier bandeau vous accueille avec le nom, la description, et une magnifique illustration du service… mais surtout avec de gros boutons pour l’utiliser directement. Puis des onglets vous exposent ses fonctionnalités principales, avant que l’on précise les limitations et les règles qui régissent son utilisation.

Ensuite la page d’accueil détaille comment et pourquoi nous hébergeons ce service. C’est avant tout un acte politique qui nous motive à poursuivre ce travail, et nos intentions n’étaient souvent pas bien comprises ni même connues des bénéficiaires de nos services. Désormais, nos motivations sont clairement affichées.

Ces pages d’accueil se concluent par une présentation de Framasoft et notre formulaire de don, car c’est bel et bien grâce aux dons des personnes qui soutiennent Framasoft que ces services sont utilisés gratuitement par plus d’un million de personnes chaque mois. L’objectif n’est ni de culpabiliser ni de pousser au don, mais bien de montrer concrètement que le « gratuit » est toujours financé, d’une manière ou d’une autre.

illustration CC-By David Revoy (sources)

Infrastructure

On vous le confirme : le cloud, c’est loin d’être vaporeux ! Il s’agit d’ordinateurs très concrets, toujours allumés et toujours connectés (des serveurs), qu’il faut bichonner constamment.

Carte "Infrastructure technique" Notre équipe technique assure une maintenance minutieuse des serveurs composant notre infrastructure. Mises à jour, sauvegardes sur différents sites, renouvellement du matériel vieillissant, lutte contre le spam… Maintenir les services, c'est un travail constant.

Parce que Framasoft, c’est 43 serveurs physiques et 4 serveurs de stockage, avec des sauvegardes réparties sur 2 sites géographiques, pour éviter que les données ne soient perdues en cas d’un problème physique (incendie, inondation, séisme, etc.).

Sur 11 de ces serveurs sont installées 48 machines virtuelles, alors que les 32 autres serveurs sont utilisés directement. Virtuelles ou physiques, cela fait donc 91 machines, chacune avec son système d’exploitation, qu’il faut tenir à jour, mettre à niveau, etc.

Ces serveurs abritent les logiciels qui font tourner les services (et vous envoient vos emails de notification, etc.). Ces logiciels sont monitorés (on surveille si l’activité est normale, pour savoir quand ça rame ou quand ça surchauffe, par exemple), régulièrement mis à jour, et migrés sur une autre machine lorsqu’il y en a besoin.

Derrière ces logiciels, ces machines virtuelles, ces serveurs et cette infrastructure, il y a une petite équipe de 3 personnes (dont une à temps plein) qui se relaient et se décarcassent pour que tout fonctionne au mieux. Car si l’informatique a facilité l’automatisation, l’humain reste indispensable pour servir les serveurs.

illustration CC-By David Revoy (sources)

Support

S’il y a bien un travail dont on n’imagine pas l’ampleur avant d’ouvrir un service en ligne au grand public, c’est le nombre de demandes d’aide auxquelles il faut répondre. Enfin, quand nous disons qu’ « il faut », c’est plutôt un choix : notez que les géants du Web font tout pour être injoignables et ne pas répondre à vos demandes (sauf si vous payez cher un service de support).

Carte "Support" Chaque mois, Framasoft reçoit et traite près de 400 demandes. Du « j'ai perdu mon pad » à la demande d'atelier, du besoin d'aide sur Framaforms à l'interview radio, nous faisons de notre mieux pour vous répondre et vous autonomiser dans vos usages de nos outils.

Or nous avons les ressources d’une petite association pour affronter des problèmes de géants. Avec un million de personnes qui utilisent nos services chaque mois, et 37 membres dans notre association (dont un salarié à plein temps sur les réponses à vos demandes), l’astuce est de trouver comment vous autonomiser au maximum.

Depuis près d’un an, nous avons remodelé notre seule et unique page de contact (vraiment, si vous voulez une réponse fiable par la personne concernée, ne nous interpellez pas sur les médias sociaux, mais bien sur contact.framasoft.org !).

Cette page a été conçue pour vous rendre indépendant·e :

  • avec un accès direct aux réponses les plus courantes sur le sujet qui vous concerne (dans 90 % des cas, votre réponse se trouve déjà là) ;
  • avec un lien vers le forum d’entraide où toute une communauté est présente pour vous répondre ;
  • avec le formulaire de contact si votre demande ne peut pas être publique (données personnelles, invitation, etc.).

Grâce à ces outils d’autonomisation, nous sommes passé·es de 450 à 200 demandes à traiter par mois (sans compter les spams, sinon il faut doubler). Cela permet de ne pas perdre d’énergies à vous copier-coller les réponses de notre Foire aux Questions, pour mieux se consacrer aux échanges, éclaircissements, investigations, tests, etc. qui permettent de répondre à vos besoins parfois très spécifiques.

illustration CC-By David Revoy (sources)

Alternatives à Framasoft

Dès le lancement de la campagne Dégooglisons Internet, nous savions que Framasoft ne pourrait pas répondre à elle seule à tous les besoins qui existent pour s’émanciper dans ses usages numériques. C’est pourquoi, sur le site degooglisons-internet.org, il y a une page qui recense des alternatives dans et hors Framasoft : des alternatives à Google Chrome, à BlablaCar ou à Gmail par exemple.

Carte "Alternatives à Framasoft" Framasoft a voulu profiter de la fermeture de certains de ses services pour vous présenter une page qui vous aiguille vers les mêmes services, maintenus par d'autres. Ces hébergeurs de confiance nous aident ainsi à favoriser la décentralisation des usages numériques.

On parle souvent du travail que c’est de construire un projet, par exemple lorsqu’on ouvre un nouveau service. Mais déconstruire demande aussi un effort non négligeable, surtout lorsqu’on essaie de le faire proprement. Ainsi, pour chaque service que nous avons fermé, nous avons créé une page permettant de recenser des alternatives, souvent le même outil, proposé par des hébergeurs de confiance.

Lister, recenser et mettre en valeur des alternatives, c’est un travail régulier, car il faut se tenir à jour, répondre à ceux qui signalent leur nouvelle alternative, voir si celles qui sont présentées sont toujours pertinentes.

C’est cependant un effort logique : si l’on veut promouvoir la décentralisation, si l’on ne veut pas que tout le monde aille chez le même hébergeur et crée un nouveau géant du Web, alors il faut présenter la diversité des propositions.

C’est d’ailleurs en cela que le site entraide.chatons.org, qui avait été ouvert en urgence pour répondre aux besoins nés de la pandémie, reste une ressource très utile : 9 services en ligne, 0 compte à créer, le choix d’hébergeurs qui tourne automatiquement, pour décentraliser sans y penser.

illustration CC-By David Revoy (sources)

Découvrez tout ce qu’est Frama !

Voilà qui conclut le focus de cette semaine. Vous pourrez retrouver tous les articles de cette série en cliquant sur ce lien.

Sur la page Soutenir Framasoft, vous pourrez découvrir un magnifique jeu de cartes représentant tout ce que Framasoft a fait ces derniers mois. Vous pourrez ainsi donner des couleurs à l’ensemble des activités que vous financez lorsque vous nous faites un don. Nous espérons que ces beaux visuels (merci à David Revoy !) vous donneront envie de partager la page Soutenir Framasoft tout autour de vous !

En effet, le budget de Framasoft est financé quasi-intégralement par vos dons (pour rappel, un don à Framasoft de 100 € ne vous coûtera que 34 € après défiscalisation). Comme chaque année, si ce que nous faisons vous plaît et si vous le pouvez, merci de soutenir Framasoft.

Frama, c'est pas que Framapad ! Cependant, la quinzaine de services en ligne proposés par Framasoft reste l'action la plus populaire de l’association. Nos actions sont financées par vos dons, alors découvrez l'ensemble du travail de Framasoft sur Soutenir Framasoft
Cliquez pour découvrir toutes les cartes et soutenir Framasoft

Pour aller plus loin




Frama, c’est aussi de la médiation aux communs numériques

De l’édition de livres aux ateliers et conférences, des interviews aux traductions sur le blog et jusqu’au podcast… À Framasoft, nous explorons de nombreuses manières de partager ce que nous savons et d’apporter notre pierre à l’édifice des communs culturels.

« Frama, c’est pas que… »

Pour l’automne 2021, chaque semaine, nous voulons vous faire découvrir un nouveau pan des actions menées par Framasoft. Ces actions étant financées par vos dons (défiscalisables à 66 %), vous pouvez en trouver un résumé complet, sous forme de cartes à découvrir et à cliquer, sur le site Soutenir Framasoft.

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Nous avons la chance, à Framasoft, d’avoir du temps libéré pour observer et tenter de comprendre le monde numérique actuel, ses règles, ses mécanismes. Cette connaissance nous sert à imaginer et explorer des pistes pour faire autrement, s’extraire du capitalisme de surveillance et de l’économie de l’attention. Mais ce serait bien triste si les savoirs et expériences que nous accumulons n’étaient pas partagés !

jeu de cartes Framasoft "…de la médiation aux communs numériques"

Rencontres et conférences

Les 37 membres de l’association Framasoft vivent dans une trentaine de villes différentes. C’est une chance, cela nous permet de pouvoir régulièrement répondre à des invitations de participer à des ateliers, tables-rondes, conférences, échanges, etc. Et si les agendas ne s’alignent pas, nous savons refuser poliment aussi.

Carte "Rencontres" Habitant aux quatre coins de l’hexagone, les membres de Framasoft interviennent régulièrement dans des événements. D’ateliers en webinaires, de conférences en ciné-débats, nous partageons nos observations, craintes et espoirs sur le numérique, et le monde qu’il façonne.

Certes, la pandémie qui continue de façonner nos vies a réduit le nombre de rencontres auxquelles nous participons actuellement. Mais elle a aussi normalisé les webinaires et autres interventions à distance auprès du grand public et des personnes qui organisent ces événements (ce qui nous a par exemple permis de participer à L’Özgürkon, la convention des libristes en Turquie).

Voilà qui tombe bien, causer à distance, c’est une chose que nous savons faire !

illustration CC-By David Revoy (sources)

Réponses aux médias

Soyons clair·es : Framasoft n’a aucune stratégie médias. Nos timidités, nos syndromes de l’imposteur, notre refus de se poser en expertes, notre vigilance à éviter d’avoir des têtes d’affiche, font que nous ne sommes pas de « bons clients ». L’association est de toute façon peu représentée à Paris, où une majeure partie de la sphère médiatique cherche ses intervenant·es.

Carte "Médias" Framasoft ne va – quasiment – jamais chercher l’attention des médias, car mine de rien, c’est du boulot ! Cependant, nous répondons régulièrement à des invitations à partager nos points de vue sur la centralisation du web, les pratiques numériques émancipatrices, etc.

Cependant, nous nous efforçons de répondre aux médias qui viennent nous interroger sur les enjeux du numérique (là où nous avons une expérience et une expertise à partager). Il nous arrive donc de nous frotter à l’interview « face cam » pour un documentaire, à la courte citation pour un quotidien, à des questions de la presse spécialisée indépendante, à celles d’un podcast pas du tout porté sur la « tech »…

Répondre aux entrevues n’est pas un exercice que nous recherchons, ni que nous affectionnons particulièrement (sauf lorsqu’il s’agit de contribuer aux recherches des universitaires). Cela reste cependant une manière intéressante d’accueillir la remise en question, de sortir de notre zone de confort et de semer des graines d’émancipation numérique aux quatre vents des internets.

illustration CC-By David Revoy (sources)

Le Framablog

Le Framablog est le principal organe de communication et de publication de Framasoft : dès que nous avons une action à annoncer, une déclaration qui nous démange, c’est sur le blog que ça se passe. Cependant, nous voulons que le Framablog soit plus que cela.

Carte "Framablog" Avec plus de 10 articles par mois, c’est sur le Framablog que Framasoft s’exprime le plus. Revue de presse, annonces de l’association, interviews, pamphlets, nouvelles du monde du Libre… Nous essayons d’ouvrir le Framablog à de multiples formes d’écritures et à divers invité·es.

Chaque lundi, Khrys nous offre son Khrys’presso, sa revue de web de la semaine ; qu’elle concocte en toute autonomie et liberté.

Régulièrement, le comité communication s’applique à faire découvrir une démarche libre intéressante, amusante, bouleversante, au travers d’interviews variées.

Par ailleurs, nous nous évertuons à inviter d’autres voix sur le Framablog. Il s’agit de personnes du monde du libre et des communs qui partagent leur expertise et leur expérience, dont nous reprenons (avec leur accord) des textes publiés sur leur propre blog.

Depuis l’été 2021, nous expérimentons autre chose : « commander » (c’est-à-dire solliciter et non pas diriger) des textes auprès de plumes qui nous inspirent et dont nous aimerions qu’elles consacrent un peu de leur verve à détailler un sujet qui nous importe. C’est ainsi qu’est né le dossier publié en feuilleton sur le Militantisme Déconnant de Viciss (du blog Hacking Social).

Cette collaboration est la première d’une série que nous espérons longue et fructueuse.

illustration CC-By David Revoy (sources)

Framalang

Framalang est né de cette envie de partager des nouvelles du monde du Libre avec les non-anglophones. Ce groupe cherche des articles (voire livres, sites web, etc.) en anglais (et parfois en italien, en espagnol) que les membres ont envie de traduire pour les partager avec le monde francophone (souvent sur le Framablog).

Carte "Framalang" Le groupe de travail Framalang traduit – en toute autogestion – des articles, sites et livres… Le monde du numérique exclut parfois les non-anglophones, c’est pour cela que Framalang publie ses traductions sur le Framablog.

Le groupe Framalang est, à nos yeux, un très bel exemple de la relation qu’il peut y avoir entre une association (Framasoft) et un groupe de contributeurices auto-géré·es (Framalang). Le rôle de Framasoft se borne à donner à Framalang les moyens d’œuvrer : un espace, des outils, une audience, du temps et du soin dans l’animation du groupe…

Le collectif Framalang prend ses propres décisions, que ce soit dans le choix des textes à traduire, dans les méthodes et outils (qui ont évolué au fil des ans), ou les choix linguistiques et de mise en page. Framalang illustre une règle importante chez Framasoft : dans le respect du collectif, c’est kikifé kidécide.

illustration CC-By David Revoy (sources)

Des livres en Communs

Ah ! si vous saviez comme nous sommes impatient·es de vous montrer cette nouvelle évolution de notre maison d’édition ! Depuis plus d’un an, les membres du projet Framabook ont décidé de revoir intégralement le fonctionnement actuel qui reposait sur « le pari du livre libre ». En effet, jusqu’à présent, ce pari consistait à distribuer librement et gratuitement les ebooks tout en rémunérant honnêtement les auteurs et autrices sur les ventes papier.

Carte "Des livres en communs" La maison d’édition Framabook évolue et devient « Des Livres en Communs ». Depuis quelques mois, Framasoft prépare la renaissance de ce projet historique de l’association, avec un changement de paradigme pour mieux soutenir la création de communs culturels.

Seulement, nous n’avons jamais su intégrer Framabook aux chaînes de distribution et de diffusion du livre en France, qui sont verrouillées et dirigées par les industries culturelles. Leur fonctionnement repose sur la propriété, la vente, l’exploitation.

Des Livres en Communs (ce sera le nouveau nom de Framabook) a pour intention de changer de paradigme, en se concentrant sur la création et la production de communs culturels.

Nous comptons attribuer à des auteurices une bourse d’écriture pour reconnaître et rémunérer plus équitablement leur travail de création. Nous donnerons davantage de détails ultérieurement, notamment sur la façon dont nous choisirons les bénéficiaires de ces bourses. L’objectif est d’accompagner ces auteurices dans leur processus, pour qu’iels mènent à bien leur création qui deviendra un Commun.

En attendant, ces derniers mois, il nous a fallu faire l’inventaire des contrats et projets existants chez Framabook, et imaginer comment accompagner la transition de ce beau projet dans un nouveau paradigme.

illustration CC-By David Revoy (sources)

UPLOAD

Les projets évoluent mais les envies restent. Annoncée en 2017 comme une université populaire du libre, UPLOAD représente désormais pour nous une Université Populaire Libre, Ouverte, Autonome et Décentralisée. Ici le libre n’est plus une fin en soi (ce que l’on apprend) mais bien une manière de partager les connaissances.

Carte "UPLOAD" Cette Université Populaire Libre, Ouverte, Autonome et Décentralisée commence à germer dans nos travaux. Elle est préfigurée par un podcast et des « librecours ». UPLOAD doit encore grandir en s’inspirant des mouvements de l’éducation populaire avant de trouver sa forme.

