Défaite humiliante et définitive d’ACTA au Parlement européen !

ACTA : Victoire totale pour les citoyens et la démocratie ! nous annonce La Quadrature du Net qui n’est pas pour rien dans ce résultat (et qui mérite notre plein soutien).

Ce n’est qu’un début… mais en attendant, nous nous associons à la joie du moment avec cette traduction du pirate Rick Falkvinge.

ACTA 4th July

VICTOIRE ! ACTA subit une défaite humiliante et définitive au Parlement européen

VICTORY! ACTA Suffers Final, Humiliating Defeat In European Parliament

Rick Falkvinge – 4 juillet 2012 – Site personnel
(Traduction Framalang : Ypll, Goofy, Martin)

Aujourd’hui à 12h56, le Parlement européen avait le choix entre le rejet final d’ACTA et la poursuite de l’incertitude. Par un vote écrasant, 478 à 39, le Parlement a décidé de rejeter ACTA une bonne fois pour toutes. Cela signifie que ce traité trompeur est maintenant mort au niveau mondial.

C’est un jour de fête. C’est le jour où les citoyens d’Europe et du monde ont vaincu les bureaucrates non élus, qui étaient courtisés par le lobby des plus riches entreprises de la planète. Le champ de bataille n’était pas un quelconque bureau dans une administration mais les représentants du peuple – le Parlement européen – qui ont finalement décidé de faire leur travail en beauté, et de représenter le peuple contre les intérêts particuliers.

La route vers cette victoire fut sombre, difficile, et en aucun cas sûre.

ACTA 4th July

Illustration : Le vote final sur ACTA au Parlement européen : 39 pour, 478 contre.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Il y a six mois la situation semblait très sombre. Il semblait certain qu’ACTA passerait en silence et dans l’indifférence totale. Les forces défendant les droits des citoyens ont essayé de le faire passer devant la Cour européenne de justice pour tester sa légalité et pour gagner un peu de temps. Et là, quelque chose s’est produit.

Un monstre du nom de SOPA est apparu aux États-Unis. Des milliers de sites web se sont couverts de noir le 18 janvier et des millions de protestations se sont exprimées, laissant le Congrès en état de choc devant l’ampleur de la colère populaire contre certains intérêts privés. SOPA en est mort.

Dans ce sillage, comme les citoyens s’étaient rendus compte qu’ils n’avaient pas besoin d’accepter de tels abus d’entreprises sans broncher et en tendant l’autre joue, la communauté a braqué ses projecteurs sur ACTA. La lutte a continué en beauté pour vaincre ce monstre. Début février, il y a eu des manifestations dans toute l’Europe, laissant le Parlement européen tout aussi choqué.

Les partis politiques ont changé d’avis et proclamé leur opposition à ACTA en solidarité avec les manifestions citoyennes sur tout le continent, après avoir compris à quel point cette législation étaient commandée sans aucune honte par des entreprises complices qui pensaient que c’était déjà fait. Ils ont essayé, retenté, et forcé jusqu’à aujourd’hui, de reporter le vote d’ACTA pour qu’il se passe dans la plus grande indifférence du public et des activistes.

Hélas, ils ne comprennent pas le Net. Et il y a un point clé ici : le Net n’oublie jamais.

Mais le message à retenir ici, c’est que nous, les activistes, avons fait ça. Tout le monde au Parlement européen se relaie pour rendre hommage à tous les activistes partout en Europe et dans le monde, qui ont attiré leur attention sur le fait que c’était une vraie saleté, que ce n’était pas une proposition à approuver comme les autres, mais en fait une proposition de législation réellement dangereuse. Tout le monde remercie les activistes pour cela. Oui, vous. Vous devriez vous pencher en arrière, sourire et vous filer des tapes dans le dos. Chacun d’entre nous a de très bonnes raisons d’être fier aujourd’hui.

Et maintenant ?

En théorie, ACTA pourrait toujours s’appliquer entre les États-Unis et plusieurs États de plus petite taille. Dix États étaient en négociation, et six d’entre eux doivent le ratifier pour qu’il entre en vigueur. En théorie, cela pourrait devenir un traité entre les États-Unis, le Maroc, le Mexique, la Nouvelle Zélande, l’Australie et la Suisse. (Mais attendez, le Sénat mexicain a déjà rejeté ACTA. Tout comme l’Australie et la Suisse, en pratique. Eh bien… alors un traité entre les États-Unis et le Maroc, dans l’éventualité peu probable que les États-Unis le ratifient réellement et formellement. Vous voyez l’issue qui se dessine.)

Comme il était expliqué précédemment sur TorrentFreak, sans le soutien de l’Union européenne, ACTA est mort. Il n’existe pas.

Le Commissaire européen responsable du traité, Karel de Gucht, a déclaré qu’il n’allait tenir compte d’aucun rejet et le re-soumettre au Parlement européen jusqu’à son adoption. Cela n’arrivera pas. Le Parlement fait très attention à sa dignité et ne tolère pas ce genre de mépris, heureusement. C’est quelque chose d’assez nouveau dans l’histoire démocratique de l’Union européenne – la première fois où j’ai vu le Parlement se battre pour sa dignité était pour le Paquet Télécom, quand la Commission a pareillement tenté de faire adopter de force la riposte graduée (au contraire, le Parlement a rendu cette riposte graduée illégale dans toute l’Union européenne).

Une bonne partie des dangers d’ACTA reviendra sous d’autres noms. Pour les lobbyistes, c’est le travail de sape ordinaire contre les pouvoirs, jusqu’à ce qu’ils cèdent. Juste un jour de boulot comme un autre. Nous devons rester vigilants contre les intérêts particuliers qui reviendront encore et encore à la charge, jusqu’à ce que nous nous assurions que la route législative leur soit complètement bloquée. Nous devons rester vigilants.

Mais pas aujourd’hui.

Aujourd’hui, nous fêtons un travail extraordinairement bien mené.

Aujourd’hui, le 4 juillet, l’Europe célèbre une journée d’indépendance vis-à-vis des intérêts particuliers américains.

Aujourd’hui, nous avons défendu nos droits les plus fondamentaux contre les géants de l’industrie, et nous avons gagné.

Félicitations à nous tous, et merci à tous les frères et les sœurs sur les barricades, partout dans le monde, qui ont rendu cela possible.

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa




Madame, Monsieur le Député, pourquoi il est important de faire le choix du Libre

Signal fort et beau symbole, en 2007 il avait été décidé de passer les postes des députés sous GNU/Linux Ubuntu et OpenOffice.org (cf ces témoignages). Arrive aujourd’hui le temps du renouvellement et les députés, fraîchement élu(e)s ou réélu(e)s, ont le choix du choix, avec Windows ou Ubuntu et Microsoft Office ou LibreOffice.

François Revol est un acteur bien connu de la communauté francophone du logiciel libre. Il fait ici acte de citoyenneté en prenant le temps d’adresser une lettre détaillée et personnalisée à son député sur ce sujet à ses yeux bien plus important qu’il n’y paraît. Nous vous invitons à vous en inspirer pour en faire de même, si vous partagez ses arguments et sa préoccupation.

Nous ne souhaitons pas qu’une assemblée nationale plus rose devienne moins libre.

Takato Marui - CC by-sa

Objet : Système d’exploitation de votre ordinateur

Madame, Monsieur le Député,

Si ce n’est déjà fait, et que personne n’a choisi à votre place, vous allez devoir prendre une décision très importante, que vous pourrez considérer comme anodine mais qui pourtant est cruciale.

Pour cette législature, conformément à la demande de la questure, vous avez le choix du système d’exploitation (SE) qui sera utilisé sur votre ordinateur. La législature précédente avait permis un énorme progrès par l’installation de GNU/Linux[1] sur toutes les machines des députés auparavant sous Windows, mettant ainsi à leur disposition un système plus éthique, plus économique, plus flexible, et participant à restaurer une certaine indépendance européenne dans le secteur du logiciel. Il semble au contraire pour cette législature, pour certaines raisons obscures et surtout exprimées bien tardivement, qu’il ait été décidé de vous laisser le choix. L’histoire dira, et surtout votre choix, si c’est un recul ou un progrès, et si vous avez usé sagement de ce qui pour beaucoup d’entre nous est encore un luxe, puisque précieux mais trop peu répandu.

En effet, malgré l’interdiction par la loi de la vente liée[2], le choix du système d’exploitation lors de l’achat d’un ordinateur par un particulier relève encore du plus rare des luxes, réservé aux seules entreprises. Si l’on en croit les revendeurs et fabricants, le particulier est simplement trop stupide pour faire un choix éclairé. L’excuse d’une complexité accrue de production est également caduque, les offres existantes pour les entreprises montrant la viabilité de proposition du choix. En fait il s’agit surtout de préserver des monopoles établis, ceux d’une entreprise américaine bien connue pour avoir été sanctionnée par la Commission européenne pour cette même raison.

Pourtant le choix du système d’exploitation est important à plusieurs titres, même en laissant l’éthique de côté, ayant même des conséquences sur la relocalisation d’emplois.

Ainsi par exemple le choix d’un SE libre permet, en plus de répondre aux questions d’indépendance, d’interopérabilité, et d’adaptabilité, de générer une activité de développement logiciel locale nécessaire à une adaptation au plus près des besoins, adaptation impossible avec du logiciel propriétaire qui dépend entièrement du bon vouloir de l’éditeur. En effet, le logiciel libre, par essence, est distribué avec son code source et la liberté de modification, permettant ainsi la création et la mise en concurrence d’expertises non subordonnées à l’éditeur original. La mutualisation des coûts de production des logiciels libres participe aussi de la création de biens communs. Comme nombre de sujets connexes liés au numérique, le logiciel libre transcende donc le bipartisme.

