Préparer un logiciel à sa diffusion (Libres conseils 29/42)

Chaque jeudi à 21h, rendez-vous sur le framapad de traduction, le travail collaboratif sera ensuite publié ici même.

Traduction Framalang : merlin8282, Sphinx, Julius22, goofy, lerouge, lamessen, Asta, peupleLà, okram

Packager : la voie royale du logiciel libre

Thorn May

Thom May est développeur Debian et membre émérite de la fondation Apache. Il a été parmi les premiers à être engagés chez Canonical, l’entreprise mère d’Ubuntu. Il vit aujourd’hui à Londres et dirige l’unité de développement chez MacMillan Digital Science.

Introduction

Ça fait plus de dix ans que j’ai débuté dans le monde du logiciel libre. J’avais utilisé Debian pendant quelques années à l’université et décidé que je voulais donner quelque chose en retour. J’ai donc commencé un long voyage à travers les étapes permettant de devenir un « nouveau responsable Debian » sans avoir jamais vraiment contribué au logiciel libre auparavant et inquiet qu’un manque d’expérience en C pourrait se révéler être un gros problème.

Il s’avéra que cette inquiétude était largement infondée. En commençant à travailler avec des paquets que j’utilisais régulièrement, j’ai pu contribuer efficacement. En même temps que mon expérience avec la myriade d’outils et de systèmes que Debian fournit à ses mainteneurs s’accroissait, je devenais plus efficace pour gérer mon temps et j’étais capable de travailler sur un ensemble de paquets plus étendu.

M’occuper de davantage de paquets m’amena à travailler avec un ensemble plus important de systèmes de compilation, de langages de programmation et de boîtes à outils. Cela m’aida également à m’intégrer à la communauté Debian. Aussi rugueuse et dogmatique soit-elle, le fait que la communauté Debian repose sur des mainteneurs doués et expérimentés est l’une des raisons principales pour lesquelles Debian a maintenu son excellence technique sur une si longue période.

À peu près à ce moment, le projet Apache httpd approchait enfin des premières versions bêta de httpd 2.0 qui était restée des années en chantier et était sur le point de subir une mise à jour majeure. L’équipe Apache de Debian avait été plutôt inactive depuis quelques temps — les paquets de la version 1.3 étaient stables et changeaient peu — et n’avait pas prévu d’empaqueter la version 2.0. J’avais un intérêt majeur à garantir que les paquets httpd étaient bien maintenus. Je travaillais comme administrateur système en charge de nombreux serveurs web Apache, il tombait donc sous le sens que je devais relever le défi de la production de paquets pour la nouvelle version.

Avec un ami, nous avons commencé le travail sur les paquets et nous avons rapidement découvert que, alors que le code approchait le niveau de qualité d’une bêta toute fraîche, l’outillage autour de la compilation et de la personnalisation de httpd était hélas manquants, ce qui est assez représentatif de bien des projets logiciels complexes.

Au cours de la majeure partie de l’année — alors que les développeurs en amont stabilisaient leur code et qu’un nombre croissant d’utilisateurs précoces commençaient à tester et à déployer la nouvelle version — nous avons travaillé dur pour garantir que le système de compilation soit suffisamment flexible et robuste pour satisfaire aux rigoureux prérequis de la politique de Debian. Nous devions non seulement garantir que nos paquets étaient techniquement corrects, mais également nous assurer que notre relation avec les développeurs en amont nous permettait de leur faire remonter des correctifs dès que possible, de les avertir dès que des problèmes de sécurité faisaient surface et de leur transmettre les tests préliminaires des versions candidates.

Mes interactions avec Apache pendant l’empaquetage et la maintenance de httpd 2.0 m’ont amené à m’engager en amont du projet, ce qui signifiait que je pouvais directement contribuer au code. C’est, en général, la dernière étape avant de passer de l’empaquetage d’un logiciel à son développement actif à destination d’un public plus large que celui de votre distribution. À titre personnel, cette reconnaissance m’a donné la confiance pour contribuer à bien plus de projets libres puisque je savais que mon code était de qualité suffisante pour être bien accueilli.

L’évolution, du packager au développeur

Comment est-ce arrivé ? La création de paquets, dans sa forme la plus simple, permet d’assurer qu’un projet logiciel donné se conforme à la politique de la distribution ; dans mon cas, Debian. De manière générale, cela signifie configurer le logiciel au moment de la compilation afin qu’il soit installé dans les répertoires idoines spécifiés par le Filesystem Hierarchy Standard, ou FHS (NdT : Norme de la hiérarchie des systèmes de fichiers), que les dépendances aux autres paquets soient correctement spécifiées et que les logiciels fonctionnent normalement sur la distribution.

La création de paquets complexes peut nécessiter la division d’un projet en amont en de multiples paquets. Par exemple, les bibliothèques et les fichiers d’en-tête permettant à l’utilisateur de compiler le logiciel avec leur bibliothèque sont fournis dans des paquets distincts, et des fichiers dépendant de la plate-forme peuvent être fournis séparément de ceux qui en sont indépendants. S’assurer que le logiciel en amont se déploie correctement dans ces situations nécessitera souvent des changements dans le code. Ces changements sont la première étape vers un travail actif sur un projet, plutôt que le travail parfois passif de création de paquet.

Une fois que votre paquet est disponible dans la distribution, il est exposé à des millions d’utilisateurs potentiels. Ces utilisateurs vont sans aucun doute exécuter votre logiciel selon des pratiques que ni vous, en tant que packager, ni vos développeurs en amont n’aviez prévues. Sans surprise, avoir de nombreux utilisateurs implique l’arrivée de nombreux rapports de bogue. Debian, comme la plupart des distributions, encourage ses utilisateurs à lui soumettre directement les rapports de bogue plutôt qu’à chacun des projets individuels en amont. Ceci permet aux mainteneurs de trier les rapports de bogue et d’assurer que les modifications effectuées lors du processus de création de paquet ne sont pas la cause du problème rapporté. Souvent, il peut y avoir un grand nombre d’interactions entre le rapporteur du problème et le mainteneur du paquet avant que les développeurs en amont ne soient impliqués.

Au fur et à mesure que le mainteneur du paquet accroît sa connaissance du projet, il sera en mesure de résoudre directement la plupart des problèmes. Le mainteneur publiera souvent des correctifs de bogue directement dans Debian tout en les faisant remonter en amont, permettant ainsi à la fois une résolution rapide des problèmes et de nombreux tests de correctifs. Une fois qu’un correctif est validé, le mainteneur travaillera alors avec le projet amont pour s’assurer que les changements requis y ont bien lieu, de manière à ce qu’ils soient disponibles aux autres utilisateurs du logiciel.

Fournir des correctifs de bogue réussis pour des distributions telles que Debian relève souvent d’une forme complexe d’art. Debian fonctionne sur de nombreuses plates-formes, allant des gros serveurs IBM aux smartphones, et la gamme ainsi que la largeur de ces plates-formes révèlent rapidement les approximations dans le code. L’empaqueteur a, la plupart du temps, un accès plus aisé à une gamme de plates-formes plus étendue que les développeurs en amont et constitue, de ce fait, le premier point d’appel quand un problème épineux de portage apparaît. On apprend rapidement à reconnaître les symptômes d’une approximation de la taille d’un pointeur, les problèmes avec les endianness et bien d’autres problèmes ésotériques ; cette expérience permet de devenir un programmeur à la fois plus polyvalent et plus prudent.

Lorsqu’un paquet reçoit des corrections de bogues et des améliorations, il est essentiel que ces changements remontent en amont. Trop souvent, la différence entre un paquet et le logiciel définitif en amont peut s’accroître énormément, avec pour conséquence que les deux bases de code deviennent presque entièrement distinctes. Non seulement, cela alourdit la tâche de la maintenance des deux côtés, mais cela peut aussi créer une immense frustration et faire perdre beaucoup de temps en amont dans le cas où un utilisateur de votre paquet rapporte un bogue lié à l’un des changements dans la version empaquetée en amont. Il est en conséquence vital que s’établissent une relation de travail étroite avec la branche amont et une compréhension de la meilleure façon de collaborer entre les deux parties.

La collaboration entre les développeurs et le packager peut prendre bien des formes. Que ce soit trouver la bonne voie pour communiquer les rapports de bogue, s’assurer de l’utilisation du bon style de codage, du même usage du système de contrôle de version ou des interactions qui provoquent le moins de frictions possible. Tout ceci amène une bien meilleure relation avec l’amont et accroît grandement la probabilité que ceux qui y travaillent prendront le temps de vous aider quand vous en aurez besoin.

Une fois que la relation de travail entre l’amont et vous est établie, il devient facile de contribuer plus directement en amont. Ceci peut également se faire de bien des façons différentes. Les premières étapes, simples, peuvent impliquer la synchronisation de n’importe quel rapport de bogue en amont avec ceux de votre distribution, afin d’être sûr que ce double effort impacte la cause primaire et résolve des bogues. Une implication plus directe consiste à développer des fonctionnalités et à changer plus largement que ce qui serait acceptable dans le cadre d’une version empaquetée.

Conclusion

Je pense que les deux choses essentielles que j’aurais aimé connaître lorsque j’ai commencé sont le sens de la communauté que le logiciel libre fait naître et la merveilleuse voie que le packaging de logiciel libre ouvre vers le plus vaste monde du logiciel libre

La communauté est essentielle au succès du logiciel libre. Elle se présente sous différentes formes, de la multitude d’utilisateurs souhaitant investir du temps dans l’amélioration de votre logiciel, jusqu’aux pairs d’une distribution ou d’un projet logiciel, qui investissent leur temps et leur énergie à affûter vos compétences et à s’assurer que vos contributions sont aussi bonnes que possible.

La voie qui part du packaging pour aller vers le développement est l’une des plus empruntées. Elle présente une courbe d’apprentissage moins raide qu’aborder directement le développement et permet d’acquérir des compétences à un rythme moins soutenu qu’en suivant d’autres chemins.




Et si l’ignorance était enrichissante ? (Libres conseils 27/42)

Chaque jeudi à 21h, rendez-vous sur le framapad de traduction, le travail collaboratif sera ensuite publié ici même.

Traduction Framablog : Sphinx, purplepsycho, Cyrille L.lamessen

Ce que je suis contente de ne pas avoir su

Alexandra Leisse

Alexendra Leisse a quitté une scène pour en rejoindre une autre. Elle a transformé son autre passion (les logiciels et le Web) en un métier. Après une période de transition de douze mois en freelance dans le logiciel et l’opéra — et noyée par de nombreuses heures d’activités dédiées à KDE, elle a rejoint Nokia et le développement de la plateforme Qt en tant que gestionnaire de la communauté Web. C’est la femme derrière le réseau de développement Qt et les activités de sa communauté sur la toile. Bien qu’elle soit diplômée en art lyrique, elle refuse la plupart du temps de chanter en public.

Introduction

Quand Lydia m’a demandé de rejoindre son projet de livre sous-titré « les choses que j’aurais voulu savoir », mon esprit est resté vide. Les choses que j’aurais voulu savoir mais que je ne savais pas ? Rien ne me venait à l’esprit.

Je ne dis pas que je n’aie pas eu besoin de savoir quoi que ce soit, au contraire. J’ai eu beaucoup à apprendre et j’ai fait un nombre incalculable d’erreurs. Mais les situations ou les erreurs que j’aurais voulu éviter ? Je n’arrive pas à y penser.

Nous avons tous cette fâcheuse tendance à regarder les choses que nous pourrions mieux faire, les choses que nous ne savons pas, et nous les voyons comme des faiblesses. Mais que dire des faiblesses qui sont des atouts ?

Voici ma propre histoire sur l’ignorance, la naïveté, les mauvaises impressions et comme je suis heureuse de ne pas en avoir eu la moindre idée.

Les noms

Je n’avais aucune idée de qui était ce gars que j’avais rencontré lors de mon premier jour de travail. Il est entré dans la pièce, s’est présenté et a commencé à poser des questions me donnant l’impression que tout ce que je penserais serait insensé. Il était apparemment bien renseigné sur ce que je faisais sur KDE et les personnes que je côtoyais. Cependant, nos points de vue sur le sujet semblaient différents. À un moment, ses provocations ont fini par me fatiguer et j’ai perdu patience. Je lui ai alors dit qu’avec les personnes, ce n’était pas toujours aussi facile que les ingénieurs l’imaginent.

Juste après son départ après une heure de discussion, j’ai cherché son nom sur Google : Matthias Ettrich. Ce que j’ai lu m’a expliqué pourquoi il avait posé ces questions. Si j’avais su avant qu’il était un des fondateurs du projet KDE, j’aurais débattu avec lui d’une manière bien différente, voire pas du tout.

Ces dernières années, j’ai dû chercher quelques noms et à chaque fois, j’ai été heureuse de le faire après le premier contact.

C’est probablement mon idée la plus importante. Lorsque j’ai rencontré toutes ces personnalités du Libre et de l’open source pour la première fois, je n’avais jamais entendu leurs noms auparavant. Je ne savais rien de leurs histoires, mérites ou échecs. J’ai approché tout le monde de la même façon : le contact visuel. En étant ignorante (ou naïve selon certains), je ne me sentais pas inférieure par rapport aux personnes que je rencontrais lorsque j’ai commencé mon aventure au sein du Libre et de l’open source. Je savais que j’avais beaucoup à apprendre mais je n’ai jamais eu l’impression d’avoir un rang inférieur aux autres en tant qu’individu.