Ces derniers mois, les membres de Framasoft ont exploré différentes manières d’envisager UPLOAD. Parce que trouver un nom qui claque, c’est bien, mettre quelque chose derrière, c’est mieux ! Est-ce que c’est une plateforme où l’on peut partager des connaissances ? Une série d’outils pour aider des groupes locaux à organiser des temps d’éducation populaire ? Une série de parcours pédagogiques où l’on accompagne les personnes qui s’y engagent…?

La question n’est pas tranchée, et la réponse dépendra beaucoup des personnes, collectifs et initiatives que nous rencontrerons dans nos explorations, des besoins que nous percevrons et de l’utilité que Framasoft pourrait avoir ici ou là (sans forcément réinventer la roue, car des personnes ont déjà montré la voie et construit des ressources).

En attendant, quelques-unes de nos expérimentations préfigurent cette université populaire : qu’il s’agisse du MOOC CHATONS, des Librecours ou du podcast UPLOAD, toutes illustrent notre envie de partager le savoir, et la capacitation qui va avec l’acquisition de connaissances.

illustration CC-By David Revoy (sources)

Découvrez tout ce qu’est Frama !

Voilà qui conclut le focus de cette semaine. Vous pourrez retrouver tous les articles de cette série en cliquant sur ce lien.

Sur la page Soutenir Framasoft, vous pourrez découvrir un magnifique jeu de cartes représentant tout ce que Framasoft a fait ces derniers mois. Vous pourrez ainsi donner des couleurs à l’ensemble des activités que vous financez lorsque vous nous faites un don. Nous espérons que ces beaux visuels (merci à David Revoy !) vous donneront envie de partager la page Soutenir Framasoft tout autour de vous !

En effet, le budget de Framasoft est financé quasi-intégralement par vos dons (pour rappel, un don à Framasoft de 100 € ne vous coûtera que 34 € après défiscalisation). Comme chaque année, si ce que nous faisons vous plaît et si vous le pouvez, merci de soutenir Framasoft.

Frama, c'est pas que Framindmap ! C'est aussi des conférences, livres, articles blog... Bref, tout un travail pour partager savoirs et expérience ! Nos actions sont financées par vos dons, alors découvrez l'ensemble du travail de Framasoft sur Soutenir Framasoft
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Pour aller plus loin :




Un commun numérique fête ses 25 ans : Internet Archive

Par curiosité ou nécessité, vous avez sûrement essayé de savoir à quoi ressemblait une ancienne page web, et vous avez utilisé la Wayback Machine pour remonter le temps. Eh bien ce génial service, qui permet d’accéder à des clichés instantanés de pages web archivées, est une des nombreuses ressources d’Internet Archive, qui fête cette année ses 25 ans.

On pourrait le célébrer avec une cascade de chiffres impressionnants : déjà plus de 70 pétaoctets de données stockées, 475 milliards de pages web, 28 millions de livres, 14 millions de fichiers audio, etc. Un succès considérable.

Mais le plus important c’est que Internet Archive est un commun numérique. Si vous savez déjà ce que ça signifie, passez au-delà du paragraphe explicatif suivant :

Comment se caractérise un commun numérique ?

Un commun désigne une ressource produite et/ou entretenue collectivement par une communauté d’acteurs hétérogènes, et gouvernée par des règles qui lui assurent son caractère collectif et partagé.
Il est dit numérique lorsque la ressource est numérique : logiciel, base de données, contenu numérique (texte, image, vidéo et/ou son), etc.
Les communs numériques ont des caractéristiques nouvelles : l’usage de la ressource par les uns ne limite pas les possibilités d’usage par les autres (la ressource est non rivale) et il n’est pas nécessaire d’en réserver le droit d’usage à une communauté restreinte afin de préserver la ressource (la ressource est non-exclusive).
Ainsi, les communs numériques gagnent à être partagés, car ce partage augmente directement la valeur de la ressource et permet par ailleurs d’étendre la communauté qui la préservera. Le numérique est donc à l’origine du développement de communs d’un nouveau genre, ouverts et partagés, accroissant d’autant plus leur potentiel.

Source : site communs.societenumerique.gouv.fr

Eh oui, Internet Archive coche toutes les cases et c’est une ressource partagée de laquelle on peut bénéficier et à laquelle on peut contribuer par un don, par un document mis en ligne (plus de 17 000 par jour…).

Voyez ce qu’en dit son fondateur, Brewster Kahle, 25 ans après les débuts :

Il y a 25 ans, je pensais que la construction de cette nouvelle bibliothèque serait surtout un processus technologique, mais je me trompais. Il s’avère que c’est surtout un processus humain. Internet Archive a été soutenu par des centaines d’organisations. Environ 800 bibliothèques ont participé à la création des collections web qui se trouvent dans la Wayback Machine. Plus de 1 000 bibliothèques ont fourni des livres à numériser dans les collections, qui comptent désormais 5 millions de volumes. En outre, des personnes spécialisées dans, par exemple, les horaires de chemin de fer, les radios anciennes ou les disques 78 tours, ont fait don de supports physiques et téléchargé des fichiers numériques sur nos serveurs […] L’année dernière, plus de 100 millions de personnes ont utilisé les ressources d’Internet Archive, et plus de 100 000 personnes ont fait un don pour nous soutenir financièrement. Il s’agit véritablement d’un projet mondial, la bibliothèque du peuple.

Brewster Kahle, dans un article récent.

… mais voici surtout quelques réflexions illustrées de Brewster Kahle que Framalang a traduites pour vous,

Article original : Reflections as the Internet Archive turns 25
Traduction Framalang : Claire, Julien / Sphinx, Goofy, Suzy

Quelques réflexions à l’occasion du 25e anniversaire d’Internet Archive

par Brewster Kahle

Brewster Kahle, Photo de Rory Mitchell, The Mercantile, 2020 – CC by 4.0

Brewster Kahle, Tamiko Thiel, Carl Feynman à Thinking Machines, Mai 1985. Photo courtesy of Tamiko Thiel.

Une bibliothèque pour tout

Jeune homme, je voulais participer à la création d’un nouveau média qui constituerait une avancée par rapport à l’invention de Gutenberg, quelques centaines d’années auparavant.

En construisant une bibliothèque pour tout à l’ère du numérique, je me suis dit qu’il y avait là une chance pour la rendre non seulement disponible à tout le monde mais également plus performante et intelligente que son équivalent papier. En utilisant des ordinateurs, cette bibliothèque ne serait pas seulement un outil de recherche mais également d’organisation : de sorte que l’on puisse naviguer au sein de millions, voire de milliards, de pages web.

La première étape a été de créer des ordinateurs capables de traiter d’énormes collections de riches contenus. Il a fallu ensuite créer un réseau qui puisse capter des ordinateurs du monde entier : l’Arpanet, qui allait devenir l’Internet. Plus tard, est arrivée l’intelligence augmentée qu’on a ensuite appelée les moteurs de recherche. J’ai alors contribué au WAIS (Wide Area Information Server) qui a aidé les éditeurs à rejoindre en ligne ce nouveau système ouvert, lequel a fini par être englobé dans le World Wide Web.

En 1996 est venu le moment de lancer la construction de la bibliothèque.

Cette bibliothèque contiendrait tous les ouvrages publiés de l’humanité. Cette bibliothèque ne serait pas uniquement accessible à ceux qui peuvent payer le dollar par minute que LexisNexis demandait, ou à l’élite des universités. Ce serait une bibliothèque accessible à n’importe qui, n’importe où dans le monde. Pourrions-nous pousser le rôle d’une bibliothèque plus loin, de sorte que les écrits de tous y soient inclus, pas seulement celles et ceux qui ont signé un contrat avec un éditeur new-yorkais ? Pourrions-nous construire une archive multimédia qui contiendrait non seulement des écrits, mais aussi des chansons, des recettes, des jeux et des vidéos ? Pourrions-nous permettre à tous de trouver des informations sur leur grand-mère dans cent ans ?

Un article du San Francisco Chronicle, Business Section, 7 mai 1988. Photo parJerry Telfer. Brewster Kahle est ici en compagnie de Bruce Gilliat, avec qui il a fondé Alexa Internet.

 

Ni un projet profitable ni une IPO

Depuis le début, l’Internet Archive devait être à but non lucratif parce qu’elle contient les œuvres de tout le monde. Ses motivations devaient être transparentes. Elle devait durer longtemps.
Dans la Silicon Valley, le but est de trouver une sortie de projet rentable, par un rachat ou par une introduction en bourse, et de passer au projet suivant. Cela n’a jamais été mon but. Le but de l’Internet Archive est de créer une mémoire permanente du Web qui puisse être utilisée pour fabriquer un nouveau cerveau global. Pour trouver au fil du temps des chemins dans les données qui nous offriront de nouvelles perspectives, bien au-delà de ce qu’un moteur de recherche peut faire. Pour être non seulement une référence historique, mais aussi une part vivante du cœur battant de l’Internet.

John Perry Barlow, parolier du Grateful Dead, auteur de la Déclaration d’indépendance du Cyberespace et fondateur de l’Electronic Frontier Foundation, reçoit des mains de Brewster Kahle le prix Internet Archive Hero Award, le 21 octobre 2015. Photo de Brad Shirakawa – CC by 4.0

Un coup d’œil dans le rétroviseur

Ce que j’ai préféré des premiers temps de l’ère du Web, ce sont les personnes qui rêvaient.
Dans les débuts du Web, on a vu les gens essayer de faire marcher un système plus démocratique. Les gens ont essayé de rendre la publication plus inclusive.
On a aussi vu les autres facettes de l’humanité : les pornographes, les arnaqueurs, les harceleurs et les trolls. Eux aussi ont vu l’occasion de réaliser leurs rêves dans ce nouveau monde. Finalement, l’Internet et le World Wide Web sont simplement à notre image. C’est juste une histoire de l’humanité. Et ça a été une expérience de partage et d’ouverture d’esprit.

Le World Wide Web sous son meilleur jour est un outil qui permet à chaque personne de partager ses connaissances, presque toujours gratuitement, et de trouver sa communauté, peu importe où l’on se trouve dans le monde.

Brewster Kahle au cours d’une conférence à la Bibliothèque de Charleston en 2019. Photo de Corey Seeman– CC by 4.0

Regardons vers l’avenir

Nous n’avons peut-être pas encore atteint l’accès universel à toutes connaissances, mais nous pouvons encore le faire. Dans 25 ans, nous pouvons collecter les écrits non pas de cent millions de personnes, mais d’un milliard de personnes, et les préserver à jamais. Nous pouvons avoir des systèmes de rémunération qui ne soient pas basés sur des modèles publicitaires qui profitent seulement à certains.
Nous pouvons avoir un monde avec de nombreux gagnants, avec des personnes qui participent, qui trouvent des communautés qui partagent leur façon de penser, et dont elles peuvent apprendre, partout dans le monde. Nous pouvons créer un Internet où nous nous sentons aux commandes.
Je crois que nous pouvons construire ce futur ensemble. Vous avez déjà aidé Internet Archive à construire ce futur. Durant les 25 dernières années, nous avons rassemblé des milliards de pages, 70 pétaoctets de données à offrir aux générations futures. Offrons-leur cela de manière innovante et passionnante. Construisons et rêvons ensemble pour les 25 prochaines années.

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Dans cette courte vidéo le jeune Brewster Kahle (en 1996) expose les principes du projet. Le document retrace ensuite l’évolution du projet Internet Archive jusqu’à aujourd’hui. Source de la vidéo (sous-titrages en français par nos soins)

 

Et encore…

  • Un article récent dans lequel Brewster Kahle proteste contre les poursuites judiciaires dont Internet Archive a été l’objet pendant la pandémie de la part des éditeurs qui voulaient lui interdire le prêt des ouvrages électroniques.
  • La page de dons pour Internet Archive
  • pour le fun et surtout le frisson : à l’occasion du 25e anniversaire, la Wayforward Machine donne rendez-vous dans 25 ans !



Contre les GAFAM du légume

Nous avons interrogé Éric Marchand, de la coopérative Jardin’enVie, qui produit et conserve des variétés de semences paysannes.

L’univers impitoyable des semenciers n’a rien à envier à celui des GAFAM, nous explique-t-il, dans un rapprochement saisissant entre les militantismes libriste et agricole.

 

Salut Éric. Peux-tu nous dire qui tu es ? J’ai vu que tu étais un ancien informaticien ?

« Informaticien », j’en sais rien, je ne sais pas comment on appelait ça à l’époque, mais on va dire ça. Oui, effectivement j’ai suivi une formation en informatique et j’ai participé à créer des entreprises d’informatique dans les années 90, en logiciels libres.

 

C’était plutôt nouveau, à l’époque, non ?

Oui, puisque Linux, sa date de naissance, entre guillemets, c’est 1991, et on a démarré en 1993 avec Linux.

L’une de ces entreprises proposait de l’accès à Internet, ce qui n’existait pas en France. FAI et développement de logiciels libres.

 

Vous étiez à la pointe, alors ?

On n’était pas très nombreux à faire ça. Après a démarré feu Mygale et toute la folie Internet, toutes les start-ups et tous les mouvements autour de l’Internet non marchand et solidaire qui ont fini par donner ceux qu’on connaît aujourd’hui, Gitoyen et autres.

 

Tu es un militant de la première heure ou tu es tombé là-dedans par hasard ?

Non, nous avons fait ça sciemment, pour s’opposer à la logique du brevet et de l’appropriation des idées, mais aussi parce que nous avions vu ce que donnait l’informatique par ailleurs, dans des entreprises plus traditionnelles avec une course à la puissance complètement aveugle.

 

J’imagine que c’était plutôt en ville, en tout cas pas du tout dans le milieu agricole ? Cependant j’ai cru comprendre que c’était la ferme de tes parents, ou de tes grands-parents, que tu as reprise là, avec Jardin’enVie ?

Oui, en fait je n’étais pas dans l’agricole d’un point de vue professionnel, mais mes origines familiales, des deux côtés, ont toujours gardé un lien fort avec les cultures sans chimie. Une implication assez forte, puisque l’un de mes grands-pères a participé à la création des croqueurs de pommes, la première association ayant contribué à préserver les variétés fruitières qui étaient menacées à l’époque par l’industrialisation de l’alimentation.

 

Ça faisait partie de ton histoire personnelle.

Oui. C’était pas moi, hein.

 

Bien sûr, mais il y avait un terreau, si tu me permets ce jeu de mots. Ça explique pas mal de choses, de voir l’origine des gens. Et du coup, Jardin’enVie, ça a démarré quand ? D’ailleurs, je dis Jar-di-nen-vie, mais comment tu le prononces ?

Il y a plusieurs façons de le prononcer. D’autres le disent autrement. C’est un peu volontaire que le nom soit un peu protéiforme. Ça n’a pas beaucoup d’importance.

 

Ça a démarré… Eh bien la date est un peu floue, en fait. L’association a été créée en 2007, mais l’idée a germé en 2001, lorsqu’on a été confronté à l’arrivée assez massive des OGM dans la Drôme. Des personnes de tous milieux sociaux et professionnels se sont retrouvées. Il y avait une convergence de différents mouvements, soit anti- soit alter-mondialisation, dont ceux qui étaient issus du logiciel libre, mais aussi d’autres. Notamment c’est la naissance d’ATTAC, sous forme de mouvement d’éducation populaire, ce qu’ATTAC n’est plus. Cette effervescence d’éducation populaire qui a aujourd’hui disparu et qui était à l’époque de fait mise en œuvre dans les rencontres, les forums mondiaux. C’est elle qui a permis à des personnes de se rencontrer, des personnes qui n’étaient pas forcément concernées par le logiciel libre, la question climatique, le problème de la finance… Tout le monde se retrouvait au même endroit au même moment et c’est comme ça que des choses un peu improbables sont nées. En l’occurrence, la question des OGM. Tout le monde arrivait avec sa préoccupation, mais aussi son bout de solution.
Mon approche était économique, autour de la logique du brevet d’un côté, du logiciel libre de l’autre. Ce qu’on avait réussi à faire sur le libre, il devait être possible de le réitérer pour les semences puisque, avec les OGM en plus du certificat d’obtention végétale, arrivait le brevet dans le monde du vivant.

 

Tu pensais que le logiciel libre avait réussi ?

J’en étais sûr ! En 1998, on a organisé avec plein de gens les journées à l’Assemblée Nationale. Le point de vue qu’on défendait c’est que le modèle du logiciel libre avait gagné la partie, mais que le mouvement du Libre l’avait perdue.

C’était le mouvement qu’on appelait INMS, de mémoire les initiales utilisées pour désigner le mouvement militant, Internet non marchand et solidaire. On répondait « tout ce qui est gratuit, c’est là où vous êtes le produit », y compris quand on est militant.