Certains d’entre vous ont d’ailleurs signé le Pacte Logiciel Libre lors de la campagne, d’autres lors de précédentes législatures ont voté pour ou contre certains projets de loi dommageables au logiciel libre, comme DADVSI ou HADOPI, créant ainsi du tracas y compris à des universitaires français, comme les auteurs du logiciel de lecture vidéo VLC, obligés de demander à la HADOPI comment contourner les DRM[3] du BluRay. La HADOPI n’a d’ailleurs pas été d’une grande utilité pour résoudre la violation de la licence de FFmpeg/LibAV, logiciel libre auquel j’ai modestement contribué, commise par un sous-traitant d’Orange4 pendant plus d’un an. Il s’agit pourtant ici également de protection des auteurs. Il est intéressant de plus de noter qu’Orange comptait parmi les fiers sponsors officiels de l’inutile sommet « eG8 » où la question de la protection des auteurs a été abordée. La Commission européenne n’étant d’ailleurs pas en reste, tant par sa tentative de faire adopter le traité ACTA[4] que la directive sur le brevet unitaire qui bien qu’utile sur le principe laisse entrer le logiciel dans le champ de la brevetabilité, ce qui ne saurait être plus grotesque puisque le logiciel est une expression de la pensée humaine et donc naturellement sous le régime du droit d’auteur.

Tous ces problèmes ont en commun le manque de considération des « acteurs », entreprises – pourtant grandes utilisatrices de logiciel libre – comme législateur. Ceci vient autant de la perception erronée de l’informatique comme un sujet purement technique et économique, que des effets de la vente liée, effets devenant rétroactivement causes de renforcement des monopoles. Le grand public est en effet gardé dans l’ignorance, croyant que le choix qui est fait pour lui est dans son intérêt, que « ça marche comme ça », et que « Linux ça marche pas », ce qui dans la plupart des cas est dû au manque de support matériel, lui-même résultant de l’indisponibilité des spécifications techniques du matériel, puisque bien sûr les fabricants préfèrent distribuer plutôt des pilotes pour Windows que les spécifications, qui sont pourtant le « manuel utilisateur » du matériel par le logiciel et devraient être publiques, ceci étant justement la conséquence du monopole déjà évoqué.

L’ironie de la situation étant que même Microsoft a été victime de cet état de fait, puisque lors de la sortie de Windows Vista, certains périphériques fournis uniquement avec des pilotes pour les versions précédentes de Windows n’étaient plus utilisables, mettant ainsi en colère les utilisateurs devant néanmoins acheter Windows Vista avec leur nouvelle machine, sans toutefois pouvoir utiliser certains périphériques pourtant neufs mais dont le fabricant refusait de fournir un pilote mis à jour.

Quand aux très rares matériels « certifiés Linux » disponibles, ils sont généralement seulement sommairement testés une fois pour toute certification, et de plus vraiment un « luxe » au vu des prix pratiqués.

Malgré des campagnes d’information au public de la part d’associations de promotion du logiciel libre comme l’April ou l’AFUL, ainsi que plusieurs procès gagnés par des particuliers, l’inaction de la DGCCRF est manifeste, et le status quo demeure depuis maintenant plus d’une décennie.

En effet, le problème de la vente liée, loin d’être récent, est par exemple une des causes majeures de la fermeture en 2001 de Be, Inc., éditeur du système d’exploitation BeOS, que j’ai utilisé pendant 10 ans. Déjà à l’époque Microsoft s’imposait sur les ordinateurs PC par le verrouillage du processus de démarrage, et en interdisant aux revendeurs par des contrats secrets d’installer un autre SE, la seule tentative de Be, Inc. de fournir des ordinateurs pré-installés avec son système ayant été torpillée, Hitachi se contentant alors de laisser BeOS sur le disque dur mais sans le rendre disponible au démarrage, ni même documenté et donc de facto inaccessible.

Plus tard, un éditeur de logiciel allemand ayant tenté de reprendre le développement de ce même système a également dû fermer, toujours par manque de ventes et à cause du monopole de fait de Microsoft sur le marché, me causant au passage un licenciement économique.

C’est d’ailleurs l’échec commercial de BeOS qui a conduit à la création du système d’exploitation libre Haiku auquel je contribue actuellement, dans l’idée de perpétuer son originalité, comme on tenterait de préserver une espèce nécessaire à la technodiversité. Pourtant, même si c’est un projet plus ludique que commercial à l’heure actuelle, la vente liée nous pose problème tout comme aux auteurs de Linux. En effet, la non disponibilité des spécifications matérielles chez certains fabricants et de nombreux constructeurs rend impossible l’écriture des pilotes de périphériques pourtant nécessaire à leur utilisation.

Cet état de fait est d’ailleurs une régression. En effet à une certaine époque la plupart des machines électroniques (téléviseurs, électrophones, mais aussi ordinateurs) étaient livrées avec les schémas complets. J’ai ainsi par exemple, dans le manuel utilisateur de mon premier ordinateur (un ORIC Atmos), la description de son fonctionnement interne et toute la documentation permettant d’interfacer du matériel, et l’importateur avait même publié les plans. L’obsolescence programmée a pris le pas depuis lors.

Ce luxe donc, auquel vous avez droit, m’a été refusé à l’achat de mon dernier ordinateur portable. Non seulement le fabricant refuse de rembourser la licence de Windows 7 que je n’ai jamais demandée, mais il ne m’a toujours pas communiqué les spécifications nécessaires à l’adaptation du système que je désire utiliser et auquel je contribue. J’en suis donc réduit lorsque je tente de l’utiliser actuellement à une résolution graphique inférieure à ce que l’écran permet et sans aucune accélération matérielle, pas de connexion réseau, et l’impossibilité de produire du son, sans parler des fonctions moins essentielles, que pourtant j’ai payées. Pourtant, ainsi que je l’ai dit, ces spécifications constituent le « manuel utilisateur » du matériel par le logiciel, et forment donc en ce qui me concerne, des «caractéristiques essentielles »[5]. D’ailleurs, cette même machine avec GNU/Linux que j’utilise également cause régulièrement des problèmes pour la même raison, à savoir la non disponibilité des spécifications qui empêche la correction d’un bogue du pilote vidéo pourtant documenté depuis plus d’un an.

La vente liée cause du tort également à des éditeurs français, comme Mandriva, qui publiait une distribution de GNU/Linux depuis 1998, initialement appelée « Mandrake Linux », que j’ai d’ailleurs un temps utilisée, mais n’a pas réussi à s’imposer et a donc disparu récemment. On ne peu que déplorer le résultat de cette concurrence pas vraiment libre et certainement faussée.

Et pourtant le logiciel libre permet de développer de nombreux [modèles économiques différents|http://www.april.org/livre-blanc-des-modele-economiques-du-logiciel-libre], ouvrant des perspectives d’emploi pour des PME innovantes, si la loi ne le défavorise pas.

Par ces temps de crise, il ne serait d’ailleurs pas inutile de s’intéresser aux optimisations fiscales, pour ne pas parler d’évasion, que certaines entreprises multinationales pratiquent, Microsoft en premier mais également Apple. L’absence de détail des prix lors de la vente liée pose d’ailleurs des questions légitimes quand à la répartition de la TVA.

La pratique par Microsoft du verrouillage du processus de démarrage, que j’évoquais plus haut à propos des PC, est d’ailleurs toujours d’actualité puisque bien évidemment les prochaines tablettes « compatibles Windows 8 » devront implémenter obligatoirement le mécanisme dit « SecureBoot », qui au prétexte de limiter les virus rendra totalement impossible l’installation d’un système libre. Et donc alors même que le combat contre la vente liée s’éternise sur les PC, il est presque déjà perdu sur les machines qui les remplaceront bientôt, alors même que ce sont toujours des ordinateurs malgré tout, dont l’utilisateur devrait garder le contrôle, contrôle qui s’exprime en premier sur le choix des logiciels qu’il voudra pouvoir utiliser ou non.

Le choix d’installer Windows s’apparente ainsi plus au non-choix, à un blanc-seing laissé à Microsoft quand au contrôle de votre machine, avec la sécurité qu’on lui connaît. C’est aussi un choix de facilité, au vu de la situation actuelle, mais également la caution d’une situation inacceptable.

Le choix d’installer GNU/Linux, sur une machine de bureau, est avant tout moral et éthique avant d’être pragmatique, alors que sur un serveur il s’impose plus logiquement. C’est pourtant tout autant un choix de sécurité, puisque le code source ouvert garantit le contrôle que l’on a sur le système, comme l’absence de porte dérobée. C’est aussi un choix courageux et téméraire, par l’entrée dans ce qui reste encore une minorité technologiquement discriminée. Mais ce serait aussi un signal fort envers les développeurs qui créent ces logiciels, les utilisateurs confortés dans leur choix difficile, et enfin les fabricants de matériels qui pour certains encore n’ont pas compris qu’il était de leur devoir et de leur intérêt de considérer tous les utilisateurs.

Ne vous y trompez pas, la majorité des problèmes qui pourraient survenir lors de l’utilisation de GNU/Linux ne sont pas de son fait ou des développeurs qui l’ont écrit, mais bien de Microsoft, Apple, et d’autres éditeurs, qui par leur politique de fermeture compliquent inutilement l’interopérabilité entre leur système et les autres, à dessein bien sûr, puisque leur but est le monopole. D’ailleurs il est à prévoir des incompatibilités entre GNU/Linux et l’infrastructure choisie par la questure pour la gestion des courriels, à savoir Microsoft Exchange, bien connu pour ne respecter aucun standard hormis le sien, c’est à dire donc aucun, puisque les formats et protocoles d’Exchange ne sont en rien normalisés ni donc standard (de jure). Alors même que les logiciels de courriel de GNU/Linux respectent de nombreux standards et normes. Pour résumer, dire que GNU/Linux pose problème serait simplement inverser la situation causée par ces monopoles.

Une métaphore que j’utilise depuis des années sans succès, mais pourtant découverte aussi récemment par un juge, s’énonce ainsi :

« La vente liée d’un système d’exploitation avec un ordinateur revient à l’obligation d’embauche d’un chauffeur à l’achat d’une voiture. »

Ceci vous semble absurde ? À moi aussi. C’est pourtant la pratique actuelle.

En tant qu’ingénieur, auteur de logiciels libres, citoyen et électeur, ce sujet me tient à cœur, et il me semble nécessaire qu’au moins la législation actuelle soit appliquée, à défaut d’évoluer. J’espère vous avoir éclairé sur ce choix important qui vous incombe, non dénué de symbole, et qui je le rappelle est un luxe pour le particulier même informé. Je reste à votre disposition pour toute discussion.