« Projet de grande envergure »

Je n’avais pas suivi religieusement dot.kde.org ni PlanetKDE et encore moins ces innombrables publications liées au Libre et à l’open source, avant de commencer à m’intéresser à ce qui se passait sur les listes de diffusion KDE. Je voyais ces canaux avant tout comme moyen de communiquer avec un public choisi, principalement des utilisateurs et des contributeurs du projet en tant que tel.

Pendant un certain temps, je n’avais pas conscience que les articles que je publiais sur The Dot pourraient être repris par des journalistes. Je m’appliquais à les écrire parce que je voulais faire du bon boulot et non pas parce que j’avais peur de passer pour folle auprès du reste du monde. La liste de presse était maintenue par d’autres personnes et ce que j’écrivais ne me paraissait pas important non plus. Je voulais toucher certaines personnes. Pour cela les canaux officiels et mon propre blog me semblaient être les moyens les plus efficaces.

Être citée sur ReadWriteWeb après avoir annoncé sur mon blog que je commencerai un nouveau boulot fut un choc pour moi. Non pas parce que j’ignorais que des gens lisaient ce que j’écrivais (j’espérais bien qu’ils le lisent !) mais je ne m’attendais pas à ce que ça soit un sujet d’une telle importance. Ce n’était même pas pendant les vacances d’été. Encore heureux que personne ne me l’ait dit, je n’aurais pas été capable de publier ne serait-ce qu’une seule ligne.

L’œil étranger

Il y a quelque temps, quand j’ai assisté à ma première conférence, j’avais la ferme conviction que j’étais différente des autres participants. je me voyais comme une étrangère parce que je n’avais pas grand-chose en commun avec qui que ce soit à part un vague intérêt pour la technologie : je travaillais en freelance depuis quelques années déjà, après mon diplôme universitaire ; je n’avais aucune éducation pertinente dans le domaine, et j’étais mère d’un enfant de 10 ans. Sur le papier en tout cas, il ne pouvait pas y avoir plus éloignée des suspects habituels qu’on rencontre dans les projets FOSS.

En 2008 j’ai assisté à un sprint (NdT : phase de développement, généralement perçue comme intense, aboutissant à un produit fonctionnel) KOffice au sein de l’équipe promotion et marketing de KDE pour préparer la sortie de la version 2.0. L’idée initiale était d’esquisser une série d’activités promotionnelles autour de cette sortie afin de développer à la fois le support développeur et utilisateur. Pour celui-ci, nous étions trois à suivre un chemin parallèle à celui concernant les développeurs.

Nous avons essayé de comprendre comment nous pourrions positionner KOffice et adapter la communication au public ciblé. Très tôt dans le processus, nous avons découvert que nous devions faire marche arrière : à ce stade, le manque de maturité de la suite rendait impossible son positionnement comme option pour les utilisateurs non avertis. Nous devions nous en tenir aux développeurs et aux précurseurs. C’était difficile à vendre à certains développeurs, mais en tant qu’étrangers nous avions la chance de regarder le logiciel sans penser à tout le sang, la sueur et les larmes versés dans le code.

Pour beaucoup de projets, de n’importe quelle sorte, jeter un œil objectif à la situation donne du fil à retordre aux contributeurs principaux. Nous avons tendance à ne pas voir les grands succès quand nous sommes très concentrés sur des problèmes de détails et réciproquement. Parfois, nous manquons une occasion parce que nous pensons que ça n’a rien à voir avec ce que nous faisons (ou, pour commencer, parce que personne ne voudrait que ça ait quelque chose à voir).

Dans tous ces cas, les contributeurs extérieurs au projet ont le potentiel pour apporter des points de vue différents à la discussion, particulièrement quand il s’agit de déterminer un ordre de priorité. C’est encore plus utile quand ce ne sont pas des développeurs : ils poseront différentes questions, sans ressentir de pression face à la connaissance et à la compréhension de tous les détails techniques ; ils peuvent aussi aider pour les décisions ou la communication sur un plan moins technique.

Conclusion

L’ignorance est une bénédiction. Ce n’est pas seulement vrai pour les individus qui profitent de l’insouciance qui en résulte mais aussi pour les projets que ces individus rejoignent. Ils apportent différents points de vues et expériences.

Et maintenant, filez et trouvez vous-même un projet qui vous intéresse, indépendamment de ce que vous pensez savoir.




Prendre du champ (Libres conseils 26/42)

Chaque jeudi à 21h, rendez-vous sur le framapad de traduction, le travail collaboratif sera ensuite publié ici même.

Traduction Framalang : Lycoris, grosfarmerlin8282, Sky, Julius22, _noskill, Nyx, lenod, KoS, lerouge, alexb, Ex0artefact, name?, SaSha_01, peupleLàlamessen

Prendre de la distance pour atteindre l’excellence

Jono Bacon

Jono Bacon est gestionnaire de communauté, directeur technique, consultant et auteur. Il travaille actuellement comme gestionnaire de la communauté Ubuntu chez Canonical. Il dirige une équipe afin de faire croître, de stimuler et d’enthousiasmer l’ensemble de la communauté Ubuntu. Il est l’auteur d’Art of Community, le fondateur du Community Leadership Summit et le cofondateur du populaire podcast LugRadio.

Jono Bacon au tableau blanc

La première fois que j’ai entendu parler de Linux et d’open source remonte à 1998. La technologie était alors horriblement compliquée et il fallait fournir de gros efforts pour obtenir un système qui tourne correctement ; pourtant, le concept d’une communauté collaborative globale me subjugua. À l’époque, je ne possédais aucune connaissance, mes compétences techniques étaient limitées et j’avais des boutons.

J’étais un adolescent typique : tourmenté, cheveux longs, T-shirt Iron Maiden. Mon chemin était déjà tout tracé, au sens le plus traditionnel ; j’irais à l’école, puis au lycée, puis à l’université, puis je trouverais un travail.

Quatorze ans plus tard, le chemin que j’ai finalement suivi n’a rien de conventionnel. Cette fascination personnelle envers le communautaire m’a conduit partout dans le monde et m’a lancé des défis captivants. C’est intéressant de prendre du recul et d’analyser cette période. Enfin, ça pourrait être intéressant pour moi… Vous préférerez peut-être passer au chapitre suivant…

… Toujours avec moi ? OK, allons-y.

La science contre l’art

J’ai toujours cru que la gestion d’une communauté était moins une science qu’un art. Je définis la science comme l’exploration de méthodes permettant de reproduire des phénomènes à travers des étapes établies et clairement comprises. Dans le monde de la science, si vous connaissez la théorie et la recette pour un résultat donné, vous pouvez souvent reproduire ce résultat comme tout un chacun.

L’art est différent. Il n’y a pas de recette pour produire une chanson populaire, pour créer une peinture exceptionnelle ou pour sculpter une statue magnifique. De même, il n’y a pas vraiment d’ensemble d’étapes reproductibles pour créer une communauté prospère. Bien sûr, il y a des astuces et des techniques pour parvenir à réunir certaines composantes du succès, mais c’est la même chose pour les autres formes d’art : nous pouvons tous apprendre les notes et les accords d’une guitare, mais cela ne veut pas dire que nous allons écrire la prochaine Bohemian Rhapsody. La formule qui donne naissance à un titre comme Bohemian Rhapsody, c’est une dose de compétence acquise et une dose de magie.

Je ne suggère cependant pas que la gestion de communauté soit une forme d’art désespérément branchée et introvertie que seuls quelques bienheureux élus très talentueux peuvent accomplir. Ce dont je me plains est qu’il n’y ait pas de manuel sur la façon de créer une communauté magnifique et enthousiasmante ; il s’agit toujours d’une dose d’apprentissage et d’une dose de magie mais la part de magie ne vous sera pas insufflée par la grâce des dieux ; il vous faudra plutôt la chercher en essayant de nouvelles voies, en restant à l’écoute des retours et en évaluant ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.

C’est plutôt frustrant car cela veut dire que cette « magie » ne s’obtient pas en suivant une recette unique. Mais il reste la possibilité de partager les compétences acquises, comme j’ai cherché à le faire avec The Art of Community 1 et la conférence annuelle Community Leadership Summit 2.  

Avant de commencer mon introspection, et pour ceux que ma carrière n’ennuie pas mortellement, je vais résumer rapidement les communautés avec lesquelles j’ai travaillé afin de poser le contexte. En bref, j’ai commencé dans mes jeunes années chevelues par la création de l’un des premiers sites web communautaires britanniques sur Linux, appellé Linux UK, et j’ai intégré la communauté des Groupes d’utilisateurs de Linux (Gul). Je me suis ensuite lancé dans la création de mon propre Gul à Wolverhampton, au Royaume-Uni, et j’ai fondé le projet Infopoint pour encourager les Gul à prêcher Linux sur les salons informatiques du Royaume-Uni. J’ai ensuite poursuivi en contribuant à la communauté KDE et en fondant le site KDE::Enterprise ; j’ai établi le KDE Usability Study et contribué de-ci, de-là à diverses petites applications. J’ai ensuite fondé le groupe d’utilisateurs PHP des West Midlands. J’ai aussi commencé à m’intéresser à GNOME. J’ai développé quelques applications (GNOME iRiver, XAMPP Control panel, Lernid, Acire) et également participé à la conception et un peu au code d’une nouvelle application audio simplifiée appelée Jokosher. C’est à peu près à cette époque que j’ai co-fondé le podcast LugRadio qui fonctionna pendant quatre ans avec plus de deux millions de téléchargements, ce qui a entraîné la mise en place de cinq événements en direct au Royaume-Uni et aux États-Unis. À cette époque, j’ai également commencé à travailler comme consultant open source pour l’initiative publique OpenAdvantage. Là, j’ai vraiment eu l’occasion de me faire les dents sur le communautaire en aidant des organisations à travers tout les West Midlands à passer à l’open source. Après quelques années passées chez OpenAdvantage, je suis parti rejoindre Canonical comme gestionnaire de la communauté Ubuntu où j’ai mis en place une équipe de quatre personnes. Ensemble, nous nous investissons dans des projets très variés chez Ubuntu et Canonical. Vous êtes toujours là ?

Ouah, vous êtes tenace. Ou assommé d’ennui. Probablement assommé. Il y aura interro à la fin, ça vous apprendra…

Réfléchir

Ceci m’amène donc à l’objet de cet article : la curieuse question de savoir ce que je me dirais si je savais ce que je sais aujourd’hui. À ce jour, je pense que ce que j’ai appris au cours de ma carrière peut se diviser en deux grosses catégories :

Pratique — les trucs et astuces du métier, par exemple, les différentes approches des moyens de communication, les différentes façons d’utiliser la technologie, la gestion du temps, les différentes approches de la gestion de projet, etc.

Personnel — les leçons de vie et apprentissages qui modifient l’approche que nous avons de notre monde.

Je ne vais pas m’étendre sur la catégorie pratique — vous devriez lire mon livre si vous souhaitez en savoir plus sur ce sujet (le livre couvre aussi l’aspect personnel). Aujourd’hui, je vais plutôt m’intéresser aux leçons de vie. Les approches et les pratiques changeront toujours, mais les leçons que l’on en tire ne changent pas tant que ça : elles évoluent plutôt au fur et à mesure que votre sagesse grandit.

L’importance des convictions

Les communautés sont fondamentalement des réseaux de personnes poussées par leurs convictions. Chaque communauté possède son propre état d’esprit et un domaine d’expertise propre. Cela peut être une idée aussi grandiose que de rassembler l’intégralité des savoirs de l’humanité, changer la face du monde avec le logiciel libre ou, plus simplement, animer un « club » pour que les gens puissent échanger autour de leurs livres préférés. Que ce soit pour changer le monde ou simplement pour s’amuser, chaque communauté fait valoir son propre système de valeurs ; l’humble club de lecture accorde beaucoup de valeur au fait de fournir un environnement amusant, sécurisé et libre afin de pouvoir partager des avis et des conseils de lecture. Cela ne change pas le monde, mais cela reste toujours une bonne chose à laquelle n’importe qui peut se rallier.

La règle, souvent tacite, d’une communauté est que chaque contribution d’un membre de la communauté doit bénéficier à l’ensemble de celle-ci. C’est pourquoi il est amusant d’écrire un correctif pour un bogue d’un logiciel libre, de contribuer à la documentation ou d’organiser un événement gratuit. Mais il est rare que quiconque veuille contribuer de façon bénévole si sa contribution ne bénéficie qu’à une seule personne ou entreprise.

Bien sûr, je suis certain que vous tous, enfoirés cyniques que vous êtes, allez chercher et trouver une exception. Mais souvenez-vous que cette décision est profondément personnelle : les membres de la communauté décident par eux-mêmes si leur contribution doit bénéficier à tous. Par exemple, certains vont arguer que n’importe quelle contribution à Mono va seulement bénéficier à Microsoft et à l’ubiquité de leur infrastructure .NET. Mais des centaines de contributeurs participent à Mono parce qu’ils ne le voient pas de cette manière : ils voient leurs contributions comme un moyen utile et amusant de permettre aux développeurs d’écrire des logiciels libres plus facilement.

