Comment créer un blog anonyme (à l’heure de la surveillance généralisée)

Blog vraiment anonyme : mode d’emploi !

« Et si vous me trouvez, je serai vraiment très impressionné. »

AndyRobertsPhotos - CC by

Comment créer un blog anonyme

How to Start an Anonymous Blog

Anonyme (évidemment) – 26 janvier 2014 – Untraceable
(Traduction : crendipt, aKa, Diab, Penguin, Omegax, amha, nanoPlink, Paul, Scailyna, Scailyna, Asta, Unnamed, goofy, lamessen)

Introduction

Je crois qu’en suivant les étapes que j’expose dans ce billet, personne ne sera capable de dévoiler mon identité. Mon domaine peut être saisi et mon blog peut être fermé, mais je reste persuadé que mon identité restera un mystère.

Si je dis cela, c’est principalement parce que j’ai confiance dans un outil très important appelé Tor. Les développeurs et administrateurs des nœuds de Tor travaillent pour que chacun puisse être anonyme sur Internet. Tor est une sérieuse épine dans le pied pour la NSA et pour les autres organisations et pays qui font de l’espionnage sur Internet.

Vu que le réseau Tor rend très difficile l’identification des adresses IP et que l’enregistrement de domaines est désormais possible via Bitcoin, je n’ai à aucun moment besoin de fournir une quelconque information personnelle pour la mise en place de ce blog.

Outils et ressources

Tails / Tor

Tails est lancé depuis une clé USB qui inclut une partition chiffrée. Cette partition contient un porte-monnaie Bitcoin, le code source du blog et une base de données Keepass. Mes mots de passe pour des services tiers sont des mots de passe très forts générés aléatoirement. Avec Tails, il est difficile de se tromper, car toutes les connexions doivent obligatoirement passer par Tor. Par exemple, pour développer ce blog en local, je dois ajuster les règles du pare-feu pour autoriser les connexions locales au port 4000, télécharger un navigateur différent (Midori) et régler celui-ci pour qu’il n’utilise pas de serveur proxy. Le pare-feu bloque toutes les requêtes externes de Midori, mais je peux accéder à http://localhost:4000.

Donc, à moins d’agir de manière insensée, par exemple me connecter à StackOverflow au moyen de mon vrai compte Google et utiliser l’identifiant de « untraceableblog », je pense qu’il est quasiment impossible de me pister.

Je fais une sauvegarde de la clé USB sur mon ordinateur principal, sur un volume caché TrueCrypt. J’aime le concept des volumes cachés, j’ai l’impression d’être un putain d’espion. L’idée, c’est d’avoir un mot de passe factice qui déverrouille un faux dossier chiffré et un mot de passe réel pour déverrouiller le vrai dossier chiffré, sans qu’il y ait aucun moyen pour les autres de savoir lequel vous déverrouillez. Dans mon faux dossier chiffré, je garde ma base personnelle de Keypass, de cartes de crédit, et des scans de mon passeport et permis de conduire. Donc si quelqu’un me force à entrer mon mot de passe pour déverrouiller mon ordinateur et découvre que j’ai un volume TrueCrypt, il n’aura aucun moyen de savoir si j’ai entré le mot de passe réel ou bidon.

Cette fonctionnalité autorise une légère protection contre les tentatives d’extorsion de votre mot de passe par la force.

XKCD

La plupart du temps, je cache la clé dans un endroit secret de la maison. Quand je dois aller quelque part et que je veux pouvoir mettre à jour ce blog, je le sauvegarde sur le volume caché, puis j’efface la clé de manière sécurisée et je peux l’emporter avec moi sans aucune crainte. C’est ce que je devrai faire jusqu’à ce que Tails intègre sa propre fonction pour les « volumes cachés ».

Messagerie électronique

J’ai créé un compte de messagerie gratuit sur Outlook.com et j’utilise anonymousspeech.com pour la vérification et la sauvegarde.

J’ai d’abord essayé Gmail, mais Google rend la création de compte très difficile quand on utilise Tor, à cause de la vérification par téléphone. C’est compréhensible, à cause des gens qui aiment créer un grand nombre de faux comptes pour envoyer du spam.

Blog

Ce blog est libre sur les pages GitHub, il utilise Octopress pour créer un site statique et j’ai installé le thème Page Turner. J’ai envoyé le contenu sur GitHub avec une clé SSH, bien entendu chiffrée et stockée sur ma clé USB.

Il me vient à l’esprit deux vecteurs susceptibles de vous donner des informations sur mon identité :


L’horodatage des messages

Le système d’exploitation Tails dispose d’une bonne stratégie pour forcer l’heure du système à être systématiquement en UTC. Mais si j’écris une série de billets dans les années à venir, vous pourriez en analyser l’horodatage pour déterminer mon fuseau horaire. Cependant, le site compilé indique uniquement la date. Par ailleurs, je voyage beaucoup (ou pas ?) 😉

Analyse de la fréquence des mots et caractères

Vous pourriez être capables de déterminer mon pays d’origine ou mon identité grâce à mes mots et mes phrases. Vous pourriez même trouver une corrélation avec les autres contenus que j’ai publiés en ligne sous ma véritable identité. Je contre cette possibilité en passant tous mes billets dans Google Translate. Je traduis dans une autre langue, puis en anglais et je corrige ensuite les erreurs. C’est parfait pour diversifier mon vocabulaire, mais j’aurais aimé que ça ne casse pas autant le Markdown et le HTML. Jusqu’ici vous pourriez croire que l’anglais est ma seconde langue. Mais laissez-moi vous assurer d’une chose : je n’ai jamais affirmé ni infirmé ce point.

Un des problèmes, c’est que Google peut voir mes messages originaux et probablement aussi la NSA. Si je voulais l’éviter, je pourrais poster des demandes de traductions anonymes et payer les traducteurs en bitcoins.

Statistiques

Les raisons de l’indisponibilité de Google Analytics vous sont données sous « Messagerie électronique ». À la place, j’ai choisi StatCounter.

Mais même si Google Analytics avait été disponible, je n’aurais pas utilisé une ID de suivi liée à mon identité réelle. Beaucoup de blogueurs anonymes ont été trahis par l’annuaire d’ID inversé proposé par Google.

Acheter des bitcoins avec le maximum d’anonymat

J’ai acheté les bitcoins en utilisant un compte anonyme créé via Tor. J’ai trouvé un vendeur qui souhaitait me rencontrer en personne et nous avons convenu d’un rendez-vous. Nous nous sommes rencontrés, je lui ai donné l’argent et il m’a transféré les bitcoins en utilisant son téléphone.

Acheter un nom de domaine avec des bitcoins

IT Itch est un registrar qui accepte les paiements via BitPay. Leurs noms de domaine sont assez chers,15 USD chacun, mais permettent un enregistrement totalement anonyme. Ce fut une démarche facile, mais il a fallu du temps pour que le domaine devienne actif (plus d’une heure). Une fois activé, j’ai configuré les enregistrements DNS pour GitHub Pages, et ensuite mon blog était accessible sur http://untraceableblog.com.

IT Itch a fait la grosse erreur de m’envoyer mon mot de passe en texte clair après la création du compte. PAS BIEN ! Si quelqu’un parvient à accéder à mon compte Outlook, il peut se connecter et détruire mon site. Donc j’ai effacé le message et changé mon mot de passe, et heureusement ils ne l’ont pas renvoyé par e-mail.

Comment je pourrais être découvert, 1ère partie

Pister les Bitcoins

En théorie, vous pouvez suivre la trace des transactions Bitcoins et découvrir mon identité. Toutefois, dans ce cas, il est très peu probable que même l’organisation la plus sophistiquée et la mieux financée puisse me découvrir.

Voyez-vous, j’ai acheté ces Bitcoins en utilisant un compte anonyme sur localbitcoins.com (créé en utilisant Tor). Nous avons convenu, le vendeur et moi, de nous rencontrer en personne, et j’ai payé en liquide. Pour dévoiler mon identité, il faudrait que vous puissiez casser les défenses de tous les services que j’ai utilisés ou bien travailler chez eux. Il faudrait par exemple :

  1. Accéder à la base de données de ititch.com et trouver l’identifieur de la transaction BitPay pour untraceableblog.com
  2. Accéder à la base de données de BitPay et trouver l’adresse Bitcoin qui a envoyé les Bitcoins pour cette transaction
  3. Accéder à la base de données de localbitcoins.com. Trouver l’adresse Bitcoin qui a envoyé les Bitcoins à BitPay, retracer la transaction jusqu’à ce que vous trouviez l’adresse localbitcoins du dépôt fiduciaire.
  4. À partir de l’adresse du dépôt fiduciaire, vous pourrez trouver le compte localbitcoins, et retrouver les messages que nous avons échangés pour nous rencontrer.
  5. Vous devrez vous rendre au point de rendez-vous et espérer qu’il existe des caméras de surveillance qui auraient pu nous enregistrer ce jour-là.
  6. Vous aurez enfin besoin d’accéder à la société de sécurité qui possède les enregistrements des caméras de surveillance, obtenir une bonne image de mon visage et faire tourner d’une façon ou d’une autre un logiciel de reconnaissance faciale pour découvrir mon identité. Travailler pour Facebook ou la NSA pourrait aider si vous avez réussi à parvenir à ce point.
Comment je pourrais être découvert, 2ème partie
Tout est hacké. Absolument tout.

Internet est une machine basée sur la confiance et il existe de nombreuses manières de briser cette confiance. Quelqu’un peut générer des certificats SSL de confiance pour n’importe quel domaine, exiger que son FAI route l’intégralité du trafic au travers de ces certificats, ou contrôler un grand nombre de nœuds Tor et réaliser des attaques par analyse de trafic. Je n’entrerai pas dans les détails mais si vous êtes intéressés, vous pouvez en apprendre davantage sur les attaques Tor :

Conclusion

Je n’ai fait ce blog que comme un exercice amusant d’anonymat, même si j’y posterai probablement des choses dans le futur. J’ai simplement utilisé des outils créés par des gens bien plus intelligents que moi et je ne suis sûrement pas le premier blogueur anonyme, mais j’espère vous avoir appris quelque chose.

