Pourquoi nous avons besoin de jouer, partager et bidouiller la science

La science est quelque chose de bien trop sérieux et précieux pour être laissée aux seuls scientifiques professionnels. Amateurs, de 7 à 77 ans, tout le monde peut et doit y prendre part, facilités en cela par Internet et sa philosophie d’ouverture.

Un article de Rayna Stamboliyska initialement publié sur Al Jazeera.

Remarque : nous avons choisi tout du long de traduire « hacker » par « bidouiller ».

Krystian Olszanski - CC by

Jeu et partage des connaissances, ou pourquoi nous avons besoin de bidouiller la science

Tinkering knowledge sharing, or why we need to hack science

Rayna Stamboliyska – 25 mars 2013 – AlJazeera.com
(Traduction : Sphinx, Rayna, M0tty, Minitte, goofy, Oumph, Asta , lizuka, Penguin, Moosh, Baptiste, Oli_Ph)

Les citoyens activement engagés dans la production scientifique fournissent le meilleur effort de compréhension de la science, et ce à tout âge.

Traditionnellement, les chercheurs sont des universitaires employés par les institutions. Le stéréotype de l’expert érudit entouré de livres poussiéreux gribouillant frénétiquement des écrits obscurs vient également à l’esprit. Quel(le) qu’il (elle) soit, le chercheur produit de la connaissance et que vous soyez profondément de gauche ou légèrement de droite, vous respectez tous la science et la connaissance. Ce sont des sujets d’importance, autant pour la droite que pour la gauche et pour toutes les idéologies entre les deux et au-delà. De fait, bidouiller (NdT : ou hacker) sort des chemins battus lorsque l’on considère la science et la connaissance.

« Un scientifique, un artiste, un citoyen n’est en rien un enfant qui aurait besoin d’une méthodologie paternaliste et d’une rationalité maternante lui donnant sécurité et direction. Il peut prendre soin de lui-même. Il n’est pas seulement l’inventeur des lois, des théories, des images, pièces de théâtre, styles de musique, interactions sociales, des institutions, il est aussi l’inventeur d’une nouvelle vision du monde, il est l’inventeur d’une nouvelle forme d’appréciation ». Cette citation vient d’un épistémologue, malheureusement oublié, Paul K. Feyerabend et date de 1978 quand son livre « Science dans une société libre » fût publié. Utilisons cette citation comme fil rouge de cette discussion à propos de la démocratisation de la science.

Bidouiller la science, c’est génial… Euh, quoi ?

Vous avez raison, une telle affirmation peut être trompeuse. Je souhaiterais davantage parler de « bidouiller le faisage de la science ». Le cliché de l’intellectuel solitaire, à l’apparence maladive et au comportement associal, est répandu aujourd’hui encore, mais sa généralisation faiblit au fur et à mesure que les technologies de communication progressent. Ce qui reste vrai, en revanche, c’est le côté conservateur et rigide des organismes de recherche. La science est construite à partir de données collectées, analysées, critiquées et réutilisées. Cependant, la méthodologie ordinaire de la science, imposée par les organismes de recherche, requiert le secret et nécessite donc de travailler contre cette maximisation de la dissémination du savoir. Avant que quiconque ne crie à la paranoïa, pensez aux publications à accès payant, bloquant ainsi leur diffusion, au format PDF ou, pire, en image.

Les réticences à publier les données et à ouvertement partager le savoir ont cependant commencé à attirer l’attention des gens. Un mouvement général vers l’ouverture que l’on appelle plus communément la « science ouverte » a émergé, inspiré par l’esprit du mouvement du Logiciel Libre (Free and Open Source Software, FOSS). Similaire à l’éthique du Libre qui promeut l’ouverture d’un code source accessible, réutilisable et modifiable par tout le monde, le thème principal de la sciences ouvertes est d’expliquer clairement les méthodes, les données générées et les résultats obtenus, permettant ainsi une collaboration massive qui accélère la vitesse à laquelle la science se fait.

Un concept très puissant – la « science citoyenne » – a naturellement émergé parallèlement à la science ouverte. Les blogs de chercheurs professionnels qui parlent de leurs travaux et discutent en ligne des résultats obtenus par leurs pairs sont innombrables. De tels débats permettent à de non-professionnels de participer aussi. La poussée du mouvement hacker/maker/do-it-yourself a énormément contribué à l’engagement dans la science de scientifiques non-professionnels.

De nos jours, il y a des centaines de projets dans le monde entier au sein desquels chercheurs professionnels et non-professionnels prennent part à de véritables études scientifiques. Un glissement clair et visible s’est opéré ces dernières années : au début, les citoyens aidaient simplement à collecter des données alors que désormais les citoyens les analysent vraiment, produisent des résultats valables et les interprètent allant même jusqu’à proposer de nouvelles hypothèses.

La « démocratisation de la science » défendue par Feyerabend est en train de se réaliser. La méthode de la science est encore trop souvent faussement imaginée comme étant l’exploration de théories en perpétuelle expansion sur les complexités de l’univers et uniquement réservée à une élite d’individus extraordinairement intelligents, échevelés et quelque peu sociopathes. La méthode scientifique est en fait à la portée de tous ceux capables de poser une question, de réunir des informations, de les analyser de manière critique, de (peut-être) trouver une réponse et d’agir en fonction du résultat.

Cela vous semble idéaliste ? Vous avez le droit d’avoir tort. Vous aimez les maths ? Peut-être que non. Cependant, prenez par exemple l’expérience Polymath. En 2009, Tim Growers, lauréat de la médaille Fields, écrivait un article sur son blog parlant des « mathématiques massivement collaboratives ». Il écrivait : « Une idée serait que quiconque ayant quelque chose à dire sur le problème puisse y ajouter son grain de sel… vous contribueriez ainsi à des idées, même si elles sont peu développées ou peut-être fausses. »

Qu’est-ce qui en a découlé ? Des centaines de commentaires et la naissance du projet Polymath. En réalité, les gens collaborent massivement à la résolution de problèmes en mathématiques. Des chercheurs, professionnels et non-professionnels, ont également contribué à l’identification de médicaments anti-paludisme, à la cartographie des accidents de la route ou la pollution sonore, ainsi qu’à la documentation des déversements de pétrole dans la côte du Golfe avec des ballons, ou encore à l’étude de l’impact du changement climatique sur les oiseaux, etc.

Un tel engagement social et citoyen dans la pratique scientifique est crucial. Les gens doivent revendiquer le droit d’être informé et éduqué. Le pouvoir réside là où est l’information, de cette manière, y avoir accès est un moyen d’auto-gouvernance et contribue à résorber la corruption, les privilèges et l’injustice. J’ai déjà débattu du besoin frappant de telles initiatives dans le monde arabe. Bien que la science soit un domaine émergent dans cette région où les financements suffisent rarement à sécuriser les équipements basiques pour la recherche, l’intérêt sur ce sujet, lui, existe. Entrer en contact avec des scientifiques non-professionnels devrait être aujourd’hui considéré par les professionnels comme partie inhérente de leur travail quotidien.

L’influence politique sur la façon dont la science fonctionne et est communiquée est un souci croissant au sein du monde arabe et partout ailleurs. Les projets de science citoyenne ne sont pas seulement indépendants, ils aident aussi à faire des choses avec un petit budget ou diminuer les coûts inhérents de la recherche ; ainsi, selon un rapport : « Au cours d’une seule année, des observateurs volontaires pour la surveillance de la biodiversité au Royaume-Uni ont vu leur contribution en temps estimée à plus de 20 millions de livres (NdT : environ 23,5 millions d’euros) ». La science citoyenne fournit aussi des données fiables et des outils qui peuvent être utilisés par tous les domaines scientifiques, des études environnementales aux sciences humaines. Un accès libre aux avancées scientifiques les plus récentes permet aux citoyens de remettre en question des hypothèses historiques. Résoudre des problèmes à rayonnement local, ou juste participer par curiosité, ramène la science à ses racines.

Bidouiller l’école

Je dis du bien du bidouillage de la science et je dirai encore davantage de bien du bidouillage de l’école. Avez-vous déjà réfléchi à l’origine de notre désir de savoir comment les choses fonctionnent ? Je dirais qu’elle se situe dans l’enfance. Quand on est enfant, on se demande pourquoi le ciel est bleu ou comment on fait les bébés. Nous posons des questions, découpons des limaces pour voir jusqu’où elles peuvent aller avec des morceaux en moins et décidons qu’elles ne peuvent pas aller bien loin une fois qu’elles sont en tranches. Un chercheur émet une hypothèse, décide des informations à collecter pour y répondre, les analyse ensuite et en tire des conclusions pour valider ou non l’hypothèse de départ. En fait, cela ressemble à ce que les enfants font naturellement.

Mon idée est que les enfants apprennent par la recherche. Là où ça coince, c’est quand les adultes pensent que pour être un grand, il faut connaître la réponse. Nous tendons ainsi à inculquer aux élèves des informations déjà disponibles et nous appelons cela l’éducation. Le problème n’est pas la transmission du savoir à la jeune génération, mais le fait que nous le faisons en étant persuadés que l’aventure dans l’incertitude des réponses inconnues est délétère.

Que se passerait-il si, au lieu de verrouiller nos pensées et de castrer l’attitude interrogatrice des enfants, nous décidions de construire une culture de curiosité ? Autrefois, au XVème siècle, l’imprimerie encouragea de nouveaux moyens de transmission de l’information : des effets similaires peuvent être espérés avec Internet mais sur une échelle de temps beaucoup plus rapide. À travers les médias actuels, les élèves et étudiants ont accès à une quantité incroyable d’information. L’institution « école » a donc encore moins le monopole du savoir ; quel devient donc son but ?

L’« avalanche » d’articles scientifiques contribue à la reformulation de concepts. Ce que nos enfants ont besoin d’apprendre est à la fois comment apprendre et comment désapprendre. L’enseignant ne devrait pas être celui qui transmet des faits mais plutôt la personne qui enseigne comment les comprendre, les critiquer et les valider. Plutôt que d’essayer de savoir tout ce qui est produit, l’enseignant doit accepter ce qui est, pour chacun d’entre nous, une petite révolution culturelle car il sait mieux que les élèves comment analyser l’information. Il/Elle doit dès lors être un spécialiste de la découverte de la connaissance.

La liberté de jouer

Je parie que beaucoup d’entre vous pensent que ceci est noble mais ont du mal à voir comment le réaliser. La recette miracle n’existe pas mais il y a un beaucoup d’approches possibles. Avez-vous entendu parler des jeux éducatifs et de recherche ? Oui, je viens d’évoquer la gamification (ou encore, « ludification ») qui correspond à l’intégration de méthodes pensées pour les jeux dans des applications « sérieuses » afin de les rendre plus amusantes et engageantes. Ce n’est pas une idée nouvelle : le concept que jouer génère et modèle notre culture a été exposé dans Homo Ludens (1938). Le typage sanguin, la biochimie ainsi que beaucoup d’autres jeux scientifiques ont aidé à démontrer l’importance de l’implémentation de la motivation dans l’apprentissage et l’exercice de la science.

Jouer en ligne à des jeux éducatifs et scientifiques pourrait ainsi être un des défis majeurs pour nos écoles. Nous espérons que nos enfants apprennent des choses « sérieuses » et on pourrait peut-être y bien parvenir en leur donnant la liberté de jouer. J’ai beaucoup aimé ce que le Digital Youth Project (Projet pour la Jeunesse Numérique) décrit dans un rapport sur les activités en ligne des enfants : celles-ci couvrent le fait de « traîner » (fréquenter des gens), de « mettre en désordre » (bricoler, même au point de devenir un expert local sur une technologie ou un média), de « faire son geek » (être curieux de ce qui est lié à Internet).

Imaginez ensuite une autre « école », où à la place de maîtres d’école il y aurait des professeurs de travaux pratiques, chacun ayant une responsabilité différente. En aucun cas, une telle responsabilité ne devrait se limiter à noter les enfants sur leur compétence. Ainsi, le but premier de l’éducation ne serait pas de préparer à un métier spécifique ou à une carrière mais constituerait plutôt un processus guidant l’enfant vers une participation à la vie publique. De cette manière, les adultes que nous appelons professeurs co-créeraient le savoir avec les enfants.

À la fois la possibilité pour les non-professionnels de s’engager dans l’exercice de la science et la nécessité de transformer les enseignants en des co-createurs de savoir. Alors, si les enfants peuvent avoir une nouvelle espèce de dinosaure portant leur nom ou créer un réacteur nucléaire chez eux, pourquoi ne pas les laisser faire de la recherche avec leurs ainés amateurs de science ? Dès lors, une question légitime se pose : « pourquoi ne pas créer un parcours d’apprentissage par la recherche à l’école ? ».

La science transforme notre perception du monde et de nous-mêmes, particulièrement chez les enfants. L’exercice de la science requiert un attrait pour l’inconnu et une ouverture sur les possibles. Tout comme les moments durant lesquels on s’amusent, la science permet la découverte et la création de relations et de schémas mentaux. Rajoutez des règles à suivre à l’amusement et vous obtenez un jeu. Rien n’est plus naturel pour les enfants que d’accueillir l’inconnu et faire des erreurs, les deux ouvrant la voie de la découverte.

Ainsi, le processus du questionnement et de la recherche de la résolution de problèmes devient plus intuitif. Cette approche contraste avec des méthodes d’apprentissage plus classiques où le but est de trouver des solutions, non pas des questions. La créativité joue un rôle majeur ici. La créativité a cependant besoin d’être désacralisée : tout le monde peut trouver de nouvelles solutions et porter de nouveaux regards. La créativité est un processus ouvert, interactif et contraignant ; être créatif signifie que la critique constructive est nécessaire pour l’avancement.

Une science citoyenne pour les enfants

À quoi pourrait ressembler un parcours d’apprentissage par la recherche ? L’interdisciplinarité y est incontournable. L’inclusion de l’alphabétisation numérique dans le parcours de formation est décisif, quant à l’initiation à la programmation pour les enfants, cela existe déjà. Des écoliers du primaire au Royaume-Uni ont déjà publié un papier scientifique sur la reconnaissance des fleurs par les abeilles, et dans une banlieue de Paris, dans une école primaire des élèves de CM1/CM2 apprennent de la science en étudiant les fourmis. La classe envoie des tweets sur ses observations et recueille des hypothèses venant d’autres classes et de chercheurs adultes.

Twitter n’est pas la seule voie que peuvent choisir les enfants pour collecter et échanger des connaissances. Les adultes ont Wikipédia, mais c’est un peu complexe pour les enfants qui bien souvent n’y trouvent pas de réponses à leurs questions. Essayez par exemple de chercher pourquoi le ciel est bleu dans la page « lumière ». Si vous survivez au jargon scientifique assez hermétique et lisez la totalité de la page, vous vous rendrez compte que l’explication n’y est pas. Des projets tels que Simple Wikipédia sont donc apparus, qui visent à expliquer les choses complexes en un langage simple. Vikidia en France (une sorte de Wikipédia pour les enfants mais écrit par les adultes), Wikikids aux Pays-Bas, avec son équivalent français Wikimini (Wikipédia pour et par les enfants), ont commencé à construire une passerelle entre la création collaborative de connaissances et son partage généralisé.

En participant à la vraie science, nous nous impliquons tous activement dans le processus qui consiste à lui donner du sens. Les enfants non seulement deviennent des scientifiques, mais ils développent aussi leur créativité et se rendent compte des choix qu’ils opèrent. Ainsi, chacun prend activement conscience de la façon dont notre environnement et notre imagination nous façonnent en tant qu’individus et en tant que société.

Rayna Stamboliyska est chercheuse associée au Centre de Recherche pluridisplinaire de l’Université de Paris 5 Descartes, où elle développe la partie biologie synthètique au sein du projet Cyberlab citoyen. Elle contribue également à l’organisation de la « Nuit de la Science 2013 ». Elle tient un blog sur Scilogs.com intitulé Beyond the Lab, qui observe les pratiques scientifiques émergentes ; elle participe aussi à FutureChallenges.org et à Jadaliyya. Rayna est membre du conseil d’administration de la branche française de l’Open Knowledge Foundation et ainsi contribue au développement de la science citoyenne en France.

Crédit photo : Krystian Olszanski (Creative Commons By)




La surveillance étatique de masse, ça nous regarde !

Jacob Appelbaum est entre autres le fondateur du projet Tor, un réseau permettant de naviguer sur Internet de manière anonyme. Il en fait mention dans cette conférence inaugurale prononcée l’an dernier au congrès du Chaos Communication Congress, mais aussi des sérieux ennuis qu’il a eus avec les autorités américaines depuis un moment en particulier à cause de ses liens avec Julian Assange et Wikileaks. Pour en savoir plus à ce sujet, parcourez l’excellent livre d’entretiens auquel il participe : Cypherpunks (pour la version française, cherchez chez Jérémie Zimmermann, autre participant).

Il nous parle ici surtout de l’évolution de l’état de surveillance, ainsi que du dernier projet de la NSA à Bluffdale,  et ce que nous pouvons faire, et pourquoi cela nous regarde, d’où le titre original «Not my Department» qui peut se traduire par « pas mes oignons ». C’est tout le contraire dont il veut nous convaincre, tant l’urgence d’une action contre la surveillance généralisée lui semble s’imposer. Que Jacob Appelbaum ait été choisi pour inaugurer le Chaos Communication Congress ne doit certainement rien au hasard.

Ce texte de présentation et la traduction initiale de cette conférence sont le travail du framalinguiste émérite Sylvain Lemenn, Il a en outre réalisé tout le sous-titrage pour la vidéo de la conférence que vous pouvez voir sur cet article de son blog. Qu’il soit ici remercié de ce travail de longue haleine.

*  *  *  *  *

Bonjour Mesdames et Messieurs, je me réjouis d’être ici aujourd’hui, mais l’allemand n’est pas ma langue maternelle, aussi vais-je continuer en anglais.

C’est un honneur d’être ici aujourd’hui. Le Chaos Computer Club est comme une famille pour moi. Et c’est un si grand honneur de pouvoir vous parler à tous ici, et c’est ridicule que l’on m’ait demandé de faire ce discours d’ouverture. J’espère que je ne suis pas en train de faire perdre 3000 heures collectives aux personnes les plus intelligentes de cette planète pour ce que j’ai à leur dire dans les 60 prochaines minutes.

Je veux commencer en remerciant tout le public pour ma présence ici. Et aussi des personnes en particuliers, je veux parler de Laura Poitras, qui est la femme qui se trouve ici, car elle a produit et édité les vidéos que l’on va voir. J’ai travaillé pas mal avec elle, et c’est vraiment une artiste formidable et stimulante, que j’aime beaucoup. Et je voudrais commencer en faisant la lecture d’une vidéo, qui fait partie d’un projet d’art sur lequel nous travaillons, sur lequel beaucoup de monde travaille, et si on pouvait faire la lecture de cette première vidéo, je pense que ce serait un bon moyen de commencer.

Super. Donc maintenant nous avons une idée de la teneur de mon discours, n’est-ce pas ? Juste au cas où il y aurait une quelconque suspicion que je changerais de cheval de bataille en chemin.…

C’est un lieu, il s’appelle Bluffdale, dans l’Utah. Et c’est un des plus gros centres de données que nous connaissons, que la NSA est en train de construire. Et il y a la question, bien sûr, de la nature de ce qu’ils sont en train d’essayer de construire, et du pourquoi, ce qu’ils comptent exactement faire avec cet espace et comment. Et je vais parler un peu de ça. Très bien.

Et ce que j’espère souligner, c’est que cela nous regarde tous.

Donc c’est un opération lente. Mais il n’y a pas vraiment quoi que ce soit que l’on pourrait reprocher, dans cette opération, c’est juste la construction d’un très grand bâtiment. Et maintenant je vais lire des adresses, qui ont été transmises, quand Bill Binney, Laura, et moi-même avons fait un show chez Whitney.

