La démocratie 2.0 à l’œuvre en France pour défendre la neutralité du réseau

Codice Internet - cc-by-saSujet récurrent depuis maintenant de nombreuses années, la Neutralité du Net, principe pourtant fondateur de l’Internet, est de plus en plus menacée. En France, plusieurs lois récentes l’attaquent, comme la Hadopi, la Loppsi ou l’Arjel. Mais c’est le cas partout en Europe, comme au Royaume Uni, en Allemagne ou en Italie. Et finalement, le reste du monde n’est pas non plus dans une ère favorable aux libertés comme on le constate en Australie ou en Nouvelle-Zélande, ainsi que dans beaucoup d’autres démocraties et de non-démocraties. La Neutralité du Net n’existe tout simplement plus en Chine ou en Iran ainsi que dans d’autres pays qui tentent ouvertement de contrôler l’opinion publique.

Les enjeux de cette Neutralité sont considérables, tant sur un plan économique, que politique et culturel. C’est l’existence même du réseau qui est en cause, car la Neutralité du Net c’est la prévention des discriminations à l’égard de la source, de la destination et du contenu de l’information transmise via le réseau.

Préserver cette situation de non-privilèges dans les télé-communications pourrait être naturel pour tous, mais ça ne l’est apparemment pas pour les fournisseurs d’accès à Internet, quand bien même la loi française définit la neutralité des réseaux de communication de manière claire et sans équivoque :

Article L32-1 du Code des Postes et communications électroniques :
II.-Dans le cadre de leurs attributions respectives, le ministre chargé des communications électroniques et l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (note: ARCEP) […] veillent :
« 5° Au respect par les opérateurs de communications électroniquesdu secret des correspondances et du principe de neutralité au regard du contenu des messages transmis, ainsi que de la protection des données à caractère personnel; »
« 13° Au respect de la plus grande neutralité possible, d’un point de vue technologique, des mesures qu’ils prennent […] »

C’est cette liberté de transmission qui met tous les utilisateurs d’Internet sur un pied d’égalité, qui donne la même chance à tout le monde (qu’on soit une multinationale ou un artisan local) et qui permet à tous de recevoir et de distribuer l’information de son choix, et ce, quelques soient ses ressources financières ou son statut. C’est grâce à cette « neutralité » que de petites entreprises peuvent se faire connaître sur la toile et que les petits projets libres peuvent se développer. C’est comme ça que sont apparus Microsoft (un lecteur nous indique en commentaire que l’ancienneté de Microsoft, créé 1975, dessert l’argument, lisons donc « eBay » à la place), Google, ou Facebook… Et maintenant, des projets prometteurs voient le jour tels que Seeks, Diaspora ou Movim et peuvent se développer sans se faire phagocyter voire interdire par leurs « aînés » devenus d’influentes puissances commerciales.

Pourtant, aujourd’hui de nombreux opérateurs de télécommunications (Orange, Comcast, SFR, Free…) mais aussi des gouvernements souhaitent remettre en cause cette neutralité dans le but de monopoliser, ou de censurer les différents flux d’information, les protocoles, les sites, les blogs, nos paroles.

On peut parler entre autres de l’affaire Free / Dailymotion, de la polémique que le filtrage du Port 25 (SMTP) par Orange a suscité, de la loi LOPPSI ou de la loi sur les jeux en lignes (ARJEL) et de son obligation de filtrage alors qu’il a été démontré, plusieurs fois, que ce filtrage est impossible et peut avoir des effets collatéraux dangereux et simplement sans précédents. Autant de « petits » détails qui nous rappellent que la liberté d’expression, rendue possible par le numérique [1], est menacée et que la liste des dérives s’allonge.

Les gouvernements eux, cherchent à mettre en place des techniques de filtrage du réseau, bridant notre liberté d’expression (Hadopi en France), ou dans le but d’avoir la mainmise sur les organes de presses (Berlusconi en Italie), pour empêcher les manifestants de se concerter (Iran), ou filtrer des sites prétenduement « pédophiles » (Australie)…

C’est dans ce contexte qu’une loi sur la Neutralité du Net vient d’être proposées en France pour la fin de l’année. Et elle est bienvenue car la lecture du rapport « La neutralité de l’Internet. Un atout pour le développement de l’économie numérique » de la secrétaire d’État chargée de la Prospective et du Développement de l’économie numérique Nathalie Kosciusko-Morizet (UMP), fait froid dans le dos, comme le disait récemment Benjamin Bayart sur Écrans.fr : « Dans ce rapport, ce qui saute aux yeux, c’est l’incompétence ». Et en effet, de l’incompétence on en trouve dans ce rapport mais pas seulement, on trouve également des traces de lobbyisme de vendeurs de contenus ayant racheté un FAI, ou de FAI ayant acheté du contenu à vendre

C’est un autre personnage politique donc, le député Christian Paul (PS), qui a mis en ligne sur son blog une ébauche de proposition de loi consacrant la Neutralité du Net.

Pour compléter cette ébauche, il invite les citoyens à commenter et améliorer le texte en-ligne grâce à un outil libre : co-ment. Et il a également rédigé une tribune ré-affirmant l’importance de la Neutralité du Net en guise d’introduction à son projet de loi. C’est cette tribune, publiée conjointement sur Numérama et sur son blog (sous licence libre) que nous vous invitons à lire ci-dessous.

Il est primordial de réaliser l’importance de la Neutralité du Net et d’établir des règles pour la pérenniser. Cette loi ne doit pas être faite dans l’intérêt privé de certains groupes industriels, mais pour et par les citoyens. La France pourrait, sur ce sujet, retrouver ses Lumières et montrer la voie à suivre…

Merci à Skhaen pour la rédaction originale de cette introduction.

Proposition de loi visant à affirmer le principe de neutralité de l’internet, et son contenu

Christian Paul – 16 août 2010 – Numerama

I had a dream… J’ai fait un rêve, ou plutôt un cauchemar. Je me réveillais en 2030, buvais une tasse de café noir, puis allumais mon ordinateur, et me voyais soudain interdire l’accès à l’Internet. Mes dernières déclarations sur les pratiques abusives des géants de l’Internet n’y étaient certainement pas pour rien. Ou, du moins, quelques propos sur le « filtrage de bordure », directement intégré à ma « box » sous prétexte de lutte contre les contenus illicites, avec un « moteur de contrôle » jugeant automatiquement de la légalité de mes faits et gestes. Le service où je publiais jusqu’ici régulièrement des tribunes (lointain successeur de Médiapart, de Rue 89 ou de Numérama !), où j’avais accès à une information que l’on ne trouvait plus forcément dans les médias traditionnels, venait de fermer, après une longue descente aux enfers au gré de la généralisation des accords de priorisation de certains services et contenus. Un de mes principaux canaux d’expression avait disparu.

Ces derniers temps, ma « box » Internet me conseillait fermement (m’imposait même parfois) plusieurs heures par jour le visionnage de programmes choisis par mon opérateur. J’étais certes informé de cette limitation, mais que faire alors que tous les opérateurs se comportaient à l’identique et que le contournement de ce dispositif de contrôle était passible de prison ? J’avais eu par ailleurs à changer ces dernières années plusieurs fois d’équipement, au gré des accords exclusifs entre mon FAI avec le constructeur ou l’éditeur le plus offrant. Mes plaintes contre cette censure et cette vente forcée avaient été classées sans suite par le procureur compétent du tribunal de Nevers.

Je me souvenais alors qu’il y a plus de 20 ans, l’irruption de l’Internet portait la promesse d’une croissance durable de la diversité, de nouvelles médiations, d’un plus grand accès à l’information et à la culture et d’une amélioration du droit réel à l’initiative économique pour le plus grand nombre.

Mais depuis son ouverture au grand public au milieu des années 90, les coups de canifs à la liberté et l’égalité des utilisateurs du « réseau des réseaux » s’étaient multipliés. Les réseaux « de pair à pair » avaient été combattus en tant que tel, alors qu’ils ne sont pourtant que de simples outils dont seuls certains usages sont répréhensibles. Le choix de l’appareil de raccordement au réseau, la « box », avait progressivement été imposé aux particuliers par tous les opérateurs. Les services « exclusifs » s’étaient généralisés, après une période transitoire où ils étaient seulement plus prioritaires que les autres.

