Apprendre le Web avec Mozilla webmaker (1)

Vite fait, vite lu : ce qui fait la force du Web ouvert, c’est que n’importe qui peut en être un maillon et le construire. Mozilla Webmaker est un ensemble d’outils ludo-éducatifs qui permettent à chacun de comprendre et de modeler le Web.

Le Web permet à chacun d’entre nous d’essayer de nouvelles idées et de les offrir au monde entier, sans avoir à demander la permission à une quelconque autorité. Le rythme rapide de l’innovation nous montre de quoi l’humanité est capable quand de puissants outils sont offerts également à tous.

Mitchell Baker, présidente de la Mozilla Foundation

Chacun doit avoir la possibilité de façonner Internet et son utilisation d’Internet.

principe N°5 du Manifeste de Mozilla

Tout à fait en phase avec ces principes nobles mais certes un peu nébuleux, Mozilla a pris depuis plusieurs années des initiatives concrètes pour amener le plus grand nombre de ses utilisateurs à une meilleure connaissance de ce qu’est le Web. Voici des outils pour apprendre et enseigner.

Utilisez-les, bidouillez-les, inventez-en d’autres !

Pourquoi éduquer au Web

Une génération sans autre proposition que la consommation ?

Il y a presque 30 ans le plan informatique pour tous, malgré tous les défauts et limites matérielles qui devaient conduire à son abandon, a eu le mérite de mettre une génération d’enfants devant des ordinateurs sur lesquels ils s’initiaient à la programmation : dès l’école primaire on apprenait à piloter une « tortue » en logo, puis au collège on s’initiait aux rudiments du BASIC.

On peut penser raisonnablement qu’un petit nombre des enfants d’alors y ont pris goût et sont devenus depuis des acteurs de l’industrie numérique. Et que dire des gamins pour lesquels les portes du Centre international de l’informatique étaient ouvertes dès 1981 ?

Aujourd’hui, quelle occasion ont les enfants et adolescents de mettre les doigts dans le code, de concevoir un contenu pour le Web, d’être autonomes dans leurs usages d’Internet ? Ce n’est maintenant pas avant la classe de terminale scientifique qu’il s’agit d’apprendre à programmer, encore est-ce très clairement lié aux activités mathématiques et scientifiques.

Rien ne leur est proposé pour créer sur le Web, rien ne leur est proposé d’autre que de consommer des contenus dès l’âge tendre. Comment pourraient-ils devenir de utilisateurs conscients et compétents du Web ?

…et tous les autres utilisateurs ?

Aujourd’hui les jeunes ne sont pas les seuls à être privés d’éducation au Web. Que dire de tous ceux qui en maîtrisent à peine l’usage minimum ? De tous les milieux et de tous les âges, y compris dans les métiers dits intellectuels qu’on pourrait croire mieux informés, nombreux sont ceux autour de nous qui confondent un navigateur et un moteur de recherche, qui pensent être protégés de tout par un antivirus et qui ignorent jusqu’à l’existence d’un truc qu’on appelle les logiciels libres.

L’enjeu ?

— C’est la plasticité d’un Web libre et ouvert et sa maîtrise par des utilisateurs conscients. C’est la possibilité pour chacun de comprendre ce qui se passe dans les coulisses d’un site ou d’un service en ligne, d’être conscient des risques de la surveillance généralisée et de la marchandisation de nos profils. C’est la possibilité pour chacun d’être un acteur du Web et d’en tirer le meilleur parti sur tous les plans.

Oui d’accord, j’arrête avec les idéaux, voyons un peu ce que propose Mozilla.

Des outils ludiques pour apprendre

Les lunettes déshabillantes du HTML

Quand j’étais gosse (c’était au millénaire précédent), on pouvait voir dans les magazines des publicités pour un gadget qui ne manquait pas de nous faire fantasmer : des lunettes à rayons X, qui étaient supposées dévoiler des silhouettes sous les vêtements. Je n’ai jamais su si ces promesses alléchantes avaient un quelconque fondement. En revanche, la supervision de Superman, qui ne me faisait guère fantasmer, semble s’être réalisée avec les X-Ray Goggles de Webmaker. Il s’agit ni plus ni moins que de révéler le code source et donc d’apprendre le nom des éléments, attributs et autres balises HTML en se promenant sur la page web, une fois activées les « lunettes ».

Il s’agit d’un script qu’on dépose sur la barre d’outils comme un simple bookmarklet (tiens, pourquoi avait-on perdu de vue les bien pratiques bookmarklets ?). Pour l’utilisateur c’est simplissime et presque amusant. Pour moi le vieux pervers c’est comme si je pouvais regarder sous les jupes… de la page. Mais voici quelques captures d’écran qui vaudront mieux qu’une trop longue description :

Première étape : faire glisser le bookmarklet sur la barre d’outils de son choix

Sur une page qu’on aime bien (celle de connard.pro par exemple) il suffit de survoler et les éléments ou attributs HTML se mettent en couleurs et sont identifiés.

TOUT est désormais modifiable sur la page : textes, images, balises… ici j’augmente l’interligne et j’ajoute des italiques.

…et le plus chouette (mot qui voulait dire trop cool autrefois) c’est que je peux publier le résultat remixé par mes soins et communiquer fièrement l’adresse aux victimes du bidouillage.

Allez vous aussi vous amuser avec les lunettes à rayons X, c’est ici https://goggles.webmaker.org/fr et c’est en français grâce aux contributeurs de MozFr (oui c’est imprononçable, et alors ?)

— Au fait, si vous voulez passer à l’étape supérieure, vu que vous êtes « pro » et que vous regardez tout cela avec un sourire condescendant, essayez donc l’inspecteur (Ctrl+Maj+C) parmi les nombreux outils de développement web inclus dans Firefox (what else ?)

À suivre ! -> la semaine prochaine : Thimble, l’éditeur HTML interactif qui poutre.




Le web a 25 ans ! Tim Berners-Lee en appelle à une charte de l’Internet

« Le 12 mars 1989, Tim Berners-Lee propose un projet pour en finir avec certaines problématiques rencontrées lors du partage des informations au CERN (Centre européen pour la recherche nucléaire). Sa proposition table sur la mise en place d’un système distribué s’appuyant largement sur les liens hypertexte. Comme on le sait, le principe a rencontré un succès tel qu’il a été généralisé les années suivantes pour toute sorte d’informations publiques. Le web était né. » (source PC Inpact)

Le problème c’est qu’envisagé au départ comme un bien commun à tous, il a subi depuis de nombreuses attaques de ce qu’on pourrait appeler « l’État/marché »…

Remarque : Ne pas confondre web et internet (le premier n’étant qu’une sous-partie du second).

 

Tim Berners-Lee

 

Une Magna Carta en ligne : Berners-Lee en appelle à une déclaration des droits pour le web

Jemima Kiss – 12 mars 2014 – The Guardian
(Traduction : Penguin, Juliette, diab, Achille, Diin, goofy, lamessen, Kcchouette, Mooshka)

An online Magna Carta: Berners-Lee calls for bill of rights for web

L’inventeur du web nous met en garde sur le fait que la neutralité subit des attaques soutenues des gouvernements et des entreprises.