2651 Olive Street, St. Louis, Missouri, 63103 United States.

420 South Grand Los Angeles, California, 90071 United States

6/11 Folsom Street, San Francisco, California, 94107 United States

51 Peachtree North-East Atlanta Georgia, 3030 United states

10 South Cannala Chicago Illinois 60606 United States

30 East Street South West Washington DC, 20024 United States

811 10th Ave New York, New York, 10019 United States

12967 Hollenberg Drive, Richtown

Un centre d’interception conçu pour stocker des données pendant un siècle

Ces adresses sont potentiellement des centres d’interception des communications locales aux États-Unis. L’une d’entre elles a été confirmée par Marc Klein, qui a sonné l’alarme et évoqué le fait que la NSA faisait de la surveillance intérieure. Moi et beaucoup d’autres personnes pensons que le but de centre de données est de bâtir quelque chose pour enregistrer et traiter une grosse quantités d’interceptions, selon les calculs de Bill Binney, qui a été analyste à la NSA pendant presque 40 ans. Il pense que ce centre sera utilisé pour stocker des données pendant probablement quelque chose comme un siècle. Et donc en théorie, on pourrait penser que ce n’est pas grand-chose, on n’a pas de souci à se faire. Je veux vraiment m’assurer qu’on va couvrir dans ce discours ce qui va se passer tout de suite, que ceci ici est dans les pensées de tout le monde. Un centre de données conçu pour stocker des données pendant un siècle semble être une théorie raisonnable pour ça. Et si vous lisez les informations disponibles à ce sujet, vous vous apercevrez en fait que cela semble être, probablement, une sous-évaluation. Et probablement, comme il y a plus d’un centre comme celui-ci, qu’il y a la possibilité qu’un siècle soit la version courte.

Et c’est une proposition extrêmement effrayante. Donc, l’une des raisons pour lesquelles je voulais vous montrer ça. Je veux en faire mon fil directeur, mais je veux vous communiquer une citation, qui est « Rien ne renforce la raison et n’augmente notre conscience plus que la responsabilité individuelle » qui est une citation d’une féministe connue sous le nom d’Elizabeth Stanton. Ceci je pense est utile quand on parle de choses qui ne sont pas nos oignons.

Car, qu’avons-nous à voir avec la NSA ? Qu’est-ce qu’on en a à faire de ce centre de données géant qui se construit à Bluffdale ? eh bien, en fait ce qui est en partie si effroyable, c’est qu’avec Internet et les systèmes de télécommunications tels qu’ils existent aujourd’hui, il n’y a pas vraiment de frontière géographique. Cela change vraiment ce dont on peut et ne peut pas se soucier par rapport à avant. Le point crucial, c’est que les interceptions de la NSA, ces points d’interception, ils transporteront pas seulement le trafic des Américains, ils transporteront les paquets de tout le monde par Internet. Donc, se soucier de ce centre de données, c’est en fait une tâche très sérieuse que l’on doit étudier. Car en fait, cela impacte tout le monde. Mais même si on n’utilisait pas Internet, cela influe sur les gens qu’on aime de manière indirecte. Donc j’espère que dans les 50 minutes à venir, je serai capable de vous convaincre que ces choses sont vos oignons.

Et je veux en quelque sorte commencer à parler de ce que Rop et Frank avaient parlé pendant ces dernières années. Est-ce que quelqu’un ici a vu ces discours qu’ils ont donnés, comme le discours « On a perdu la guerre », et « Comment la société pourrait s’effondrer ? » Est-ce que vous pouvez lever la main pour ça ? Ok, donc, un peu près la moitié d’entre vous. Je veux dire qu’ils en ont parlé, et ils ont dit que nous avons perdu la guerre, la guerre sur le renseignement. Essentiellement, tellement de gens ont fait le choix de basculer du côté obscur de la force, comme cela a été appelé, c’est-à-dire travailler sur l’inspection de paquets, les équipement de censure, les équipement de surveillance, le ciblage d’informations, etc. C’est, en fait, ce qui s’est passé. Si vous regardez les métiers qui offrent des très bons salaires, que les gens connaissent, ce sont en général des métiers sur des systèmes de contrôle. Il y a des postes de recherche évidemment qui existent dans le monde,mais on gagne bien plus à travailler pour Lockheed Martin qu’à travailler pour une université. Donc les gens vont choisir, pour parfois de bonnes raisons, ou pour des raisons qui se comprennent, de faire ce genre de tâche. Et parfois des gens vont même recourir à des arguments d’ordre moral en disant des choses comme « grâce à Stuxnet, nous avons été capables d’éviter la violence ou de bombarder une usine ». Bien sûr, la réalité c’est que ces choses ne sont pas utilisées toutes seules, elles sont utilisées de concert avec les bombardements d’usines. Donc, il est certainement intéressant de mentionner que ces types, Frank et Rop, de même que bien d’autres personnes qui n’ont pas protesté et communiqué au Congrès leurs idées, que ces personnes tapaient vraiment en plein dans le mille.

Résister à un état policier et renverser la vapeur si on le souhaite

Et malheureusement maintenant, nous vivons dans le monde qu’ils annonçaient. Et c’est un monde incroyablement effrayant, et ces dernières années, j’ai eu le malheur d’être pris pour cible par une bonne partie de ce monde. Et je peux vous dire que cela a été un nombre de jours particulièrement désagréables. Vivre un jour après l’autre c’est la façon de le prendre, ou de s’en accommoder, et ce n’est pas une façon agréable ou facile de vivre. Et quand Frank et Rop ont parlé de cela, ils avaient encore une dose d’espoir dans leur voix, et je pense que c’était important. Donc ce que je voulais faire, c’était de prendre cet espoir et de se focaliser dessus. Et d’essayer de le prendre et de dire qu’en dépit du fait qu’il y a des systèmes de contrôle oppressants et qu’en dépit du fait qu’on vit tous maintenant dans un état policier, qu’il serait toujours possible, et je pense raisonnable de résister à cet état policier et de renverser la vapeur si on le souhaite. Et je pense qu’un jour pourrait venir où ce ne serait pas vrai. Je ne crois pas que ce jour soit arrivé aujourd’hui.

Donc, Frank voulait vraiment que j’insiste sur ce point, que l’on peut faire un choix de ce que l’on veut faire avec notre temps. C’est la notion du côté clair et du côté obscur de la force. Je ne pense pas personnellement que ce genre de blanc et noir, white hats et black hats, l’éthique des white hats et black hats, rime à grand chose, car je ne définis pas mon cadre moral et éthique en faisant des comparaisons avec des westerns en noir et blanc des années 50, et je voudrais dire qu’il y a une nuance ici. Mais il y a des choses simples que vous pouvez faire pour décider si vous travaillez sur quelque chose qui est oppressant. Et l’une d’entre elles est juste de vous demander si vous travaillez sur un système qui aide à contrôler d’autres personnes, ou si vous travaillez sur un système qui aide d’autres personnes à avoir un contrôle sur leur propre vie. Et c’est un test vraiment simple. Si vous travaillez sur l’inspection de paquets qui sera effectuée sur des gens qui n’ont pas leur mot à dire dans l’histoire,vous travaillez sans doute pour l’oppresseur. Ce n’est pas garanti, car il y a plusieurs facteurs qui rentrent en compte. Blue Coat ne considère sans doute pas qu’ils sont un outil dans l’arsenal des dictatures militaires. Mais la réalité c’est que quand le gouvernement d’Assad ou que la dictature militaire birmane ou que leurs soi-disant entreprises libérales en Birmanie utilisent Blue Coat, ce qu’elles font. Elle le font depuis quelques temps, et elles vont probablement continuer, Blue Coat fait en réalité partie du système de contrôle. Maintenant, sont-ils responsables ? C’est une bonne question. Je n’en ai pas la réponse, mais j’ai une réponse pour décider si oui ou non je pense qu’ils jouent un rôle dans cela, et c’est oui. Quel rôle ? eh bien cela reste à déterminer.

Et ce que j’espère, c’est que des personnes, particulièrement celles qui sont dans cette pièce, ont en réalité fait le choix qui est l’opposé de cela, qu’elles ont fait le choix de travailler sur des systèmes qui aident les gens à être libres. Quand, par exemple, nous voyons Mitch Altman de Noisebridge, qui a consacré sa vie à enseigner l’électronique aux gens, et à faire du matériel libre et du logiciel libre, nous voyons qu’il donne du pouvoir aux gens de manière positive. Et c’est quelque chose qu’en tant que communauté, je pense qu’on devrait vraiment faire la démarche de louer les gens qui font cela. Bunnie Huang qui fait du matériel libre, c’est un héros, vous pouvez l’applaudir si vous voulez. Le truc, c’est que je ne peux sans doute pas le faire, mais j’ai écrit un nom, une liste des noms des personnes qui m’ont inspiré, un jour que je prenais le petit déjeuner. Et elle est plutôt longue, donc je ne vais pas tout vous lire, mais c’est vrai aussi pour Lady Ada, Christine Corbett, et d’autres gens formidables partout. Des gens qui n’ont pas de nom, qui sont en fait anonymes dans la communauté, mais on devrait les considérer, et on devrait les considérer avec fierté, et et on devrait les considérer en apportant un soutien et une aide réciproque, et de la solidarité. Car il ne s’agit pas juste du négatif. Tout le monde ici ne travaille pas pour FinFisher, n’est-ce pas ? Et en fait, il y a sans doute plus de personnes qui travaillent contre FinFisher, merci pour ça. Dans ce but, nous pouvons faire un choix sur ce que nous aimons faire. Et il est possible de gagner sa vie en faisant du logiciel libre pour la liberté, au lieu de logiciels propriétaires malveillants pour les policiers…

Mais il y a un coût pour cela, et je veux attirer l’attention sur un point dans la vidéo suivante. Je vais être silencieux pendant sa lecture, contrairement à la dernière., et elle dure une minute, donc si vous pouviez la lire…

« Est-ce que la NSA intercepte régulièrement les courriels des citoyens américains ? »

— Non.

— Est-ce que la NSA intercepte les communications téléphoniques des Américains ?

— Non.

— Des recherches sur Google ?

— Non.

— Des textos ?

— Non.

— Des commandes sur Amazon.com ?

— Non.

— Des relevés bancaires ?

— Non.

— Quel accord légal est nécessaire pour que la NSA intercepte des communications et des données impliquant des citoyens américains ?

— Aux États-Unis, ce serait le rôle du FBI. Si c’était une personne en-dehors des États-Unis, la NSA ou d’autres services de renseignements sont autorisés à le faire. Mais pour mener ce genre de collecte de données aux États-Unis, vous auriez à consulter un juge, et le juge devrait l’autoriser. Nous ne sommes pas autorisés à le faire, et nous ne le faisons pas. »

Je pense que vous pouvez comprendre les sous-entendus ici, qui sont « je suis protégé, mais pas vous ». Je parie que ça vous comble de bonheur. Donc ce centre de données que nous regardions, ce qu’il vient de témoigner devant le congrès, c’était le général Alexander, c’est probablement la personne la plus puissante au monde, même plus puissante que le président des États-Unis, ou tout autre dirigeant au monde. Il dirige l’infrastructure de renseignement pour toute la NSA. Et il a des liens avec le reste des services de renseignement aussi. Donc ce qu’il dit simplement, c’est que s’il n’y avait que des Américains, par hypothèse, aux États-Unis, ils seraient sans doute tranquilles. Ce qui ne me réjouit pas, car il y a sept milliards de personnes sur cette planète, et seulement quelques-uns sont Américains, pourquoi devraient-ils être traités de manière spéciale pour cela ?

Donc ce gigantesque centre de données que nous voyons, il est pour chacun d’entre vous. Et il est aussi pour moi, car en dépit du fait que je suis américain, être associé avec Wikileaks, c’est comme… eh bien, ce n’est pas du bon temps aux États-Unis. Donc il y a un truc à dire ici, qui est que ce type est un putain de menteur tout d’abord, car nous tenons de Mark Klein la certitude que la NSA était en fait en train de mener une surveillance globale de toutes ces choses. Donc direct, le type est un menteur. Mais en plus d’être un menteur, ce qui déjà bien grave dans ce contexte, il ne fait même pas du tout semblant de prétendre que vous ayez une quelconque valeur. Et que vous avez des droits. Et que vie privée est importante. Et que votre dignité humaine compte, en raison de l’endroit où vous êtes nés, et du drapeau qu’il s’imagine que vous avez. Ceci pour moi est très déprimant, et en fait j’ai l’impression que cela donne au reste de l’humanité qui vit aux États-Unis une très mauvaise image, et donc j’en suis très désolé.

Quand vous êtes pisté, c’est le début de la fin de vos libertés

Mais je veux parler d’autres choses, qui concernent cela aussi, car si on réfléchit juste à la surveillance de masse de manière séparée, on aura, je pense, un petit problème, une petite suite de problèmes en fait. Donc parlons d’autres choses qui ont toutes des caractéristiques d’un état policier. Tout d’abord, la rétention de données et le flicage rétroactif, qui sont clairement des violations des droits de l’Homme en Europe c’est clairement le cas, ce genre d’activités fait de tout le monde un suspect. Et être un suspect, c’est déjà ne pas être libre d’après mon expérience, et en fait, au 18e siècle, il y avait un auteur britannique qui a écrit : « être libre de tout soupçon est l’une des premières libertés qui est importante pour être libre le reste de votre vie ». Quand vous êtes pisté, quand on enquête sur vous en raison d’un caprice de quelqu’un, c’est le début de la fin de votre liberté. Donc, il semble que la rétention de données soit le début de la fin d’un paquet de vos libertés. Et c’est une chose très effrayante. Et quand des gens font du flicage rétroactif, c’est quand ils génèrent ce manque de liberté d’une façon bien spécifique. Et puis ils font ce genre d’actions, cela dépend, bien sûr, dans quel état vous vous trouvez et quelles lignes de fibre optique vous avez utilisées quand vos bits les ont empruntées.

Mais comment est-ce que cela se passe ? Cela dépend, n’est-ce pas ? Et cela dépend d’une manière bien précise, donc par exemple, les attaques par drones, et je ne parle pas uniquement de la mort de l’innocent Anwar al-Aulaqis, ce gamin de 16 ans au Yemen, mais les morts par attaques de drones de milliers de personnes. Les informations sur les cibles sont envoyés à la CIA et à d’autres groupes depuis des centres d’écoute, de centrales de renseignement. Donc il y a un lien direct entre le renseignement, et le soutien à de véritables meurtres. C’est quelque chose d’effrayant, mais ce qui le rend encore plus effrayant, c’est la manière dont ces attaques par drones sont conduites, c’est-à-dire que c’est le comité central qui va décider qui vit, et qui meurt, ou la Chambre étoilée d’assassinat d’Obama, ce comité central, qui m’a l’air de ressembler à la logique soviétique dont je me rappelle de mon enfance. Ce comité central décide de manière non démocratique qui va être assassiné. Et c’est à un ou deux pas du renseignement. Donc quand vous aidez l’état policier, vous aidez littéralement à faire tuer des putains d’enfants. C’est quelque chose qui ne va peut-être pas m’aider à dormir la nuit.

Et vous pouvez choisir de ne pas en faire partie. Presque tout le monde ici, je pense, a fait ce choix. Mais si vous n’êtes pas décidés, je suppose que vous pouvez devinez dans quel camp je vous suggérerais d’aller. Mais il y a d’autres pistes. Admettons que les attaques par drones semblent un peu trop farfelues, n’est-ce pas ? Eh bien, en Ouganda, il y a eu un projet de loi depuis un moment qui semble presque annulé, mais pas tout à fait, pour lequel ils voulaient donner la peine capitale pour être un homosexuel, où le cas d’homosexualité prononcée est un crime. Je pense que c’est quand vous continuez à vous branler, je ne suis pas très sûr de connaître la définition de « homosexualité prononcée ». Mais la simple idée que quelqu’un pourrait être forcé de vous dénoncer, sinon il risque la prison, voilà quelque chose qui va être profondément modifié par la surveillance.

Bien sûr, nous pouvons parler de thèmes plus généraux, comme l’oppression du peuple tibétain par la Chine, nous pouvons parler des portes dérobées pour la police, et d’autres soi-disant logiciels malveillants d’interception légale, nous pouvons parler des guerres d’agression en Irak et en Afghanistan, de l’état policier touche-à-tout. Et c’est bien plus que ça, dans ce cas de figure l’état policier fait partie du système de contrôle qui cause tant de souffrances. Il peut aussi amener de bonnes choses dans ce monde, mais avec le secret, l’état policier devient une chose totalement inacceptable.

Donc on peut s’intéresser à d’autres choses qui sont tout aussi préoccupantes, et on peut voir qu’il y a des connexions qui ne sont pas évidentes. Les procès militaires des prisonniers politiques en Égypte, le génocide du peuple syrien, maintenant la justice britannique et suédoise en ce qui concerne Julian Assange, Les sympathisants nazis en Allemagne qui ont donné des passeports à des meurtriers nazis et qui n’ont toujours pas de compte à rendre, l’oppression et les coups portés contre les gens en relation avec Wikileaks, ou soi-disant contaminés par Wikileaks, les entreprises qui vendent des équipements à des dictatures brutales et des régimes autoritaires pour du renseignement aussi bien que de la censure, voire les deux.

La réalité, c’est que la police secrète et les agences de renseignement changent en fait notre capacité à nous gérer nous-mêmes librement, et elles le font d’une telle manière que ce n’est pas évident, et il semble impossible de résister. Parce que ces choses elles-mêmes sont secrètes, il devient extrêmement difficile pour nous de même savoir où commencer à résister. En son cœur, aux États-Unis, au point où on en est, c’est que nous avons des lois secrètes avec des interprétations secrètes, et un manque total de responsabilité. Fondamentalement, ce que sont ces choses, c’est qu’elles sont des méthodes avant-gardistes de répression, qui sont les prémices avant-gardistes du totalitarisme, elles sont paternalistes, insultantes, et soi-disant au-dessus de la loi.

quand on émet des critiques, on est écrasé

Si vous avez jamais eu l’occasion de rencontrer certaines des personnes qui travaillent dans les agences de renseignement qui sont toujours en place, certaines d’entre elles sont plutôt bien, elles sont au fond des personnes extraordinaires, mais en ce qui concerne leur travail, elles sont plutôt mal barrées. C’est-à-dire, si ces gens veulent garder leur travail, ils n’ont pas vraiment la liberté d’émettre des désaccords. Si on s’intéresse à des personnes, par exemple Bill Binney ou Thomas Drake, ce que l’on voit, c’est que quand on émet des critiques, on est écrasé. Votre vie de famille serait ruinée. Il y un prix très lourd à payer pour dire la vérité, il y a un prix très lourd à payer pour un système plus juste. Bill Binney m’a vraiment épaté d’une manière spéciale. Je pensais, sûrement qu’avec un type qui a travaillé à la NSA pendant 40 ans nous n’aurions pas grand-chose en commun, mais il s’avéra qu’il me dit qu’il pensait que l’espionnage était en fait un acte immoral, mais que peut-être pendant la guerre froide c’était un mal nécessaire. C’est-à-dire, que peut-être ils pouvaient empêcher une guerre atomique totale, et en même temps il concéda que ce n’était pas la bonne chose à faire que d’espionner les gens, que ce ne devrait pas être une fin en soi. Je fus vraiment touché par cela, car d’habitude c’est quelqu’un va dire « eh bien, sauf pour les Américains. Vous pouvez espionner tout le monde, mais pas les Américains. » Et pour lui, le déclic a été, si je le comprends bien, quand il a décidé qu’il était mal d’espionner tout le monde, et quand ils ont décidé d’espionner les Américains, il était clair qu’on ne pouvait pas leur faire confiance pour espionner qui que ce soit, pas un seul individu, et le faire d’une manière qui débouche sur de la justice. Cela m’a beaucoup surpris, m’a en réalité fait changer d’opinion plutôt radicalement à propos des personnes qui pourraient travailler à la NSA. Mais après, il s’avère qu’il a beaucoup souffert en conséquence de son opinion, donc peut-être que cela ne change pas trop mon opinion de beaucoup par rapport aux gens qui y sont encore.