Retour à 2010, au cœur de l’été. Pourquoi faut-il s’inquiéter ? Le cadre juridique garantissant nos libertés a considérablement évolué [2], et les dernières années ont donné le signal de la régression. Mais aujourd’hui, le socle même de ces libertés est en jeu, du fait de l’évolution du cadre technique que préfigurent les débats actuels. Comme le dit Lawrence Lessig, « Code is Law », « le logiciel et le matériel font du cyberespace ce qu’il est » [3]. Pour autant, la menace n’est pas que technique. Jiwa, sur lequel j’aimais écouter de la musique, n’est pas aujourd’hui en liquidation du fait d’une censure généralisée du net ou de mutations du réseau, mais à cause du maintien d’un modèle inadapté de négociation de gré à gré des droits. Il produit des effets également très négatifs, et la responsabilité du gouvernement qui tarde à agir, écrasante.

Le débat sur la « neutralité du net », qui a cours en France ou aux Etats-Unis depuis des mois, doit être l’occasion de réaffirmer les principes d’ouverture et de liberté auxquels nous sommes attachés. À la laïcité garantissant la liberté de conscience et le libre exercice des cultes doit correspondre dans l’espace numérique une « laïcité informationnelle » garantissant nos libertés de choix, d’initiative et d’expression.

Qu’on ne s’y trompe pas ! Notre amour de la liberté nous conduit non pas au laisser-faire, mais au choix d’une « bonne » régulation. La transparence et l’information sur les pratiques des opérateurs ne suffisent à l’évidence pas. Les pouvoirs publics doivent prendre leurs responsabilités et garantir de nouveaux droits à tous les internautes. Nous n’accepterions pas que tel ou tel opérateur de réseau autoroutier n’accueille plus que les automobiles d’une certaine marque. De même, nous n’accepterions pas que les fournisseurs d’énergie électrique nous imposent le choix d’un panneau de raccordement ou de la marque de notre machine à laver. Il doit en être de même dans le monde numérique. Un accès à l’Internet n’est, au niveau le plus simple, qu’un ensemble de signaux électriques convoyés par notre fournisseur d’accès. Le choix de notre appareil de raccordement doit être libre, pour peu que les normes en vigueur ou à inventer rapidement soient respectées. Sous réserve du paiement permettant de disposer d’une puissance suffisante, chacun est également libre de faire fonctionner simultanément autant d’appareils électriques qu’il le souhaite. Il doit en être de même pour le numérique. Les règles de circulation des signaux numériques en notre domicile doivent relever de notre seul choix.

Choisissons un combat juste. Il ne s’agit pas ici de défendre le tout gratuit. Il est logique que celui qui consomme plus de ressources, par exemple en visualisant continuellement des vidéos en haute définition, ait à payer plus cher que celui qui envoie et reçoit quelques courriers électroniques par jour. Il s’agit par contre de s’assurer que l’utilisation du réseau restera libre et non faussée, tant en émission qu’en réception.

C’est pourquoi je transmets ces jours-ci à Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l’Assemblée nationale le texte d’une proposition de loi affirmant le principe de neutralité de l’internet, et son contenu. Son article 1er est sans ambiguïté : « Le principe de neutralité doit être respecté par toute action ou décision ayant un impact sur l’organisation, la mise à disposition, l’usage commercial ou privé des réseaux numériques. Ce principe s’entend comme l’interdiction de discriminations liées aux contenus, aux tarifications, aux émetteurs ou aux destinataires des échanges numériques de données. »

Vous en lirez le texte complet sur mon blog. Aidez-moi à enrichir cette proposition, le principe et son contenu. C’est un nouveau combat pour la liberté du net, pour sa « bonne » régulation, pour résister à son asservissement commercial.

Vite, prenons date ! Mieux vaut prévenir, que tenter de réparer tardivement. La neutralité du net apparait, d’ores et déjà, comme un principe offensif, efficace et indispensable.

Christian PAUL, député de la Nièvre

Notes

[1] « l’imprimerie a permis au peuple de lire, Internet va lui permettre d’écrire » – Benjamin Bayart dans La bataille HADOPI 2009

[2] Avec les lois LCEN, DADVSI, la loi sur les jeux en ligne, HADOPI 1 et 2, en attendant la LOPPSI2…

[3] À lire en français sur le Framablog




Bagdad et Gaza : OpenStreetMap 1 Google Maps 0

Il y a deux mois, nous publiions un article sur le zoo de Berlin illustrant le fait qu’OpenStreetMap pouvait être plus pertinent que Google Maps dans ce cas très particulier.

Un commentaire nous signala alors qu’il en était de même pour certaines zones sensibles et de donner alors l’exemple de la ville de Bagad où la comparaison se révèle effectivement spectaculaire.

Bagdad

Sur Google Maps :

Bagdad - Google Maps - 2010

Sur OpenStreetMap (accueil du projet de cartographie de Bagdad) :

Bagdad - OpenStreetMap - 2010

Mais la bande de Gaza n’est pas en reste.

Gaza

Ici la ville de Gaza (ou Gaza City) n’existe carrément pas chez Google Maps !

Gaza - Google Maps - 2010

Chez OpenStreetMap (accueil du projet de cartographie de Gaza) :

Gaza - OpenStreetMap - 2010

But why ?

Pourquoi Google Maps se montre si peu précis ici ?

J’attends vos commentaires. La réponse est peut-être à rechercher du côté de la géopolitique américaine et des restrictions imposées à ses entreprises ?

Google a beau travailler dans les nuages, Google n’en a pas moins un pays d’origine et d’appartenance qui a ses propres règles et suit ses propres intérêts…

Règles et intérêts qui heureusement ne sont les mêmes que ceux d’un projet libre et coopératif comme OpenStreeMap !




Associations 1901, humanitaires, ONG… Windows ne doit plus passer par vous !

Hqhuyanh - CC byVoici une veille traduction que l’on ressort du placard à la faveur de l’été et du rattrapage du travail en retard 😉

Elle évoque la campagne des « 7 péchés de Windows » menée par la Free Software Foundation au moment de la sortie de Windows 7, campagne que nous avions traduite en partenariat avec l’April.

Mais elle se concentre ici sur les organisations à but non lucratif que sont les ONG et les associations (de type 1901 chez nous en France).

Parce que, tout comme le monde de l’éducation, il est en en effet plus que malheureux de constater que ces structures utilisent encore massivement les logiciels Microsoft, quitte à se placer en contradiction avec les valeurs qu’elles souhaitent véhiculer[1]. Certes des progrès ont été accomplis ces dernières années mais il reste encore beaucoup à faire…

Parce que c’est aussi et surtout pour vous que le Libre existe et se décarcasse !

Se libérer de la dépendance aux logiciels privateurs : un appel aux organisations à but non lucratif pour refuser Microsoft Window 7

Breaking the dependency on proprietary software: A call to nonprofits to refuse Microsoft Windows 7

Peter Brown – 14 avril 2009 – FSF.org
(Traduction Framalang : Cheval boiteux, Burbumpa et Don Rico)

« Engloutir du temps et de l’argent dans les logiciels privateurs est en contradiction avec les valeurs fondamentales que sont la liberté et le progrès. »

La Free Software Foundation (FSF) a lancé à l’automne 2009 l’étape suivante de sa campagne « Windows 7 Sins » (NdT : Les 7 péchés de Windows 7) sur http://fr.windows7sins.org/, où elle s’attaque à Microsoft et au logiciel privateur en écrivant aux 500 directeurs des organisations non-gouvernementales (ONG) les plus influentes dans le monde, en leur demandant de passer à l’utilisation de logiciels libres et de contribuer à répandre largement l’idée que la liberté de choix des utilisateurs a une importance éthique.

