La nouvelle version Squeeze de Debian lavera encore plus blanc

Mark Robinson - CC byC’est un billet un peu technique que nous vous proposons aujourd’hui. Il évoque la « quête du 100% libre » des distributions GNU/Linux.

En effet, vous l’ignoriez peut-être, mais rares sont les distributions GNU/Linux qui soient « totalement libres ».

Ainsi la fort pratique distribution Linux Mint installe dès le départ des codecs (MP3, divX…) et des plugins (Java, flash…) propriétaires. On ne peut donc la considérer comme libre.

Mais, plus subtil, la très populaire distribution Ubuntu non plus, car elle embarque en son sein des drivers propriétaires comme ceux pour les cartes graphiques Nvidia et ATI.

Ces drivers sont des exemples de firmwares (ou micrologiciel), ces logiciels intégrés dans un composant matériel, et ils constituent le sujet principal de notre billet, et traduction, du jour.

Debian est l’une des plus anciennes et célèbres distributions GNU/Linux. Elle sert de base de développement à de nombreuses autres distributions, dont justement Ubuntu et Linux Mint.

L’une des principales caractéristiques de Debian, outre sa stabilité reconnue et le grand nombre d’architectures matérielles supportées, est de ne dépendre directement d’aucune société commerciale : comme le navigateur Firefox de la fondation Mozilla, Debian est le fruit d’une association à but non lucratif. Et si Mozilla possède son Manifesto, Debian a son fameux contrat social.

Elle se trouve actuellement dans sa version 5.0 mais la nouvelle version 6 (nom de code « Squeeze ») devrait sortir d’ici quelques jours.

Or le projet Debian a annoncé que cette nouvelle version bénéficierait, à sa sortie, d’un noyau Linux « libéré», c’est à dire débarrassé de tout firmware qui ne serait pas libre[1]. Cette décision a suscité un certain nombre de d’interrogations autour des conséquences pratiques pour l’utilisateur : allait-il pouvoir continuer à faire fonctionner pleinement sa machine avec cette nouvelle version ?

C’est à ces interrogations que répond l’un des développeurs du projet ci-dessous.

Mythes et réalités concernant les firmwares et leur non-retrait de Debian

Myths and Facts about Firmwares and their non-removal from Debian

Alexander Reichle-Schmehl – 20 janvier 2011 – Tolimar’s Blog
(Traduction Framalang : Antistress, Penguin et Goofy)

L’annonce par le projet Debian de la publication de Squeeze avec un noyau Linux complètement libre a retenu l’attention, ce qui n’est pas une mauvaise chose. Pourtant il semble que cette annonce ait parfois été mal interprétée ou mal relayée. Je vais essayer de résumer les principales erreurs et d’y répondre.

  • Mythe : Debian a retiré tous les firmwares de ses noyaux !
  • Réalité : Non, cette décision ne concerne que les noyaux qui seront inclus dans la prochaine version Debian 6.0 Squeeze. Les noyaux de la version stable actuelle Debian 5.0 Lenny restent tels quels… sauf que, bien sûr, nous réaliserons les mises à jour de sécurité qui s’imposent les concernant, mais ils continueront de contenir les mêmes firmwares qu’actuellement.
  • Mythe : Debian est en train de dégrader ses noyaux en en retirant des choses.
  • Réalité : Debian a transféré certains firmwares de sa section principale (NdT : main) vers sa section non-libre (NdT : non-free). Ils sont toujours présents, dans la section dédiée aux logiciels qui ne répondent à nos critères tels qu’ils résultent des principes du logiciel libre selon Debian (NdT : The Debian Free Software Guidelines – ou DFSG).
  • Mythe : La plupart des utilisateurs ne vont plus pouvoir installer Debian.
  • Réalité : les firmwares non-libres resteront disponibles à travers notre infrastructure. Ceux qui sont requis durant l’installation (par exemple pour contrôler l’accès au réseau ou au périphérique de stockage) peuvent également être chargés durant l’installation (qu’ils soients sur un CD ou une clé USB). Nous proposons des archives compressées de ces fichiers (décompressez les simplement sur une clé USB et branchez-la quand cela vous est demandé durant l’installation) ainsi que des images ISO permettant de créer un CD d’installation par le réseau qui contiennent déjà ces fichiers. Bien entendu, elles vont continuer d’exister, même aprés la publication de Squeeze.
  • Mythe : Ces fimwares sont requis, les ôter ne sert à rien et ne rend pas service à l’utilisateur.
  • Réalité : Oui, ces firmwares sont en effet nécessaires au fonctionnement de certains pilotes de certains matériels. Mais tout le monde n’en veut pas. À présent que nous sommes capables de charger ces firmwares sur demande (au lieu de devoir les compiler dans le pilote lui-même), nous pouvons les proposer séparément. Cela permet ainsi à ceux qui ont besoin de firmwares non-libres de les utiliser tandis que que ceux qui n’en veulent pas bénéficieront d’une installation qui en sera dénuée.
  • Mythe : Ah, encore un coup des fêlés de la liberté du projet Debian…
  • Réalité : Il n’y a pas que nous en réalité : nous n’y serions jamais parvenus sans la coopération d’un certain nombre de développeurs du noyau Linux. Et nous ne sommes pas les seuls intéressés par la création d’un noyau libre, d’autres distributions importantes ont également conscience du problème. Citons par exemple le récent commentaire d’un développeur du projet Fedora évoquant des changements dans un de ces firmwares non-libres. Il semble donc que Debian ait simplement été le premier à réaliser le problème des firmwares non-libres.
  • Mythe : Debian fait allégeance à Stallman.
  • Réalité : Je ne me suis pas entretenu avec Richard Stallman à ce sujet mais je pense que Debian n’est pas encore assez libre pour lui ; pour autant que je sache, il aimerait la disparition pure et simple de la section non-libre, ou au minimum qu’elle ne soit plus mentionnée nulle part.

Il reste donc une question : qu’il y a t-il de mal avec les firmwares non-libres ? Ne s’agit-il pas simplement de petits programmes exécutés par le microprocesseur du périphérique concerné ? Pourquoi s’en faire ? Bonne question ! Mettons de côté les problèmes juridiques qui sont susceptibles de se poser, et concentrons-nous sur l’aspect pratique. Le nœud du problème tient au fait que, sans leur code source (et les outils pour les compiler), les firmwares ne sont qu’une suite aléatoire de nombres pour nous. Nous ne savons pas ce qu’ils font, nous ne pouvons pas les analyser ni les améliorer. Nous ne pouvons pas les changer, nous ne pouvons pas assurer leur suivi. Peut-être avez-vous été lire le commentaire du développeur Fedora dont le lien a été donné plus haut ? Je le cite à nouveau car il me semble qu’il a très bien résumé le problème :

Mise à jour des firmwares qlogic 2400 et 2500 vers la version 5.03.13. Que fait la version 5.03.13 ? Personne ne le sait hormis QLogic et ils ne le disent pas. Je leur ai posé la question et ils m’ont répondu que l’information ne pouvait être donnée sans accord de confidentialité. Je vous invite donc à imaginer ce que fait ce firmware et les bogues qu’il corrige. Tant que vous y êtes, imaginez un monde où les fabricants publieraient le code source de leurs firmwares.