L’inventeur du World Wide Web croit qu’une « Magna Carta » en ligne à l’échelle mondiale est nécessaire afin de protéger et d’ancrer l’indépendance du moyen de communication qu’il a créé et les droits de ses utilisateurs.

Sir Tim Berners-Lee a déclaré au Guardian que le web a fait l’objet d’attaques croissantes de la part des gouvernements et d’influentes sociétés, et que de nouvelles règles s’imposaient pour protéger « l’ouverture et la neutralité » du système.

Parlant exactement 25 ans après qu’il a écrit la première ébauche de la première proposition de ce qui allait devenir le World Wide Web, l’informaticien a déclaré : « Nous avons besoin d’une constitution mondiale – une déclaration des droits ».

L’idée d’une Grande Charte de Berners-Lee s’inscrit dans le cadre d’une initiative appelée Le web que nous voulons, nous invitant à créer un projet de lois numériques dans chaque pays – principes qu’il espère soutenus par des institutions publiques, des fonctionnaires gouvernementaux et des entreprises.

« Sauf à avoir un Internet libre et neutre sur lequel nous pouvons nous appuyer sans nous soucier de ce qui se passe en coulisses, nous ne pouvons pas avoir un gouvernement ouvert, une bonne démocratie, un bon système de santé, des communautés reliées entre elles et une diversité culturelle. Ce n’est pas naïf de croire que l’on peut avoir cela, mais c’est naïf de penser que l’on peut l’obtenir en restant les bras croisés. »

Berners-Lee a été un critique virulent de la surveillance des citoyens américains et anglais à la suite des révélations faites par le lanceur d’alerte de la NSA Edward Snowden. Compte tenu de ce qui a vu le jour, dit-il, les gens sont à la recherche d’une profonde révision dans la façon dont les services de sécurité ont été gérés.

Ses opinions font également écho dans l’industrie de la technologie, où il est particulièrement en colère sur les efforts fournis par la NSA et le GCHQ anglais pour saper les outils de sécurité et de cryptage – ce que beaucoup d’experts de sécurité affirment comme étant contre-productif et compromettant vis-à-vis de la sécurité de chacun.

Les principes de la vie privée, liberté d’expression et l’anonymat responsable seront étudiés dans cette Grande Charte. « Ces problèmes nous ont pris par surprise » a déclaré Berners-lee. « Nos droits sont bafoués de plus en plus souvent de tous les côtés et le danger est que nous nous y habituons. Je tiens donc à utiliser ce 25e anniversaire pour nous inviter à mettre la main à la pâte afin de reprendre la main et définir le web que nous voulons pour les 25 prochaines années. »

La proposition pour la constitution du web devrait aussi examiner l’impact des lois sur le copyright et les problèmes socio-culturels en rapport avec les éthiques de la technologie.

Alors que la régulation régionale et les sensibilités culturelles du web peuvent varier, Berners-Lee affirme croire en un document partagé sur les principes que pourrait apporter une norme internationale sur les valeurs d’un web ouvert.

Il demeure optimiste sur le le fait que cette campagne Le web que nous voulons puisse atteindre le grand public, malgré son manque apparent de prise de conscience dans l’affaire Snowden.

« Je ne dirais pas que les gens au Royaume-Uni sont indifférents. Je dirais qu’ils ont plus confiance en leur gouvernement que dans d’autres pays. Ils optent pour l’attitude : Comme nous avons voté pour eux, laissons les agir et faire leurs preuves. »

« Mais nous avons besoin que nos avocats et nos politiciens comprennent la programmation, comprennent ce qui peut être fait avec un ordinateur. Nous avons également besoin de revoir une grande partie de la législation, comme ces lois sur le copyright qui mettent les gens en prison pour protéger les producteurs de films. Il s’agit également de préserver et protéger l’expression des individus et la démocratie quotidienne dont nous avons besoin pour gérer le pays », poursuit-il.

Berners-Lee se prononce fermement en faveur du changement de l’élément à la fois clé et controversé de la gouvernance d’Internet qui supprimerait une petite, mais symbolique, partie du contrôle américain. Les États-Unis s’agrippent au contrat IANA, qui contrôle la base de données principale de tous les noms de domaines, mais ont fait face à une pression de plus en plus importante à la suite de l’affaire Snowden.

Il explique: « Notre demande du retrait du lien explicite menant vers la chambre du commerce des États-Unis est en souffrance depuis longtemps. Les États-Unis ne peuvent pas avoir une place prépondérante dans quelque chose qui n’est pas national. Il y a grand élan vers une séparation et une indépendance même si les États-Unis conservent une approche qui maintient les gouvernements et les entreprises à l’écart. »

Berners-Lee réitère aussi son inquiétude quant au fait que le web pourrait être balkanisé par des pays et des organisations qui morcelleraient l’espace numérique pour travailler selon leurs propres règles, qu’il s’agisse de censure, de régulation ou de commerce.

Nous avons tous un rôle à jouer dans ce futur, dit-il en citant les récents mouvements de résistance aux propositions de régulation du droit du copyright.

Il dit : « Le point-clé c’est d’amener les gens à se battre pour le web, de les amener à voir les dommages qui seraient causés par un web fracturé. Comme tout système humain, le web a besoin d’une régulation et bien-sûr que nous avons besoin de lois nationales, mais nous ne devons pas transformer le réseau en une série de cloisonnements nationaux. »

Berners-Lee fit également une apparition lors des Jeux Olympiques de Londres en 2012, en écrivant les mots “this is for everyone” (NdT : « Ceci est pour tout le monde ») sur un ordinateur au centre du stade. Il est demeuré fermement attaché au principe d’ouverture, d’inclusion et de démocratie depuis son invention du web en 1989, en choisissant de ne pas commercialiser son modèle. Il rejette l’idée qu’un contrôle gouvernemental ou commercial sur un moyen de communication aussi puissant soit inévitable, « Tant qu’ils ne m’auront pas ôté les mains du clavier, je continuerai à défendre cela. »

Le créateur du web accessible à tous

Ayant grandi dans le sud-ouest de Londres, Tim Berners-Lee était un fervent ferrovipathe, ce qui l’a amené à s’intéresser au modèle des chemins de fer puis à l’électronique.

Cela dit, les ordinateurs étaient déjà un concept familier dans la famille – ses deux parents ayant travaillé à la création du premier ordinateur commercialisé du monde, le Ferranti Mk1.

Berners-Lee sortit major de sa promotion en physique à Oxford et a ensuite travaillé à divers postes d’ingénieur. Mais ce fut au CERN, l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire à Genève, qu’il prit part aux projets qui mèneront à la création du world wide web.

Son but était de permettre aux chercheurs du monde entier de partager des documents et ses premières propositions furent jugées « vagues mais intéressantes » par un directeur au CERN.

Il a combiné des technologies existantes telles que l’Internet et l’hypertexte pour produire un immense système interconnecté de stockage de documents. Berners-Lee l’appela le world wide web (NdT : la toile d’araignée mondiale), bien que ses collaborateurs francophones trouvaient cela difficile à prononcer.