Mais fondamentalement, les droits de l’Homme devraient en théorie être quelque chose pour lesquels on travaille collectivement en tant qu’être humain, en tant que peuple. Et pourtant, il ne semble pas vraiment que c’est ce qui est en train de se passer. Il y a beaucoup de théories à ce sujet, mais si vous tuez des centaines de milliers de gens, c’est très difficile de parler des bénéfices de ces technologies d’une manière qui ne ressemble pas à du fanatisme, juste du fanatisme basique. Donc, il arrive que l’on se construise des défenses psychologiques à ce sujet. Donc pour la moitié des personnes que j’ai rencontrées et avec lesquelles j’ai discuté, quand c’est la première fois qu’elles pensent à l’état policier, elles en parlent avec leur réaction première, quand elles ont passé 5 minutes à y penser. Et elles disent : « eh bien, cela ne me concerne pas », ou « cela ne va pas changer ma vie », « en fait, les seules personnes qui vont sentir un changement, seront les personnes qui le méritent », « vous savez, celles qui font l’objet d’une enquête légitime ». Je ne suis en fait pas sûr de savoir ce qu’est une enquête légitime, quand vous ne pouvez pas tenir les gens pour responsables, et qu’il y a des lois secrètes. Être gouverné par des lois et être soumis à la loi n’est pas exactement la même chose. La gouvernance par décrets ne veut pas dire qu’elle est juste, juste parce que c’est écrit, particulièrement si l’interprétation est secrète.

Donc, après que les gens reconnaissent que cela pourrait changer leur vie, il y a quelque chose d’extraordinaire qui se passe, et l’une d’entre elle, c’est que les gens vont essayer de minimiser leur rôle dedans, en disant des trucs comme « eh bien, ce ne sera pas possible de me retrouver dans ce gigantesque ensemble de données », ou « même si je me distingue, rien ne va m’arriver ». Et puis finalement, s’il leur arrive d’être aussi malchanceux que je l’ai été ces dernières années, ils diront quelque chose comme « eh bien le système marche, et aucune injustice ne va arriver, car l’état est bienveillant ». Il n’y a pas beaucoup de personnes que j’ai rencontrées qui en sont à cette étape, et qui continuent vraiment à croire cela pour très longtemps. Cela pourrait être bien de considérer qu’on n’a pas besoin d’en arriver là pour reconnaître qu’il y a une grande démence dans cette manière de penser, dans ce schéma de pensées. Il se pourrait que l’état policier qui existe en fait, est problématique, même si vous ne comprenez pas complètements ses effets négatifs. Donc vous pouvez voir cela aussi comme mécanisme de défense dans les groupes, en réaction.

Je pense, que la séparation entre Wikileaks et Open Leaks est probablement le meilleur exemple du fait que les groupes, même des groupes bien soudés, vont diverger, vont générer des rancunes, et que ce sera en fait un désastre. Et c’est très triste, tragique même, et ce genre de chose, même quand on essaye de les combattre, on n’est pas très sûr de savoir comment elles arrivent. Je veux dire, dans l’histoire on peut voir comment ces genres de disputes peuvent arriver, mais le fait est qu’on n’en tire pas toutes les leçons. Donc, c’est plutôt triste, que l’on concentre autant d’énergie sur des éléments avilissants comme quand quelqu’un fait un truc génial, et que quelqu’un dit « ah oui, mais ce truc », et la discussion s’entame sur ce truc. Je pense, en fait, qu’il pourrait être plus sensé de se concentrer sur les choses positives, aussi. Il est vrai que parfois les gens font du matériel libre et du logiciel libre, mais avec un blob propriétaire, cela ne veut pas dire qu’on ne devrait pas les remercier, et les créditer pour ça, en fait, vraiment les féliciter de donner autant d’efforts pour faire des choses les plus libres possibles. C’est trop dommage qu’un truc ne soit pas libre, mais peut-être qu’on peut fournir un effort supplémentaire et libérer ce truc-là. C’est presque la même observation, mais la façon dont c’est dit nous permet d’y penser comme si on faisait partie du projet. Et cela aide à garder les gens ensemble, et cela aide à garder les gens motivés pour travailler ensemble, en fait. Je pense que c’est une idée utile, d’essayer d’adopter ce comportement.

ce mécanisme de défense qu’ont les gens, de penser qu’ils sont journalistes, donc protégés, et que personne ne va rien leur faire, c’est un non-sens. Aux États-Unis, chaque journaliste qui est soumis aux tentacules des écoutes du sans fil est… surveillé

Nous avons aussi des défenses psychologiques à propos du monde physique, ce dont j’ai personnellement une grosse expérience. Par exemple, cette idée que les mandats sont obligatoires pour pénétrer dans une maison, que votre lieu physique est d’une façon ou d’une autre protégé, c’est une idée dépassée, Je ne le crois certainement plus maintenant, c’est un peu triste, mais cela ne semble pas être le cas. Aux États-Unis, il y a une chose appelé le Patriot Act. Et la section 215 du Patrio Act dit essentiellement quelque chose, et c’est interprété d’une toute autre façon, c’est à dire, qu’il y a une interprétation secrète de la section 215 du Patriot Act. Et si vous questionnez Bill Binney à ce sujet, il vous dirait que c’est de bonne guerre. C’est-à-dire, peu importe ce que vous pensiez que la Constitution disait, ou peu importe ce que vous pensiez que la Déclaration universelle des droits de l’Homme disait, ce n’est pas vraiment ce qui est en train de se passer. Et donc, ce mécanisme de défense qu’ont les gens, de penser qu’ils sont journalistes, donc protégés, et que personne ne va rien leur faire, c’est un non-sens. Aux États-Unis, chaque journaliste qui est soumis aux tentacules des écoutes du sans fil est… surveillé, hors de toute considération des protections du journalisme en général.

Chaque membre du Congrès, chaque personne dans cette pièce, particulièrement chaque personne dans cette pièce. Et bien sûr, des gens vont dire des choses comme « bah, ne traverse pas la frontière avec quoi que ce soit ». C’est juste tellement stupide. Donc vous savez, par exemple quand j’ai traversé la frontière avec un téléphone, je ne suis en fait pas autorisé à vous dire ce qui est arrivé au téléphone. Et évidemment c’était une erreur de traverser la frontière avec un téléphone. Mais ce n’était pas tant une erreur, puisqu’un téléphone se connecte au système téléphonique, et chaque numéro dans ce téléphone avait déjà été utilisé pour répondre à un appel, donc ce n’est pas comme si ce jour-là, il n’était pas déjà dans les mains des oppresseurs… En l’occurrence il y avait aussi dans le répertoire des faux numéros supplémentaires juste pour s’amuser. Je veux dire, si un état policier se met à arrêter des gens coupables d’avoir des relations, vous voudriez être sûr d’avoir des numéros de connards dans votre téléphone, n’est-ce pas ?

(applaudissements)

rien ne va plus gâcher votre nuit que sentir qu’il y a un état entier qui vous marche sur la gorge

Mais la réalité, c’est que quand je ne peux pas passer la frontière avec quelque chose de compromettant, c’est moi qui décide d’être docile, et c’est moi qui décide d’accepter oppression. Et chacun ici pourrait faire ce choix, mais je dis « merde », ce n’est pas un choix qu’on devrait avoir à faire. C’est en fait un mécanisme pour faire avec, et ces mécanismes viennent en réaction au sentiment qu’on n’a pas de moyen d’action, qu’on est totalement impuissant, par exemple les gens qui ruminent des pensées comme « comment je vais manger ? », « comment je vais nourrir mes enfants ? », « comment je vais les éduquer ? », « si je ne joue pas le jeu, si je ne me soumets pas, ils vont me faire vivre l’enfer ? ». Une partie du problème ici, et c’est marrant de dire ça en Europe car le contexte est si différent, une partie du problème ici est l’état. Quand l’état a le pouvoir pour nous faire avoir ce genre de pensée dans notre tête, quand il nous permet de créer et de faire ces choix, nous devenons moins libres. Donc, peut-être qu’en reconnaissant ces mécanismes, et qu’en essayant d’identifier le suivant sur la liste, essayer d’isoler la prochaine pensée, cela pourrait être utile. Je pense que c’est utile. Et en ce qui me concerne, ce que j’ai essayé de faire, de reconnaitre, c’est que j’essayais de m’arranger avec une situation qui était ingérable. Je veux dire, rien ne va plus gâcher votre nuit que sentir qu’il y a un état entier qui vous marche sur la gorge. Ce n’est même pas cool d’en parler en soirées, je veux dire il n’y a vraiment pas grand-chose de sympa là-dedans.

Mais il y a du bon à en tirer, c’est de montrer aux gens qu’on n’est pas sans option. Que cela ne termine pas simplement dans les pleurs. Je veux dire, cela pourrait, mais pas tous les jours. Vous pouvez choisir comment cela se passe. J’ai eu l’opportunité de rencontrer le Dalaï Lama en Inde, il y a un peu près deux semaines, et de rencontrer le peuple tibétain qui s’est échappé du Tibet sous le règne de oppresseur chinois. Des gens qui ont été électrocutés, eu le crâne fendu, les tripes arrachées, les dents cassées, leur famille emprisonnée, tout y passe, ils l’ont vécu. Et j’ai pris conscience que je n’ai pas de problèmes, par comparaison, mais j’ai compris ceci : ce sont les personnes les plus accueillantes que vous puissiez imaginer, c’est plutôt touchant, en dépit du fait qu’ils représentaient une théocratie brutale il y a un siècle, ils ont certainement appris depuis. Et c’est un fait que nous pouvons décider comment nous faisons face à ces choses. Nous pouvons devenir de plus en plus froids, ostracisés, nous pouvons nous détruire, nous pouvons affaiblir nos communautés, nous pouvons travailler contre nos intérêts dans le long terme, ou nous pouvons essayer de trouver de la joie dans la vie que nous avons, et nous pouvons essayer de faire un monde meilleur que celui dont nous venons, dans lequel nous avons vécu.

Quand je regarde Bill Binney, et Thomas Drake, et Jesselyn Radack, et John Kiriakou, qui sont des lanceurs d’alertes importants aux États-Unis, et trois d’entre eux sont en fait dans le public ici, et font une conférence que vous devriez voir, plus tard aujourd’hui. C’est la meilleure chose de ce Congrès, et j’inclus ce discours (rires). Ces types et Jesselyn sont incroyables, et je recommande que vous écoutiez leur histoire, car ils seront capables de vous dire ce que cela fait que de protester pour les bonnes causes, et même d’essayer de le faire de la manière la plus directe possible, par les voies normales. Binney a en fait passé dix ans dans le système lui-même, tout ça pour conclure que le système ne marche pas comme il devrait pour régler les problèmes dont il est censé s’occuper. Donc c’est une personne, qui je pense, a épuisé tous les recours possibles, que je n’aurais même pas considérés. Mais il m’a prouvé que je ne m’en serais pas donné la peine pour de bonnes raisons. Je veux dire, cela ne marche pas bien, et il y des choses à dire à ce propos. Mais leur histoire, je ne peux la raconter comme il faut, de même que je ne peux pas raconter l’histoire de Bradley Manning, ou celle de Julian Assange, et ce à quoi il est confronté maintenant. Mais ce que je peux dire de ces choses, c’est que si on les compare et confronte avec l’histoire de Robert Bails, le soi-disant massacreur (on peut employer ce mot je suppose), c’est que quand vous êtes au service de l’état, même si c’est pour tuer (il paraît) vingt afghans, ils vous emmèneront en deux temps trois mouvements, vous donneront du temps pour votre famille. Au contraire du cas de Bill Binney qui a un pistolet braqué sur sa tête quand il prend sa douche, ils s’assurent juste de l’emmener vers le centre de détention général de Leavenworth. Comparez ça à disons, Bradley Manning, qui a passé des mois à être torturé à Quantico avant de découvrir le centre de détention général de Leavenworth.

Il y a quelque chose à dire à propos de ce genre d’exemples qu’on a vus avant, et je pense que ce que l’on peut dire, c’est que certaines personnes ont un chemin très difficile, et quand elles choisissent d’emprunter ce chemin, cela vaut le coup de faire ce choix ; Bill, Thomas, et Jesselyn ont travaillé très dur en essayant de montrer au monde, qu’en fait cela ne vaut pas vraiment le coup de renoncer, mais ce n’est pas une tâche facile, et quand on parle à Thomas, de l’impact que cela a pu avoir sur sa famille, il est clair pour moi que l’état a fait exprès que ce soit dur, c’est une de leurs tactiques.

Mais la conséquence, c’est que les gens pensaient que moi, ou les gens qui parlaient de l’état policier, qui parlaient du centre de données de l’Utah, que nous étions complètement cinglés. Mais maintenant ce n’est pas le cas. Plus personne ne pense cela maintenant. Maintenant nous comprenons que le programme d’écoute de la NSA existe. Nous comprenons que le centre de données est là pour espionner sur nous tous. Nous ne cherchons plus à nier les faits. Nous ne les nions plus. C’est la réalité. C’est à cause des choses qu’ils ont faites qu’il en va ainsi. C’est en raison du courage qu’ils ont dans leur cœur, et des souffrances qu’ils ont endurées.

l’anonymat à lui tout seul n’est pas assez. Il faut aller plus loin.

Et le but n’est pas de larmoyer sur leur cas, et le but n’est pas de dire que l’anonymat n’est pas important, c’est juste de dire que l’anonymat à lui tout seul n’est pas assez. Il faut aller plus loin. L’anonymat va vous faire gagner du temps, mais il ne va pas apporter de la justice à tout le monde. Il ne va certainement pas leur apporter de la justice, et cela ne les aiderait pas de toutes façons, car sur le long terme, il est facile pour l’état de lever l’anonymat de tout le monde, en fait je pense que ce sera assez facile de lever l’anonymat de presque tout le monde dans un état totalement policier, car nos habitudes nous trahiront, car notre manière d’écrire nous trahira. Donc, en théorie, les choses que j’ai dites sont des choses qui ne sont probablement pas un scoop pour personne ici, et vous entendez souvent cela comme tactique de déni, « eh bien, ce n’est rien de nouveau, il n’y a rien de spécial ici ». Bien, je l’entends. Et j’aimerais vous soumettre un « arrêtons de jouer les gros malins », car il est vrai que certaines de ces choses ne sont pas nouvelles, mais la réalité c’est que nous devons faire quelque chose à ce sujet, et peu importe pour combien de temps on a su que cela ne tournait pas rond. Donc il y a des choses que nous pouvons faire en réalité.

Et cela vaut la peine de mentionner que cela n’arrive pas qu’aux informateurs, ou à leurs connaissances, ceux qui sont les personnes les plus dangereuses sur Internet, ou à ceux sous anonymat, ou des choses comme ça. Cela arrive à Monsieur Tout-le-monde. Et je vais vous parler à peu près deux minutes, eh bien c’est un exemple très personnel et je me suis demandé si j’allais le mentionner ou non, et je pense que je vais en parler, juste parce que je pense que c’est important.

Aux États-Unis, ce n’est sans doute pas une surprise pour la plupart d’entre vous, j’ai une mère. Mais ma mère et moi ne sommes pas spécialement proches, et malheureusement pour elle, ma mère est plutôt une malade mentale, et sa vie est plutôt tragique, plus tragique que celle des personnes que j’ai mentionné jusqu’ici. Mais ce qui est le plus tragique en ce qui la concerne, c’est que pendant ces deux dernières années, à peu près quand on a commencé à me harceler aux États-Unis, mais probablement sans aucun lien, elle a été arrêtée et emprisonnée. Et l’état a en fait violé toutes les lois que vous pouvez imaginer en l’arrêtant, y compris l’irruption dans sa maison sans mandat pour fouiller ou arrêter. En dépit du fait qu’elle a été arrêtée dans des circonstances très louches, et en dépit du fait que sa vie a été totalement détruite, quand sa maison et ses biens lui ont été confisqués, et qu’on ne lui a rien laissé, elle a été conduite de force dans un hôpital psychiatrique. Et en conséquence, ils ont décidé qu’ils peuvent la retenir pendant trois ans sans procès. Maintenant, être malade mentalement, ce n’est pas en soi un crime. Mais parce qu’elle a été arrêtée pour quelque chose qui est soi-disant un crime, cela veut dire qu’ils peuvent la retenir jusqu’à ce qu’elle soit saine, ce qui a pour effet de criminaliser la déficience mentale, ce qui est trop dommage, elle est légitimement une malade mentale, et elle aurait besoin d’aide, mais la façon dont ils ont décidé de l’aide, c’est en détruisant sa vie, si bien que quand elle échappera aux plaintes auxquelles elle fait face, elle n’aura plus rien vers quoi se tourner.

Donc ce sont les effets d’une société totalitaire, qui poursuit Bill Binney, Thomas Drake, Jesselyn Radack, Bradley Manning, Julian Assange, et moi-même. Et elle m’a dit, bien qu’elle soit dérangée, donc c’est difficile de faire la part du vrai et du faux, qu’elle a été interrogée deux fois sur moi et sur Wikileaks. Une fois avant qu’elle ne soit traitée, et une fois après qu’on lui a fait prendre de force des médicaments anti-psychotiques. Maintenant, c’est pour le moins plutôt dérangeant. Mais le plus dérangeant, c’est que je ne sais pas si ce sont ses divagations parce qu’elle est plutôt cinglée, ou si c’est vrai.

c’est le problème de tout le monde

Mais le point important, c’est que si on regarde la situation de face, c’est que c’est une personne qui traverse une période difficile. Ce que l’on peut en retirer, c’est que c’est le problème de tout le monde. C’est aussi en fait techniquement mon problème, mais le point important ici, c’est de reconnaître qu’elle représente ce qui arrive à Monsieur Tout-le-monde dans la société américaine. Et c’est une réalité vraiment dérangeante, de voir cela arriver. Donc que pouvons nous faire à ce sujet ? N’est-ce pas ? Je veux dire, si vous n’êtes toujours pas convaincu que c’est ce qui arrive à Monsieur Tout-le-monde, eh bien vous passerez votre chemin, très bien. Je ne sais pas exactement ce que je pourrais dire pour vous convaincre, mais je suppose que je pourrais dire d’aller voir les enfants qui ont été tués par les attaques de drones, et voir quelle justice ils ont reçu. Mais il me semble plutôt qu’on doit se battre contre ces choses, mais on doit faire plus que seulement se battre, car seulement se battre contre ces choses devient corrosif. Pareil pour Bradley Manning. Dans la situation de ma mère, se battre contre son emprisonnement injuste, pareil pour Assange, pareil pour toutes les personnes qui ont été injustement harcelées, ou pire. Cela vous vide, et cela détruit votre vie, et cela détruit votre capacité à avoir de l’espoir, à s’amuser, et pouvoir se relaxer. Je ne peux même pas me souvenir de la dernière fois où je ne me suis pas endormi en me demandant si je me réveillerais avec le canon d’un pistolet dans ma bouche, en vivant aux États-Unis. Parce que c’est le genre de monde où on vit maintenant. Et peut-être êtes-vous chanceux car vous ne vivez pas dans ce monde, mais la réalité c’est que beaucoup de monde vit dans ce monde. Et qu’ils le méritent ou non, il y a des choses à dire sur les gens qui ne se font pas arrêter, qui doivent s’inquiéter de ce genre de chose. Peut-être est-ce un monde dans lequel vous ne voulez pas habiter.

Donc, et si au lieu de simplement se battre contre ces choses, on construisait des alternatives, et précisément essayer de construire des alternatives durables, et accepter l’idée qu’on risque de perdre notre démocratie dans le monde, et qu’on perd notre capacité d’action. Nous sommes de plus en plus déprimés à propos de notre gouvernance démocratique, et on sent qu’on n’a pas de représentation dans nos parlements et congrès respectifs. Je pense que c’est un pas très utile à franchir, car cela veut dire qu’on peut faire d’autres pas. Car une fois qu’on admet qu’on a ce problème, on peut essayer d’en venir à bout. Au projet Tor, l’une des choses que nous avons essayé de faire, c’est de construire une chose appelée Ooniprobe, et Arture Filasto et Isis Lovecruft, qui sont deux des hackers les plus géniaux programmant en python dans le monde, ont travaillé sur une sonde, pour essayer de détecter la censure sur Internet, de sorte qu’on puisse y remédier. Ils bâtissent une alternative positive, avec laquelle on aura des données pour pouvoir parler des violations des droits de l’Homme, dans le contexte d’observations scientifiques, ce qui nous permettra d’avoir concrètement une conversation pour savoir si on fait ou non les bons choix pour nos sociétés, s’il y a ou non un problème dans le contrat. Ce genre de méthode constructive est épatante. Et on devrait l’applaudir. Je ne sais pas si tu veux te lever Arturo, mais tu devrais !

(applaudissements)

quand on fait du matériel libre et open source, on permet aux gens d’être libres à un degré impossible auparavant.