À présent que vous savez que nous ne pouvons assurer le suivi de ces firmwares, vous pourriez vous demander si c’est vraiment utile de toute façon. Quels dégâts pourraient bien faire à votre ordinateur un simple petit programme logé dans un périphérique ? Eh bien un scientifique a déjà fait la démonstration d’un firmware pour certaines cartes réseau qui dissimulait un cheval de troie. Donc non seulement c’est un problème en soi, mais cela peut même être un problème de sécurité !

Résumons-nous. Oui, Debian a modifié quelque chose dans ses noyaux. Non, ils vont continuer de fonctionner comme d’habitude. Certains utilisateurs devront peut-être activer le dépôt non-libre mais ce n’est pas obligatoire. Les firmwares nécessaires à l’installation sont aussi disponibles et peuvent être chargés lors du processus d’installation. Alors pourquoi tout ce ramdam ?

À propos, ceux d’entre vous qui craignent de ne pas se rappeler les liens des images ISO et des archives compressées, souvenez-vous de deux choses: wiki et Firmware. Vous trouverez tout ce dont vous avez besoin sur la page Firmware du wiki Debian.

Notes

[1] Crédit photo : Mark Robinson (Creative Commons By)




Tu ne partageras pas ta carte marine, nous raconte La Pérouse en 1787

Norman B. Leventhal Map Center at the BPL - CC byQuand on n’y connaît rien en informatique, il est difficile de s’émouvoir du discours passionné d’un utilisateur de logiciels libres détaillant avec emphase les quatre libertés garanties par leur licence.

Le libriste pédagogue aura donc souvent recours à des analogies pour éclairer son auditoire, la plus courue étant sûrement celle de la recette de cuisine. Dans ce billet nous nous proposons d’y ajouter l’exemple, ou plutôt le contre-exemple, des cartes marines[1].

Plongeons-nous, c’est le cas de le dire, plusieurs siècles en arrière pour retrouver un observateur sceptique face aux règles mises en place par les grandes compagnies maritimes de l’époque pour protéger la connaissance et en tirer profit face à la concurrence.

En effet, j’ai lu récemment et avec beaucoup de plaisir le « Voyage autour du monde sur l’Astrolabe et la Boussole » du grand navigateur Jean-François de La Pérouse qui mena une campagne d’exploration scientifique du Pacifique de 1785 à 1789.

Ce récit est empreint d’humanisme, d’intelligence et de générosité. Le voyage s’est déroulé sur un bateau en bois et à voiles, du temps où ordinateur, GPS et autres balise Argos n’existaient évidemment pas. Mais, d’un certain point de vue, ces marins avaient un savoir et un savoir-faire supérieurs aux nôtres car ils ne pouvaient avoir recours à ces outils en cas de problèmes.

Dans son journal, La Pérouse note que les capitaines hollandais partant de Batavia vers le Japon devaient prêter serment, à leur compagnie, de ne pas divulguer leurs cartes marines. Ces cartes qui compilaient l’ensemble des informations collectées par les voyageurs précédents, dans ces terres inconnues où le moindre récif pouvait amener le naufrage.

La Pérouse - Gallica - Domaine Public

Extrait du livre issu de Gallica, le service numérique en libre accès de la Bibliothèque Nationale de France.

Pour les compagnies, l’enjeu était de taille : elles vivaient du commerce des produits du Japon. Elles cherchaient à avoir une position exclusive, pour s’assurer des bénéfices maxima. Afin d’empêcher la concurrence, elles privaient les autres marins de leurs avancées cartographiques, et elles interdisaient d’éventuels rivaux par des contrats bilatéraux avec les dirigeants locaux.

Le serment des capitaines n’était pas sans conséquence. Un officier de marine convaincu d’avoir permis la consultation de ses cartes à un tiers aurait été dégradé, privé de commandement, banni de son pays.

Mais une autre conséquence c’est que chaque compagnie devait créer ses propres cartes et malheur à celle qui envoyait ses bateaux dans des zones non encore renseignées chez elle.

Le logiciel libre est issu de l’informatique mais aussi de tous ceux qui, avant lui, se sont battus pour la non appropriation des biens communs.

Notes

[1] Crédit photo : Norman B Leventhal Map center at the BPL (Creative Commons By)




Je suis amoureux de Joss Stone !

Interrogée en 2008 par la chaîne de télévision argentine Todo Noticias sur ce qu’elle pensait du « piratage » de la musique sur Internet, la pétulante chanteuse Joss Stone a eu cette réponse pleine de naturel et spontanéité.

« La musique est faite pour être partagée », rien de plus simple et de plus vrai. Et pourtant certains ne l’entendent pas de cette oreille…

Cela méritait bien un petit sous-titrage maison signé Framalang 😉

PS : Drôlement pétillants ses yeux quand même…

—> La vidéo au format webm
—> Le fichier de sous-titres

Transcript du sous-titrage

URL d’origine du document

Le journaliste : Vous êtes chanteuse et faites partie du show-business maintenant, alors que pensez-vous du piratage de musique sur Internet ?

Joss Stone : Je trouve ça génial.

Le journaliste : Génial ?

Joss Stone : Oui, j’adore ça. Je trouve ça brillant et je vais vous dire pourquoi.

La musique devrait être partagée. Je crois que la musique est devenue un business dingue. La seule chose que je n’aime pas dans la musique, c’est le business qu’il y a autour. Par contre, si la musique est gratuite, il n’y a plus de business, seulement de la musique. Donc, j’aime ça. Je crois que nous devrions partager.

Si un seul l’achète, ça me convient. Gravez-le, partagez-le entre amis, je m’en fiche. Je me fiche du moyen de l’écouter, tant que vous l’écoutez. Tant que vous venez à mon concert, et que vous prenez du bon temps en y assistant, c’est parfait. Je m’en fiche. Je suis contente qu’ils l’écoutent.

Le journaliste : Je pense que vous êtes la première chanteuse à me répondre ça.

Joss Stone : Car la plupart des gens ont subi un… lavage de cerveau.




Internet favorise l’anglicisation, la robotisation et la globalisation du monde ?

Pink Sherbet Photography - CC byUne courte traduction à la sauce « Café Philo » qui n’est là que pour engager un petit débat avec vous dans les commentaires si vous le jugez opportun.

Anglicisation, machinisation et mondialisation sont ici trois arguments qui font dire à l’auteur qu’Internet est loin d’être neutre et nous oblige implicitement ou explicitement à adopter certaines valeurs, avec toutes les conséquences que cela implique[1].

Peut-être ne serez-vous pas d’accord ? Peut-être estimerez-vous que l’on enfonce des portes ouvertes ? Peut-être ajouterez-vous d’autres éléments à la liste ?

Les commentaires vous attendent, même si il est vrai que le débat s’est lui aussi déplacé, des forums et des blogs vers les Facebook et Twitter (et en se déplaçant il a changé de nature également).