Je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur le Député, l’expression de ma considération la plus distinguée.

François Revol

Crédit photo : Takato Marui (Creative Commons By-Sa)

Notes

[1] Le système libre GNU fonctionnant sur le noyau Linux, lui aussi libre.

[2] Article L.122-1 du code de la consommation

[3] Digital Rights Management, en français MTP pour « Méthodes Techniques de Protection »

[4] Anti-Counterfeiting Trade Agreement, ou Accord commercial anti-contrefaçon (ACAC)

[5] Au titre de l’article L-111-1 I. du code de la consommation.




Tablettes, une évolution anti subversive

Veronica Belmont - CC by

aKa twettait il y a quelques jours : « Les tablettes sont une évolution non subversive car elles rendent plus agréable la lecture et plus pénible l’écriture ». Il formulait ainsi brillamment le sentiment qui m’habite depuis plusieurs semaines de fréquentation de ma formidable et néanmoins agaçante tablette Androïd, très proche du tant espéré sac sans fond de Miss Tick.

J’aime beaucoup cet engin léger mais je cherche encore l’application d’édition de texte qui me permettrait d’écrire ou de corriger des textes longs, avec commentaires et marques de révision. Sans parler de la récupération sous un format bureautique, de préférence ouvert, des notes prises lors de ma lecture de livres électroniques… Pas de logiciels appropriés, un clavier tactile qui n’est pas vraiment l’ami de l’auteur de thèse (pour de simples raisons de taille de l’interface, un problème par conséquent commun à toutes les tablettes 10 pouces), j’ai en effet dans les mains un outil de lecture et non d’écriture. Lecture de jeux, de textes, de vidéos. Il permet de s’exprimer puisque je peux facilement enregistrer et publier sons, photos, vidéos, textes courts (tweets, commentaires, avis). Mais, si une photo vaut 1000 mots en vaut-elle 100 000 ? Je ne crois pas qu’il faille s’étendre longtemps ici sur la nécessité d’argumentaires élaborés, que l’on n’écrira jamais de façon linéaire dans une succession de remarques de 140 caractères pensées dès le départ dans leur ordre final.

Les tablettes, dont le nom évoque paradoxalement la tablette d’argile des scribes antiques, se revendique d’ailleurs comme un outil de divertissement qui, étymologiquement, désigne « ce qui détourne quelqu’un de l’essentiel ». L’essentiel serait ici l’écriture longue, l’écriture de travail, et avec elle la pensée argumentée, celle qui a déjà tellement fait parler en s’ouvrant grâce aux outils de blog à des auteurs et penseurs non patentés.

Comme l’écrit Michel Foucault en 1970[1], l’ordre des discours est un ensemble de procédures qui ont pour rôle de contrôler et de délimiter le discours, « d’en conjurer les pouvoirs et les dangers, d’en maîtriser l’événement aléatoire, d’en esquiver la lourde, la redoutable matérialité. » Tous les outils de facilitation de l’accès à la parole remettent en question ces modalités de contrôle du danger du discours. Les outils d’écriture en particulier, l’écrit possédant historiquement un statut unique : chacun sait parler y compris le fou, celui dont on ne doit pas écouter le discours, mais l’auteur doit avoir été alphabétisé, puis rendu public, publié, avec l’adoubement de ses pairs, de sa maison d’édition.

Les outils réseau WYSIWYG d’écriture sont subversifs car ils mettent potentiellement en danger l’ordre établi des prescripteurs de la pensée : éditeurs, « publieurs » de tout types de textes. Non qu’il faille nécessairement mettre cet ordre à bas mais plus de liberté est toujours bon à prendre. Un nouvel ordre s’est d’ailleurs mis en place, plus souple, blogueurs et auteurs en ligne, intelligents et/ou informés, se relayant aux cotés d’institutions et de prescripteurs anciens, non moins intelligents et/ou informés et (parfois) à l’écoute des premiers.

Or, l’avènement des tablettes et leur succès suggère un risque de désengagement de certains auteurs (ou potentiels auteurs) de textes longs, ceux pour lesquels l’outil constitue une contrainte et qui n’en ont pas plusieurs à disposition. L’outil est indissociable du geste et de la pensée. Quel impact social ce désengagement par KO technique de l’auteur “de masse” aura-t-il?

Selon le philosophe allemand Peter Sloterdijk, on peut établir une typologie de l’humanisme. Il y a d’abord une période antique qui offre par le livre de domestiquer l’homme : « On ne peut comprendre l’humanisme antique que si on le considère aussi comme partie prenante d’un conflit de médias, à savoir, comme la résistance du livre contre le cirque, comme l’opposition entre la lecture philosophique qui humanise, rend patient et suscite la réflexion, et l’ivresse déshumanisante des stades romains. » À cette période succède celle de l’humanisme bourgeois qui repose “en substance sur le pouvoir d’imposer à la jeunesse les auteurs classiques afin de maintenir la valeur universelle de la lecture nationale. En conséquence, les nations bourgeoises allaient devenir, jusqu’à un certain point, des produits littéraires et postaux – fictions d’une amitié inéluctable entre compatriotes, même éloignés, et entre lecteurs enthousiastes des mêmes auteurs. »

Ainsi, pour Sloterdijk, l’humanité consiste à choisir, pour développer sa propre nature, les médias qui domestiquent plutôt que ceux qui désinhibent. Or, la thèse latente de l’humanisme, selon laquelle « de bonnes lectures adoucissent les moeurs », est mise à mal avec l’évolution des médias dans la culture de masse à partir de 1918 (radio) et après 1945 (télévision), “la littérature, la correspondance et l’idéologie humaniste n’influençant plus aujourd’hui que marginalement les méga-sociétés modernes dans la production du lien politico-culturel”.

Contrairement à l’analyse de Sloterdijk qui associe ensuite radio, télé et réseau, il me semble que l’association entre l’ordinateur domestique (!) et le réseau offre une alternative à cet humanisme domestiquant ou à l’humanisme moderne post-littéraire qu’il décrit, au moyen d’une littérature encore vecteur de lien mais beaucoup moins encadrée par ses autorités de tutelle, par nos précepteurs. Sans retomber dans les jeux du cirque (enfin, pas complètement…).

Et voila que nous arrive ce très séduisant outil qui semble créé (il n’y a pas de théorie du complot derrière ces termes !) pour appuyer encore la tendance réseau/Minitel 2.0 dénoncée par Benjamin Bayart : données centralisées sur des serveurs externes, terminaux passifs, internaute-spectateur. S’agit-il d’un retour volontaire à la domestication ?

Les tablettes sont donc non seulement une évolution non subversive mais peut-être aussi une évolution anti subversive si nous n’y prenons garde. Armons-nous donc de claviers et disques durs externes et développons pour ces outils dont le succès à long terme semble assuré des applications (libres) d’édition de textes longs. Pour ma part j’ai écrit ce texte sur mon ordinateur portable que je ne suis pas prête d’abandonner.

Chloé Girard – Juin 2012
Responsable de fabrication papier et électronique pour la maison d’édition Droz

Crédit photo : Veronica Belmont (Creative Commons By)

Notes

[1] Michel FOUCAULT, L’ordre du discours Leçon inaugurale, Collège de France, Paris : Flammarion, 1971.




Quand Philippe Meirieu nous dit, chez Microsoft, tout le bien qu’il pense du Libre

Le 5 avril dernier, en pleine campagne présidentielle, était organisée une journée éducation chez Microsoft France sur le thème de l’école demain.

Au programme, copieux, une table ronde politique animée par François Jarraud du Café Pédagogique (dont on ne s’étonnera guère de sa présence ici) avec Fleur Pellerin pour François Hollande, Nicolas Princen pour Nicolas Sarkozy et donc Philippe Meirieu alors impliqué dans la campagne d’Eva Joly.

Nous avons choisi d’extraire un court passage de l’intervention de ce dernier car nous abondons dans son sens.

Sans oublier le clin d’œil lié à la symbolique d’un lieu à priori peu enclin à faire un tel éloge du Libre. Philippe Meirieu semble d’ailleurs en avoir bien conscience puisqu’il commence ainsi son propos : « Je le dis ici en toute liberté… » 😉

—> La vidéo au format webm

Transcript

(c’est nous qui soulignons)

« Je le dis ici en toute liberté, ma formation politique est très attachée à la promotion et au développement des logiciel libres, au pluralisme technologique et pédagogique dans l’ensemble des établissements scolaires.

Elle estime qu’il y a là, au delà des questions techniques, une question un peu philosophique qui est celle de la mise en réseau à travers les logiciels libres des savoirs et des compétences, du partage, de ce que chacun peut apporter au collectif et de la promotion d’un modèle plus coopératif, et ce terme de coopératif nous y tenons beaucoup, un modèle plus coopératif de l’organisation du numérique aujourd’hui.

On pourrait en parler très longuement, la diffusion des travaux sous licence libre nous parait devoir être développée de manière systématique, y compris dans les universités d’ailleurs.

Moi-même, à titre personnel, j’ai dû mettre mes cours sur un site que j’ai fait moi-même parce que mon université les met sur un site qui exige, pour pouvoir le consulter, un code d’accès et qui ne peut pas être consulté par d’autres que les étudiants de mon université, ce que je trouve absolument absurde à l’ère de la mondialisation planétaire et tout à fait contre-productif.

Quant à mes collègues qui pourraient imaginer qu’ils peuvent être payés deux fois : une fois à plein temps pour être enseignant et une deuxième fois pour les outils pédagogiques qu’ils mettent à disposition du collectif sur les sites en libre accès, ils me paraissent faire évidemment fausse route.

Je crois qu’il faut retrouver dans l’usage du numérique le sens du collectif, le sens du bien commun et du bien public, et que cela est une priorité aujourd’hui. »




Ce qui s’est passé la nuit dernière, dans un cinéma de Melbourne

Inauguré en 1936, L’Astor Theatre est un cinéma bien connu des habitants de Melbourne. En janvier dernier on y a programmé un film qui a bien failli ne pas être projeté.