Le web a d’abord été ouvert aux nouveaux utilisateurs en 1991. puis, en 1992, le premier navigateur a été créé pour parcourir et sélectionner les millions de documents déjà existants.

Bien que le web ait vu la création et la perte de fortunes innombrables, Berners-Lee et son équipe se sont assurés qu’il était libre d’utilisation pour tous.

Berners-Lee travaille maintenant, par le biais de diverses organisations, à s’assurer que le web soit accessible à tous et que le concept de neutralité du net soit respecté par les gouvernements et les entreprises.

Crédit photo : Wikimédia Commons




Rencontre avec ALGEM, Application Libre de Gestion d’École de Musique

ALGEM

Vous participez ou administrez directement une école de musique ? Ou plus généralement vous vous occupez d’un lieu associatif qui doit organiser la gestion des plannings, des adhérents et des contacts, la réservation des salles, la planification des cours, le prêt du matériel… ?

Sachez qu’il existe une excellente application développée depuis plus de dix ans par deux passionnés de musique et d’informatique !

Le logiciel s’appelle ALGEM (le L c’est donc pour Libre) et il méritait assurément une petite mise en avant.

Rencontre avec Bruno Mauguil (au centre sur la photo) et Jean-Marc Gobat (à droite) qui travaillent tous deux à Musiques Tangentes (Malakoff) d’où l’aventure ALGEM a vu le jour.

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Interview ALGEM

Bonjour Bruno et Jean-Marc, pouvez-vous vous présenter succinctement ?

426285_145343322250790_1790613950_n.jpgJean-Marc : agrégé d’éducation musicale et diplômé de l’école d’ingénieurs du CNAM de Paris, j’ai la chance de pouvoir pratiquer au sein de Musiques Tangentes mes deux passions que sont la musique et l’informatique. Je participe au développement d’ALGEM depuis quelques années déjà et intervient dans l’école en tant que professeur de M.A.O. Je suis aussi membre fondateur du groupe de fusion World « Transbohêm ».

Bruno : à l’origine musicien de Jazz, j’ai créé Musiques Tangentes à l’âge de 20 ans au milieu d’un grand vide intersidéral : pas de locaux de répétition, pas d’école de musiques actuelles… Après avoir fondé l’école, épaulé de quelques furieux musiciens, l’informatique nous a permis de structurer ce milieu embryonnaire. J’ai tout de suite compris l’immense intérêt de ce nouvel outil : création, gestion, bureautique, etc. Après m’être débattu sur Prologue (système d’exploitation français de Bull) puis fait un court et malheureux passage sur Windows, je participe aux balbutiements du Libre grâce à la rencontre providentielle d’Eric. C’est la révolution ! Bien que je ne sois pas du tout informaticien, je ne jure depuis que par l’Open Source. Cela fait maintenant 15 ans que nos outils bureautique sont sous Linux. La musique viendra plus tard sur ce système et en partie seulement. ALGEM est né du fait de l’absence totale d’outil de gestion pour notre activité. La suite reste à écrire….

Alors ALGEM c’est quoi ?

Jean-Marc : strictement parlant, ALGEM est l’acronyme d’Application Libre de Gestion d’Ecole de Musique. C’est au départ un logiciel de gestion dédié aux écoles de musiques actuelles. Axé sur la gestion de plannings et de contacts, il s’est enrichi au cours des années et peut très bien convenir aujourd’hui à d’autres types de structures.

Quelle est la répartition des rôles entre vous deux ?

Jean-Marc : je suis chargé du développement, de la maintenance chez nos partenaires et de tous les aspects techniques liés à l’installation, le fonctionnement et les rapports d’erreurs signalés par nos utilisateurs.

Bruno : je suis responsable de l’Association et initiateur du projet. Je suis donc à la fois maître d’œuvre et maître d’ouvrage, responsable du cahier des charges, définissant les grandes lignes et les besoins, et de plus en plus concerné par les problèmes de déploiement. Je joue beaucoup aussi le rôle de bêta-testeur, avec l’ensemble de l’équipe, et suis bien sûr utilisateur au quotidien depuis maintenant plus de 10 ans.

C’est parti d’un besoin interne ? Il n’existait rien de similaire sur le marché ?

Jean-Marc : effectivement, il n’y avait rien de comparable sur le marché à l’époque de sa mise en chantier. Les quelques solutions existantes, très coûteuses de surcroît, étaient réservées aux utilisateurs de Windows et ne correspondaient pas aux besoins des écoles de musiques actuelles. Il fallait donc choisir entre une solution bancale ou le développement d’un logiciel en interne. C’est ce dernier choix qui a été fait, grâce à la participation d’Eric. Ses compétences en Java, langage à l’époque en pleine expansion, lui ont permis en quelques mois de fixer l’ossature du logiciel et de le rendre opérationnel dans nos locaux.

Quand avez-vous décidé d’en faire un logiciel libre et pourquoi ? Et avez-vous constaté une amélioration dans la diffusion et participation du projet ?

Jean-Marc : depuis les débuts, Musiques Tangentes s’investit dans le libre, en privilégiant les systèmes et logiciels Open Source et les applications sous Linux. Il était naturel avec ALGEM d’ajouter une pierre à l’édifice. Comme il a fallu pas mal de temps pour refaçonner l’application, réorganiser les sources et produire quelque chose de plus cohérent, ce passage n’a pu se faire qu’assez récemment, début 2012 (les sources sur GitHub). C’était aussi l’objectif/rêve de Bruno, celui de pouvoir partager un outil avec les confrères et de contribuer à la communauté du libre.
La diffusion du logiciel est encore assez réduite, mais de nombreuses demandes nous ont été faites depuis les derniers mois. Et nous avons constaté un regain d’intérêt depuis le début de l’année scolaire et la publication sur Framasoft.

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Le logiciel évolue comme vous voulez ? Résistez-vous au « cloud » ?

Jean-Marc : beaucoup de projets en cours, oui. Des fonctionnalités en chantier : gestion de stages, importation de carnets d’adresse, pré-réservation en ligne, etc. Quant au « Cloud », s’il présente indéniablement des avantages, comme la simplification des procédures pour les novices, son adoption à grande échelle par les entreprises dominantes symbolise pour nous une certaine forme de retour au Minitel, comme l’avait remarqué à juste titre Benjamin Bayart dans sa fameuse conférence. S’en remettre à des entreprises comme Google, Facebook, Apple ou Microsoft, c’est un peu renier l’Internet des origines, décentralisé et pluriel. Afin de répondre aux besoins d’une certaine frange de nos utilisateurs, nous avons essayé néanmoins avec Algem Webstart de concilier les deux mondes : déployer localement l’application tout en profitant de l’hébergement en ligne.

Dans combien de structures ALGEM est-il déployé ? Elles s’occupent toutes de musique ?

Jean-Marc : Officiellement, une demi-douzaine de structures, dont deux à Toulouse et à Tours avec lesquelles nous sommes en relation très étroite. Cela va de la salle de répétition au salon de coiffure ! Donc, pas nécessairement ciblé école de musique. Officieusement, une trentaine de structures nous ont déjà demandé une version d’ALGEM pour leur usage personnel.