Un billet à rapprocher par exemple des articles suivant du Framablog : Code is Law – Traduction française du célèbre article de Lawrence Lessig, Internet et Google vont-ils finir par nous abrutir ?, Quand Internet croit faire de la politique ou encore notre Tag sur Bernard Stiegler.

Utiliser Internet nous force-t-il à adhérer automatiquement à certaines valeurs ?

Does the use of the internet automatically force us to accept certain values?

Michel Bauwens – 19 janvier 2011 – P2P Foundation
(Traduction Framalang : Martin et Goofy)


Ci-dessous une intervention de Roberto Verzola, extraite de la liste de diffusion « p2p-foundation » :

« Je suis assez d’accord avec Doug Engelbart, l’inventeur de la souris, quand il dit que nous façonnons nos outils, et que nos outils nous façonnent à leur tour. Il parle d’une co-évolution de l’homme et de ses outils. Nous devrions peut-être appeler cela « un déterminisme réciproque ». Quand il dit « nous façonne », je suppose que le « nous » désigne aussi les relations sociales.

E.F. Schumacher (Small is Beautiful) va plus loin encore et je suis aussi entièrement d’accord avec lui. Il écrit (dans Work) que dès lors que nous adoptons une technologie (conçue par quelqu’un d’autre probablement), nous absorbons l’idéologie (une manière de voir les choses, un système de valeurs) qui va avec. Schumacher pensait que beaucoup de technologies venaient imprégnées d’idéologies, et que ceux qui pensaient pourvoir en importer une en refoulant l’idéologie qui va avec se trompent. Cette vision met sûrement plus l’accent sur le « déterminisme technologique » que celle de Engelbart, mais je pense tout de même que E.F. Schumacher a raison, du moins pour certaines technologies.

En fait, j’ai analysé Internet avec la perspective de Schumacher, et j’y ai trouvé quelques états d’esprit et systèmes de valeurs que ses utilisateurs sont obligés d’absorber, souvent sans en prendre conscience (pour avoir la liste entière suivre ce lien). Il me suffira d’en mentionner trois :

1. L’usage généralisé de l’anglais dans les technologies liées à Internet, jusqu’aux micro-codes des microprocesseurs, nous force à apprendre l’anglais. Et si vous apprenez la langue anglo-saxonne, vous allez sûrement acquérir certains goûts anglo-saxons. Apprendre la langue, c’est choisir la culture.

2. L’esprit de robotisation : remplacer les hommes par des machines. Cela prend du sens dans un pays riche en capital (même si ça se discute), mais beaucoup moins dans un pays où le travail prévaut. Quand nous remplaçons la force musculaire par celle des machines, nous sommes en moins bonne santé. Mais que va-t-il se passer si l’on substitue des machines au travail mental ?

3. Le parti pris implicite (en fait, une subvention) en faveur des acteurs globaux, et pour la mondialisation. C’est flagrant si l’on considère la struture des coûts sur Internet : un prix indépendant des distances. Un fichier de 1 Mo envoyé à un collègue utilisant le même fournisseur d’accès à Internet coûte le même prix qu’un fichier de taille équivalente envoyé à l’autre bout du globe. Pourtant le deuxième utilise bien plus de ressources réseau (serveurs, routeurs, bande passante, etc.) que le premier. Ainsi les utilisateurs locaux paient plus par unité de consommation de ressources que les utilisateurs globaux, ce qui est une subvention déguisée à la mondialisation intégrée à Internet tel qu’il est aujourd’hui.

Devons-nous pour autant rejeter cette technologie ? La réponse de Schumacher dans les années 1970 était une technologie intermédiaire/appropriée. Aujourd’hui, Schumacher reste pertinent, seul le vocabulaire a peut-être changé. J’ajouterais que nous devons aussi être impliqués dans la re-conception de la technologie. C’est pourquoi parler d’un Internet alternatif sur cette liste m’intéresse beaucoup.

Je ne voudrais pas m’attacher à priori à une conception figée, que ce soit celle des « choses » qui déterminent les relations sociales, ou celle des relations sociales qui déterminent les « choses ». Je voudrais explorer ces perspectives au cas par cas, et utiliser toute suggestion nouvelle et utile qui pourrait se présenter, qu’elle puisse venir de l’une ou de l’autre (ou des deux). »

Notes

[1] Crédit photo : Pink Sherbet Photography (Creative Commons By)




Ce que pense Jimmy Wales des App Stores et de la Neutralité du Net

Joi Ito - CC byVoici une courte traduction qui fait en quelque sorte la jonction entre les 10 ans de Wikipédia et notre récent billet évoquant la difficile cohabitation entre l’App Store d’Apple et les logiciels libres.

Il n’y pas que les libristes qui critiquent ces plateformes et qui y voient un possible « nœud d’étranglement », il y a aussi le fondateur de Wikipédia[1].

Pour ce qui concerne la neutralité du Net, il se montre plus prudent en ne partageant pas l’alarmisme de certains, mais il reconnaît que son avis est « fluctuant » sur le sujet.

Jimmy Wales, de Wikipédia : les App stores, une menace claire et actuelle

Wikipedia’s Jimmy Wales: App stores a clear and present danger

John Lister – 13 janvier 2011 – Tech.Blorge
(Traduction Framalang : Olivier Rosseler)

Le modèle des plateforme de téléchargement d’application (NdT : ou App Stores, du nom de la plus célèbres d’entre elles, celle d’Apple) est une menace plus immédiate pour la liberté d’Internet que les entorses à la neutralité du Net. C’est l’opinion de Jimmy Wales, le boss de Wikipédia.

D’après Wales, qui a clairement insisté sur le fait qu’il parlait en son nom propre, les plateformes de téléchargement d’applications, comme l’App Store d’iTunes, peuvent devenir des « nœuds d’étranglements très dangereux. » D’après lui, il est temps d’évaluer si ce modèle est « une menace pour la variété et l’ouverture des écosystèmes » en avançant que « lorsque nous achetons un appareil, nous devrions en avoir le contrôle. »

Wales s’exprimait lors d’un évènement à Bristol, en Angleterre, à l’occasion de l’anniversaire des 10 ans de Wikipédia. Pour lui, les inquiétudes exprimées sur la neutralité du Net ne sont souvent qu’hypothétiques et ne représentent pas un danger immédiat. Il reconnaît cependant que le sujet est complexe et que sa propre opinion est « sujette aux fluctuations » (ce qui signifie apparemment qu’il ne suivrait pas aveuglément un principe strict quelle que soit la situation). Il trouve que les arguments de la campagne pour la neutralité du Net sont « largement alarmistes » et plus centrés sur des craintes que sur des faits.

Wales s’est livré à une session de questions/réponses après une présentation sur le passé, le présent et le futur de Wikipédia. Il y cite notamment le tweet d’un enseignant qui disait : « Hier, j’ai demandé à une de mes étudiantes si elle savait ce qu’est une encyclopédie et elle m’a répondu « Quelque chose comme Wikipédia ? ». » D’après Wales, de tels exemples montrent que « la qualité de Wikipédia est un enjeu culturel majeur. » Mais il insiste sur le fait que les étudiants ne devraient pas citer WIkipédia dans leurs essais ou leurs dissertations, ni aucune autre encyclopédie d’ailleurs.