C’est instruits par tout ça que nous avons abordé la réflexion sur les semences. On pouvait voir par avance ce qu’allait devenir Internet, ce qu’il se passerait sur le logiciel libre, puisque nous avions déjà vu des multinationales se construire sur la récupération des semences qui étaient par essence dans le domaine public. Au début du XXᵉ siècle, il n’y avait pas d’appropriation de la semence. Dans les faits il s’agissait d’un commun.
À partir du moment où on a introduit en Europe le certificat d’obtention végétale et d’autre législations qui ont permis à des entreprises de s’approprier l’avenir ou l’exclusivité commerciale de variétés, on a changé la donne.

 

Les semences sont brevetées pour verrouiller le marché. Est-ce que ça a toujours été l’intention des « gros », ou est-ce que ça s’inscrivait dans une démarche positive à l’origine ? Par exemple améliorer les rendements, protéger le volume des récoltes pour nourrir le plus grand nombre, stabiliser la production, etc.

C’est la lecture qu’on a faite sur le développement des entreprises dans la semence, typiquement ;  à partir du moment où il y a possibilité pour des acteurs de s’approprier un domaine par exclusivité, et par exception à ce que le système dans lequel on est prétend défendre, c’est-à-dire les libertés. Le libéralisme parle de ça. Mais plus on parle de liberté, moins il y en a. Par contre, plus il y a de concentration et plus il y a des normes qui excluent au lieu d’inclure. On passe de la loi à la norme, une norme qui est excluante, et qui crée des zones de marché protégées là où on est censé être dans une concurrence libre et non faussée.

 

On sent que tu as beaucoup réfléchi à la question.

C’est sûr que démarrer Internet au début des années 90, ça fait réfléchir à tout ça.

Pour résumer, les multinationales de la semence, Limagrain, Monsanto, Bayer, se construisaient comme ce qu’on appelle aujourd’hui les GAFAM étaient en train de se construire dans le logiciel libre. L’expérience dans le monde agricole a permis d’anticiper ce qu’allaient devenir les GAFAM, et ce qu’on savait sur le logiciel libre nous a permis d’imaginer des solutions sur les semences. Une réflexion croisée. Le point commun, c’est cette histoire d’appropriation, et de concentration des pouvoirs.

Derrière, il y a des différences, quand même. Le logiciel, on peut le multiplier à l’infini pour un coût proche de zéro ; ce n’est pas le cas de la semence. C’est beaucoup de travail physique, qu’on ne peut pas répéter à l’infini. Cultiver devient de plus en plus dur. Le rapport du GIEC ne permet plus l’ambiguïté. Mais quand on observe le vivant et qu’on essaie de cultiver avec lui, eh bien ça fait vingt ans qu’on peut observer les changements.

 

Vous avez démarré en parlant de sauvegarder des semences paysannes non brevetées, et vous en êtes à restaurer la qualité des sols, planter et récolter des tonnes de plantes, acheter du terrain… C’est une démarche qui déborde de partout, finalement. Fanny nous a dit en préparant l’interview : « Quand on parle des semences paysannes on parle de beaucoup de choses (propriété vs communs, liberté vs brevets, biodiversités, alimentation, vie, vivant, coévolution, …) ».

Le début de Jardin’enVie, ce sont des rencontres improbables de gens qui ne se connaissent pas. Il faut que l’histoire commune se construise. C’est un domaine nouveau pour la plupart des gens, qui viennent de la ville pour l’essentiel et qui n’ont jamais semé une seule graine. Cette grande diversité a permis d’aborder la question des semences par tous ses aspects. Les seuls endroits où on pouvait démarrer et faire des expérimentations au départ étaient les jardins des uns et des autres, et le plus grand était le nôtre, parce qu’on était sur une ancienne ferme où il y avait un peu moins d’un hectare à cultiver. Le tout en zone péri-urbaine ou urbaine. Pas de sol, pas de semence. Faire avec le vivant sur des sols morts, ça ne marche pas. La propriété de la terre, sa qualité et l’avenir des semences, c’est lié. La semence est à la base de la plupart des activités économiques indispensables à la vie humaine : alimentation, soin, énergie, logement, textile… Avec à chaque fois des solutions simples, existantes et faciles à mettre en œuvre s’il y a un minimum de volonté politique pour résoudre tous les défis inédits que l’humanité va devoir affronter dans les prochaines années. Nul besoin d’hypothétiques avancées technologiques ou découvertes scientifiques. C’est une très bonne nouvelle : vivre mieux, conquérir plus d’égalité, de démocratie, de libertés peut permettre de sortir des crises actuelles !

 

Le monde paysan avait suivi cette histoire de semences brevetées sans se poser de question ?

Le monde paysan est écartelé. Pris au piège de la finance, il n’a plus de marge de manœuvre. Sans en être sûr parce que je ne suis pas historien, l’un des points frappants c’est que ça commence à l’après-guerre. Il faut nourrir tout le monde, on sort de deux guerres mondiales et il n’y a plus de bras ; il faut tout reconstruire et il n’y a plus personne pour travailler dans les champs. La mécanisation, la standardisation ont été une solution. Avec les capacités techniques de l’époque, les semences diversifiées étaient un problème. Il fallait des semences qui poussent de la même façon, qui sont mûres toutes en même temps, ça permet d’agrandir les champs et de produire avec peu de bras.

 

D’où la suppression des haies ?

En tout cas c’est une clé de lecture possible. Il y en a sans doutes d’autres. On a quand même des tickets de rationnement en France jusqu’au début des années soixante. Et cela collait avec l’idéologie du moment, qui encore aujourd’hui freine notre capacité à développer une approche sensible du monde vivant. Cf. « Semences, une histoire politique » de Christophe Bonneuil, historien des sciences au CNR et Frédéric Thomas, agriculteur.

 

Il y avait une urgence ?

Au minimum, il fallait retrouver l’autonomie alimentaire. Avec moins de personnes pour travailler, une société qui avait complètement changé, où on ne pouvait plus du tout penser la campagne comme elle existait encore quarante ans auparavant.

 

Et ça, ça a changé ? Aujourd’hui on serait capable de nourrir tout le monde sans des fermes gigantesques ?

Oui. La question n’est même plus celle-là. C’est comment éviter les famines, si on continue avec les habitudes alimentaires et le mode de culture dominants qui vont dans le mur. Ils demandent une consommation de ressources que la planète ne peut pas supporter.

 

Combien êtes-vous aujourd’hui chez Jardin’enVie?

Dix personnes en équivalent-temps plein toute l’année, et des saisonniers au printemps et à l’automne mais on est sur un mode investissement. L’activité ne permet pas encore de rémunérer dix personnes à temps plein. On consomme des capitaux pour préparer l’avenir.

 

Pourquoi avoir choisi un statut d’entreprise ? Est-ce que ça ne crée pas de la contrainte (rentabilité, fisc, administration) que vous n’auriez pas en tant qu’association loi 1901 ?

C’est une des réflexions transversales à l’expérience INMS. Tous ceux qui voulaient rester en association n’ont pas pu développer les idées qu’ils avaient, à de rares exceptions. C’est l’une des limites du mouvement du logiciel libre. Survivre grâce aux dons, c’est bien, mais est-ce que ça permet vraiment de développer une ligne d’objectifs et de l’atteindre ?

Nous, nous sommes en entreprise, mais le but, c’est de grandir, pas de grossir.

On retrouve la différence qu’on a relevée tout à l’heure. On peut à la rigueur se passer de capitaux pour une activité qui n’en demande pas ; à partir du moment où il faut acquérir des terres, les remettre en forme parce qu’elles ont été détruites par une politique de terre brûlée, former des gens parce que plus personne n’apprend ces métiers comme nous les pratiquons, restaurer les semences, c’est quelque chose qui demande énormément de ressources et de temps, bien plus que l’informatique.

Il faut se dire que sur le vivant, c’est une démarche de long terme pour apprendre un métier, développer des savoir-faire. Si on n’est pas en capacité de rémunérer des personnes, de faire grandir quelque chose qui soit viable, de former des gens, jamais les semences paysannes ne seront considérées comme une alternative crédible.

C’est aussi ce qu’on peut dire du logiciel libre, d’une certaine manière. Il a conquis des serveurs, mais il n’a pas conquis le poste de travail, alors que d’un point de vue technologique, rien ne l’empêcherait de le faire. Les smartphones sont à base de Linux, mais leurs OS ne sont pas libres.

 

On commence à voir des smartphones dégooglisés, pourtant. Mais ça reste réservé aux personnes qui sont capables de bidouiller.

Ce qui a permis à Google d’imposer sa version Android, c’est son énorme capacité d’investissement. On en revient à une question de capitaux disponibles.

Dans ces conditions, pour l’utilisateur final qui veut dégoogliser son téléphone, en plus de compétences complexes à acquérir, il faut du temps. Alors que je sais le faire, je n’ai toujours pas pris le temps de virer Android de mon propre smartphone.

 

Quelles sont les différences avec une exploitation agricole bio classique ?

Les semences pour l’essentiel, mais pas que. Le bio fonctionne à 98 % avec des hybrides F1 et maintenant des OGM qui ne disent pas leur nom (ils se cachent derrière le vocable matériel biologique hétérogène, introduit dans le règlement AB qui s’appliquera à compter de 2022). C’est un marqueur important. On est dans le même ordre de grandeur que Linux et les GAFAM au début des années 90.
Nous avons fait un pas de côté sur le modèle socio-économique pour pouvoir faire un pas de côté sur les semences.
Nos statuts nous permettent de gérer les semences mais aussi le foncier tels des communs d’une part, et d’autre part de faire appel à l’épargne populaire pour investir. Les sociétés dites agricoles, elles, n’ont pas la possibilité de faire appel à l’épargne, hors fonds agricole pré-existant.

Du coup on peut construire l’équilibre de la structure financière sur une base beaucoup plus diversifiée.
La semence et l’alimentation sont des choses trop sérieuses pour qu’on passe d’une appropriation à une autre. Les paysans ne sont pas les seuls concernés par cette question-là. L’idée consistait à revenir vers une implication de l’ensemble des parties prenantes, les restaurateurs, les épiciers, les gens qui mangent.
Ce qu’on a constaté sur le terrain, c’est que, pour faire des semences de qualité dans le respect du vivant, nous avons aussi besoin des retours des utilisateurs des récoltes. C’est aussi, pas seulement, mais aussi, en fonction de ces retours-là que nous définissons les critères d’évolution des semences à mettre en œuvre lors de la prochaine production de graines.

 

Vous choisissez les graines que vous faites perdurer, c’est ça ?

On conserve les caractéristiques d’usage d’une variété. Si on a affaire à une tomate rouge foncé, on ne va pas la faire aller vers du rose pâle, et si elle est acidulée on ne va pas modifier son goût. On conserve les critères d’intérêt et d’usage de la plante, mais on la laisse évoluer. On parle de coévolution entre les humains, les terroirs et les plantes. On peut, par l’observation, « dialoguer » avec ces êtres vivants pour accélérer l’adaptation des plantes et des lieux dans lesquels on les cultive aux évolutions de leurs milieux de culture, de plus en plus rapides en raison des conséquences du mode de vie actuel des humains les plus riches.

 

Quel est le mode de gouvernance de l’entreprise ?

On essaie de prendre les décisions en commun, c’est pas évident mais on essaie. Là encore nous nous appuyons sur le logiciel libre pour y parvenir. On utilise divers logiciels pour agiter les idées à plusieurs et prendre les décisions à plusieurs.
On met actuellement à jour nos outils numériques pour permettre de faire un pas encore dans cette direction.

 

Des personnes participent à la vie de l’entreprise sans être sur place, sur l’exploitation ?

Entre 150 et 160 coopérateurs à ce jour, dont le groupe d’origine et d’autres qui sont éloignés géographiquement parlant, mais aussi au niveau des métiers exercés. Nous ne sommes pas toujours disponibles au même moment de la journée.

 

Quelles ont été les pires difficultés que vous avez rencontrées ?

Je ne sais pas quelle était la pire. Peut-être l’amoncellement de spécificités au monde agricole. J’ai été entrepreneur dans différents domaines d’activités, et je n’ai jamais rencontré autant d’obstacles multiples et variés en raison du fait que l’agriculture a été exclue de tous les régimes généraux classiques : protection sociale à part, statuts d’entreprise à part, statut social à part, etc. Tout est très fragmenté, plus qu’ailleurs.
Un monde extrêmement novateur pour sa frange marginale et ultra-conservateur pour sa composante majoritaire. Ultra-majoritaire, en tout cas au niveau de ses organisations professionnelles et syndicales !
Ce que nous essayons de faire, qui remet en question la pratique agricole classique, fait que nous avons contre nous la quasi-totalité des organisations agricoles, la bienveillance de beaucoup d’adhérents de ces structures, mais l’hostilité des entités.
Sans notre choix de faire appel à l’épargne populaire, on ne serait pas près d’atteindre nos objectifs, malgré la pandémie qui nous a beaucoup impactés, et les aléas climatiques, de plus en plus imprévisibles, qui se sont conjugués aux conséquences des fermetures administratives.

 

On est loin du cliché du bobo qui revient à la terre et qui plaque tout pour élever des chèvres !

C’est très étrange, le monde agricole est à la fois hyper fermé et hyper ouvert ; notamment, il va devoir s’ouvrir beaucoup et se transformer radicalement, du fait de sa pyramide des âges. La moitié des agriculteurs actifs va partir à la retraite sous peu. C’est un métier qui a été tellement sinistré que la plupart des enfants d’agriculteurs ont renoncé à s’installer en reprenant l’exploitation familiale comme c’était la tradition auparavant. Il y a donc un creux de génération en plus du « papy-boom » qu’on voit dans d’autres métiers.

 

Est-ce que la pandémie, le télétravail du tertiaire et les confinements y ont changé quelque chose ?

Non. C’est déjà terminé. Il suffit de regarder les statistiques de parts de marché des mastodontes de l’alimentaire. Pendant le premier confinement, les gens ne travaillaient pas ou très peu. Il a permis de ramener les gens vers la campagne, mais pendant les autres confinements le travail a été maintenu. Il y a eu le couvre-feu qui a réduit la possibilité de se déplacer, et les gens ont été se mettre dans un endroit où on peut tout trouver. C’est la grande distribution et les plateformes d’achat numérique qui se sont taillé la part du lion. La grande distribution, qui perdait du chiffre d’affaires, a soudainement augmenté son chiffre d’affaires.

 

Qu’est-ce qui a été le plus surprenant, que vous n’aviez pas du tout anticipé dans cette aventure ?

Ce qu’on a découvert avec les semences. On part avec des a priori, qui sont ceux de tout le monde, des semences présentées comme archaïques y compris par la science, plus du tout adaptées aux enjeux du moment.
On est parti pour chercher une alternative aux OGM et en se demandant si ce qu’on raconte sur eux est bien vrai.
Les hybrides F1 et la législation dont le catalogue officiel faisait qu’une semence non inscrite ne peut pas être vendue à des maraîchers ou des agriculteurs.
On ne s’attendait pas à ce que le bio soit envahi de ces semences verrouillées d’un point de vue technologique et juridique. Qu’elles soient incapables de s’interfacer avec le vivant, en raison de leur mode d’obtention, qui consiste à sélectionner des lignées pures. Que les semences soient sclérosées par cet eugénisme, les OGM n’étant que l’achèvement de cette logique entamée depuis longtemps. Ce qu’on voyait comme une menace était déjà notre réalité quotidienne. C’était déjà ce que nous avions dans nos assiettes ! Nous étions confrontés au parachèvement de cette logique, résultat des choix des citoyens des démocraties actuelles.

L’approche est de récupérer de l’autonomie financière et économique car on s’est aperçu que les semences paysannes tenaient la route face aux semences modernes, que tout ce qui était véhiculé à leur sujet était erroné. À tout point de vue. Elles permettaient de retrouver le goût. Elles sont riches en nutriments, notamment en micronutriments, qui ne pèsent pour rien dans le poids final mais qui sont déterminants dans la qualité alimentaire. Une énorme différence, fois trente, fois quarante en termes de micronutriments, même par rapport à des cultures bio. On ne s’y attendait pas du tout non plus.
En quelques années on a pu apporter des solutions à tous les problèmes de la chaîne alimentaire.
Quantité, qualité, mais aussi stopper l’explosion des intolérances et des allergies alimentaires, et puis retrouver le goût. C’est la présence des micro-nutriments qui donne la diversité des saveurs.
Le sans gluten se développe, c’est une industrie en plein développement, mais ça repose sur le fait que les glutens des variétés modernes sont de mauvaise qualité. Les personnes intolérantes au gluten pourraient se remettre à manger du blé si on repart sur des céréales à haute paille.
J’aurais pu citer des dizaines d’autres exemples. Pratiquement partout où il y a un problème alimentaire, les variétés paysannes arrivent avec une réponse.
On a aussi des réponses par rapport au changement climatique parce qu’on produit de l’humus avec les variétés paysannes (en utilisant les méthodes appropriées, évidemment). Alors que même en bio, d’un point de vue statistique et si on s’en tient aux seuls critères obligatoires du label, on continue à détruire plusieurs kilos d’humus pour chaque kilo de nourriture sorti du champ.