Pourquoi ? Parce que le cinéma actuel est en train de faire sa « révolution numérique » et que comme on peut dès lors facilement copier un film, les distributeurs ont mis plus un système complexe de protection (l’équivalent des DRM pour la musique) qui peut s’enrayer et laisser les propriétaires des salles démunis et impuissants face au problème.

C’est le témoignage d’une des personnes qui gèrent le cinéma Astor que nous vous proposons ci-dessous[1].

Thomas Hawk - CC by-nc

Ce qui s’est passé la nuit dernière

What Happened Last Night

Tara Judah – 26 janvier 2012 – The Astor Theatre Blog
(Traduction Framalang : Antistress, Lamessen, Penguin, HgO, Étienne, ZeHiro, kabaka, Penguin, Lamessen)

Nous avons tous des nuits que nous préférerions oublier. Mais parfois, il est préférable d’en parler le lendemain matin. Et étant donné que nous avons une relation étroite (nous le cinéma, vous le public), c’est probablement mieux de vous dire ce qui s’est passé et, plus important, pourquoi ça c’est passé ainsi.

La nuit dernière nous avons eu un retard imprévu, non désiré et désagréable lors de notre projection de Take Shelter – la première partie de notre mercredi de l’horreur.

J’utilise les mots imprévu, non désiré et désagréable parce que nous aimerions que vous sachiez que c’était aussi désagréable pour vous que pour nous – et aussi que c’était quelque chose de totalement hors de notre contrôle. En tant que cinéma il y a de nombreux aspects de votre expérience que nous maîtrisons et qui sont sous notre responsabilité ; l’atmosphère des lieux lorsque vous vous rendez à l’Astor est quelque chose sur lequel nous travaillons dur et pour lequel nous déployons tout notre talent, même si là aussi de nombreux facteurs extérieurs entrent en jeu. Mais parfois ces facteurs extérieurs que nous essayons d’accommoder sont tels que la situation nous échappe et, par conséquent, tout ce que nous pouvons faire est d’essayer de corriger le problème du mieux que nous le pouvons et le plus rapidement possible.

Le paysage de l’industrie cinématographique change rapidement. La plupart d’entre vous le sait déjà parce que nous partageons avec vous ces changements sur ce blog. L’année dernière, nous avons ainsi installé un nouveau projecteur numérique ultramoderne, un Barco 32B 4K. Les raisons qui nous y ont conduit étaient multiples et variées. Qu’elles aient été endommagées voire détruites avec le temps, ou rendues, volontairement ou non, indisponibles par leur distributeurs, un nombre croissant de bobines 35 mm disparaît réduisant ainsi le choix de notre programmation (et je ne vous parle même pas des différents problèmes de droits de diffusion des films).

L’arrivée de la projection numérique et l’accroissement de la disponibilité de versions numériques des films cultes et classiques nous ont effectivement offerts quelques belles opportunités de vous présenter des films autrement confinés au petit écran (dont Taxi Driver, Docteur Folamour, South Pacific, Oklahoma ! et Labyrinthe, pour n’en citer que quelques uns). Les grands studios des industries culturelles sont donc en train de se diriger vers ce qui a été salué comme étant une « révolution numérique ». Le terme lui-même est effrayant. Tandis que la projection numérique possède de nombreux avantages, elle recèle également des pièges. Ce que nous observons en ce moment est le retrait des bobines de film de 35 mm en faveur de la projection numérique, le plus souvent au format DCP (Digital Cinema Package).

Or contrairement aux pellicules de 35mm qui sont des objets physiques, livrés en bobines et qui sont projetées grâce à un projecteur mécanique, les DCP sont des fichiers informatiques chargés à l’intérieur d’un projecteur numérique qui, par bien des aspects, se résume à un ordinateur très sophistiqué. Puisque le fichier est chargé dans le projecteur, le cinéma peut en conserver une copie ad vitam aeternam, s’il y a assez d’espace sur son serveur. C’est pourquoi, après avoir eux même engendré cette situation, les studios et les distributeurs verrouillent les fichiers pour qu’ils ne puissent être projetés qu’aux horaires planifiés, réservés et payés par le cinéma. Ceci signifie que chaque DCP arrivé chiffré que vous ne pouvez ouvrir qu’avec une sorte de clé appelée KDM (Key Delivery Message), Le KDM déverrouille le contenu du fichier et permet au cinéma de projeter le film. Il dépend évidemment du film, du projecteur du cinéma mais aussi de l’horaire, et n’est souvent valide qu’environ 10 min avant et expire moins de 5 min après l’heure de projection programmée. Mis à part le fait évident que le programme horaire des projections doit être précisément suivi, cela signifie aussi que le projectionniste ne peut ni tester si le KDM fonctionne, ni vérifier la qualité du film avant le début de la projection. Ce n’est à priori pas un probléme. Mais lorsqu’il y en a un…

Lorsqu’il y a un problème, nous obtenons ce qui s’est produit la nuit dernière.

Le KDM que nous avions reçu pour Take Shelter ne fonctionnait pas. Nous avons découvert cela dix minutes environ avant la projection. Comme nous sommes un cinéma, et que nous avons des projections le soir, nous ne pouvions pas simplement appeler le distributeur pour en obtenir un nouveau, car ils travaillent aux horaires de bureau. Notre première étape fut donc d’appeler le support téléphonique ouvert 24h sur 24 aux Etats-Unis. Après avoir passé tout le processus d’authentification de notre cinéma et de la projection prévue, on nous a dit que nous devions appeler Londres pour obtenir un autre KDM pour cette séance précise. Après avoir appelé Londres et avoir authentifié de nouveau notre cinéma et notre projection, on nous a dit qu’ils pouvaient nous fournir un autre KDM, mais pas avant que le distributeur ne l’autorise aussi. Cela voulait dire un autre délai de 5-10 minutes pendant que nous attendions que le distributeur confirme que nous avions en effet bien le droit de projeter le film à cet horaire. Une fois la confirmation reçue, nous avons attendu que le KDM soit émis. Le KDM arrive sous la forme d’un fichier zip attaché dans un mail, qui doit donc être ensuite dézippé, sauvegardé sur une carte mémoire et copié sur le serveur. Cela prend à nouveau 5-10 minutes. Une fois chargé, le projecteur doit reconnaître le KDM et débloquer la séance programmée. Heureusement, cela a fonctionné. Néanmoins, jusqu’à ce moment-là, nous ne savions absolument pas, tout comme notre public, si le nouveau KDM allait fonctionner ou non, et donc si la projection pourrait ou non avoir lieu.

Il ne s’agit que d’un incident dans un cinéma. Il y a des milliers et des milliers de projections dans des cinémas comme le nôtre à travers le monde, qui rencontrent les mêmes problèmes. Si nous avions projeté le film en 35 mm, il aurait commencé à l’horaire prévu. Le projectionniste aurait préparé la bobine, l’aurait mise dans le projecteur et alignée correctement avant même que vous vous ne soyiez assis, zut, avant même que nous n’ayions ouvert les portes pour la soirée. Mais c’est une situation que l’industrie du cinéma a créée et qu’elle va continuer de vendre comme étant supérieure au film 35mm.

Je ne dis pas qu’il n’y a pas d’avantages au cinéma numérique, mais je dis qu’il y a aussi des problèmes. Et pire encore, des problèmes qui sont hors de notre contrôle et qui nous font paraître incompétents.

Nous employons des projectionnistes parfaitement formés au cinéma Astor, vous savez, le genre qui ont plus de 20 ans d’expérience chacun, qui avaient une licence de projectionniste (à l’époque où ce genre de chose existait), et si une bobine de film venait à casser, ou que le projecteur avait besoin de maintenance, ou si une lampe devait être changée, ils étaient qualifiés et capables de résoudre le problème sur le champ.

Avec le numérique cependant, il n’existe pas de compétence dans la résolution des problèmes : cela nécessite avant tout des appels téléphoniques, des e-mails et des délais. Le fait que moi, qui n’ai reçu que la formation la plus élémentaire et la plus théorique en projection, je sois capable d’être une partie de la solution à un problème, démontre clairement comment l’industrie s’est éloigné de l’essence même du média cinéma.

Nous ne disons pas que le numérique c’est le mal, mais nous voulons que vous sachiez ce qui est en jeu. L’industrie du cinéma est déterminée à retirer les pellicules de la circulation, ils déclarent ouvertement qu’il n’y aura plus de pellicules dans le circuit de distribution cinématographiques dans quelques années. Il existe déjà des cas aux Etats-Unis où certains studios ont refusé d’envoyer des bobines de films 35 mm aux cinémas. La pression mise sur les cinémas indépendants pour, dixit, se convertir au numérique est un sujet qui mérite toutefois un autre billet, mais une autre fois.

Ce que j’aimerais vous apporter ici, c’est notre ressenti de la nuit dernière : l’industrie cinématographique est en train de changer et ce changement nous fait aujourd’hui perdre le contrôle. Nous sommes en relation avec vous, notre public, mais j’ai l’impression que quelqu’un essaie de nous séparer. Nous voulons continuer à vous donner l’expérience que vous attendez et que vous méritez quand vous venez dans notre cinéma, et nous voulons que vous sachiez que, même si on ne peut pas vous promettre que cela ne se reproduira pas, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour continuer à nous battre pour cette relation, et le premier pas pour réparer les dégâts causés par la nuit dernière est d’être honnête sur ce qui s’est passé, et pourquoi cela s’est passé ainsi.

Ecrit par Tara Judah pour le cinéma Astor.

Notes

[1] Crédit photo : Thomas Hawk (Creative Commons By-Nc)




Vous avez fait de moi un pirate

Le premier tour des élections législatives françaises vient de s’achever avec des résultats encourageants pour un Parti Pirate qui faisait ici ses réels premiers pas en politique et qui aura eu le mérite de se faire connaître et susciter l’adhésion et l’enthousiasme d’un certain nombre d’entre nous[1].