Si je devais parler au Jono de 1998, j’insisterais sur l’importance de cette conviction. J’avais alors une intuition à ce propos, mais je ne compte plus les exemples qui m’ont prouvé depuis que cette conviction incite réellement les gens à participer. J’ai souvent parlé de l’histoire du gamin d’Afrique qui m’a envoyé un courriel pour me dire qu’il devait marcher trois heures aller-retour jusqu’au cybercafé le plus proche pour contribuer à Ubuntu. Il le faisait car il était convaincu par notre mission d’apporter le logiciel libre aux masses. On pourrait aussi citer l’énorme croissance de Wikipédia, l’incroyable réunion de la communauté GNOME autour de GNOME 3, le succès d’OpenStreetMap et bien d’autres exemples.

Ceci dit, la conviction n’est pas juste un artifice pour les relations publiques. Il faut qu’elle soit réelle. Bien que nous ayons tous des convictions différentes — certains ont des convictions sur le logiciel, sur l’éducation, sur le savoir, sur la transparence ou sur n’importe quoi d’autre — vous ne pouvez pas fabriquer un système de convictions à moins qu’il n’ait un but valide, auquel un groupe puisse s’intéresser. Certes, il peut être obscur, mais il doit être réel. Avec le succès du mouvement open source, nous avons vu des exemples d’entreprises qui tentaient de jouer cette approche et ce registre sémantique autour de la conviction, mais dans le but de servir leurs propres besoins. Je pourrais essayer de vous faire adhérer à cette idée : « Travaillons tous ensemble pour aider Jono à devenir riche » et fabriquer de toutes pièces quelques sophismes pour justifier de cette acte de foi (par exemple, si j’étais riche, je pourrais me concentrer sur d’autres travaux, au bénéfice d’autres communautés ; mes enfants seraient élevés et éduqués dans de bien meilleures conditions, ce qui profiterait à tout le monde), mais ce serait n’importe quoi.

En tant que telle, la conviction est un puissant moteur pour la contribution comme pour la collaboration, mais il est important de l’utiliser de manière équilibrée et de l’associer au respect. Alors qu’elle peut déclencher d’incroyables changements, elle peut être terriblement dévastatrice (comme c’est le cas avec certains prédicateurs à la TV qui utilisent la religion comme un moyen de vous soustraire de l’argent, ou encore les faux médiums qui utilisent la lecture à froid et s’accrochent à votre besoin désespéré de croire que vous pouvez à nouveau vous connecter à un être cher disparu).

Votre rôle

Aujourd’hui, les gestionnaires de communauté ont un rôle intéressant. Par le passé, j’avais parlé de deux types de gestionnaires de communauté ; ceux qui sortent, font des conférences et s’agitent en parlant d’un produit ou d’un service et ceux qui travaillent avec une communauté de volontaires pour les aider à connaître une expérience collaborative, productive et amusante. Le second type m’intéresse plus — je pense que c’est ce que fait un vrai gestionnaire de communauté. Le premier de ces positionnements est tout à fait sympa et respectable mais cela convient mieux dans le domaine de la promotion et des relations publiques et cela nécessite d’autres compétences. J’ai quelques conseils que je pense être assez intéressants pour être partagés.

La première et probablement la plus importante des leçons est d’accepter que vous pouvez et allez parfois avoir tort. Jusqu’ici, dans ma carrière, j’ai fait certaines choses correctement et j’ai commis des erreurs. Bien que je croie être généralement sur le bon chemin et que l’essentiel de mon travail soit couronné de succès, il y a eu quelques flops ici ou là. Ces loupés, accidents et faux pas n’ont jamais été dus à de la malveillance ou de la négligence ; ils ont plutôt été causés par une sous-estimation de la difficulté de mon objectif.

Ça a l’air assez évident, mais ça l’est moins quand vous avez une fonction relativement publique. En gros, les gestionnaires de communautés sont souvents vus comme les représentants d’une communauté donnée. Par exemple, je sais qu’à titre personnel, on me considère comme l’une des figures publiques d’Ubuntu et cette responsabilité, s’accompagne d’une certaine pression publique quant à la manière dont les gens vous perçoivent.

Avoir les projecteurs braqués sur soi en se retrouvant à la tête d’une communauté déclenche chez certains un mécanisme défensif. Ils reculent à l’idée de faire des erreurs en public, comme si les masses dans leurs bavardages s’attendaient à une prestation parfaite. C’est dangereux, et on a déjà vu, par le passé, des personnages publics qui ne reconnaissent jamais avoir fait une erreur par crainte d’être ridicules en public. Non seulement, c’est une idée fausse (nous faisons tous des erreurs), mais cela ne donne pas non plus à la communauté un bon exemple de chef de file honnête et transparent tant dans les choses qu’ils font bien que dans celles qu’ils font moins bien. Il est important de se rappeler que nous gagnons souvent le respect d’autrui par leur acceptation de nos erreurs : c’est la caractéristique d’un individu honnête et accompli.

Je me rappelle mes débuts en tant que responsable chez Canonical. À l’époque, Colin Watson et Scott James Remnant, deux vieux briscards des tous débuts de Canonical et d’Ubuntu, faisaient aussi partie des responsables de l’équipe d’ingénierie d’Ubuntu. Nous avions des réunions hebdomadaires avec notre directeur technique, Matt Zimmerman, et j’y entendais régulièrement Colin et Scott avouer ouvertement qu’ils étaient mauvais dans ceci ou avaient fait une erreur dans cela ; ils étaient étonnamment humbles et acceptaient leurs forces et leurs faiblesses. En tant que responsable débutant, je l’ouvrais moins souvent, mais cela m’a appris que ce genre d’ouverture d’esprit et d’honnêteté est important non seulement en tant que responsable, mais en tant que leader d’une communauté. Depuis, je n’hésite plus à admettre publiquement mes erreurs ou à m’excuser si je foire quelque chose.

Écouter

De même qu’être ouvert aux erreurs est primordial, il est tout aussi important d’être à l’écoute et d’apprendre de ses pairs. Dans de nombreux cas, nos communautés perçoivent les responsables et les leaders de communauté comme des personnes qui devraient toujours fournir des orientations et des directions, mener activement le projet et réaliser ses objectifs. C’est sans aucun doute une responsabilité. Mais tout autant qu’être la voix qui montre la voie, il est important de prêter l’oreille pour écouter, guider quand c’est opportun et apprendre de nouvelles leçons et idées.

Les membres de nos communautés ne sont pas juste des mécaniques froides et insensibles qui font leur travail. Ce sont des humains qui vivent, respirent, ont des opinions, des sentiments et des idées. J’ai vu de nombreux exemples — et j’en ai déjà moi-même provoqué —, de ces situations où quelqu’un est tellement habitué à donner des instructions et des conseils qu’il oublie parfois de simplement s’asseoir, écouter et apprendre de l’expérience de quelqu’un d’autre. Toute industrie possède ses maîtres-à-penser et ses experts… des gens célèbres et reconnus pour leur sagesse. Mais, d’après mon expérience, certaines des leçons de vie les plus révolutionnaires que j’ai apprises sont venues de membres tout à fait anonymes, ordinaires. Savoir écouter les gens n’est pas seulement important pour nous aider à apprendre et à nous améliorer dans ce que nous faisons, c’est également essentiel pour gagner le respect et avoir de bonnes relations avec sa communauté.

Temps de travail contre temps libre

Pendant que je parle de la façon dont nous collaborons avec notre communité, il y a un autre résultat de mon expérience que je n’ai vraiment assimilé qu’assez récemment. Comme beaucoup de gens, de nombreux centres d’intérêts remplissent mes journées. À part être marié et essayer d’être le meilleur mari possible, et à part mon travail quotidien en tant que gestionnaire de la communauté d’Ubuntu, je participe aussi à des projets tels que Severed Fifth, le Community Leadership Summit et quelques autres choses. Comme on pourrait s’y attendre, je consacre mes journées à mon travail rémunéré : au boulot, je ne passe pas de temps à travailler sur ces autres projets. Et, comme on pourrait s’y attendre, lorsque ma journée de travail se termine, je me mets à travailler sur ces autres projets. La leçon qu’il faut retenir ici, c’est qu’il n’est pas toujours clair pour votre communauté de savoir où tracer les limites.

Au fil des années, j’ai développé toute une série de services en ligne que j’utilise tant dans mon travail qu’à titre personnel. Mes comptes Twitter, identi.ca et Facebook, mon blog et d’autres ressources sont les endroits où je parle de ce que je fais. Le problème est que si l’on tient compte de leur caractère public, du fait que je suis un représentant officiel du projet Ubuntu et de tous les fuseaux horaires autour du globe, même Einstein aurait du mal à faire la différence entre ce que j’écris en tant que Jono et ce que j’écris pour le compte de Canonical.

Ce qui a pu causer de la confusion. Par exemple, malgré mes clarifications répétées, OpenRespect n’est pas et n’a jamais été une initiative de Canonical. Bien sûr, quelques idiots ont choisi d’ignorer mes explications à ce sujet mais je comprends néanmoins comment la confusion a pu arriver. La même chose s’est produite pour d’autres projets tels que Severed Fifth, The Art of Community et le Community Leadership Summit, qui ne font pas et n’ont jamais fait partie de mon travail chez Canonical.

C’est une leçon pour moi car j’ai moi-même partagé un moment, cette vision des choses et disais : « Évidemment que c’est activité de loisirs, j’ai posté ça à 20 h. » tout en haussant les épaules à propos de la confusion entre travail et projets personnels. Quand votre travail vous met dans une position relativement publique, vous ne pouvez pas vous offrir le luxe de voir les choses comme ça. Au contraire, vous devez considérer que les gens vont avoir tendance à faire la confusion et que vous allez devoir travailler plus dur pour bien clarifier les choses.

Ne voyagez pas trop

À propos du travail pour une société qui vous a recruté pour être à la tête d’une communauté, vous devriez toujours avoir conscience des risques comme des bénéfices des voyages. C’est une chose que j’ai apprise assez tôt dans ma carrière chez Canonical. Je voyais toujours les mêmes têtes dans les conférences, et il était évident que ces personnes avaient très bien communiqué sur les bénéfices des voyages auprès de leurs employeurs, tout comme je l’avais fait, sauf que j’en ai aussi appris les dangers.

Je voyageais et ce n’était pas seulement un travail fatigant et épuisant psychologiquement, mais j’étais aussi plus loin de mes courriels, moins présent sur IRC, j’étais dans l’impossibilité d’assister à de nombreuses réunions et j’avais moins de temps à consacrer à mes engagements professionnels. Ainsi, mon rôle était principalement devenu de sortir et d’aller assister à des événements et, même si c’était amusant, cela ne rendait pas autant service à ma communauté qu’il l’aurait fallu. Aussi ai-je drastiquement réduit mes déplacements — pour tout dire, je suis allé au Linux Collab Summit il y a quelques jours, et hormis quelques événements d’Ubuntu auxquels je devais assister, je n’ai assisté à aucune conférence depuis près d’un an. J’ai l’impression à présent d’être allé un peu trop loin dans l’autre direction. Tout est donc une question d’équilibre. Mais j’ai aussi le sentiment de mieux servir ma communauté quand je peux prendre le temps d’être au bureau et d’être en ligne et disponible.

La planification

Pour certains, être à la tête d’une communauté, ou simplement l’animer, est un rôle qui tient moins de la structure pré-établie que du fait d’être réactif. À mes débuts, c’est également ce que je pensais. Bien qu’il n’y ait absolument aucun doute sur la nécessité de se montrer réactif et de pouvoir répondre aux choses qui se présentent, il est également essentiel de planifier suffisamment son travail sur une période donnée.

Cette planification devrait être effectuée de manière ouverte quand c’est possible et remplit plusieurs objectifs :

Partager la feuille de route — ça aide la communauté à comprendre sur quoi vous travaillez et lui offre souvent des opportunités de vous aider.

Apporter des garanties — ça prouve qu’un responsable de communauté fait quelque chose. Votre communauté peut constater votre travail effectif à l’œuvre. C’est très important puisque la majeure partie du travail d’un responsable de communauté s’effectue souvent sans que la communauté au sens large en ait connaissance (par exemple, avoir une conversation en tête à tête avec un des membres de la communauté). Et ce manque de visibilité peut parfois générer des inquiétudes sur le fait que peu de choses se produisent dans des domaines-clé alors qu’en fait, beaucoup de choses se produisent en coulisses.

Communiquer les progrès vers le haut et vers le bas de l’organisation — c’est pertinent si vous travaillez dans une entreprise. Avoir établi de bons processus de planification montre votre travail effectif à votre hiérarchie ; ça rassure votre équipe sur le fait que vous saurez toujours sur quoi travailler et ça donne beaucoup de valeur ajoutée à la communauté.

Au fil des années, j’ai attaché de plus en plus d’importance à la planification. Mais je garde suffisamment de temps et de flexibilité pour rester réactif. Quand j’ai débuté comme gestionnaire de la communauté Ubuntu, mon planning était plutôt personnel et je le gérais au coup par coup : je prenais le pouls de la communauté et je consacrais temps et moyens à m’occuper des domaines que je jugeais adéquats.