 

Si les semences que vous produisez ne sont pas inscrites aux catalogues officiels, ça signifie que c’est hors-la-loi, ce que vous faites ?

Non. Pas en totalité. Là aussi il y a beaucoup de fausses informations qui ont circulé, en fait la vente de variétés non-inscrites aux catalogues n’a jamais été interdite en France, pour vendre à des particuliers. Pas à ce jour, en tout cas. En revanche il y a des restrictions pour vendre à des professionnels, mais nous sommes en capacité de les contourner, de façon tout à fait légale, notamment en s’inspirant des dispositifs mis en place par les multinationales du monde de la semence, qui sont les premières à contourner les lois qu’elles inspirent. En étudiant ça de façon macro-économique, nous nous sommes rendu compte de ça, et faute de mieux pour le moment, nous nous en servons, mais en mode coopératif.
Nos clients professionnels deviennent des coopérateurs à qui nous ne vendons pas la semence, mais à qui nous achetons du travail à façon. C’est légal. Ce qui nécessite de repenser complètement le modèle économique. Mais de toute façon c’est indispensable pour profiter des caractéristiques des variétés paysannes. L’idéal bien sûr, c’est de retrouver un cadre légal de plein droit pour les variétés paysannes. Gandi disait « l’arbre est dans la graine, comme la fin est dans les moyens ». Il y a donc urgence à récupérer la capacité à faire avec des moyens que nous aurons choisis et construits en fonction de nos objectifs.

 

Du coup tu dois avoir plein de casquettes, juriste, économiste…

Il faut avoir de multiples compétences c’est pour ça qu’on ne fait rien tout seuls, c’est un travail de réseau permanent. C’est à ça que sert le réseau de semences paysannes, par exemple, il permet de financer une équipe de juristes payés pour faire de la veille.

 

Vous utilisez exclusivement des logiciels libres. Est-ce que le Libre fournit tout ce qui est nécessaire pour gérer l’informatique d’une exploitation agricole ?

Oui ! Le problème qu’on a, ce sont les humains. À chaque fois qu’on intègre une personne, il faut la former. C’est pour ça que de temps en temps des logiciels propriétaires sont utilisés à Jardin’enVie. C’est le frein humain : la personne, pour être tout de suite opérationnelle, travaille avec le logiciel qu’elle a appris à utiliser par ailleurs, la plupart du temps à l’école, et qui est la plupart du temps un logiciel propriétaire.

C’est parfois compliqué. Les habitudes sont dures à remettre en question. Il faut souvent des débats tendus et houleux pour que les personnes acceptent une formation et l’idée que chercher une fonctionnalité trois clics plus loin (ou moins loin) que d’habitude, c’est pas très grave. Et même que ça vaut le coup !

On n’a aucun problème avec les complets débutants, on leur met un Linux entre les mains, on n’a pas besoin de leur dire quoi que ce soit, ils apprennent tous seuls. Ce sont les gens qui ont de l’expérience, qui sont déjà performants avec les logiciels de leur métier, qui ont des freins.

 

Vous voulez chasser les subventions, y compris européennes. Est-ce que vous ne craignez pas, ce faisant, de vous faire coincer, d’avoir des comptes à rendre ?

Quand on a des capitaux apportés par des citoyens, ça permet de faire face aux pressions. Ça structure un groupe qui est capable de comprendre les rapports de force et d’y réagir.
C’est aussi parce que ces capitaux privés nous permettent de dire non, même s’ils ne sont pas énormes, parce que c’est une marge de manœuvre supplémentaire, ce que le statut associatif ne permet pas sauf à avoir pu amasser, au fil des années, des réserves.
C’est une autre spécificité du monde agricole. Il n’y a pratiquement aucune entreprise qui parvient à être rentable sans subventions, hormis dans des niches comme la vigne. Dans le monde agricole, la subvention n’est pas l’exception, c’est la règle. Nous, nous n’avons pas de subvention de fonctionnement mais d’investissement. Si nous pouvons compter sur une partie de l’épargne des citoyens pour continuer à investir et changer d’échelle, personne ne pourra nous imposer de changer de cap, ou autre. Par contre, rendre des comptes, oui, mais je trouve ça normal. D’ailleurs on le fait spontanément. Toute personne qui veut voir l’intégralité de nos comptes n’a qu’à le demander. Ça fait partie du fonctionnement pour gérer les semences comme des communs, et du modèle économique que nous essayons de construire. Ce n’est pas la semence en tant que telle qui est importante, mais la possibilité de la faire circuler, tout comme les idées et les échanges de savoir-faire nécessaire pour la cultiver et la reproduire.

 

Tu me tends la perche pour la question qui pique : si c’est mal ce que font les labos en brevetant leur semence pour en contrôler la vente, pourquoi votre site est sous licence CC NC ND ? 😉 Pourquoi vous n’ouvrez pas plus l’accès à la diffusion de vos travaux ?

C’est le choix qu’on a fait pour notre site Internet, qui est notre identité. C’est nous qui la déterminons.

Par contre les documents de travail, dans lesquels il y a justement nos savoir-faire, sont complètement libres, il n’y a carrément pas de licence1
. La plupart des personnes avec qui on coopère, notamment le réseau Semences Paysannes, diffuse sans mettre de licence. C’est la reconnaissance par les pairs, tous ceux qui sont passionnés par la variété paysanne et ce qu’elle implique au niveau socio-économique, qui fait qu’il y a transmission, ou non, de l’information.
Mais c’est une question en chantier, qui fait et mérite débat, en particulier pour les données que pour le moment nous ne transmettons pas sans réciprocité.

Est-ce que vous aviez mesuré l’ampleur de la tâche, ou vous vous êtes lancé·e·s en mode YOLO ?

On savait que ce serait énormément de boulot, notamment parce que j’avais connu le monde agricole étant petit. On n’avait pas mesuré, par contre, toutes les réactions que ça allait provoquer, à la fois de rejet et d’adhésion. Encore plus que dans le logiciel libre, il y a une adhésion populaire qui est impressionnante. Encore plus forte. Notre problème, ce n’est pas de trouver des clients, c’est d’arriver à produire pour satisfaire la demande.

 

Évidemment, le logiciel peut être dupliqué pour plein de « clients ».  Les poireaux, quand il n’y en a plus…

C’est ça ! Quand il y a un bug dans la culture, on refait l’année prochaine, on ne code pas un correctif dans la nuit. C’est la grosse différence entre la semence et le logiciel.

 

Est-ce que vous avez atteint une certaine forme d’autonomie, ou est-ce qu’au contraire vous avez besoin d’aide ? Sous quelle forme ?

On n’a pas atteint l’autonomie, on est encore en phase de constitution du capital nécessaire pour franchir les prochaines étapes, et aussi de continuer à rassembler des savoir-faire qui sont en train de disparaître avec les plus anciens. D’autre part les sols aujourd’hui sont tous martyrisés en France. Pour avoir de bons résultats il faut absolument un sol vivant. C’est un obstacle qu’on avait sous-estimé, au départ. Il n’y a aucune aide, aucune subvention mobilisable en France. Il y a des crédits européens pour faire ça. Cependant ils nécessitent un projet réunissant des entreprises privées, des citoyens, mais aussi des élus locaux. Et en France les élus ne sont pas entrés dans cette logique pour aller chercher ces sous. Cet argent n’est pas utilisé en France, alors qu’il l’est dans d’autres pays européens.

Ce sont ces questions-là qui font que nous n’avons pas encore notre autonomie. Les obstacles sont immenses, mais on sait comment les contourner ou faire différemment, on a le savoir-faire. Ce qui manque, ce sont des capitaux.
Par exemple, nos outils sont dimensionnés pour un à trois hectares alors qu’il faudrait cultiver dans de bonnes conditions trente hectares pour être rentable. Sachant que trente hectares, aujourd’hui, c’est une petite ferme. On parle beaucoup des micro-fermes sur un ou deux hectares, mais ce n’est pas qu’avec ce modèle qu’on résoudra le problème alimentaire. Même si ces fermes ont leur intérêt, elles ne suffiront jamais, à la manière des AMAP qui, dans les pays les plus développés comme le Japon, nourrissent au maximum 30 % de la population.

Il y a un effet d’échelle qui est nécessaire pour amortir les investissements. Sur un hectare, ça demande cinq ans de travail, soit 100 000 € avec une rémunération au SMIC par heure travaillée, si on veut rendre un sol de nouveau vivant.

Il y a une autre raison. Pour faire de la semence, il faut des distances d’isolement pour éviter que deux variétés d’une même espèce se croisent entre elles de façon non souhaitée, et qu’on perde toutes les variétés. Il nous faut soit des équipements pour limiter la circulation des pollens ou de la surface pour pouvoir faire de la semence. En fait il nous faut un peu des deux.

La phase actuelle, c’est une levée d’épargne auprès de nos clients, ou de toute personne intéressée, qui peut s’inscrire dans l’objet social de Jardin’enVie. Apporter de l’épargne à une entreprise telle que la nôtre, c’est manifester son accord avec l’objet social. Chaque personne aujourd’hui qui nous apporte un euro nous permet d’aller en chercher deux à trois auprès des institutions financières d’une part, et d’autre part, via son adhésion à l’objet social, qui est précis, d’aller voir les élus locaux ou les professionnels avec une force considérable. Ce n’est pas juste une chimère, parce que, de fait, les personnes qui s’impliquent, au-delà de l’achat d’une part sociale, nous apportent énormément de richesse, dans le sens connaissance d’un terroir, évolution de nos savoir-faire, et gestion de ces ressources comme des communs.

Ça permet de passer d’un mode artisanal et expérimental à un déploiement des savoir-faire, dans un premier temps au sein de Jardin’enVie et au-delà par la suite. L’une des choses qui se fait déjà, c’est de permettre à d’autres agriculteurs de faire évoluer leurs pratiques, de transformer leur activité, voire carrément de s’installer.

 

À rapprocher du modèle des CHATONS ?

Oui, c’est un peu la même logique.

Notre réflexion actuelle, c’est de faire le lien entre tout ce qui a trait aux communs, à la fois l’approche économique et la gouvernance, qui rapproche des secteurs d’activité très différents.
Au final, nous sommes confrontés aux même logiques économiques. De ce point de vue, j’estime que je n’ai pas changé de métier, entre informaticien et agriculteur maintenant.

 

Sauf que tu as plus mal au dos le soir ? 🙂

Même pas ! Être immobile sur une chaise, c’est pas forcément bon pour le squelette. Il y a peut-être des inconvénients, mais blague à part, dans le logiciel libre il nous fallait déjà trouver des solutions pour changer le modèle économique si on voulait vivre de son travail.  C’est pareil avec les variétés paysannes, nous sommes obligés d’être très inventifs sur le juridique, le financier, le social… Les réponses se ressemblent beaucoup, et les deux mondes peuvent s’apporter mutuellement. D’ailleurs, nous avons organisé des rencontres entre les semences paysannes et le logiciel libre à plusieurs reprises.

 

Ah oui, nous avons participé à une journée avec les Incroyables Comestibles d’Amiens.

Justement, une des entreprises d’informatique à laquelle j’ai contribué dans les années 90 est à Amiens. Les premières rencontres que nous avons organisées sur cette thématique croisée doivent dater de 2007 ou 2009… Elles n’ont pas forcément généré l’élan que nous espérions, parce qu’il y a quand même un écart entre la culture informatique et la culture paysanne. À nous de faire un effort de lucidité pour comprendre pourquoi ça n’a pas fonctionné plus tôt.

 

Le mot de la fin

Pour un exploitant agricole, a priori assez éloigné de l’informatique, l’utilisation de logiciel libre à 100 % dans un cadre d’entreprise, ça fonctionne et ça apporte des solutions métier. On n’utilise même pas Google ! Même notre présence sur les réseaux sociaux est limitée, mais pour autant on a de plus en plus de contacts, de sollicitations. Les réseaux sociaux nous servent juste à aller chercher les gens. Ça surprend toujours les personnes qui arrivent. Elles estiment que nous nous tirons une balle dans le pied en refusant de les utiliser à fond. Nous parvenons malgré tout à augmenter notre chiffre d’affaires sans accepter les conditions des réseaux sociaux contraires à nos objectifs d’émancipation et de déconcentration des pouvoirs. On est bien présents sur Facebook, on a bien une page, mais nous l’utilisons en mode « pirate », pour profiter de leur force de frappe et amener les gens vers notre site web, qui lui n’est pas une page Facebook.

Nous sommes en train de développer un logiciel métier spécifique pour accélérer la coévolution entre les plantes, les humains et les terroirs, en ajoutant aux savoirs des anciens ce que nous apportent la science et l’informatique d’aujourd’hui. Nous voulons accroître notre capacité à interagir avec le vivant via l’analyse de données.

Enfin, les spécificités de notre métier sont telles que nous n’avons pas trouvé de boutique en ligne, même dans le libre, qui permette de commercialiser ce que nous vendons ; nous créons donc notre propre interface de vente en ligne à partir de briques libres. C’est un projet qui n’est pas encore complètement abouti, hein, il nous faut encore quelques semaines. Nous comptons créer une communauté autour de ce logiciel lorsqu’il aura fait ses premiers pas. Là encore, c’est la même chose que pour les variétés paysannes : si on n’échange pas, on n’avance pas.

 

Pour aller plus loin :

Les photos nous ont été fournies par Jardin’enVie.




Comment se faire 10 000 boules sur le dos d’un artiste libre

Oui, ce titre sent le piège à clics bas de plancher, mais si on vous dit que la réponse est –roulements de tambours– « avec de la blockchain », vous admettrez que le titre est bien moins vulgaire que l’abus que vous allez lire ici.

David Revoy est un artiste de la culture libre, connu pour son webcomic Pepper&Carrot, pour ses innombrables contributions au libre (de ses tutoriels pour le logiciel libre de dessin Krita, aux illustrations de notre Contributopia).

Hier, il a publié sur son blog un article en anglais expliquant comment un cupide malotru vient de se faire plus de dix mille euros en parasitant son travail, grâce à de la blockchain. L’histoire est tellement injuste et minable que nous avons vite répondu à David que s’il voulait qu’on traduise et diffuse son histoire, il n’avait qu’un mot à dire (et il l’a dit ^^).

Les personnes qui gloseront sur la « bonne » ou la « mauvaise » licence pour le protéger d’une telle mésaventure risquent de passer à côté d’un élément central de ce témoignage : ceci n’est pas un dilemme légal, mais un dilemme artistique. Que cette spéculation soit légale ou non, ne change rien au fait que ce soit immoral. Ouvrir une partie de ses droits au public (par le biais d’une licence libre), ce n’est pas s’interdire de gueuler lorsqu’on trouve qu’un usage de son œuvre est nul, moche, qu’il salit nos valeurs.

Ce n’est pas un problème légal, mais artistique. David Revoy réagit comme le fait un·e artiste, en s’exprimant.

Nous vous proposons donc de l’écouter.

  • Article original sur le blog de l’auteur : Dream Cats NFT: don’t buy them
  • Traduction Framalang : Cpm, Bullcheat, retrodev, Pouhiou, Julien / Sphinx, mo, et les anonymes

10 000 euros de NFT avec mes œuvres, CC-by David Revoy

N’achetez pas les NFT « Dream Cats »

— par David Revoy

Voici une autre histoire de NFT (et il ne s’agit pas de la suite de la dernière en date, en mars dernier, après que quelqu’un a publié mon « Yin and Yang of world hunger » sur OpenSea…). Aujourd’hui, il s’agit de la publication officielle du catalogue « Dream Cat » sur OpenSea par ROPLAK, une variante de mon générateur CatAvatar de 2016 sous licence Creative Commons Attribution. Cela a été annoncé hier dans ce tweet, [edit : iel a effacé son tweet et en a fait un nouveau) et la page de catalogue OpenSea compte déjà 10 000 éléments et en a déjà vendu pour une valeur de 4,2 ETH (NdT : l’Etherneum est une crypto-monnaie), soit environ 10 000 euros en deux jours…

NFT… (Kesako ? )

Si le principe de NFT ne vous est pas familier, voyez-le comme un unique « jeton » (par exemple, un identifiant numérique) écrit dans la base de données décentralisée d’une crypto-monnaie, dans notre cas Ethereum. Ce jeton peut être attaché à n’importe quoi – souvent à une image artistique, mais cela peut être à un service, un document, une arme dans un jeu vidéo, etc. ; vous pouvez vendre cet identifiant unique sur une place de marché NFT, comme OpenSea dans notre cas. Cet identifiant peut donc avoir un propriétaire, peut prendre de la valeur avec le temps, valoir de plus en plus cher, par exemple.