Bien évidemment, on peut aller beaucoup plus loin que ça. J’aurais pu héberger ce blog sur un VPS que j’aurais loué avec des Bitcoins et installer le serveur comme un service Tor masqué. L’adresse IP du serveur aurait été totalement protégée mais, de ce fait, vous n’auriez pu consulter ce blog qu’au travers du réseau Tor, et les liens de nœud Tor (TBR) ça ne fait pas très chouette en page d’accueil. J’aurais également pu faire toutes mes actions depuis un cybercafé, juste au cas où Tor serait compromis, mais je n’aurais pas été découvert. Enfin, j’aurais pu choisir un domaine en « .se » si j’avais eu peur de l’intervention du gouvernement américain. C’est ce qui est actuellement utilisé par The Pirate Bay, et les Suédois leur laissent toute liberté d’action.

N’hésitez pas à m’envoyer quelques Satoshis (fractions de Bitcoins) si vous aimez ce billet : 146g3vSB64KxxnjWbb2vnjeaom6WYevcQb.

Et si vous me trouvez, je serai vraiment très impressionné.

Crédit illustrations : AndyRobertsPhotos (Creative Commons By) et XKCD




Geektionnerd : Internet est un don de Dieu ?

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Sources :

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Framablog brisé ! Framablog martyrisé ! Mais Framablog libéré !

Chers lecteurs du Framablog,

Vous avez été nombreux mercredi soir, 15 janvier 2014, à nous signaler — par mail ou par twitter — une alerte de sécurité concernant le Framablog. En effet, dès 22h, Firefox a commencé à signaler le Framablog comme « site malveillant », suivi une demi-heure plus tard par Chrome.

Malheureusement, ceci n’était pas un exercice. Plusieurs fichiers javascript avaient été touchés et nous avons retrouvé le fichier php infectieux à l’origine du problème.

Drapeau du pirate Henry Every

Un grand merci à FramaSky et JosephK qui ont passé leur nuit sur le problème pour que le blog revienne au plus vite à la normale et garantir votre sécurité, fût-ce au mépris de leur sommeil — et d’un épisode de Sherlock pourtant redoutablement tentant. À tous ceux qui hésitent entre un coup fumeux de la NSA, une revanche de Mountain View quant à notre campagne « moins de Google, plus de libre » ou un happening des Connards Professionnels, nous répondons que nous ne pensons pas être si importants que ça.

Une nouvelle attaque a eu lieu dès le lendemain jeudi vers 17h, redirigeant les visiteurs vers un site bien évidemment douteux. Aussitôt alertés, nous avons placé le Framablog en maintenance afin d’éviter d’exposer nos lecteurs et pour nous permettre d’examiner le problème plus sereinement. Échaudés par la première attaque, nous savions déjà quoi chercher pour nettoyer le site, et Pyg a trouvé puis comblé la faille dans notre système. Le blog a été remis en ligne dans la soirée, sans tambours ni trompettes, tout fatigués que nous étions.

Par ailleurs, on nous a signalé ce vendredi que des commentaires avaient disparu de certains billets. Comme quelques uns de ces commentaires étaient critiques vis-à-vis des billets concernés, il aurait été facile de penser à de la censure. Sachez qu’il n’en est rien : cette attaque a visiblement eu des conséquences que nous n’avions pas repérées de prime abord. Nous remercions les commentateurs concernés, car ceux-ci ont très rapidement fait le rapport avec nos problèmes.

Cet incident nous a confortés dans le constat que nous avions déjà fait : la plateforme qui accueille le Framablog est vétuste, elle héberge d’autres sites et des expérimentations non supprimées après abandon, qui sont potentiellement autant de failles de sécurité. De plus, le moteur du blog est bardé de plug-ins collectionnés au fil des années et des collaborateurs. Il devient difficile de garantir la sécurité du blog de manière satisfaisante. Nous allons donc entériner et accelérer le choix — évoqué lors de l’Assemblée générale qui s’est tenue début janvier — d’abandonner la forme actuelle du Framablog, de ne le conserver « que » comme mémoire des anciens articles et repartir à zéro pour un Framablog tout beau tout propre que nous installerons sur une machine virtuelle tout neuve. Pour l’instant, nos choix se porteraient sur un wordpress flambant neuf avec un des thèmes natifs légèrement remanié — ou une solution qui soit techniquement simple et qui ne pose pas de problème de maintenance — tout en optant pour une politique minimaliste en ce qui concerne l’ajout d’extensions sous le regard inquisiteur de FramaSky.

Ce changement sera effectué en ayant à cœur de respecter votre confort, votre sécurité et vos données (en instaurant par exemple un partage en deux clics comme c’est actuellement testé sur www.connard.pro)

Bien entendu, une migration se fait rarement sans heurts. Il se peut donc, au cours des prochaines semaines, que quelques perturbations adviennent lorsque vous naviguerez sur le Framablog. Nous promettons de faire de notre mieux pour qu’elles soient réduites au minimum.

Nous espérons que vous prendrez toujours autant de plaisir à lire et à participer à cet outil d’information du Libre francophone.

L’équipe du Framablog

Crédit image couverture : Drapeau du pirate Henry Every… (CC-0 par “Eugene Zelenko”)




Geektionnerd : La Police sur Twitter

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Sources sur Numerama :

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Quand les auteurs Framasoft s’allient pour faire de vous des connards… libres

Simon « Gee » Giraudot et Pouhiou présentent leur nouveau roman illustré sur connard.pro

« Bastards, Inc – Le guide du connard professionnel » n’est ni une bande dessinée, ni un roman… C’est un MOOC-fiction, une espèce de cours en ligne et illustré pour nous apprendre le beau métier d’ingêneur, ces gens qui gagnent leur vie en créant des ouvertures faciles récalcitrantes et des ralentisseurs pervers. L’avant-propos est on ne peut plus clair :

Être un salaud est à la portée du premier venu. Être un connard, par contre, demande rigueur, écoute et une grande capacité de réflexion.

Octave Geehiou, l’auteur fictif de cette masterclass, est en réalité le fruit de la la collaboration entre Gee (Simon Giraudot, auteur des BD Geektionnerd et Superflu) et Pouhiou (auteur de la série de romans feuilletons des NoéNautes). Les comparses se sont rencontrés lors de signatures organisées par leur éditeur, Framasoft, qui promeut les œuvres sous licence libre. Après un an de complotages en catimini, il dévoilent ce « Guide du Connard Professionnel ».


« Chaque épisode sera comme une petite leçon pratique. Textes et images alternent afin d’expliquer de manière aussi détaillée qu’absurde comment emmerder les gens afin de leur faire acheter des écrans de projection… ou du scotch de déménagement » explique Pouhiou, qui scénarise ce graphic novel.

« On a décidé de placer ces épisodes dans le domaine public vivant grâce à la licence CC0 » ajoute Gee, « et de libérer un épisode tous les quinze jours quoi qu’il arrive… mais on compte bien sur l’aide de tous les apprentis bâtards et ingêneuses ».

En effet, en plus de pouvoir télécharger librement chaque épisode, les lecteurs pourront participer en suggérant des « bastardises » et autres « connarderies » aux auteurs… ou en accélérant leur rythme d’écriture. « On publie un épisode un mercredi sur deux. Mais on a mis sur le site connard.pro une petite barre de dons qui déclenchera, une fois remplie, la publication d’un épisode supplémentaire lors du mercredi de repos. Ainsi l’argent donné ne sert pas à libérer le contenu, juste à nous libérer du temps pour le créer plus vite ». Le site connard.pro présente déjà l’avant-propos et la démarche de ces deux « Bâtards en chef ». Rendez-vous le mercredi 22 janvier pour découvrir le premier épisode de ce guide du connard professionnel…

Bastards, Inc - Couverture

Interview

Deux experts de Framasoft joignent leurs efforts pour vous offrir le guide de l’ingêneur libre

Framasoft par sa branche Framabook a une longue tradition de tutoriels et autres guides, que ce soit pour les logiciels, la programmation ou la conduite de projets libres. Un guide de plus alors ? Oui mais celui-ci est en quelque sorte « hors-collection »

Voici ce qu’en dit le magazine en ligne Strat&J :

Le guide du connard professionnel est une formidable opportunité pour valoriser vos compétences dans le segment de la vente en open trading. Une mine de conseils précieux pour le mercaticien débutant et un retour d’expérience profitable pour le senior manager.

Question : Monsieur le dessinateur, la Geekette est-elle toujours la première dame du Geektionnerd ?

Gee : Je comprends votre question, et je suis sûr que vous comprendrez ma réponse. Chacun, dans sa vie personnelle, peut traverser des épreuves, mais ce n’est pas notre cas. La multiplications des projets BD sont des moments joyeux et j’ai un principe, c’est que les affaires publiques se traitent en public dans un exhibitionnisme respectueux de chacun. C’est donc parfaitement le lieu pour le faire (mais pas le moment, on parle des Bastards, là). Je préfère donc que nous poursuivions sur le sujet qui nous intéresse : en l’occurrence, dans Bastards, Inc, le personnage principal est un homme (Octave Geehiou) qui évoluera dans un univers tout à fait machiste où les femmes n’auront qu’un rôle de faire-valoir (toute ressemblance avec des institutions existantes serait bien sûr fortuite). D’ailleurs je vous rappelle que c’est écrit par Pouhiou, et que ça se saurait s’il aimait les femmes.

Question : Euh les gars vous êtes gentils mais qu’est-ce qui vous a pris ? D’où vous est venue l’idée de collaborer et surtout pour faire un truc pareil ?

Gee : Dès le premier tome des Noénautes, Pouhiou a eu l’idée un peu paranoïaque réaliste (il faut bien le dire) qu’il pouvait exister une volonté délibérée d’emmerder gravement les gens de la part d’ingénieurs malveillants, profession imaginaire mais dont les exploits supposés sont terriblement réels et parfaitement néfastes. Tous ceux qui un jour ont vainement cherché la mythique extrémité perdue d’un rouleau de scotch nous comprendront.