C’est dans le cadre de Musiques Tangentes que vous avez développé ALGEM. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce lieu, son histoire, les services proposés ?

Bruno : Musiques Tangentes est un centre « musiques actuelles » : apprentissage de loisir, centre de formation professionnelle, studio de répétition (collectif et individuel), studio d’enregistrement, accompagnement de projet et un peu de diffusion (amateur et professionnel). C’est aussi un lieu de création et d’accueil de résidence ou d’insertion professionnelle. C’est une structure pionnière, née dans le squat de la rue des Caves à Sèvres. Nous fêtons cette année nos 35 ans d’existence et Musiques Tangentes est ouverte à tous (à partir de 3 ans), débutant ou confirmé, amateur ou professionnel. Un tiers de notre activité s’effectue aussi hors les murs (intervention en temps scolaire, en périscolaire, en centre spécialisé type IME, en colonie de vacance, en crèche, en entreprise…), partout ou l’on peut faire de la musique… « PLUS DE BRUIT », la Mano Negra est passée par chez nous, c’est un lieu d’apprentissage, de rencontres et d’échanges. Bref, un berceau d’utopies où l’on peut encore rêver et jouer sans contraintes !

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Il me semble que vous y proposez un studio d’enregistrement « full libre » ?

Jean-Marc : nous utilisons depuis longtemps des distributions Linux spécialisées dans l’audio-numérique, comme 64Studio, Ubuntu Studio, ou plus récemment Tango Studio. Ardour est installé dans notre rack informatique et nous permet de réaliser des enregistrements sous ces systèmes, grâce à la compatibilité matérielle de notre carte RME MADI 64 canaux. Bien que nous fournissions aussi des prestations sur Pro Tools, le logiciel de référence dans de nombreux studios, nous ne pouvons qu’encourager l’usage de solutions libres. Musiques Tangentes est pratiquement la seule structure à proposer de tels services dans un environnement résolument professionnel : console numérique SONY DMX-R100, station de travail Intel i7 64 bits en dual boot, enceintes A2T. La demande est encore infime mais il n’est pas interdit de penser que l’utilisation d’un logiciel comme Ardour soit à l’avenir de plus en plus pertinente, face à une concurrence peu réactive et très coûteuse.

Est-ce que vous en profitez pour sensibiliser vos membres mélomanes aux licences libres ? Y en a-t-il qui ont fait le choix des licences Creative Commons pour leurs créations ?

Jean-Marc : j’ai moi-même édité l’album « Déserts » de Transbohêm sous licence Creative Commons. D’autres adhérents et membres de l’équipe administrative ont aussi choisi cette licence pour leurs réalisations. Pour un indépendant désireux aujourd’hui d’éditer sa musique, les licences libres présentent une belle alternative face aux fourches caudines de la SACEM.

Bruno : Musiques Tangentes est membre de « Libre Accès » et à ce titre nous avons vivement encouragé nos adhérents à utiliser des licences libres. Vous trouverez de nombreux articles à ce sujet sur notre blog. De plus, des ateliers découverte sont organisés régulièrement autour de ce thème.

Et pour finir, un appel à bonne volonté pour ALGEM ?

Jean-Marc : tout le monde est bienvenu : relecteurs de code, testeurs, spécialistes Java. Nous invitons d’autre part toutes les structures utilisant le logiciel à nous donner leur avis ou nous suggérer des améliorations possibles. Nos propositions de journées de formation restent d’ailleurs toujours d’actualité et nous encourageons tous les utilisateurs à les suivre afin de participer aux avancées d’ALGEM et de pérenniser son développement dans les années futures.

Bruno : nous en sommes encore à l’aube de l’engagement communautaire autour de ce projet et nous espérons que de nombreux utilisateurs et programmeurs nous rejoindrons prochainement . Une première rencontre entre tous les acteurs concernés sera d’ailleurs proposée très bientôt.

-> ALGEM – Pour tout contact : info@algem.net

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Geektionnerd : De la pub dans Firefox

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Sources sur Numerama :

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Pourquoi les jeux vidéos devraient entrer dans le domaine public plus tôt

Une traduction initialement publiée sur Romaine Lubrique, le projet soutenu par Framasoft dédié au domaine public.

Nous nous sommes permis d’en modifier le titre original pour plus de clarté.

Pourquoi les jeux devraient entrer dans le domaine public

Why Games Should Enter The Public Domain

John Walker – 3 février 2014 – Rock Paper Shotgun
(Traduction : Lamessen, Penguin, Laurent, RemyG, Isammoc, Asta, Diin, Gnujeremie, Scailyna, Goofy, Mecrof, KoS, sinma + anonymes)

Il y a quelques jours, j’ai provoqué sans le vouloir une polémique en m’exprimant sur les ventes de l’opération GOG Time Machine (NdT, GOG est un site spécialisé dans les vieux jeux vidéos, Good Old Games). J’ai évoqué à ce sujet le plaisir de sauver ainsi d’anciens jeux de l’oubli et mon souhait de les voir rejoindre le domaine public. Cela a entraîné une discussion enflammée dans les commentaires, et a poussé un développeur renommé à carrément en appeler à mon licenciement sur Twitter.

J’ai voulu ici développer plus avant mon propos plutôt que de le laisser en état de courtes et désinvoltes réflexions. Mais je tiens à préciser qu’il s’agit de mon avis personnel et non celui de RPS (NdT, Rock Paper Shotgun, le site original de publication de l’article). Ce n’est pas un manifeste ou une pétition, juste un approfondissement de mon avis sur le sujet. Gardons cela à l’esprit lorsque nous déciderons si je dois ou non me mettre à la porte.

J’ai dit, en ouverture de l’article en question, que cela me frustrait que les jeux vieux de plus de deux décennies ne soient pas dans le domaine public. Vingt ans est un nombre tout à fait arbitraire, bien qu’il semble avoir du sens dans le contexte de la durée de vie d’un jeu vidéo, mais cela peut tout autant être vingt-cinq ou trente ans. Ce n’est pas le sujet de ce texte. Mon idée était, et est toujours, que je souhaite que les créations artistiques entrent plus rapidement dans le domaine public, après une période de temps pendant laquelle le créateur peut engranger du profit.

Réaction de l’illustre George Broussard (des studios 3D Realms), un homme directement impliqué dans l’histoire de Duke Nukem Forever : cet article « débute avec la phrase la plus stupide que j’ai jamais lue ».

« Celui qui s’est permis de publier cela devrait être viré », a poursuivi George.

Cela peut sembler une réaction excessive. Mais d’autres ont surenchéri. Ainsi Cliff Bleszinski (NdT, autre célèbre concepteur de jeux vidéos) a retweeté en précisant : « Je ne me ferai jamais à cette culture qui ne comprend pas que les développeurs ont besoin de manger, qu’ils ont des crédits, et que développer un jeu coûte de l’argent. »

Zut alors !