J’ai récemment utilisé ce code. J’ai écrit la toute première version d’Ooniprobe, et Arturo s’apprêtait à travailler dessus, et il l’a réécrit en entier. Je l’admets, je pense que c’était probablement le bon choix. Mais je l’ai utilisé en Birmanie, et en l’utilisant, on a accidentellement découvert un nouveau moyen de détecter des équipements de surveillance, ce que l’on n’avait pas imaginé avant, Donc même si vous ne connaissez pas un site sous censure, si vous utilisez Twisted, c’est si efficace que ça va faire bugger l’équipement Blue Coat. Pour un non sens sur le site. Merci Blue Coat. Ce genre d’approches constructives vaut la peine d’être mentionnées, et il y en a beaucoup. Tous ceux qui travaillent sur le projet GNU, sur des logiciels open source et libres, tous ceux dans cette pièce qui ont travaillé sur du matériel libre, sur de la documentation, ce sont les choses sur lesquelles on devrait se concentrer. Et on devrait le faire avec des objectifs. On devrait essayer de penser que quand on fait du logiciel libre et open source, quand on fait du matériel libre et open source, on permet aux gens d’être libres à un degré impossible auparavant.

du logiciel libre pour la liberté

Littéralement, les gens qui codent des logiciels libres donnent des libertés. Il y a à peu près 10 jours, j’ai eu le… plaisir est le bon mot je suppose, d’aller en Birmanie, et j’ai rencontré des hackers libristes qui vivent dans des situations qui sont impensables. Une personne que j’ai rencontré avait été condamnée à 15 ans de prison pour avoir reçu un courriel avec un dessin politique dedans. Et c’était considéré comme recevoir de l’information illégale, ou quelque chose dans le genre, et il a fait 4 ans dans un camp de travail, avant d’être libéré en début d’année. Donc avec de telles conditions pour hacker, dans lesquelles les communications ne sont pas libres, où une puce Sim coûte $250, où l’accès Internet et la censure dépendent de nombreux paramètres, ces personnes font du logiciel libre et travaillent dessus, littéralement du logiciel libre pour la liberté. Donc quand vous travaillez sur le logiciel libre pour la liberté, vous leur permettez aussi de travailler pour la liberté. C’est le genre d’aide mutuelle et de solidarité, dont vous n’avez même pas besoin d’être au courant quand vous travaillez dessus. Mais vous l’êtes. Tout le monde ici qui travaille sur du logiciel et du matériel libre et ouvert, contribue activement à construire un monde meilleur. Et pourtant il y a des exceptions. Il y a parfois des gens qui changent de licence, car ils sentent qu’ils n’ont pas assez de reconnaissance. Je pense que c’était Theo de Raadt qui l’avait dit. D’accord, ça arrive. Mais finalement, dans l’ensemble, c’est une chose positive, et écrire du logiciel libre c’est super.

Et finalement, une partie de mon objectif ici, quelque chose sur lequel on peut se mettre d’accord je pense, c’est d’essayer de vivre des vies agréables, libres de toutes contraintes. Quelle que soit la manière dont on mène nos vies, c’est quelque chose sur quoi on veut travailler pour que tout le monde puisse l’avoir, une vie libre, et dans un sens très précis, où il peuvent choisir ce que leur liberté représente, ce que va être leur vie. Travailler dans ce but, c’est ce que vous pourriez appeler, comme le dirait Peter Singer, une philosophie utilitariste basée sur des préférences. La pratique, c’est que je pourrais vouloir ne pas croire en Dieu, mais je pourrais respecter le fait que vous voulez croire que Dieu existe. Nous devons accepter que nous vivons dans un monde varié, que les gens soient d’accord ou pas, n’est-ce pas ? Les nazis allemands que la police secrète aidait ? Ces types sont en train de mourir. Même s’il y en a beaucoup, il y a 7 milliards de personnes sur cette planète, et pas une seule personne ne va les aider à réaliser leur rêve de se débarrasser du reste du monde, qui ne croit pas en eux. Et c’est très bien en fait. Vous entendez cela de la part de quelqu’un d’origine juive, se tenant debout ici à Hambourg maintenant, ce qui est fantastique.

(applaudissements)

une relève de la garde est en train de se faire


Donc même si Rop, dans le public ici, se sent plutôt à bout, sent que les temps sont durs, parce que c’est vrai, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’espoir. Il veut partir, et construire une ferme, et je ne suis pas sûr de savoir où il est dans le public, mais il veut partir et bâtir une ferme, et passer du bon temps, et je pense que c’est génial. Je pense que c’est assez de résistance, son projet vaut la peine d’être étudié. Mais je pense aussi que pour les personnes qui ne sont pas vidées, il y a une relève de la garde qui est en train de se faire. Et donc c’est le tour d’une nouvelle génération, de faire ce que Rop a fait pendant ces trente dernières années, si je ne me trompe pas ? Wow ! On devrait le remercier pour cela, j’ai envie de dire.

(applaudissements)

Donc je pense qu’on devrait arrêter d’essayer de se faire des illusions quand on dit qu’on s’en fout, ou qu’on veut aider, mais qu’on n’aide pas pour ce qui est évident, ce qui nous menace. On devrait essayer de travailler ensemble, de construire des structures indépendantes, de remplacer les parties de l’état qui ont été démantelées. C’est quelque chose que je pense incroyable, et difficile à comprendre par tout le monde, mais une des raisons pour lesquelles nous perdons tellement dans notre société, c’est parce que nous n’avons pas de contrôle démocratique sur les choses qui comptent pour nous. Donc ce que nous devons faire, c’est d’essayer de remplacer ces structures, surtout ces structures qui manquent. Et j’inclus des trucs pas sexy dedans, comme les crèches, l’éducation, ainsi que, vous savez, des communications libres et ouvertes pour les téléphones. Tout est lié, donc je pense que nous devons évoluer vers un monde où nous agissons, pas réagissons.

Je pense à cette histoire d’Emma Goldman, qui est une des plus grandes féministes et anarchistes à avoir marché sur cette terre, en regard de son travail et de ses réalisations. Elle parlait des façons dont elles voulait changer le monde en mieux, pour faire naître cette utopie anarchiste, et un vieil homme l’interpella, et dit : « eh bien, j’aimerais bien une heure de loisir supplémentaire et je reconnais que faire des compromis est difficile, mais vous savez, je suis vieux, et je vais mourir et je ne connaîtrai jamais cette utopie anarchiste, donc une heure de loisir supplémentaire par semaine m’est très utile, et c’est tout ce que je voudrais avoir » Et je pense que cette histoire est un bon rappel, et je la raconte mal et rapidement, pour dire qu’en fait les moyens sont en fait les fins, dans la plupart des projets que nous faisons.

Donc les gens qui préfèreraient s’introduire dans des ordinateurs et espionner des gens pour le compte de l’état mettent des gens en prison, souvent de manière injuste, et même quelquefois de manière juste, même si je n’en suis pas fan, je comprends que des bonnes choses peuvent en découler ; la réalité c’est que la structure de contrôle est devenu une machine qui craque des systèmes et espionne des gens. C’est la fin pour des personnes qui en prennent conscience trop tard. Et je reconnais que cette discussion de moyens et de fins prête plutôt à controverse. Mais la réalité, c’est qu’on n’agit pas avec compassion avec les gens qui souffrent quotidiennement, tous les jours, quand on détourne les yeux, à cause de petites querelles. Par exemple, les gens n’aiment pas certains aspects de Julian Assange, ou de Bradley Manning, ils détournent les yeux des injustices auxquelles ils font face. Même si les avis divergent sur beaucoup de points, les gens ne méritent pas d’être torturés, et les gens ne méritent pas d’être injustement emprisonnés. Pour moi, je pense que…

(applaudissements)

Vous pouvez applaudir si vous le désirez. Eh bien, j’ai mauvaise conscience de mentionner son nom que maintenant. Moxie Marlinspike, qui est un type super, je l’aime bien, il est incroyable. Il dit qu’une partie du problème c’est, vous savez je paraphrase, que nous ne pensons pas avoir de moyen d’action, nous ne pouvons pas réagir par rapport à toute la merde qui arrive dans le monde. Mais la réalité c’est que nous en avons un. Donc si vous pensez… Faisons un sondage. Levez la main si vous pensez que l’anonymat est bien, et que c’est un droit humain que nous devrions protéger. Maintenant levez la main si vous voulez faire quelque chose à ce sujet. Maintenant gardez votre main levée si vous allez opérer un relais Tor.

(rires)

Nous avons les moyens d’agir


Tous ceux qui ont baissé leur main, pourquoi n’allez-vous pas opérer un relais Tor ? Vous pouvez faire quelque chose à ce sujet en ce moment même. Il faut s’en donner la peine. Mais c’est ça. Nous avons le moyen d’agir. Et parfois nous faisons le choix de les utiliser ou non. Et je respecte cela. Nous avons ce choix, et je suis content que ce soit un choix. Mais nous devrions reconnaître lorsque nous ne faisons pas ce choix, ou quand nous avons peur. La bravoure, ce n’est pas l’absence de peur. C’est continuer d’avancer, même quand on a peur, parce que vous savez que c’est la bonne chose à faire. Donc il est important d’être courageux, et de reconnaître que la peur existe. Et qu’il est important de refuser d’être ostracisé par notre société. Et qu’il est important d’avoir de la solidarité, avec des grandes causes, au lieu de juste pointer du doigt les différences, ou les choses sur lesquelles on est en désaccord.

Avoir de l’aide mutuelle de l’humanité toute entière, c’est quelque chose incroyable, extraterrestre quelque part, mais c’est la communauté des hackers qui a voulu envoyer des gens sur la lune. Donc je pense que nous pouvons nous faire plaisir un peu aussi.

(applaudissements)

faire avancer les bouts de démocratie qui nous restent dans ce monde

Donc, j’ai dit que j’allais parler de résistance, mais c’est au-delà de la résistance, car une partie de la résistance, c’est de s’assurer que les gens font les choses différemment. Et si au lieu de s’assurer qu’on ne fait pas les choses de la même façon, on s’assurait d’avoir des alternatives disponibles, qu’on pourrait librement choisir ? Eh bien, c’est en partie ce qu’il se passe ici. Les gens ne vont pas choisir de crever de faim. Les gens vont faire le choix de faire ce qui garantit à leur famille d’être nourrie. Donc nous devons remplacer les structures qui permettent la famine. Et pareillement, nous devons nous assurer en construisant ces structures, que nous les faisons de manière juste et durable. Nous devons nous assurer, que si tirer la sonnette d’alarme et fuiter de l’info sont fondamentalement des tactiques utiles pour une stratégie de transparence sur le long terme, il existe d’autres moyens. Les écrits de Gene Sharp à ce sujet sont vraiment extraordinaires, et je recommande leur lecture. Car chanter et danser dans la rue, même si cela ne semble pas aider, c’est documenté comme ayant mis un terme à des dictatures.

Il y a beaucoup de choses que nous pouvons faire pour continuer et faire avancer les bouts de démocratie qui nous restent dans ce monde. Et nous devons en fait les faire grandir, et aider d’autres gens. Et cela vaut la peine de le faire. Bien, l’hacktivisme est une stratégie que je pense utile. Et il est bon de mentionner que si s’introduire dans un système est parfois plutôt difficile, c’est fondamentalement plus facile que de construire quelque chose, quelque chose dont tout le monde peut se servir librement, qui va aider les gens.

Mais parlons de ces tactiques élémentaires un moment, car je n’ai presque plus de temps. Mais il y a des choses effroyables. Comme par exemple, j’ai dit que nous devrions nous débarrasser de la police secrète dans le monde, les gens s’attendent à voir des éclairs tomber, ou des fusils à lunette qui vont faire échapper magiquement un nuage rose de derrière le cou. Mais le truc, c’est que le secret donne du pouvoir. Et donc je pense que ce que nous devrions faire, c’est que si nous avons une police secrète, qui interfère avec notre démocratie, notre société, nous devrions la révéler. C’est important. Balancez-les, et révélez au grand jour ce qui est complètement illégal. Révélez et demandez des comptes.

(applaudissements)

Si c’est complètement illégal, que par exemple ils aident des meurtriers d’extrême-droite, eh bien montrez que ce n’est pas ce que notre société attend des gens en fait. Car autrement, il y a un sentiment de culpabilité. Cette idée que ce ne sont pas vos oignons, c’est un non-sens. Ce sont nos oignons. Vous avez le choix entre mener une vie au bout de laquelle vous aurez pas mal de honte, ou une vie pour laquelle tout ce qui se passe sur terre est vos oignons. C’est un choix que vous devez faire. Et on le fait tout le temps. Je suis honnêtement ému par le fait que des personnes comme Karsten Loesing qui est assis au premier rang ici, pourrait avoir choisi un job peinard à l’université. Mais il a choisi de travailler sur des statistiques pour le projet Tor. C’est un type brillant qui peut probablement choisir de faire tout ce qu’il veut, et il a choisi de faire du très bon travail en aidant les gens à parler librement. Et c’est pareil avec Linus Nordberg, et George, et d’autres personnes dans ce public. Donc vous pouvez faire un choix, et la récompense ce sont les libertés dont nous jouissons dans nos vies.

Donc je veux terminer en vous disant que si les gouvernements tuent des gens, ne vous contentez pas de passer votre chemin. Vous y réfléchissez, vous recherchez qui est coupable, et vous collectez des informations. Rop m’a en fait encouragé à penser à cela. On peut ne pas être capable d’obtenir justice aujourd’hui. Mais quand on a les informations sur les personnes qui ont fait ça, demain peut-être sera le jour où on obtiendra justice. Ne pas passer son chemin, ne pas devenir insensible, garder l’information, cela nous permettra de demander des comptes plus tard, même si en ce moment nous ne pouvons pas. Des scanners pour plaques de voitures dans votre ville ? Obtenez l’information. Un truc utile que vous pouvez faire avec ces données, c’est que vous pouvez révéler toute la surveillance cachée qui se fait dans votre ville. Pensez-y quelques minutes, et vous trouverez. Ce n’est pas très dur. Donc révélez ces informations, car l’espionnage est mal, car l’espionnage est un affront à la dignité humaine. La rétention de données ? Même problème. Obtenez l’information. Utilisez ces données pour quelque chose d’utile. Essayez de vous assurer que ce ne sont pas les décisions et les compromis que nous voulons, où un état complètement policier ne permettra pas aux personnes spéciales de garder leur caractère spécial. C’est plutôt dangereux quand on a un état complètement policier. On ne l’a pas compris complètement, mais c’est dans cette direction que nous allons constamment.

Donc si je devais vous laisser avec une dernière chose, ce serait probablement avec un enseignement du Dalaï Lama. Je ne suis pas fondamentalement une personne religieuse, du tout, donc je vais ignorer la fin de ce qu’il a dit, car cela ne communique pas vraiment ce que j’essaie de vous dire. Mais je vous dis ce que c’est, et je vais le dire en même temps. Il a dit que la mort est certaine, mais que l’heure de la mort ne l’est pas, et je pense que c’est quelque chose qui est dur à avaler. Mais c’est quelque chose que j’ai aussi entendu de Bill Binney, ce qui donne beaucoup d’inspiration, et je l’ai aussi entendu de Daniel Ellsberg. Ils ont dit tous les deux qu’ils sont âgés, et qu’ils n’ont plus rien à perdre, mais qu’ils vont faire de leur mieux car qu’allons-nous faire ? Rester au lit pour le reste de notre vie ? ont-il demandé. C’est fantastique ce qu’ils ont dit, car ils sont tous les deux vieux, et ils n’ont peut-être plus beaucoup de vie. Mais je pense qu’il est important de reconnaître qu’ils font avec cette certitude, qu’ils auront à dormir la nuit, qu’ils ont le choix de ce qu’ils vont faire avec les précieux restes de vie qu’ils ont, et ils ont choisi directement et clairement que ce sont leurs oignons, de faire ce qu’ils peuvent, de ne pas laisser faire, de ne pas être complices de choses graves, qui dégénèrent sérieusement.

Donc ce que le Dalaï Lama m’a aussi dit, c’est qu’à l’heure de la mort, ce qui aide seulement, c’est la pratique religieuse, et je pense que c’est vrai à un niveau personnel, mais au niveau de la société, autre chose qui aide c’est de reconnaître qu’on a tous des rythmes différents, et donc les gens font des choix, ils ont une influence sur le monde sur ce que d’autres personnes font avec leur vie. Donc les actions de Bill Binney, il peut ne pas vivre pour les voir porter ses fruits, mais l’important c’est qu’en raison de ce qu’il a fait, il inspire d’autres personnes. Et ce sont ces personnes qui vont agir, et faire un monde meilleur. Donc sur ces derniers mots, à propos des quelques objectifs que j’ai évoqués ici, je voudrais dire que cela regarde tout le monde.

Happy hacking. Merci de m’avoir écouté.

(applaudissements)




Les réalités économiques du logiciel libre (Libres conseils 40/42)

* Aujourd’hui 28 mars, dernière séance de traduction collaborative sur ce projet avec l’épisode n°42 !

Traduction Framalang : tcit, Julius22, Sphinx, goofy, peupleLà, merlin8282, lamessen, BAud, Jej, Alpha

Modèles économiques basés sur le libre et l’open source

Carlo Daffara

Carlo Daffara est chercheur dans le domaine des modèles économiques basés sur l’open source, le développement collaboratif d’objets numériques et l’utilisation de logiciels open source dans les entreprises. Il fait partie du comité éditorial de relecture du journal international des logiciels et processus open source (International Journal of Open Source Software & Processes : IJOSSP), est membre du comité technique de deux centres régionaux de compétences open source et est également membre du réseau juridique européen FSFE (fondation européenne pour le logiciel libre). Il a pris part aux comités SC34 et JTC1 pour la branche italienne de l’ISO, UNINFO et a travaillé au sein du groupe de travail de la société Internet du logiciel public (Internet Society Public Software) ainsi que pour beaucoup d’autres initiatives liées à la normalisation.

Auparavant, Carlo Daffara était le représentant italien dans le groupe de travail européen sur le logiciel libre, la première initiative de l’Union européenne afin de soutenir l’open source et le logiciel libre. Il a présidé le groupe de travail SME du groupe d’étude de l’UE sur la compétitivité et le groupe de travail IEEE des intergiciels open source du comité technique sur le calcul évolutif. Il a travaillé en tant qu’examinateur du projet pour la commission Européenne dans le domaine de la coopération internationale, l’ingénierie logicielle, l’open source et les systèmes distribués et a été directeur de recherche dans plusieurs projets de recherche de l’Union européenne.

Introduction

« Comment gagner de l’argent avec le logiciel libre ? » était une question très courante, il y a encore seulement quelques années. Désormais, cette question s’est transformée en « Quelles sont les stratégies commerciales pouvant être mises en œuvre en se basant sur le logiciel libre et open source ? ». Cette question n’est pas aussi gratuite qu’elle peut paraître, puisque de nombreux chercheurs universitaires écrivent encore ce genre de textes : « le logiciel open source est délibérément développé hors de tout mécanisme de marché… il échoue à contribuer à la création de valeur aux développements, contrairement au marché du logiciel commercial… il ne génère pas de profit, de revenus, d’emplois ou de taxes…

Les licences open source sur les logiciels visent à supprimer les droits d’auteurs sur le logiciel et empêchent d’établir un prix pour le logiciel. Au final, les logiciels développés ne peuvent être utilisés pour générer des profits. » [Koot 03] ou [Eng 10] indiquent que « des économistes ont montré que les collaborations open source dans le monde réel s’appuient sur plusieurs incitations différentes telles qu’enseigner, se démarquer et se créer une réputation » (sans parler des incitations économiques). Cette vue purement « sociale » du logiciel libre et open source est partiale et fausse. Et nous démontrerons qu’il y a des raisons économiques liées au succès des métiers du libre et de l’open source qui vont au-delà des collaborations purement bénévoles.

Le logiciel libre et open source face aux réalités économiques

Dans la plupart des domaines, l’utilisation d’un logiciel libre et open source apporte un avantage économique substantiel, grâce aux développements partagés et aux coûts de maintenance, déjà décrits par des chercheurs comme Gosh, qui a estimé une réduction de coût de 36 % en R&D (« Recherche et Développement », NdT). La vaste part de marché des déploiements « internes » de logiciels libres et open source explique pourquoi certains des bénéfices économiques ne sont pas directement visibles sur le marché des services commerciaux.