Pouhiou : Cette profession a été opportunément nommée : ingêneur. Telle est en tout cas l’activité d’Enguerrand Kunismos dans le cycle des NoéNautes, et bientôt celle d’ Octave Geehiou dans ces sortes de carnets de l’ingêneur que constitue le guide du connard professionnel.

Question : Oui mais avec ça on ne sait toujours pas qui a mis le feu aux poudres…

Pouhiou : Ben le problème quand on fait ses petites affaires dans le domaine public, c’est que certains viennent s’en emparer. En février dernier, alors que je faisais le crowdfunding pour la sortie de #MonOrchide, Simon me dit au détour d’un mail : « Faut vraiment être un connard pour vendre des écrans de projections ».

Gee : Réflexion que je me suis faite pendant une conférence dans le labo où je travaille. Je remarquai alors que la présentation était projetée à même le mur (de couleur blanche unie), et je repensai avec amusement à toutes les fois où j’ai pu voir quelqu’un se battre, impuissant, contre la mécanique systématiquement foireuse d’un écran de projection. L’écran de projection m’apparut alors comme un exemple d’objet à la fois inutile (un bête mur blanc suffit) et néfaste (toujours mal fichu et irritant à utiliser). Ça m’a fait penser aux ingêneurs de Pouhiou, alors on en a discuté et c’est un petit peu parti en sucette, au point qu’on a ouvert un Framapad pour y stocker des idées d’autres objets conçues pour nous emm-nuyer. C’est parti comme ça…

Extrait de Bastards, Inc 1

Question : Et pourquoi vous n’avez pas parlé plus tôt de votre projet ? Vous aviez honte hein c’est ça ?

Pouhiou : Pas du tout nous en sommes au contraire particulièrement fiers, mais il a fallu trouver le ton, le temps, et on a préparé ça pendant un an, en plus de nos activités habituelles… Et en se cachant de nos ami-e-s framasoftiens, histoire de leur faire la surprise dès qu’on serait prêts. Seul PYG a été notre complice, car il a bien fallu nous ouvrir un coin de serveur pour préparer le site. Car oui, c’est encore un projet libre hébergé par Framasoft et grâce à tous ceux qui soutiennent cette asso.

Gee : Ça nous a permis de prendre un peu d’avance et de voir ce qui marchait et ce qui ne marchait pas. Par exemple, j’avais commencé à faire du 100% Inkscape comme le Geektionnerd, mais après quelques épisodes, on s’est rendu compte que ça ne marchait pas, les textes ne ressortaient pas bien (ils sont plus longs que dans le Geektionnerd). Finalement, on a totalement changé la mise en page, seuls les dessins sont faits sous Inkscape. La mise en page est ensuite gérée en LaTeX (what else?) pour les versions téléchargeables, et directement en HTML pour les versions en ligne. Bref, tout ça a demandé du temps, sans parler du fait que Pouhiou comme moi n’en sommes pas à nos premiers projets et qu’il faut aussi trouver un rythme tenable…

Question : Vous avez réussi à ne pas vendre la mèche ?

Gee : Oui, on a vraiment gardé le truc secret jusqu’à la fin. Par contre, moi j’me suis bien amusé à laisser des indices à droite à gauche, comme dans cette interview où je parle d’un projet dont je ne serai pas l’auteur, dans ce petit encart sur mon site perso ou encore dans le dernier article participatif de Pouhiou sur le Geektionnerd.

Pouhiou : Moi c’est en vrai que j’ai eu du mal à tenir ma langue… J’envoie les scénarios à Gee sur un pad, et il me renvoie le réultat par email, dans un zoli pdf fait en LaTeX avec ses dessins… À chaque fois j’explose de rire, je jubile comme un gamin au pied du sapin ! Voir nos conneries prendre forme, ça me donne envie de les partager avec tout le monde ! Sinon les seuls indices que j’ai laissés sont quelques #likeabastard sur twitter… et le compte @Geehiou, pour partager des bastardises en 140 caractères. Mais aujourd’hui nous sommes prêts, dans un grand élan œcuménique et humanitaire, à dispenser nos indispensables lumières aux masses asservies par l’obscurantisme mercantile (en toute modestie, bien entendu).

Question : Bon et ça va se présenter comment, encore un feuilleton ?

Pouhiou : Vu comment notre narrateur, môssieur Octave Geehiou, se la pète… je pense qu’on peut parler d’un cours. Une sorte de MOOC fictionnel. Des paragraphes de textes entrecoupés d’illustrations où il nous expliquera de manière pratique des situations quotidiennes où la malice et l’ingéniosité d’un connard a pourri la vie du plus grand nombre pour enrichir quelques-uns. L’épisode 01 est prévu pour le mercredi 22 Janvier, et on va publier sur un rythme bi-mensuel, un mercredi sur deux à 13h37.

Gee : Le rythme d’une semaine sur 2 devrait être tenable sans flinguer les NoéNautes, le Geektionnerd et Superflu. Mais si vous voulez nous pousser un peu à faire plus, on laisse une petite jauge de dons : lorsque le montant total (fixé à 150€ suite à des calculs hyper-techniques et abscons) est atteint, on publie un épisode supplémentaire le mercredi de « repos » (où normalement il n’y a pas d’épisode). Et comme ce n’est pas nécessairement l’argent qui nous intéresse (enfin, pas que), vous pouvez nous aider à développer la Framajauge.

Extrait de Bastards, Inc 2

Question : Pourquoi ce choix de la licence domaine public vivant, la CC0 ?

Pouhiou : Par pur et simple opportunisme. Le 26 janvier à Toulouse aura lieu la Journée du Domaine Public. On va y annoncer l’élévation de cette nouvelle œuvre dans le Domaine Public Vivant, s’y faire un max de pub, y gagner une renommée internationale (et néanmoins francophone) à la médiathèque José Cabanis… Puis dès le lendemain on recadenassera tout avec des DRM et des copyrights, comme de vilains gougnafiers !

Gee : En fait il n’y a rien de compliqué. Pouhiou a l’habitude de la CC0 qui est son acte militant de « non-violence légale ». Moi, j’ai l’habitude de la CC-By-Sa qui est mon acte militant de « diffusion du Libre ». Lorsque 2 licences sont incompatibles, j’ai pour principe d’utiliser la moins restrictive des deux (de la même manière que je refuserais toute collaboration à une œuvre sous droit d’auteur classique ou sous Nc/Nd, je ne me voyais pas imposer du CC-By-Sa à Pouhiou). Et puis comme dit Pouhiou, je rejoins désormais des noms aussi illustres que Victor Hugo ou Émile Zola dans ce fameux domaine public. Et c’est quand même hyper-classe.

Question : Il y a un problème : votre site n’est clairement pas un site de connards…

Gee : Question de point de vue : en fait, nous avons pratiqué le fameux « Faites ce que je dis mais pas ce que je fais », ce qui est bien une technique de connard. Bon, pour répondre à la question, on a essayé de faire les choses bien : on a mis des boutons de partage (Facebook, Twitter, etc.), mais comme ces boutons posent un grave problème de vie privée (un bouton installé sur un site incorpore du code qui peut tracer l’utilisateur – MÊME si celui n’est pas inscrit sur Facebook et cie), on a trouvé un plug-in qui utilise le principe du « double-clic ». Par défaut, le bouton est inactif (pas de code espion téléchargé, l’utilisateur est tranquille). Un clic, le bouton devient actif (code téléchargé avec l’accord de l’utilisateur donc). Un deuxième clic, le « like / +1 / etc. » est envoyé. Défenseur de la vie privé, likeur invétéré : tout le monde est content !

Pouhiou : Et puis grâce à Framasoft, qui est au courant depuis quelques jours, on a des collaboteurices formidables. Ainsi, une certaine Kinou a dit qu’elle souhaitait nous fouetter former afin que le site devienne accessible, par exemple disponible à l’audio description pour les aveugles. Cela va demander une certaine dose de travail (et de #Facepalm pour elle) mais j’espère qu’on pourra offrir cette « liberté 0 » d’un site qui ne laisse personne sur le carreau.

Question : Si c’est un projet libre, du domaine public, on peut y participer ?

Pouhiou : Oh que oui. On a déjà quelques épisodes d’avance, mais on a surtout très envie d’entendre vos idées… Vous avez déjà eu ce sentiment qu’un objet ou un service était conçu exprès pour vous faire chier ? Ca nous intéresse (c’est notre côté Delarue, mais en moins mort). Bref : vous pouvez partager vos idées par ici http://connard.pro/participation-et-dons/ soyez assuré-e-s qu’on ne piquera que les bonnes /meilleures/.

Gee : De manière générale, toute participation est la bienvenue. Vous pouvez envoyer des idées, des dons (gros don via Paypal ou microdon via Flattr), vous pouvez partager nos bêtises, nous encourager, nous envoyer des putes et de la coke ou simplement nous suivre, ce qui est déjà beaucoup.

Extrait de Bastards, Inc 3

Question : Connard.pro est un spin-off du cycle des Noénautes dessiné par Gee. Vous avez aussi dans les cartons un spin-off de GKND scénarisé par Pouhiou ?

Pouhiou : Monsieur, je ne vous permets pas de fouiller ainsi dans mes cartons ! C’est très personnel, les cartons. J’avoue que, pour l’instant, l’idée ne nous est pas venue… Mais si on devait imaginer quelque chose au débotté, je dirais que les Connards du Corporate Club mériteraient le centre de la scène. Et puis je te collerais du #djendeur dans le lot, juste pour faire plaisir au lobby gaygétarien dont j’ai la carte de membre…

Gee : De toute façon, on est en-va-his de gays (j’en parlais encore hier à Christine…). Bref, on n’y a pas pensé non. Mais si on fait les aventures du Corporate Club, ça risque d’être un peu redondant avec le Guide du connard professionnel, il faudrait plutôt en faire un Cross-Over, façon « La ligue des connards extraordinaires ».

Pouhiou : Par redondant, tu veux dire sporadique…?

Gee : Nan, sporadique, c’est tout ce qui est à la campagne, non ?