Cette lettre alerte les « décideurs Window 7 » sur « l’absence de respect de la vie privée, de la liberté et de la sécurité » qu’ils risquent d’affronter en adoptant Windows 7. Elle défend l’idée qu’ils feraient mieux d’adopter des logiciels libres, en ciblant sept domaines majeurs dans lesquels un logiciel propriétaire comme Windows 7 est néfaste à la société : invasion de la vie privée, empoisonnement de l’éducation, verrouillage, blocage des standards, comportement monopolistique, soutien des DRM et menaces pour la sécurité des utilisateurs.

Le directeur exécutif de la FSF a déclaré : « La dépendance des organisations œuvrant au changement et au progrès social envers les logiciels détenus et contrôlés exclusivement par Microsoft mène la société vers une ère de restrictions numériques, menaçant et limitant nos libertés. À l’opposé, le logiciel libre est du côté de la liberté et de la gratuité, développé pour donner la possibilité d’étudier et de modifier le logiciel selon ses propres besoins. Aujourd’hui, nous demandons aux responsables du secteur humanitaire et associatif de migrer vers le système d’exploitation libre GNU/Linux pour tous leurs ordinateurs comme pour les besoins de leur infrastructure informatique.

Le système d’exploitation GNU/Linux est accessible sans restriction, facile à utiliser, pris en charge par de nombreux fabricants et par un communauté mondiale. Les distributions GNU/Linux sont livrées avec des centaines d’applications sous licence libre, incluant une suite logicielle complète de comptabilité et de collecte de fonds convenant aux associations.

« Les œuvres de bienfaisance, les ONG, et autres organisations à but non lucratif qui ont choisi le logiciel privateur sont engagés dans une mauvaise politique publique", précise Matt Lee, responsable des campagnes de la FSF. « Le plus souvent à cause de la désinformation ou à cause de leur incapacité à voir que leurs choix technologiques sont en lien avec leurs missions sociales. Nous espérons attirer l’attention de ces responsables sur la contribution positive qu’ils peuvent faire à la société en choisissant de basculer leurs organisations vers les logiciels libres. J’espère que ces groupes auront une politique publique d’engagement en faveur de la liberté et rejoindront la liste grandissante des organisations qui ont compris qu’engloutir temps et argent dans le logiciel propriétaire est incompatible avec les valeurs fondamentales de liberté et de progrès ».

Plus d’informations sur cette campagne, incluant le texte de la lettre et la liste de diffusion pour fournir aux abonnés une mise à jour des informations ainsi que des alertes concernant les actions de la FSF sont disponibles en ligne : http://fr.windows7sins.org.

Notes

[1] Crédit photo : Hqhuyanh (Creative Commons By)




Quand les universités espagnoles montrent l’exemple

Cenatic - CC byPrenant des allures de « Courrier International du Libre » (mais sans les albums de Prince), le Framablog vous propose aujourd’hui la traduction non pas d’un classique billet repéré sur les blogs américains mais d’un bout de revue de presse espagnole.

En effet, promenant ma souris sur le site de la précieuse « Asociación de Internautas » espagnole, qui regroupe depuis 12 ans la plupart des organisations de protection des utilisateurs d’Internet en Espagne et constitue le fer de lance en matière de défense de la neutralité du réseau chez eux (on se demande ce que je faisais là…), je suis tombé sur la revue de presse tenue par le groupe d’utilisateurs de Linux de l’association, le Linux-GUAI.

Et là, merveille ! Plein d’actualités espagnoles croustillantes sur GNU/Linux et les logiciels libres. Informant la branche extrémiste hispanophone autonome de Framalang (la bien nommée FramEspagnol) de ma trouvaille, nous partîmes joyeusement sur le chemin de la traduction.

Le premier sujet ayant retenu notre attention concerne l’éducation. Il s’agit des avancées espagnoles dans un domaine où la France a encore de gros progrès à accomplir (on y travaille cependant) : l’adoption des logiciels libres par les universités[1].

Et aujourd’hui, ce n’est pas un, mais deux articles (pour le même prix !) que nous vous avons traduits pour illustrer le sujet. Bonne lecture 😉

L’université espagnole fait le pari de soutenir le logiciel libre

La Universidad española apuesta por impulsar el software libre

EFE – 1 mars 2010 – ADN.es
(Traduction Framalang : Burbumpa, Thibz, TV, Goofy, Siltaar et Barbidule)

L’Université espagnole a décidé d’ « encourager l’utilisation de logiciels libres » afin ne pas dépendre des grandes entreprises d’informatique lors du développement d’applications spécifiques, que ce soit pour la gestion des établissements ou pour favoriser la communication au sein de la communauté universitaire.

C’est l’une des recommandations adoptées lors de la réunion de la Commission Sectorielle des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) de la Conférence des Recteurs des Universités Espagnoles (CRUE) qui s’est tenue à l’école universitaire d’études entrepreneuriales de Bilbao.

L’utilisation de ce type de technologies, selon des sources appartenant à l’Université du Pays Basque (UPV), permettra de plus au professeur et à l’élève ayant une formation dans les nouvelles technologies d’intervenir dans son développement, « ce qui est certainement une excellente façon d’employer les connaissances des universitaires ayant des compétences dans ce domaine ».

Un autre avantage, comme l’a souligné l’UPV, est que le logiciel libre permet l’implantation des langues minoritaires dans les différentes applications dans la mesure où des personnes intéressées et ayant des connaissances informatiques suffisantes voudront bien s’impliquer dans ce développement.

Lors de la réunion d’aujourd’hui, un catalogue des nouvelles applications qui ont déjà été implantées ou qui vont l’être sous peu dans les différentes institutions a été présenté. Cela va des plateformes d’enseignement en-ligne aux blogs et aux réseaux sociaux.

L’objectif, ont insisté les différentes sources, « est de placer les universités en position de référence dans le domaine des nouvelles technologies, ce qui les conduirait à ce qu’on pourrait appeler l’Université 2.0 ».

Plus de 80 personnes en lien avec les nouvelles technologies dans le monde universitaire et représentant les 71 universités publiques et privées de la CRUE ont assisté à la réunion.

Par ailleurs, le gouvernement basque a fait son entrée aujourd’hui au Conseil du CENATIC (Centre National de Référence pour l’Application des TIC basées sur des Sources Ouvertes), une fondation publique nationale dont la mission est de promouvoir et de diffuser l’usage des logiciels libres et open source.

Avec l’entrée du Pays Basque, ce sont maintenant 8 communautés autonomes qui sont présentes au Conseil de cette entité, en plus du Ministère de l’Industrie, du Tourisme et du Commerce au travers de Red.es ("réseau.espagne", site de se nsibilisation, de soutien et d’information sur la question des réseaux), ainsi que 4 grandes entreprises du domaine technologique.

60% des serveurs des universités espagnoles sont basés sur des logiciels libres

El 60% de los servidores de las universidades españolas se basan en software libre

Fecha – 10 mars 2010 – ComputerWorld / IDG.es
(Traduction Framalang : Burbumpa, TV, Goofy, Quentin, Siltaar et Barbidule)

Selon une étude présentée par le CENATIC (Centre National de Référence d’Application des TIC basées sur l’open-source), la quasi totalité des Universités et des Centres de R&D espagnols utilisent des logiciels libres dans leur fonctionnement quotidien.

Dans la partie « Étude sur la situation actuelle du logiciel libre dans les universités et centres de recherche espagnols », le rapport souligne que 60% des serveurs des universités espagnoles sont basés sur des logiciels libres. Le chiffre atteint 67% pour le courrier électronique, 87% si l’on considère les outils de gestion, de même que 42% des bases de données, 67% des systèmes antispams, 40% des campus à distance, ou 44% des solutions d’administration électronique.

L’étude révèle également que 83% des universités ont des groupes de recherche sur ce type de logiciel, qui travaillent sur le transfert de technologies de ses outils vers l’industrie. Dans 57% des universités, il existe aussi des associations d’usagers de soutien aux logiciels libres et 90% d’entre elles ont créé des unités d’enseignement en rapport avec les technologies ouvertes.