À présent, je répartis les objectifs dans un ensemble de projets qui couvrent chacun un cycle d’Ubuntu, je rassemble des informations avec les parties prenantes, je compose une feuille de route, je fais le suivi du travail dans des schémas directeurs. J’estime également les progrès effectués en utilisant toute une gamme d’outils et de processus tels que mon diagramme des tâches réalisées, des réunions régulières et d’autres encore. Bien que la méthode actuelle nécessite plus de planification, elle est d’une aide significative en termes de bénéfices sur les points cités ci-dessus.

Perception et conflit

Dans le monde de la gestion et de la gouvernance de communautés, j’entends souvent s’exprimer l’avis selon lequel tout serait affaire de perception. En règle générale, quand j’entends ça, c’est en réponse à quelqu’un qui se trouve du mauvais côté du bâton, le plus souvent au cours d’une période de conflit.

Bien sûr, la perception joue un rôle important dans nos vies, c’est vrai ; mais ce qui peut alimenter des perceptions erronées ou inadéquates, c’est le manque d’information, de mauvaises informations et, dans certains cas, des tensions et des tempéraments échauffés. Cela peut être une des tâches les plus complexes pour celui qui est à la tête de la communauté. Et j’en suis ressorti en tirant quelques leçons dans ce domaine également.

Les communautés sont des groupes de personnes et, dans chaque groupe, on trouve souvent des rôles stéréotypés dans lesquels les gens se glissent. On y trouve, en général, quelqu’un que l’on considère comme une rockstar ou un héros, quelqu’un de compréhensif pour les préoccupations et les soucis et qui prêtera son épaule pour pleurer, quelqu’un qui a son franc-parler et souvent quelqu’un qui est… disons… intentionnellement pénible. Les héros, les oreilles compatissantes et les grandes gueules ne posent pas particulièrement de problèmes, mais les personnes qui créent délibérément des difficultés peuvent être pénibles ; lorsqu’il devient carrément difficile de gérer une personne, cela peut provoquer des tensions avec les autres membres et amener du conflit dans une communauté qui, sinon, est heureuse. Il faut étouffer ce genre de problèmes dans l’œuf.

Une partie du défi, ici, c’est que les gens sont des gens, que les groupes sont des groupes et qu’il n’est pas rare qu’une personne (ou un petit nombre de personnes) se fasse connaître et soit critiquée derrière son dos et passe pour quelqu’un avec qui il est difficile de travailler. En plus de cela, la plupart des gens n’ont pas envie d’être impliqués dans un quelconque conflit et, du coup, la personne dont on se plaint ne peut pas toujours se rendre compte de la façon dont les gens la perçoivent, étant donné que personne ne veut la confronter à ce sujet. Il en résulte une des situations les plus dangereuses pour les membres d’une communauté — une réputation se propage, sans même que la personne concernée ne s’en rende compte. Et du coup, puisqu’elle ne le sait pas, elle n’a jamais l’occasion de changer de comportement. C’est une situation plutôt inconfortable.

Une réponse habituelle à cette conclusion consiste à dire : « ils sont si difficiles à gérer qu’essayer de les raisonner c’est peine perdue, de toute façon ». Même si cela se produit certainement de temps à autres, ne supposez pas trop vite que ce sera l’issue ; j’ai quelquefois eu la désagréable expérience de sentir que je devais faire savoir à certaines personnes, la réputation qu’elles avaient développée. Et, dans la plupart des cas, cela a été une réelle surprise pour elles. Et elles ont quasiment toutes modifié leur comportement après ce retour.

Sur un sujet lié, bien que ça n’est pas si courant dans la routine quotidienne d’un leader de communauté, un conflit va souvent se pointer ici ou là. Je voudrais juste partager deux éléments à ce propos.

La première chose, c’est de comprendre comment les conflits naissent. Pour expliquer cela, permettez-moi de vous raconter une anecdote. La semaine dernière, un de mes amis est venu en avion dans la baie de San Fransisco pour une conférence. Il est arrivé le soir, je suis donc allé le chercher à l’aéroport et nous sommes allés au pub pour discuter des dernières nouvelles. Là-bas, il commença à me raconter à quel point il était déçu d’Obama et de son administration. Il a cité des exemples : la réforme de la sécurité sociale, la réforme de Wall Street, les droits du numérique et d’autres choses. Ce qui l’embêtait n’était pas la politique menée en elle-même, mais il trouvait qu’Obama n’en faisait pas assez. Ma vision des choses était légèrement différente.

Je ne suis ni Démocrate, ni Républicain ; je prends ma décision sur chaque problème, sans m’aligner sur l’une ou l’autre des parties. Là où je diffère de mon ami, cependant, c’est que je suis un peu plus favorable à Obama et son travail quotidien. C’est parce que je crois que lui, et que n’importe qui dans un poste en relation avec le public — qu’il soit internationalement reconnu comme le président ou qu’il soit obscur et spécifique comme un gestionnaire de communauté — a conscience que l’histoire lue et comprise par le public est souvent un simple fragment de l’histoire complète. Il y a eu des cas, par le passé, où quelque chose de controversé a démarré dans les communautés auxquelles j’appartenais. De nombreux commentateurs et spectateurs n’avaient pas l’entière connaissance des faits, soit parce qu’ils n’avaient pas compris les nuances et les détails du sujet, soit parce que certains éléments de l’histoire n’avaient pas été partagés.

Bon, je sais ce que vous allez dire — , quoi, certains éléments n’avaient pas été partagés !? Il vaudrait mieux être transparent, n’est-ce pas ? Bien sûr que c’est nécessaire. Et nous devrions toujours nous attacher à être ouverts et honnêtes. Mais il y a des cas où il serait inapproprié de partager certaines parties de l’histoire. Cela pourrait être en raison de fragments de conversations privées avec des gens qui ne souhaitent pas partager leurs commentaires ou tout simplement faire son boulot bien comme il faut sans éclabousser les réputations. Par exemple, j’ai toujours eu comme pratique de ne pas faire de coups bas à des concurrents, peu importe la situation. Par le passé, il y a eu des comportements critiquables de la part de certains concurrents dans les coulisses. Mais je ne vais pas me mettre à salir leurs réputations car cela n’aurait pas vraiment d’intérêt. Je dois cependant accepter que des critiques de la communauté peuvent ne pas connaître toute la situation avec toutes les magouilles ayant eu lieu dans les coulisses.

Enfin, à propos de conflits, je crois que j’ai appris une vraie leçon de vie au sujet de l’approche idéale à propos des critiques et des issues heureuses. Bien que les billets de blogs aient eu un impact très positif sur la manière dont les gens peuvent exposer leur pensée et partager leurs opinions et visions des choses, ils présentent une facette bien plus sombre. Les blogs sont aussi devenus un moyen d’exprimer parfois un peu trop rapidement des opinions excessivement zélées. Malheureusement, j’ai un exemple plutôt embarrassant de quelqu’un qui est tombé dans ce piège : c’est votre serviteur.

Pour commencer, quelques éléments de contexte. Il existait une entreprise appelée Lindows qui distribuait une version de Linux qui présentait beaucoup de similarités visuelles et fonctionnelles avec Windows. Microsoft voulout interdire l’emploi du nom « Lindows » et une bataille s’engagea pour changer le nom. D’abord, Lindows résista. Mais après que la pression eut monté, l’entreprise se rebaptisa Linspire.

Maintenant, le problème. Je prends la liberté de l’expliquer dans les termes de l’article lui-même :

Il y a peu de temps, un type nommé Andrew Betts a décidé de retirer les éléments non-libres de Linspire et de publier les parties libres dans une distribution dérivée de Linspire qu’il a appelée Freespire. Le fait de rediffuser des distributions ou du code n’a certainement rien de nouveau et s’inscrit parfaitement dans la culture de l’open source. À vrai dire, bien des distributions que nous utilisons aujourd’hui ont été dérivées d’outils existants.

Malheureusement, Linspire a considéré que c’était un problème et a demandé à Freespire de changer de nom. En lisant l’annonce du changement, son langage et son style, j’ai l’impression que tout ça pue le pur marketing. Loin de moi l’idée d’insinuer que Betts a été contraint d’écrire cette page ou que les drones marketing de Linspire l’ont écrite et annexée en son nom, mais cela ne me semble pas sonner très juste. Je me serais attendu à trouver des lignes du style « Le nom de Freespire a été changé pour Squiggle afin d’éviter toute confusion avec le produit Linspire. », mais ce n’est pas le cas. Au lieu de cela, on a droit à des morceaux choisis de marketing comme « Afin de prévenir toute confusion, j’ai contacté Linspire qui m’a fait une offre extrêmement généreuse pour nous tous. » La vache ! Quelle peut bien être cette offre-exclusive-qu’on-ne-rencontre-qu’une-fois-dans-sa-vie-et-qu’on-ne-trouve-pas-dans-les-magasins ? Fort heureusement, il poursuit : « Ils souhaitent que tous ceux qui ont suivi mon projet puissent faire l’expérience du vrai Linspire, ET GRATUITEMENT !!! ». Maintenant, dites-nous, je vous prie, comment nous pouvons obtenir cette vraie version du logiciel « ET GRATUITEMENT » ?

« Pour une période limitée de temps, ils mettent à disposition un code de réduction dénommé FREESPIRE qui vous donnera une copie numérique gratuite de Linspire ! Veuillez visiter http://linspire.com/ pour les détails. » Ho… merci.

Dans un billet de mon blog, J’ai décoché à Linspire un bon coup de genou dans les bijoux de famille. J’ai raconté l’histoire, protesté contre ce que je considérais comme de l’hypocrisie considérant leur propre bataille dans des histoires similaires de marques déposées, et j’ai fulminé. J’aurais aimé que Guitar Hero existe à cette époque, cela aurait été un bien meilleur moyen d’utiliser mon temps.

Je me suis trompé. Mon article n’allait jamais servir à quoi que ce soit. Peu de temps après la publication de l’article, le PDG d’alors, Kevin Carmony, m’envoya un courriel. Il n’avait pas l’air satisfait de ma prestation. Son objection, et elle était valable, visait l’absence de concertation mutuelle préalable. Ma première réaction fut de répondre sur mon blog. La réalité de l’histoire était beaucoup moins noire. Et les gens de Linspire n’était pas les ogres que j’avais dépeints. J’ai présenté mes excuses à Kevin et me suis senti idiot.

Beaucoup de conflits sont résolus par des discussions privées où les gens peuvent être ouverts et concentrés sur les solutions sans être dérangés. Au fil des années, j’ai vu beaucoup d’exemples d’une guerre publique houleuse par blogs interposés continuant, alors que, dans les coulisses, il y avait un échange calme et une recherche de solutions.

Jono Bacon a appris à communiquer avec toutes les communautés

Pour conclure

Lorsque j’ai commencé à écrire cet article, il était bien plus court. Mais j’ai continué à ajouter des éléments un par un. Il est sûrement déjà assez long pour que je puisse compter le nombre de personnes lisant cette partie sur les doigts d’une main. Je vais donc l’arrêter ici. Je pourrais continuer éternellement avec des anecdotes croustillantes et des expériences dans lesquelles j’ai été suffisamment chanceux pour être impliqué et pour étendre mes horizons. Mais je finirais par écrire L’art de la communauté II : cette fois-ci, c’est personnel.

La vie est une expérimentation permanente. Et j’espère que votre investissement dans la lecture de cet article vous a apporté un peu d’expérience.

1 http://artofcommunityonline.org

2 http://communityleadershipsummit.com

Crédit photos : gidgetkitchen  (CC-BY-SA) et Ubuntu-news.ru




La marque (du langage) Python est en péril en Europe et a besoin de votre aide !

Le célèbre (et libre) langage de programmation Python est en danger en Europe pour une sombre histoire de droit des marques.

Nous avons traduit ci-dessous l’appel à soutien de Van Lindberg, président de la Python Software Foundation.

Python Logo

La marque Python en péril en Europe : Nous avons besoin de votre aide !

Python trademark at risk in Europe: We need your help!

Van Lindberg – 14 février 2013 – Python Software Foundation
(Traduction : Moosh, lgodard, Alpha, QuébecTroll, jtanguy, Penguin, Uflex, ProgVal, goofy, maz, Nodel, Norore + anonymes)

Vous qui travaillez dans une entreprise qui a un bureau dans un pays membre de l’Union Européenne, nous avons besoin de votre aide.

Une entreprise au Royaume-Uni essaye de faire reconnaître le terme « Python » comme marque commerciale pour tout logiciel, service ou serveur, à peu près tout ce qui a quelque chose à voir avec un ordinateur. Plus précisément, c’est l’entreprise qui a acquis le domaine python.co.uk il y a treize ans. À cette époque, nous nous souciions peu des problèmes de marque et nous n’avions pas acquis ce domaine.

Ce n’était pas un problème jusqu’à présent car le domaine python.co.uk, la plupart du temps, se contentait de transférer son trafic vers les sociétés-mères, veber.co.uk et pobox.co.uk. Malheureusement, Veber a décidé qu’ils voulaient commencer à utiliser le nom « Python » pour leurs logiciels serveurs.