Pouhiou : Sinon j’aime bien cette idée de ligue des connards extraordinaires… Ce sera certainement pour le tome 3 😉

Les premières critiques du Guide du connard professionnel sont dithyrambiques :

  • Un modèle économique bâtard pour une idée égotique, pas de doute : on est bien dans le fleuron de la culture Française. — Fox News
  • La plus belle chose qui nous soit arrivée depuis l’arrêté municipal contre les SDF. — Nice Matin
  • À déguster avec quelques bonnes huitres au piment d’Espelette. — CyriI Lignac, MasterChef
  • Vous êtes sûrs que vous voulez pas le label PUR ? Non mais si on vous le met quand même, hein ? — OffreLégaleQuiJustifieNosMillionsDépensés.pointeffère
  • Thyrambique. — La Critique
  • TIQUE ! — La
  • On dirait du Vincent Delerm. — Telerama

Crédit image couverture : version dérivée de Business as usual… (CC By Thomas Leuthard)




La NSA vous souhaite une bonne année 2041

La référence au célèbre roman d’Orwell 1984 a déjà beaucoup servi, on a pu en abuser pour alarmer inutilement et inversement pour rassurer de façon un peu rapide[1], tout comme on a tendance à voir partout des situations kafkaïennes, surréalistes ou ubuesques.

Pourtant lorsque ce sont des lanceurs d’alerte qui aujourd’hui font clairement appel à la dystopie d’Orwell, on est contraint de se poser sérieusement la question de la dérive totalitaire d’une société de surveillance de masse dont semaine après semaine ils dévoilent l’impressionnante étendue.

Voici par exemple un extrait des vœux d’Edward Snowden (à voir sur dailymotion) :

L’écrivain britannique Georges Orwell nous a avertis des dangers de ce type de surveillance. Mais les moyens de surveillance décrits dans son livre : les micros, les caméras, la télé qui nous espionnent, ne sont rien à côté des moyens disponibles aujourd’hui.

Le journaliste Glenn Greenwald, intervenant récemment au 30e Chaos Communication Congress et qui a contribué activement à la diffusion des révélations d’Edward Snowden, nous livre ci-dessous une analyse assez alarmante et optimiste tout à la fois de ce qu’il appelle l’état de la surveillance, qui est aussi en l’occurrence la surveillance de l’état…

Pas de nouvelles révélations ici mais une réflexion sur la conscience de l’enjeu chez les lanceurs d’alerte devenus pour beaucoup des héros de la défense de nos libertés numériques, des considérations décapantes sur la servilité des médias à l’égard de la parole institutionnelle, la nécessité d’adopter un solide chiffrement, et l’urgence de l’action nécessaire également pour tous ceux qui sont en capacité de brider les appétits de nos surveillants.

La conclusion assez glaçante est selon lui que la compulsion à la surveillance qui anime la NSA et les autres services de renseignement vise en réalité la disparition totale de toute vie privée.

Est-ce une vision paranoïaque ? À vous d’en juger. Gardons en tête toutefois que ce sont les mêmes personnes qui nous traitaient de paranoïaques il y a dix ans qui nous disent aujourd’hui : « bah, tout le monde le savait que nous étions espionnés, je ne vois pas ce que ça change », « moi je n’ai rien à cacher, etc. »

Le courage de Snowden, de Poitras, de Greenwald, d’Assange et de quelques autres activistes déterminés, dont on veut croire qu’ils sont de plus en plus nombreux, nous donne l’exemple d’une lutte active pour nos libertés à laquelle chacun à sa manière peut et doit contribuer.

Traduction Framasoft des extraits essentiels de la conférence : sinma, goofy, Bruno, KoS, Asta, Pol, + anonymes

* * * * *

Présentateur : …ces applaudissements étaient pour vous, Glenn ! bienvenue au 30ème Chaos Communication Congress à Hambourg. À vous de jouer.

Glenn Greenwald : Merci, merci beaucoup.

Merci à tous pour cet accueil chaleureux, et merci également aux organisateurs de ce congrès pour m’avoir invité à prendre la parole. Ma réaction, quand j’ai appris qu’on me demandait de faire le discours inaugural de cette conférence, a été la même que celle que vous auriez peut-être eue à ma place, c’est-à-dire : « hein, quoi ? »

La raison en est que mes compétences cryptographiques et de hacker ne sont pas, c’est le moins que l’on puisse dire, reconnues mondialement. Vous le savez, on a déjà raconté plusieurs fois comment la couverture de la plus importante histoire de sécurité nationale de la dernière décennie a failli me filer entre les doigts, parce que je trouvais l’installation de PGP d’une difficulté et d’un ennui insurmontables.

Il existe une autre anecdote, très semblable, qui illustre le même problème, et qui je pense n’a pas encore été racontée, la voici : avant de me rendre à Hong Kong, j’ai passé de nombreuses heures avec Laura Poitras et Edward Snowden, à essayer de me mettre à niveau très vite sur les technologies basiques de sécurité qui m’étaient nécessaires pour rendre compte de cette histoire. Ils ont essayé de me guider dans l’usage de toutes sortes d’applications, pour finalement arriver à la conclusion que la seule que je pouvais maîtriser, du moins à l’époque et à ce moment-là, était TrueCrypt.

Ils m’ont appris les rudiments de TrueCrypt, et quand je suis arrivé à Hong Kong, avant d’aller dormir, j’ai voulu jouer un peu avec. J’ai appris par moi-même quelques fonctionnalités qu’ils ne m’avaient pas indiquées et j’ai vraiment gagné en confiance. Le troisième ou quatrième jour, je suis allé les rencontrer tous les deux, tout gonflé de fierté. Je leur ai montré toutes les choses nouvelles que j’avais appris à faire tout seul avec TrueCrypt et je me voyais déjà le Grand Gourou de la crypto. J’avais atteint un niveau vraiment avancé. Je les ai regardés tous les deux sans déceler la moindre admiration à mon égard. En fait, ce que j’ai vu, c’est qu’ils faisaient de gros efforts pour ne pas se regarder l’un l’autre avec les yeux qui leur sortaient de la tête.

Glenn Greenwald journaliste et activiste

Glenn Greenwald, photo par gage skidmore (CC BY-SA 2.0)


l’un des résultats les plus importants de ces six derniers mois… c’est le nombre croissant de personnes qui mesurent l’importance de la protection de la sécurité de leurs communications.

Je leur ai demandé : « Pourquoi réagissez-vous ainsi ? Ce n’était pas un exploit de réussir ça ? ». Il y a eu un grand blanc. Aucun ne voulait me répondre, puis finalement Snowden a rompu le silence : « TrueCrypt est un truc que peut maîtriser votre petit frère, rien de bien impressionnant. »

Je me souviens avoir été très déconfit, et me suis remis au travail. Bon, c’était il y a six mois. Entre-temps, les technologies de sécurité et de confidentialité sont devenues d’une importance primordiale dans tout ce que j’ai pu entreprendre. J’ai véritablement acquis des masses considérables de connaissances, à la fois sur leur importance et sur la façon dont elles fonctionnent. Je suis d’ailleurs loin d’être le seul. je pense que l’un des résultats les plus importants de ces six derniers mois, mais dont on a très peu débattu, c’est le nombre croissant de personnes qui mesurent l’importance de la protection de la sécurité de leurs communications.

Si vous regardez ma boîte mail depuis le mois de juillet, on y trouvait peut-être seulement 3 à 5 % des messages reçus chiffrés avec PGP. Ce pourcentage est passé à présent nettement au dessus des 50 %, voire plus. Quand nous avons débattu de la façon de monter notre nouvelle entreprise de presse, nous avons à peine passé quelques instants sur la question. Il était tout simplement implicite que nous allions tous faire usage des moyens de chiffrement les plus sophistiqués disponibles pour communiquer entre nous.

Et ce qui est à mon avis encore plus encourageant, c’est que toutes les fois où je suis contacté par des journalistes ou des activistes, ou quelqu’un qui travaille dans ce domaine, soit ils utilisent le chiffrement, soit ils sont gênés et honteux de ne pas savoir le faire, et dans ce cas s’excusent de leur méconnaissance et souhaitent apprendre à s’en servir bientôt.

C’est un changement radical vraiment remarquable, car même au cours de l’année dernière, toutes les fois où j’ai eu à discuter avec des journalistes spécialisés sur le sujet de la sécurité nationale dans le monde qui travaillaient sur quelques-unes des données les plus sensibles pratiquement aucun d’entre eux ne savait ce qu’était PGP ni OTR, ni n’avait connaissance des meilleures technologies qui permettent le renforcement de la confidentialité, et ne parlons même pas de savoir les utiliser. C’est vraiment encourageant de voir ces technologies se propager de façon généralisée.

Le gouvernement des États-Unis et ses alliés ne vont sûrement pas volontairement restreindre leur propre pouvoir de surveillance de manière significative.

Je pense que cela souligne un point extrêmement important, un de ceux qui me rend très optimiste. On me demande souvent si je pense que tout ce que nous avons appris au cours des six derniers mois, les déclarations et les débats qui ont été soulevés vont finalement changer quoi que ce soit et imposer une limite quelconque à l’état de la surveillance par les États-Unis.

Typiquement, quand les gens pensent que la réponse à cette question est oui, la chose qu’ils répètent le plus communément et qui est sans doute la moins significative, c’est qu’il se produira une sorte de débat, et que nos représentants, dans un régime démocratique, seront en mesure d’apporter des réponses à nos interrogations, et qu’ainsi ils vont imposer des limites en réformant la législation.

Rien de tout cela ne va probablement arriver. Le gouvernement des États-Unis et ses alliés ne vont sûrement pas volontairement restreindre leur propre pouvoir de surveillance de manière significative. En fait, la tactique du gouvernement états-unien que nous voyons sans cesse à l’œuvre, et que nous avons toujours constatée, consiste à faire exactement l’inverse : lorsque ces gens sont pris sur la main dans le sac et que cela jette le discrédit sur eux en provoquant scandales et polémiques, ils sont très habiles pour faire semblant de se réformer par eux-mêmes avec des gestes symboliques. Mais dans le même temps, ils ne font qu’apaiser la colère des citoyens et souvent augmenter leurs propre pouvoirs, qui pourtant sont à l’origine du scandale.