Selon Javier Uceda, président de la section TIC de la Conférence des Recteurs d’Universités Espagnoles, « durant la réalisation de ce rapport nous avons découvert que les Universités et les Centres de Recherche et Développement espagnols participent elles aussi à cette réalité technologique qu’est le logiciel libre ; il apporte des bénéfices en termes de coûts, d’adaptabilité et d’ indépendance, et est devenu une composante essentielle de la recherche en Espagne ». De son côté, Miguel Jaque, Directeur du CENATIC, a affirmé que « le logiciel libre occuppe une place importante ans le quotidien des enseignants et des chercheurs dans le cadre universitaire espagnol. Parier sur le logiciel libre, c’est parier sur le futur des technologies dans le domaine de l’éducation supérieure et la recherche en Espagne ».

Le rapport a été élaboré par le CENATIC à travers l’Observatoire National du Logiciel de Code Source Libre (ONSFA) en collaboration avec le groupe Libresoft de l’Université Roi Juan Carlos de Madrid et le groupe CRUE-TIC-SL (groupe de travail de la Conférence des Recteurs dédié à l’étude du logiciel libre) de la Commission TIC de la Conférence des Recteurs d’Universités Espagnoles. Il contient les résultats d’une enquête sur l’usage des technologies open source dans l’Université espagnole, comme par exemple l’étude de 25 cas d’implantation, développement et promotion des technologies de code source libre, et une sélection de 20 projets de Recherche et Développement autour du logiciel open source financés par des programmes d’envergure nationale et européenne.

Notes

[1] Crédit photo : Cenatic (Creative Commons By)




Geektionnerd : Hadopisse dans un violon

Le titre de cette planche n’a pas forcément la palme de l’élégance mais comment ne pas avoir envie de souligner la caractère risible de toute cette coûteuse et stérile opération qui n’aura servi à rien d’autre que de fédérer ses détracteurs…

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Les incolmatables fuites de chez WikiLeaks – Portrait de Julian Assange

New Media Days - CC by-saAvec l’avènement d’Internet on parle régulièrement de révolution dès qu’un petit malin trouve le moyen de faire avec des bits d’information ce qu’on faisait jusque là avec des atomes de matière.

Pourtant, sur Internet il se passe parfois de vraies (r)évolutions, quand un petit malin innove réellement et trouve le moyen d’y faire ce qu’on n’y faisait pas avant !

Et c’est précisément le cas de WikiLeaks.org un site savamment mis au point par Julian Assange dès 2006 dans le but de divulguer « de manière anonyme, non identifiable et sécurisée, des documents témoignant d’une réalité sociale et politique, voire militaire, qui nous serait cachée, afin d’assurer une transparence planétaire. Les documents sont ainsi soumis pour analyse, commentaires et enrichissements à l’examen d’une communauté planétaire d’éditeurs, relecteurs et correcteurs wiki bien informés ».

Récemment rendu célèbre en France par la publication d’une vidéo montrant l’armée américaine en pleine bavure contre des civils Irakiens, le site et son créateur sont depuis dans l’œil du cyclone, ayant en effet attiré l’attention d’instances américaines soucieuses de ne pas voir d’autres documents officiels ou officieux ainsi libérés sur le net. L’équipe de WikiLeaks continue pourtant contre vents et marées à publier des vérités.

Portrait d’un homme discret et courageux, aux convictions simples, mais qui lui aussi participe à faire bouger les lignes du monde[1].

Julian Assange, lanceur d’alertes

Julian Assange: the whistleblower

Stephen Moss – 14 juillet 2010 – The Guardian
(Traduction Framalang par : Siltaar, Goofy, Yoann, misc, Julien)

Il se pourrait bien que Julian Assange, le fondateur de Wikileaks, préfigure l’avenir du journalisme d’investigation. Mais il n’est pas journaliste.

Tout est bizarre dans cette histoire. À commencer par Julian Assange lui-même : fondateur, directeur et porte-parole de Wikileaks, mais aussi guide spirituel de ce réseau planétaire de lanceurs d’alertes. Il est grand, cadavérique, porte des jeans râpés, une veste marron, une cravate noire et des tennis hors d’âge. Quelqu’un a dit qu’il ressemblait à Andy Warhol avec ses cheveux blancs précoces, mais je ne sais plus qui – voilà justement ce qui le mettrait hors de lui, parce qu’il place la précision au-dessus de tout. Il déteste la subjectivité dans le journalisme ; je crains que sa propre subjectivité ne le pousse à détester les journalistes aussi, et que Wikileaks, qui se définit comme « un système généralisé de fuites de documents, impossible à censurer ou pister », soit essentiellement un moyen de tailler en pièces les imbéciles subjectifs dans mon genre.

Si Assange écrivait cet article, il reproduirait ici sa conférence d’une heure et demie à l’université d’été du Centre de journalisme d’investigation à Londres. Sans oublier les dix minutes que nous avons passées à discuter sur le chemin du restaurant – j’ai failli le faire renverser par une BMW lancée à vive allure, ce qui aurait pu changer l’histoire du journalisme d’investigation – et les 20 minutes de bavardage au restaurant avant qu’il ne me fasse sentir courtoisement que le temps qui m’était imparti touchait à sa fin. « Quand vous recevez (sur moi) des informations de seconde main, soyez extrêmement prudent », me dit-il sur le chemin, pointant du doigt des failles d’un article du New Yorker, pourtant très long, très documenté, sans aucun doute archi-vérifié, mais dont l’auteur fait des suppositions sur une activiste de Wikileaks en se basant sur rien moins que le T-shirt qu’elle porte.

« Le journalisme devrait ressembler davantage à une science exacte », me déclare-t-il au restaurant. « Autant que possible, les faits devraient être vérifiables. Si les journalistes veulent que leur profession soit crédible à long terme, ils doivent s’efforcer d’aller dans ce sens. Avoir plus de respect pour leurs lecteurs ». Il aime l’idée qu’un article de 2000 mots devrait s’appuyer sur une source documentaire de 25000 mots, et dit qu’il n’y a aucune raison de ne pas agir ainsi sur Internet. Maintenant que j’y repense, je ne suis pas sûr que la voiture était une BMW, ni même qu’elle fonçait.

Assange a lancé wikileaks.org en janvier 2007 et a sorti des scoops impressionnants pour une organisation constituée d’une poignée de membres, et pratiquement dépourvue de financement. Wikileaks a donné des preuves de la corruption et du népotisme de l’ancien président du Kenya Daniel Arap Moi, a rendu publiques les procédures opérationnelles standard en vigueur au centre de détention de Guantánamo, a même publié le contenu du compte Yahoo de Sarah Palin. Mais ce qui a vraiment propulsé Wikileaks au premier plan des grands médias, c’est la vidéo publiée en avril dans laquelle on voit l’attaque d’un hélicoptère américain sur Bagdad en juillet 2007, qui a fait un certain nombre de victimes parmi les civils irakiens et provoqué la mort de deux employés de l’agence Reuters, Saeed Chmagh et Namir Noor-Eldeen.

La vidéo, publiée dans une version de 39 minutes sans montage et dans un film de 18 minutes intitulé Meutres collatéraux, donne un aperçu glaçant de la désinvolture avec laquelle les militaires américains identifient leurs cibles (les pilotes de l’hélicoptère ont pris les appareils photos des journalistes de Reuters pour des armes), leur acharnement à achever un homme grièvement blessé qui s’efforçait de ramper pour se mettre à l’abri, et l’absence de tout scrupule même pour deux enfants dans une camionnette qui venait récupérer les victimes et qui a été immédiatement attaquée. « C’est de leur faute s’ils ont entraîné deux enfants dans la bataille », dit l’un d’eux. « C’est clair », répond son collègue de façon réaliste. Il s’agissait pourtant d’une des batailles les plus déséquilibrées que vous verrez jamais. Il existe très peu d’appareils photos capables de dégommer un hélicoptère de combat.

Ma thèse, qui sera bientôt réduite en miettes par Assange avec à peu près tout ce que j’avais comme préjugés après mes lectures à son sujet, est que cette vidéo représente un moment décisif pour WikiLeaks. Mais, juste avant que je puisse lui en parler, un bel étudiant barbu qui était à la conférence me devance. « Julian, avant que vous ne partiez, puis-je vous serrer la main, dit-il, car j’aime vraiment ce que vous faites et vous êtes pour moi comme un héros, sincèrement ». Ils se serrent la main. L’icône vivante et l’adorateur. Le parallèle avec Warhol devient de plus en plus flagrant : Assange comme fondateur d’une nouvelle forme d’actualités.