Avant de rentrer dans les détails des différents points de vue, mettons une chose au clair : exprimer le souhait qu’un jeu entre dans le domaine public, disons vingt ans après publication, ne suggère en aucun cas que les développeurs ne soient pas payés pour leur travail. Et je n’apprécie pas avoir à préciser cela. C’est un peu comme si vous vous retrouviez à devoir dire que vous êtes contre l’idée d’affamer des enfants, juste parce vous avez émis l’idée qu’ils ne devraient pas manger exclusivement chez McDonald’s. Voici ce que je dis en fait : « les développeurs devraient être payés pour leur travail, et ensuite continuer à être payés pour ce même travail, encore et encore, sur les vingt années qui suivent, même s’ils ont arrêté tout travail lié à ce projet d’il y a plusieurs années. ». Comment y a-t-il pu y avoir ici raccourci et confusion ? Ce n’est pas très clair.

Je vous taquine parce qu’en vérité c’est bien clair. Les deux sont volontairement confondus par un groupe qui considère la possibilité même que des artéfacts culturels retournent à la culture dont ils sont nés comme une idée repoussante. Une idée si repoussante qu’ils doivent éliminer tout ce qui s’approche de près ou de loin à remettre en question ce qu’ils perçoivent comme des droits perpétuels sur leurs vieux projets. (Et soyons francs ici ? des créateurs comme le tumescent Phil Collins ou notre très cher Broussard argumentent ici en faveur du copyright perpétuel, ce qui est bien au-delà de ce que prévoit la loi elle-même.)

« N’importe quoi. Les créateurs ont le droit d’être payés de manière illimitée pour leur travail tant que leur marché existe. Point. »

Je pense que la meilleure approche est de répondre calmement aux questions les plus fréquemment posées.

Les gens ont besoin d’une motivation financière pour créer. Si vous l’enlevez, ça menacera la créativité.

Cet argument est si astronomiquement faux que mon chapeau m’en tombe de la tête. Une telle vision si misérable des être humains, extraordinaires créatures créatives, me donne envie de pleurer. Que la créativité soit possible uniquement s’il y a une récompense financière à la clé est une idée fausse qui a été démontrées à de nombreuses reprises. Que quelqu’un puisse gagner sa vie grâce à des œuvres créatives, oui. Mais la créativité n’implique pas nécessairement qu’on en fasse son gagne-pain. Il est crucial de s’en souvenir. Et si l’on se restreint à ceux qui cherchent à gagner leur vie avec, le fait de conserver l’exploitation exclusive de son œuvre pendant un temps non pas infini mais borné ne va empêcher personne de devenir multi-millionnaire grâce au fruit son travail. Une transition éventuelle dans le domaine public n’entrave pas la motivation financière.

Non seulement un argumentaire en faveur d’une durée moins longue du copyright que les monstruosités actuelles telles que « pour la vie + 70 ans » n’empêche pas quelqu’un de gagner sa vie, mais cela ne signifie même pas qu’ils ne puisse continuer à le faire grâce à leurs œuvres après que le copyright ait expiré. C’est la magie du domaine public ! Ils partagent juste l’opportunité de faire des profits avec les autres. J’aurai l’occasion d’y revenir.

Alors certes, cela pourrait éventuellement empêcher Cliff Richard de changer tous les lustres dans ses manoirs grâce aux droits sur une chanson enregistrée il y a soixante ans. Mais, je me répète, l’entrée potentielle dans le domaine public ne va appauvrir personne. (Je pense d’ailleurs qu’au moment où il enregistrait ladite chanson, il aurait été d’accord pour qu’elle soit dans le domaine public aujourd’hui.)

Mais pourquoi, les individus ne seraient-ils pas propriétaires de leurs propres idées ? Ce sont eux qui les ont créées après tout.

C’est ici que les choses deviennent quelque peu philosophico-métaphysiques. Cela revient à accepter qu’il existe (littéralement) une différence entre un jeu et une table, une chanson et une voiture. L’un existe physiquement. L’autre non. L’un est une chose, l’autre est une idée. Et tout se rapporte aux idées ici.

Tout le monde a eu l’expérience de ces diverses industries du copyright qui nous hurlent au visage « MAIS VOUS NE VOLERIEZ PAS UNE VOITURE ! »[1], lorsque, assis dans une salle de cinéma, on nous explique que c’est de notre faute si personne ne va plus au cinéma pour regarder un film (ou le regarder avec un DVD acheté légalement). Cette comparaison est fausse. Et c’est une fausse comparaison qui sert les intérêts des compagnies en rendant volontairement les choses confuses. Non, je ne volerais pas plus une voiture que je n’accepterais qu’une entreprise m’explique qu’elle détient les droits exclusifs sur l’idée des voitures elle-même. Toutefois, je suis heureux de « voler » certaines choses, telles que la connaissance, l’inspiration ou les bonnes idées. Et jusqu’à récemment, la littérature et la musique faisaient partie de cette connaissance, cette inspiration et ces bonnes idées.

La guerre des idées menée par les industries du copyright pendant les cent dernières années a été tellement efficace qu’aujourd’hui, la seule suggestion que les idées ne sont pas comparables aux objets physiques rencontre immédiatement une violente colère de leur part. Dans un monde où les lois sont faites par Disney, il n’est guère surprenant qu’un tel avis soit repoussé avec violence. Ce qui a été perçu à une époque comme un sérieux abus est aujourd’hui défendu par ceux-là mêmes qui en ont été les victimes.

Un changement brusque a eu lieu au tournant du siècle dernier, lorsque les idées qui étaient partagées de bouche à oreille, ou effectivement sur des textes recopiés, ont été confinées dans des morceaux de plastique. Quelques générations plus tard, ces emprisonnements ont été acceptés comme l’unique possibilité. Puis, l’ubiquité relativement récente d’Internet a soudainement révélé la nature transitoire et éthérée que les idées ont toujours eue. Mais, dans l’intervalle, de vastes industries ont été bâties autour de cet emprisonnement temporaire des idées, et elles n’ont aucune envie de voir leur règne arriver naturellement à sa fin.

Le copyright est revenu à ses origines. Créé au XVIIe siècle dans une ambiance de censure, volonté de la monarchie d’empêcher la presse émergente de répandre trop facilement des informations libres, il a pourtant évolué, deux siècles durant, en quelque chose de globalement utile. Il servait alors à défendre le droit d’un auteur à jouir de ses créations pendant une période de temps limitée, avant qu’elles entrent à nouveau dans le domaine public. Basé sur l’idée qu’une création n’est pas uniquement l’œuvre d’une seule personne, mais plutôt le résultat d’un partage et maillage massif d’idées culturelles pendant plusieurs millénaires, il paraissait alors logique que les créations retournent dans le domaine public après une certaine durée. Ceux qui ont trouvé un marché pour leurs créations, quand ils ont utilisé cette culture partagée dans leurs propres projets, se voyaient donc recevoir une récompense, soit par patronage soit par rétribution sur leurs ventes ou leurs représentations. Et ils pouvaient (et peuvent encore) continuer à faire cela ad vitam æternam. À ceci près qu’à la fin de cette période convenue (de différente longueur selon les pays), ils n’ont plus l’exclusivité des droits sur cette idée.