Partant du constat que 87% des contributeurs de Wikipédia sont des hommes, d’âge moyen 26 ans, et que les docteurs sont deux fois plus représentés que dans la population globale, l’un des plus grands défis du site est, selon lui, de s’ouvrir à une population plus diverse de contributeurs. Une solution serait de simplifier le système d’édition, éliminer autant que possible tout ce qui fait appel aux codes. Il reconnaît en particulier que la création de tableaux est un véritable « cauchemar ».

Mais il insiste également sur le fait que Wikipédia ne déviera pas de son but premier. S’il concède que l’ajout de fonctionnalités comme les e-mails ou le chat pourrait attirer plus de visiteurs, ce qui est l’objectif de services commerciaux, cela ne profiterait pas nécessairement à la qualité du contenu de Wikipédia, qui, d’après lui, devrait « égaler celle de l’encyclopédie Britannica, voire faire mieux. »

Notes

[1] Crédit photo : Joi Ito (Creative Commons By)




Les 10 ans de Wikipédia : une occasion médiatique manquée pour le logiciel libre ?

Wikimedia Italia - CC by-saWikipédia célèbre ses dix ans et je me réjouis bien entendu d’observer que l’évènement bénéficie légitimement d’une large couverture médiatique.

En quantité mais aussi et surtout en qualité, car il semble définitivement révolu le temps de l’incompréhension voire d’une certaine hostilité de la grande presse vis-à-vis de l’encyclopédie. Avoir des articles dédiés (et éclairés) dans les versions papiers du Monde ou de Libération permet aussi de mesurer le chemin parcouru[1].

Vous me voyez cependant contraint ici de faire, l’espace d’un court instant, mon schtroumpf grognon au milieu du concert de louanges. Parce que lorsque l’on regarde un peu dans le détail la revue de presse francophone occasionnée par cette date anniversaire, on constate que le logiciel libre est totalement occulté.

Vous me direz que ce n’est ni le sujet, ni le lieu, ni le moment. Vous me direz qu’il est normal que les journalistes adoptent l’angle de l’interview des fondateurs, du témoignage de collaborateurs, ou du « Wikipédia, comment ça marche ? » (ou, mieux encore, « comment ça marche, alors que ça ne devrait pas marcher ! »). Vous me direz aussi que je pêche par égocentrisme libriste. Mais de là à ne jamais évoquer le logiciel libre…

Il est vrai aussi que cette affirmation péremptoire repose sur une méthode sujette à caution. J’ai ouvert à ce jour tous les articles francophones glanés sur le Web qui me semblaient parler des 10 ans de Wikipédia, en cherchant rapidement l’occurrence « libre » dans le corps du texte. Je suis parfois tombé sur « librement diffusable » ou « encyclopédie libre » mais jamais sur « logiciel(s) libre(s) » (ni « licence libre » d’ailleurs).

À une exception près, l’article du Monde (odieusement pompé ici) où l’on peut lire ceci :

Un projet un peu fou : concevoir une encyclopédie en ligne, gratuite, rédigée par des internautes, à laquelle tous, experts ou néophytes, pourraient contribuer, en créant, complétant ou corrigeant les articles grâce à un outil inspiré des logiciels libres, le « wiki  », permettant un travail collaboratif.

Oui, bien sûr, Wikipédia repose sur le logiciel libre Mediawiki, mais ce n’est pas, loin de là, le seul point commun et la seule filiation possible.

« Au commencement était Nupedia… », nous rapelle 01net. Tandis que Jimmy Wales soigne sa légende dans cette vidéo : « J’ai écrit Hello World et j’ai invité les gens à participer ». Factuellement parlant, c’est certainement bien là le début de cette extraordinaire aventure.

Mais cela n’aurait été ni scandaleux ni inopportun de remonter encore un peu plus loin, de remonter aux sources – si j’ose dire – en affirmant, pourquoi pas, que : « Au commencement était le logiciel libre… » (ceci dit, je vous l’accorde, au commencement était Internet aussi !).

Je ne prétends évidemment pas que Wikipédia n’aurait jamais existé sans le logiciel libre. Mais il est indéniable que son expérience, ses méthodes, ses outils (techniques et juridiques), ses combats (contre le copyright, les formats fermés, etc.) lui ont profité et ont participé à son succès. Dans un contexte historique où l’on dresse des bilans et expose la genèse, c’est dommage de ne pas l’avoir cité au moins une seule fois, cela aurait pu mettre la puce à l’oreille à de nombreux lecteurs lambdas.

La présidente de Wikimedia Fance, Adrienne Alix, a eu la bonne idée de récolter les témoignages de quelques pionniers présents aux tous débuts du projet. Morceaux choisis :

« À l’époque, on était en plein dans le haut de la vague du mouvement open source, et cette communauté de bénévoles créant une encyclopédie libre correspondait parfaitement à l’esprit de ce mouvement open source. » (Buzz)

« Wikipédia faisait déjà sensation dans le milieu Libre, projet titanesque qui faisait des petits dans le monde entier. » (Bobby)

« Wikipédia n’était à l’époque pas très connue du grand public mais on en parlait beaucoup dans le milieu du logiciel libre (…) C’est l’idée de transposer les concepts du logiciel libre à d’autres domaines, en dehors de l’informatique, que je trouvais séduisante. » (Polletfa)

« Le mouvement du logiciel libre partage lui aussi des connaissances, il manquait un outil pour le savoir d’une manière générale. » (Hashar)

« Venant du logiciel libre et du monde de l’informatique, j’étais idéologiquement et pratiquement prédisposé à aimer Wikipedia. Trouver Wikipédia formidable allait donc de soi pour moi (…) Je me suis investi plus car j’y ai vu rapidement la promesse de voir les principes du logiciel libre dépasser le cadre de l’informatique (…) La motivation était donc avant tout politique. » (Kelson)

« A la fois partager mes connaissances mais aussi encourager l’esprit du libre, du gratuit, par opposition à la logique financière. Je suis, bien évidemment, un grand défenseur des logiciels libres, et de la libre diffusion de la culture et de l’information. Les droits d’auteur sont une notion dépassée et surclassée par les technologie de l’information ! » (Tonnelier)

Je précise que nous ne sommes pas le seuls à souligner cette filiation, puisque même l’article Wikipédia de Wikipédia le dit 😉

Wikipédia vise à être une encyclopédie libre, ce qui signifie que chacun est libre de recopier l’encyclopédie, de la modifier et de la redistribuer. Cette notion de contenu libre découle de celle de logiciel libre, formulée avant Wikipédia par la Free Software Foundation.

Par ses objectifs et son fonctionnement, le projet Wikipédia s’inscrit dans une série de filiations culturelles dont le concept du copyleft, inventé par Don Hopkins et popularisé par Richard Stallman de la Free Software Foundation, par lequel un auteur autorise tout utilisateur à copier, modifier et distribuer son œuvre, mais aux mêmes conditions d’utilisation, y compris dans les versions modifiées ou étendues, ainsi que la pratique du travail collaboratif sur Internet, développé notamment chez les informaticiens par les adeptes du logiciel libre.