Et avec des témoignages comme celui ci-dessous la dynamique n’est pas prête de s’arrêter…

Sommes-nous tous devenus (ou en passe de devenir) des Georges Nevers ?

Remarque : Voir aussi le billet Pourquoi je suis un pirate ! de notre ami Ploum.

Kevin Dooley - CC by

Vous avez fait de moi un pirate

Georges Nevers – juin 2012 – Licence Creative Commons Zero

Lobbyistes des droits d’auteurs, majors, sociétés de gestion, félicitations : consommateur consciencieux, en quatre ans, vous avez réussi à faire de moi un vulgaire pirate.

À l’école de la contrefaçon

Il y a quatre ans donc, je finissais tout juste mes études. Mon passage par l’université n’avait pas entamé mes convictions concernant le droit d’auteur : je mettais alors un point d’honneur à respecter scrupuleusement ce droit, et je considérais alors la contrefaçon numérique comme un moyen irresponsable de satisfaire ses envies de produits culturels.

Comprenez bien qu’une telle attitude est assez rare chez un étudiant. En effet, ce milieu est très performant lorsqu’il s’agit de partager des contrefaçons, certaines universités disposant même de systèmes officieux de partage de masse interne. Bref, la plupart des étudiants profitent tout naturellement des possibilités offertes par la technologie, et confirment l’habitude de partager des contrefaçons qu’ils ont souvent acquise dès le lycée.

Loin d’affaiblir mes convictions inhabituelles, mon passage à l’université les avait même plutôt affermies par quelques cours qui m’avaient permis de mieux comprendre le système de droit d’auteur, et par ma plongée dans le logiciel libre, qui me permis d’approfondir ses implications. Les licences qui fondent le logiciel libre sont en effet basées sur le droit d’auteur, et l’effort de diffusion de ces logiciels est également opposé à la contrefaçon de logiciels propriétaires qui contribue à leur maintien.

Un consommateur idéal… ou presque

À la fin de mes études, j’étais donc un consommateur comme vous devez en rêver, achetant régulièrement de la musique du prix fort dans une boutique en ligne tout à fait légale. Seule ombre au tableau, je n’appréciais pas particulièrement les pratiques des majors du disque dans le domaine des verrous numériques, et la loi DADVSI m’avait laissé un goût un peu amer. Pour autant, je considérais alors ces sociétés comme un mal nécessaire.

J’étais en effet largement opposé aux verrous numériques. Ces mesures anti-copie me gênaient dans mon utilisation d’exemplaires licites, alors qu’elles ne s’appliquaient pas aux copies contrefaites disponibles gratuitement. Ces verrous me donnaient en quelque sorte l’impression d’être puni pour mon honnêteté ; pour éviter cela je refusais tout simplement d’acheter des œuvres ainsi protégées.

Une saga de lois et de mesures

Là-dessus, j’avais donc vu passer la loi DADVSI qui sacralisait ces mesures. Je remarquai notamment que, par ma contribution à la redevance pour la copie privée, je finançais des exploitants qui, par des mesures techniques protégées par cette loi, interdisaient de facto la mise en œuvre de ce droit de copie privée. Je vis la jurisprudence évoluer à ce sujet, un juge décidant que la copie privée n’était plus un droit mais une exception non garantie au droit d’auteur.

Puis ce fut le périple de la loi Création et Internet, qui introduisait, sans doute pour la première fois dans le droit français, une présomption de culpabilité et un renversement de la charge de la preuve. Je ne détaillerai pas l’accouchement au forceps de cette loi, qui fut âprement défendue dans sa version originale par des gens anéfé incompétents, malgré son caractère non seulement anticonstitutionnel, mais surtout contraire à la déclaration des droits de l’homme. Opposé à cette loi pour ces raisons, je fus également peiné d’être en tant que tel assimilé par ses promoteurs à un vil pirate. Je crois que ce fut le déclic qui commença à modifier ma conception : moi, consommateur modèle, respectueux du droit d’auteur comme peu de gens, cohérent par mes actes avec cette conviction, on me considérait comme un pirate ! Pire encore, on m’attaquait par cette loi et diverses actions passées sur lesquelles j’avais fermé les yeux avec complaisance !

Une fois la loi Création et Internet laborieusement mise en place, j’étais donc prêt à considérer les événements suivants sous un nouveau jour. Je vis par exemple la SACEM attaquer une école pour avoir osé faire chanter à ses enfants une chanson d’Hugues Aufray lors d’une fête sans profit, et ce chanteur, scandalisé par cette action en justice, s’acquitter lui-même des droits d’exploitation de sa propre chanson. Je vis l’auteur du logiciel Freezer, un outil permettant la mise en œuvre du droit à la copie privée sur la plate-forme Deezer, se faire condamner à 6 mois de prison. Tout dernièrement, j’ai assisté avec consternation à l’élaboration du traité ACTA, élaboré entre des gouvernements et des sociétés privées hors de tout contrôle démocratique, dans un secret que je pensais réservé aux décisions militaires ; l’idée d’accords secrets entre des gouvernements et des entreprises privées ne m’évoque d’ailleurs qu’un seul mot : la corruption, ici au plus haut niveau de décision mondiale.

La fin d’un monde…

Les exemples sont multiples et je ne saurais en donner une liste exhaustive. Tous ces événements ont progressivement changé le jugement que je portais aux majors et aux sociétés de gestion, passant de la bienveillance à la déception, puis au dégoût, et finalement au rejet pur et simple. Après la création de l’HADOPI, la boutique en ligne où j’achetais ma musique a décidé de postuler au label « PUR », ce qui m’a convaincu de cesser de me fournir chez eux. Après leur avoir fait part de cette décision et de sa motivation, j’ai eu la surprise de recevoir une réponse de leur part, indiquant qu’ils comprenaient tout à fait ma décision, et qu’ils s’attendaient effectivement à ce genre de rejet.

L’affaire Freezer a achevé de me convaincre de l’iniquité des sociétés de gestion et des majors, de sorte que je considère aujourd’hui ces entreprises comme des organisations nuisibles. En particulier, l’achat de musique me semble maintenant immoral, dans la mesure où il finance ces organisations qui devraient disparaître. En comparaison, le partage de contrefaçon me semble désormais un moindre mal.

En l’espace de quatre ans, les lobbyistes du droit d’auteur ont donc, par leurs actions diverses, réussi à me convertir au point de faire de moi un pirate ordinaire. Enfin presque : quoique me livrant régulièrement à la contrefaçon, je garde encore quelques scrupules à ce sujet, mais au train où ces entreprises défendent leur cause, je pense qu’elles viendront rapidement à bout de mes dernières réticences.

Sociétés de gestion, majors, je vous souhaite que mon cas soit isolé, mais je n’en crois rien. Dans les milieux que je fréquente, j’ai pu constater la dégradation continue de votre image de marque auprès de vos propres clients, qui confine parfois à la haine. Pendant tout ce temps, vous avez pu remarquer qu’un parti pirate est né en Suède, puis a essaimé dans le monde entier et remporte par endroits ses premiers succès électoraux. Alors qu’à sa création, je raillais son nom de « pirate », j’envisage aujourd’hui sérieusement de m’inscrire à ce parti. Pensiez-vous vraiment que la voie de la contrainte et de la peur était un bon choix pour conserver vos clients ?

Georges Nevers
Texte placé sous licence CC0 (trad. non officielle sur le Framablog)

Notes

[1] Crédit photo : Kevin Dooley (Creative Commons By)




Entretien avec trois candidats du Parti Pirate aux legislatives 2012

Le dimanche 10 juin prochain aura lieu le premier tour des élections législatives françaises.

Dans plus d’une centaine de circonscriptions, vous avez le choix entre aller à la pêche, voter pour un parti traditionnel ou, et c’est nouveau, apporter votre voix au Parti Pirate (PP) et ainsi donner de la voix aux thèmes qu’ils soutiennent et qui nous sont chers.

Rencontre avec Carole Fabre (candidate pour la 3ème circonscription de Haute-Garonne), Pierre Mounier et David Dufresne (respectivement candidat et suppléant pour la 15ème circonscription de Paris) que nous connaissions avant qu’ils ne se présentent et qui ont bien voulu répondre à quelques-unes de nos questions.

Espoir et énergie communicative. À force de pousser de tous les côtés, nous finirons bien par faire bouger les lignes 🙂

Carole Fabre

Bonjour à tous les trois, pouvez-vous vous présenter succinctement ?

Carole Fabre (CF) : Actuellement, je fais du conseil formation autour des usages du web, j’essaie d’amener le partage, la collaboration, la réciprocité, les liens, l’éthique, la responsabilité numérique, que ce soit pour la veille, pour l’identité numérique, pour les médias sociaux, pour le management, etc … Je donne aussi des cours ponctuellement.

David Dufresne (DD) : Punk un jour, punk toujours. Je suis aussi journaliste à l’ancienne, et réalisateur de webdocumentaires. Incapable de tenir une guitare, je pianote sur mon clavier toutes la journée. Ma première connexion remonte à 1994. Je passais par un prestataire américain, CompuServe. On payait en dollars. Et certains mois, la parité franc/dollar jouait de sales tours.

Pierre Mounier (PM) : Je suis professeur de lettres ; je travaille aujourd’hui dans l’édition numérique de sciences humaines et sociales en libre accès.

Qu’est-ce qui, dans votre CV, peut expliquer cet engagement ? Est-ce votre premier pas en politique ? Et dans la vie associative ?

CF : Dès la fin des années 80, j’ai eu un ordinateur personnel et je suis connectée à Internet depuis 1996. J’ai rapidement compris que le numérique allait changer considérablement nos façons de faire et qu’Internet nous ouvrait des voies inédites pour plus de partage et de collaboration.

Petit à petit, il s’est dessiné un chemin nouveau, une autre façon d’envisager les relations humaines, les liens sociaux; la puissance du réseau des réseaux est devenue incontournable. Elle nous a montré une autre voie possible en nous connectant aux autres dans le monde entier, un accès inépuisable aux connaissances, une entraide pour apprendre, l’autonomie pour publier, une voie plus libre, plus responsable !