On l’a vu au milieu des années 70, quand on s’est sérieusement inquiété aux États-Unis, au moins autant qu’aujourd’hui, des capacités de surveillance et d’abus du gouvernement. La réaction du gouvernement a été de déclarer : « d’accord, nous allons nous engager dans toutes ces réformes, qui vont imposer des garde-fous à ces pouvoirs. Nous allons créer un tribunal spécial que le gouvernement devra saisir pour en avoir la permission avant de cibler les gens à surveiller. »

Cela sonnait bien, mais ils ont créé le tribunal de la façon la plus tordue possible. C’est un tribunal secret, devant lequel seul le gouvernement comparaît, où seuls les juges les plus pro-sécurité nationale sont nommés. Donc, ce tribunal donnait l’apparence d’une supervision quand, en réalité, c’était la chambre d’enregistrement la plus grotesque de tout le monde occidental. Il ne s’opposait quasiment jamais à quoi que ce soit. Ça créait simplement l’illusion qu’il existait un contrôle judiciaire.

Ils ont aussi prétendu qu’ils allaient créer des commissions au Congrès. Des commissions « de surveillance » qui auraient pour principal objectif de superviser les commissions sur le renseignement pour s’assurer qu’elles n’abusaient pas de leurs pouvoirs. Ce qu’ils ont fait en réalité c’est nommer immédiatement à la tête de ces commissions « de surveillance » les plus serviles des loyalistes.

Voilà des décennies que cela dure, et aujourd’hui nous avons deux membres les plus serviles et pro-NSA du Congrès à la tête de ces comités, qui sont là en réalité pour soutenir et justifier tout et n’importe quoi de la part de la NSA plutôt que de s’engager dans un véritable contrôle. Donc, encore une fois, tout est fait pour embellir le processus sans entamer de véritable réforme.

Ce processus est maintenant en train de se reproduire. Vous voyez le Président nommer une poignée de ses plus proches partisans dans ce « comité indépendant de la Maison Blanche » qui fait semblant de publier un rapport très équilibré et critique sur la surveillance étatique, mais en réalité, propose toute une gamme de mesures qui, au mieux, aboutiraient tout simplement à rendre ces programmes un peu plus acceptables aux yeux du public, et dans de nombreux cas, accroîtraient encore les capacités de la surveillance étatique, plutôt que de la brider de manière significative.

Alors pour savoir si nous aurons ou non des réformes significatives, il ne faut pas compter sur le processus classique de la responsabilité démocratique que nous avons tous appris à respecter. Il faut chercher ailleurs. Il est possible que des tribunaux imposeront des restrictions significatives en jugeant les programmes de surveillance contraires à la constitution.

Il est beaucoup plus probable que d’autres pays dans le monde qui sont vraiment indignés par les violations de la sécurité de leur vie privée sauront s’unir et créer des alternatives, soit en termes d’infrastructures, soit en termes juridiques pour empêcher les États-Unis d’exercer leur hégémonie sur Internet ou faire en sorte que le prix en soit beaucoup trop élevé. Je pense, c’est encore plus prometteur, que les grandes sociétés privées, les entreprises de l’Internet et bien d’autres commenceront enfin à payer le prix de leur collaboration avec ce régime d’espionnage.

…savoir si oui ou non Internet sera réellement cet outil de libération et de démocratisation ou s’il deviendra le pire outil de l’oppression humaine de toute l’histoire de l’humanité.

Nous avons déjà vu comment cela se passe quand leurs actions sont exposées au grand jour ; c’est alors qu’ils sont obligés de rendre des comptes pour tout ce qu’ils font, et ils prennent conscience que leurs intérêts économiques sont mis en péril par le système d’espionnage. Ils utilisent leur puissance inégalée pour exiger qu’il soit freiné. Je pense que tous ces éléments pourront vraisemblablement imposer de sérieuses limites à la surveillance d’état.

Mais en fin de compte je pense que les plus grands espoirs résident dans les personnes qui sont dans cette salle de conférence et dans les compétences que vous tous possédez. Les technologies de protection de la vie privée qui ont déjà été développées, telles que le navigateur Tor, PGP, OTR et toute une série d’autres applications, constituent autant de réels progrès pour empêcher le gouvernement des USA et ses alliés de faire intrusion dans le sanctuaire de nos communications privées.

Aucune de ces technologies n’est parfaite. Aucune n’est invulnérable, mais elles représentent toutes un sérieux obstacle aux capacités du gouvernement des États-Unis à s’attaquer toujours davantage à notre vie privée. Et en fin de compte, le combat pour la liberté d’Internet, la question qui va se jouer je pense, principalement, sur le terrain de guerre technologique, est de savoir si oui ou non Internet sera réellement cet outil de libération et de démocratisation ou s’il deviendra le pire outil de l’oppression humaine de toute l’histoire de l’humanité.

La NSA et le gouvernement américain le savent certainement. C’est pourquoi Keith Alexander enfile son petit déguisement, ses jeans de papa, son tee-shirt noir de rebelle et va aux conférences de hackers.

Et c’est pour cela que les entreprises de la Silicon Valley, comme Palantir Technologies, déploient tant d’efforts à se dépeindre comme des rebelles luttant pour les libertés civiles, alors qu’elles passent la plupart de leur temps à travailler main dans la main avec les agences de renseignement et la CIA pour accroître leurs capacités. Elles cherchent en effet à attirer les jeunes cerveaux de leur côté, du côté de la destruction de la vie privée et de la mise d’Internet au service des organisations les plus puissantes du monde.

Quelle sera l’issue de ce conflit, que deviendra Internet ? Nous ne pouvons pas encore répondre de façon définitive à ces questions. Cela dépend beaucoup de ce que nous, en tant qu’êtres humains, pourrons faire. L’une des questions les plus urgentes est de savoir si les personnes comme celles qui sont dans cette pièce — les personnes qui ont les pouvoirs que vous avez maintenant et aurez à l’avenir — succomberont à la tentation et travailleront pour les entités qui tentent de détruire la vie privée dans le monde, ou si vous mettrez vos talents, vos compétences et vos ressources au service de la défense du genre humain contre ces intrusions et continuerez à créer des technologies destinées à protéger notre vie privée. Je suis très optimiste car ce pouvoir est vraiment entre vos mains.

Je veux aborder une autre de mes raisons d’être optimiste : la coalition de ceux qui militent pour la défense de la vie privée est beaucoup plus solide et plus dynamique. Elle est à mon avis beaucoup plus grande et plus forte que beaucoup d’entre nous, même ceux qui en font partie, ne l’estiment ou n’en ont conscience. Plus encore, elle est en croissance rapide. Et je pense que cette croissance est inexorable.

Laura Poitras journaliste et activiste de la fondation pour la presse libre

Laura Poitras, image de Kris Krug via Wikimedia (CC-BY-SA)

Je suis conscient, en ce qui me concerne, que tout ce que j’ai pu faire sur tout ce dossier au cours des six derniers mois, toutes les tribunes qu’on m’a offertes, comme ce discours et les honneurs que j’ai reçus, et les éloges que j’ai reçus, je dois le partager entièrement avec deux personnes qui ont été d’une importance capitale pour tout ce que j’ai fait. L’une d’elles est ma collaboratrice incroyablement courageuse et extrêmement brillante, Laura Poitras.

Vous savez, Laura n’attire pas énormément l’attention, elle aime qu’il en soit ainsi, mais elle mérite vraiment la plus grande reconnaissance, les plus grands honneurs et les récompenses parce que même si ça sonne cliché, c’est vraiment l’occasion de le dire : sans elle, rien de tout cela n’aurait été possible.

Nous avons pris la parole pratiquement tous les jours, au cours des six derniers mois. Nous avons pris presque toutes les décisions, en tout cas toutes celles qui étaient les plus importantes, en partenariat complet et de façon collaborative. Être capable de travailler avec quelqu’un qui a ce niveau élevé de compréhension de la sécurité sur Internet, sur les stratégies de protection de la vie privée, a été complètement indispensable à la réussite de ce que nous avons pu réaliser.

Et puis, la deuxième personne qui a été tout à fait indispensable et mérite les plus grands éloges, et de partager les plus hautes récompenses, c’est mon héros toutes catégories, Edward Snowden.

Il est vraiment difficile de trouver des mots pour dire à quel point son choix a eu de l’impact sur moi, sur Laura, sur les personnes avec qui nous avons travaillé directement ou indirectement, et encore sur des millions et des millions de personnes à travers le monde. Le courage dont il a fait preuve et les actions qu’il a menées selon des principes dictés par sa conscience vont me façonner et m’inspirer pour le reste de ma vie, et vont inspirer et convaincre des millions et des millions de personnes de prendre toutes sortes d’initiatives qu’elles n’auraient pas prises si elles n’avaient pas vu quel bien un seul individu peut faire au monde entier.

Photo par PM Cheung (CC BY 2.0)

Mais je pense que le plus important est de comprendre, et pour moi, c’est le point décisif, qu’aucun d’entre nous, nous trois, n’a fait ce que nous avons fait à partir de rien. Nous avons tous été inspirés par des gens qui ont fait des choses semblables dans le passé. Je suis absolument certain que Edward Snowden a été inspiré de toutes sortes de façons par l’héroïsme et l’abnégation de Chelsea Manning.

Je suis persuadé que, d’une façon ou d’une autre, elle a été inspirée par toute la cohorte des lanceurs d’alertes et par qui possèdent cette même conscience et l’ont précédée, en dénonçant les niveaux extrêmes de corruption, les méfaits et les illégalités commises par les institutions les plus puissantes de ce monde. Ils ont été inspirés à leur tour, je suis sûr, par l’un de mes plus grands héros politiques, Daniel Ellsberg, qui a fait la même chose quarante ans plus tôt.

Mais au-delà de tout cela, je pense qu’il est réellement important de prendre conscience de ceci : tout ce qu’il nous a été permis de faire tout au long de ces six derniers mois, et je pense, tous ces types de fuites significatives et révélations de documents classés secret défense à l’ère du numérique, à la fois dans le passé et le futur, tout cela nous incite à la plus grande des reconnaissances pour l’organisation qui a donné la première l’exemple à suivre, il s’agit de WikiLeaks.