Mais aujourd’hui le copyright sert à protéger les individus, non les idées. En fait, son but est de limiter le flux libre des idées, d’empêcher l’échange culturel, au profit d’une minorité. Le copyright en lui-même est une menace pour la créativité future car il essaie de réduire la plus humaine des actions : partager nos idées. Il est revenu à ses origines et correspond à une forme de censure. Pas une censure reconnue par beaucoup en tant que telle, tellement le lavage de cerveaux des industries du copyright est réussi et contagieux, mais une censure des idées tout de même.

Pourquoi donc ne pas acheter et devenir propriétaire d’une idée comme on est propriétaire d’une table ? Parce qu’on ne possède pas une idée. Elles sont nées de la masse culturelle de l’humanité et vous ne pouvez pas poser une tasse de café sur une idée.

Mais pourquoi est-ce qu’une personne ne pourrait pas tirer profit de son idée tant qu’elle est en vie ?

En mettant de côté le fait qu’adhérer au domaine public n’empêche nullement de gagner de l’argent de son idée, ma réponse à cette question est : pourquoi le devrait-elle ?

Ce qui me semble intéressant avec cette question est que personne n’y a jamais vraiment répondu. Soit on me demande de me justifier de remettre ceci en cause. soit on me répond de manière lapidaire que c’est ainsi et pas autrement. J’ai remarqué un total manque de volonté de la part des gens de seulement prendre le temps de réfléchir à cette question. Pourquoi donc une personne aurait-elle le droit de gagner de l’argent sur une chose réalisée il y a plus de cinquante ans ? Dans quels autres domaines considère-t-on ce ce même principe comme acquis ? Si un policier demandait à continuer d’être payé pour avoir capturé un certain criminel notoire il y a trente-cinq ans, on lui demanderait de sortir de la salle et d’arrêter de faire l’idiot. « Mais le prisonnier est toujours en prison ! » pleurnicherait-il, en sortant du commissariat, les poches vides de n’avoir rien fait d’autre comme travail au cours de ces trente-cinq dernières années, et se demandant pourquoi il ne vit toujours pas dans un château en Espagne pour ce fait de gloire.

Et que dire de l’électricien qui a installé l’éclairage dans votre maison. Il va alors vous demander une taxe à chaque fois que vous allumez la lumière. C’est normal, c’est comme ça. Vous devez la payer, parce qu’il en a toujours été ainsi, aussi loin que vous vous en souvenez. Vous ne voulez tout de même pas qu’il passe sa vie à installer des lumières dans d’autres maisons ? Et les redevances du chirurgien sur ce cœur qu’il a opéré ? Le système est fait ainsi. Pourquoi est-ce qu’il ne serait pas payé à chaque fois que vous l’utilisez ?

Alors, pourquoi est-ce qu’un chanteur a le droit de tirer profit d’un enregistrement effectué il y a plus de trente-cinq ans ? La réponse sibylline « parce que c’est sa chanson » ne suffit pas. « Mais créer cette chanson a pu prendre des années ! » non plus. En effet notre policier a perdu des années à enquêter sur les crimes avant qu’il n’attrape ce sale criminel ! L’électricien doit étudier pendant des années afin de devenir assez compétent pour installer l’éclairage. Le médecin a perdu sept années dans une faculté… Imaginez si ce conditionnement des industries culturelles que nous acceptons tous était accepté ailleurs, le chaos qui en résulterait serait extraordinaire. Prenons la revendication de Broussard, cité plus haut, qui stipule que « les créateurs ont le droit d’être rémunérées indéfiniment pour leur travail » et changez « créateurs » par n’importe quel autre métier : dentistes, professeurs, bibliothécaires, paléontologues… Ça commence à sembler assez ridicule.

« Parce que c’est normal » ne répond simplement pas à la question. Cette réponse instinctive est née de la capture de la culture par l’industrie, instillée en nous depuis la naissance. Y mettre fin, s’en débarrasser, et approcher à nouveau la question, nécessite un effort considérable. Mais une fois que table rase est faite, la lumière se met soudainement à briller.

Pourquoi, en tant que personnes qui gagnent de l’argent en travaillant régulièrement et qui sommes payés pour le temps qu’ils passent à le faire, défendons-nous si vigoureusement ce modèle étrange qui est l’antithèse de notre existence ?

Je ne peux pas croire que vous puissiez dire que les développeurs ne devraient pas tirer profit de leurs propres jeux.

Ma pauvre tête. Mais oui, appliquons cela aux jeux vidéo. Les jeux sont différents des chansons et des films, n’est-ce pas ? Ils sont modernes. Ils n’étaient même pas un concept lorsque le copyright les a si grotesquement transformés en leur forme actuelle. L’industrie du jeu vidéo est née dans un monde où les créateurs prétendaient déjà à une possession à vie de leur manipulation personnelle d’une culture héritée pourtant d’autres personnes. Plus encore que pour les films, la musique ou la littérature, c’est une industrie qui a grandi en contradiction avec la notion de domaine public. (Ce que toute personne de plus de 30 ans verra comme une sinistre ironie, en se rappelant des jours où les jeux étaient dans le domaine public au début des années 90.)

Et, contrairement à la musique, aux productions théâtrales ou aux histoires, ils n’ont jamais pré-existé dans une forme matérielle gratuite. (On peut évidement évoquer des jeux comme « la Marelle » et « Chat perché » mais par souci de simplicité, nous ne le ferons pas, nous bornant aux jeux vidéos) Je concède alors que cela peut être un gros décalage culturel que d’accepter que des explosions et autres graphiques ultramodernes, qui ne sont après tout que des 0 et des 1 correctement agencés, se rangent dans ces catégories culturelles. Mais bien qu’on le ne ressente pas instinctivement ainsi, cela n’en demeure pas moins vrai.

Mais surtout les jeux, contrairement à d’autres activités créatives, sont souvent développés par d’importantes équipes de personnes. C’est une véritable entreprise non comparable à l’unique auteur d’un livre. Les gens sont payés pour faire leur travail, c’est-à-dire concevoir le jeu. Les droits du jeu, la propriété, revient à l’éditeur qui le finance et pas aux auteurs qui l’ont créé. Quand un jeu de 20 ou 30 ans fait toujours de l’argent, pas une seule personne impliquée dans sa création ne reçoit de dîme.

Dans certains cas oui, cela peut ressembler aux livres, avec un développeur indépendant et ses projets auto-publiés. Et il peut alors espérer toucher quelque chose. Mais alors nous retournons à mon plus significatif argument : après des décennies à être payés pour cela, il est temps que son jeu entre dans la culture commune.

Mais les gens qui travaillent méritent un salaire.

Je suis aussi patient que possible. Et c’est ici que des lois raisonnables de copyright protégeant les activités créatives peuvent intervenir. Car contrairement à ce que veulent bien croire certaines personnes, je n’ai rien contre l’idée, communément admise, de rémunérer le créateur pour ses créations. J’ADORE voir des personnes créatives être payées.