Mais cette liberté fait peur, surtout à ceux qui dirigent, aux experts, aux enseignants, …, à tous ceux qui pensent avoir autorité sur d’autres. Alors ils reculent et je n’ai pas envie de reculer mais d’avancer. C’est pourquoi j’ai rejoint le Parti Pirate. Je n’avais jamais envisagé avant de rejoindre un parti politique, les trouvant tous à mille lieues des préoccupations essentielles, les regardant fonctionner avec leurs petits pouvoirs, leurs petites visions, leurs fonctions à privilégier.

Non, la politique ce n’était pas pour moi. Mais la virulence qui s’est accentuée, et cela dans le monde entier, contre les libertés acquises, numériques ou pas numériques, a fait que j’ai sauté le pas. Insidieusement, certains tentent de faire d’Internet une simple télévision pour consommateur, certains tentent de surveiller et de punir la liberté d’expression, certains tentent de nous mettre en fichiers, certains tentent d’empêcher le partage. Et toutes ces tentatives ricochent par effet induit dans la vie de tous les jours. Vidéosurveillance, vidéo-protection, fichage biométrique, scanners corporels dans les aéroports, brevetage du vivant … bientôt les marchandises seront plus libres que les humains.

Je ne peux cautionner cela et rester à attendre sans rien faire. La société qui advient est basée sur le numérique, que ce soit la création monétaire, les logiciels boursiers, le vote électronique, …, toute la communication, tous les échanges. Il est temps de décider ce que l’on désire vraiment comme société.

Une autre raison m’a poussée à me porter candidate. Je milite activement depuis 3 ans pour l’instauration d’un revenu de base pour tous. Et le Parti Pirate français le propose en mesure compatible avec le programme national.

DD : Il y a très longtemps, en 2000, l’un de mes livres était intitulé « Flics et Pirates du Net » (écrit avec Florent Latrive)… Autant dire que la question du « piratage » me travaille depuis un certain temps. A dire vrai, depuis 18 ans maintenant, mon travail se partage entre le Net et les questions liées aux libertés (individuelles, collectives).

La nuit, je milite pour un Net ouvert et non marchand; le jour, je réalise des films et écrit des enquêtes sur la police, la justice. Le Parti Pirate rejoint mes deux préoccupations, en quelque sorte. Oui, premier engagement au sens engagement-parti-politique; oui, première carte politique. Pour être franc: je suis le premier étonné, moi qui suis d’ordinaire si réfractaire à toute idée de hiérarchie. Mais le PP est assez foutraque, et plein d’énergie, pour être excitant.


PM : je me suis intéressé aux enjeux politiques et sociaux d’Internet et du numérique à partir de la fin des années 90. J’ai créé un site, Homo Numericus, qui m’a permis d’explorer la révolution numérique dans ses différentes dimensions. J’ai bien vu lors des premières lois qui ont été adoptées sur la sujet qu’il y avait un décalage considérable entre les usages réels des internautes et la manière dont la classe politique traditionnelle considère et prétende réguler ces usages.

J’ai été proche de plusieurs associations de défense des libertés sur Internet et j’ai participé à plusieurs des mobilisations à l’occasion du vote sur ces lois. Et à chaque fois, j’ai été déçu par la faiblesse et le manque de retentissement de ces mobilisations. Tout se passe encore comme si les questions politiques liées au numérique relevaient encore d’un autre monde virtuel sans prise avec la vie réelle. C’est pour cela que j’ai cherché une autre forme d’engagement, qui cherche à prendre pied dans le réel, sur le terrain même des politiques, en établissant un rapport de force, en présentant des candidats aux élections.

Pas n’importe quel engagement : le Parti Pirate. Alors pourquoi lui et pas un autre ? Où se situe son originalité et son espoir ?

CF : Comme une vague générationnelle, le Parti Pirate, présent dans 64 pays, déferle sur le monde ancien. Ce n’est pas un parti enfermé dans ses frontières, il y a quelque chose de beaucoup plus fort, beaucoup plus important que les vaines revendications des autres partis politiques complètement sclérosés, incapables de lever le nez hors de leurs privilèges; Je ressens un souffle de liberté avec le Parti Pirate, d’ailleurs les libertés sont au cœur du programme politique. Liberté, un mot, que l’on a très rarement entendu pendant les présidentielles…

DD : Comme Carole, parce que je crois que le PP peut déferler sur le monde ancien, le bousculer, le hacker et le hâcher menu. Il faudra du temps, il faudra même passer — peut-être ? — par une forme de durcissement du discours, mais c’est jouable. Et plus que tentant. Certains adhérents du PP revendiquent le ni droite ni gauche. Pas moi. Je comprends bien l’idée (« ni droite ni gauche, devant ! »), qui est séduisante sur bien des points, elle reste pour l’heure trop floue. Personnellement, je suis venu au PP pensant y trouver un levier pour hacker la gauche de gauche.

PM : j’ai été conquis par cette idée de démocratie directe qui est au cœur du Parti Pirate. Le Parti Pirate est né de l’Internet. Il en porte la culture politique : horizontal, peu de délégation, ouvert aux contributions de tous, se coordonnant de manière flexible et réactive.

Peut-on vous qualifier de « power user » d’Internet et si oui en quoi cela a pu faciliter le rapprochement avec le Parti Pirate et ses thèmes de prédilection ?

CF : Oui, je dois être « power user », c’est ça 🙂 (voir réponses plus haut)

DD : Je suis Interneto-dépendant, littéralement. C’est affreux, et délicieux. J’imagine que bien des lecteurs du Framablog ressentent la même chose. Ma grande (et bonne) surprise a été de voir, en arrivant au PP, que ce n’était pas, justement, les Internautes Anonymes. Tous les sympathisants ne sont pas forcément des « power users ». On est loin de l’image des réunions de Geeks parfois, et c’est très bien ainsi. Ça montre que le PP fédère large.

PM : Oui, c’est évident. Je travaille avec Internet, je vis sur Internet et je considère le cyberespace comme ma patrie d’adoption. Mais en même temps : n’est-ce pas le cas d’un très grand nombre de personnes ? Ne sommes-nous pas tous des power users ?

La plupart des enquêtes le montrent : les usages des nouvelles technologies sont très répandus et intensifs, souvent sur un mode de communication particulier. Tout le secteur tertiaire travaille en permanence sur ordinateur. Les services de communication en ligne ont des millions d’utilisateurs, les smartphones ont un taux de pénétration considérable.

Ce qui est caractéristique de nos trois profils en revanche, c’est que nous sommes des médiateurs : formateur, journaliste et enseignant. Nous ne sommes donc pas nécessairement plus « geeks » que d’autres, mais je crois que nous sommes dans des positions qui nous amènent à avoir une conscience plus aiguë de ces nouveaux usages et de leurs implications politiques.

La « grande presse » a consacré de nombreux articles à la présence du Parti Pirate lors de ces élections. Est-ce déjà un succès en soi et êtes-vous satisfait de la manière dont les journalistes ont parlé de vous ?

DD : La presse a besoin de nouveauté, et il ne faut pas s’y tromper: l’incroyable couverture récente du PP doit beaucoup à cet aspect des choses. Les résultats de dimanche, bien sûr, seront importants pour la suite que la presse voudra bien accorder, ou non, au PP. L’essentiel est que le nom ait circulé dans les rédactions, que le PP se soit fait une petite place, que nous ayons, par exemple, été repris du Figaro à TF1, du Monde à Europe 1, sur la question du vote par Internet des Français de l’étranger, au point que le Quai d’Orsay se soit senti contraint de nous répliquer. Ou que Marianne, en nous rangeant dans les « farfelus », se soit vu immédiatement contredit sur Twitter.

Malgré le retentissement récent, tout reste à faire. Je pense qu’on peut être plus inventifs, plus percutants, plus pirates. D’autant que nous butons sur un sacré conservatisme de la part des journalistes politiques. Ne pas comprendre que ce qui se joue aujourd’hui d’un point de vue technologique est aussi crucial que les combats écologiques lancés par les Verts est, au mieux, une preuve de cécité de leur part; au pire, une faute professionnelle.

CF : C’est un premier pas. Il est vrai que les succès électoraux en Allemagne nous ouvrent la voie. Localement, c’est assez amusant, la première fois que la Dépêche du Midi nous a cité, ils ont mis PP Parti Populaire… ils n’avaient jamais entendu parler du Parti Pirate !

En général, nous sommes encore trop qualifiés de geeks et d’informaticiens à lunettes, les journaliste ont du mal à voir que nos revendications dépassent largement Internet. Peu signalent par exemple que nous nous engageons à suivre la charte anti-corruption de Anticor. Dès qu’on parle de transparence politique ils sont assez surpris et tentent de nous faire revenir sur le téléchargement 😉

PM : Oui, et je dois avouer que c’est une surprise pour moi. La plupart des mouvements politiques et mouvements sociaux d’un type nouveau traversent une longue période à leurs débuts au cours de laquelle les médias ne leur donnent aucune visibilité et, pire, déforment leur positionnement et leurs propositions. Je trouve que cela n’a pas été trop le cas au cours de cette campagne. J’ai noté beaucoup de curiosité de la part des journalistes qui ont cherché à comprendre sincèrement ce qu’était ce mouvement.

Le meilleur exemple pour moi est l’article d’Yves Eudes dans le Monde qui établit une coupe sociologique objective du mouvement et qui a appris, je crois, beaucoup aux adhérents du Parti Pirate eux-mêmes… Par contre, cet article a été classé dans la rubrique…. Technologies. C’est caractéristique.L’engouement médiatique a beaucoup été le fait des secteurs culture et technologies de la presse, mais n’a pas encore touché le cœur du cœur du système médiatique : les journalistes politiques de la presse nationale qui ne nous ont pas encore repérés dans leur radar.

Le Parti Pirate a été très actif pour dénoncer le vote électronique des français de l’étranger. En quoi est-ce une affaire importante pragmatiquement et symboliquement parlant ?