Qu’un journaliste ait bien compris ce lien fort entre Wikipédia et logiciel libre mais l’ait ignoré par manque de place ou parce qu’il le jugeait secondaire, cela m’attriste mais c’est son choix au demeurant tout à fait respectable. Mais Il y a une autre hypothèse, celle du journaliste non informé sur qui l’on ne risque pas encore de pouvoir compter.

Ni sentiment d’ingratitude, et encore moins de jalousie, juste une pointe de frustration pour ceux qui, comme moi, travaillent à faire la promotion du logiciel libre en France et en Navarre. Sur ce, pas de quoi en faire un fromage, et je m’en retourne faire la fête avec mes amis wikipédiens 😉

Avant je disais : « Wikipédia, c’est comme un logiciel libre mais pour les encyclopédies ». Désormais je vais privilégier la formule : « Un logiciel libre, c’est comme Wikipédia mais pour les logiciels ».

Notes

[1] Crédit photo : Wikimedia Italia (Creative Commons By) – « Tieni accesa Wikipedia » – Il est remarquable de constater que les trams du centre ville de Milan ont participé à la campagne de dons en offrant des tarifs préférentiels à l’association Wikimedia Italia.




À qui la faute si les logiciels libres sous licence GPL sont éjectés de l’App Store ?

Chris Willis - CC byOn peut reprocher beaucoup de choses à Microsoft mais jamais on n’a vu un logiciel libre empêché de tourner sous Windows parce que la licence du premier était incompatible avec le contrat d’utilisation du second (sinon un projet comme Framasoft n’aurait d’ailleurs pas pu voir le jour).

Il semblerait qu’il en soit autrement avec Apple et son App Store, la plateforme de téléchargement d’applications pour les appareils mobiles fonctionnant sous iOS (iPod, iPhone et iPad).

C’est que révèle la récente « affaire VLC », célèbre logiciel libre de lecture vidéo, dont la licence semble tant et si bien poser problème à Apple qu’il a été brutalement et unilatéralement décidé de le retirer de l’App Store.

Et tout le monde se retrouve perdant, à commencer par l’utilisateur qui ne pourra plus jouir de cette excellente application sur son iPad & co[1].

Derrière ce malheureux épisode (qui n’est pas le premier du genre) se cache une question en apparence relativement simple : logiciels libres et App Store peuvent-ils cohabiter ? Un logiciel, dont les libertés d’usage, de copie, de modification et de distribution, sont garanties par sa licence, peut-il se retrouver dans un espace dont le contrat stipule un nombre limité de copies sur un nombre limité de machines ? Et comme la réponse est en l’occurrence négative, le risque est réel de voir les logiciels libres totalement écartés de l’App Store, et par extension des nombreuses autres plateformes privées qui poussent comme des champignons actuellement.

Mais attention, il s’avère que dans le détail c’est plus complexe que cela. Et c’est pourquoi nous avons pris la peine d’ajouter notre grain de sel au débat en traduisant l’article ci-dessous qui résume assez bien à nos yeux la situation. C’est complexe mais ça n’en est pas moins intéressant voire enrichissant car les particularités de la situation éclairent et illustrent de nombreux aspects du logiciel libre.

Il convient tout d’abord de préciser que ce n’est pas le logiciel libre en général mais le logiciel libre sous licence GPL (et son fameux copyleft) qui est pointé du doigt ici. Ensuite il y a l’existence d’un troisième larron en la personne de la société Applidium à qui l’on doit le portage de VLC dans iOS et sa présence dans l’App Store (dans un premier temps accepté puis aujourd’hui refusé). App Store dont les règles d’utilisation définies par Apple sont floues et changeantes. Enfin c’est bien moins la « communauté VLC » dans son ensemble que l’un de ses développeurs qui est impliqué dans cette histoire.

Choisir de placer son logiciel sous licence libre, a fortiori sous licence GPL, n’est pas un acte anodin. La liberté « en assurance-vie » que vous offrez là à vos utilisateurs peut s’opposer parfois frontalement à d’autres logiques et objectifs.

Tout le monde se retrouve perdant, mais le logiciel libre le serait davantage encore s’il devait céder en y perdant son âme.

La GPL, l’App Store et vous

The GPL, the App Store, and you

Richard Gaywood – 9 janvier 2011 – Tuaw.com
(Traduction Framalang : Olivier Rosseler et PaulK)

Mon collègue Chris a rédigé un article sur l’éviction de l’App Store du célèbre logiciel de lecture video VLC, après la plainte d’un développeur du projet sur la base d’une violation de la GNU Public License (l’application a depuis été mise à disposition sur Cydia pour les appareils jailbreakés).

Les réactions de la blogosphère Mac ont été virulentes après cette décision, et Chris s’est admirablement fait l’avocat des plaignants. Mais il ne faut pas oublier qu’une histoire a toujours plusieurs versions (et que la vérité se trouve souvent à mi-chemin entre les deux). Aujourd’hui, je me fais avocat de la défense : pourquoi Rémi Denis-Courmont était parfaitement dans son bon droit. Mais pour mieux étayer mon argumentation, je vais revenir un peu sur l’historique de l’Open Source. Alors accrochez-vous !

Commençons par le commencement : pourquoi VLC a été retiré de l’App Store

L’histoire a déjà été traitée, mais voici quelques faits que vous devez connaître. VLC (hébergé à l’adresse http://videolan.org) est un lecteur audio et vidéo complet, multi-plateforme qui a maintes fois fait ses preuves. VLC est publié sous la version 2 de la licence GNU Public License (GPL). Une entreprise nommée Applidium, sans lien avec le projet, a utilisé le code source de VLC pour en faire une application pour iOS gratuite, afin que les utilisateurs d’iPhone et d’iPad puissent s’en servir pour lire plus de formats de fichiers que leur appareil n’en supporte nativement, comme les fichiers AVI et MKV. En accord avec la GPL, Applidium a libéré le code source de la version modifiée de VLC.

L’accueil reçu par ce projet sur les listes de diffusion des développeurs de VLC fut contrasté. Alors que certains développeurs n’y voyaient pas d’inconvénient, le portage de leur travail (censé être ouvert) sur une plateforme, iOS, connue pour sa fermeture et ses restrictions sur la ré-utilisation du code des applications distribuées sur l’App Store, gênait les autres. En point d’orgue de cette histoire, l’un des développeurs, Rémi Denis-Courmont (auteur d’une bonne partie du code de VLC) demanda à Apple de retirer l’application VLC pour iOS de l’App Store pour violation de la GPL, à laquelle est soumise sa contribution au projet.

Finalement, quelques mois plus tard, il semblerait qu’Apple ait obtempéré sans poser de question puisque l’application a été retirée. Denis-Courmont s’interroge malgré tout sur les délais. Si c’était effectivement la réponse d’Apple à sa demande, l’entreprise aurait pu agir bien plus tôt.

Et donc, qui est dans le vrai ?