Si vous préférez, c’est un peu comme le commerce des cartes rares de Magic, de Pokémon ou de Base-ball, tout cela étant payé avec de la crypto-monnaie. Les investisseurs peuvent en acheter de nouvelles, prédire celles qui seront plébiscitées, qui prendront de la valeur, pour ensuite avec celles-ci transformer leur argent en… encore plus d’argent. Nous avons ici le pur produit du capitalisme et de la spéculation, mêlé à une technologie produisant de l’ « unicité » et qui n’est pas connue pour être éco-responsable.

Pour faire court, un mélange de concepts que je hais.

C’est bon, pourquoi tant de haine ?

Je suis né dans les années 1980 et j’ai grandi dans un monde où l’accès à l’information était limité – librairies, bibliothèques, télévision. Puis, quand Internet est apparu dans ma vie, j’ai cru que cela allait ouvrir un âge d’or, parce que l’information pouvait être répliquée sur des millions de terminaux pour un coût très faible. J’ai créé un portfolio, rencontré d’autres artistes, réalisé des films sous licence libre, travaillé pour de grandes entreprises et je poursuis, en ce moment même, la création d’une série de webcomics, Pepper&Carrot, suivie par des millions de personnes. J’ai adopté la licence Creative Commons afin que d’autres puissent réutiliser mes créations graphiques sans demander d’autorisation et sans avoir à payer.

Le CatAvatar est né d’un projet personnel, développé sur mon temps libre afin de supprimer tous les CDN (NdT : réseaux de distribution de contenu) de mon site web. Comme je l’expliquais dans un billet de blog publié en 2016, je souhaitais me débarrasser du service Gravatar dans mon système de commentaires, et ce simple objectif m’a coûté plusieurs jours de travail. Il était inspiré par un désir de liberté, un désir d’offrir une alternative belle et choupi sur Internet. J’ai décidé de partager les sources et les illustrations de Catavatar gratuitement, sous la licence Créative Commons Attribution, très permissive.

À l’opposé, un système tel que NFT est une tentative d’attribuer un identifiant à chaque fichier, chaque création, pour créer une unicité artificielle afin que tout puisse être acheté. C’est un fantasme capitaliste : faire de chaque chose une propriété unique, afin que tout puisse être vendu. Vous comprenez maintenant la raison pour laquelle je déteste voir Catavatar utilisé comme NFT ? Cela va à l’encontre de la raison même pour laquelle mes créations se sont retrouvées là initialement.

Déclaration personnelle à propos des NFT :

Voir mes créations utilisées pour des NFT va à l’encontre de mon droit moral (NdT : l’auteur fait ici référence au respect de l’intégrité de l’œuvre, composante du droit moral dans le droit d’auteur français). Je vais donc être clair :

N’achetez pas de NFT fait avec mes créations.

Ne faites pas de NFT avec mon travail artistique disponible sous Creative Commons.

Si vous respectez mon œuvre, souvenez-vous de ces recommandations et appliquez-les.

Revenons maintenant au sujet du jour : le catalogue de NFT « Dream Cats ».

L’affaire des NFT « Dream Cats »

capture d'écran du catalogue Dream Cats sur OpenSea
capture d’écran du catalogue Dream Cats sur OpenSea

Tout d’abord, je ne fais aucune marge ni aucun profit sur le catalogue DreamCats d’OpenSea. Je sais que mon nom est sur chaque produit, je sais que mon nom est dans le titre du catalogue, etc. Je reçois déjà des emails à ce propos. Et, pour être clair, ce n’est pas un problème d’argent : je ne veux pas toucher le moindre pourcentage d’une vente de NFT. L’auteur, ici ROPLAK, est le seul à bénéficier des ventes, déjà 4,2 ETH, soit environ 10 000 euros, en deux jours. Il ne s’agit pas d’une poignée de dollars, c’est un marché réellement rentable, dans lequel mon nom est écrit sur chaque produit.

Les Catavatars ne sont pas utilisés tels qu’ils ont été dessinés : l’auteur a ajouté à mes dessins originaux une distorsion, un filtre généré par l’algorithme DeepDream. Cela sert à déformer les chats, mais surtout à s’assurer que chaque pixel de l’image soit modifié, permettant à l’auteur ROPLAK de revendiquer légalement cette œuvre en tant qu’œuvre dérivée.

Mais je vous laisse juger ici de la qualité artistique de « l’amélioration » de cette œuvre dérivée. DeepDream n’est pas difficile à installer, si vous savez comment exécuter un script Python ; vous pouvez vous amuser avec sur un système Ubuntu en moins de 15 minutes. Je m’y étais essayé en 2015.

L'effet DeepDream est juste un filtre. Moi aussi, je peux le faire…
L’effet DeepDream est juste un filtre. Moi aussi, je peux le faire…

Voilà, c’est tout. La valeur ajoutée que nous avons ici est celle d’un filtre apposé sur un travail que j’ai passé des heures à concevoir avec soin, à dessiner, à affiner, pour l’offrir sur le web. ROPLAK a probablement créé un script et automatisé la génération de 10 000 de ses chats de cette manière. En possédant un DreamCat, tout ce que vous possédez c’est un avatar de chat généré aléatoirement, avec un filtre par dessus.

Dream Cats et droit d’auteur

Du point de vue légal, les Dream Cats sont légitimes, car j’ai publié la bibliothèque d’images Catavatar selon les termes de la licence Creative Commons Attribution.

  • L’usage commercial est autorisé (donc pas de problème pour les vendre).
  • Les œuvres dérivées sont autorisées (donc pas de problème pour ajouter un filtre).
  • L’attribution est respectée (car correctement mentionnée).

Une seule chose n’est pas correcte : il s’agit d’une infraction à mon droit moral.

Pour moi, les NFT représentent le point culminant du capitalisme et de la spéculation. Et cette idéologie ne me convient pas. J’invoquerais probablement le respect de mon « droit moral » si mon œuvre était utilisée pour de la propagande raciste ou pour faire du mal à quiconque.

Les « droits moraux » ne sont pas transférés par une licence Creative Commons Attribution.

Je demande donc ici à ROPLAK et OpenSea, en vertu de mon droit moral, de retirer les DreamCats dès aujourd’hui. Gardez l’argent que vous avez généré avec ça, je n’en ai rien à loutre. Je refuse simplement que mon nom soit associé à quelque fraction que ce soit de l’empire NFT.

Infraction au droit moral ! Youpi ! Loi ! Tribunal !

Hummm… Non… Rien.

Je ne vais pas lancer de mots inutiles ici ou proférer de vaines menaces : je n’attaquerai ni ROPLAK ni OpenSea au tribunal.

Même si je peux prouver que les DreamCats ou n’importe quel NFT enfreignent mon droit moral. Même si, en théorie, la loi est « de mon côté ». Je n’ai pas les moyens, en temps ou en argent, d’obtenir justice.

Consulter un avocat coûterait des centaines d’euros par visite et l’étude de cette affaire demanderait beaucoup de temps. Je ne peux pas me le permettre et, pour être honnête, je n’ai pas envie de vivre cela. La vie est courte, tôt ou tard je serai mort. Je ne veux pas utiliser ainsi le temps précieux qui me reste. J’ai des dessins à partager, j’ai des histoires à écrire, je dois être là pour ma famille, mes amis et pour les projets que j’aime.

Conclusion

En France, nous avons le proverbe : Bien mal acquis ne profite jamais. C’est ce que je souhaite à toutes les personnes ayant participé à ce NFT. Je leur souhaite également de lire cet article.

Voilà, c’est tout. Ce matin, je voulais faire un tutoriel vidéo sous licence Creative Commons, pour partager des astuces et aider d’autres artistes sur le dessin et le line-art. Mais maintenant, je vais devoir méditer pour me calmer, parce que chaque fois que je retrouve cette histoire sur mon chemin, cela m’affecte et m’entrave dans la création de tutoriels, d’histoires joyeuses et d’univers colorés… Certains matins, c’est vraiment difficile d’être un artiste Libre.

Liens :




Le projet Rust et sa gestion collaborative

La gestion d’une communauté de développeurs d’un projet open source est assez délicate. Le langage de programmation Rust, conçu et développé de façon ouverte au sein de Mozilla depuis une bonne dizaine d’années, fait largement appel à sa communauté dans sa structure et son mode de développement.

Son originalité par rapport au management de projet en entreprise apparaît de façon intéressante dans le témoignage et les réflexions de Mara Bos, une jeune développeuse impliquée dans le projet dont Framalang a traduit ci-dessous les propos.

Article original sur le blog de l’autrice : Rust is not a company

Traduction Framalang : Fabrice, Côme, goofy

Rust n’est pas une entreprise

par Mara Bos

Mara Bos alias m-ou-se (son dépôt de code)

L’année dernière, en tant que contributrice occasionnelle au projet Rust, je n’ai pas trop réfléchi à la structure organisationnelle de l’équipe derrière le projet. J’ai vu une hiérarchie d’équipes et de groupes, de chefs d’équipe, etc. Tout comme n’importe quelle autre organisation. Cette année, après m’être davantage impliquée, et devenue membre de l’équipe Library 2 puis cheffe d’équipe, j’ai pris le temps de me demander pourquoi nous avons cette structure et à quoi servent ces équipes.

Pas une entreprise

Dans la plupart des entreprises, on trouve des directeurs et des actionnaires et autres trucs dans le genre en haut de la hiérarchie, qui définissent les buts de l’entreprise. Objectifs, jalons, dates limites, et autres choses qui vont sûrement mener l’entreprise vers le but final quel qu’il soit ; généralement l’argent.

Ensuite il existe plusieurs niveaux de management répartis en départements et en équipes pour diviser la charge de travail. Chaque niveau prend en charge une part des objectifs et s’assure que sa part est faite, en assignant des tâches aux employés en bas de la hiérarchie, tous travaillant d’une manière ou d’une autre à atteindre l’objectif principal commun.

Alors que la structure derrière un gros projet open source comme Rust peut sembler similaire, vue de loin, c’est souvent complètement l’inverse. Dans un tel projet, les objectifs et buts ne sont pas ceux des équipes d’en haut, mais effectivement ceux des contributeurs.

En tant qu’équipe library, nous pourrions par exemple essayer de décider que le mécanisme de formatage (std::fmt) devrait être réécrit pour être plus petit et plus efficace. Mais prendre cette décision ne provoque pas la réécriture. Et nous n’avons pas d’employés à qui assigner les tâches. Ce n’est pas comme ça que ça fonctionne.

Au lieu de cela, un contributeur passionné d’algorithmes de formatage pourrait se manifester, et commencer à travailler sur le problème. Notre travail en tant qu’équipe library est de faire en sorte que cette personne puisse travailler. S’assurer que son projet est en accord avec le reste de la bibliothèque standard, relire son travail et fournir un retour utile et constructif. Si davantage de personnes interviennent pour collaborer sur ce projet, mettre en place un groupe de travail pour aider à tout organiser, etc.

Les entreprises ne font pas travailler le premier venu sur quelque chose. C’est ce qui fait que l’open source est particulier et si génial, si on s’y prend bien.

Objectifs personnels

Idéalement, l’objectif d’un projet open source comme Rust est simplement la combinaison des buts personnels de toutes les personnes travaillant dessus. Et là est la difficulté. Parce que quand une nouvelle personne arrive, on ne lui assigne pas une tâche qui correspond à nos objectifs. Cette personne arrive plutôt avec ses propres objectifs et ses propres idées, les ajoutant à un ensemble déjà assez varié d’objectifs potentiellement conflictuels.

Et c’est pourquoi un projet open source piloté par des bénévoles a besoin d’une structure de management. On ne peut pas juste mettre ensemble une centaine de personnes avec chacune ses propres buts et espérer que tout se passe bien.

Donc ce que fait le management, c’est prendre en considération tous les buts personnels de toutes les personnes travaillant sur un sujet, et essayer de les guider de manière à ce que les choses fonctionnent. Ça peut impliquer le fait de dire non à des idées quand elles seraient incompatibles avec d’autres idées, ou ça peut impliquer beaucoup de discussions pour harmoniser les idées afin qu’elles soient compatibles. C’est exactement l’opposé de la manière dont fonctionne une entreprise typique, où les objectifs viennent d’en haut, et où le management décide de la manière de les répartir et les assigner aux personnes qui effectuent le travail technique.

Alors que beaucoup de projets open source, dont Rust, ont un cap ou un plan d’action, ces derniers doivent reposer sur les objectifs des contributeurs individuels du projet pour que ça fonctionne. Dire « notre objectif principal en 2021 est d’améliorer les mécanismes de formatage dans la bibliothèque standard » devrait faciliter le travail des personnes travaillant déjà dessus, et attirer les personnes qui voulaient déjà travailler sur quelque chose de ce genre. Ça devrait les aider parce que nous priorisons toutes les décisions de management et les révisions de code dont ils ont besoin. Ça devrait permettre aux personnes de se concentrer et d’avancer davantage. Mais sans ces contributeurs, mettre en place de tels objectifs n’a pas de sens. Contrairement à une entreprise, nous n’avons pas à choisir ce sur quoi les personnes passent leur temps, et nous n’employons pas de personnes auxquelles assigner des tâches.

Et c’est une bonne chose.

Le logo du langage de programmation Rust

C’est la raison pour laquelle les gens veulent travailler sur Rust.

Je ne prétends pas qu’un langage de programmation ne pourrait pas être géré « d’en haut » comme une entreprise le ferait. Beaucoup de langages de programmation ont été et sont développés de cette manière avec beaucoup d’efficacité. Ce que je dis, cependant, c’est que personnellement je ne veux pas que le projet Rust fonctionne de cette manière.

Je ne veux pas gérer le département library de l’entreprise Rust. Je veux aider les personnes qui veulent améliorer les bibliothèques du langage Rust.

Un espace pour s’épanouir

Différents contributeurs ont des objectifs très différents, travaillent avec des méthodes très variées, et ont des besoins très différents des structures de management.

Pour certains d’entre eux, nous avons des processus en place destinés à leur rendre le travail plus facile. Une personne qui veut travailler sur une nouvelle fonctionnalité du langage peut soumettre ses idées via une RFC 3 et prendre part dans une discussion avec l’équipe library pour des conseils et de l’aide. Quelqu’un qui veut améliorer une grande partie du code du compilateur 4 peut soumettre une proposition de changement majeur (MCP) et en discuter avec l’équipe du compilateur. Et quelqu’un qui veut résoudre un problème dans la bibliothèque standard peut soumettre une proposition de modification et la voir relue et évaluée par des personnes qui connaissent le contexte.

En d’autres termes, nous avons créé un espace pour ces types de contributeurs. De l’espace pour faire leur travail, de l’espace pour obtenir des retours, de l’espace pour obtenir de l’aide, de l’espace pour obtenir une reconnaissance, tout l’espace dont ils ont besoin pour réussir.

Cependant, il existe malheureusement beaucoup de types de contributeurs pour lesquels nous n’avons pas créé un espace, ou pas le bon espace.

Jusqu’à une époque récente, l’équipe library était principalement concentrée sur la conception de l’API. Les problèmes critiques d’implémentation étaient gérés par l’équipe du compilateur par nécessité. Les modifications de code plus modestes étaient relus et évalués par des relecteurs individuels de l’équipe library. Mais il n’y avait pas de gestion prévue pour de plus gros changements de code. Ça signifiait qu’il n’y avait pas d’espace pour une personne qui aurait voulu remettre à neuf le code de std::fmt. Il n’y avait pas d’équipe qu’elle aurait plus rejoindre pour travailler là-dessus, rendant beaucoup plus difficile, voire impossible, d’atteindre son but.

C’est pourquoi j’ai lancé la nouvelle équipe Library.

Faire de la place pour quelque chose peut souvent amener à (accidentellement) retirer de la place pour autre chose. Une personne qui n’est pas très impliquée dans le code mais qui veut appliquer son expérience dans la conception d’API et qui se soucie beaucoup de l’interface de la bibliothèque standard ne s’épanouirait pas dans une équipe qui aime avoir des réunions hebdomadaires à propos des problèmes de correction du code et de la manière avec laquelle résoudre ces problèmes avant la prochaine version publique.