Et voici cette thèse. « Est-ce que la vidéo du mois d’avril a tout changé ? » demandais-je. Il s’agit d’une question rhétorique car je suis quasi-certain que ce fut le cas. « Non » répondit-il. « Les journalistes aiment toujours avoir un prétexte pour n’avoir pas parlé la semaine d’avant de ce dont ils parlent maintenant. Ils aiment toujours prétendre qu’il y a quelque chose de nouveau ». Il lui faut cependant admettre que le champ de diffusion de WikiLeaks est en pleine expansion. Au début de sa conférence, il disait qu’il avait la tête « remplie de beaucoup trop de choses actuellement », comme pour excuser la nature hésitante et déstructurée de son discours. Quelles choses ? « Nous avons essayé de recueillir des fonds pendant les six derniers mois », dit-il, « nous avons donc publié très peu de choses et maintenant nous avons une énorme file d’attente d’informations qui se sont entassées. Nous travaillons sur ces questions ainsi que sur des systèmes informatiques afin d’accélérer notre processus de publication. »

WikiLeaks n’emploie que cinq personnes à plein temps et environ 40 autres qui, selon lui, « réalisent très régulièrement des choses », s’appuyant sur 800 bénévoles occasionnels et 10 000 soutiens et donateurs – une structure informelle, décentralisée, qui pourrait devenir un modèle d’organisation pour les médias à venir, puisque ce que l’on pourrait appeler les « usines à journalisme » sont de plus en plus dépassées et non viables financièrement. C’est un moment délicat dans le développement de ce qu’Assange préfère considérer comme « un mouvement ». « Nous avons tous les problèmes que peut rencontrer une jeune pousse lors de sa création », dit-il, « combinés avec un environnement extrêmement hostile et un espionnage étatique. »

Le danger d’infiltration par les services de sécurité est important. « Il est difficile d’obtenir rapidement de nouvelles recrues, dit-il, parce que chaque personne doit être contrôlée, et cela rend la communication interne très difficile car il faut tout chiffrer et mettre en place des procédures de sécurité. Nous devons d’ailleurs également être prêts à affronter des poursuites judiciaires. » D’un autre côté, positif cette fois, la campagne récente de financement a permis de récolter un million de dollars, principalement auprès de petits donateurs. Les grands groupes industriels eux, se sont tenus à bonne distance de WikiLeaks en raison de soupçons politiques et d’inquiétudes légales sur la publication d’informations confidentielles sur Internet. Sans compter les carences habituelles des organisations financées par l’occident, toujours promptes à dénoncer dans leurs rapports les mauvaises pratiques des pays émergents mais qui sont beaucoup moins prêtes à mettre en lumière les recoins les moins reluisants des pays soi-disant avancés.

WikiLeaks est-il le modèle journalistique de l’avenir ? La réponse qu’il donne est typiquement à côté de la question. « Partout dans le monde, la frontière entre ce qui est à l’intérieur d’une entreprise et ce qui est à l’extérieur est en train d’être gommée. Dans l’armée, le recours à des mercenaires sous contrat indique que la frontière entre militaires et non-militaires tend à disparaître. En ce qui concerne les informations, vous pouvez constater la même dérive – qu’est-ce qui relève du journal et qu’est-ce qui ne l’est déjà plus ? Selon les commentaires publiés sur des sites grand public et militants… » Il semble alors perdre le fil, je le presse donc d’émettre une prédiction sur l’état des médias d’ici une dizaine d’années. « En ce qui concerne la presse financière et spécialisée, ce sera probablement la même chose qu’aujourd’hui – l’analyse quotidienne de la situation économique dont vous avez besoin pour gérer vos affaires. Mais en ce qui concerne l’analyse politique et sociale, des bouleversements sont à prévoir. Vous pouvez déjà constater que c’est en train d’arriver ».

Assange doit faire attention à assurer sa sécurité personnelle. Bradley Manning, 22 ans, analyste des services de renseignement de l’armée américaine a été arrêté et accusé d’avoir envoyé à Wikileaks les vidéos de l’attaque de Bagdad, et les autorités pensent que l’organisation posséde une autre vidéo d’une attaque sur le village afghan de Granai durant laquelle de nombreux civils ont péri. Il y a également eu des rapports controversés selon lesquels Wikileaks aurait mis la main sur 260 000 messages diplomatiques classés, et les autorités américaines ont déclaré vouloir interroger Assange au sujet de ces documents, dont la publication mettrait selon eux en danger la sécurité nationale. Quelques sources ayant des contacts avec les agences de renseignement l’ont prévenu qu’il était en danger, et lui ont conseillé de ne pas voyager vers les USA. Il refuse de confirmer que Manning était la source de la vidéo de Bagdad, mais il dit que celui qui l’a divulguée est « un héros ».

Lors de la conférence, j’ai entendu un homme à coté de moi dire à son voisin: « Est-ce que tu penses qu’il y a des espions ici ? Les USA lui courent après tu sais ? ». Et bien sûr, c’est possible. Mais faire une conférence devant 200 étudiants dans le centre de Londres n’est pas le comportement de quelqu’un qui se sent particulièrement menacé. D’un autre côté, l’organisateur de la conférence me dit qu’Assange s’efforce de ne pas dormir 2 fois d’affilée au même endroit. Est-ce qu’il prend ces menaces au sérieux ? « Quand vous les recevez pour la première fois, vous devez les prendre au sérieux. Certaines personnes très informées m’ont dit qu’il y avait de gros problèmes, mais maintenant les choses se sont décantées. Les déclarations publiques du département d’état des États-Unis ont été pour la plupart raisonnables. Certaines demandes faites en privé n’ont pas été raisonnables, mais le ton de ces déclarations privées a changé au cours du dernier mois et elles sont devenues plus positives ».

Assange, en dépit de ses hésitations, respire la confiance en soi, voire un certain manque de modestie. Lorsque je lui demande si la croissance rapide et l’importance grandissante de WikiLeaks le surprennent, il répond par la négative. « J’ai toujours été convaincu que l’idée aurait du succès, dans le cas contraire, je ne m’y serais pas consacré ou n’aurais pas demandé à d’autres personnes de s’en occuper. » Récemment, il a passé une grande partie de son temps en Islande, où le droit à l’information est garanti et où il compte un grand nombre de partisans. C’est là-bas qu’a été réalisé le laborieux décryptage de la vidéo de Bagdad. Cependant, il déclare qu’il n’a pas de base réelle. « Je suis comme un correspondant de guerre, je suis partout et nulle part » dit-il. « Ou comme ceux qui fondent une société multinationale et rendent visite régulièrement aux bureaux régionaux. Nous sommes soutenus par des militants dans de nombreux pays ».

Assange est né dans le Queensland en 1971 au sein de ce que l’on pourrait appeler une famille très anticonformiste – ici on se fie sur des sources secondaires contre lesquelles il m’a mis en garde, il serait vraiment utile de consulter de la documentation. Ses parents exploitaient une compagnie de théâtre, si bien qu’il est allé dans 37 écoles différentes (selon certains pourtant, comme sa mère estimait que l’école n’apprend qu’à respecter l’autorité, elle lui faisait principalement cours à la maison). Ses parents ont divorcé puis sa mère s’est remariée, mais il y eut une rupture avec son nouveau mari, ce qui les a conduit elle, Julian et son demi-frère à partir sur les routes. Tout cela semble trop wharolien pour être vrai, mais il s’agit sans doute de la vérité. Ce n’est pas le moment de lui demander de raconter sa vie et je ne pense pas qu’il s’y prêterait s’il en avait le temps. En effet, ses réponses sont généralement laconiques et un peu hésitantes. Lorsque je lui demande s’il y a quelque chose que WikiLeaks ne publierait pas, il me répond : « Cette question n’est pas intéressante » avec son doux accent australien, et en reste là. Assange n’est pas quelqu’un qui éprouve le besoin de « combler les blancs » dans une conversation.