(…)

Edward Snowden a été sauvé, lorsqu’il était à Hong Kong, du risque d’arrestation et d’emprisonnement aux États-unis pour les trente prochaines années, non par le seul fait de WikiLeaks, mais aussi par une femme d’un courage et d’un héroïsme extraordinaires, Sarah Harrison.

Il existe un vaste réseau de personnes à travers le monde, qui croient en cette cause, et ne se contentent pas d’y croire, mais aussi sont de plus en plus nombreux à vouloir lui vouer leur énergie, leurs ressources, leur temps, et à se sacrifier pour elle. Il y a une raison décisive, et cela m’est apparu au cours d’une conversation téléphonique avec Laura, il y a probablement deux mois. (…) Elle a énuméré une liste de gens qui se sont dévoués personnellement à la transparence et au prix qu’ils ont eu à payer. Elle a dit qu’Edward Snowden était coincé en Russie, sinon il devrait faire face à 30 années de prison, Chelsea Manning est en prison, Aaron Swartz s’est suicidé. D’autres comme Jeremy Hammond et Barrett Brown font l’objet de poursuites judiciaires tellement excessives qu’elles en sont grotesques au nom d’actions de transparence pour lesquelles ils se sont engagés. Même des gens comme Jim Risen, qui appartient à une institution comme le New York Times, doivent affronter le risque d’un emprisonnement pour les informations qu’ils ont publiées.

D’innombrables juristes nous ont informés, Laura et moi, que nous ne serions pas en sécurité en voyageant, même pour retourner dans notre propre pays, et elle a dit : « voilà bien un symptôme de la maladie qui affecte notre avenir politique, quand on voit que pour avoir mis en lumière ce que fait le gouvernement et avoir fait le travail que ni les médias ni le Congrès ne font, le prix à payer est une forme extrême de punition. »

(…)

Les États-Unis savent que leur seul espoir pour continuer à maintenir le régime du secret, derrière lequel ils s’abritent pour mener des actions radicales et illégales, consiste à intimider, dissuader et menacer les lanceurs d’alerte potentiels et les militants pour la transparence. Il s’agit de les empêcher de se lever pour faire ce qu’ils font, en leur montrant qu’ils seraient soumis aux plus extrêmes châtiments et que personne ne peut rien y faire.

C’est une tactique efficace. Elle fonctionne pour certains, non pas parce qu’ils sont lâches mais parce qu’ils font un calcul rationnel. (…) Il y a donc des activistes qui en concluent rationnellement que le prix à payer pour leur engagement dans ce combat est pour eux trop élevé. Et c’est pourquoi les gouvernements peuvent continuer. Mais le paradoxe c’est qu’il existe un grand nombre de personnes, elle sont même je crois plus nombreuses, qui réagissent de façon totalement inverse.

les États-Unis et leurs plus proches alliés sèment malgré eux les germes de l’opposition, et nourrissent eux-mêmes la flamme de l’activisme à cause de leur propre comportement abusif.

Quand ils voient que les gouvernements britannique et états-unien révèlent leur véritable visage, en montrant à quel point ils sont déterminés à abuser de leurs pouvoirs, ils ne sont pas effrayés ni dissuadés, leur courage en est même au contraire renforcé. En voici la raison : quand vous voyez que ces gouvernements sont réellement capables d’un tel niveau d’abus de pouvoir, vous prenez conscience que vous ne pouvez plus en toute conscience rester là sans rien faire. Il devient pour vous encore plus impératif de mettre en pleine lumière ce que font les gouvernements, et si vous écoutez tous ces lanceurs d’alerte ou activistes, ils vous diront la même chose.

Il a fallu un long processus pour prendre conscience que les actions qu’ils entreprenaient étaient justifiées, mais en définitive ce sont les actions de ces gouvernements qui les ont convaincus. C’est d’une ironie savoureuse, et je pense que ça peut rendre vraiment optimiste, de savoir que les États-Unis et leurs plus proches alliés sèment malgré eux les germes de l’opposition, et nourrissent eux-mêmes la flamme de l’activisme à cause de leur propre comportement abusif.

Maintenant, à propos de tentatives d’intimidation et de dissuasion, et autres manœuvres, je voudrais simplement passer quelques minutes à parler de l’attitude actuelle du gouvernement des États-Unis envers Edward Snowden. Il est devenu très clair, à ce stade, que le gouvernement des États-Unis, du plus haut niveau jusqu’au plus bas, est totalement déterminé à poursuivre un seul résultat. Ce résultat est qu’Edward Snowden finisse par passer plusieurs décennies, sinon le reste de sa vie, dans une petite cage, probablement coupée, en termes de communication, du reste du monde.

Et la raison pour laquelle ils ont cette intention n’est pas difficile à comprendre. Ce n’est pas parce qu’ils sont furieux, ou parce que la société doit être protégée d’Edward Snowden, ou pour l’empêcher de recommencer. Je crois qu’on peut parier à coup sûr que le niveau de sécurité d’Edward Snowden est révoqué de façon plus ou moins permanente.

La raison pour laquelle ils sont tellement résolus c’est qu’ils ne peuvent pas laisser Edward Snowden mener la moindre vie décente et libre parce qu’ils sont tétanisés à l’idée que cela va inciter d’autres personnes à suivre son exemple, et à ne plus vouloir garder le secret qui les lie et qui ne sert à rien d’autre que dissimuler leur conduite illégale et dommageable à ceux qui en sont les plus victimes.

Et ce que je trouve le plus étonnant à ce sujet n’est pas que le gouvernement des États-Unis soit en train de faire ça, car ils le font. C’est ce qu’ils sont. Ce que je trouve étonnant, c’est qu’il y ait de si nombreux gouvernements à travers le monde, y compris ceux qui sont en mesure de protéger les droits de l’homme, et qui ont été les plus grands bénéficiaires des révélations héroïques de Snowden, qui sont pourtant prêts à rester là à regarder ses droits individuels être foulés aux pieds, à le laisser emprisonner pour avoir commis le crime de dévoiler aux gens du monde entier ce qu’on fait de leur vie privée.

C’était vraiment surprenant d’observer les gouvernements, y compris certains des plus grands en Europe, et leurs dirigeants, exprimer en public une intense indignation parce que la vie privée de leurs citoyens est systématiquement violée, et une véritable indignation quand ils apprennent que leur propre vie privée a également été pris pour cible[2].

Pourtant, dans le même temps, la personne qui s’est sacrifiée pour défendre leurs droits fondamentaux, leur droit à la vie privée, voit maintenant ses propres droits visés et menacés en rétorsion. Et je me rends compte que pour un pays comme l’Allemagne ou la France, ou le Brésil, ou tout autre pays dans le monde, défier les diktats des États-Unis, ça coûte relativement cher. Mais le prix à payer était bien plus élevé pour Edward Snowden quand il a choisi de se manifester et de faire ce qu’il a fait pour la défense de vos droits, et pourtant il l’a fait malgré tout.

Je pense qu’il est réellement important de prendre conscience que les pays ont les obligations légales et internationales, en vertu des traités qu’ils ont signés, qui leur rend difficile de défendre Edward Snowden des poursuites judiciaires, de l’empêcher d’être en cage pour le restant de ses jours, pour avoir fait la lumière sur les atteintes systématiques à la vie privée, et d’autres formes d’abus relatifs au secret. Mais ces pays ont également les obligations morales et éthiques en tant que bénéficiaires de ses actions, de ce qu’il a fait pour eux, et cela consiste à protéger ses droits en retour.

Je veux prendre une petite minute pour parler de l’un de mes thèmes favoris, le journalisme. Quand j’étais à Hong Kong, avec Laura et Edward Snowden, et que j’ai eu pas mal à réfléchir à ce sujet pour l’écriture d’un livre sur les évènements des derniers mois, une des choses dont j’ai pris conscience avec le recul et aussi en discutant avec Laura, était que nous avions passé au moins autant de temps à aborder des questions de journalisme et de presse libre que la question de la surveillance. Car nous savions que ce que nous étions en train de faire déclencherait autant de débats sur le rôle propre du journaliste vis-à-vis de l’état et d’autres puissantes institutions qu’il y en aurait sur l’importance de la liberté et de la vie privée sur Internet et les menaces de la surveillance d’état.

Nous savions, en particulier, que nos plus formidables adversaires n’allaient pas être seulement les agences de renseignements sur lesquelles nous enquêtions, et dont nous tentions de révéler les pratiques, mais aussi leurs plus loyaux et dévoués serviteurs, j’ai nommé : les médias américains et britanniques.

(…)

Une des choses les plus remarquables qui me soit arrivées est l’interview que j’ai livrée, il y a environ trois semaines sur la BBC, c’était pendant ce programme appelé Hard Talk, et personnellement, à un moment donné, j’ai pensé (…) que les officiels de la sécurité nationale mentaient de façon routinière à la population dans le but de protéger leur pouvoir et de faire avancer leur agenda, et que le but et devoir d’un journaliste est d’être le contradicteur de ces gens de pouvoir, que les déclarations que mon intervieweur énonçait — pour dire à quel point ces programmes gouvernementaux sont essentiels pour empêcher les terroristes de nuire — ne devraient pas être crues à moins qu’il ne produise une preuve tangible de leur véracité.

Lorsque j’ai dit ceal il m’a interrompu (désolé, j’imite mal l’accent britannique, alors vous allez devoir l’imaginer) et a dit : « Je dois vous interrompre, vous venez de dire quelque chose d’étonnant ! » Il était comme un prêtre victorien scandalisé en voyant une femme soulever sa jupe au dessus de ses chevilles.

Il a dit : « J’ai peine à croire que vous suggériez que des hauts fonctionnaires, des généraux des États-Unis et du gouvernement britannique, font en réalité de fausses déclarations au public ! Comment vous est-il possible de dire cela ? »

Et ceci n’est pas aberrant. C’est vraiment le point de vue des grands noms des médias états-uniens et britanniques, particulièrement lorsque des gens avec des tas de médailles épinglées sur la poitrine, qu’on appelle des généraux, mais aussi des officiels hauts placés du gouvernement, font des déclarations, et que leurs affirmations sont à priori traitées comme vraies sans la moindre preuve, et qu’il est presque indécent de les remettre en question, ou de s’interroger sur leur véracité.