Voilà pourquoi nous avons à présent l’équipe Library API

Nous avons maintenant aussi une équipe de « Contributeurs à Library ». Un endroit pour les personnes qui sont plus impliquées dans le projet que les contributeurs occasionnels, mais qui ne font pas partie des équipes qui prennent les décisions finales. Ça fait de l’espace pour les personnes qui veulent, par exemple, travailler sur seulement un aspect particulier de la bibliothèque, ou aider à relire les modifications proposées. Jusqu’à il y a environ un an, il n’y avait pas d’espace particulier pour qu’une personne relise les changements ou qu’elle s’implique davantage d’autres manières, sans faire directement partie d’une équipe avec beaucoup plus de responsabilités.

J’ai réussi à effectuer ces changements de structure d’équipe avec l’aide des membres des équipes Core et Library, qui m’ont mise en capacité de le faire. En retour, ces changements vont, je l’espère, permettre à des membres de ces nouvelles équipes de s’épanouir, et ainsi permettre à encore plus de personnes de contribuer, pour que finalement cela soit bénéfique pour tous les utilisateurs et utilisatrices du langage.

La mascotte de Rust

Continuer à changer

Je n’ai pas l’impression que nous ayons maintenant un espace pour toute personne souhaitant contribuer. Mais une fois que la poussière de la réorganisation se sera dispersée, je pense que le résultat sera une amélioration par rapport à ce que nous avions auparavant, et que ça correspond mieux au projet tel qu’il est aujourd’hui.

« Aujourd’hui » est le mot important ici. Ces équipes sont faites autour des membres actuels et des personnes qui, je pense, pourraient devenir des membres dans un futur proche. Mais ce groupe de personnes et leurs besoins changent, parfois à une vitesse surprenante. Et dans un projet qui est entièrement défini par les personnes qui y contribuent, ça change le projet en lui-même et la structure dont il a besoin, tout aussi rapidement.

En 2018, l’équipe Library était très impliquée dans l’aide aux auteurs des bibliothèques 5 populaires de l’écosystème. L’équipe a publié un ensemble de guides, et va réviser les bibliothèques et travailler conjointement avec leurs auteurs pour les implémenter. Tout cela pour améliorer la cohérence et la qualité de l’écosystème de librairies Rust.

Il y a quelques jours encore, c’était toujours techniquement une partie des buts affichés de l’équipe, même si en pratique ça n’était plus vraiment le cas ; particulièrement depuis qu’Ashley Mannix a quitté le projet il y a un moment. Sans les personnes qui ont pour but personnel de faire que des choses se produisent, les choses ne se produisent pas.

Et c’est très bien comme ça.

Tout le monde a une longue liste de vœux pour Rust, de choses qui ne se font pas parce que personne ne travaille dessus. Nous ne sommes pas une entreprise avec des dates limites et des jalons qu’il nous faut absolument atteindre. Nous sommes un groupe, divers et fluctuant, de personnes qui essaient de gérer tout ça avec passion, en s’efforçant de faire en sorte que tous les efforts aboutissent harmonieusement.

Il y a beaucoup de choses pour lesquelles nous devrions avoir de l’espace, mais pour lesquelles nous n’avons encore de place. Mais si nous continuons à essayer, si nous continuons à effectuer de petites améliorations. À nous adapter. À prendre en compte les personnes autour de nous qui veulent contribuer elles aussi ; si nous continuons à réfléchir à la façon dont nous pouvons les aider, eux et tous les autres. Alors chaque pas sera un pas dans la bonne direction, ainsi Rust prospérera et toutes les nombreuses personnes qui travaillent sur Rust et avec Rust s’épanouiront.

Photo « Rusty but pretty »  par Jeanne à vélo, licence CC-BY-SA




Quand le militantisme déconne : injonctions, pureté militante, attaques… (7/8)

La question compliquée et parfois houleuse du militantisme nous intéresse depuis longtemps à Framasoft, aussi avons-nous demandé à Viciss de Hacking Social, de s’atteler à la tâche.

Voici déjà le septième épisode [si vous avez raté les épisodes précédents] de son intéressante contribution, dans laquelle des alternatives sont envisagées et des pistes proposées pour tenter d’échapper à la fâcheuse tendance au militantisme déconnant.

Nous publions un nouveau chapitre de son travail chaque vendredi à 13:37 sur le Framablog, mais si vous préférez, vous pouvez télécharger dès maintenant l’essai intégral de Viciss qui comprend une bibliographie revue et augmentée :

Quand le militantisme déconne, format .pdf (5,6 Mo)

Toutes les sources sont sous licence Creative Commons CC-BY-SA et disponibles sur ce dépôt.

Que faire à la place de la déconnance ?

On a déjà pu apercevoir dans les points précédents qu’on se mettait à avoir des pratiques déconnantes non pas parce qu’on est persuadé que ce sont de bonnes pratiques, mais davantage malgré nous, parce que nos propres besoins sont sapés (par exemple faute d’avoir son autonomie comblée, on tente de contrôler l’autre, ce qui nous donne une satisfaction ponctuelle de notre besoin de compétence), parce que c’est le modèle de fonctionnement majoritaire dans nos environnements sociaux, parce qu’on manque d’informations, qu’on est surmené, etc.

Viser les besoins fondamentaux et vivre sa motivation intrinsèque

La solution est donc pour casser ce cercle vicieux est de commencer à nourrir les besoins fondamentaux à travers nos activités (tous les conseils dans les cadres jaunes des schémas précédents), tant les nôtres que ceux des autres en même temps. S’ensuivront des motivations de plus haute qualité pour l’activité, et celles-ci vont aussi nourrir en retour nos besoins en un cercle cette fois-ci vertueux. Et quand on aime profondément une activité, on cherche à en décupler le plaisir, donc on tente de la partager, les personnes aimant partager des émotions plaisantes écoutent et sont à leur tour entraînées dans une motivation à cette activité. Le truc serait juste de vivre et de communiquer pleinement sa motivation intrinsèque pour telle activité.

Cette transmission de la joie et du vécu positif pour une activité qu’on a avec une motivation intrinsèque (comme peuvent l’être tous les loisirs actifs, les disciplines qui ont pu passionner des personnes dans le monde) peut se faire dès qu’on lève toute crainte quant au jugement de celles et ceux qui pourraient observer ce vécu joyeux, crainte qui peut potentiellement s’effacer lorsqu’on est concentré dans l’activité elle-même. Généralement les gens perçoivent la passion, ressentent les émotions positives sincères lorsqu’elles sont explicitement vécues, de façon authentique (par exemple, on ne se forcerait pas à transmettre la joie de faire ceci, on serait juste effectivement joyeux de faire cela)1. La plus grande difficulté de ce partage de motivation intrinsèque réside dans la crainte des atteintes à la proximité sociale : être authentique, c’est être à nu, donc s’exposer potentiellement au jugement d’autrui, à son mépris, à son indifférence, à sa future ostracisation. On peut donc avoir des réticences à s’exposer sincèrement, tout particulièrement lorsqu’on a déjà vécu des situations de forte indifférence ou de mépris alors qu’on était pleinement authentique et bienveillant. Cela demande alors un même type de courage qu’un saut du plongeoir, on ne peut que se jeter à l’eau, s’immerger (ici dans le sujet, en vivant totalement avec lui), et nager jusqu’à l’atteinte du but. La crainte du regard d’autrui, son jugement potentiel est mis de côté, on se concentre sur son rapport authentique à sa passion. Vivre pleinement sa motivation intrinsèque et l’exposer n’est pas tant un effort, un travail, mais plutôt une immersion de l’attention qui est telle que les craintes liées au sapage de la proximité sociale sont pour le moment comme hors sujet.

Viser les motivations extrinsèques intégrées

Cependant, on sait aussi tous que la vie n’est pas forcément composée d’activité attractive. Changer la litière du chat, descendre les poubelles, suivre le Code de la route… Je ne connais personne qui ait de motivation intrinsèque pour ces activités, et c’est tout à fait normal parce que celles-ci peuvent avoir intrinsèquement des stimuli aversifs (l’odeur de la litière, des poubelles), demander des actions ennuyeuses qui n’apportent rien (attendre au stop n’est en rien une expérience qui nous apprend quelque chose), etc. De même, sans motivation intrinsèque, certaines activités militantes peuvent être tout aussi répulsives en premier lieu.

Toutefois on peut avoir des motivations extrinsèques intégrées pour ces actions répulsives, et celles-ci sont puissantes, durables sur le long terme et rendant l’acte moins pénible ou coûteux en efforts. On change alors la litière pour maintenir un foyer plus agréable pour ses habitants (y compris pour le chat qui vous remerciera en cessant de vous faire découvrir au petit matin de petites surprises puantes sur le sol du salon), on suit le Code de la route parce qu’on ne veut pas causer d’accident, on trie ses poubelles correctement pour faciliter le travail des éboueurs et de tous ceux qui travaillent sur le traitement des déchets.

Et comme c’est particulièrement intégré en nous, ça ne nous coûte rien de le faire, on ne rechigne pas, on n’a plus besoin d’y penser, on n’a pas de crainte d’être jugé, on ne sent pas de menaces, on n’agit pas par injonction.

L’autre avantage de cette motivation à régulation intégrée, c’est la résistance aux tentatives de manipulation/d’influence néfaste : par exemple, une personne à motivation intégrée pour le tri triera non seulement tout le temps sans que personne n’ait à lui ordonner quoique ce soit, sans qu’il y ait une seule pression, mais plus encore elle ne sera pas influencée par les arguments tentant de la convaincre que c’est pathétique de trier, et elle continuera son comportement. On a donc là une motivation très puissante, potentiellement préventive face aux menaces et aux tentatives d’influence.

Mais comment transmettre ça à un autre, sans être injonctif, saoulant, culpabilisant ?

Une expérience de la théorie de l’autodétermination est assez éloquente à ce sujet :

ℹ ⇢ Koestner et coll. (1984). Au travers d’une expérience sur la peinture avec des enfants, il a été testé différentes façons de présenter une règle consistant à respecter la propreté du matériel. Pour soutenir l’autonomie malgré une imposition de règles, il a été vu qu’il fallait présenter les choses ainsi :

  • Minimiser l’usage d’un langage contrôlant (« tu dois » « il faut »…),
  • Reconnaître le sentiment des enfants à ne pas vouloir être soigneux avec les outils,
  • Fournir aux enfants une justification de cette limite/règle (c’est-à-dire expliquer pourquoi on a voulu que les outils restent propres).

En présentant ainsi les limites de façon non contrôlante, la motivation intrinsèque des enfants pour la peinture était préservée et beaucoup plus haute que dans un cadre contrôlant (c’est-à-dire avec juste l’ordre de ne pas salir les outils, sans justification ni reconnaissance du sentiment de l’enfant).

Si on transpose cela à l’acte militant, vous avez plus de chances de réussir à transmettre un changement d’habitude, une nouvelle pratique qui supplante une ancienne, une alternative, en n’étant pas contrôlant dans son langage : on supprime l’impératif, « il faut » « tu dois ». À la place, on peut mettre « on peut », « il est possible de » ; je trouve que le conditionnel est aussi très doux pour montrer des possibilités. Et un discours non injonctif qui connote l’ouverture à des possibilités est un discours qui permettra d’éviter des comportements réactants.

Reconnaître les émotions d’autrui, c’est soit se mettre en empathie cognitive avec l’autre (par exemple, imaginer ce que peut ressentir un militant antivax), soit essayer de comprendre ses émotions en l’écoutant activement, sans jugement.

Le thread suivant explique formidablement bien comment on peut communiquer avec « l’adversaire » à sa cause d’une façon qui respecte son autonomie, ses besoins (ici c’est la personne antivax, mais ça pourrait concerner un autre sujet, la méthode d’écoute des émotions et besoins serait tout aussi pertinente).

[Thread] Comment parler à une personne Antivax ? – (le) Deuxième Humain – @DeuxiemeHumain

❭ J’ai vu plein de gens parler de leurs proches qui veulent pas se faire vacciner / ont peur des vaccins / pensent qu’il faut pas faire confiance à la médecine, (4:24 PM · 21 mai 2021 · Twitter)

❭ et qui aimeraient bien les faire changer d’avis ou les pousser à se faire vacciner (pour rester en vie), donc voici quelques astuces pour y arriver :

❭ Précision : tout ce dont je vais parler ici concerne les proches / personnes qu’on connait plutôt bien.

❭ Malheureusement faire changer d’avis un·e inconnu·e sur twitter, surtout un sujet aussi chargé émotionnellement, ce n’est souvent pas un objectif réaliste. Mais si tu as de la patience et du temps, tu peux toujours essayer 🙂

❭ Le plus important c’est de ne pas prendre les personnes antivax pour des idiotes. C’est pas parce qu’on est antivax qu’on est plut bête qu’un·e autre.

❭ Et même si c’était le cas : se faire prendre de haut ça n’a jamais fait évoluer personne. Et ça n’a jamais n’a définitivement jamais fait évoluer personne de façon saine.

❭ Ne monopolisez pas la parole : c’est important d’avoir une vraie discussion où vous écoutez sincèrement la personne en face, sinon elle ne va pas avoir envie de vous écouter en retour et vous risquez de parler dans le vide.

❭ Il faut essayer d’avoir un véritable échange, ne placez pas uniquement les sources avec les faits ou statistiques sur les vaccins qui montrent que c’est mieux de se faire vacciner comme si vous étiez en train de jouer aux échecs.

❭ Écoutez. Écoutez. Écoutez. Personne ne « naît » antivax. Il y a toujours une raison derrière.

❭ Ça peut être une histoire personnelle, une peur des « élites », une peur ou une incompréhension de la science derrière les vaccins, une perte de confiance envers la médecine, des positions politiques ou religieuses…

❭ Et si la personne en face ne rentre pas dans les détails, posez des questions. Intéressez-vous sincèrement à la personne face à vous et aux raisons qui ont poussé à être contre les vaccins.

❭ Ça vous aidera à mieux l’aider à comprendre ce sujet et aussi à mieux la comprendre de manière générale dans la vie (et c’est toujours cool d’être plus proche de ses proches).

❭ Tant que vous y êtes : parlez de vous aussi. Pourquoi est-ce que vous êtes d’accord-vax ? (Je viens d’inventer ce mot, j’en suis très fier)

❭ Est-ce que vous avez eu des doutes à certains moments ? Comment avez-vous fait pour vous renseigner ? Qu’est-ce qui vous a fait vous décider ? Pourquoi vous faites-vous vacciner ?

❭ Je passe beaucoup de temps dessus, parce que c’est très important d’avoir une vraie discussion et de ne pas venir avec son Powerpoint, balancer plein de chiffres ou de noms qui font sérieux puis repartir direct.

❭ Et la deuxième étape, après avoir pris le temps d’écouter et de parler posément avec la personne antivax, c’est d’apporter des réponses ou des solutions à ses problèmes.

❭ La personne que vous souhaitez convaincre ne fait pas confiance aux positions du gouvernement parce que, honnêtement, c’est des positions qui changent toutes les 2 semaines c’est chelou ?

❭ Parlez-lui des recommandations de l’OMS-qui ont d’ailleurs plusieurs fois été gentiment ignorées par le gouvernement.

❭ Vous êtes face à quelqu’un qui a peur des effets secondaires potentiels ? Regardez ensemble quels sont les effets secondaires potentiels des vaccins et les effets primaires du Covid (Spoiler : le Covid a l’air franchement plus violent).

❭ Et vous pouvez aussi regarder la liste d’effets secondaires de médicaments courants ou qu’elle prends, pour lui montrer que ça n’est pas si différent et qu’il s’agit de cas rares. Ils existent, mais sont rares.

❭ Quelqu’un ne veut pas se faire vacciner parce que « c’est chiant je sais pas comment faire avec internet et tout » ? Vous pouvez l’aider à prendre rendez-vous, le faire pour elui voire même l’accompagner si vous êtes disponible !

❭ Rien que proposer de prendre des rendez-vous au même moment ça peut motiver certaines personnes qui n’étaient pas sûres : avec l’effet de groupe on se dit « allez, tant qu’on y est ! » et c’est toujours plus rassurant d’y aller à plusieurs, surtout avec des proches.

❭ Storytime : Quelqu’un dans ma famille (anonymysé·e pour des raisons d’anonymat) vient d’un pays où il y a littéralement eu des tests de vaccins et médocs faits sur la population « pour voir si ça fonctionne bien avant de les envoyer dans les pays riches ».

❭ Allez savoir pourquoi, cette personne n’a pas super méga confiance en la vaccination contre le Covid du coup. Et bah on va se faire vacciner avant elui, comme ça iel pourra voir si on va bien et aller se faire vacciner en ayant confiance.

❭ Le plus important c’est d’écouter les besoins ou peurs des personnes et les aider à les surmonter -et ça, quels que soient ces problèmes et ces peurs, même si elles nous paraissent ridicules : un peu de compassion punaise !