Nous avons contacté les propriétaires de python.co.uk à plusieurs reprises et essayé d’en discuter avec eux. Leur seule réponse a été de déposer une demande de marque communautaire réclamant les droits exclusifs d’utiliser le terme « Python » pour des logiciels, serveurs, et services web – et ce partout en Europe.

Nous avons fait appel à un conseiller juridique au Royaume Uni et nous, la Python Software Foundation (NdT :. la Fondation Python), opposons à cette demande une demande de dépôt de marque communautaire, mais notre propre demande n’est pas suffisamment mûre. Dans cette dernière, nous exposons les droits de propriété de la marque résultants de l’utilisation de “Python” au cours de ces 20 dernières années.

D’après notre avocat londonien, les meilleures preuves que nous puissions transmettre au bureau européen des marques déposées sont les lettres d’entreprises connues « utilisant le logiciel de marque PYTHON dans divers pays de l’Union Européenne » de telle sorte que nous puissions « obtenir des témoignages indépendants de leur part, prouvant l’origine de la signification de la marque PYTHON, en relation avec le logiciel et les produits/services associés ». Nous avons aussi besoin de preuves d’utilisation de Python à travers toute l’Union Européenne.

Que pouvez-vous faire ?

1- Vous travaillez pour une entreprise qui utilise Python ? Vous êtes basés en Europe, vous y embauchez ou vous y possédez un bureau ? Pourriez-vous écrire une lettre avec l’en-tête de votre entreprise que nous pourrions réutiliser par la suite ?

Nous aurions besoin des élements suivants :

  1. Une brève description de l’utilisation de Python dans votre entreprise :
  2. Comment votre entreprise associe le terme Python uniquement à la PSF ;
  3. Votre opinion sur le fait qu’une autre entreprise utilisant le terme Python dans ses services, logiciels et serveurs pourrait âtre source de confusion.

La lettre n’a pas besoin d’être très longue —- quelques paragraphes suffisent, mais nous apprécierions toute forme de description de votre utilisation de Python dans vos logiciels, votre hébergement internet, vos serveurs, vos VPN, dans le développement de logiciel ou de matériel ou encore dans l’utilisation de services de sauvegarde. Pour ceux qui sont intéressés par les classes descriptives légales, elles figurent au bas de ce message[1][2].

Vous pouvez envoyer une copie PDF de votre lettre à psf-trademarks@python.org

2. Connaissez-vous ou possédez-vous quoi que ce soit qui ait été publié au sein de l’UE et qui utilise “Python” pour faire référence au langage Python? Pouvez-vous nous transmettre des numérisations, photos ou copies? Cela comprend :

  • Des livres ;
  • Des brochures ;
  • Des programmes de conférences ou présentations ;
  • Des offres d’emploi ;
  • Des magazines ou autres publications ;
  • Des prospectus.

Vous pouvez envoyer un scan PDF de ces documents à psf-trademarks@python.org.

3. Vous pouvez également aider à protéger la propriété intellectuelle de Python en nous soutenant financièrement.

Comme le coût d’opposition d’une marque commerciale est de l’ordre de dizaines de milliers de dollars, nous aurons besoin de trouver un moyen de financer les coûts de procédure de l’opposition.

Merci d’envisager une donation à la Python Software Foundation ou de me contacter.

C’est la première fois que la PSF doit prendre des mesures juridiques pour protéger la propriété intellectuelle de Python. S’il vous plait, aidez Python comme vous le pouvez. La menace est réelle et elle est susceptible de nuire à votre entreprise en Europe, surtout si vous êtes dans le domaine de l’hébergement et que Python fait partie de l’offre que vous proposez.

S’il vous plaît, faites-moi savoir si vous avez des questions auxquelles je peux répondre. Si vous connaissez quelqu’un qui devrait avoir l’information, libre à vous de la partager.

Thanks, Merci,

Van Lindberg, Président
van@python.org
Python Software Foundation

Notes

[1] Classe 9 – Logiciels ; Serveurs pour l’hébergement de sites web ; Matériel informatique pour RPV (réseau privé virtuel) ; Serveurs Internet (NdT : Classifications légales traduites à l’aide de l’outil EuroClass).

[2] Classe 42 – Conception et développement d’ordinateurs et de logiciels ; Hébergement de sites sur Internet ; Hébergement de sites web de tiers ; Hébergement de sites web ; Hébergement de sites web de tiers sur un serveur d’ordinateurs pour un réseau informatique mondial ; Hébergement de contenu numérique, à savoir de revues et de blogues en ligne ; Fournisseur de services d’application, à savoir hébergement de logiciels d’application de tiers ; Hébergement de contenu numérique sur l’internet ; Hébergement de sites web pour le compte de tiers ; Hébergement de sites informatiques de tiers (sites web) ; Hébergement de sites informatiques sites web ; Location de serveurs web.




Débat : 9 points (ou tabous ?) jamais (ou rarement) discutés dans le logiciel libre

Nous traduisons souvent Bruce Byfield, libre penseur du logiciel libre, sur le Framablog.

A-t-il raison d’affirmer qu’il est des sujets pour ainsi dire tabous dans la communauté et surtout que la situation a évolué, n’en déplaise à certains ?

Laëtitia Dulac - CC by

Neuf choses dont on ne discute jamais sur l’open source

9 Things That Are Never Admitted About Open Source

Bruce Byfield – 22 janvier 2013 – Datamation
(Traduction : Moosh, brandelune, Sky, ehsavoie, Astalaseven, petit bonhomme noir en haut à droite, mike, goofy, KoS, Mowee, arcady, maxlath, Astalaseven, mariek, VifArgent, Rudloff, VIfArgent, Penguin, peupleLa, Vilrax, lamessen + anonymous)

Quels sont les sujets tabous dans l‘open source de nos jours ? Certains peuvent se deviner mais d’autres pourraient bien vous surprendre.

On pourrait penser qu’un groupe de personnes intelligentes comme les membres de la communauté des logiciels libres et open source (NdT : FOSS pour Free and Open Source Software) seraient sans tabous. On pourrait s’attendre à ce qu’un tel groupe d’intellectuels juge qu’aucune idée n’est interdite ou gênante – mais ce serait une erreur.

Comme toute sous-culture, la communauté FOSS est cimentée par des croyances. Ces croyances contribuent à bâtir une identité commune : par conséquent, les remettre en cause revient à remettre en cause cette identité.

Certains de ces sujets tabous peuvent saper des évidences admises depuis vingt ans ou plus. D’autres sont nouveaux et contestent des vérités communément acceptées. Quand on les examine, on s’aperçoit que chacun d’entre eux peut être aussi menaçant que la déclaration de valeurs communes peut être rassurante.

Pourtant, même s’il est inconfortable d’interroger ces tabous, il est souvent nécessaire de le faire. Les croyances peuvent perdurer longtemps après le temps où elles s’appliquaient, ou après avoir dégénéré en semi-vérités. Il est utile de temps en temps de penser l’impensable, ne serait-ce que pour mettre ces croyances en phase avec la réalité.

Suivant cette logique, voici neuf observations sur l‘open source qui nécessitent selon moi un nouvel examen.

1. Ubuntu n’est plus le dernier grand espoir de l’open source

Quand Ubuntu est apparue il y a neuf ans, nombreux sont ceux qui l’ont considérée comme la distribution qui mènerait la communauté à dominer le monde. Débarquant de nulle part, Ubuntu s’est immédiatement concentrée sur le bureau comme aucune autre distribution avant elle. Des outils et des utilitaires furent ajoutés. De nombreux développeurs Debian trouvèrent un travail chez Canonical, la branche commerciale d’Ubuntu. Des développeurs virent leurs frais payés pour des conférences auxquelles ils n’auraient pas pu se rendre autrement.

Au fil du temps, une bonne partie de l’enthousiasme initial est retombée. Personne ne semble s’être intéressé à la demande de Mark Shuttleworth, le fondateur d’Ubuntu, à ce que les principaux projets coordonnent leurs cycles de livraison ; ils l’ont tout simplement ignorée. Mais on a vu des sourcils se froncer lorsqu’Ubuntu a commencé à développer sa propre interface plutôt que de contribuer à GNOME. Canonical a commencé à contrôler ce qui se passait dans Ubuntu, apparemment pas pour l’intérêt général mais surtout pour la recherche de profits. Nombreux, aussi, furent ceux qui n’apprécièrent pas l’interface d’Ubuntu, Unity, à sa sortie.

Pourtant, à écouter les employés de Canonical, ou les bénévoles Ubuntu, on aurait presque l’impression qu’il ne s’est rien passé pendant ces neuf dernières années. Lisez notamment le blog de Shuttleworth ou ses déclarations publiques : il se donne le rôle de figure de proue de la communauté et déclare que les « hurlements des idéologues » finiront par cesser devant son succès.

2. Le « cloud computing » sape les licences libres

Il y a sept ans, Tim O’Reilly affirmait que les licences libres étaient devenues obsolètes. C’était sa manière un peu dramatique de nous prévenir que les services en ligne mettent à mal les objectifs du logiciel libre. Comme le logiciel, le cloud computing offre aux utilisateurs l’usage gracieux des applications et du stockage, mais sans aucune garantie ou contrôle quant à la vie privée.

La Free Software Foundation (NdT : Fondation pour le Logiciel Libre) répondit à la popularité grandissante du cloud computing en dépoussiérant la GNU Affero General Public License, qui étend les idéaux du FOSS au cloud computing.

Après cela, pourtant, les inquiétudes à propos de la liberté logicielle au sein du cloud ont faibli. Identi.ca fut créé comme une réponse libre à Twitter, et MediaGoblin développé comme l’équivalent libre d’Instagram ou de Flickr, mais ce genre d’efforts est occulté par la compétition. On n’a pas mis l’accent sur l’importance des licences libres ou du respect de la vie privée dans le cloud.

Par conséquent, les avertissements de O’Reilly sont toujours aussi pertinents de nos jours.

3. Richard Stallman est devenu un atout contestable

Le fondateur de la Free Software Foundation et le moteur derrière la licence GNU GPL, Richard M. Stallman, est une des légendes des logiciels libres et open source. Pendant des années, il a été l’un des plus ardents défenseurs de la liberté du logiciel et la communauté n’existerait probablement pas sans lui.

Ce que ses supporters rechignent à admettre, c’est que la stratégie de Stallman a ses limites. Nombreux sont ceux qui disent que c’est un handicapé social, et que ses arguments se basent sur la sémantique — sur les mots choisis et comment ils influencent le débat.

Cette approche peut être éclairante. Par exemple, lorsque Stallman s’interroge sur l’analogie entre le partage de fichiers et les pillages perpétrés par les pirates, il révèle en fait le parti-pris que l’industrie du disque et du cinéma tente d’imposer.

Mais, malheureusement, c’est à peu près la seule stratégie de Stallman. Il dépasse rarement ce raisonnement qu’il utilise pour fustiger les gens, et il se répète même davantage que des personnes qui passent leur temps à faire des discours. Il est perçu de plus en plus, par une partie de la communauté, comme quelqu’un hors de propos voire même embarrassant. Comme quelqu’un qui fut efficace… mais ne l’est plus. Il semble que la communauté a du mal à admettre l’idée que Stallman a eu un impact certain pendant des années, mais qu’il est moins utile aujourd’hui. Soit il est défendu férocement pour son passé glorieux, soit il est attaqué comme un usurpateur parasite. Je crois que les affirmations concernant ce qu’il a accompli et son manque d’efficacité actuel sont vraies toutes les deux.

4. L’open source n’est pas une méritocratie

L’une des légendes que les développeurs de logiciels libres aiment à se raconter est que la communauté est une méritocratie. Votre statut dans la communauté est censément basé sur vos dernières contributions, que ce soit en code ou en temps.

L’idée d’une méritocratie est très attirante, en cela qu’elle forme l’identité du groupe et assure la motivation. Elle encourage les individus à travailler de longues heures et donne aux membres de la communauté un sentiment d’identification et de supériorité.

Dans sa forme la plus pure, comme par exemple au sein d’un petit projet où les contributeurs ont travaillé ensemble pendant de nombreuses années, la méritocratie peut exister.

Mais le plus souvent, d’autres règles s’appliquent. Dans de nombreux projets, ceux qui se chargent de la documentation ou bien les graphistes sont moins influents que les programmeurs. Bien souvent, vos relations peuvent influencer la validation de votre contribution au moins autant que la qualité de votre travail.

De même, la notoriété est plus susceptible d’influencer les décisions prises que le grade et les (surtout si elles sont récentes) contributions. Des personnes comme Mark Shuttleworth ou des sociétés comme Google peuvent acheter leur influence sur le cours des choses. Des projets communautaires peuvent voir leurs instances dirigeantes dominées par les sponsors privés, comme c’est de fait le cas avec Fedora. Bien que la méritocratie soit l’idéal, ce n’est presque jamais la seule pratique.

5. L’open source est gangrené par un sexisme systémique

Une autre tendance qui plombe l’idéal méritocratique est le sexisme (parfois sour la forme de la misogynie la plus imbécile) que l’on trouve dans quelques recoins de la communauté. Au cours des dernières années, les porte-parole du FOSS ont dénoncé ce sexisme et mis en place des règles officielles pour décourager quelques uns de ses pires aspects, comme le harcèlement pendant les conférences. Mais le problème demeure profondément ancré à d’autres niveaux.