Évidemment, nous avons connu la guerre en Irak, sur laquelle deux gouvernements très moraux ont particulièrement et délibérément menti à plusieurs reprises à leur peuple, pendant deux années entières, pour justifier une guerre d’agression qui a détruit un pays de 26 millions de personnes.

Mais nous l’avons vu aussi en permanence au cours des six derniers mois. Le tout premier document qu’Edward Snowden m’a montré contenait une information dont il m’a expliqué qu’elle révélerait le mensonge incontestable d’un responsable du renseignement national senior du président Obama, le directeur du renseignement national, James Clapper. C’est le document qui a révélé que l’administration Obama a réussi à convaincre un tribunal secret d’obliger les compagnies de téléphone à communiquer à la NSA chaque enregistrement de conversation téléphonique, de chaque appel téléphonique unique, local et international, de chaque Américain.

Et pourtant ce fonctionnaire de la sécurité nationale, James Clapper, devant le Sénat, quelques mois plus tôt, auquel on a demandé : « Est-ce que la NSA recueille des données complètes sur les communications des Américains ? » a répondu : «Non, monsieur » mais nous savons tous maintenant que c’était un parfait mensonge.

La NSA et les hauts responsables du gouvernement américain ont raconté bien d’autres mensonges. Et par « mensonge » je veux dire qu’ils ont menti sciemment, en racontant des choses qu’ils savaient pourtant être fausses pour convaincre les gens de ce qu’ils voulaient leur faire croire. Keith Alexander, le chef de la NSA, a déclaré à maintes reprises qu’ils étaient incapables de rendre compte du nombre exact d’appels et de courriels interceptés sur le système de télécommunications américain, alors même que le programme que nous avons fini par révéler, Boundless Informant, dénombre avec une précision mathématique exactement les données qu’il a dit être incapable de fournir.

Autre exemple, la NSA et le GCHQ ont déclaré à plusieurs reprises que le but de ces programmes est de protéger les gens contre le terrorisme, et de protéger la sécurité nationale, et qu’ils ne seraient jamais, contrairement à ce que font ces méchants Chinois, utilisés pour de l’espionnage à des fins économiques.

Et pourtant, au fil des rapports qui nous sont révélés, depuis l’espionnage du géant pétrolier brésilien Petrobas en passant par l’espionnage de l’organisation des états américains et des sommets économiques où des accords économiques d’envergure ont été négociés, par l’espionnage des sociétés d’énergie à travers le monde ou en Europe, en Asie et en Amérique latine, le gouvernement américain continue de nier toutes ces allégations et les considère comme des mensonges.

Et puis nous avons le président Obama qui a fait à plusieurs reprises des déclarations telles que « Nous ne pouvons pas et n’effectuons pas de surveillance ou d’espionnage sur les communications des Américains sans l’existence d’un mandat » et ceci alors même que la loi de 2008 adoptée par le Congrès dont il faisait partie permet au gouvernement des États-Unis d’intercepter les conversations et les communications des Américains sans mandat.

Et ce que vous voyez ici, c’est un mensonge complet. Pourtant, dans le même temps, les mêmes médias qui le constatent poussent les hauts cris si vous suggérez que leurs déclarations ne doivent pas être prises pour argent comptant, sans preuve, parce que leur rôle n’est pas d’être des contradicteurs. Leur rôle est d’être les porte-paroles fidèles de ces puissantes institutions qui prétendent exercer un contrôle.

Vous pouvez très bien allumer la télévision, à tout moment, ou visiter un site web, et voir de très courageux journalistes qualifier Edward Snowden de criminel et demander qu’il soit extradé aux États-Unis, poursuivi et emprisonné. Ils sont très très courageux quand il s’agit de s’attaquer à des personnes qui sont méprisées à Washington, qui n’ont aucun pouvoir et sont marginalisées. Ils font preuve de beaucoup de courage pour les condamner, se dresser contre eux et exiger que les lois s’appliquent à eux avec rigueur.« Il a transgressé les lois, il doit en payer les conséquences ».

Et pourtant, le responsable de la sécurité nationale au plus haut niveau du gouvernement états-unien est allé au Sénat et leur a menti les yeux dans les yeux, chacun le sait maintenant, ce qui constitue au moins un crime aussi grave que n’importe quel délit dont Edward Snowden est accusé.

Vous serez bien en peine de trouver ne serait-ce qu’un seul de ces intrépides et résolus journalistes, pour oser imaginer et encore moins exprimer l’idée que le directeur du renseignement national James Clapper devrait être soumis à la rigueur de la loi, poursuivi et emprisonné pour les crimes qu’il a commis, parce que le rôle des médias américains et de leurs homologues britanniques est d’être la voix de ceux qui ont le plus de pouvoir, de protéger leurs intérêts et de les servir.

Tout ce que nous avons fait au cours des six derniers mois, et tout ce que nous avons décidé le mois dernier pour fonder une nouvelle organisation médiatique, consiste à essayer de renverser ce processus et à ranimer la démarche journalistique pour ce qu’elle était censé être, c’est-à-dire une véritable force de contradiction, de contrôle de ceux qui ont le plus grand pouvoir.

le but de la NSA, et de ses complices anglo-saxons, le Canada, la Nouvelle Zélande, l’Australie et plus spécialement le Royaume-Uni, c’est d’éliminer la vie privée de la surface du globe.

Je veux simplement terminer par un dernier point, il s’agit de la nature de cet état de surveillance que nous avons dévoilé ces six derniers mois. Dès que je donne une interview, les gens me posent des questions comme : quelle est l’histoire la plus importante que j’ai eu à révéler, ou que nous apprend la dernière histoire que je viens de publier. Et ce que j’ai commencé à répondre pour de bon, c’est qu’il n’y a véritablement qu’un seul point primordial que toutes ces histoires ont révélé.

Et voici ce qu’il en est, je l’affirme sans la moindre hyperbole ni dramatiser, ce n’est ni métaphorique ni caricatural, c’est littéralement la vérité : le but de la NSA, et de ses complices anglo-saxons, le Canada, la Nouvelle Zélande, l’Australie et plus spécialement le Royaume-Uni, c’est d’éliminer la vie privée de la surface du globe. Pour s’assurer qu’il ne subsiste aucune communication numérique humaine qui échappe à leur réseau de surveillance.

Ils veulent s’assurer que toute forme humaine de communication, que cela soit par téléphone ou Internet ou toute activité en ligne, puisse être collectée, contrôlée, enregistrée, et analysée par cette agence, et par leurs alliés. Décrire cela revient à décrire une omniprésence de l’état de surveillance. Il n’est pas nécessaire d’user d’hyperboles pour évoquer ce point, et vous n’avez pas besoin de me croire quant je dis que c’est leur but. Document après document, les archives livrées par Edward Snowden affirment que tel est bien leur objectif. Ils sont obsédés par la recherche de la plus petite faille sur cette terre par laquelle pourrait passer une communication échappant à leur interception.

(…) la NSA et la GCHQ enragent à l’idée que vous pouvez monter dans un avion et faire l’usage de certains téléphones portables ou services internet tout en étant à l’abri de leur regards indiscrets pour quelques heures d’affilée. Ils s’obstinent à chercher des moyens de s’introduire dans les systèmes embarqués dédiés aux services mobiles et internet. La simple idée que les êtres humains puissent communiquer, même pour un court instant, sans qu’il puisse y avoir de collecte, de stockage, d’analyses et de surveillance sur ce que nous disons, leur est tout simplement intolérable. Les institutions les ont mandatés pour ça.

Quand vous réfléchissez sur le monde dans lequel on a le droit d’éliminer la vie privée, vous parlez en réalité d’éliminer tout ce qui donne sa valeur à la liberté individuelle.

Et quand on me pose des questions, quand je donne des interviews dans différents pays, eh bien c’est du genre : « Pourquoi voudraient-ils espionner cet officiel ? » ou « Pourquoi voudraient-ils espionner la Suède ? » ou « Pourquoi voudraient-ils cibler cette entreprise-là ? ». Le postulat de cette question est vraiment erroné. Le postulat de cette question est que la NSA et le GCHQ ont besoin d’une raison spécifique pour cibler quelqu’un pour le surveiller. Or ce n’est pas comme cela qu’ils pensent. Ils ciblent chaque forme de communication sur laquelle ils peuvent mettre la main. Et si vous pensez à l’utilité de la vie privée pour nous, en tant qu’êtres humains, sans même aborder son utilité au plan politique, c’est vraiment ce qui nous permet d’explorer les limites et de nous engager dans la créativité, et utiliser les mécanismes de dissidence sans crainte. Quand vous réfléchissez sur le monde dans lequel on a le droit d’éliminer la vie privée, vous parlez en réalité d’éliminer tout ce qui donne sa valeur à la liberté individuelle.

L’état de surveillance, est nécessairement, par son existence même, un générateur de conformisme, car lorsque des êtres humains savent qu’ils sont toujours susceptibles d’être observés, même s’ils ne sont pas systématiquement surveillés, les choix qu’ils font sont de loin beaucoup plus contraints, beaucoup plus limités, se coulent plus étroitement dans le moule de l’orthodoxie qu’ils ne le feraient dans leur véritable vie privée.

Voilà précisément pourquoi la NSA et la GCHQ , et les tyrannies les plus puissantes de ce monde, actuellement et tout au long de l’histoire, ont toujours eu comme premier objectif en haut de leur agenda, l’éradication de la vie privée : cela leur garantit que les individus ne pourront plus résister longtemps aux diktats qu’ils leur imposent.

Eh bien, encore une fois, merci beaucoup.

* * * * *

À voir aussi :

Notes

[1] Un moment de recyclage très troublant rétrospectivement est le clip promotionnel d’Apple en 1984 (une minute à regarder sur YouTube) qui s’achevait par « vous allez voir pourquoi 1984 ne ressemblera pas à “1984” »

[2] [Note de l’éditeur] On ne peut s’empêcher d’opérer un rapprochement avec un élément d’actualité récente : le président Hollande réclamant (à juste titre) le respect de sa vie privée, tandis qu’il y a quelques semaines à peine le parlement votait pour une loi de programmation militaire dont un des articles faisait bien peu de cas de la vie privée des citoyens ordinaires




Quand le Libre souhaite participer à endiguer l’apocalypse des abeilles

Si les abeilles disparaissaient de la surface du globe, l’homme n’aurait plus que quatre années à vivre, estiment certains apiculteurs.