❭ Félicitations, vous êtes arrivé·es à la fin de ce thread ! Pour fêter ça vous pouvez le RT où l’envoyer à des gens que ça pourrait aider. Et pour me soutenir vous pouvez aller sur https://utip.io/vivreavec , ça nous soutient Matthieu et moi !

Source Twitter.

⚒ Concernant la justification rationnelle à apporter sur « pourquoi » selon le militant il faudrait changer de comportement (ne plus employer tel mot, tel logiciel ; porter le masque, se faire vacciner, ne pas croire ceci, etc.), des méta-analyses révèlent celles les plus convaincantes :

ℹ ⇢ Steingut, Patall et Trimble (2017) ont fait une méta-analyse de 23 expériences portant sur le soutien à l’autonomie qui fournissait une explication ou une justification rationnelle sur la tâche à faire. Ils ont découvert que cette explication augmente la valeur perçue de la tâche, mais peut parfois générer un effet négatif sur le sentiment d’être compétent. En effet, toutes les explications n’ont pas la même valeur autodéterminante, et peuvent être classées en 3 types :

  • contrôlantes : le comportement est dit important pour des raisons externes, tel que « cela vous rapportera de l’argent, une promotion », ou concernant l’apparence physique ou canalisant le sentiment de culpabilité ;
  • autonomes : le comportement est dit important pour soi, ses valeurs personnelles, son développement personnel « cela améliorera votre mémoire/votre indépendance/votre esprit critique… » ;
  • prosociales : le comportement est dit important pour autrui, « cela va apporter du confort et du bien-être à vos proches/aux personnes présentes ».

C’est lorsque l’explication ou la justification est prosociale que le comportement est ensuite le plus efficace, avec une meilleure motivation autonome, un meilleur engagement.

Autrement dit, l’humain étant un animal social, il est davantage motivé de suivre un comportement qui va clairement montrer que ça aide un autre humain ; ça le motive plus que les récompenses, l’argent, l’évitement de la culpabilité, ou la croissance de ces capacités ou compétences personnelles. À mon avis, cette justification prosociale, pour être transmise efficacement, pourrait être formulée au plus concret et proximal possible : dire que le tri des déchets va sauver l’humanité ne sera pas une justification qui motivera le locuteur à changer son comportement, par contre dire que ça facilite le travail de l’éboueur qu’on peut croiser de temps en temps dans sa rue sera bien plus efficace. Parce que la réussite « sauver le monde » est à la fois un défi trop important, quand bien même il serait réussi, il n’y aurait pas de feedback de réussite direct (« ah vous êtes le type qui avait eu une pratique écologique parfaite et depuis nous n’avons plus de pollution, merci beaucoup ! ») ; alors que voir les éboueurs de bonne humeur dans la rue parce qu’il n’y a pas de problème avec les poubelles et les déchets tels que les gens en ont pris soin, est un feedback directement visible, appréciable, concret.

Soutenir l’autonomie (en n’étant pas contrôlant, en donnant des explications rationnelles et prosociales) est stratégiquement le plus approprié si on souhaite transmettre à la personne l’adoption d’un comportement à long terme, qui peut potentiellement « déborder » (Spill Over effect), c’est-à-dire entraîner un comportement analogue (par exemple on apprend un comportement écologique de tri, la personne va faire déborder ce comportement par elle-même en commençant à faire attention à sa production de déchets).

ℹ ⇢ Dolan et Galizzi (2015) ont constaté que cet effet de débordement est au plus fort lorsque les interventions visent la motivation intrinsèque ; et inversement, les interventions basées sur l’augmentation de la culpabilité ont les effets les plus négatifs.

La motivation intrinsèque + la motivation intégrée sont le carburant des résistants et génèrent, selon les situations, un courage, une créativité rebelle et une puissance exceptionnelle, qu’eux-mêmes ne comprennent pas quand elles adviennent2. En cela, il me semble que ce sont les motivations qu’on pourrait davantage tenter de nourrir lorsqu’on est militant ou engagé, puisqu’une seule personne avec une telle motivation peut transformer toute une situation concernant des centaines d’autres.

Un militantisme autodéterminateur plutôt que contrôlant

La théorie de l’autodétermination donne des outils vraiment très accessibles, testables, qui ont déjà démontré une forte efficacité. Mais avant de trop nous emballer, il y a malheureusement à se rappeler que même la militance la plus efficace ne pourra réparer immédiatement tout le mal que des décennies d’environnements sociaux déconnants ont pu générer, ni même réussir à combler les besoins d’individus qui sont encore aux prises d’environnements sociaux sapants. Un oncle peut arriver à rendre joyeux et libre son neveu, mais si l’enfant est battu par ses parents dès qu’il les retrouve, tout le travail de nourrissement des besoins par l’oncle est réduit en miettes. Parfois la meilleure aide à apporter à autrui est de l’aider à fuir des environnements sociaux destructifs, que ce soit la famille maltraitante, le travail où il y a harcèlement, ce village où il n’y a que surveillance, mépris et solitude, etc. Cet exemple peut apparaître éloigné des situations de militance, mais pas tant que ça : lorsqu’on discute, qu’on tente de comprendre l’adversaire ou le spectateur voulant rester dans sa routine et ne rien changer, ceux-ci nous décrivent rapidement des environnements sociaux dans lesquels ils sont sous emprise, parfois de manière très complexe, et dont on peut difficilement les aider à s’extirper pour de meilleurs environnements sociaux (par conséquent, le changement de comportement qu’on propose peut apparaître à la personne comme un effort trop grand, ou ridicule par rapport à la souffrance vécue).

Cependant, pour reprendre cette métaphore familiale, cet oncle qui aura rendu heureux cet enfant maltraité, quand bien même il n’a pas réussi pour le moment à trouver une solution pour libérer cet enfant, lui a tout de même offert un modèle d’environnement social sain, lui aura montré que les choses peuvent fonctionner d’une bien meilleure façon. Cet acte n’est absolument pas anodin, au contraire, il permet d’aider l’enfant à ne pas intérioriser le modèle maltraitant comme étant la bonne chose à reproduire (puisque le modèle concurrent est producteur de bonheur), et ça c’est extrêmement important pour le futur, pour son développement.

Voilà pourquoi ça vaut le coup d’essayer de nourrir les besoins fondamentaux des personnes, surtout dans un travail engagé/militant, quand bien même on n’arrive pas dans l’immédiat à résoudre les grands problèmes, ni à changer aucun comportement ou à convaincre. Il ne s’agit pas de placer un arbre de force, mais de distiller quelques graines ci et là. Si on a nourri un peu les besoins de la personne par notre écoute, c’est déjà beaucoup, parce que c’est montrer concrètement qu’un environnement social peut être nourrissant. Pour donner un exemple concret, des discussions sympas peuvent amener un adversaire à abandonner une idéologie qui le ravageait et se transformer : un incel3 raconte comment le fait d’avoir des discussions banales avec des féministes et autres personnes non-incel lui a apporté quelque chose de libérateur. Le fait de rencontrer d’autres environnements sociaux ne fonctionnant pas de la même manière peut constituer une expérience paradigmatique qui les transforment :

« Quand j’étais un incel je ne sortais jamais. Je n’avais jamais mis un pied dans un bar, un club, je ne connaissais rien de ce style de vie. Du coup, c’était facile de croire tout ce qui se racontait en ligne sur les bars, les clubs, les femmes, parce que je n’avais aucun élément de comparaison issu de la réalité qui m’aurait permis de séparer le vrai du faux.

La première fois que j’ai été dans un bar, j’ai vu un mec faisant bien 10 centimètres de moins que moi et le double de mon poids, installé dans le carré VIP avec plein de femmes sexy gravitant de son côté. Voir ça, ça a anéanti ma vision du monde. Parce que si on en croit la communauté des incels, ce que faisait ce mec, là, c’était littéralement impossible.

En gros, j’ai remplacé ce que j’ai appris des incels par des connaissances tirées d’expériences réelles. » (tiré de reddit.com, traduit par Madmoizelle.com)4.

Voilà ci-dessous tout ce que la théorie de l’autodétermination conseille pour nourrir les besoins et tout ce qui pourrait aider la personne à s’autodéterminer ; il y a aussi tout ce qu’il y a à ne pas faire car cela sape l’autodétermination, envoie les individus vers des motivations de basses qualités. Cependant, si vous êtes autoritaire et si vous visez le contrôle des individus afin d’en faire des pions, que vous avez d’énormes moyens afin de développer ce mode de contrôle (par exemple installer une surveillance massive de tout instant, embaucher de nombreux militants injonctiveurs tels que des chefs, sous-chefs, surveillants, contremaître, black hat trolls5, etc.), évidemment il serait incohérent de suivre les conseils autodéterminateurs puisque cela irait contre vos buts. À noter que ce ne sont pas des conseils juste lancés comme ça, tout a été testé par des expériences et études répliquées.

Recommandations de la SDT pour viser l’autodétermination (= motivation intrinsèque + motivation intégrée + besoins fondamentaux comblés + orientation autonome)
Ce qui aide à l’autodétermination et au bien-être des individus dans les environnements sociaux. (Environnements autodéterminants) Ce qui empêche l’autodétermination, contribue au mal-être, et pousse les individus à être pion dans les environnements sociaux (Environnements contrôlants)
• Viser le bien-être
• Viser le comblement des besoins
• Chercher à ce que les individus soient autodéterminé, puissent s’émanciper grâce à nos apports ou être libres dans la structure (viser la préservation, le developpement, le maintien de la motivation intrinsèque, la régulation identifiée/intégrée, l’orientation autonome, l’amotivation pour les activités/comporte-ments sapant les besoins des autres/de soi)
• Formuler, transmettre, encourager et nourrir les buts et aspirations intrinsèques, montrer les possibilités de la situation
• Viser le mal-être
• Viser la frustration des besoins pour mieux déterminer son comportement/ses idées…
• Chercher à déterminer totalement les individus, a avoir un contrôle total sur eux (orientation contrôlée/impersonnelle, pas de motivation intrinsèque, introjection, régulation externe, amotivation pour les activi-tés/comportements nourrissant ses ou les besoins des autres)
• Formuler, transmettre, encourager et nourrir les buts et aspirations extrinsèques, éliminer/nier buts intrinsèques, montrer les impossibilités et les contrôles de la situation
Concevoir un environnement favorisant l’autonomie Concevoir un environnement contrôlant
• transmission autonome de limites (pas de langage contrôlant ; reconnaissance des sentiments négatifs ; justification rationnelle et prosociale de la limite)
• proposition et soutien de vrais choix, pas simplement des options interchangeables
• fournir des explications claires et rationnelles
• permettre à la personne de changer la structure, le cadre, les habitudes si cela est un bienfait pour tous
• ne pas condamner les prises d’initiatives
• modèle horizontal, autogouverné, en appuyant sur le pouvoir constructif de chacun
• punitions
• transmission contrôlée des limites (langage contrôlant, déni des émotions, absence de justification)
• récompenses (conditionné à la performance, conditionnelles)
• mise en compétition menaçant l’ego
• surveillance
• notes / évaluations menaçant l’ego
• objectifs imposés/temps limité induisant une pression
• appuyer sur la comparaison sociale
• évaluation menaçant l’ego
• modèle de pouvoir hiérarchique, en insistant fortement sur son pouvoir dominant
Concevoir un environnement favorisant la proximité sociale Concevoir un environnement niant le besoin de proximité sociale ou uniquement de façon conditionnelle
• faire confiance
• se préoccuper sincèrement des soucis ou problèmes de l’autre
• dispenser de l’attention et du soin
• exprimer son affection, sa compréhension
• partager du temps ensemble
• savoir s’effacer lorsque la personne n’a pas besoin de nous
• écouter
• ne jamais faire confiance
• être condescendant, exprimer du dédain envers les personnes
• terrifier les personnes
• montrer de l’indifférence pour les autres
• instrumentaliser les relations
• empêcher les liens entre les personnes de se faire
• comparaison sociale
• appuyer sur les mécanismes d’inflation de l’ego (l’orgueil, la fierté d’avoir dépassé les autres)
Concevoir un environnement favorisant la compétence Concevoir un environnement défavorisant la compétence ou n’orientant que la compétence via la performance
• être clair sur les procédures, la structure, les attentes
• laisser à disposition des défis/tâches optimales, adaptables à chacun
• donner des trucs et astuces pour progresser
• permettre l’autoévaluation
• si besoin, proposer des récompenses « surprises » et congruentes (sans condition)
• donner des feed-back informatif, positif ou négatif, mais sans implication de l’ego.
• ne pas communiquer d’attentes claires, ni donner de structures ou procédures concernant les choses à faire
• donner des taches et défis inadaptés aux compétences des personnes voire impossible.
• Évaluer selon la performance
• donner des feedback menaçant l’ego de la personne (humiliation, comparaison sociale)
• donner des feedback flous sans informations
• traduire les réussites et échecs en terme interne allégeant.
• feed-back positif pour quelque chose de trop facile
• valoriser les signes extérieurs superficiels de réussite


  1. Les recherches sur l’autodétermination démontrent que généralement les gens détectent et jugent très positivement les personnes à motivation intrinséque, passionnées, et souhaitant empuissanter autrui. Leur propre motivation intrinsèque augmente aussi via l’exposition à ces profils (que ce soit la ou le conjoint·e, les professeur·es, les coachs, les superviseurs, etc.). Cependant, s’ils sont contrôlants, sapent l’autonomie, cela ne marche pas du tout et fait l’effet inverse. Cf Deci, Schwartz, Sheinman et Ryan (1981) ; Ryan et Grolnick (1986) ; Deci et Ryan (2017).
  2. Dans Un si fragile vernis d’humanité, banalité du mal, banalité du bien, Michel Terestchenko rapporte comment un routier, voyant une situation où un groupe de Juifs allait se faire expulser ou incarcérer en camp, s’est d’un coup fait passer pour un diplomate auprès des nazis et a pu interdire aux autorités de nuire à ce groupe. Il a fait ça sans l’avoir prémédité. On trouve quantité d’actes non prémédités d’altruisme hautement stratégique et très efficace également dans « Altruistic personnality » des Oliner (dont on a traduit des morceaux ici ; globalement, cela semble dû à un altruisme à motivation intégrée, ou à une amotivation autodéterminée à faire du mal qui a été forgée dans le passé, notamment grâce au fait que les désobéissants aient eu au moins un proche ou un ami nourrissant leurs besoins fondamentaux et présentant concrètement des actes altruistes.
  3. Idéologie anti-femme / anti-couples qui considère (entre autres) que seuls certains hommes exceptionnellement beaux ou riches attireront les femmes, donc qu’ils seront célibataires à jamais. Il y a aussi chez eux un rejet des femmes non-blanches et/ou non-blondes, un rejet des femmes ne suivant pas un modèle traditionnel (par exemple, si elles travaillent, si elles ont fait des études), un rejet du fait qu’elles puissent être des personnes (l’incel considére que s’il rend service à une femme, elle doit coucher avec lui ; il y a une infériorisation de la femme et une objectivation). Ils disent haïr les femmes tout en disant crever d’envie d’être en couple avec elles. Les incels ont commis des tueries de masse à l’encontre des couples et des femmes, cf. le listing sur Wikipédia (il est malheureusement régulièrement mis à jour).
  4. Ici aussi : Jack Peterson, Why i’m leaving incel (Youtube) ; Nina Pareja, « un incel repenti regrette le manque d’ironie du mouvement masculiniste », Slate.fr, 2018 ; et un article du Guardian.
  5. Ou « farfadet de la dialectique à chapeau noir ». Ceci n’est pas un terme de l’Académie française pour troll, mais une proposition d’un internaute qui a répertorié d’autres propositions ici.

(à suivre…)

Si vous trouvez ce dossier intéressant, vous pouvez témoigner de votre soutien aux travaux de Hacking Social par un don sur tipee ou sur Liberapay



Quand le militantisme déconne : injonctions, pureté militante, attaques… (6/8)

La question compliquée et parfois houleuse du militantisme nous intéresse depuis longtemps à Framasoft, aussi avons-nous demandé à Viciss de Hacking Social, de s’atteler à la tâche.

Voici déjà le sixième épisode [si vous avez raté les épisodes précédents] de son intéressante contribution, dans laquelle elle examine des causes classiques ou plus inattendues du militantisme déconnant.

Nous publions un nouveau chapitre de son travail chaque vendredi à 13:37 sur le Framablog, mais si vous préférez, vous pouvez télécharger dès maintenant l’essai intégral de Viciss qui comprend une bibliographie revue et augmentée :

Quand le militantisme déconne, format .pdf (5,6 Mo)

Toutes les sources sont sous licence Creative Commons CC-BY-SA et disponibles sur ce dépôt.