CF : Encore une fois, nous comprenons et maîtrisons le numérique et savons que le numérique c’est piratable 🙂 … A partir de ce constat, il y a des choses que nous ne pouvons pas faire. Le vote électronique est incontrôlable. Peut-être un jour arriverons nous à sécuriser le vote électronique mais pas actuellement. Au-delà des problèmes techniques et de la non vérification possible par les citoyens, l’ironie est que c’est une entreprise privée d’Espagne qui s’occupe de gérer ce vote …

DD : À mes yeux, cette affaire constitue un enjeu majeur dans le sens où c’est un peu de la démocratie qu’on confisque, avec des dysfonctionnements patents, une privatisation partielle du vote, une opacité réelle. C’est bien parce que nous défendons Internet que nous nous devons de traquer les abus des pouvoirs publics et des sociétés privées. Le vote électronique des français de l’étranger est apparu au fil des jours pour ce qu’il est : un cheval de Troie.

Les Partis Pirates suédois et allemand ont une longueur d’avance. De plus lors des récentes manifestations contre ACTA on a pu voir l’Est de l’Europe beaucoup plus mobilisée que l’Ouest, France incluse. Y a-t-il une raison à cela et n’est-ce pas un indicateur défavorable quant à ces prochaines élections ?

CF : Même si nous parlons beaucoup d’ACTA entre acteurs du numérique sur Internet et que l’on sent tout de même un revirement positif de la situation au niveau européen, le problème est que la plupart des citoyens n’en ont jamais entendu parler ! Il faut expliquer encore et encore. En tout cas ce n’est vraiment pas au cœur des débats des autres partis politiques pour ces élections, que dis-je au cœur, c’est complètement absent. Et oui, c’est défavorable, car le grand public ne comprend pas encore l’importance de ces enjeux.

DD : La France est un pays terriblement passéiste et passablement frileux. Avec un Front National si fort, et une gauche parlementaire qui a si peur de son ombre, tout semble bloqué. Depuis déjà un paquet de temps, et pour longtemps. Nos voisins, moins auto-centrés, ont compris bien avant nous l’importance de la… révolution numérique. Sincèrement, oui, la bataille ne fait que commencer de ce côté_-ci du Rhin. C’est ce qui en fait, aussi, sa beauté: tout est à faire.

PM : Nous sommes un pays technophobe et c’est une malédiction qui nous frappe de manière renouvelée. Beaucoup de gens pensent que la politique s’arrête aux déclarations de principe (le « fétichisme des principes » est une autre de nos malédictions) et ne voient pas du tout comment il peut y avoir des enjeux politiques dans ce qu’ils considèrent comme des « affaires de garagistes » (sic, citation réelle).

Il y a bien une tradition intellectuelle française qui s’intéresse à la chose technique et à ses enjeux sociaux et politiques ; les encyclopédistes, Saint Simon, Simondon, Latour, Serres. Mais elle est isolée et minoritaire, rarement dominante à chacune des époques considérées. Or, c’est un vrai handicap, alors que nous vivons à une époque complètement dominée par des enjeux techno-scientifiques. Peut-on faire évoluer les mentalités et intéresser les français aux enjeux politiques des choix technologiques ? Je pense que la montée en puissance d’un Parti Pirate en France peut y contribuer.

David Dufresne

Cory Doctorow a pu dire qu’il est fondamental de gagner la bataille actuelle contre le copyright car elle fait figure de laboratoire pour les autres batailles à venir entre le citoyen, les multinationales et les états affaiblis. D’accord pas d’accord ?

CF : Entièrement d’accord. Si les droits d’auteur et les brevets ont pu être profitables au XIXème siècle, ils sont maintenant complètement obsolètes. Nous devons repenser tout cela.

Quand on voit que certains tentent maintenant de breveter aussi le vivant … c’est impensable de s’approprier nos biens communs, breveter des gènes humains, des gènes animaux, des gènes de plantes. Quelle société cela préfigure t-il ? Avons-nous envie de tout marquer et de tout jouer en bourse ? Les dégâts sont bien déjà assez suffisants avec le marché des matières premières et des matières alimentaires.

PM : Oui, absolument. La conférence de Cory Doctorow devant le Chaos Computer Club si mes souvenirs sont bons est un moment historique qui a donné un sens politique général a un combat qui pouvait sembler à la fois pointu et un peu secondaire parce que concernant seulement la consommation culturelle.

Le logiciel libre est un des pionniers et un des piliers de la révolution à venir. Délire ou prophétie ?

CF : Prophétie, oui ! Quand on voit que près de 95% des serveurs dans le monde sont sous Unix et non pas sous Windows, nous nous devons de demander pourquoi c’est mieux fabriqué. Et comment ça se fabrique. Là encore, la pédagogie est indispensable, peu de personnes savent.

L’autre jour, je me demandais : « et si on ouvrait les codes de la loi et qu’on puisse les améliorer, et même en faire un fork pour simplifier, repartir sur des bases saines et non pas un empilement où plus personne ne comprend plus rien. » 🙂

Mais sans aller aussi loin, on constate déjà que des initiatives voient le jour dans d’autres domaines que les logiciels : des plans partagés et améliorés de moteur, des systèmes agricoles, des systèmes d’eau potables, etc.

C’est en fait naturel à l’être humain, pouvoir comprendre, contribuer, améliorer, cela s’est toujours fait. La propriété généralisée à toute chose est finalement assez récente dans l’histoire de l’humanité. Si le silex avait été breveté et privatisé, nous ne serions peut-être pas là aujourd’hui. 🙂 Et la roue, hein, la roue…

DD : C’est moins l’outil libre que sa confection qui importe. Ce que le logiciel libre bouleverse, c’est cette forme de société de contribution qu’il annonce. Cette notion de pot commun, de partage, de désintéressement parfois provisoire, qu’importe. Mais nous avons un effort de pédagogie à mener: seule la communauté du Libre sait de quoi il s’agit. Hors de celle-ci, libre et free, gratuit et open source, sont des notions encore mal comprises et qui semblent vidées de leur caractère politique.

PM : Ni l’un ni l’autre : le logiciel libre est aujourd’hui un des piliers fondamentaux de la révolution en cours (et non à venir). Mais cela implique de devoir résoudre des problèmes que pose ce mouvement continu d’élargissement du « libre » à d’autres secteurs d’activités que la conception logicielle.

Et sur ce chemin, la voie est étroite entre une forme d’intransigeance aristocratique et parfois puriste qui empêche la greffe de prendre d’un côté, et ce qui constituerait une dilution tellement importante qu’on n’y retrouverait plus l’esprit originel de l’autre : logiciel libre, art libre, culture libre, creative commons, libre accès, open data, on a là une galaxie qui témoigne d’une dynamique positive. Cette dynamique ne peut exister que parce qu’une certaine souplesse est permise, mais aussi parce qu’un sens et des limites sont données.

Occupy, Anonymous, Indignados, Wikileaks sont des mots clés qui vous parlent ?

CF : Yep ! Tous ces mouvements dénoncent les opacités, les corruptions qui entachent notre civilisation et chacun à leur manière agit soit par Internet, soit dans la rue. Au Parti Pirate, on attaque par un autre biais, on tente de hacker la politique.

DD : + 1, Carole. Le Parti Pirate est un allié, sincère, de tous ces mouvements. Ils sont le signe du changement réel, d’une prise de conscience à la fois mondiale et citoyenne. Non violente pour certains, intrusives et hors la loi pour d’autres. Le phénomène des casseroles à Montréal s’inscrit aussi dans cet élan. Et ce n’est pas pour rien que les Anonymous ont infiltré les serveurs de la police canadienne dans le même temps ou diffusé des vidéos gênantes sur la collusion médias-politiques.

PM : Oui. Mais je me permets d’insister sur un fait : toutes ces initiatives qui procèdent de mouvements sociaux de fond n’ont pas encore trouvé de débouché politique. Je crois qu’on a tous un peu vécu sur le mythe qu’un pouvoir en place ne peut résister longtemps à des manifestations, occupations, assemblées populaires, mobilisations citoyennes, révélations compromettantes.

L’expérience politique de ces dernières années est que ce n’est pas tout à fait le cas. Et même lorsqu’il y a alternance, cela ne signifie pas nécessairement que les revendications que portent ces mouvements soient mieux représentées. Il y a donc une situation potentielle de danger avec des mouvements sociaux d’un côté qui se développent, bouillonnent, élaborent des propositions, et de l’autre un monde politique qui tourne en rond et continue sa petite musique sans que l’un n’arrive à embrayer sur l’autre.

Je ne dis pas que la Parti Pirate soit aujourd’hui en mesure d’être le débouché politique des ces mouvements. Ce serait très prétentieux et inexact. Mais je pense que c’est la direction dans laquelle nous devons aller. Pour moi, un des enjeux après les élections pour le Parti Pirate est de construire patiemment des liens solides avec ces mouvements, et d’autres, pour nourrir sa réflexion et son programme de l’expertise citoyenne qui s’y développe.

L’Europe semble bloquée par « la crise », une économie financiarisée injuste et incontrôlable et des mouvements identitaires de repli sur soi. Est-ce la bonne période pour « faire de la politique autrement” ?

CF : Plus que jamais, et il y a même urgence, tant que nous avons les moyens. La pauvreté, l’injustice amènent aux révoltes et aux guerres, et après il est beaucoup plus difficile d’agir.

DD : Si nous n’avons pas peur de nous-mêmes, si nous arrivons à nous regrouper autour de thèmes forts et précis, c’est déjà le cas en partie, tout est possible. Justement parce que nous sortons totalement des clivages et des raisonnements classiques, tous porteurs de repli.

PM : PLUS QUE JAMAIS. La crise financière et économique est d’abord une crise de la démocratie. La véritable question est moins de savoir quelles seraient les « bonnes » mesures à prendre que de savoir comment faire en sorte que les mesures qui sont prises soient voulues et soutenues par l’ensemble de la population ; en un mot : légitimes. J’ai écrit un billet à ce propos sur notre site de candidats ; je me permets d’y renvoyer.

Il a été dit que la France sous Sarkozy n’aura pas été spécialement brillante du côté d’Internet et des libertés. Votre avis ? Doit-on penser que vous accordez la même défiance au nouveau gouvernement en vous présentant ou bien est-ce au contraire pour le pousser à mettre en avant les thèmes que vous portez ?