Le nombre de femmes varie selon les projets, mais 15 à 20 pour cent peut être considéré comme un chiffre élevé pour un projet open source. Dans de nombreux cas, ce nombre est en dessous des cinq pour cent, même en comptabilisant les non-programmeurs.

De plus les femmes sont sous-représentées lors des conférences, à l’exception de celles où les femmes sont activement encouragées à faire part de leurs propositions (ces efforts entraînent, inévitablement, leur lot d’accusations quant à des traitements spéciaux et des quotas, quand bien même aucune preuve ne peut être avancée).

La plus grande évidence de sexisme se produit quotidiennement. Par exemple, Slashdot a récemment publié un entretien avec Rikki Ensley, membre de la communauté USENIX. Parmi les premiers commentaires, certains se référaient à une chanson populaire dont le refrain mentionne le prénom Rikki. D’autres discutent de son apparence et lui donnent des conseils pour avoir l’air plus « glamour ».

On assiste à des réactions du même ordre, et bien d’autres pires encore sur de nombreux sites dédiés au monde du libre ou sur IRC, dès qu’une femme apparaît, surtout s’il s’agit d’une nouvelle venue. Voilà qui dément les affirmations d’une communauté qui prétend ne s’intéresser qu’aux seules contributions, ou encore l’illusion que la sous-représentation des femmes serait simplement une question de choix individuels.

6. Microsoft n’est plus l’ennemi irréductible du logiciel libre

Il y a à peine plus d’une dizaine d’années, vous pouviez compter sur Microsoft pour traiter le monde du Logiciel Libre de « communiste » ou « anti-Américain », ou sur leurs intentions parfois divulguées dans la presse de vouloir détruire la communauté.

Une grande partie de la communauté s’accroche encore à ces souvenirs. Après tout, rien ne rassemble plus les gens qu’un ennemi commun, puissant et inépuisable.

Mais ce dont la communauté ne se rend pas compte, c’est que la réaction de Microsoft est devenue plus nuancée, et qu’elle varie d’un service à l’autre au sein de l’entreprise.

Nul doute que les dirigeants de Microsoft continuent de voir le logiciel libre comme un concurrent, bien que les dénonciations hautes en couleur aient cessé.

Cependant, Microsoft a pris conscience que, compte-tenu de la popularité du logiciel libre, les intérêts à court terme de l’entreprise seraient mieux servis si elle s’assurait que les outils libres (en particulier les langages de programmation les plus populaires) fonctionnent correctement avec ses propres produits. C’est d’ailleurs la mission principale du projet Microsoft Open Technologies. Récemment, Microsoft est même allé jusqu’à publier une courte déclaration faisant l’éloge de la dernière version de Samba, qui permet l’administration des serveurs Microsoft depuis Linux et les systèmes Unix (NdT : Voir aussi cette FAQ en français publiée par Microsoft).

Bien sûr, il ne faut pas non plus s’attendre à voir Microsoft devenir une entreprise open source ou faire des dons désintéressés d’argent ou de code à la communauté. Mais, si vous faites abstraction des vieux antagonismes, l’approche égoïste de Microsoft à l’égard du logiciel libre n’est pas très différente de nos jours de celle de Google, HP, ou n’importe quelle autre entreprise.

7. L’innovation des interfaces stagne

En 2012, nombreux furent ceux qui n’ont pas adopté GNOME 3 et Unity, les deux dernières interfaces graphiques majeures. Cet abandon fut largement lié à l’impression que GNOME et Ubuntu ignoraient les préoccupations des utilisateurs et qu’ils imposaient leur propre vision, sans concertation.

À court terme, cela a mené à la résurrection de GNOME 2 sous des formes variées.

En tant que prédécesseur de GNOME 3 et de Unity, GNOME 2 fut un choix évident. C’est une interface populaire qui n’impose que peu de restrictions aux utilisateurs.

Quoi qu’il en soit, cela risque d’être, à long terme, étouffant pour l’innovation. Non seulement parce que le temps passé à ressuciter GNOME 2 n’est pas mis à profit pour explorer de nouvelles voies, mais parce que cela semble être une réaction à l’idée même d’innovation.

Peu sont ceux, par exemple, qui sont prêts à reconnaître que GNOME 3 ou Unity ont des fonctionnalités intéressantes. Au contraire, les deux sont condamnés dans leur ensemble. Et les développements futurs, tels l’intention de GNOME de rendre la sécurisation et la confidentialité plus simples, n’ont pas reçu l’attention qu’ils méritaient.

Au final, au cours des prochaines années, l’innovation en sera probablement réduite à une série de changements ponctuels, avec peu d’efforts pour améliorer l’ergonomie dans son ensemble. Même les développeurs hésiteront à tenter quoi que ce soit de trop différent, afin d’éviter le rejet de leurs projets.

Je me dois d’applaudir le fait que les diverses résurrections de GNOME 2 marquent le triomphe des requêtes des utilisateurs. Mais le conservatisme qui semble accompagner ces aboutissements m’inquiète : j’ai bien peur que cette victoire n’engendre d’autres problèmes tout aussi importants.

8. L’open source est en train de devenir une monoculture

Ses partisans aiment à revendiquer que l’un des avantages du logiciel libre et open source, c’est d’encourager la diversité. À la différence de Windows, les logiciels libres sont supposés être plus accueillants pour les idées nouvelles et moins vulnérables aux virus, la plupart des catégories de logiciels incluant plusieurs applications.

La réalité est quelque peu différente. À la lecture d’une étude utilisateurs vous remarquerez un modèle plutôt constant : une application ou technologie recueille 50 à 65% des votes, et la suivante 15 à 30%.

Par exemple, parmi les distributions, Debian, Linux Mint et Ubuntu, qui utilisent toutes le format de packet en .DEB, recueillent 58% du choix des lecteurs 2012 du Linux Journal, que l’on peut comparer aux 16% recueillis par Fedora, openSUSE, et CentOS, qui utilisent quant à elles le format .RPM.

De même, Virtualbox atteint 56% dans la catégorie « Meilleure solution de virtualisation », et VMWare 18%. Dans la catégorie « Meilleure gestion de versions », Git recueille 56% et Subversion 18%. La catégorie la plus asymétrique est celle des « Suites bureautiques » dans laquelle LibreOffice recueille 73% et (sic) Google Docs 12%.

Il n’y avait que deux exceptions à cette configuration. La première était la catégorie « Meilleur environnement de bureau », dans laquelle la diversification des dernières années était illustrée par les scores de 26% pour KDE, 22% pour GNOME 3, 15% pour GNOME 2 et 12% pour Xfce. La deuxième catégorie était celle de « Meilleur navigateur web »dans laquelle Mozilla Firefox recueillait 50% et Chromium 40%.

De manière générale, les chiffres ne rendent pas compte d’un monopole, mais dans la plupart des catégories, la tendance est là. Au mieux, on pourrait dire que, si la motivation n’est pas le profit, le fait d’être moins populaire n’implique pas que l’application va disparaître. Mais si la concurrence est saine, comme tout le monde aime à le dire, il y a tout de même des raisons de s’inquiéter. Quand on y regarde de près, les logiciels libres sont loin d’être aussi diversifiés que ce que l’on croit.

9. Le logiciel libre est bloqué si près de ses objectifs

En 2004, les logiciels libres et open source en étaient au stade où ils couvraient la plupart des usages de base des utilisateurs : envoi de courriels, navigation sur internet et la plupart des activités productives sur ordinateur. En dehors des espoirs de disposer un jour d’un BIOS libre, il ne manquait plus que les pilotes pour les imprimantes 3D et les cartes WiFi pour atteindre l’utopie d’un système informatique entièrement libre et open source.

Neuf ans plus tard, de nombreux pilotes libres de carte WiFi et quelques pilotes libres de cartes graphiques sont disponibles – mais nous sommes loin du compte. Pourtant la Free Software Foundation ne mentionne que rarement ce qui reste à faire, et la Linux Foundation ne le fait pratiquement jamais, alors même qu’elle sponsorise l’OpenPrinting database, qui liste les imprimantes ayant des pilotes libres. Si l’on combinait les ressources des utilisateurs de Linux en entreprise, on pourrait atteindre ces objectifs en quelques mois, pourtant personne n’en fait une priorité.

Admettons que certaines entreprises se préoccupent de leur soi-disant propriété intellectuelle sur le matériel qu’elles fabriquent. Il est possible également que personne ne veuille courir le risque de fâcher leurs partenaires commerciaux en pratiquant la rétroingénierie. Pourtant, on a bien l’impression que l’état actuel de statu quo persiste parce que c’est déjà bien assez, et que trop peu de personnes ont à cœur d’atteindre des objectifs dont des milliers ont fait le travail de leur vie.

Des discussions, non des disputes

Certains ont peut-être déjà conscience de ces sujets tabous. Cependant, il est probable que chacun trouvera dans cette liste au moins un sujet pour se mettre en rogne.

Par ailleurs, mon intention n’est pas de mettre en place neuf aimants à trolls. Même si je le voulais, je n’en aurais pas le temps.

Ces lignes sont plutôt le résultat de mes efforts pour identifier en quoi des évidences largement admises dans la communauté devraient être remises en question. Je peux me tromper. Après tout, je parle de ce que j’ai pris pour habitude de penser, moi aussi. Mais au pire, cette liste est un bon début.

Si vous pensez qu’il y a d’autres sujets tabous à aborder et à reconsidérer au sein de la communauté des logiciels libres et open source, laissez un commentaire. Cela m’intéresse de voir ce que je pourrais avoir oublié.

Crédit photo : Laëtitia Dulac (Creative Commons By)




Apprenez de vos utilisateurs (Libres conseils 21/42)

21/42 ! Tiens, nous voilà déjà à mi-chemin de la traduction d’Open Advice.

Deux ou trois articles petits ou grands chaque jeudi, traduits en un temps record par une bande de furieux, ceux qui sont là depuis le début et ceux qui débarquent et demandent s’ils peuvent participer, ceux qui travaillent d’arrache-clavier et ceux qui en profitent pour déconner échanger des propos sur le chat du pad, ceux qui choisissent un pseudo et ceux qui restent anonymous, ceux qui négligent tranquillement l’orthographe et les grammar nazis qui rectifient, ceux qui traduisent avec Google translate et ceux qui se battraient pour une majuscule à Libre… on rencontre tout un peuple là, et jusqu’à présent tout se passe dans l’enthousiasme et la bonne humeur, l’échange et l’entraide devant un passage un peu ardu sur lequel on s’amuse à chinoiser…

Mais cette fois-ci c’est l’auteur de l’article lui-même qui nous a fait le plaisir de nous rejoindre pour contribuer à la traduction, ce qui est tout de même assez confortable. Merci Guillaume !

Malgré nos relectures croisées, nul doute que des coquilles auront échappé à notre vigilance et que nous trouverons des lecteurs pour les signaler, ce qui nous est précieux car la révision avant l’édition du framabook en sera d’autant facilitée.

D’ici là, en avant pour la deuxième moitié : chaque jeudi à 21h, rendez-vous sur le framapad de traduction, le travail collaboratif sera ensuite publié ici même.

Traduction Framalang : Nyx, Sphinx, peupleLà, Kalupa, Guillaume Paumier, Husi10, lenod, Sky, Julius22, Alpha, RavageJo, KoS, Sputnik, goofy, lamessen

Apprenez de vos utilisateurs

Guillaume Paumier

Guillaume Paumier est photographe et physicien, il habite à Toulouse. Wikipédien depuis longtemps, il travaille actuellement pour la Wikimedia Foundation, l’organisation à but non lucratif qui héberge Wikipédia. En tant que responsable de l’ergonomie multimédia, il a notamment étudié le comportement des utilisateurs afin de créer un nouveau système d’import de fichiers pour Wikimedia Commons, la médiathèque libre associée à Wikipédia.

Vous connaissez Wikipédia, l’encyclopédie libre et gratuite que tout le monde peut modifier ? Elle a été créée en 2001 et a récemment fêté son dixième anniversaire. Bien qu’elle soit l’un des dix sites les plus visités au monde, son interface reste très « 1.0 » quand on la compare aux possibilités qu’offrent les technologies web modernes. Certains peuvent trouver ça bien : Wikipédia est un « truc sérieux » et les utilisateurs n’ont pas à être distraits par des « paillettes » dans l’interface. Pourtant, si Wikipédia a eu du mal à recruter de nouveaux contributeurs ces dernières années, c’est en partie à cause de son interface que certains considèrent comme archaïque. Ceci explique peut-être pourquoi les enquêtes sur les participants à Wikipédia ont montré à maintes reprises qu’il s’agit principalement d’une population d’hommes jeunes, attirés par la technologie, la plupart ayant une formation en informatique et en ingénierie. En dehors du fait que la connaissance libre et les licences libres sont issues du terreau fertile du logiciel libre et open source, l’interface compliquée a découragé beaucoup de contributeurs éventuels.