J’adore même l’idée que des personnes soient payées pour leur travail après que leur copyright ait expiré. Je crois ainsi qu’il est juste et équitable que quiconque fasse en sorte de mettre à ma disposition ses ressources du domaine public sous une forme pratique soit rétribué pour le faire. À ceux qui interprètent mon article précédent comme revendiquant que le site GOG ne devrait pas me faire payer son catalogue de vieux jeux, ce n’est absolument pas le cas. Je voudrais juste que mon argent aille entièrement à GOG pour le service qu’il me propose et non aux sociétés qui détiennent les licences de jeux dont ils n’ont rien à voir avec leur création.

Tu es hypocrite, toi-même, le journaliste, car l’écriture est une industrie créative, et tu ne donnes pas tes écrits gratuitement, et tu es payé, et tu es moche.

Il est poli de se demander en quoi cette personne est hypocrite avant de l’injurier ainsi. Bien qu’il y ait peu de demandes pour des articles sur les jeux vidéos écrits il y a vingt ans, et donc c’est quelque chose à laquelle je ne fais pas souvent face, je considère que mon ancien travail est dans le domaine public. J’ai écrit pour Future Publishing pendant environ dix ans, où mon contrat spécifiait qu’ils avaient les droits exclusifs des travaux pour six mois, et qu’après nous partagions les droits. J’ai toujours renoncé à ces droits mais je garde celui d’être reconnu comme étant le créateur dudit travail, et je suis ravi que quiconque qui me crédite utilise ce travail comme bon lui semble. Si cette personne veux me payer pour le faire, vous m’en voyez d’autant plus ravi. Et je suis on ne peut plus sincère lorsque j’affirme cela.

Bon, que voulez-vous voir modifié alors, excepté que les développeurs ne soient pas payés pour leur travail ?

Il y a vraiment très peu de cas de développeurs gagnant leur pain avec des jeux créés il y a 20 ans. Le jeu vidéo, en tant que média culturel, a une date d’expiration beaucoup plus rapide que la musique, les films ou n’importe quelle autre activité créative. Malgré la mode rétro et tous ces projets d’émulateurs dédiés, faire en sorte qu’un vieux jeu fonctionne sur nos périphériques d’aujourd’hui peut devenir un véritable supplice. Les sites comme GOG font un travail admirable en préservant et diffusant ces vieux jeux mais cela ne se traduit pas directement en ventes trébuchantes qui garantiront au développeur original sa Jaguar remplie de caviar pour le reste de ses jours. En fait, il y a extrêmement peu de chance qu’un seul penny de la plupart des ventes atteignent le créateur du jeu. D’autres sites, qui tentent de donner une seconde vie à des jeux oubliés, connus sous le nom d’abandonwares, sont violemment menacés de fermeture et effectivement fermés non par les créateurs qui ont conçu les jeux, mais par les sociétés qui ont acheté la société qui a été fusionnée avec la société qui avait les droits originaux. Et si vous n’aimez pas 20 ans, parce qu’on arrive à la moitié des années 90 et que cela semble dangereusement proche, alors mettez la barre à 30 ans. Déterminez une durée qui assure aux développeurs d’être richement récompensés de leurs efforts, et ensuite, remettez le tout dans la culture populaire. Ce sera alors au tour des personnes qui partagent, copient, remixent, ajoutent à leur catalogue des projets rétros, font un réel travail pour les rendre jouables, de toucher quelque chose sans demander autorisation ou avoir peur d’un procès.

Et non, bien sûr, je ne crois pas que le jeu doive être traité différemment des autres médias. Je crois que les autres médias devraient être rapidement régis par les mêmes normes, avant de voir les sources culturelles se tarir et disparaître.

Mais, hey, voilà un truc : je n’ai aucun pouvoir. Mes dires, mes croyances et mon souhait d’un retour plus de la créativité à ses origines, n’obligent personne à s’y contraindre. Autre stupéfiante révélation, je n’ai pas l’illusion que mes modestes réflexions vont déclencher une révolution mondiale dans les lois du copyright. Mais ce que j’espère, c’est que certaines personnes, même une infime minorité, puissent, d’une manière ou d’une autre, se sentir connectées et concernées, et fassent en sorte de laisser leurs jeux entrer dans le domaine public. Ou qu’elles publient leur jeux avec la promesse de le faire après un certain temps (et qu’elles le fassent réellement). Ou encore qu’elles choisissent de publier leurs jeux sous une licence Creative Commons, dans le but de maintenir tous les droits légaux et de protections dont elles ont besoin, sans étouffer le monde culturel dans lequel elles ont si abondamment puisé.

Je suis un romantique.

Répétons-nous s’il en était besoin : j’adore voir des personnes talentueuses justement récompensées pourr leur excellent travail créatif. Des histoires comme celles de Garry Newman ou Marcus Persson, devenus fantastiquement riches suite à leurs brillantes créations, m’apportent de la joie au cœur. Rien ne me fait autant sourire dans une banale journée de travail que de lire le témoignage d’un développeur indépendant qui constate que les ventes de son jeu lui permettent dorénavant de quitter son boulot pour se tourner vers ce qu’il aime réellement faire à plein temps.

Enfin, j’aimerais vraiment voir émerger une situation de réels financements créatifs de la part de mécènes et de communautés de joueurs offrant de l’argent pour que les auteurs puissent produire des jeux vraiment géniaux sans avoir besoin d’un énorme succès commercial.

Je veux voir l’argent arriver massivement vers ceux dont le talent le mérite. Je veux que les développeurs soient payés.

Notes

[1] Je me demande du reste s’il ne s’agit pas de la campagne la plus efficace contre le vol de voitures.




Geektionnerd : Bluetouff condamné

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Sources sur Numerama :

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Les filles et le logiciel

Le témoignage ci-dessous ne devrait pas laisser indifférent ni faire consensus.

Il s’agit de Susan Sons, fille hacker avant d’être femme hacker, qui semble regretter le temps où l’on ne s’enflammait pas sur la théorie du genre (troll inside).

« Je suis venue au monde de l’open source car j’aimais faire partie d’une communauté où mes idées, mes capacités et mon expérience comptaient, pas mes seins. Cela a changé, et ce changement est dû à l’action de gens qui disent vouloir une communauté où les idées, les capacités et l’expérience comptent plus que des seins. »

Remarque : On pourra lire sur le sujet, les autres articles du Framablog.

Les filles et le logiciel

Girls and Software

Susan Sons – 4 février 2014 – LinuxJournal
(Traduction : Eve, RemyG, lyn, RyDroid, Asta, Kifferand, Wan, Diin, numahell, KoS, MFolschette)

L’article EOF de décembre 2013 nommé « Mars a Besoin de Femmes » a exploré un sujet intéressant : celui du rapport hommes/femmes parmi les lecteurs de Linux Journal, et parmi les développeurs du noyau Linux. Ce rapport est si déséquilibré (beaucoup d’hommes, peu de femmes) qu’en faire un graphe reviendrait presque à tracer une ligne verticale. J’espérais que l’article amènerait un hacker Linux du côté féminin de ce graphe à se mettre en avant et à faire avancer la conversation. Chose dite chose faite, voici Susan Sons aka @HedgeMage. À lire ci-dessous. — Doc Searls

Les filles et le logiciel. Oui, j’ai bien dit « les filles ». Sachant que les hommes ont d’abord été des garçons, mais que les femmes ont jailli de la tête de Zeus, à leur taille adulte, et en se battant comme des Athéna des temps modernes, vous pouvez commencer à m’insulter maintenant pour avoir utilisé ce mot… à moins que vous ne préfériez voir l’industrie à travers les yeux d’une fille qui est devenue femme au sein d’un ensemble de communautés open source.