L’étude FLOSSIMPACT a montré, en 2006, que les entreprises qui contribuent au code de projets de logiciels libres et open source ont, au total, au moins 570 000 employés et un chiffre d’affaires annuel de 263 milliards d’euros [Gosh 06], faisant ainsi du logiciel libre et open source l’un des phénomènes les plus importants des NTIC. Il est important aussi de reconnaître qu’un pourcentage non négligeable de cette valeur économique n’est pas directement perceptible du marché, vu que la majorité du logiciel n’est pas développée dans l’intention de le vendre (le soi-disant logiciel « prêt à l’emploi ») mais uniquement à usage interne. Comme le réseau thématique FISTERA EU l’a identifié, en réalité, la majorité du logiciel est développée seulement pour un usage interne.

Région Licences de logiciels propriétaires Services logiciel (développement personnalisation) Développement interne
Union européenne 19 % 52 % 29 %
États-Unis 16 % 41 % 43 %
Japon N/A N/A 32 %

Il est clair que ce qui est appelé « le marché logiciel » est en réalité bien plus réduit que le vrai marché du logiciel et des services et que 80 % restent invisibles. Nous verrons que le FLOSS tient une place économique importante de ce marché, directement grâce à ce modèle de développement interne.

Modèles économiques et proposition de valorisation

L’idée de base d’un modèle économique est assez simple : j’ai quelque chose ou je peux faire quelque chose (la « proposition de valeur ») et c’est plus rentable de me payer ou d’obtenir ce quelque chose plutôt que de le faire soi-même (il est même parfois impossible de trouver des alternatives, comme dans le cas de monopoles naturels ou créés par l’homme, et l’idée même de le produire par soi-même n’est pas envisageable). Il y a deux sources possibles de valeur : une propriété (quelque chose qui peut être échangé) et l’efficacité (quelque chose propre à ce que fait une entreprise et la manière dont elle le fait).

Avec l’open source, la « propriété » est généralement non exclusive (à l’exception de ce qui est nommé « cœur ouvert », où une partie du code n’est pas libre du tout et cela sera abordé plus loin dans cet article). D’autres exemples de propriété concernent le droit des marques, les brevets, les licences… tout ce qui peut être transféré à une autre entité par contrat ou par une transaction légale. L’efficacité est la capacité à effectuer une action avec un coût moindre (qu’il soit tangible ou intangible) et cela correspond à la spécialisation dans un domaine d’application ou apparaît grâce à une nouvelle technologie.

Pour le premier cas, les exemples sont simplement la réduction du temps nécessaire pour réaliser une action quand vous augmentez votre expertise concernant ce sujet. La première fois que vous installez un système complexe, cela peut demander beaucoup d’efforts et cet effort diminue d’autant plus que vous connaissez les tâches nécessaires pour réaliser l’installation elle-même. Pour le second, cela peut être l’apparition d’outils qui simplifient le processus (par exemple, avec le clonage d’images) et introduisent une importante rupture, un « saut » dans la courbe efficacité-temps.

Ces deux aspects sont la base de tout modèle économique que nous avons analysé par le passé ; il est possible de montrer que tout ceux-ci échouent afin de garantir une continuité entre les propriétés et l’efficacité.

Parmi les résultats de notre précédent projet de recherche, nous avons trouvé que les projets basés sur un modèle propriétaire ont tendance à obtenir moins de contributions extérieures car cela nécessite une opération juridique pour faire partie des propriétés de l’entreprise, pensez par exemple aux licences doubles : afin que son code fasse partie du code du produit, un contributeur extérieur doit signer l’abandon des droits sur son code afin que l’entreprise puisse vendre la version commerciale ainsi que la version open source.

D’un autre côté, les modèles totalement orientés sur l’efficacité ont tendance à avoir plus de contributions et de visibilité mais des résultats financiers plus faibles. Je l’ai écrit plusieurs fois : il n’y a pas de modèle économique idéal mais un éventail de modèles possibles et les entreprises devraient s’adapter elles-mêmes pour changer les conditions du marché et aussi adapter leur modèle. Certaines entreprises débutent par des modèles entièrement axés sur l’efficacité puis construisent, avec le temps, une propriété en interne, d’autres ont commencé avec un modèle orienté vers la propriété et ont évolué différemment pour augmenter les contributions et réduire les efforts d’ingénierie (ou développer la base d’utilisateurs afin de créer d’autres moyens d’avoir un retour financier grâce aux utilisateurs).

Une typologie des modèles économiques

L’étude EU FLOSSMETRICS des modèles économiques basés sur le logiciel libre a identifié, après analyse de plus de 200 entreprises, une taxonomie des principaux modèles économiques utilisés par les entreprises open source ; les principaux modèles identifiés sur le marché sont :

  • la double licence : le même code source logiciel distribué sous GPL et sous une licence propriétaire. Ce modèle est principalement utilisé par les producteurs de logiciel et outils pour développeurs et fonctionne grâce à une forte association de la GPL, qui requiert que les travaux dérivés et logiciels liés directement soient distribués sous la même licence. Les entreprises ne souhaitant pas distribuer leur propre logiciel sous GPL peuvent obtenir une licence propriétaire leur octroyant une exemption des conditions de la GPL, ce qui semble souhaitable à certains. L’inconvénient de cette licence double est que les contributeurs externes doivent accepter des conditions similaires et cela a révélé des réductions de contributions externes, se limitant à des corrections de bogues et des ajouts mineurs ;
  • le modèle « cœur ouvert » (précédemment appelé « valeur ajoutée propriétaire » ou « séparation entre libre et propriétaire » \* ? *\) : ce modèle se distingue entre un logiciel libre basique et une version propriétaire, basée sur la version libre mais avec l’ajout de greffons propriétaires. La plupart des entreprises qui suivent un tel modèle adoptent la Mozilla Public Licence, car elle permet explicitement cette forme de mélange et permet une plus grande participation des contributions externes sans les mêmes contraintes de consolidation du droit d’auteur comme dans l’usage de doubles licences. Ce modèle a l’inconvénient intrinsèque que le logiciel libre doit être de grande valeur pour être attractif pour les utilisateurs, i.e. il ne doit pas être réduit à une version aux possibilités limitées, tout comme, dans le même temps, il ne doit pas « cannibaliser » le produit propriétaire. Cet équilibre est difficile à atteindre et à maintenir dans la durée ; en outre, si le logiciel est de grand intérêt, les développeurs peuvent essayer d’apporter les fonctionnalités manquantes dans le logiciel libre, réduisant ainsi l’intérêt de la version propriétaire et donnant potentiellement naissance à un logiciel concurrent entièrement libre qui ne souffrira pas des mêmes limitations ;
  • les experts produits : des entreprises qui ont créé ou maintiennent un projet logiciel spécifique et utilisent une licence libre pour le distribuer. Les principaux revenus viennent du service, comme la formation ou l’expertise, et suivent la classification EUWG d’origine « le meilleur code vient d’ici » et « les meilleures compétences sont ici » [DB 00]. Cela conforte l’impression, courante, que les experts les plus compétents sur un logiciel sont ceux qui l’ont développé et qu’ils peuvent ainsi fournir des services au prix d’un démarchage minimal, s’appuyant sur la fourniture gratuite du code. L’inconvénient de ce modèle est que le coût d’entrée pour des concurrents potentiels est faible, vu que le seul investissement nécessaire est l’acquisition des compétences sur le logiciel lui-même ;
  • les fournisseurs de plateforme :des entreprises qui apportent un ensemble de services, avec support et intégration de certains projets, constituant une plateforme cohérente et testée. En ce sens, même les distributions GNU/Linux sont classées en tant que plateforme ; une observation intéressante est que ces distributions sont distribuées en grande partie sous licence libre pour maximiser les contributions externes et s’appuyer sur la protection du droit d’auteur pour empêcher la copie sauvage sans empêcher les « déclinaisons » (suppression des particularités soumises à droit d’auteur comme les logos ou droit des marques, pour créer un nouveau produit). Des exemples de clones de Red Hat sont CentOS et Oracle Linux. La valeur ajoutée provient d’une qualité garantie, de la stabilité et de la fiabilité ainsi que d’une garantie de support pour les applications métier critiques ;
  • les entreprises de conseil et de recrutement : les entreprises de cette catégorie ne font pas vraiment de développement mais fournissent des conseils de sélection et des services d’évaluation pour un large éventail de projets, d’une manière qui est proche du rôle de l’analyste. Ces entreprises ont tendance à avoir un impact très limité sur les communautés car les résultats de l’évaluation et du processus d’évaluation sont généralement des données propriétaires ;
  • les fournisseurs de support global : des entreprises qui proposent un support centralisé pour un ensemble de produits de logiciel libre, généralement en employant directement les développeurs ou en remontant les demandes de support ;
  • la validation juridique et l’expertise : ces entreprises n’apportent pas de développements de code source mais fournissent une aide à la vérification de conformité aux licences, parfois en apportant une garantie et une assurance contre les attaques juridiques ; certaines entreprises utilisent des outils pour assurer que le code n’est pas réutilisé ;
  • la formation et la documentation : des entreprises qui proposent de la formation, en ligne et en présentiel, des documentations et des manuels supplémentaires. Cela est généralement fourni dans le cadre d’un contrat de support, mais, récemment, quelques réseaux de centres de formation ont lancé des cours orientés spécifiquement vers le logiciel libre ;
  • le partage des coûts de R&D : une entreprise ou une société peut avoir besoin d’une nouvelle version ou d’une amélioration d’un paquet logiciel et financer un consultant ou un développeur pour réaliser le travail. Plus tard, le logiciel développé est redistribué en open source pour bénéficier de l’ensemble des développeurs expérimentés pouvant le déboguer et l’améliorer. Un bon exemple est la plateforme Maemo, utilisée par Nokia pour ses smartphones (comme le N810) ; au sein de Maemo, seul 7,5 % du code est propriétaire, apportant une réduction des coûts estimée à 228 millions de dollars (et une réduction du temps de mise sur le marché d’un an). Un autre exemple est l’écosystème Eclipse, un environnement de développement intégré (EDI) distribué à l’origine par IBM comme logiciel libre puis ensuite géré par la fondation Eclipse. De nombreuses entreprises ont choisi Eclipse comme socle pour leur produit et ont ainsi réduit le coût global pour la création d’un logiciel fournissant une fonctionnalité pour les développeurs. Il y a un grand nombre d’entreprises, d’universités et de personnes qui participent à l’écosystème Eclipse. Comme récemment constaté, IBM contribue aux alentours de 46 % au projet, les contributeurs à titre personnel représentant 25 % et un grand nombre d’entreprises comme Oracle, Borland, Actuate et de nombreuses autres ayant des participations allant de 1 à 7 %. Ceci est semblable aux résultats obtenus grâce à l’analyse du noyau Linux et qui montre que, lorsqu’il y a un écosystème sain et de grande taille, le partage des tâches réduit de manière significative les coûts de maintenance, dans [Gosh 06], on estime qu’il est possible de faire des économies de l’ordre de 36 % dans la recherche et la conception logicielle grâce à l’utilisation du logiciel libre, ces économies constituent en elles-mêmes le plus gros « marché » réel pour le logiciel libre, ce qui est démontré par le fait qu’au moins une partie du code des développeurs est basé sur du logiciel libre (56,2 % comme mentionné dans [ED 05]). Un autre excellent exemple de « coopétition » inter-entreprises est le projet WebKit, le moteur de rendu HTML à la base du navigateur Google Chrome ainsi que d’Apple Safari et qui est utilisé dans la majorité des appareils mobiles. Dans ce projet, après un délai initial d’un an, le nombre de contributions externes a commencé à devenir significatif et, après un an et demi, il surpasse largement les contributions d’Apple — réduisant de fait les coûts de maintenance et d’ingénierie grâce à la répartition des tâches entre les co-développeurs ;
  • les revenus indirects : une entreprise peut choisir de financer des projets de logiciel libre si ces projets peuvent créer une source de revenus importante pour des produits dérivés, non liés directement au code source ou au logiciel. L’un des cas les plus courants correspond à l’écriture de logiciel nécessaire au fonctionnement de matériel, par exemple, les pilotes d’un système d’exploitation pour un matériel spécifique. En fait, de nombreux fabricants de matériel distribuent déjà gratuitement leurs pilotes logiciels. Certains d’entre eux distribuent déjà certains de leurs pilotes (surtout ceux pour le noyau Linux) sous une licence libre. Le modèle du produit d’appel est une stratégie commerciale traditionnelle, répandue même à l’extérieur du monde du logiciel : dans ce modèle, les efforts sont consacrés à un projet de logiciel libre et open source afin de créer ou d’étendre un autre marché dans des conditions différentes. Par exemple, les fournisseurs de composants matériels investissent dans le développement de pilotes logiciels pour des systèmes d’exploitation open source (comme GNU/Linux) pour s’étendre sur le marché spécifique des composants. D’autres modèles de revenus auxiliaires sont ceux, par exemple, de la fondation Mozilla qui réunit une somme d’argent non négligeable grâce à un partenariat avec Google sur le moteur de recherche (estimé à 72 millions de dollars en 2006), tandis que SourceForge/OSTG est financé en majorité par les recettes des ventes en ligne du site partenaire ThinkGeek.

Certaines entreprises ont plus d’un modèle principal et sont, par conséquent, comptées en double ; notamment, la plupart des entreprises pratiquant une licence double vendent aussi du service de support. En outre, les experts d’un produit ne sont comptés que s’ils ont une partie visible de leur entreprise qui contribue au projet en tant que « commiter principal ». Autrement, le nombre d’experts serait bien plus élevé, du fait que certains projets sont au cœur du support commercial de nombreuses entreprises (de bons exemples sont OpenBravo et Zope).

Il faut aussi tenir compte du fait que les fournisseurs de plateforme, même s’ils sont limités en nombre, tendent à avoir des taux de facturation plus élevés que les experts ou que les entreprises à cœur ouvert. De nombreux chercheurs essaient d’identifier s’il y a un modèle plus « efficace » parmi ceux pris en compte ; ce que nous avons trouvé est que le futur le plus probable sera l’évolution d’un modèle à l’autre, avec une consolidation sur le long terme des consortiums de développement (comme les fondations Eclipse et Apache) qui fournissent une forte infrastructure légale et des avantages de développement ainsi que des spécialistes apportant des offres verticales pour des marchés spécifiques.

Conclusion

Le logiciel libre et open source permet non seulement une présence pérenne, et même très large, sur le marché (Red Hat est déjà proche du milliard de dollars de revenus annuels), mais aussi plusieurs modèles différents qui sont totalement impossibles avec le logiciel propriétaire. Le fait que le logiciel libre et open source est un bien non concurrent facilite aussi la coopération entre entreprises, tant pour accroître sa présence mondiale et pour signer des contrats à grande échelle pouvant demander des compétences multiples que sur le plan géographique (même produit ou service, région géographique différente) ; « verticalité » (entre produits) ou « horizontalité » (des domaines d’application). Cet adjuvant à créer de nouveaux écosystèmes est l’une des raisons expliquant que le logiciel libre et open source fait partie intégrante de la plupart des infrastructures informatiques dans le monde, enrichissant et aidant les entreprises et administrations publiques à réduire leurs coûts et à collaborer pour de meilleurs logiciels.

Bibliographie

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  • [ED05] Evans Data, Open Source Vision report, 2005
  • [Eng10] Engelhardt S. Maurer S. The New (Commercial) Open Source: Does it Really Improve Social Welfare Goldman School of Public Policy Working Paper No.GSPP10-001, 2010
  • [Gar06] Gartner Group, Open source going mainstream. Gartner report, 2006
  • [Gosh06] Gosh, et al. Economic impact of FLOSS on innovation and competitiveness of the EU ICT sector. http://bit.ly/cNwUzû
  • [Koot03] Kooths, S.Langenfurth, M.Kaiwey,N.Open-Source Software: An Economic Assessment Technical report, Muenster Institute for Computational Economics (MICE), University of Muenster



Former la prochaine génération de bidouilleurs libres

Comment des hackers adultes peuvent-ils s’assurer de faire émerger une nouvelle génération de hackers libres ?

La réponse d’un père de famille dynamique et avisé 😉

See-Ming Lee - CC by-sa

Former la prochaine génération de bidouilleurs open source

Growing the next generation of open source hackers

Dave Neary (Red Hat) – 26 février 2013 – OpenSource.com
(Traduction Framalang : Antoine, cherry, psychoslave, Jeff_, Eijebong, biglittledragoon, goofy, Vero, mathilde, tcit, Quentin, Metal-Mighty, jtanguy, Penguin, Pat, Asta, arnaudbey + anonymes)

En tant que père de trois enfants de 5, 7 et 10 ans, j’ai hâte de partager avec eux les valeurs qui m’ont attiré vers l’open source : partager et créer ensemble des choses géniales, prendre le contrôle de son environnement numérique, adopter la technologie comme moyen de communication plutôt qu’un média de consommation de masse. En d’autres termes :

Comment des bidouilleurs adultes peuvent-ils s’assurer de faire émerger une nouvelle génération de bidouilleurs open source ?

Une des choses que j’ai apprise est qu’il ne faut pas aller trop vite. J’ai mis mes enfants devant Scratch et Sugar à l’âge de 5 et 8 ans, et, bien qu’ils se soient amusés à changer les nombres sur un petit programme que je leur ai montré et aient aimé dessiner leurs propres voitures pour ensuite les diriger sur l’écran, ils étaient trop petits pour comprendre le concept de lier des fonctions entres elles pour arriver à obtenir des comportements plus sophistiqués.

Voici quelques-unes des leçons que j’ai apprises en tant que parent qui, je crois, peuvent être adaptées selon l’âge et les centres d’intérêt de vos enfants.

Un espace à vivre bidouillable

Nous avons encouragé nos garçons à décorer leur chambre, à organiser leurs meubles comme ils voulaient et à avoir leurs propres petits fiefs. Parfois cela nous rend complètement dingues en tant que parents, et, régulièrement, nous devons les aider à ranger, mais leur espace leur appartient.

De même, chaque enfant de plus de 7 ans peut avoir un vrai couteau qu’il peut utiliser pour tailler du bois et couper de la ficelle.

Ingénierie préscolaire

J’adore les jouets qui permettent aux enfants de donner libre cours à leur imagination. En plus c’est génial, parce qu’en tant qu’adulte, je prends autant de plaisir qu’eux à jouer ensemble ! Mes jeux de construction préférés (achetés à peu près au moment où les enfants ont l’habileté nécessaire pour les manipuler) sont les Kapla, les trains en bois, les lots de Duplo, Playmobil, Lego et les voitures Meccano.

Lego et Meccano notamment font un super boulot pour faire des kits adaptés aux enfants de tout âge. Une autre petite astuce est d’encourager le mélange et d’assembler différentes marques de jouets. Nous avons des ponts Kapla passant par-dessus des trains Ikea et des camions Lego qui transportent des personnages Playmobil.

Les Kapla aussi sont très intéressants. Ce sont des planchettes en bois découpées selon des proportions très précises ; elles sont trois fois plus larges qu’épaisses, et cinq fois plus longues que larges. Avec ces simples proportions et la précision des découpes, il est possible de construire des objets très complexes, comme la Tour Eiffel ou une maison Kapla.

Se lancer dans l’électronique

Nous avons un kit Arduino, et mon aîné commence à avoir le niveau pour comprendre comment câbler un circuit, mais il n’a pas encore découvert comment programmer dans le dialecte C propre à Arduino.

Mais même avant quelque chose de ce genre, les arts et les activités artisanales sont un excellent entraînement pour le DIY (NdT : Do It Yourself, c’est-à-dire « Faites-le vous-même »), et nous avons toujours quelques bâtonnets de glaces ou des pinces à linge et un pistolet à colle pour des cadeaux « faits main ».

Puis vous pouvez laisser traîner des tournevis, pinces, multimètres et autres fers à souder, pour que les enfants puissent désosser leurs vieux jouets, ou des appareils électroniques cassés, réparer les choses par eux-mêmes avec de simples circuits électriques, lorsque que quelque chose ne marche pas, et récupérer des pièces détachées pour les intégrer dans leurs futurs projets. Une supervision parentale est recommandée avec le fer à souder jusqu’à ce qu’ils maîtrisent son utilisation.