Il est tombé littéralement amoureux des ordinateurs dès son adolescence, est rapidement devenu un hacker confirmé et a même fondé son propre groupe nommé « International Subversives » qui a réussi à pirater les ordinateurs du Département de la Défense des États-Unis. Il s’est marié à 18 ans et a rapidement eu un fils, mais le mariage n’a pas duré et une longue bataille pour la garde de l’enfant a, dit-on, augmenté sa haine de l’autorité. Il existe aussi des rumeurs selon lesquelles il se figurait que le gouvernement conspirait contre lui. Nous avons donc ici une image journalistique parfaite : expert informatique, avec plus de 20 ans d’expérience en piratage, une hostilité à l’autorité et des théories conspirationnistes. Le lancement de WikiLeaks au milieu de sa trentaine semblait inévitable.

« Il s’agit plus d’un journaliste qui voit quelque chose et qui essaie de lui trouver une explication » dit-il. « C’est généralement de cette manière qu’on écrit une histoire. Nous voyons quelque chose à un moment donné et nous essayons d’écrire une histoire cohérente pour l’expliquer. Cependant, ce n’est pas comme ça que je vois les choses. Il est vrai que j’avais certaines capacités et que j’avais aussi la chance d’être dans un pays occidental disposant de ressources financières et d’Internet. De plus, très peu de personnes ont bénéficié de la combinaison de capacités et de relations dont je disposais. Il est également vrai que j’ai toujours été intéressé par la politique, la géopolitique et même peut-être le secret, dans une certaine mesure ». Ce n’est pas réellement une réponse, mais c’est tout ce que j’obtiendrai. Encore une fois, comme chez Warhol, le détachement semble presque cultivé.

Dans son discours, Assange a indiqué n’être ni de gauche ni de droite – ses ennemis tentant toujours de lui coller une étiquette pour saper son organisation. Ce qui compte avant tout est de publier l’information. « Les faits avant tout, madame, » est sa manière de me résumer sa philosophie. « Ensuite, nous en ferons ce que nous voudrons. Vous ne pouvez rien faire de sensé sans savoir dans quelle situation vous êtes. » Mais quand il rejette les étiquettes politiques, il précise que Wikileaks cultive sa propre éthique. « Nous avons des valeurs. Je suis un activiste de l’information. Vous sortez les informations pour les donner au peuple. Nous croyons qu’un dossier plus complet, plus précis, plus riche aux plans intellectuel et historique, est un dossier intrinsèquement bon qui donnera aux gens les outils pour prendre des décisions intelligentes ». Il précise qu’une part évidente de leur objectif est de dénoncer les cas de violation des droits de l’Homme, quels qu’en soient les lieux et les auteurs.

Il a décrit la mise au point d’une plateforme sécurisée pour les lanceurs d’alerte (son argument-clé étant la protection des sources) comme une vocation, et je lui demande si cela va rester le point central de sa vie. Sa réponse me surprend. « J’ai plein d’autres idées, et dès que Wikileaks sera suffisamment fort pour prospérer sans moi, je m’en irai réaliser d’autres de ces idées. Wikileaks peut déjà survivre sans moi, mais je ne sais pas s’il continuerait à prospérer. »

Est-ce que l’impact de Wikileaks, quatre ans après sa création, est une critique implicite du journalisme conventionnel ? Nous sommes-nous assoupis au travail ? « Il y a eu un échec scandaleux dans la protection des sources, » indique-t-il. « Ce sont ces sources qui prennent tous les risques. J’étais à une conférence sur le journalisme il y a quelque mois, et il y avait des affiches expliquant qu’un millier de journalistes ont été tués depuis 1944. C’est inacceptable. Combien de policiers ont été tués depuis 1944 ? »

Je ne le comprends pas, pensant qu’il déplore toutes ces morts de journalistes. Son idée, bien au contraire, n’est pas que beaucoup de journalistes soient morts au front, mais qu’il y en ait eu si peu. « Seulement un millier ! » dit-il, haussant un peu le ton lorsqu’il comprend que je n’ai pas saisi où il voulait en venir. « Combien sont morts dans des accidents de voiture depuis 1944 ? Probablement 40 000. Les policiers, qui ont un rôle important à jouer pour stopper des crimes, sont plus nombreux à mourir. Ils prennent leur rôle au sérieux. » dit-il. « La plupart des journalistes morts depuis 1944 le furent en des lieux comme l’Irak. Très peu de journalistes occidentaux y sont morts. Je pense que c’est une honte internationale que si peu de journalistes occidentaux aient été tués ou arrêtés sur le champ de bataille. Combien de journalistes ont été arrêtés l’année dernière aux États-Unis, un pays comptant 300 millions de personnes ? Combien de journalistes ont été arrêtés l’année dernière en Angleterre ? »

Les journalistes, poursuit-il, laissent les autres prendre des risques et s’en attribuent ensuite tout le bénéfice. Ils ont laissé l’état et les gros intérêts s’en tirer trop longtemps, alors un réseau de hackers et de lanceurs d’alertes reposant sur des ordinateurs, donnant du sens à des données complexes, et avec la mission de les rendre publiquement disponibles est maintenant prêt à faire tout simplement mieux. C’est une affirmation qui aurait mérité débat, et je m’y serais fermement engagé s’il n’était pas en train de siroter du vin blanc et sur le point de commander son dîner. Mais une chose que je tiens à souligner : le nombre de journalistes morts depuis 1944 est plus proche de 2000. Après tout, souvenez-vous, la précision, s’en tenir aux faits, présenter la vérité sans fard est tout ce qui compte dans le nouveau monde de l’information.

Notes

[1] Credit photo : New Media Days (Creative Commons By-Sa)




Les femmes, le logiciel libre, vous et moi aux RMLL 2010

CarbonNYC - CC byLorsque Jean-Pierre Archambault m’a invité le 7 juillet prochain à participer à une table ronde « Le genre et le logiciel libre » aux Rencontres Mondiales du Logiciel Libre de Bordeaux, je me suis senti gentiment piégé.

Pourquoi moi ? On ne peut malheureusement pas dire que la proportion de femmes dans la communauté Framasoft soit véritablement supérieure à la moyenne des autres projets du Libre, c’est-à-dire très faible.

Certes, mais si je refuse, ne va-t-on pas me suspecter d’indifférence au sujet, voire même de misogynie ?

J’ai donc accepté 😉

Mais afin de ne pas trop dire de bêtises et préparer quelques petites antisèches bien senties, j’en appelle à votre participation dans les commentaires ci-dessous. En espérant conserver le climat serein, la qualité d’argumentation et les échanges courtois qui s’y déroulent actuellement, malgré le caractère souvent polémiques de certains récents billets tels ceux sur l’iPad, Chrome ou Ubuntu. En espérant également que quelques femmes nous apporteront leurs témoignages.

J’avais ainsi introduit un vieil article du Framablog qui proposait (quelque peu maladroitement) Dix façons d’attirer facilement la gent féminine vers votre projet libre :

Prenez 100 développeurs de logiciels, vous n’y trouverez que 28 femmes. Prenez maintenant 100 développeurs de logiciels libres, vous n’y trouverez alors plus que 2 femmes !

Ce sera certainement la base de notre discussion, avec, dans l’ordre de progression et d’importance, trois grandes familles de questions :

  • Oui, mais est-ce réellement un problème ?
  • Pourquoi une telle sous-représentation ?
  • Que peut-on faire pour y remédier ?

Les femmes sont minoritaires dans le secteur informatique, ce qui est déjà significatif en soi. Mais à l’intérieur de ce secteur, elle sont quasiment absentes du logiciel libre ! Pourquoi un tel écart, alors que le logiciel libre n’a de cesse de vanter ses vertus communautaires et que les fameuses 4 libertés qui le caractérisent sont par essence non discriminantes ?

Le constat est là. Il est paradoxal et difficile à admettre lorsque l’on prône l’ouverture à longueur de journée[1].

Remarque : Outre cette table ronde, les RMLL proposeront également le 8 juillet une conférence de Perline sur le même sujet où l’on ne risque pas de s’ennuyer à en juger par la pugnace présentation.