Une courte histoire des licences Open Source

Tout d’abord, à quoi sert l’Open Source ? Parfois, des programmeurs initient des projets sur leur temps libre (ou en tant qu’universitaire, ne subissent pas les pressions commerciales, tous les systèmes d’exploitation basés sur Unix trouvent leurs racines dans l’Open Source et dans les universités, ce qui n’est pas une coïncidence), puis ils deviennent trop gros pour s’en sortir seuls. Une aide extérieure est la bienvenue, par exemple pour réparer les bogues ou pour ajouter de nouvelles fonctionnalités, et grâce à Internet les volontaires sont nombreux. Ils mettent donc le code sous une licence Open Source afin d’en publier la source et de recruter des collaborateurs.

Dit ainsi, ça paraît assez utopique, mais le fait est que de nombreux logiciels de qualité sont nés ainsi, grâce à l’Open Source : le compilateur C GCC, le noyau Mach, le serveur web Apache HTTPd, l’interface de commande bash, les langages de programmation Perl et Python et le moteur de rendu Webkit utilisé par Safari. Ces quelques exemples ainsi que des centaines d’autres sont tous Open Source et font tous partie de Mac OS X. Apple utilise donc clairement l’Open Source.

Au-delà des logiciels, nous devons Wikipedia à la famille des licences Creative Commons, créées pour étendre les idées des logiciels Open Source à d’autres activités créatives. On peut même dire que l’Open Source reproduit approximativement les processus scientifiques où les chercheurs publient leurs méthodes et leurs découvertes librement afin que d’autres chercheurs puissent s’appuyer sur leurs travaux. Ce sont là des concepts très importants à mes yeux puisque je suis titulaire d’un doctorat en informatique. Je pense que l’on peut s’accorder sur le fait que les idées derrière les logiciels libres nous sont bénéfiques à tous.

Prenons l’exemple d’Alice, une programmeuse qui a écrit un petit utilitaire. Un autre programmeur, Pierre, apprécie beaucoup son programme, mais il voudrait le modifier pour qu’il réponde mieux à ses besoins. Alice décide alors de dévoiler le code source de son programme pour que Pierre puisse y apporter des changements.

La licence la plus simple qu’Alice puisse appliquer à son code est celle du domaine public. Cela signifie que l’auteur a volontairement abandonné tous ses droits sur le code et que chacun peut en faire ce qu’il veut. Pierre peut faire ses modifications et garder la nouvelle version pour lui-même, ou ouvrir sa boutique et la vendre. Il peut même en parler à son patron, Paul, chez Microsoft, et peut vendre l’outil d’Alice dans la prochaine version de Windows, sans qu’elle ne touche jamais un centime. Si vous vous dites que c’est pas très juste pour Alice, vous n’êtes pas les seuls. Gardez cet exemple à l’esprit.

Alice a également le choix entre des familles de licences similaires : la licence MIT, la licence BSD et la licence Apache. Grâce à elles, Alice conserve son droit d’auteur sur le code, mais elles octroient également à quiconque le télécharge le droit légal de le modifier et d’en distribuer la version modifiée. Différentes variantes de ces licences imposent également à Pierre de mentionner le nom d’Alice quelque part dans le logiciel, à l’instar de la licence Creative Commons Attribution. Mais rien ne l’empêche de le vendre sans rien verser à Alice en échange.

La GPL et les autres licences copyleft

En réponse à ce problème, la Fondation pour le Logiciel Libre (FSF) a créé la GNU Public License. Elle est aussi appelée copyleft pour bien marquer la rupture qu’elle représente par rapport aux autres licences dont il est question ici. Philosophiquement, la GPL a été créée pour assurer aux utilisateurs de logiciels sous GPL les quatres libertés suivantes :

  • La liberté d’exécuter le logiciel, pour n’importe quel usage ;
  • La liberté d’étudier le fonctionnement d’un programme et de l’adapter à ses besoins, ce qui passe par l’accès aux codes sources ;
  • La liberté de redistribuer des copies ;
  • La liberté de faire bénéficier à la communauté des versions modifiées.

Évidement, la licence en elle-même est un charabia juridique assez dense, dont le but est d’assurer une validité légale à cette philosophie, mais ces quatre libertés en sont vraiment le cœur. Vous remarquerez que la deuxième et la quatrième libertés imposent que le code source de tout programme sous GPL soit mis à disposition en plus de l’exécutable, que l’on utilise vraiment. C’est la raison pour laquelle de nombreuses entreprises qui font usage de code sous GPL dans leurs produits hébergent des pages entières de code source, comme le fait Netgear par exemple. Alors, évidemment, leurs concurrents peuvent analyser le fonctionnement exact de leurs produits, pourtant ils estiment que cet inconvénient est largement compensé par les avantages qu’il y a à s’appuyer sur des produits Open Source.

Si on reprend notre histoire d’Alice et Pierre, voyons ce qu’il se passe maintenant. Alice rend son code source public. Pierre rédige son patch et décide sournoisement de vendre cette nouvelle version du programme d’Alice. Mais Alice n’est pas bête et voit bien ce qu’il se trame. Elle pose alors un ultimatum à Pierre : soit il rend public le code source de sa version modifiée , soit ils se retrouveront devant un juge pour rupture du contrat grâce auquel il a obtenu la version d’Alice (c’est à dire, la GPL). Bob s’incline évidemment et publie son code. Aucun cas n’est allé jusqu’au tribunal dans la vraie vie. Pour beaucoup, cela prouve que la GPL est valide et incontournable : personne n’ose la contester.

L’App Store et la GPL peuvent-ils co-exister ?

Le conflit le plus évident entre l’App Store et la GPL réside dans la troisième liberté ? « La liberté de redistribuer des copies ».

Ce sujet a été largement débattu, chaque camp avançant ses arguments. Malheureusement, la résultat est que : premièrement, c’est un terrain plutôt flou et deuxièmement, il ne sera jamais certain qu’une des deux partise a plus raison que l’autre sans décision de justice. Il est peu probable que l’on en arrive à une telle situation car Apple (en tant que distributeur de logiciel pour tout l’App Store) n’ira probablement pas se battre en justice pour un logiciel Open Source. Concrètement, tant que le contraire n’est pas prouvé, l’App Store et la GPL sont incompatibles. C’est sans doute l’avis d’Apple en tout cas, ils n’auraient sûrement pas supprimé VLC (et d’autres logiciels Open Source comme GNU Go) de l’App Store dans le cas contraire.

Les membres de la Fondation pour le Logiciel Libre (FSF), auteurs de la GPL ne pensent pas non plus que l’on puisse concilier la GPL et l’App Store. Leur principal argument réside dans la clause suivante de la GPL v2 :

À chaque fois que vous redistribuez un programme (ou n’importe quelle réalisation basée sur le programme), l’utilisateur final reçoit automatiquement une licence du détenteur originel du programme l’autorisant à copier, distribuer et modifier le programme sujet à ces termes et conditions. Vous ne devez imposer à l’utilisateur final aucune autre restriction à l’exercice des droits garantis par la licence.

Regardons maintenant les Règles d’utilisation des produits App Store :

(i) Vous êtes autorisé à télécharger et synchroniser un Produit à des fins personnelles et non commerciales sur tout produit de la marque Apple tournant sur iOS (« Produit iOS ») que vous possédez ou contrôlez.