En 2011, alors que la majorité des plates-formes de publication collaboratives en ligne (comme WordPress, Etherpad et Google Documents) offrent un éditeur graphique, même rudimentaire, Wikipédia utilise toujours, par défaut, un ancien éditeur de texte wiki qui utilise des guillemets (“”) et des crochets ([[]]) pour la mise en forme. Des efforts sont en cours afin de passer à un éditeur graphique par défaut en 2012, mais ce n’est pas un défi facile à relever.

Mais laissons l’éditeur de côté un moment. L’interface de Wikipédia demeure assez compliquée. Et de nombreuses fonctionnalités utiles sont difficiles à découvrir. Savez-vous que Wikipédia possède un système de contrôle de versions intégré ? Et que vous pouvez voir toutes les anciennes versions d’une page ? Savez-vous que vous pouvez voir la liste de toutes les modifications effectuées par un contributeur ? Savez-vous que vous pouvez créer un lien vers une version donnée d’une page ? Savez-vous que vous pouvez exporter une page en PDF ? Savez-vous que vous pouvez créer un vrai livre personnalisé à partir du contenu de Wikipédia ? Et que vous pouvez le faire livrer chez vous ?

Le modèle d’implémentation

La plupart des lecteurs de Wikipédia y arrivent via des moteurs de recherche. Les statistiques montrent qu’ils passent peu de temps sur Wikipédia une fois qu’ils ont trouvé l’information qu’ils cherchaient. Un petit nombre seulement s’attarde et explore les outils que propose l’interface. Par exemple, on critique régulièrement Wikipédia sur sa qualité et sur sa fiabilité. Nombre de ces outils rarement explorés et presque cachés pourraient s’avérer bien utiles aux lecteurs pour les aider à vérifier la fiabilité de l’information, telles que les « pages de discussion » qui témoignent des discussions (passées et en cours) entre les différents contributeurs de chaque article ayant abouti à son contenu actuel.

Wikipédia et ses projets frères (tels que Wikisource et Wikimedia Commons) sont propulsés par le moteur de wiki MediaWiki — et sont soutenus par la Wikimedia Foundation ; rien que ces noms, dans leur confusion, sont un péché contre l’ergonomie. Pendant longtemps, le développement de MediaWiki a été conduit par des développeurs de logiciels. La communauté MediaWiki est forte de nombreux développeurs ; à vrai dire, la communauté est presque exclusivement composée de développeurs. Ce n’est que récemment que des designers ont rejoint la communauté, et ils ont été recrutés par la Wikimedia Foundation pour ce rôle. Il n’y a quasiment aucun designer bénévole dans la communauté. De ce fait, l’application a été construite et « maquettée » exclusivement par des développeurs. Par conséquent, la forme de l’interface a naturellement suivi de très près le « modèle d’implémentation », c’est-à-dire la manière dont le logiciel est implémenté dans le code et les structures de données. Le modèle d’implémentation ne correspond que rarement au « modèle utilisateur », c’est-à-dire à la manière dont l’utilisateur imagine que le logiciel fonctionne.

Il serait injuste de dire que les développeurs ne se soucient pas des utilisateurs. Quand on crée un logiciel, le but — outre le plaisir d’apprendre des choses, d’écrire du code et de résoudre des problèmes — c’est de le publier afin qu’il puisse être utilisé. Ceci est particulièrement vrai dans le monde du logiciel libre et open source, où la plupart des développeurs donnent bénévolement de leur temps et de leurs connaissances. On pourrait avancer que les développeurs sont, de fait, des utilisateurs de leurs propres produits, notamment dans le monde du logiciel libre et open source. Après tout, ils les ont créés ou ont rejoint leurs équipes pour une bonne raison, et c’est rarement l’argent. Par conséquent, les développeurs de ce type de logiciels devraient être dans une position idéale pour savoir ce que veulent leurs utilisateurs.

Mais soyons honnêtes : si vous êtes en train de lire ceci, c’est que vous n’êtes pas votre utilisateur lambda.

Le point de vue du développeur

Si vous êtes développeur, il vous est particulièrement difficile de vous mettre à la place de l’utilisateur. Tout d’abord, votre connaissance du code et de l’implémentation du logiciel vous force à observer ses fonctionnalités et son interface à travers un prisme très particulier. Vous connaissez chacune des fonctionnalités de l’application que vous avez créée. Vous savez où trouver chaque menu. Si quelque chose paraît légèrement bizarre dans l’interface, il est possible que vous l’ignoriez sans le vouloir, parce que vous savez inconsciemment que c’est lié à la façon dont la fonctionnalité est implémentée.

Imaginons que vous soyez en train de créer une application qui enregistre des données sous forme de tableau (par exemple, dans une base de données). Quand vous devrez ensuite afficher ces données pour les montrer à l’utilisateur, il est très probable que vous les représentiez comme un tableau, car c’est la façon dont vous avez implémenté leur stockage. Il vous paraîtra logique d’afficher les données dans un format qui est cohérent avec le format de stockage. Vous aurez probablement le même réflexe pour tout autre type de structure de données séquentielles : vous aurez tendance à l’afficher sous forme de séquence dans l’interface, peut-être comme une liste. Et pourtant, un autre format d’affichage aurait peut-être été plus pertinent et facile d’utilisation pour les utilisateurs, par exemple sous forme d’une série de phrases, d’un graphique ou d’une autre représentation visuelle.

Un autre défi est votre niveau d’expertise. Comme vous souhaitez que votre application soit extraordinaire, vous allez probablement vous documenter sur le sujet pour la concevoir. En fin de compte, vous n’allez pas seulement connaître votre application sur le bout des doigts, vous allez également devenir un expert dans le domaine lui-même. Un grand nombre de vos utilisateurs n’auront pas ce niveau d’expertise — ou n’en auront pas besoin. Ils pourraient être perdus par le niveau de détail de certaines fonctionnalités ou ne pas être familiers avec des termes inconnus des profanes.

Alors, que pouvez-vous faire pour arranger cela ?

Observez les utilisateurs. Vraiment

Observer les utilisateurs à l’œuvre avec votre application est une expérience réellement révélatrice.

Bon, pour observer comment les gens utilisent votre application, vous pouvez faire appel à une société de conseil en ergonomie ; cette société va alors recruter des volontaires avec des profils différents au sein d’un vivier de plusieurs milliers de testeurs, elle va mettre au point une grille d’entretien, louer une salle dédiée aux tests d’ergonomie qui comprendra un dispositif pour enregistrer ce qui se passe sur l’écran et une caméra pointée vers le testeur, et vous serez derrière une vitre sans tain, dans une salle d’observation, à vous taper la tête contre les murs et à jurer à chaque fois que l’utilisateur fait quelque chose qui, selon vous, n’a aucun sens. Si vous avez les moyens de le faire, alors n’hésitez pas, foncez. Ce que vous y apprendrez vous permettra de complètement changer votre point de vue. Si vous n’avez pas les moyens de recourir à une procédure de test professionnelle, tout n’est pas perdu ; vous allez juste devoir le faire par vous-même. Asseyez-vous derrière un utilisateur pendant qu’il vous montre comment il effectue ses tâches et les intègre à son mode de travail. Soyez un observateur silencieux : votre but est d’observer et de noter tout ce qui se passe. Beaucoup de choses vont vous surprendre. Une fois que l’utilisateur a terminé, vous pouvez relire vos notes et lui poser des questions afin de mieux comprendre comment il fonctionne.

Pour vous aider à conduire ces tests vous-même, il existe d’excellents ouvrages comme Don’t Make Me Think: A Common Sense Approach to Web Usability [NdT: Traduit en français : Je ne veux pas chercher: Optimisez la navigation de vos sites et menez vos internautes à bon port], écrit par Steve Krug, About Face 3: The Essentials of Interaction Design, d’Alan Cooper, Robert Reimann et David Cronin, et le projet OpenUsability. Être observé peut être un peu intimidant pour les utilisateurs, mais je parie qu’ils seront nombreux à se porter volontaires pour vous aider à améliorer votre application. Les utilisateurs qui ne peuvent pas contribuer au code sont généralement heureux de trouver d’autres façons de contribuer au logiciel libre : vous montrer comment ils utilisent le logiciel est une manière simple de le faire. Les utilisateurs sont reconnaissants du temps que vous avez donné pour développer le logiciel et veulent vous rendre la pareille.

Vous devrez garder un esprit critique et ne pas forcément accepter toutes les modifications demandées par vos utilisateurs. Écoutez attentivement leurs histoires : elles vous donneront l’occasion d’identifier des problèmes. Mais ce n’est pas parce qu’un utilisateur réclame une fonctionnalité qu’il en a absolument besoin ; peut-être que le meilleur moyen de résoudre le problème sous-jacent est de mettre en place une fonctionnalité complètement différente. Gardez du recul par rapport aux commentaires de vos utilisateurs. Mais cela, vous le saviez probablement déjà.

Et au passage, ne faites pas non plus appel à votre famille.

Je ne dis pas ça méchamment, je suis sûr que vos parents, frères et sœurs sont des gens très bien. Mais si vous créez une application comptable et que votre sœur n’a jamais tenu la moindre comptabilité, elle sera sans doute perdue. Vous perdrez plus de temps à lui expliquer ce qu’est la comptabilité en partie double qu’à tester votre logiciel. Par contre, votre mère, qui s’est acheté un appareil photo numérique l’année dernière, pourrait être un cobaye idéal si vous travaillez sur une application de gestion de photos numériques ou d’envoi sur un site de partage en ligne populaire. Pour votre application de comptabilité, il vaut mieux demander à l’un de vos collègues ou amis qui a déjà quelques notions de comptabilité.

Variez vos cobayes

Pour des raisons qui resteront éternellement mystérieuses, les gens trouveront toujours d’innombrables façons d’utiliser et de maltraiter votre application. Ils trouveront des manières de la casser que vous n’auriez même pas imaginées dans vos pires cauchemars. Certains mettront en place des processus et des méthodes de travail avec votre application qui n’ont absolument aucun sens à vos yeux. Et, de désespoir, vous vous cognerez la tête contre les murs. D’autres utiliseront votre application avec tellement d’intelligence que vous vous en sentirez idiot. Essayez de rencontrer des gens qui utilisent votre application avec des objectifs différents.

Les utilisateurs sont de drôles d’oiseaux. Mais ils sont de votre côté. Apprenez d’eux.

Si vous ne retenez rien d’autre…

… alors retenez ceci :

  • Vous serez tenté de modeler l’apparence et le comportement de votre interface sur la façon dont le logiciel fonctionne en coulisses. Vos utilisateurs peuvent vous aider à éviter ce piège.
  • Les utilisateurs sont des oiseaux capricieux. Ils vont casser, maltraiter et optimiser votre application à un point que vous ne pouvez pas même pas imaginer.
  • Apprenez de vos utilisateurs. Améliorez votre application en fonction de ce que vous avez appris. Vous avez tout à y gagner.



Protéger le secteur du logiciel des brevets, par Richard Stallman

En novembre dernier, Richard Stallman faisait paraître dans le magazine Wired un article important sur l’épineuse et dangereuse question des brevets logiciels (ou plutôt « brevets sur des idées informatiques » comme nous le verrons ci-après).

Un article que nous nous sommes empressés de traduire via notre circuit, désormais classique, compte Twitter + Framapad, et qui a été relu et corrigé par la liste « trad-gnu » de l’April.

OpenSourceWay - CC by-sa

Protéger le secteur du logiciel des brevets

Giving the Software Field Protection from Patents

Richard Stallman – version du 02 février 2013 – Gnu.org (CC BY-ND)
(Traduction Framalang : satbadkd, Thérèse, DarthMickey, geecko, Marc, igor, EEva, greygjhart)

Une première version de cet article a été publiée sur Wired en novembre 2012.

Les brevets menacent chaque concepteur de logiciel, et les guerres de brevet que nous avons longtemps craintes ont éclaté. Les développeurs et les utilisateurs – soit, dans notre société, la plupart des gens – ont besoin de logiciels libres de tout brevet.

Les brevets qui nous menacent sont souvent appelés « brevets logiciels », mais ce terme est trompeur. Ces brevets ne concernent aucun programme en particulier. En fait, chaque brevet décrit une idée applicable en pratique, et affirme que quiconque utilise cette idée peut être poursuivi en justice. Il est donc plus clair de les appeler « brevets sur des idées informatiques », ou « brevets sur des algorithmes ».

Le système de brevets américain ne différencie pas les « brevets logiciels » des autres. Seuls les développeurs font la distinction entre les brevets qui nous menacent – ceux qui concernent des idées pouvant être implémentées dans des logiciels – et les autres. Par exemple : si l’idée brevetée est la forme d’une structure physique ou une réaction chimique, aucun programme ne peut implémenter cette idée ; ce brevet ne menace pas le secteur du logiciel. Si par contre l’idée qui est brevetée est un algorithme, alors le canon de ce brevet est braqué sur les développeurs et les utilisateurs.

Cela ne veut pas dire que les brevets couvrant des algorithmes concernent seulement les logiciels. Ces idées peuvent être aussi implémentées dans du matériel… et beaucoup d’entre elles l’ont été. Chaque brevet couvre typiquement les implémentations matérielles et logicielles de l’idée.