Apprendre aux enfants à bidouiller

J’adorerais entendre parler de ressources pour que les enfants apprennent à maîtriser la programmation ! Je connais l’existence de la Code Academy et la Khan Academy qui apprennent aux enfants à coder ; et Scratch and Sugar, que j’ai déjà mentionné.

Merci de partager vos propres conseils sur la manière d’endoctriner la prochaine génération de bidouilleurs open source !

Crédit photo : See-Ming Lee (Creative Commons By-Sa)




La délicate question du modèle économique (Libres conseils 39/42)

Bientôt la dernière séance… rejoignez-nous jeudi prochain sur le framapad de traduction

Traduction Framalang : Ouve, tcit, Julius22, goofy, merlin8282, lamessen, Jej, Alpha

Sous-estimer la valeur d’un modèle économique pour le logiciel libre

Frank Karlitschek

Frank Karlitschek est né en 1973 à Reutlingen, en Allemagne, et a commencé à écrire des logiciels à l’âge de 11 ans. Il a étudié l’informatique à l’université de Tübingen et s’est impliqué dans le logiciel libre et les technologies de l’internet dans le milieu des années 1990. En 2001, il a commencé à contribuer à KDE en lançant KDE-Look.org, un site communautaire d’œuvres qui deviendrait plus tard le réseau openDesktop.org. Frank a initié plusieurs projets et initiatives open source comme Social Desktop, Open Collaboration Services, Open-PC et ownCloud. En 2007, il a fondé une société appelée hive01 qui offrait des services et des produits autour de l’open source et des technologies de l’internet. Aujourd’hui, Frank est membre du conseil et vice-président de KDE e.V. et c’est un intervenant habitué des conférences internationales.

Introduction

Il y a dix ans, j’ai sous-estimé la valeur d’un modèle économique. Logiciel libre et modèle économique ? Deux concepts incompatibles. Du moins, c’est ce que je pensais lorsque j’ai commencé à contribuer à KDE en 2001. Le logiciel libre, c’est pour le plaisir et pas pour l’argent. N’est-ce pas ? Les libristes veulent un monde où chacun peut écrire du logiciel et où les grandes entreprises, telles que Microsoft ou Google, sont superflues. Tout logiciel devrait être libre et tous ceux qui souhaitent développer du logiciel devraient en avoir la possibilité — même les développeurs du dimanche. Donc, gagner de l’argent importe peu. N’est-ce pas ? Aujourd’hui, j’ai une opinion différente. Les développeurs devraient parfois être rémunérés pour leurs efforts.

Les raisons d’être du logiciel libre

La plupart des développeurs de logiciels libres ont deux principales motivations pour travailler sur le logiciel libre. La première motivation est le facteur plaisir. C’est une expérience fantastique de travailler avec d’autres personnes très talentueuses du monde entier et de créer des technologies exceptionnelles. KDE, par exemple, est une des communautés les plus accueillantes que je connaisse. C’est tellement amusant de travailler avec des milliers de contributeurs du monde entier pour créer des logiciels qui seront utilisés par des millions de personnes. Pour faire simple, tout le monde est expert dans un ou plusieurs domaines et nous collaborons pour créer une vision partagée. Pour moi, c’est toujours génial de rencontrer d’autres contributeurs de KDE, d’échanger des idées ou de travailler sur nos logiciels ensemble, que nous nous rencontrions en ligne ou dans la vie réelle à une des nombreuses conférences ou événements. Et il s’agit aussi d’amitié. Au fil des années, je me suis fait beaucoup de bons amis au sein de KDE.

Mais les contributeurs de KDE ne sont pas uniquement motivés par le plaisir de rejoindre KDE. Il y a aussi l’idée que chacun de nous peut rendre le monde meilleur par nos contributions. Le logiciel libre est essentiel si vous vous souciez de l’accès à la technologie et à l’informatique pour les pays en voie de développement. Cela permet aux personnes pauvres d’avoir leur place dans l’ère de l’information sans acheter des licences coûteuses pour des logiciels propriétaires. Il est essentiel pour les personnes qui se soucient de la confidentialité et de la sécurité, parce que le logiciel libre est le seul et unique moyen de savoir exactement ce que votre ordinateur fait avec vos données privées. Le logiciel libre est important pour un écosystème informatique sain, parce qu’il permet à tout le monde de bâtir à partir du travail des autres et de vraiment innover. Sans le logiciel libre, il n’aurait pas été possible à Google ou Facebook de lancer leurs entreprises. Il n’est pas possible d’innover et de créer la nouvelle technologie marquante si vous dépendez de logiciels propriétaires et que vous n’avez pas accès à toutes les parties du logiciel.

Le logiciel libre est aussi indispensable pour l’éducation, parce que tout le monde peut voir les entrailles du logiciel et étudier son fonctionnement. C’est comme cela que le logiciel libre contribue à faire du monde un endroit meilleur et c’est pourquoi je participe à des projets de logiciel libre comme KDE.

La nécessité d’un écosystème

Voilà les principales raisons pour lesquelles je veux que le logiciel libre et particulièrement le bureau libre soient largement répandus. Pour y parvenir, il nous faut bien plus de contributeurs qu’aujourd’hui. Par contributeurs, j’entends des gens qui écrivent les infrastructures centrales, le bureau et les grandes applications. Nous avons besoin de gens qui travaillent sur l’utilisabilité, sur les illustrations, sur la promotion et sur bien d’autres aspects importants. KDE est déjà une grande communauté avec des milliers de membres. Mais nous avons besoin de davantage de gens pour aider à rivaliser de manière sérieuse avec le logiciel propriétaire.

La communauté du logiciel libre est minuscule comparée au monde du logiciel propriétaire. D’un côté, ce n’est pas un problème car le modèle de développement logiciel distribué du monde du logiciel libre est bien plus performant que la façon d’écrire du logiciel à sources fermées. Un grand avantage est, par exemple, la possibilité de mieux réutiliser du code. Mais même avec ces avantages, nous avons besoin de bien plus de contributeurs qu’aujourd’hui si nous voulons réellement conquérir le marché de l’ordinateur de bureau et celui du mobile.

Nous avons aussi besoin d’entreprises pour nous aider à apporter notre travail sur le marché de masse. Bref, nous avons besoin d’un grand écosystème en forme permettant de vivre en travaillant sur le logiciel libre.

La situation actuelle

J’ai commencé à contribuer à KDE il y a plus de 10 ans et, depuis, j’ai vu d’innombrables volontaires très motivés et talentueux rejoindre KDE. C’est vraiment génial. Le problème, c’est que j’ai aussi vu beaucoup de contributeurs expérimentés abandonner KDE. C’est vraiment triste. Parfois, c’est simplement la marche normale du monde : les priorités changent et les gens se concentrent sur autre chose. Le problème, c’est que beaucoup abandonnent aussi à cause de l’argent. Il arrive un moment où les gens décrochent leur diplôme et veulent bouger de leur chambre d’étudiant.

Plus tard, ils veulent se marier et avoir des enfants. À partir de là, ils doivent trouver du travail. Il y a quelques entreprises dans l’écosystème de KDE qui proposent des postes liés à KDE. Mais cela ne représente qu’une petite part des emplois disponibles dans le secteur informatique. Du coup, beaucoup de membres chevronnés de KDE doivent travailler dans des entreprises où ils doivent utiliser des logiciels propriétaires qui n’ont rien à voir avec KDE ou le logiciel libre. Tôt ou tard, la plupart de ces développeurs abandonnent KDE. J’ai sous-estimé cette tendance il y a 10 ans, mais je pense que c’est un problème pour KDE sur le long terme, parce que nous perdons nos membres les plus expérimentés au profit des entreprises de logiciel propriétaire.

Le monde de mes rêves

Dans le monde idéal que j’imagine, les gens peuvent payer leur loyer en travaillant sur les logiciels libres et ils peuvent le faire de telle sorte que ça n’entre pas en conflit avec nos valeurs. Ceux qui contribuent à KDE devraient avoir tout le temps qu’ils veulent pour contribuer à KDE et au monde libre en général. Ils devraient gagner de l’argent en aidant KDE. Leur passe-temps deviendrait leur travail. Cela permettrait à KDE de se développer de manière spectaculaire, parce que ce serait super de contribuer et de fournir en même temps de bonnes perspectives d’emploi stables et à long terme.

Quelles possibilités avons-nous ?

Du coup, quelles sont les solutions possibles ? Que pouvons-nous faire pour que ça arrive ? Y a-t-il des moyens pour que les développeurs paient leur loyer tout en travaillant sur du logiciel libre ? Je voudrais exposer ici quelques idées que j’ai rassemblées au cours de plusieurs discussions avec des contributeurs au logiciel libre. Certaines d’entre elles sont probablement polémiques, parce qu’elles introduisent des idées complètement neuves au sein du monde du logiciel libre. Mais je pense qu’il est essentiel pour nous de voir au-delà de notre monde actuel si nous voulons mener à bien notre mission.

Du développement sponsorisé

Aujourd’hui, de plus en plus d’entreprises apprécient l’importance du logiciel libre et contribuent à des projets de logiciels libres, ou sortent même leurs propres projets de logiciel libre. C’est une chance pour les développeurs de logiciels libres. Nous devrions parler à davantage d’entreprises et les convaincre de s’associer au monde du logiciel libre.

Des dons de la part des utilisateurs

Il devrait y avoir une manière facile pour les utilisateurs de donner de l’argent directement aux développeurs. Si un utilisateur d’une application populaire veut soutenir le développeur et promouvoir ses développements à venir pour cette application, donner de l’argent devrait ne tenir qu’à un clic de souris. Le système de dons peut être construit au sein même de l’application pour rendre le don d’argent aussi facile que possible.

Des primes

L’idée derrière les primes est qu’un ou plusieurs utilisateurs d’une application peuvent payer pour le développement d’une fonctionnalité particulière. Un utilisateur peut soumettre la liste de ses demandes de nouvelles fonctionnalités sur un site web et annoncer combien il est prêt à payer pour cela. D’autres utilisateurs qui apprécient ces propositions pourraient ajouter de l’argent à la demande de fonctionnalité. Au bout d’un moment, le développeur commence à mettre au point la fonctionnalité et récupère l’argent des utilisateurs. Cette possibilité de primes n’est pas facile à introduire dans le processus. Des gens ont déjà essayé de mettre en place quelque chose de similaire, sans succès. Mais je pense que ça peut marcher si on s’y prend bien.

Du support

L’idée est que le développeur d’une application vende directement du support aux utilisateurs de l’application. Par exemple, les utilisateurs d’une application achètent du support pour, supposons, 5 € par mois et obtiennent le droit d’appeler directement le développeur à des plages horaires spécifiques de la journée, ils peuvent poser des questions à une adresse de courriel spécifique, ou le développeur peut  même aider les utilisateurs par le biais d’un bureau à distance. J’ai bien conscience que beaucoup de développeurs n’aimeront pas l’idée que les utilisateurs puissent les appeler et leur poser des questions bizarres. Mais si cela signifie qu’ils gagnent suffisamment avec le système de support pour travailler à plein temps sur leurs applications, alors c’est certainement une bonne chose.

Des soutiens

L’idée c’est que les utilisateurs finaux puissent devenir les soutiens d’une application. Le bouton « Soutenez ce projet » pourrait être intégré directement dans l’application. L’utilisateur devient alors un soutien par un paiement mensuel de, par exemple, 5 € qui vont directement au développeur. Tous les soutiens sont listés dans la fenêtre « À propos de l’application » avec leurs photos et leurs noms réels. Une fois par an, tous les soutiens sont aussi invités à une fête spéciale avec les développeurs. Il est possible qu’un développeur puisse devenir capable de travailler à plein temps sur une application, si assez d’utilisateurs deviennent des soutiens.

Des programmes de fidélité

Certaines applications ont intégré des services web, et certains de ces services Web exécutent des programmes affiliés. Par exemple, un lecteur multimédia peut être intégré à la boutique en ligne de MP3 Amazon ou un lecteur PDF peut être intégré à une boutique en ligne de livres numériques. À chaque fois qu’un utilisateur achète du contenu via cette application, le développeur obtient un peu d’argent.

Des magasins d’applications sous forme de binaires

Beaucoup de gens ne savent pas qu’il est possible de vendre des binaires de logiciels libres. La licence GPL exige simplement de fournir également le code source. Il est donc parfaitement légal de vendre des binaires bien empaquetés de notre logiciel. En réalité, les sociétés comme Red Hat et Novell vendent déjà notre logiciel dans leurs distributions commerciales. Mais les développeurs n’en bénéficient pas directement. Tous les revenus vont aux sociétés et rien ne va aux développeurs. On devrait donc permettre aux développeurs de logiciels libres de vendre à l’utilisateur final des applications bien empaquetées, optimisées et testées. Cela pourrait particulièrement bien fonctionner pour Mac ou Windows. Je suis sûr qu’un tas de gens seraient prêts à payer quelque chose pour des binaires d’Amarok pour Windows ou de digiKam pour Mac, si tout l’argent allait directement au développeur.

Conclusion

La plupart de ces idées ne sont pas faciles à mettre en œuvre. Cela nécessite de modifier notre logiciel, nos méthodes de travail et même nos utilisateurs, qu’il faut encourager à montrer qu’ils apprécient le logiciel que nous créons, en nous aidant à financer son développement. 

Cependant, les bénéfices potentiels sont énormes. Si nous pouvons assurer des sources de revenus pour notre logiciel, nous pouvons conserver nos meilleurs contributeurs et peut-être en attirer de nouveaux. Nos utilisateurs auront une meilleure expérience avec un développement logiciel plus rapide, la possibilité d’influencer directement le développement par le biais de primes et un meilleur support.

Le logiciel libre n’est plus seulement un loisir sur votre temps libre. Il est temps d’en faire un business.




Apporter le Libre dans le secteur public (Libres Conseils 38/42)

Bientôt la dernière séance de traduction ! Jeudi à 21h, rendez-vous sur le framapad de traduction, le travail collaboratif sera ensuite publié ici même.

Traduction framalang : tcit, Julius22, Sky, lamessen, goofy, peupleLà, merlin8282, lamessen, Jej, Alpha

Le Logiciel Libre dans le secteur public

Till Adam

Issu du milieu de la musique et des sciences humaines, Till Adam a passé pas loin des dix dernières années dans le monde de la programmation. Il travaille au sein de KDAB où il dirige plusieurs services, dont celui qui est en charge des logiciels libres. Till officie aussi au sein du conseil d’administration de Kolab Systems AG, une entreprise dont le modèle économique repose entièrement sur les logiciels libres. Il vit avec sa femme et sa fille à Berlin.

Introduction

J’imagine que comme de nombreux autres auteurs de cette compilation d’articles, j’ai commencé à contribuer au logiciel libre lorsque j’étais étudiant. J’avais décidé relativement tard dans ma vie de poursuivre un cursus en informatique (ayant échoué à devenir riche et célèbre en tant que musicien). Je m’attendais donc à être légèrement plus âgé que mes pairs en obtenant mon diplôme. J’ai donc pensé qu’il serait bénéfique d’apprendre par moi-même la programmation, qui ne m’était pas trop enseignée à l’école, afin de d’avoir plus d’atouts aux yeux de futurs employeurs, en dépit de mon âge. Après quelques incursions dans diverses petites communautés, j’ai finalement trouvé ma voie dans le projet KDE et j’ai commencé à travailler sur l’application de courriel.

Grâce aux personnes extrêmement serviables et douées techniquement que j’y ai rencontrées, j’ai pu apprendre rapidement et contribuer de façon significative au code, ce qui m’a entraîné de plus en plus dans leur réseau social, mais aussi vers le domaine fascinant des problèmes techniques liés à la gestion de données personnelles.

Lorsque KDAB, une entreprise remplie de gens qui utilisaient KDE, m’a demandé si, dans le cadre d’un stage étudiant, je voulais les aider sur la partie commerciale d’un projet en cours, j’ai bien sûr été ravi de pouvoir gagner ma vie et bidouiller le logiciel KDE en même temps. Au fil des ans, j’ai été témoin de l’adoption et de l’utilisation des architectures de gestion des données personnelles de KDE par le secteur public, particulièrement en Allemagne, où j’ai pu y assister personnellement à la croissance économique de KDAB dans ce secteur géographique. Alors que j’évoluais vers des postes plus orientés sur le management, vendre et livrer des services issus du logiciel libre comprenant des produits de KDE à de grandes organisations, en particulier dans le secteur public, a finalement fait partie de mon travail.

Il faut noter que la plupart du travail sur le projet qui a inspiré ce texte était généralement fait en collaboration avec d’autres entreprises du logiciel libre, à savoir glOcode, un spécialiste de la cryptographie qui se charge du maintien de GNUPG, et Intevation, une entreprise de conseil qui se concentre exclusivement sur le logiciel libre ainsi que ses défis stratégiques et opportunités. Mention spéciale à Bernhard Reiter, l’un des fondateurs d’Intevation, qui a joué un rôle clé lors de la vente et de la conduite de bon nombre de ces projets. Les quelques fragments de sagesse contenus dans ce texte sont probablement issus de son analyse et des nombreuses conversations que j’ai pu avoir avec lui au fil des ans.

Donc, si Bernhard et moi pouvions revenir dans le temps, quelles pourraient donc bien être les idées que nous partagerions avec nos « nous »  plus jeunes et plus naïfs ? Eh bien, il s’avère qu’elles commencent toutes par la lettre P.

Personnes

Telles que sont les choses aujourd’hui, il est toujours plus difficile pour les gens de terrain des technologies de l’information et pour les décideurs d’utiliser du logiciel libre que ça ne l’est d’utiliser les alternatives propriétaires. Même en Allemagne, où le logiciel libre a un soutien politique relativement fort, il est plus facile et plus sûr de suggérer l’utilisation de quelque chose qui est perçu comme un « standard de l’industrie » ou comme « ce que tous les autres font » ; en d’autres termes, des solutions propriétaires.

Celui qui propose une solution en logiciel libre fera probablement face à de l’opposition de la part de collègues moins aventureux (ou ayant moins de vision), à un examen minutieux des supérieurs, à de plus grandes attentes par rapport aux résultats et à une pression budgétaire irréaliste. Il faut donc un type particulier de personnes souhaitant prendre des risques personnels, potentiellement compromettre l’avancée de leur carrière et combattre dans une bataille presque perdue d’avance. Ceci est bien sûr vrai dans n’importe quelle organisation. Mais, dans une administration publique, une ténacité particulière est requise car les choses bougent généralement plus lentement. Et une hiérarchie organisationnelle inflexible ajoutée à des options de carrière limitées amplifient le problème.

Sans allié à l’intérieur, faire envisager de façon sérieuse les options du logiciel libre peut s’avérer quasiment impossible. Si de telles personnes existent, il est important de les soutenir autant que possible dans leurs luttes internes. Ceci signifie leur fournir des informations opportunes, fiables et vérifiables sur ce qui se passe dans la communauté avec laquelle l’organisation entend interagir. Ces informations doivent contenir suffisamment de détails pour fournir une image complète tout en atténuant la complexité de la communication et du chaos de planification faisant parfois partie de la façon de travailler dans le monde du logiciel libre, de façon à ce que ça devienne plus gérable et moins effrayant. L’honnêteté et le sérieux aident à construire des relations fortes avec ces personnes-clés, qui sont la base du succès à plus long terme. Elles se reposent sur vous, en tant qu’intermédiaire avec le monde merveilleux et quelque peu effrayant des communautés du logiciel libre, pour trouver des chemins qui les mèneront elles et leurs organisations à leurs objectifs. Elles prennent également des décisions en se basant largement sur la confiance personnelle. Cette confiance doit être acquise et conservée.

Afin d’y parvenir, il est important de ne pas se concentrer uniquement sur les résultats techniques des projets, mais de garder en tête les objectifs plus larges, personnels et organisationnels que l’on doit atteindre lorsqu’on travaille sur ces projets. Le succès ou l’échec du projet en cours ne dépendra peut-être pas du fait qu’un responsable de projet au sein d’une agence soit capable de ne vanter que des fonctionnalités auxiliaires à ses supérieurs à des moments plus ou moins aléatoires du calendrier. Mais cela impactera peut-être le fait que le projet suivant se fasse ou ne se fasse pas. Lorsque vous avez peu d’amis, les aider à réussir est un bon investissement.