Or on assiste depuis une décennie à un phénomène inquiétant en Europe : le syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles.

Et si le Libre permettait d’améliorer la situation en rendant plus accessible la création de ruches ?

Tel est, en gros résumé, l’objectif principal du projet Open Source Beehives qui propose, entre autres choses, des plans de ruches à monter soi-même sous licence libre (CC By-SA).

Open Source Beehives Project

Open Source Beehives Project

Un réseau intelligent de ruches open source peut-il stopper l’apocalypse chez les abeilles ?

Can A Smart Beehive Network Of Open-Source Hives Help Stop The Bee Apocalypse?

Ben Schiller – 18 novembre 2013 – FastCoExist.com
(Traduction : goofy, ardeur, Llu, KoS, Asta, Penguin, Llu + anonymes)

Le projet Open Source Beehives (NdT : Ruches Open Source) vise à ouvrir la voie à l’apiculture à la maison, avec des plans de ruche simples et bon marché. Les abeilles mourant par millions, il faut propager l’information.

Des millions d’abeilles sont mortes — et c’est un vrai problème car nous en avons vraiment besoin. Une centaine de cultures agricoles (d’une valeur estimée à 30 milliards de dollars) dépendent des abeilles pour la pollinisation, sans compter qu’en bénéficient également toutes sortes d’animaux et de plantes. Nous ne pouvons pas vivre sans abeilles.

Les causes de ce syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles (appelé Colony Collapse Disorder en anglais, ou CCD) n’ont pas encore été clairement établies, bien qu’il existe deux suspects principaux, selon une étude récente de l’USDA (NdT : United States Department of Agriculture, le Département de l’Agriculture des États-Unis). Un coupable potentiel est un acarien parasite appelé Varroa destructor, qui suce un fluide du système circulatoire des abeilles et qui porte un virus. L’autre suspect est l’augmentation de l’utilisation d’une classe de pesticide appelée néonicotinoïde. Depuis 2006, époque où les néonicotinoïdes ont commencé à être utilisés largement, les apiculteurs ont signalé qu’ils avaient perdu de 30 % à 90 % de leurs ruches.

Quelle que soit la cause, les agriculteurs vont devoir reconstituer la population d’abeilles, ce qui implique plus de ruches et davantage d’apiculteurs. Le projet Open Source Beehives espère y parvenir en diffusant des plans de ruches simples et bon marché pour qu’il soit facile à n’importe qui de fabriquer la sienne, et encourager la collaboration entre les concepteurs, les techniciens, les chercheurs et les amoureux des abeilles. Pour l’instant, il existe deux modèles : le Colorado Top Bar (dépôt sur GitHub) et le Warré (dépôt sur GitHub). Les équipes à l’origine de ces plans travaillent constamment sur des améliorations.

« Ce plan, facilement transportable, peut être réalisé à partir d’une simple planche de contre-plaqué et s’assemble en quelques minutes sans vis ni colle, comme une Wikihouse pour abeilles » déclare Tristan Copley Smith, de Open Tech Forever, un groupe qui diffuse la technologie open source. Open Tech Forever a imaginé le concept de ruche open source à peu près au même moment qu’un autre groupe, le Fab Lab de Barcelone, l’un et l’autre espèrent désormais impliquer d’autres personnes.

Outre la propagation de ruches bon marché, leur but est d’améliorer la surveillance des abeillles. Ils appellent tous les deux à la conception de capteurs bon marché, pour mesurer l’humidité, la température et d’autres paramètres. Cela aidera les apiculteurs à suivre la santé des colonies et les chercheurs à en apprendre davantage sur ce qui se passe réellement à l’intérieur de la ruche. La version Warré est déjà installée à différents endroits, les capteurs ont été testés à Barcelone, Paris et Bruxelles. Vous pouvez en découvrir davantage sur cette technologie ici :


« Notre objectif est de créer un réseau maillé de colonies intelligentes, qui crée des données ouvertes, partagées sur la plateforme Smart Citizen pour étudier le syndrome d’effondrement et ses causes », explique Colpey Smith. « Nous voulons encourager et faciliter l’apiculture à la maison, tout en éduquant les apiculteurs aux bonnes pratiques et à la création de systèmes d’alerte automatisés ».

Dans cette lettre ouverte du projet Open Source Beehives, vous trouverez plus d’informations sur leurs plans et comment vous investir. « Nous sommes à la recherche de collaborateurs intéressés pour tester nos ruches et nos capteurs avec des colonies actives, si possible dans l’hémisphère sud où c’est actuellement le printemps » dit Copley Smith. « Nous aimerions faire un maximum de tests avant de lancer une campagne Kickstarter en janvier. »

Open Source Beehives Project




Lecture numérique pour tous ? — Oui, mais en Norvège

Il y a vingt ans, Daniel Ichbiah écrivait :

La connaissance planétaire est à la portée de votre micro-ordinateur. Des bibliothèques bourrées à craquer de littérature, images et sons. Des plus beaux tableaux du musée du Louvre jusqu’à la plastique de Cindy Crawford en passant par des mélopées new age inédites, des extraits de Thelonious Monk ou l’intégrale des Fables d’Ésope. Un geyser d’informations indescriptible. Avec la possibilité de communiquer avec des milliers de passionnés du même sujet, d’échanger idées, documents, clips vidéo… Il ne s’agit pas d’un rêve éveillé. Cela ne se passe pas en 2020, ni même en 2010 ! Vous pouvez l’avoir chez vous en 1994. Il s’agit d’Internet, le réseau qui regroupe déjà trente millions de branchés du monde entier.

Aujourd’hui… le même enthousiaste d’alors publie un pamphlet pour dénoncer la confiscation de nos biens culturels par les nouvelles superpuissances.

Aujourd’hui… ou plutôt non, c’est déjà hier que pour une poignée de dollars Google s’est approprié la culture mondiale. C’est hier que nous avons vu le mouvement inéluctable par lequel les éditeurs finissent par passer des accords de numérisation des imprimés avec Google. Et c’est bien cette année qu’a éclaté le scandale de la numérisation concédée par la BNF (oui, la Bibliothèque Nationale de France !) à des opérateurs privés qui mettent ainsi la main sur le domaine public.

Dans ce contexte, la décision de la Bibliothèque Nationale norvégienne semble d’une audace inouïe, alors qu’on devrait la considérer comme allant de soi : donner l’accès numérique à leur culture à tous les citoyens devrait être un principe partagé. Même en France.

Lire une page à la plage… (Photo mikemol– CC BY 2.0)

La Norvège s’apprête à numériser tous les livres en norvégien, et autorisera les adresses IP norvégiennes à les lire tous, quel que soit le copyright

Article original du magazine Techdirt

Traduction Framalang : audionuma, sinma, goofy, KoS, Penguin, peupleLà, Sky, lamessen

Voici une nouvelle plutôt étonnante qui nous vient de Norvège :

La Bibliothèque Nationale de Norvège prévoit la numérisation de tous les livres d’ici le milieu des années 2020. Oui, tous. Tous les livres. Du moins les livres en norvégien. Des centaines de milliers de livres. Chacun des livres du fonds de la Bibliothèque Nationale.

Bon, dans n’importe quel pays normal — appelons « normal » un pays où le copyright a atteint des sommets de démence monopolistique —, si lesdits livres étaient encore sous copyright, et à supposer que leurs éditeurs en aient au préalable autorisé une version numérique, on ne pourrait probablement y avoir accès que dans un réduit spécialement conçu à cet usage au troisième sous-sol de la Bibliothèque Nationale, et les lire sur un (petit) écran, sous le regard de gardiens placés de chaque côté, chargés de vérifier qu’aucune copie illégale n’est effectuée.

Voici tout au contraire ce qui va se passer avec la collection numérisée de la Bibliothèque Nationale norvégienne :

Si, selon l’adresse IP de votre machine, vous résidez en Norvège, vous aurez la possibilité d’accéder à tous les ouvrages du XXe siècle, y compris ceux qui sont encore sous copyright. Les œuvres hors copyright, quelle que soit la période, seront accessibles en téléchargement.

Comme le souligne avec humour Alexis C. Madrigal dans son article du magazine The Atlantic, il peut y avoir des conséquences plutôt intéressantes à ces approches de la numérisation si différentes entre la Norvège et les USA :

Imaginez les archéologues numériques du futur tombant sur les vestiges d’une civilisation datant du début du XXIe siècle, dans un antique data center au fin fond de la toundra en plein réchauffement climatique. Ils fouillent tout cela, trouvent quelques débris de Buzzfeed et de The Atlantic, peut-être un fragment de l’Encyclopaedia Britannica, et puis soudain, brillant comme une pépite au milieu des résidus numériques : une collection complète de littérature norvégienne.

Tout à coup, les Norvégiens deviennent pour les humains du XXVIIe siècle ce que les Grecs de l’Antiquité ont été pour notre Renaissance. Tous les couples des colonies spatiales se mettent à donner à leurs enfants des prénoms comme Per ou Henrik, Amalie ou Sigrid. La capitale de notre nouvelle planète d’accueil sera baptisée Oslo.

Voilà ce qui arrive aux pays qui imposent des lois abusives en matière de copyright. Non seulement elles empêchent les artistes d’aujourd’hui de créer leurs œuvres en s’appuyant sur celles de leurs prédécesseurs — une pratique qui était habituelle pendant des siècles avant que n’apparaissent récemment les monopoles intellectuels — mais ces lois vont jusqu’à mettre en péril la conservation et la transmission de cultures entières, tout cela en raison du refus des éditeurs d’adapter la règlementation du copyright à notre temps, c’est-à-dire d’autoriser la numérisation à grande échelle et la diffusion à la façon dont la Norvège l’envisage.

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En savoir plus : La page de présentation de la politique de numérisation sur le site de la National Library of Norway