Le problème particulier du logiciel

Toujours est-il que c’est dans le domaine du logiciel que les brevets sur des algorithmes posent un problème particulier. Il est facile de combiner des milliers d’idées dans un seul programme. Si 10% de ces idées sont brevetées, cela signifie que des centaines de brevets le menacent.

Quand Dan Ravicher, de la Public Patent Foundation (Fondation publique des brevets) a étudié en 2004 un programme de taille importante (Linux, qui est le noyau du système d’exploitation GNU/Linux), il a trouvé 283 brevets américains qui semblaient couvrir des algorithmes implémentés dans son code source. Cette année-là, on estimait la part de Linux dans le système GNU/Linux complet à 0,25%. En multipliant 300 par 400, on peut estimer que le nombre de brevets qui menacent le système dans son ensemble est de l’ordre de 100 000.

Si la moitié de ces brevets était supprimée pour cause de « mauvaise qualité » – c’est-à-dire pour cause de ratés du système de brevets – cela ne changerait pas grand chose. Que ce soit 100 000 ou 50 000 brevets, la catastrophe est la même. C’est pourquoi c’est une erreur de limiter nos critiques des brevets logiciels aux seuls patent trolls ou aux brevets de « mauvaise qualité ». En ce sens Apple, qui n’est pas un « troll » selon la définition habituelle, est actuellement l’entreprise la plus dangereuse quand elle se sert de ses brevets pour attaquer les autres. Je ne sais pas si les brevets d’Apple sont de « bonne qualité », mais plus la « qualité » du brevet est élevée, plus la menace est grande.

Nous devons corriger l’ensemble du problème, pas seulement une partie.

Pour corriger le problème sur le plan législatif, on suggère habituellement de changer les critères d’octroi des brevets – par exemple, d’interdire la délivrance de brevets sur les pratiques algorithmiques et les systèmes nécessaires à leur mise en œuvre. Mais cette approche a deux inconvénients.

Premièrement, les avocats reformulent les brevets de manière astucieuse pour qu’ils correspondent à toute règle applicable ; ils transforment toute tentative de limiter un brevet sur le fond en une simple exigence de forme. Par exemple, de nombreux brevets américains sur des algorithmes décrivent un système qui comprend une unité de traitement arithmétique, un séquenceur d’instruction, une mémoire ainsi que des contrôles pour mener à bien un calcul précis. C’est une manière assez particulière de décrire un programme tournant sur un ordinateur pour effectuer un certain calcul ; elle a été élaborée pour que la demande de brevet se conforme aux critères que, pendant quelques temps, l’on a cru être ceux du système américain de brevets.

Deuxièmement, les États-Unis ont déjà plusieurs milliers de brevets sur des algorithmes, et changer les critères pour empêcher d’en créer d’autres ne permettrait pas de se débarrasser de ceux qui existent. Il faudrait attendre pratiquement 20 ans avant que le problème ne soit entièrement résolu du fait de l’expiration des brevets. Et abolir les brevets existants par la loi est probablement anticonstitutionnel (de manière assez perverse, la Cour suprême a insisté pour que le Congrès puisse étendre les privilèges privés au détriment des droits du public mais ne puisse pas aller dans l’autre direction).

Une approche différente : limiter l’effet des brevets, pas la brevetabilité

Ma proposition est de changer l‘effet des brevets. Il faut inscrire dans la loi que développer, distribuer ou exécuter un programme sur des systèmes informatiques polyvalents ne constitue pas une violation de brevet. Cette approche a plusieurs avantages :

  • elle n’impose pas de classer les brevets selon qu’ils sont logiciels ou non ;
  • elle apporte aux développeurs ainsi qu’aux utilisateurs une protection contre les brevets sur des algorithmes, existants ou futurs ;
  • les avocats spécialistes des brevets ne peuvent plus trouver d’échappatoire en changeant la formulation de leurs demandes.

Cette approche n’invalide pas entièrement les brevets existants sur des algorithmes, parce qu’ils continueront à s’appliquer aux implémentations utilisant du matériel dédié. C’est un avantage dans le sens que cela supprime un argument mettant en question la validité de cette proposition du point de vue législatif. Les États-Unis ont légiféré il y a quelques années afin d’immuniser les chirurgiens contre les procès en contrefaçon de brevet, de sorte que même si des procédures chirurgicales sont brevetées, les chirurgiens sont protégés. Cela fournit un précédent pour ce type de solution.

Les développeurs et les utilisateurs de logiciels ont besoin de protection contre les brevets. Cette proposition est la seule solution législative qui apporte une protection totale à tous. Nous pourrions ensuite retourner à notre monde de concurrence ou de coopération… sans craindre qu’un inconnu ne vienne balayer notre travail.

Voir également : Une réforme des brevets n’est pas suffisante

Crédit photo : OpenSourceWay (Creative Commons By-Sa)




Apprendre à déléguer (Libres conseils 19/42)

Chaque jeudi à 21h, rendez-vous sur le framapad de traduction, le travail collaboratif sera ensuite publié ici même.

Traduction Framalang : Nyx, lamessen, Sphinx, peupleLà, lerouge, Sky, Julius22, Astalaseven, Alpha, HgO, michel, Sputnik, goofy, HanX, KoS

Ne vous inquiétez pas, faites confiance

Shaun McCance

Shaun McCance est impliqué dans la documentation de GNOME depuis 2003 en tant que rédacteur, chef de la communauté et développeur d’outils. Il a passé la plupart de ce temps à se demander comment inciter davantage de personnes à écrire une documentation de meilleure qualité, avec un certain succès à long terme. Il propose son expérience de la documentation communautaire à travers sa société de conseil, Syllogist.

Alors que je m’apprêtais à écrire cet article, il s’est passé quelque chose d’énorme : GNOME 3 est sorti. C’était la première version majeure de GNOME depuis neuf ans. Tout était différent et toute la documentation existante devait être réécrite. Au même moment, nous changions notre façon de l’écrire. Nous avions jeté nos vieux manuels et étions repartis sur une nouvelle base, avec un système d’aide dynamique par sujet, en utilisant Mallard.

Quelques semaines avant la sortie, une partie d’entre nous s’est réunie pour élaborer la documentation. Nous passions nos journées à travailler, à planifier, à écrire et à réviser. Nous avons écrit des centaines de pages malgré les changements incessants liés aux ultimes modifications du logiciel. Nous avions des contributeurs en ligne qui proposaient de nouvelles pages et corrigeaient ce qui existait déjà. Je n’avais jamais vu notre équipe de documentation aussi productive.

À quoi avons-nous finalement abouti ? Beaucoup de facteurs sont entrés en jeu, et je pourrais écrire un livre entier sur les nuances de la documentation open source. Mais ce que j’ai fait de plus important a été de m’effacer et de laisser les autres faire le travail. J’ai appris à déléguer ; et à déléguer dans les règles de l’art.

Revenons huit ans en arrière. J’ai commencé à m’impliquer dans la documentation de GNOME en 2003. Je n’avais pas vraiment d’expérience en tant que rédacteur technique à cette époque. Mon emploi m’amenait à travailler sur des outils de publication et j’ai commencé à travailler sur les outils et sur le visualiseur d’aide utilisés par la documentation de GNOME. Peu de temps après, je me suis retrouvé à la rédaction de la documentation.

En ce temps-là, la majeure partie de notre documentation était entre les mains de rédacteurs techniques professionnels de chez Sun. Ils s’occupaient d’un manuel, l’écrivaient, le relisaient et l’envoyaient sur notre dépôt CVS. Après quoi nous pouvions tous le regarder, y apprendre quelque chose et lui apporter des corrections. Mais il n’existait pas d’efforts concertés pour impliquer les gens dans le processus d’écriture.

Ce n’est pas que les rédacteurs de Sun essayaient de protéger ou de cacher quoi que ce soit. Ils étaient avant tout rédacteurs techniques. Ils connaissaient leur travail et le faisaient bien. D’autres personnes auraient pu les remplacer pour d’autres manuels mais ils auraient écrit leurs travaux d’une manière habituelle. Utiliser un groupe de collaborateurs novices, aussi enthousiastes soient-ils, pour chaque page, revient à perdre un temps inimaginable sur des détails. C’est tout simplement contre-productif.

De manière inévitable, le vent a tourné chez Sun et leurs rédacteurs techniques ont été affectés à d’autres projets. Cela nous a laissés sans nos rédacteurs les plus prolifiques, ceux qui disposaient des meilleures connaissances. Pire que cela, nous étions laissés sans communauté et personne n’était là pour ramasser les morceaux.

Il y a des idées et des processus standards dans le monde de l’entreprise. J’ai travaillé dans le monde de l’entreprise. Je ne crois pas que quiconque remette ces idées en cause. Les gens font leur travail. Ils choisissent des missions et les terminent. Ils demandent aux autres de faire une relecture, mais ils n’ouvrent pas leur travail aux nouveaux venus et aux rédacteurs moins expérimentés. Les meilleurs rédacteurs écriront sans doute le plus.

Ces idées sont d’une plate évidence, mais elles échouent lamentablement dans un projet communautaire. Vous ne développerez jamais une communauté de contributeurs si vous faites tout vous-même. Dans un projet de logiciel, vous pouvez avoir des contributeurs compétents et suffisamment impliqués pour contribuer régulièrement. Dans la documentation, cela n’arrive presque jamais.

La plupart des gens qui s’essayent à la documentation ne le font pas parce qu’ils veulent être rédacteur technique ni même parce qu’ils aiment écrire. Ils le font parce qu’ils veulent contribuer. Et la documentation est la seule manière qu’ils trouvent accessible. Ils ne savent pas coder. Ils ne sont artistiquement pas doués. Ils ne maîtrisent pas assez une autre langue pour faire de la traduction. Mais ils savent écrire.

C’est là que les rédacteurs professionnels lèvent les yeux au ciel. Le fait que vous soyez instruit ne signifie pas que vous puissiez écrire une bonne documentation pour l’utilisateur. Il ne s’agit pas simplement de poser des mots sur le papier. Vous devez comprendre vos utilisateurs, ce qu’ils savent, ce qu’ils veulent, les endroits où ils cherchent. Vous avez besoin de savoir comment présenter l’information de façon compréhensible et savoir où la mettre pour qu’ils puissent la trouver.

Les rédacteurs techniques vous diront que la rédaction technique n’est pas à la portée de tous. Ils ont raison. Et c’est exactement pourquoi la chose la plus importante que les rédacteurs professionnels puissent faire pour la communauté est de ne pas écrire.

La clé pour construire une communauté efficace autour de la documentation, c’est de laisser les autres prendre les décisions, faire le travail et en récolter eux-mêmes les fruits. Il ne suffit pas de leur donner du travail en continu. La seule solution pour qu’ils s’intéressent suffisamment et s’accrochent au projet, c’est qu’ils se sentent investis personnellement. Le sentiment de faire partie intégrante d’un projet est une source puissante de motivation.

Mais si vous ne travaillez qu’avec des rédacteurs débutants et que vous leur donnez tout le travail à faire, comment pouvez-vous avoir l’assurance que la documentation ainsi créée sera de qualité ? Une participation massive mais incontrôlée n’aboutit pas à de bons résultats. Le rôle d’un rédacteur expérimenté au sein de la communauté est d’être un professeur et un mentor. Vous devez leur apprendre comment rédiger.

Commencez par impliquer les gens tôt dans le planning. Planifiez toujours du bas vers le haut. La planification du haut vers le bas n’incite pas à la collaboration. Il est difficile d’impliquer les gens dans la réalisation d’une vue d’ensemble de haut niveau si tous n’ont pas la même perception de cette vue d’ensemble. Mais les gens sont capables de travailler sur des segments. Ils peuvent réfléchir à des sujets particuliers d’écriture, à des tâches que les gens réalisent, à des questions que les gens peuvent se poser. Ils peuvent regarder les forums de discussion et les listes de diffusion afin de voir ce que les utilisateurs demandent.

Écrivez vous-même quelques pages. Cela donne un exemple à imiter. Il faut ensuite répartir tout le reste du travail. Laissez à d’autres la responsabilité de rubriques ou de chapitres entiers. Précisez-leur clairement quelles informations ils doivent fournir, mais laissez-les écrire. C’est en forgeant qu’on devient forgeron.

Soyez constamment disponible pour les aider ou répondre aux questions. Au moins la moitié de mon temps consacré à la documentation est passée à répondre à des questions afin que les autres puissent effectuer leur travail. Quand des brouillons sont soumis, relisez-les et discutez des critiques et des corrections avec leurs auteurs. Ne vous contentez pas de corriger vous-même.

Cela vous laisse tout de même le gros du travail à faire. Les gens complètent les pièces du puzzle, mais c’est toujours vous qui les assemblez. Au fur et à mesure qu’ils acquièrent de l’expérience, les gens s’occuperont de pièces de plus en plus grandes. Encouragez-les à s’impliquer davantage. Donnez-leur davantage de travail. Faites en sorte qu’ils vous aident à aider plus de rédacteurs. La communauté fonctionnera toute seule.

Huit ans plus tard, GNOME a réussi à créer une équipe de documentation qui se gère elle-même, résout les problèmes, prend des décisions, produit une bonne documentation et accueille constamment de nouveaux contributeurs. N’importe qui peut la rejoindre et y jouer un rôle. Telle est la clé du succès pour une communauté open source.