« Le genre et le logiciel libre » aux RMLL 2010 – Entretien avec Jean-Pierre Archambault


6% seulement de femmes dans le logiciel libre !

JPA : Oui. Le chiffre en surprend plus d’un. Richard Stallman aime à dire, avec raison : « Liberté-Egalité-Fraternité »… Si le chiffre surprend, il n’en est pas moins là. D’où un souci de comprendre le pourquoi de cette situation. Pour éventuellement conclure que cela s’explique très bien, ce qui ne signifie nullement s’en accomoder. La question est donc posée et le thème du genre émerge dans différentes manifestations du logiciel libre. Pour réfléchir et, si possible, agir.


Ce sera le cas aux RMLL 2010

JPA : Différentes initiatives sont prévues. Dans le cadre des journées du pôle de compétences logiciels libres du Scérén, le 7 juillet une table ronde sera proposée et le 8 juillet auront lieu des entretiens collectifs avec des chercheurs du laboratoire EDA de Paris 5 Sorbonne ainsi que des interviews filmés en coopération avec l’équipe audiovisuelle des RMLL (3). Les entretiens s’inscrivent dans le cadre d’un projet du laboratoire. Les volontaires prêts à participer à ces entretiens d’environ 40 minutes (6 participants par groupe) sont les bienvenus. Il s’agira de discuter librement de leurs parcours et de leurs expériences relatifs aux logiciels libres[2]. Le 8 juillet également, une conférence sera organisée par Perline.


Une dimension éducative ?

JPA : On connaît la place de l’éducation reçue dans les déterminations de chacun, les stéréotypes véhiculés. Cela vaut pour des problématiques générales comme « le genre et l’informatique », « le genre et la science » et, en définitive, la condition féminine dont « le genre et le logiciel libre » constitue une de leurs déclinaisons.


La situation dans l’informatique en général

JPA : On compte environ 25% de femmes dans le secteur des TIC. Dans les professions de l’informatique, on constate une régression. En effet, au début, les femmes y étaient nombreuses : les stéréotypes ne jouaient pas, il y avait un espace à occuper, à conquérir, notamment pour ceux et celles qui pouvaient se sentir « mal à l’aise » dans d’autres domaines comme les mathématiques par exemple. L’informatique ne porte pas en elle-même des choses hostiles aux femmes. Mais on retrouve l’influence de ce qui est « technique ». Ainsi y a-t-il moins de femmes dans les domaines du matériel et de l’architecture, le rapport au tableur a une connotation masculine dans les formations techniques (industrielles) mais pas dans le domaine teriaire où il y a beaucoup de femmes. On ne constate pas de différence pour la programmation.


Et dans le libre ?

JPA : Il y a apparemment plus de femmes dans le libre au sein des entreprises que dans les communautés de développeurs. On connaît le prestige accordé à l’écriture du code dans le libre. Mais le geek est marqué au masculin et le libre garde une aura de transgression, un côté « Robin des bois ». Les femmes s’investissent davantage dans les travaux « annexes », moins valorisés, dans une démarche de bien commun avec un but collectif. Les hommes, plus engagés dans les stratégies de pouvoir, privilégient ce qui se voit, les activités « nobles ». Et codent sur leur temps libre (quand il ne s’agit pas d’une activité professionnelle). Et l’on sait que le temps libre n’est pas (encore) la chose la mieux partagée dans le monde des genres. On retombe sur la condition féminine.


L’informatique est une science

JPA : On retrouve la question du positionnement des filles par rapport aux carrières scientifiques avec, circonstance aggravante jusqu’ici, l’absence d’une discipline informatique au lycée. De ce point de vue également, la création d’un enseignement de spécialité optionnel « Informatique et sciences du numérique » en Terminale S à la rentrée 2012 est une bonne chose. Les lycéennes réussissent aussi bien (mieux même) que les lycéens dans les matières scientifiques. Et pourtant, elles ne choisissent pas ensuite les filières et carrières scientifiques comme elles pourraient y prétendre. Avec des différenciations au sein des disciplines (par exemple les statistiques et les probabilités en mathématiques par rapport aux autres domaines) ou d’une discipline à l’autre (il y a beaucoup de filles en biologie).


Des rendez-vous

JPA : La réflexion est engagée mais elle va se poursuivre en se diversifiant. Les questionnements ne manquent pas. Rendez-vous donc à Bordeaux début juillet aux RMLL 2010, pour les débats, les entretiens et les interviews. Puis lors du prochain Forum Mondial du Libre à Paris, les 30 septembre et 1er octobre 2010. Signalons également le projet européen Predil (Promoting Equality in Digital Literacy) dont une rencontre en septembre prochain en Slovaquie s’intéressera notamment au thème du genre dans le logiel libre.

Notes

[1] Crédit photo : CarbonNYC (Creative Commons By)

[2] On peut d’ores et déjà s’inscrire aux entretiens collectifs en adressant un message à Ayuko Sedooka (ayuko76 AT gmail.com), copie à jean-pierre.archambault AT ac-paris.fr.




Refaire le monde, une rue après l’autre, avec OpenStreetMap

Pelican - CC by-saSavez-vous pourquoi j’aime les animaux du zoo de Berlin ? Parce qu’ils témoignent du fait qu’on peut faire mieux que Google !

Comparons la carte du zoo selon Google et selon OpenStreetMap. Cela saute aux yeux non ? Le zoo de Berlin made by Google reste désespérément vide (et ses voitures espionnes ne peuvent y pénétrer) tandis qu’il fait bon flâner dans les allées du zoo d’OpenStreetMap[1].

Bon, évidemment, il faut savoir que Murmeltiere signifie Marmotte en allemand, mais pour Pinguine, nul besoin d’explication de texte 😉

« S’il te plaît, dessine-moi un monde libre ! » Tel est, au sens propre, le projet un peu fou d’OpenStreetMap auquel nous avons déjà consacré plusieurs billets. Jetez un œil sur cette extraordinaire animation illustrant une année d’édition planétaire dans OpenStreetMap et vous partagerez peut-être ma fascination pour le travail réalisé par toutes ces petites fourmis, c’est-à-dire toi, plus moi, plus eux, plus tous ceux qui le veulent !

Remarque : Vous trouverez sous la traduction, en guise de bonus, un extrait vidéo de notre chroniqueuse télé préférée Emmanuelle Talon évoquant l’aide qu’a pu fournir OpenStreetMap aux secours portés à Haïti juste après le triste séisme.

OpenStreetMap : Refaire le monde, une rue après l’autre

OpenStreetMap: Crowd-sourcing the world, a street at a time

Nate Anderson – 1 juin 2010 – ArsTechnica.com
(Traduction : Joan et Goofy)

Wikipédia et son modèle « crowdsourcing » (NdT : la production de contenu assurée par des milliers d’internautes amateurs plutôt que par quelques professionnels) ont rendu possible un bien commun formidable, mais tout le monde sait qu’il faut se tenir sur ses gardes : s’il s’agit de quelque chose d’important, ne faites pas confiance à l’encyclopédie en ligne sans vérifier l’information par ailleurs. Un tel modèle « crowdsourcing » aurait-il du succès pour la construction d’une carte détaillée des rues du monde ?

Il y a quelques années, cette même question a conduit à la création d’OpenStreetMap.org, une carte de la planète que tout le monde peut modifier, conçue comme un wiki. Plusieurs amis britanniques en ont eu en effet assez de la politique protectionniste en matière d’échanges de données (Ordnance Survey, l’équivalent britannique de l’IGN, a mis au point des cartes extrêmement détaillées de la Grande-Bretagne à l’aide de fonds publics, mais l’utilisation de ces données à des fins personnelles requiert l’acquisition d’une licence). Ils décidèrent donc de remédier au problème.

La question évidente était « pourquoi réinventer la roue ? ». Des cartographies excellentes de Google, Microsoft et d’autres avaient déjà une avance significative et était la plupart du temps utilisables gratuitement. Mais les services de localisation étaient en plein boom et étaient tous basés sur des données cartographiques. Le fait qu’il n’existe aucune carte du monde de qualité, gratuite et libre restait un problème.