D’autres causes du militantisme déconnant

Le surmenage

Quand on est surmené, on essaye de régler les problèmes au plus vite pour en traiter d’autres plus urgents, donc il est totalement logique qu’on en vienne à être plus sec dans notre ton, qu’on ait plus tendance à l’injonction pour obtenir de l’autre un comportement immédiat afin qu’il cesse de nous solliciter. Le problème ce n’est ni nous, ni l’autre qui sollicite ou fait un truc pour lequel on va l’injonctiver en réaction, mais bien la situation de surmenage. Or, c’est extrêmement courant en militance, parce que les mouvements n’ont pas souvent les moyens de gérer tout ce qu’il y a à gérer, parce que la militance mène à affronter des situations particulièrement surmenantes, stressantes, parfois oppressantes et violentes. Et même lorsque la situation surmenante est loin derrière, il y a toujours cette menace qu’elle revienne sous peu, d’autant qu’elle laisse souvent des traces. En conséquence, notre cerveau maintient ce mode « sous tension » par prévention, parce que cela s’est avéré une manière efficace de gérer le moment tendu.

Autrement dit, dans ce cas de figure ce n’est ni la faute du militant, ni de l’allié qui faute ou qui aurait un comportement qui va générer une critique, mais bien un problème situationnel qui demande des solutions organisationnelles. La situation d’urgence, de surmenage peut être inévitable, en ce cas, l’idéal est d’avoir un mode de fonctionnement préétabli pour ces situations particulières, et d’autres modes de fonctionnement pour les autres situations. Ce n’est pas forcément incohérent d’avoir un mode plus « hiérarchique » dans une situation de forte confrontation avec l’adversaire, avec des règles plus serrées, parce que la violence ou les risques peuvent obliger à cela, et parfois le rôle donné à chacun dans un groupe peut avoir des effets protecteurs ; parmi les hackers, j’ai pu voir à l’œuvre à la fois un mode quasi-militaire lors d’opérations risquées impliquant beaucoup de monde, avec des instructions très strictes qui ne laissaient pas de place à de l’initiative personnelle, parce que c’était à la fois le moyen de mener à bien l’opération et de protéger tout le monde de risques très concrets. Mais dès que l’opération était terminée, l’autogestion sans chef, do-ocrate (le pouvoir à celui qui fait/initie un projet), anti-autoritaire, reprenait le dessus pour fomenter de nouvelles opérations. Il s’agit de pouvoir switcher, être flexible dans l’organisation et dans les modes d’agir afin de coller aux besoins particuliers de la situation, et ne pas rester en mode « menaces » lorsque celles-ci ne sont pas présentes.

Quoi qu’il en soit, le surmenage et les dérives que cela entraîne ne peuvent être résolus que par des modes d’organisation qui sont pensés en fonction des situations. Cela n’est pas un problème qui peut être résolu en se focalisant sur un individu « fautif ».

Le manque d’information

Pour reprendre l’exemple de « vous connaissez PeerTube ? » qu’on a eu des centaines de fois, c’était saoulant non pas parce que les gens l’étaient, mais parce qu’il leur manquait l’information que nous étions déjà partisans de PeerTube, que nous avions déjà nos vidéos sur des instances, que des dizaines d’individus avant eux n’arrêtaient pas de nous le dire, et qu’ils ne devinaient pas eux-mêmes qu’il leur manquait ces informations. Et si nous l’avions répété sans cesse, nous aurions été nous-mêmes saoulants, c’est pourquoi nous ne l’avons pas fait. J’ai vu aussi le même genre de problème chez des individus participant à des formes de cancel culture1 – malgré eux : ils se permettaient une certaine agressivité se pensant seuls dans les commentaires à avoir ce ton et ne se rendant pas compte qu’ils contribuaient à rejoindre une meute qui attaquait déjà de toutes parts sur le même ton.

Avant de conseiller, ordonner, critiquer, s’énerver contre quelqu’un ou un groupe, on pourrait tenter de s’informer au préalable des positions de la personne qu’on cible, en regardant ce qu’elle a pu déjà répondre par le passé à ce sujet, si elle a parlé de ses positions quelque part, si elle n’a pas déjà fait ce qu’on voudrait qu’elle fasse, etc. Parfois, cela suffira à combler le manque d’informations et il n’y aura pas besoin d’interpeller la personne (par exemple, on pourra voir qu’elle connaît déjà PeerTube ou qu’elle a déjà exprimé son choix pour/contre en public).

Il s’agirait avant toute interaction de partir du principe qu’on ne sait pas d’emblée les positions des personnes, leur savoir ou leur ignorance d’un sujet, mais d’enquêter avant.

Cela peut fonctionner en situation où l’on initie l’interaction avec un autre sur le Net, comme dans une situation où l’on est attaqué par un autre. Même si on repère que l’autre veut par exemple nous humilier ou nous écraser, on peut partir du principe que ce n’est peut-être pas ça, et tout simplement poser des questions pour bien comprendre sa position2. Par exemple « Vous me dites que d’avoir mis le mot « bonheur » dans ce titre est odieux et insupportable, quel est l’élément associé à bonheur qui vous parait odieux ? » et on cherche à comprendre ce qui a éveillé le sentiment négatif chez l’autre, on enquête sans jugement ni défensivité. Cela peut lever pas mal de malentendus et pacifier l’échange.

Sur Internet, le manque d’informations c’est aussi l’absence de langage non verbal (absence du ton de la voix, des mimiques de visage, des gestes du corps, etc.). Ainsi, on a tous un déficit d’informations parfois énorme sur l’état émotionnel dans lequel a été posté un message et dans quelle visée. Et encore une fois, on oublie totalement qu’il nous manque quantité d’informations pour interpréter ce message parce qu’IRL, lorsqu’on est neurotypique, on a l’habitude d’avoir toutes ces informations automatiquement sans qu’on en ait conscience. Sur la toile, on va alors avoir le même réflexe et interpréter le message automatiquement, en voyant une offense dans une ironie, en voyant de l’ironie dans un message pourtant sérieux, etc. Pour pallier ce manque d’informations non verbales, on va se concentrer sur d’autres indices tels que la ponctuation, y plaquant un sens qui n’est pourtant pas celui du locuteur. D’autant que l’usage et la connotation des ponctuations varient selon des facteurs socio-culturels, tels que l’âge de la personne : les boomers pourront avoir tendance par exemple à terminer tous leurs tweets d’un point, selon l’usage « académique » qu’ils ont profondément intériorisé, sans exclamation ni smiley3, ce qui pourra donner l’impression, selon le propos tenu, à un ton brutal, voire un mode passif-agressif, alors qu’il s’agissait parfois tout simplement d’une volonté de soigner son écriture, sans froisser son interlocuteur. Même chose pour l’usage des points de suspension dans un message, qui pourra être utilisé différemment et suggérer de multiples interprétations contradictoires… On se focalise sur ces petits détails, car on cherche une substitution à ce langage non-verbal qui nous manque cruellement. S’ensuivent donc quantité de malentendus de toutes parts.

Là encore, on peut prévenir la situation en étant très explicite lorsqu’on s’exprime, avec tout ce qu’on a disposition (smiley, formulation de politesse, soin aux styles de la phrase, mots, expression explicite de son émotion/son état/ses buts, etc.).

Ou encore lorsqu’on est l’interlocuteur, demander des précisions sur le message, poser des questions jusqu’à être sûr de bien comprendre, avant de juger son but. Ça peut paraître long dit comme ça, mais en fait poser une question ce n’est parfois qu’une seule phrase. Et parfois la réponse suffit à se faire une idée.

 

Abassadeur
« Ambassadeur : Honte et fierté mélangées. Nos ennemis nous ont appelés « tanks vivants ». Ainsi que par des noms moins flatteurs. » On peut même s’amuser à utiliser la méthode Elcor (dans les jeux Mass Effect, les Elcors sont des êtres qui ne peuvent partager une communication non-verbale avec les autres espèces, ni même faire transparaître leurs émotions dans leurs voix ; pour pallier ce manque, ils commencent systématiquement leur propos par un mot qui donnera la bonne teinte émotionnelle à leur discours). D’autres exemples ici.

La réaction à la notoriété bizarre du Net : les relations parasociales

C’est un terme qui a été formulé en 1956 par Horton et Wohl pour décrire les relations unilatérales d’un·e artiste avec son public : les spectateurs peuvent se sentir comme amis avec ceux-ci, donc croire tout connaître de lui, alors qu’en fait non. Aujourd’hui, ce type de relations est encore plus répandu parce qu’on peut tous être cet « artiste » qui envoie ou partage du contenu avec une communauté qui le suit.

D’une part, la personne qui une petite ou grande notoriété sur le Net ne sait rien de vous et ne peut rien déduire de votre comportement habituel (par exemple, elle ne peut pas savoir que lorsque vous employez des injures, c’est du second degré ou une marque d’amitié ; elle ne sait pas que vous êtes peu versé dans les formules de politesse mais néanmoins cordial), elle peut donc difficilement interpréter des remarques qui seraient à double sens, encore plus sans avoir accès à votre langage non verbal pour comprendre. Le militant déconnant peut croire que cette personne à notoriété va parfaitement le comprendre, qu’il est sympa d’office, qu’importe le style du message, parce que lui, il la connaît bien mais oublie qu’elle, elle ne le connaît pas du tout. Et là peuvent se créer de très forts malentendus.

D’autre part, en tant que spectateur, bien qu’on ait ce sentiment de familiarité avec la personne à notoriété, on ne la connaît pas du tout : on ne peut pas savoir si elle est en dépression ou si elle traverse une phase difficile, elle peut très bien partager quelque chose de sombre tout en étant dans une situation joyeuse dans son quotidien, tout comme partager de la joie en broyant du noir. Là encore, avant d’entamer une démarche qui risque potentiellement d’être dure à digérer pour l’autre, on peut poser des questions, « tâter le terrain » pour savoir si c’est le bon moment ou non de parler de telle chose ; on peut aussi se rappeler qu’on ne connaît la personne qu’à travers son travail/œuvre/partage, pas sa vie tout entière qui peut être radicalement différente. Même des vlogs réguliers qui pourtant renseignent sur la vie de la personne sont sélectifs, ne sont qu’un aperçu de sa vie, ce qu’elle accepte de montrer. Tout comme on ne peut déduire le bien-être d’un vendeur de sandwichs à la qualité dudit sandwich (qui peut par exemple avoir été cuisiné sous une pression énorme), on ne peut pleinement déduire l’état d’esprit d’un partageur à son seul partage. Pour connaître un peu le milieu, je dirais que lorsque vous vous adressez un partageur/créateur sur le Net, il est probable qu’il est en dépression, en burn-out ou surmené, qu’importe la vivacité dont il peut faire preuve dans ses œuvres. Il serait plus prudent d’éviter de partir du principe qu’il peut encaisser toutes les récriminations.

L’autre aspect de cette relation parasociale, c’est que parfois, les spectateurs confondent ces petites célébrités du Net avec les célébrités classiques : c’est-à-dire qu’ils partent du principe que la notoriété est accompagnée d’un statut supérieur (plus de pouvoir, plus de possibilités, plus d’argent, plus de moyens, plus d’influence, etc.), donc qu’elles auraient en quelque sorte pour devoir d’utiliser ce trop-plein de privilèges qu’il leur serait offert, notamment pour vanter ou exercer une pureté militante. Or, même des gens qui ont une forte audience sur le Net peuvent n’avoir aucun privilège matériel par rapport au spectateur moyen, peuvent toujours être salarié smicard, au chômage, voire dans des situations de grande pauvreté, de sérieuses difficultés. Et vous n’en saurez généralement rien.

Cependant je comprends, ça peut être trompeur qu’une petite célébrité sur le Net en galère au quotidien puisse avoir le même nombre de followers4 qu’une petite célébrité de la télévision qui elle, peut avoir des moyens plus importants, le soutien d’une structure, des relations qui la mettent à l’abri, etc. Bref, la notoriété du Net doit être déconnectée dans nos représentations des privilèges, car la notoriété sur la toile n’est pas synonyme d’avantages matériels ou sociaux5.

La suspicion d’infiltrés/d’ennemis

L’infiltration dans un groupe militant est malheureusement une pratique existante, d’autant plus sur le Net où il est souvent facile de rejoindre le Discord d’un autre groupe militant pour glaner des informations ou pour troller en interne (ce que l’on peut retrouver par exemple dans des groupes politiques fortement engagés, notamment entre fascistes et anti-fascistes). La suspicion d’infiltrés (ou la présence effective de ceux-ci) peut nous faire nous méfier des alliés, des spectateurs, et nous mettre en mode paranoïa. C’est un cercle vicieux terrible, et j’avoue que je n’ai pas la solution contre cela d’autant que je l’ai malheureusement déjà vécu dans certains mouvements (présence réelle d’infiltrés professionnels, confirmée par des leaks découverts plus tard et publiés dans certains médias). L’idée serait peut-être de se concentrer davantage sur les actions qui sont proposées, de les évaluer au regard du mouvement et des buts de celui-ci, ce qui permettrait d’éviter des catastrophes. Les infiltrés ou individus malveillants auront tendance à diviser, créer des conflits internes, proposer de s’attaquer aux alliés et spectateurs, chercher à obtenir des postes à pouvoir de décisions, épuiser les éléments les plus doués, proposer des actions honteuses/inefficaces qui ne permettent pas de se confronter à l’adversaire. Donc, ce n’est pas tant qu’il faudrait le traquer pour le virer, mais davantage prendre soin des alliés, des spectateurs car c’est une politique plus puissamment établie : ces projets saboteurs ne seront alors pas suivis parce qu’ils apparaîtront incohérents, inadaptés.

La suspicion qu’il y ait des infiltrés ou qu’untel ait des projets malveillants ou potentiellement destructeurs pour le groupe (par exemple, un membre qu’on pense vouloir nuire au mouvement suite à un conflit mal résolu en interne, ce qui arrive assez fréquemment : tout militant d’expérience aura sans doute en mémoire l’exemple d’un ancien camarade qui, sous l’effet du ressentiment, a pu se mettre à saper activement un mouvement ou à vouloir nuire à ses membres) peut également n’être qu’une simple suspicion qui s’avérera plus tard infondée, et ça serait dommage que l’activité militante soit détournée juste parce qu’on est en mode méfiance et qu’on a peur des menaces internes. Cependant, là aussi, je pense qu’on peut tenter d’éviter les problèmes en se concentrant sur les actions au cœur du mouvement, celles qui sont les plus concrètes et les plus cohérentes.


  1. « Cancel culture » : « pratique qui consiste à dénoncer des individus (ou structures) dans le but de les ostraciser ». Plus d’infos sur Wikipédia, ou sur Neonmag.
  2. Ici, je me base sur les pratiques et méthodes de Carl Rogers, psychologue humaniste qui visait l’empuissantement et l’autodétermination des personnes, tant dans des contextes thérapeutiques, de groupes aux buts divers (académique, religieux, politique à visée de résolution de conflits, etc.). Ces écrits sont particulièrement accessibles, y compris pour les personnes non formées à la psychologie, notamment ses ouvrages Liberté pour apprendre, Le développement de la personne.
  3. Si vous êtes acolyte des illustres de l’académie française, vous devez dire « binette » ou « frimousse » pour désigner un smiley.
  4. Follower = « acolyte des illustres » si votre allégeance va à l’Académie française, quoique je pense qu’elle se fout un peu de la gueule des personnes utilisant Internet, voire de la population tout court, quand on voit qu’elle a rejeté l’usage commun du masculin pour « covid » à la grande joie des Grammar Nazis qui auront une occasion supplémentaire de corriger leurs interlocuteurs. Voir l’explication de l’académie sur cette traduction ; on pourrait dire « abonnés » mais il me semble que cela reste trop associé à l’image de quelqu’un qui a acheté un abonnement pour accéder à un contenu. Le terme « adepte » est utilisé aussi par bing, mais là encore il me semble que cela nous renvoie à une image erronée du follower (qui n’est pas forcément partisan du contenu suivi, encore moins fidèle à lui comme il le serait d’une religion).
  5. Une étude sur les vulgarisateurs le montre bien : « Frontiers. French Science Communication on YouTube : A Survey of Individual and Institutional Communicators and Their Channel Characteristics Communication », frontiersin.org ; ou en vidéo : Analyse des vulgarisateurs scientifiques sur Youtube ; ou dans ce thread : « On a analysé plus de 600 chaînes et 70 000 vidéos de vulgarisation scientifique en français, et complété cette analyse par un sondage auprès de 180 youtubeurs. Nos résultats (avec @SciTania @MasselotPierre @tofu89) viennent d’être publiés dans Frontiers in communication », Stéphane Debove sur Twitter ; par exemple seul 12 % des vulgarisateurs (sur 600 chaînes françaises) gagnent plus de 1000 euros par mois, 44 % ne gagnent rien du tout.

(à suivre…)

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