Priorités

En tant que technophiles, les gens du logiciel libre ont tendance à se concentrer sur ce qui est nouveau, excitant et qui paraît important au niveau technologique. En conséquence de quoi, nous mettons moins l’accent sur les choses qui sont plus importantes dans le contexte d’une administration publique (souvent vaste). Mais considérez quelqu’un désireux de changer tout un ensemble de technologies dans une structure qui a plutôt tendance à rester sur les mêmes technologies pendant une longue durée. Étant donné qu’un changement brusque est difficile et coûteux, il est de loin bien plus important d’avoir de la documentation sur les choses qui ne fonctionneront pas, de façon à pouvoir les éviter ou les contourner, que de savoir qu’une version à venir fonctionnera beaucoup mieux. Il est peu probable que cette nouvelle version soit jamais disponible pour les utilisateurs dpnt nous parlons ici. Et il est bien plus simple d’avoir affaire à des problèmes connus et anticipés plutôt que d’être forcé de faire face à des surprises. Le bogue documenté d’aujourd’hui est paradoxalement préférable à sa résolution de demain avec ses effets de bord imprévisibles.

Dans une grande organisation qui utilise des logiciels pendant une longue durée, le coût d’acquisition du logiciel, que ce soit par le biais de licences ou dans le cadre de développement sur mesure de logiciels libres par contrat, a peu d’importance en comparaison du coût de maintenance et de support. Cela mène à penser que moins de fonctionnalités, plus stables, ce qui induit une moindre charge pour le  l’organisme de support, auxquelles on peut faire plus confiance et qui ont moins besoin de maintenance intensive sont meilleures que de séduisantes nouveautés, complexes et sans doute moins matures.

Alors que ces deux sentiments vont à l’encontre des instincts des développeurs de logiciels libres, ce sont ces mêmes aspects qui rendent attractif pour le secteur public le fait de payer pour le développement de logiciels libres, plutôt que de dépenser de l’argent pour des licences de produits pris au hasard. En partant d’une large palette de logiciels gratuitement disponibles, l’organisation peut investir son budget dans le perfectionnement des parties précises qui sont pertinentes pour ses propres opérations. Elle n’a ainsi pas à payer (via les coûts de licences) pour le développement de fonctionnalités clinquantes et guidées par le marché dont elle n’a pas besoin. En soumettant tout ce travail à la communauté en retour, la maintenance à long terme de ces améliorations et du logiciel de base est partagée par un grand nombre de personnes. De plus, grâce au fait que ces améliorations deviennent publiques, d’autres organisations aux besoins similaires peuvent bénéficier de celles-ci sans coût supplémentaire. Cela maximise donc l’utilité de l’argent du contribuable, ce que toute administration publique souhaite (ou devrait souhaiter).

Politique d’approvisionnement

Si les budgets informatiques des agences gouvernementales sont clairement mieux utilisés dans l’amélioration du logiciel libre et dans son adaptation à leurs besoins, pourquoi est-ce si rarement ce que l’on fait ? L’équivalence des fonctionnalités pour les types de logiciels les plus utilisés a depuis longtemps été atteinte, la convivialité est la même, la robustesse et le coût total de possession aussi. La notoriété et la connaissance sont bien sûr toujours des problèmes, mais le véritable obstacle à l’acquisition de services en logiciel libre réside dans les conditions légales et administratives sous lesquelles cela doit se produire. Changer ces conditions nécessite du travail, au niveau de la politique et du lobbying. C’est rarement possible dans le contexte d’un projet individuel. Heureusement, des organisations telles que la Free Software Foundation Europe et sa sœur aux États-Unis font du lobbying en notre nom et font lentement changer les choses. Jetons un coup d’œil à deux problèmes centraux d’ordre structurel.

Des licences, pas des services

Beaucoup de budgets informatiques sont structurés de telle façon qu’une partie de l’argent est mise de côté pour l’achat d’un nouveau logiciel ou pour le paiement continu de l’utilisation d’un logiciel sous forme de licences. Comme il était inimaginable pour ceux qui ont construit ces budgets qu’un logiciel puisse être autre chose qu’un bien achetable, représenté par une licence propriétaire, il est souvent difficile ou impossible pour les décideurs informatiques de dépenser cette même somme d’argent pour des services. La comptabilité de gestion n’en entendra simplement pas parler. Cela peut mener à la situation malheureuse où une organisation a la volonté et l’argent pour améliorer un morceau de logiciel libre afin qu’il convienne parfaitement à ses besoins, pour le déployer et pour le faire tourner pendant des années et envoyer ses contributions à la communauté, en retour, mais où cela ne peut se faire tant que toute l’affaire n’est pas enveloppée dans une vente et un achat artificiels et non nécessaires d’un produit imaginaire basé sur une licence libre.

Pièges légaux

Les cadres légaux pour les fournisseurs de logiciels supposent souvent que quiconque signant la production d’un logiciel exerce le plein contrôle des copyrights, marques déposées et brevets afférents. L’organisation cliente attend une garantie contre des risques variés de la part du fournisseur. Dans le cas où une société ou une personne produit une solution ou un service basé sur du logiciel libre, cela est souvent impossible car il y a d’autres titulaires de droits qui ne peuvent pas être raisonnablement impliqués dans l’arrangement contractuel. Ce problème apparaît plus ostensiblement dans le contexte des brevets logiciels. Il est pratiquement impossible pour un fournisseur de services de s’assurer contre les risques de contentieux de brevets, ce qui rend très risqué pour lui d’endosser la pleine responsabilité.

Prix

Historiquement, l’argument le plus vendeur du logiciel libre donné au grand public a été son potentiel pour d’économie d’argent. Le logiciel libre a en effet permis des économies à grande échelle pour beaucoup d’organisations depuis de nombreuses années. Le système d’exploitation GNU/Linux a été le fer de lance de ce développement. Ceci en raison de sa libre disponibilité au téléchargement qui a été perçue en opposition frappante avec les licences onéreuses de son principal concurrent, Microsoft Windows.

Pour quelque chose d’aussi utilisé et utile qu’un système d’exploitation, il est indéniable que le bénéfice des coûts structurels vient des coûts de développement qui sont répartis sur de nombreuses parties. Malheureusement, l’espoir que ceci reste vrai pour tous les logiciels libres a mené à la pensée irréaliste que les coûts seront toujours réduits, largement et immédiatement. D’après notre expérience, ce n’est pas vrai. Comme nous l’avons vu dans les sections précédentes de cet ouvrage, il est très logique de tirer le meilleur parti de l’argent dépensé dans l’utilisation de logiciels libres et il est probable qu’au fil du temps et pour de nombreuses organisations de l’argent puisse être économisé. Mais pour une agence isolée qui cherche seulement à déployer un logiciel libre, il devra y avoir un investissement initial et un coût nécessaire associé pour obtenir le niveau de maturité et de robustesse nécessaire.

Alors que cela semble largement raisonnable aux professionnels des opérations informatiques, il est souvent plus difficile de convaincre de cette vérité leurs supérieurs avec le bilan financier. Surtout lorsque la potentielle économie de moyens financiers a initialement été utilisée comme un argument pour faire entrer le logiciel libre, il peut s’avérer très difficile de gérer efficacement les attentes futures. Plus vite les décideurs sauront exactement de façon claire combien et dans quoi ils investissent, mieux ils accepteront de le faire sur le long terme

Le meilleur rapport qualité-prix est toujours attirant et un fournisseur de services informatiques qui cessera d’être disponible à cause de la pression des prix et n’obtiendra pas suffisamment de réussite économique est aussi peu attractif dans le logiciel libre que dans les modèles économiques basés sur des licences propriétaires. Il est donc aussi dans l’intérêt des clients que les estimations de coûts soient réalistes et que les conditions économiques dans lesquelles le travail est effectué soient durables.

Conclusion

Notre expérience montre qu’il est possible de convaincre des organismes du secteur public de dépenser de l’argent dans des services basés sur des logiciels libres. C’est une proposition intéressante qui offre une plus-value et qui a un sens politique. Malheureusement, il existe encore des barrières structurelles. Mais avec l’aide de pionniers dans le secteur public, elles peuvent être contournées. Avec un soutien suffisant de notre part à tous, ceux qui travaillent pour le logiciel libre au niveau politique finiront par les surmonter. Une communication claire et honnête sur les réalités économiques et techniques peut favoriser des partenariats efficaces qui amènent des bénéfices à la communauté du logiciel libre, aux administrations publiques utilisant ces logiciels et à ceux qui les fournissent avec les services nécessaires dans un cadre viable et durable.




Les tribulations d’un organisateur de conférences (Libres conseils 36/42)

Chaque jeudi à 21h, rendez-vous sur le framapad de traduction, le travail collaboratif sera ensuite publié ici même.

Traduction Framalang : Ouve, Julius22, Sphinx, CoudCoud, grosfar, lum’, goofy, peupleLà, lamessen

Nous ne sommes pas fous… Nous organisons des conférences !

Gareth J. Greenaway

Gareth J. Greenaway s’est impliqué activement dans la communauté du logiciel libre et open source depuis 1997 après avoir découvert Linux. Sa contribution majeure a consisté à regrouper des gens ayant la même opinion pour apprendre et expérimenter de nouveaux éléments de logiciel libre et open source. Cette implication a débuté avec un petit groupe d’utilisateurs de Linux (un « GUL ») et s’est développée avec l’organisation de la « Southern California Linux Expo », aussi connue sous le nom de SCALE. En tant que membre fondateur de cet évènement, Gareth remplit actuellement deux fonctions importantes au sein de l’organisation. La première est la gestion des conférences et la seconde concerne les relations avec la communauté.

J’ai commencé à écrire cette section avec ce que je pensais être les besoins et les étapes pour organiser une conférence sur le libre et l’open source. Cependant, une grande partie de ce que je trouvais à dire avait déjà été abordé par Dave Neary, expert en gestion de communautés. Donc, pour éviter de répéter et de recouper ce que Dave voulait expliquer, j’ai décidé de partager différentes histoires de l’organisation de SCALE et les leçons que j’en ai tiré pendant ces années.

Trop d’énergie !

SCALE a commencé il y a maintenant neuf ans avec des membres de trois groupes locaux d’utilisateurs de Linux, ce n’était à l’origine qu’un modeste évènement régional organisé par l’un de ces groupes. La première expérience fut vraiment enrichissante. Beaucoup de leçons en ont été tirées. On courait un peu partout et l’évènement semblait se dérouler à une vitesse folle. Étant donné qu’aucun de nous n’avait encore organisé d’évènement où il fallait se soucier des risques de surtension ou de consommation électrique, nous n’y avons pas pensé, et, du coup, nous avons dû ré-enclencher les disjoncteurs de la salle plusieurs fois pendant l’évènement.

Ça va marcher… c’est sans fil !

Le deuxième SCALE a pris en compte un grand nombre de leçons apprises l’année précédente mais un nouveau lieu de rencontre allait donner de nouvelles leçons. Le centre de conférences de Los Angeles est le lieu où s’est tenu SCALE 2, il fournissait un espace bien plus grand pour installer l’évènement. Le nouveau lieu nous a aussi permis d’apprendre notre première leçon sur les contrats avec un grand organisme pour gérer les choses telles que l’équipement audio et vidéo, l’accès à Internet et le matériel d’exposition.

Compte tenu de la situation de l’évènement à l’intérieur du centre de conférences, nous avons dû positionner les comptoirs d’enregistrement dans une zone qui, tout en étant visible des participants qui arrivaient, se trouvait à une certaine distance du reste du salon. Nos possibilités pour fournir un accès réseau à la zone d’enregistrement étaient limitées car les règles de protection anti-incendie proscrivaient l’utilisation de câbles ; le sans-fil était donc l’unique option.

Tout a été mis en place très tôt le jour du salon et fonctionnait parfaitement bien, jusqu’à ce que cela cesse mystérieusement de marcher. La connexion sans fil, fournissant l’accès au réseau indispensable au comptoir d’enregistrement, a tout simplement disparu. Nous avons alors vécu beaucoup de tentatives de dépannages, beaucoup de déplacements d’équipements et d’antennes et beaucoup de frustration. « Ça devrait fonctionner. » était la seule conclusion à laquelle tout le monde pouvait parvenir, sans trop savoir pourquoi cela ne fonctionnait pas.

Soudain, un des membres de l’équipe, qui s’était tenu à l’écart de la séance de dépannage, a appelé tout le monde à venir à l’endroit où il se trouvait. En face d’une grande fenêtre qui surplombait un grand hall de réunion, nous avons tout à coup tous vu ce qu’il désirait nous faire voir. En-dessous de nous il y avait des dizaines de lumières clignotantes, tournantes et pulsantes qui nous regardaient. Des centaines d’appareils électroniques avec des lumières clignotantes, des sirènes et des panneaux à LED (diodes électro-luminescentes), interférant narquoisement avec les signaux sans fil de nos pauvres points d’accès. Nous avons soudain réalisé que nos heures de travail à tenter de résoudre ce problème de sans-fil avaient été vaines. Finalement, nous avons déroulé un câble Ethernet, l’avons scotché de la manière la plus sécurisée que nous avons pu, et nous avons dit une petite prière pour que le chef des pompiers ne fasse pas d’inspection surprise.

Soirées de gala, tireurs d’élite et disparition mystérieuse de mallette IBM

L’une des anecdotes les plus célèbres dans l’histoire de SCALE est sans doute celle des incidents et péripéties qui sont survenus pendant SCALE 3. Ces aventures sont bien connues, et si vous assistiez à SCALE cette année-là, vous n’avez pas pu y échapper.

Le troisième SCALE devait se dérouler encore une fois au centre de conférences de Los Angeles au L.A. Convention Center. Tout le travail de planification et d’organisation avait été mené en amont pendant de nombreux mois et tout s’annonçait bien. Trois semaines environ avant l’évènement, nous avons reçu des informations à propos de plusieurs routes qui seraient fermées autour du centre de conférences à cause d’une soirée de gala qui devait avoir lieu. À cause de ces fermetures de routes, il n’y avait plus qu’une voie d’accès pour accéder au centre et en repartir, ce qui est loin d’être idéal. Fort heureusement, nous avons eu le temps d’avertir tous ceux qui venaient à l’évènement et de leur indiquer les routes fermées à la circulation et les itinéraires alternatifs. Cette année-là, c’était aussi la première fois que SCALE devait se dérouler sur deux jours, dans l’espoir de répartir un peu les choses pour ne pas être autant dans la précipitation et la frénésie.

L’un des plus anciens sponsors et exposants de SCALE est IBM. Ils ont toujours été une plus-value appréciée, mais, malheureusement, leur participation s’est généralement accompagnée de quelques difficultés. La veille de l’évènement, comme d’habitude, avait été réservée à la mise en place pour permettre à l’équipe de SCALE de tout installer et aux exposants de préparer leurs stands. C’est également le jour de réception de tous les paquets envoyés par les exposants. IBM avait prévu de présenter une nouvelle ligne de serveurs sur le salon et avait fait expédier un de ces serveurs au centre de conférences ; malheureusement, il n’avait pas été livré sur leur stand et personne dans le centre de conférences ne savait où pouvait bien se trouver le colis. Malgré de nombreuses heures à chercher dans tous les endroits possibles à l’intérieur du centre de conférences, nous n’avions pas la moindre piste.

Il se trouve que le gala qui devait avoir lieu quelques jours plus tard avait loué un certain nombre de pièces pour en faire des bureaux et des espaces de stockage. Dans un éclair de génie, le coordinateur de l’évènement qui aidait à la recherche suggéra que nous pourrions chercher dans un de leurs espaces de stockage en espérant que la mallette d’IBM ait été livrée là par accident. La pièce en question était un petit placard de rangement dans lequel nous nous sommes trouvés face à des montagnes de boîtes, du sol jusqu’au plafond, remplies de tickets pour la soirée de gala à venir. Derrière ces boîtes, dans un coin, il y avait une grande mallette bleue avec le logo IBM bien visible. Crise évitée !

Le reste de l’évènement se déroula sans heurts et pratiquement sans incidents. Alors que l’évènement se finissait, une petite foule commença à se former près de grandes fenêtres donnant sur la rue. Alors que je passais à cet endroit, je pris conscience de ce que tout le monde était en train de regarder. Plusieurs silhouettes, toutes vêtues de noir, se déplaçaient sur les toits des bâtiments le long de la rue. Toutes ces silhouettes portaient des fusils de précision et étaient des membres de l’équipe du SWAT de la police de Los Angeles qui se préparaient pour la soirée de gala qui allait avoir lieu plus tard. Ce fut sans conteste une sortie mémorable du centre de conférences.

Pas de chambre à l’hôtel

Le quatrième SCALE a occasionné un nouveau changement de lieu. Cette fois-ci, nous sommes passés à un hôtel à la place d’un centre de conférences. Comme avec les années de plus en plus de personnes voyageaient pour assister à SCALE et séjournaient dans des hôtels proches, nous avons décidé d’étudier la possibilité que SCALE ait lieu dans un hôtel. Nous avons parcouru la région et avons fini par consulter un organisateur d’évènements pour trouver le bon endroit pour le nôtre. En nous installant dans un hôtel proche de l’aéroport de Los Angeles, la planification commença. Tenir l’évènement dans un hôtel nous a rapidement confrontés à de nouvelles problématiques propres aux hôtels. Une des plus importantes leçons que nous avons alors apprises a été de s’assurer que tous les contrats comportaient une clause convenue d’annulation.

À peu près cinq semaines avant l’évènement, nous avons reçu un appel des responsables du lieu qui nous informaient que leur entreprise annulait notre évènement pour attribuer le lieu à une autre manifestation. Cela a évidemment été un choc pour nous et nous a plongé dans la plus grande confusion. Le contrat avec l’hôtel ne comprenait pas une ligne sur les cas de résiliation pour changement de lieu, mais précisait seulement qu’ils pouvaient annuler la manifestation sans aucun motif.

Après un grand nombre de coups de téléphone et de tractations avec les responsables du lieu initial, ils ont fini par accepter de nous indemniser pour nous aider à migrer vers un lieu de remplacement. Lequel nous a consenti les mêmes conditions pour tout ce qui concernait l’électricité, l’accès à Internet et l’équipement audio et vidéo. Tout s’est bien passé et l’équipe de SCALE en a tiré une précieuse leçon sur la façon de négocier ses futurs contrats.

Rappel !

Tout compte fait, organiser une conférence est une entreprise gratifiante et un excellent moyen de rendre à la communauté ce qu’elle nous a apporté. Les conférences constituent un moment privilégié car elles permettent des échanges en personne dans un monde qui repose couramment sur des moyens de communication virtuels.

Voici les conseils que je donnerais à des organisateurs de conférences :

  • commencez modestement, ne vous lancez pas dans un gigantesque évènement dès la première année ;
  • saisissez les occasions, faites des erreurs, n’ayez pas peur de l’échec ;
  • tout est dans la communication !



Rassembler les gens (Libres conseils 35/42)

Chaque jeudi à 21h, rendez-vous sur le framapad de traduction, le travail collaboratif sera ensuite publié ici même.

Traduction Framalang : Ouve, merlin8282, Julius22, Sphinx, CoudCoud, lum’, goofy, peupleLà, Alpha, Peekmoaudionuma, lamessen

Rassembler les gens

Dave Neary

Dave Neary travaille sur des projets libres et open source depuis qu’il a découvert Linux en 1996. C’est un contributeur de longue date à GNOME et à GIMP. Il travaille à plein temps depuis 2007 pour aider des entreprises à se réconcilier avec les logiciels développés de façon communautaire. Durant cette période, il a travaillé sur divers projets dont OpenWengo, Maemo et Meego, qui étaient liés à de l’événementiel, à des méthodes de travail communautaires, à de la gestion de produits ainsi qu’à de la gestion d’outils d’analyse d’une communauté. Il s’est impliqué, en tant que bénévole, dans l’organisation du GUADEC, du Desktop Summit, du Libre Graphics Meeting, de la GIMP Conference, d’Ignite Lyon, de l’Open World Forum et de la MeeGo Conference.