CF : Les deux mon capitaine ! Si on peut interagir, aider à la réflexion tant mieux. Nous verrons bien. Personnellement, je n’ai guère confiance en ce nouveau gouvernement. Même si j’espère qu’il y aura moins de fracture sociale, j’ai bien peur que la notion de liberté et de partage leur échappe. Pierre Lescure, nommé pour la Hadopi, voyons, comment dire … Et que feront-ils des fichiers de citoyens, des caméras de surveillance, de la biométrie ?

DD : Sur la question des libertés individuelles et collectives, il n’y a aucune raison de laisser un blanc seing à la gauche socialiste. La nomination de Manuel Valls à l’Intérieur est assez claire: il n’y aura pas de rupture ou alors à la marge. J’ai en partie rejoint le PP pour travailler sur ces questions et c’est la raison pour laquelle avec Pierre Mounier, nous avons explicitement défendu notre point de vue dans notre profession de foi.


« Exiger que les procédures parlementaires de contrôle de services comme la Direction centrale du renseignement intérieur soient complètes et renforcées. Faire cesser les dérives d’une police politique au service de l’appareil d’Etat. Ouvrir le débat sur la privatisation du Renseignement (officines, mais pas seulement) et le jeu malsain entre « Services » et opérateurs de téléphonie (ex: fadettes, relevés téléphoniques, etc) / FAI. ». J’ai publié dans Le Monde une tribune sur le sujet.

PM : Pour ma part, je ne parlerai pas (encore) de défiance. Plutôt de méfiance. Le candidat devenu président ne s’est pas beaucoup engagé sur la question et il a même été en net retrait par rapport au programme de son propre parti. Les premiers signes qui ont été envoyés, les premières nominations, comme dit Carole, ne sont pas encourageantes. J’ai bien peur que ce gouvernement ait besoin d’un aiguillon qui constitue une menace électorale suffisamment importante pour qu’il se sente concerné par la question d’Internet et des libertés. On aura compris qui pourrait être cet aiguillon…

Vous donnez-vous le moindre objectif chiffré ou bien, comme disait De Coubertin, l’important ici c’est d’abord de participer car ça n’est qu’une première étape ?

CF : Comme Coubertin, c’est un galop d’essai !

DD : Un tour de chauffe, un moyen de s’aguerrir, d’expérimenter, de se compter, d’apprendre à se connaître, à partager, à travailler ensemble.

PM : C’est bien un galop d’essai, mais aussi un peu plus que cela : nous avons gagné une certaine visibilité dans l’espace public, du fait de la campagne électorale (il faut savoir que nous diffusons grâce à cela un spot télévisé visionné par tous les français, c’est absolument énorme comme caisse de résonance). Du coup, si, au moins dans certaines circonscriptions, nous faisons un score non négligeable, voire gênant pour d’autres formations politiques, cela va changer beaucoup de choses pour la suite. Bref, il y a un vrai enjeu en termes de résultats sur cette élection. Cela vaut le coup de se mobiliser.

Une fois les législatives passées, quel sera le prochain rendez-vous et comptez-vous personnellement poursuivre l’aventure avec le Parti Pirate ?

CF : Si le Parti Pirate continue sur la même lancée avec ouverture, transparence, liberté de chacun des membres, oui ! En 2014, il y a les municipales et surtout les européennes. Il devrait y avoir un programme commun européen, et là nous serons bien plus préparés !

DD : Le PP a vu dans ses rangs arriver de plus en plus de quadras et plus. On peut s’attendre à ce que le PP se dote bientôt d’une épine dorsale qui pourrait faire très mal. Connaissance des rapports de force + énergie bouillonnante = formule magique.

La prochaine étape sera donc interne: comment fusionner toutes ces énergies, les fédérer ? Ensuite, il faudra que le PP prenne part à la vie politique de manière constante, pas uniquement lors des échéances électorales. Pour ce qui est de mon implication, tout va dépendre des discussions et des orientations qui seront prises. Pour l’heure, comment dire, c’est bien parti, quelle aventure !

PM : Oui, j’ai très envie de continuer avec le Parti Pirate au delà de l’échéance. Il y a clairement une dynamique, un élargissement de la base militante, des perspectives de pouvoir faire bouger les choses, enfin !

En conclusion, dimanche 10 juin prochain, le « vote utile » c’est le Parti Pirate ?

CF : C’est le vote de ceux qui n’ont pas froid au yeux et qui arrêtent de penser « de toute façon, on ne peut rien faire ». Le Parti Pirate, c’est la reprise en main de la démocratie.

DD : Utile, heu… j’en sais rien. Protestataire et constructif, pirate et novateur, oui, vraiment.

PM : Le seul vote utile est celui qui est au plus proche des convictions de celui qui vote. que chacun s’informe et vote selon ses convictions. C’est tout ce que nous demandons.

Vous pouvez suivre nos trois candidats sur Twitter : Carole Fabre, Pierre Mounier et David Dufresne.

Affiche PP




Salut à toi mélomane, téléchargeur, pirate, pseudo-criminel…

Benn Jordan est musicien et président fondateur du modeste label indépendant Alphabasic Records.

En janvier 2008, et contrairement à ce qu’il se produisait d’habitude, il fut surpris de constater l’absence de son nouvel album sur les sites de torrents et P2P !

Alors il décida de prendre lui-même les devants en téléversant ses propres fichiers audios sur les sites de partage, mais en les accompagnant d’un court texte que nous avons décidé de traduire ci-dessous tant il nous semble original et révélateur de la situation actuelle.

Ainsi tout « pirate » téléchargeant l’album se retrouvait avec un petit fichier HTML contenant le message. Libre alors à lui de le lire et d’agir en conséquence.

Remarque : On pourra trouver le bilan de cette action dans le billet From Pirates To Profit. Et si vous voulez écouter quelques extraits de l’album en question il y a ce lien YouTube.

Benn Jordan

Bonjour mélomane… téléchargeur… pirate… pseudo-criminel…

Hello listener…downloader…pirate…pseudo-criminal…

Benn Jordan – janvier 2008 – Alphabasic Records
(Traduction : Ælfgar, Kiwileaks, Marwan, Thb0c, Gordon, Hikou, Chk, Coyau, axx et autres anonymous)

Bonjour mélomane… téléchargeur… pirate… pseudo-criminel…

Si vous êtes en mesure de lire ceci, alors il est plus que probable que vous ayez téléchargé cet album depuis un réseau pair à pair ou un torrent.


Vous vous attendez probablement à ce que le reste de ce message vous dise que vous êtes en train de faire du mal aux musiciens et de contrevenir à plus ou moins toutes les lois en vigueur sur la copie. Ce ne sera pas le cas ici.

Ce que j’aimerais vous dire, c’est que mon label comprend que beaucoup de gens piratent de la musique parce que c’est plus simple que de l’acheter. Les CD se rayent facilement, la plupart des sites de téléchargement avec paiement à l’acte proposent une faible qualité accompagnée de merdiques protections par DRM, et les vinyles sont quasiment impossibles à trouver ou expédier simplement.

Je me demande même souvent pourquoi les gens achètent encore des CD. Certains apprécient le fait d’avoir une vraie pochette physique, d’autres ne se sont pas encore adaptés aux MP3, mais la plupart le font parce qu’ils aiment passionnément la musique et veulent soutenir les artistes qui la font. Ça vous redonne foi en l’humanité l’espace d’un instant, hein !

Ok donc, on fait quoi maintenant ?
Vous aimez l’album ? Vous voulez « soutenir l’artiste » sur iTunes ?
Eh bien, ne le faites pas !
Alphabasic est en ce moment même en pleine bataille juridique contre Apple parce qu’AUCUN de nos contenus (le catalogue Sublight Records compris) n’a reçu le moindre centime de royalties par rapport au grand nombre de ventes qu’iTunes a généré en utilisant notre contenu.

Vous voulez acheter un CD uniquement pour témoigner de votre soutien ?
Si vous n’aimez pas particulièrement les CD, ne vous prenez pas la tête.
Les grandes enseignes comme Best Buy et Amazon font tellement monter les prix que leurs parts sont souvent huit fois plus élévées que celle de l’artiste. En plus, la plupart des CD sont fait de plastique non-recyclable et sont de ce fait écologiquement nuisibles.

Si vous aimez vraiment les CD, achetez les directement auprès du label (dans notre cas, alphabasic.com). Après récupération des coûts de production, nos artistes reçoivent habituellement plus de 90% de l’argent venant de votre portefeuille.
J’ajoute que tous nos produits physiques sont réalisés à partir de matériaux 100% recyclés.

Vous souhaitez soutenir sans aimer les CD ?
Allez ici et faites le tour de notre catalogue de téléchargements audio sans perte et sans DRM.
Vous l’avez déjà fait ?
Alors n’hésitez pas à faire un don du montant de votre choix à votre artiste préféré. Il lui reviendra à 100%.
Franchement, vous pouvez même donner ne serait-ce qu’un euro pour remercier l’artiste.

Si par exemple vous aimez vraiment « The FlashbulbSoundtrack To A Vacant Life » et voulez nous soutenir sans que l’argent s’en aille vers des détaillants et des distributeurs cupides, ou des représentants et intermédiaires cocaïnomanes, alors cliquez sur ce lien.

Si de plus vous voulez bien renseigner votre adresse postale, Alphabasic pourra vous envoyer occasionnellement quelques goodies (surplus de stock, stickers, et même parfois des CD rares ou inédits) en guise de reconnaissance.

Merci d’avoir pris le temps de lire ce message.

Qui sait si mon petit modèle économique permettra de financer de nouveaux albums, mais même l’échec vaut mieux que le système de distribution pourri dont les artistes souffrent depuis plus de cinquante ans.
Nous espérons que vous apprécierez la musique autant que nous l’apprécions en la créant .

Enfin un tout dernier point. Si vous envisagez de partager cette musique, merci de conserver et d’y inclure ce texte. La seule raison de sa présence est de montrer à l’auditeur où et comment il peut soutenir son artiste favori !

Benn Jordan
PDG d’Alphabasic Records