(ii) Si vous êtes une société commerciale ou un établissement scolaire, vous êtes autorisé à télécharger et synchroniser un Produit destiné à être utilisé soit (a) par une seule personne sur un ou plusieurs Produits iOS que vous possédez ou que vous contrôlez, soit (b) par plusieurs personnes sur un Produits iOS partagé dont vous êtes propriétaire ou que vous contrôlez. Par exemple, un seul salarié peut utiliser le Produit aussi bien sur son iPhone que sur son iPad, ou encore, plusieurs étudiants peuvent utiliser le Produit en série sur un seul iPad situé dans un centre de ressources ou une bibliothèque.

(iii) Vous pourrez simultanément stocker des Produits App Store à partir d’un nombre maximum de cinq Comptes différents sur des Produits iOS compatibles, tels qu’un iPad, un iPod ou un iPhone.

(iv) Vous pourrez procéder à la synchronisation manuelle de Produits App Store à partir d’un ou plusieurs appareils autorisés par iTunes vers des Produits iOS munis d’un mode de synchronisation manuel, à condition que le Produit App Store soit associé à un Compte existant sur l’appareil principal autorisé par iTunes, étant précisé que l’appareil principal est celui qui a été synchronisé en premier avec le Produit iOS ou celui que vous avez ultérieurement désigné comme tel en utilisant l’application iTunes.

Le conseil Légal de la FSF considère ces termes comme des restrictions à l’utilisation que peut faire l’utilisateur des logiciels obtenus sur l’App Store, c’est donc directement une atteinte à la GPL. Il importe peu que le port de VLC sur iOS soit libre. En fait, il aurait été plus simple d’imaginer qu’il ne l’était pas.

Imaginez, si Applidium avait fait payer 5$ pour leur port de VLC, tout en distribuant le code source complet sur leur site web. Rien dans la GPL n’empêche les développeurs de facturer leurs logiciels dérivés, c’est donc convenable. Mike achète une copie du logiciel pour 5$ et veut donner une copie à son ami Steve (c’est son droit, garanti par la GPL), mais il ne peut pas. Steve peut acheter sa propre copie à 5$, mais ne peut pas l’avoir par Mike ; il doit aller voir Apple.

Dans la réalité, VLC était gratuit, ce n’est donc pas gênant pour Steve de ne pas pouvoir dupliquer la copie de Mike ; mais ce ne sera pas forcément le cas avec d’autres logiciels et dans tous les cas, ça ne change rien, étant donné que les termes de la GPL n’acceptent pas plus que l’on restreigne la liberté de partager le logiciel parce que le logiciel dérivé se trouve être gratuit.

Notez que la FSF considère également le fait de ne pouvoir installer la même application que sur cinq iOS en même temps comme une autre restriction aux droits de l’utilisateurs ; cela semble être une erreur, puisque ce terme du contrat n’apparaît que sur la partie dédiée au contenu iTunes du Contrat de l’Utilisateur et ne s’applique donc pas aux applications de l’iOS. Il est également possible que le Contrat de l’Utilisateur pour iTunes ait été modifié après la publication de l’article de la FSF.

Qu’en est-il des autres programmes sous GPL présents dans l’App Store ?

On croit souvent, à tort, que lorsqu’un code est publié sous GPL, il ne peut plus l’être sous une autre licence. Ce n’est pas vrai. Si tous les ayants-droits, c’est-à-dire toutes les personnes ayant contribué au code, se mettent d’accord, le logiciel peut être placé sous une double licence.

Prenez l’exemple de Java. Java est placé sous GPL et Apple a pourtant utilisé la source de Sun pour la modifier (afin que la machine virtuelle Java sous OS X soit mieux intégrée à cet environnement) sans pour autant distribuer le code source de la version modifiée. Comment ? Simplement parce qu’ils ont utilisé le code source de Sun sous une autre licence, ce que Sun pouvait proposer car (à l’époque) le code de Java leur appartenait. Libre à eux donc de l’offrir au monde entier sous GPL tout en le proposant à Apple sous une autre licence.

Mais pour les grands projets, comme VLC, qui acceptent des correctifs publics de la communauté depuis longtemps, il n’est pas envisageable d’obtenir la permission rétroactive de tous les contributeurs pour appliquer une licence double. D’autres projets, en revanche, sont proposés sous GPL mais n’ont jamais accepté de correctifs extérieurs, ce qui signifie que leur code est toujours sous le contrôle d’une seule et même personne ou entreprise. On peut citer l’exemple de Doom, qui est sur l’App Store. BeTrains en est un autre exemple et les développeurs ont récemment décrit comment ils arrivent à concilier GPL et App Store.

Doit-on modifier la GPL pour la rendre compatible avec l’App Store ?

Cette question ne relève plus du problème légal, mais plutôt de la politique des logiciels. Les défenseurs de la GPL adoptent souvent une attitude méfiante, ce qui est, à mes yeux, souvent perçu comme du fanatisme en dehors de la communauté Open Source. Mais pourtant, les violations de la GPL sont malheureusement courantes. Par exemple, une étude récente de Matthew Garret montre que parmi des centaines de tablettes Android, la quasi-totalité violent la GPL. En d’autres termes, les systèmes de tous ces fabricants s’appuyent à 99% sur du code libre mais contiennent 1% de leurs propres modifications. Ensuite ils les vendent comme s’ils étaient à l’origine de la totalité du système.

Il va sans dire que les développeurs qui ont participé à ces projets sur leur temps libre sont indignés par ces pratiques, c’est pourquoi ils condamnent aussi facilement tout ce qui ressemble de près ou de loin à une violation de la GPL. C’est souvent pris pour du fanatisme ou même de l’hostilité, mais au fond, c’est juste l’expression du dégoût de groupes de bénévoles face aux pratiques d’entreprises qui tentent de se faire de l’argent facile avec leur travail.

Sans oublier cette peur que tout signe d’indulgence fasse basculer les choses du mauvais côté, que cela encourage plus encore les entreprises à violer la GPL, et que la FSF, avec ses maigres ressources, n’ait plus les moyens d’identifier et de menacer les entreprises qui se comportent mal pour qu’elles respectent la communauté sur laquelle elles s’appuient.

Les règles de l’App Store doivent-elles changer pour être compatibles avec la GPL ?

C’est ce qu’aimeraient certains développeurs de VLC, comme Ross Finlayson. Plutôt que de voir VLC banni de l’App Store, ils préfèreraient que ses règles soient modifiées afin de créer une exception pour les applications sous GPL. Rien n’est impossible, mais Apple (pourtant bien enclin à piocher largement dans l’Open Source pour créer Mac OS X) n’est pas vraiment réputé pour son ouverture aux compromis lorsqu’on touche à l’App Store. Il y a très peu de chance qu’un tel changement arrive, surtout pour des applications gratuites qui ne rapportent rien à Apple.

Est-ce que VLC pourrait être publié sous une autre licence ?

Actuellement, il serait presque impossible que VLC puisse paraître sous une autre licence, même réservée uniquement à Applidium, car chaque développeur ayant travaillé sur le projet devrait donner son accord, ce qui n’est pas gagné pour certains, dont Denis-Courmont.