L’une des choses les plus importantes que vous puissiez faire dans un projet lié au logiciel libre, à part écrire du code, c’est de rassembler les principaux contributeurs aussi souvent que possible. J’ai eu la chance de pouvoir organiser un certain nombre d’événements au cours de ces dix dernières années, mais aussi d’observer les autres et d’apprendre à leur contact pendant ce temps. Voici quelques-unes des leçons que j’ai apprises au cours du temps, grâce à cette expérience.

1. Le lieu

Le point de départ pour la plupart des réunions ou des conférences, c’est le lieu. Si vous réunissez un petit groupe (moins de dix personnes), il suffit bien souvent de choisir une ville et de demander à un ami qui possède une entreprise ou qui est professeur d’université de vous réserver une salle. Vous aurez sans doute besoin d’une organisation plus formelle dès qu’il y aura plus de monde à accueillir.

Si vous ne faites pas attention, le lieu de l’événement sera une grande source de dépenses et il vous faudra trouver l’argent correspondant quelque part. Mais si vous êtes futé, vous pouvez vous débrouiller pour obtenir assez facilement une salle gratuitement.

Voici quelques-unes des stratégies qu’il serait intéressant d’essayer :

  • Intégrez-vous au sein d’un autre événement : le Linux Foundation Collaboration Summit, OSCON, LinuxTag, GUADEC et beaucoup d’autres conférences accueillent volontiers des ateliers ou des rencontres pour de plus petits groupes. Le GIMP Developers Conference en 2004 a été le premier rassemblement que j’ai organisé, et afin de ne pas avoir à subir les problèmes inhérents au fait de trouver la salle, une date qui convient à tout le monde et ainsi de suite, j’ai demandé à la GNOME Foundation si ça ne les dérangeait pas de nous laisser un peu d’espace lors de la GUADEC — et ils ont accepté. Tirez parti de l’organisation d’une conférence plus grande, et vous pourrez en plus assister à cette grande conférence par la même occasion !
  • Demandez aux universités environnantes si elles n’ont pas des salles disponibles. Ça ne fonctionnera plus une fois que vous aurez dépassé une certaine taille, néanmoins, vous pouvez vous renseigner en particulier dans les universités dont certains chercheurs sont des membres du Linux User Group (LUG) [NdT : groupe d’utilisateurs de Linux] local. Ils peuvent en parler avec leur directeur de département afin de réserver un amphithéâtre et quelques salles de classe pour un week-end. Un grand nombre d’universités vous demanderont de faire un communiqué de presse et d’être mentionnées sur le site Web de la conférence, ce qui est un juste retour des choses. Le premier Libre Graphics Meeting s’est déroulé gratuitement à CPE Lyon et le GNOME Boston Summit a été accueilli gratuitement pendant des années par le MIT.
  • Si le lieu de rendez-vous ne peut pas être gratuit, voyez si quelqu’un d’autre ne peut pas le financer. Lorsque votre conférence commence à accueillir plus de 200 personnes, la plupart des salles seront payantes. Héberger une conférence coûtera beaucoup d’argent à celui qui prête les locaux, et c’est une part importante dans le modèle économique des universités que d’organiser des conférences lorsque les étudiants sont partis. Mais ce n’est pas parce que le centre de conférence ou l’université ne peut pas vous accueillir gratuitement que cela signifie que vous devez être la personne qui paye. Les collectivités territoriales aiment bien être impliquées lorsqu’il s’agit d’organiser des événements importants dans leur région. Le GUADEC à Stuttgart, le Gran Canaria Desktop Summit et le Desktop Summit à Berlin ont tous été financés par la région d’accueil en ce qui concerne la salle. S’associer avec une région présente un avantage supplémentaire : elles ont souvent des liens avec les entreprises et la presse locale, ce qui représente des ressources que vous pouvez utiliser afin d’obtenir de la visibilité et peut-être même des sponsors pour votre conférence.
  • Faites un appel d’offres : en incitant les groupes qui souhaitent héberger la conférence à déposer une offre, vous les incitez aussi à trouver une salle et à discuter avec les partenaires locaux avant de vous décider sur l’endroit où aller. Vous mettez aussi les villes en concurrence, et comme pour les candidatures aux Jeux Olympiques, les villes n’apprécient pas de perdre les compétitions auxquelles elles participent !

2. Le budget

Les conférences coûtent de l’argent. Ce qui peut coûter le plus cher pour une petite rencontre, ce sont les frais de déplacement des participants. Pour une conférence plus importante, les principaux coûts seront l’équipement, le personnel et la salle. Chaque fois que j’ai dû réunir un budget pour une conférence, mon approche globale a été simple :

  • décider de la somme d’argent nécessaire pour réaliser l’événement ;
  • collecter les fonds jusqu’à atteindre ce montant ;
  • arrêter la collecte et passer aux étapes suivantes de l’organisation.

Lever des fonds est une chose difficile. On peut vraiment y passer tout son temps. Au bout du compte, il y a une conférence à préparer, et le montant du budget n’est pas la préoccupation principale de vos participants.

Rappelez-vous que votre objectif principal est de réunir les participants du projet afin de le faire avancer. Alors, obtenir des réponses de participants potentiels, organiser le logement, la salle, les discours, la nourriture et la boisson, les activités sociales et tous les autres aspects de ce à quoi les gens s’attendent lors d’un événement… tout cela est plus important que la levée de fonds.

Bien sûr, de l’argent est nécessaire pour être capable d’organiser tout le reste. Alors, trouver des sponsors, décider de leurs niveaux de participation et vendre la conférence est un mal nécessaire. Mais une fois que vous avez atteint le montant nécessaire pour la conférence, vous avez vraiment mieux à faire.

Il existe quelques sources potentielles de financement pour préparer une conférence — combiner ces sources semble, selon moi, la meilleure des façons pour augmenter vos recettes.

  • les participants : même si c’est un sujet de controverse dans de nombreuses communautés, je crois qu’il est tout à fait justifié de demander aux participants de contribuer en partie aux coûts de la conférence. Les participants profitent des installations ainsi que des événements sociaux et tirent parti de la conférence. Certaines communautés considèrent la participation à leur événement annuel comme une récompense pour services rendus ou comme une incitation à faire du bon travail dans l’année à venir. Mais je ne crois pas que ce soit une façon pérenne de voir les choses. Pour les participants à une conférence, il y a plusieurs façons de financer l’organisation de celle-ci :
    1. les droits d’inscription : c’est la méthode la plus courante pour obtenir de l’argent de la part des participants à la conférence. La plupart des conférences communautaires demandent un montant symbolique. J’ai vu des conférences qui demandaient un droit d’entrée de 20 à 50 euros ; et ça ne posait aucun problème à la plupart des gens de payer cela. Un règlement d’avance a l’avantage supplémentaire de réduire massivement les désistements parmi les gens qui vivent à proximité. Les gens accordent plus d’importance à la participation à un événement leur coûtant dix euros qu’à un autre dont l’entrée est gratuite, même si le contenu est identique,
    2. les dons : ils sont utilisés avec beaucoup de succès par le FOSDEM. Les participants reçoivent un ensemble de petits cadeaux fournis par les sponsors (livres, abonnements à des magazines, T-shirts) en échange d’un don. Mais ceux qui le souhaitent peuvent venir gratuitement,
    3. la vente de produits dérivés : votre communauté serait peut-être plus heureuse d’accueillir une conférence gratuite et de vendre des peluches, des T-shirts, des sweats à capuche, des mugs et d’autres produits dérivés afin de récolter de l’argent.? Attention ! D’après mon expérience, on peut s’attendre à obtenir moins de bénéfices de la vente de produits dérivés qu’on n’en obtiendrait en offrant un T-shirt à chaque participant ayant payé un droit d’inscription,
  • les sponsors : les publications dans les médias accepteront généralement un « partenariat de presse » — en faisant de la publicité pour votre conférence dans leur magazine papier ou sur leur site Web. Si votre conférence est déclarée comme émanant d’une association à but non-lucratif pouvant accepter des dons avec des déductions d’impôts, proposez à vos partenaires dans la presse de vous facturer pour les services et de vous donner ensuite une subvention de partenariat séparée pour couvrir la facture. Le résultat final est identique pour vous. Mais il permettra à la publication de compenser l’espace qu’elle vous vend par des réductions d’impôts. Ce que vous souhaitez vraiment, ce sont des parrainages en liquide. Comme le nombre de projets de logiciels libres et les conférences se sont multipliés ces dernières années, la compétition pour les parrainages en liquide s’est intensifiée. Afin de maximiser vos chances d’atteindre le budget que vous vous êtes fixé, voici les actions que vous pouvez entreprendre :
    1. une brochure de la conférence : pensez à votre conférence comme un produit que vous vendez. Que représente-t-elle, quelle attention attire-t-elle, à quel point est-elle importante pour vous, pour vos membres, pour l’industrie et au-delà ? Qu’est ce qui a de la valeur pour votre sponsor ? Vous pouvez vendre un contrat de parrainage sur trois ou quatre éléments différents : peut-être que les participants à votre conférence constituent une audience cible de grande valeur pour le sponsor, peut-être (en particulier pour les conférences de moindre importance) que les participants ne sont pas ce qui est important mais plutôt la couverture dont bénéficiera la conférence dans la presse internationale ou bien peut-être que vous vendez à l’entreprise le fait que la conférence améliore un élément logiciel dont elle dépend. En fonction du positionnement de la conférence, vous pouvez lister les sponsors potentiels. Vous devriez avoir une brochure de parrainage que vous pourrez leur envoyer. Elle devra contenir une description de la conférence, un argumentaire de vente expliquant pourquoi il est intéressant pour l’entreprise de la parrainer, éventuellement des coupures de presse ou des citations de participants à des éditions antérieures disant à quel point votre conférence est géniale et, finalement, la somme d’argent que vous recherchez,
    2. des niveaux de parrainage : ils devraient être fixés en fonction de la somme que vous voulez lever. Vous devriez attendre de votre sponsor le plus important qu’il vous fournisse entre 30 et 40 % du budget total de la conférence, pour une conférence de moindre importance. Si vous êtes chanceux et que votre conférence attire de nombreux sponsors, cela peut s’élever à seulement 20 %. Pour vos estimations, visez un tiers. Ceci signifie que si vous avez décidé que vous avez besoin de 60 000 euros, vous devriez alors mettre votre niveau de sponsor principal à 20 000 euros et tous les autres niveaux en conséquence (disons 12 000 euros pour le deuxième niveau et 6 000 pour le troisième). Pour les conférences de moindre importance et les rencontres, le processus peut être légèrement plus informel. Mais vous devriez toujours penser au processus entier comme un argumentaire de vente,
    3. un calendrier : la plupart des entreprises ont un cycle budgétaire soit annuel, soit semestriel. Si vous émettez votre demande à la bonne personne au bon moment, vous pourriez alors avoir une discussion bien plus aisée. Le meilleur moment pour soumettre des propositions de parrainage d’une conférence estivale est aux environs d’octobre ou de novembre de l’année précédente, lorsque les entreprises finalisent leur budget annuel. Si vous manquez cette fenêtre, tout n’est pas perdu. Mais tout parrainage que vous obtenez viendra des budgets de fonctionnement qui tendent à être maigres et qui sont gardés précieusement par leurs propriétaires. Sinon, vous pouvez obtenir un engagement de parrainage en mai pour votre conférence de juin, à la fin du processus budgétaire du premier semestre — ce qui est tardif dans la préparation,
    4. approcher les bonnes personnes : je ne vais pas enseigner l’art de la vente à qui que ce soit mais mon secret personnel dans les négociations avec les grandes organisations est de devenir ami avec des personnes à l’intérieur de ces organisations et de me forger une impression sur l’origine potentielle du budget pour mon événement. Votre ami ne sera probablement pas la personne qui contrôle le budget mais l’avoir à vos cotés est une chance d’avoir un allié au sein de l’organisation. Il fera en sorte que votre proposition soit mise devant les yeux de la personne en charge du budget. Les grandes organisations peuvent être aussi dures qu’une noix est dure à craquer, mais les projets de logiciels libres ont souvent des amis dans les hautes sphères. Si vous avez vu le directeur technique ou le PDG d’une entreprise classée au Fortune 500 parler de votre projet dans un article de journal, n’hésitez pas à lui envoyer quelques mots en évoquant le fait que, quand le temps sera venu de financer cette conférence, une note personnelle demandant qui est la meilleure personne à contacter fera des merveilles. Souvenez-vous que votre objectif n’est pas de vendre votre contact personnel mais de le changer en un défenseur de votre cause à l’intérieur de l’organisation et de créer la chance de, plus tard, vendre la conférence à la personne responsable du budget,
  • Souvenez-vous aussi, en vendant des contrats de parrainage, que tout ce qui vous coûte de l’argent pourrait faire partie d’un contrat de parrainage. Certaines entreprises offriront des tours de cou aux participants, la pause café, la glace de l’après-midi ou bien un événement social. Ce sont de bonnes occasions de parrainage et vous devriez exprimer clairement, dans votre brochure, tout ce qui se déroule. Vous devriez aussi définir un budget prévisionnel pour chacun de ces évènements lorsque vous écrivez le brouillon de votre budget.

3. Contenu

Le contenu d’une conférence est son élément le plus important. Des événements différents peuvent traiter différemment d’un même contenu — certains événements invitent une grande partie de leurs intervenants, tandis que d’autres comme GUADEC et OSCON font des appels à propositions et choisissent les interventions qui rempliront les salles.

La stratégie que vous choisirez dépendra beaucoup de la nature de l’événement. Si l’événement existe depuis une dizaine d’années, avec un nombre de participants toujours croissant, faire un appel à articles est une bonne idée. Si vous êtes dans votre première année, et si les personnes ne savent vraiment pas quoi faire de l’événement, alors donnez le ton en invitant de nombreux orateurs, aidant ainsi les gens à comprendre votre objectif.

Pour Ignite Lyon l’an dernier, j’ai invité environ 40 % des orateurs pour le premier soir (et j’ai souvent dû les harceler pour qu’ils me proposent une intervention). Les 60 % restants sont venus via un formulaire de candidature. Pour le premier Libre Graphics Meeting, en dehors des présentations éclairs, je pense avoir d’abord contacté chaque orateur, à l’exception de deux d’entre eux. Maintenant que l’événement en est à sa 6e année, il existe un processus d’appel à contributions qui fonctionne plutôt bien.

4. Le programme

Il est difficile d’éviter de mettre en parallèle des exposés attrayants pour les mêmes personnes. Dans chaque conférence, vous pouvez entendre des personnes qui voulaient assister à des conférences se déroulant en même temps, sur des sujets similaires.

Ma solution pour la programmation des conférences est très simple, mais elle fonctionne dans mon cas. Des post-it de couleur, avec une couleur différente pour chaque thème, et une grille vide. Le tour est joué. Écrivez les titres des exposés (un par post-it), ajoutez les quelques contraintes que vous avez pour l’orateur, puis remplissez la grille.

Mettre le programme en-dehors de l’ordinateur, et dans des objets réels, permet de voir très facilement les conflits, d’échanger les conférences aussi souvent que vous voulez, et de le publier ensuite sur une page Web quand vous en êtes satisfait.

J’ai utilisé cette technique avec succès pour GUADEC 2006 et Ross Burton l’a réutilisée avec succès en 2007

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5. Les fêtes

Les fêtes sont un compromis à trouver. Vous voulez que tout le monde s’amuse, et s’éclater jusqu’au petit matin est une partie très importante quand on participe à une conférence. Mais la fréquentation matinale souffre après une fête. Ayez pitié du pauvre membre de la communauté devant se tirer hors du lit après trois heures de sommeil pour aller parler devant quatre personnes à 9 heures du matin après la fête.

Certaines conférences ont trop de fêtes. C’est super d’avoir la possibilité de se saouler avec des amis chaque nuit. Mais ça n’est pas génial de vraiment le faire chaque nuit. Rappelez-vous du but de la conférence : vous voulez stimuler l’avancement de votre projet.

Je préconise une grande fête, et une plus petite, au cours de la semaine. En-dehors de ça, les personnes seront tout de même ensemble et passeront de bons moments, mais ce sera à leurs frais, ce qui fait que chacun restera raisonnable.

Avec un peu d’imagination, vous pouvez organiser des événements qui n’impliquent pas l’utilisation de musique forte et d’alcool. D’autres genres d’événements sociaux peuvent faire l’affaire, et même être plus amusants.

Au GUADEC, nous organisons un tournoi de football depuis quelques années. Lors du sommet OpenWengo en 2007, nous avions embarqué les personnes pour une balade en bateau sur la Seine puis nous étions ensuite montés sur un manège du XIXe siècle. Faire manger les gens ensemble est un autre moyen de nouer des liens. J’ai de très agréables souvenirs de repas de groupe lors de nombreuses conférences. À la conférence annuelle de KDE, l’Akademy, il y a traditionnellement une grande journée de sortie durant laquelle les personnes vont ensemble à un pique-nique, quelques activités simples de plein air, une promenade en bateau, un peu de tourisme ou quelque chose de similaire.

6. Les coûts supplémentaires

Attention à ces dépenses imprévues ! Une conférence dans laquelle j’étais impliqué, et où le lieu de réunion était « sponsorisé à 100 % » nous a laissé une note de 20 000 euros pour les coûts de main-d’œuvre et d’équipement. Oui, le lieu était sponsorisé, mais la mise en place des tables et des chaises, ainsi que la location des écrans, des vidéoprojecteurs et de tout le reste ne l’était pas. Au bout du compte, j’ai estimé que nous avions utilisé seulement 60 % de l’équipement que nous avions payé.

Tout ce qui est fourni sur place est extrêmement coûteux. Une pause-café peut coûter jusqu’à 8 euros par personne pour un café et quelques biscuits, de l’eau en bouteille pour les conférenciers coûte quatre euros par bouteille, etc. La location d’un rétroprojecteur et de micros pour une salle peut coûter 300 euros ou plus pour une journée, selon que le propriétaire exige ou non que l’équipement audio-vidéo soit manipulé par son propre technicien.

Quand vous traitez avec un lieu commercial, soyez clair dès le départ sur ce pour quoi vous payez.

Les détails sur place

J’aime les conférences attentives aux petits détails. En tant qu’orateur, j’aime quand quelqu’un me contacte avant la conférence pour m’avertir qu’il me présentera. Que souhaiterais-je qu’il dise ? C’est rassurant de savoir que, quand j’arriverai, il y aura un micro sans fil et quelqu’un qui peut aider à l’ajuster.

Faire attention à tous ces détails nécessite de nombreux volontaires, et ça nécessite quelqu’un pour les organiser avant et pendant l’événement. Il faut passer beaucoup de temps à parler à l’équipe sur place, plus particulièrement aux techniciens audio/vidéo.

Lors d’une conférence, le technicien audio-vidéo avait prévu de basculer manuellement l’affichage vers un économiseur d’écran à la fin d’une conférence. Au cours d’une session de mini-conférences, nous nous sommes retrouvés dans une situation burlesque quand, après le premier conférencier, j’ai interverti l’ordre de passage : au moment où la présentation suivante s’affichait sur mon portable, nous avions toujours l’économiseur sur le grand écran. Personne n’avait parlé avec le technicien de la régie pour lui expliquer le format de la présentation ! Et c’est comme ça qu’on a fini par avoir pas moins de quatre spécialistes de Linux à s’occuper de l’ordinateur portable qui vérifiaient les connexions en psalmodiant divers mantras Xrandr, qui s’efforçaient de remettre en marche le rétroprojecteur au-dessus de nos têtes ! Nous avons fini par changer d’ordinateur portable, le technicien de la régie a compris de quel type de session il s’agissait, et ensuite tout s’est fort bien passé — la plupart des gens concernés ont accusé mon portable.

Gérer une conférence, ou parfois une plus petite rencontre, prend du temps, et nécessite beaucoup d’attention aux détails, qui pour la plupart ne seront jamais remarqués par les participants. Et je n’ai même pas évoqué des choses comme les banderoles et les affiches, la création du graphisme, la gestion de la presse ou d’autres joyeusetés qui vont de pair avec l’organisation d’une conférence.

Le résultat final est en revanche particulièrement gratifiant. Une étude que j’ai menée l’année dernière sur le projet GNOME a montré qu’il y a eu une forte augmentation de la productivité sur tout le projet juste après notre conférence annuelle et un grand nombre de membres de notre communauté mentionnent la conférence comme ayant été, pour eux, le point culminant de l’année.