On peut lire dans la foire aux questions d’OpenStreetMap que « La plupart des bidouilleurs connaissent la différence entre gratuit et libre. Google Maps est gratuit mais pas libre. Si les besoins en cartographie de votre projet peuvent être satisfaits en utilisant l’API Google Maps, alors tant mieux. Mais cela n’est pas le cas de tous les projets. Nous avons besoin de données cartographiques libres pour permettre aux développeurs, aux acteurs sociaux et autres de mener à terme leurs projets sans être limités par l’API Google Maps ou par ses conditions d’utilisation. ».

Une carte du monde détaillée à la rue près peut sembler un projet démesurément ambitieux, mais OpenStreetMap a vu sa côte de popularité exploser. Alors qu’à son lancement le projet ne mobilisait qu’une poignée d’amis, c’est plus de 250 000 personnes qui contribuent dorénavant à la cartographie. En peu de temps, la carte a atteint un niveau de précision incroyable, en particulier en Europe où le projet a été lancé.

Regardons l’Allemagne par exemple, où la cartographie libre est devenue un véritable phénomène de société. Le zoo de Berlin (Zoologischer Garten Berlin) est bien entendu renseigné dans Google Maps, mais il n’a que peu de détails (alors même que, contrairement à OpenStreetMap, il dispose de cartes satellitaires). Des habitants motivés de la région ont utilisé les outils d’OpenStreetMap pour faire mieux que Google et cartographier tous les animaux du zoo. Si vous voulez repérer votre itinéraire jusqu’à la tanière du « Großer Panda », c’est possible. Même les toilettes sont utilement indiquées.

Le zoo de Berlin selon OpenStreetMap :

OpenStreetMap - ArsTechnica - Berlin Zoo

La version de Google Maps :

OpenStreetMap - ArsTechnica - Berlin Zoo Google

Une plateforme !

À mesure que le succès de la carte allait grandissant, il devenait clair qu’il manquait quelque chose pour que les développeurs puissent vraiment s’exprimer. Les données cartographiques en tant que telles avaient beaucoup de valeur, mais cette valeur ne pouvait-elle pas être décuplée en créant une plateforme complète de cartographie ? Une plateforme qui pourrait supporter la charge d’applications commerciales, proposer des services de routage côté serveur, faire du geocoding ou du geocoding inversé (NdT : retrouver latitude et longitude à partir de nom de rues), et concevoir des outils pour manipuler les données et créer les applications qui les utilisent…

C’est ainsi que CloudMade a vu le jour. Après un an de développement (l’essentiel du travail ayant été fait par des programmeurs ukrainiens), la plateforme de cartographie fournie par CloudMade est maintenant utilisée par 10 500 développeurs. Chaque semaine, la plateforme récupère les dernières données d’OpenStreetMap, ce qui fait émerger quelque chose d’inédit : la possibilité pour les utilisateurs frustrés de corriger les erreurs agaçantes sur les cartes locales, et de voir leurs modifications diffusées dans les applications en l’espace d’une semaine.

Les correctifs sont effectués « par des gens qui connaissent leur environnement » indique Christian Petersen, vice-président de CloudMade. Alors que l’on pourrait penser que le gros du travail est réalisé dans des zones comme les États-Unis ou l’Europe, Petersen précise que « 67% de la cartographie est réalisée en-dehors de ces deux régions. ».

CloudMade espère subsister financèrement en fournissant un accès gratuit aux services qui utilisent sa plateforme : en échange ils lui verseront une partie de leurs recettes publicitaires. (les développeurs peuvent également payer par avance s’ils le souhaitent).

Lorsque ce fut possible, une cartographie de base a été importée de banques de données libres comme TIGER, du bureau de recensement américain. Mais dans de nombreux lieux, la plus grande partie de la carte a été fabriquée à la main, en partant d’une feuille blanche. Les résultats sont impressionnants. Un coup d’œil à la carte révèle de nombreux détails sur des endroits comme Mumbai et La Paz, bien que les lieux très reculés comme les îles de Georgie du Sud près de l’Antarctique n’aient pas encore de données.

Des obstacles inattendus sont apparus en cours de route. En Chine par exemple, l’état place de sévères restrictions sur la cartographie privée. « Faire des affaire en Chine reste un défi » rapporte Petersen.

Et il y a parfois des modifications problématiques sur des cartes sensibles comme celle de l’île de Chypre qui connait une partition de son territoire.

Mais Petersen est convaincu que l’approche « par le peuple » de la cartographie fonctionne bien. Mieux que les alternatives commerciales en fait. « La passion est la plus forte », les entreprises commerciales de cartographie pratiquent la collecte d’informations sur un endroit donné une fois par an environ, et mettent à jour leurs cartes encore moins souvent. Lorsque les utilisateurs locaux s’impliquent, les modifications sont faites rapidement.

Nettoyez votre quartier

La précision des données a été mise à l’épreuve la semaine dernière lorsque l’entreprise Skobbler a dévoilé un outil de guidage GPS « turn-by-turn » pour iPhone, basé sur la plateforme CloudMade. Vu le prix des logiciels de navigation GPS concurrents, cela semble révolutionnaire.

Les gens sont-ils prêts à corriger leurs propres cartes ?

OpenStreetMap - ArsTechnica - SkobblerMalheureusement, le logiciel ne fonctionne pas très bien. Les « plantages » du logiciels ont été courants durant nos tests, les temps de réponse sont importants, et l’interface n’est pas intuitive. Les utilisateurs lui ont donné une note de 2 sur 5. Même le communiqué de presse officiel contenait un passage qui en disait long : « Bien que nous soyons conscients de ne pas être encore tout à fait prêts pour concurrencer les solutions commerciales, nous y arriverons bientôt. » a déclaré Marcus Thielking, co-fondateur de Skobbler.

De tels soucis peuvent être corrigés. Mais il y a un problème plus sérieux : les clients vont-ils faire confiance à un logiciel qui les encourage à cliquer sur une coccinelle pour rapporter les problèmes de cartographie ? (le clic positionne une alerte dans OpenStreetMap qui permettra aux utilisateurs locaux d’identifier et corriger les erreurs.)

Les utilisateurs pourraient rechigner à contribuer à la conception d’une carte censée leur servir de référence. Mais on disait la même chose de Wikipédia. Il est acquis que la carte est en constante amélioration, CloudMade indique que 7 017 modifications sont enregistrées par heure.

Le processus est très addictif. Un rapide coup d’œil dans mon quartier m’a révélé une petite erreur – sur la carte, une route se poursuivait par erreur dans un chemin privé à environ un pâté de maisons de chez moi. J’ai créé un compte sur OpenStreetMap, zoomé sur la zone problématique, et cliqué sur « Modifier ». Une fenêtre d’édition en flash est apparue, superposant la carte OpenStreetMap à une image par satellite issue de Yahoo. Le problème a été résolu en quelques glisser-déposer et clics, et le tour était joué – j’avais apporté ma pierre à l’édifice. (OpenStreetMap offre de nombreux outils de modification, et CloudMap en propose d’autres souvent plus élaborées. Tous impactent les mêmes données sous-jacentes.).

Ajout d’une déviation sur le Pont de Brooklyn :

OpenStreetMap - ArsTechnica - Brooklyn Bridge

Vingt minutes plus tard, après avoir précisé les contours de l’étang d’un parc du voisinage, ajouté la caserne de pompiers et corrigé une rue qui traversait quelques maisons, j’ai malheureusement dû passer à autre chose. Le niveau de détail de la carte est déjà très impressionnant et la modifier était une expérience agréable. Disposer d’une telle ressource libre et gratuite sur Internet est une très bonne chose. Et si CloudMade pouvait s’associer à d’excellents développeurs et produire du code de haute qualité, cela pourrait également devenir quelque chose extrêmement utile.

Bonus Track

Chronique d’Emmanuelle Talon – La Matinale de Canal+ – 18 janvier 2010

« Qu’est-ce que c’est OpenStreetMap ? C’est en quelque sorte le Wikipédia de la cartographie. »

—> La vidéo au format webm

Notes

[1] Crédit photo : Pelican (Creative Commons By)