Si VLC n’avait jamais été publié sous GPL, ou plutôt, s’ils n’avaient jamais accepté de contributions extérieures placées sous GPL, alors il n’y aurait pas de problème. Mais sans la forte protection apportée par la GPL, ils n’auraient certainement pas attiré autant de contributeurs. Impossible de dire si le projet aurait abouti ou pas.

Conclusion

Lorsqu’un projet choisit une licence comme la GPL ou tout autre licence copyleft, en opposition à des licences plus ouvertes, comme la MIT ou la BSD, les développeurs veulent s’assurer que toutes les œuvres dérivées seront libres. Cette protection a cependant un prix. En choisissant la GPL, l’équipe de développement originelle de VLC a fait la promesse à tous ses futurs collaborateurs que leur travail resterait libre, pour toujours. Ce que dit ouvertement la FSF et ce que concède implicitement Apple, c’est que l’App Store ne reconnaît cette définition de la liberté. Aucune des deux organisations n’est réputée pour accepter des compromis, donc, jusqu’à ce que l’une d’entre eux cède, les applications construites sur du code sous GPL, comme VLC, n’honoreront pas l’App Store de leur présence. C’est dommage, c’est sûr, mais pour les deux camps c’est une question de principes bien plus importants que quelques applications.

Je finirai en m’adressant aux commentateurs : ce débat englobe bien d’autres aspects, certains que j’ai juste abordés, d’autres que j’ai complètement omis, parfois par souci de clarté ou encore par manque de compétence. Je vous demanderai donc simplement d’être indulgents car c’est un sujet complexe et même un article de cette longueur ne permet pas d’en faire le tour. Mais je vous en prie, débattez-en !

Notes

[1] Crédit photo : Chris Willis (Creative Commons By)




Où est le bouton « J’aime pas » Facebook ?

ZuckRépondons sans attendre à la question du titre. Vous trouverez la version française du bouton « J’aime pas » Facebook, ci-dessous, sur le Framablog ! Explications…

Il aurait pu faire comme Le Monde et désigner Julian Assange mais non, le célèbre hebdomadaire américain Time Magazine a choisi le fondateur de Facebook Mark Zuckerberg comme Personnalité de l’année 2010.

Et cette décision est restée un peu en travers de la gorge de la Free Software Foundation, qui du coup vous propose une contre-offensive en détournant ce pernicieux espion traceur que représente le bouton Facebook « J’aime », qui pullule déjà sur d’aussi naïfs que nombreux sites.

Bouton que notre ami Poupoul2 s’est fait un plaisir d’adapter à notre langue et que vous trouverez en pièce-jointe (au format .SVG) à la fin de la traduction du billet de la FSF expliquant et justifiant cette action.

À partager et diffuser sans modération si affinités dans la démarche.

J'aime pas Facebook

Mark Zuckerberg, personnalité de l’année selon TIME Magazine ? Où est le bouton « J’aime pas » ?

Mark Zuckerberg is TIME Magazine’s Person of the Year? Where’s the “dislike” button?

Matt Lee et John Sullivan – 4 janvier 2011 – FSF.org
(Traduction Framalang : Julien et Antistress)

TIME Magazine fait l’éloge de Mark Zuckenberg pour avoir créé un système qui a interconnecté les gens du monde entier.

Malheureusement, les conditions sous lesquelles il prétend avoir réalisé cela a créé un épouvantable précédent pour notre avenir — s’agissant de la maîtrise des logiciels que nous utilisons pour interagir avec les autres, du contrôle de nos données et de notre vie privée. Les dégâts ne sont pas limités aux utilisateurs de Facebook. Parce que tant de sites — y Compris TIME — utilisent le bouton Facebook « J’aime » de traçage des internautes, Zuckerberg, est capable de collecter des informations sur des personnes qui ne sont même pas utilisatrices de son site. Ce sont des précédents qui entravent notre capacité à nous connecter librement les uns aux autres. Il a créé un réseau qui est avant tout une mine d’or pour la surveillance gouvernementale et les annonceurs publicitaires.

Tout cela est bien connu s’agissant du comportement du site Facebook lui-même et de ses relations avec l’extérieur — mais les choses pourraient s’avérer en fait bien pires. Les utilisateurs de Facebook ne se connectent pas directement entre eux. Ils parlent à M. Zuckenberg qui commence par enregistrer et stocker tout ce qui est dit, et, alors seulement, le transmet éventuellement à l’utilisateur destinataire, si ce qui est dit lui convient. Dans certains cas, il ne le fait pas — comme en sont témoins les récents comptes-rendus montrant que le service de messagerie de Facebook bloque des messages en se basant sur les mots et liens qu’ils contiennent, parce que ces liens pointent vers des services que Facebook préférerait que l’on évite de mentionner.

Heureusement, il y a de nombreux efforts en cours pour fournir des services distribués, contrôlés par l’utilisateur, permettant de faciliter la mise en relation entre les gens, dont GNU social, status.net, Crabgrass, Appleseed et Diaspora. Ces services n’auront pas les mêmes types de problèmes parce qu’à la fois le code permettant le fonctionnement du réseau et les données échangées seront entre les mains des gens qui communiquent.

Ces efforts finiront par être couronnés de succès. Nous espérons que, lorsque ce sera le cas, TIME réparera son erreur d’appréciation en décernant le titre de la Personnalité de l’année avec plus de discernement.

Not Facebooked Me - FSF

Copiez et collez ce code dans votre propre site :

<a href="http://www.fsf.org/fb"><img src="http://static.fsf.org/nosvn/no-facebook-me.png" alt="Not f'd — you won't find me on Facebook" /></a>

En attendant, vous pouvez encourager les gens à ne pas se connecter à Zuckenberg lorsqu’ils croient qu’ils se mettent en rapport avec vous, en plaçant ce bouton sur votre blogue ou site web, avec un lien vers la méthode que vous préférez qu’ils utilisent pour vous contacter directement — peut-être votre compte sur identi.ca ou tout autre serveur status.net.

Sinon, vous pouvez faire pointer un lien vers ce billet ou tout autre article qui souligne les problèmes avec Facebook, tel que « Des amis tels que ceux-ci… » (NdT : dont il existe une traduction en français) de Tom Hodgkinson, ou les ressources disponibles sur http://autonomo.us — en particulier la « Déclaration sur la Liberté et les Services Réseaux de Franklin Street » (NdT : nommée d’après l’adresse des bureaux de la FSF à Boston).

Notre bouton n’est évidemment pas relié à une quelconque base de données de surveillance ou autre système de traçage.

Téléchargez notre bouton « J’aime pas » et ajoutez le à votre site web, ou imprimez vos propres autocollants.

Tous les boutons sont mis à disposition sous la licence Creative Commons Paternité – Partage des Conditions Initiales à l’Identique (CC BY SA).

Vous êtes libre de modifier les boutons, mais veuillez garder la mention des créateurs originaux intacte, et assurez-vous que vos boutons soient sous la même licence.

Vous ne me trouverez pas sur Facebook