Quand je pense aux hackers de mon entourage, les meilleurs ont commencé avant la puberté. Même s’il n’avaient pas d’ordinateurs, ils démontaient leurs réveils, réparaient leurs taille-crayons ou jouaient les radio-amateurs. Certains ont construit des lance-citrouilles ou des trains en LEGO. J’ai commencé à coder quand j’avais six ans, dans le bureau de mon père au sous-sol, sur la machine qu’il utilisait pour suivre l’inventaire de son entreprise de réparations. Après un été marqué par des essais et des erreurs, j’ai finalement réussi à faire jeter à des gorilles autre chose que des bananes explosives. Ça avait un goût de victoire ! (NdT : sans doute une référence au jeu Gorilla)

Quand j’ai eu 12 ans, j’ai mis les mains sur un disque d’une distribution Slackware et je l’ai installé sur mon ordinateur — un cadeau de Noël de mes parents après une année particulièrement bonne pour l’entreprise de mon père — et j’ai trouvé un bogue dans un programme. Le programme était en C, un langage que je n’avais jamais vu. J’ai frayé mon chemin vers IRC et expliqué le problème : ce qui n’allait pas, comment le reproduire, et l’endroit d’où semblait venir le problème.

J’étais vraiment naïve à cette époque — je n’avais même pas réalisé que la raison pour laquelle je n’arrivais pas à bien lire le code était qu’il existait plusieurs langages de programmation — mais les résidents du salon IRC m’ont dirigée vers le gestionnaire de tickets du projet, m’ont expliqué son intérêt et m’ont aidée à soumettre mon premier rapport de bogue.

Ce dont je n’avais pas connaissance à l’époque, c’était cet échange privé entre un des vétérans qui m’avait aidée et un des résidents du salon qui avait reconnu mon surnom sur une mailing list :

développeur0 : C’était une question vraiment bien posée… mais pourquoi est-ce que j’ai l’impression que c’est un gamin de 16 ans ?

développeur1 : Parce que c’est une fille de 12 ans.

développeur0 : Wow… Qu’est-ce que ses parents font, pour qu’elle pense comme ça ?

développeur1 : Je pense qu’elle vit dans une ferme, en fait.

Quand développeur1 m’a parlé de cette conversation, j’ai été convaincue par l’open source. Étant une petite fille d’une région rurale, qui avait été exclue encore et encore de toute activité intellectuelle, sous prétexte que je n’étais pas assez riche, trop campagnarde, pas assez âgée pour être désirée, je ne pouvais pas croire la facilité avec laquelle j’avais été acceptée et traitée comme tout le monde sur le salon, même s’ils savaient qui j’étais. Et j’ai été encore plus impressionnée quand j’ai appris que développeur0 n’était autre que Eric S. Raymond, dont j’avais dévoré les textes peu après avoir découvert Linux.

L’open source était mon refuge parce que c’était un endroit où personne ne prêtait attention à mes « ancêtres » ou ce à quoi je ressemblais — les gens s’intéressaient uniquement à ce que je faisais. Je me faisais bien voir des gens qui pouvaient m’aider en m’occupant de tâches ingrates : trier les tickets pour garder les listes propres, rédiger de la documentation et corriger les commentaires dans le code. J’aidais tout le monde, donc quand j’avais besoin d’aide, la communauté était là. Je n’avais encore jamais rencontré un autre développeur dans le monde réel, mais j’en savais plus sur le développement que certains étudiants.

C’est vraiment une question de filles (et de garçons)

Les filles de 12 ans d’aujourd’hui ne vivent généralement pas les expériences que j’ai vécues. On conseille généralement aux parents d’éloigner leurs enfants de l’ordinateur, de peur qu’ils se fassent attraper par des prédateurs sexuels, ou pire encore — deviennent obèses ! Cela vaut d’autant plus pour les filles, qui finissent diplômées en sciences humaines et sociales. Plus tard, à l’approche de leur vingt ans, quand quelqu’un trouve que le déficit de filles dans les communautés technologiques est un problème, on vient les chercher par la manche et on les emmène à une rencontre LUG (NdT : Linux User Group / Groupe des utilisateurs de Linux) ou sur un salon IRC. Étonnamment, cela ne fait pas de ces jeunes femmes des hackers.

Pourquoi croit-on que cela va marcher ? Prenez une jeune femme qui a déjà construit son identité. Jetez-la dans un monde qui est construit sur des schémas sociaux différents de ceux dont elle a l’habitude, où plein de gens parlent d’un sujet qu’elle ne comprend pas encore. Dites-lui ensuite qu’il existe une hostilité de la communauté envers les femmes et que c’est pour cela qu’il n’y en a pas assez, tout en la mettant en avant comme une bête de concours en expliquant que vous êtes ravi d’avoir recruté une femme. C’est la recette de l’échec.

Les jeunes femmes ne deviennent pas magiquement des technophiles à 22 ans. Les jeunes hommes non plus. Les hackeurs sont nés dans l’enfance, parce que c’est à cet âge que l’envie de résoudre des puzzles ou de créer quelque chose apparait chez ceux qui ont connu ce moment de « Victoire ! », comme la fois où j’ai réussi à imposer ma volonté à un couple de primates électroniques.

Malheureusement, notre société a conditionné les filles à ne pas être technophiles. Mon fils est à l’école primaire. L’année dernière, son école a fait un cours sur la robotique uniquement pour les filles. Quand mon fils a demandé pourquoi il ne pouvait pas y participer, on lui a expliqué que les filles ont besoin d’une aide spéciale pour s’intéresser à la technologie, et que s’il y a des garçons autour, les filles auront trop peur d’essayer.

Mon fils est rentré à la maison très perturbé. Vous voyez, il a grandi avec une mère qui codait en l’allaitant et l’a amené à sa première réunion du LUG à l’âge de sept semaines. La première fois qu’il a vu un robot fait maison, il lui a été montré par un membre d’un hackerspace local, une femme qui administre un des plus gros super-ordinateurs du pays. Pourquoi son école agissait comme si les filles étaient stupides ?

Merci beaucoup, « féminisme » moderne, pour avoir mis des idées pas très féministes dans la tête de mon fils.

Il y a un autre endroit dans ma vie, autre que ma maison, où l’idée selon laquelle la technologie est « un truc de gars » est complètement absente : ma ville natale. De temps en temps, je retourne à l’école de Sandridge, le plus récemment c’était quand mon professeur de mathématiques m’a invitée à une discussion avec les étudiants sur les carrières dans les Sciences, la Technologie, l’Ingénierie et les Mathématiques (NdT : STEM en anglais). Je suis presque sûre que je suis le seul programmeur que quiconque ait jamais vu dans cette ville… Je suis donc une sorte de représentante des geeks pour eux. Et certains considèrent même que c’est un « truc de filles ».

Pourtant, je ne peux pas dire que la région produise des quantités de hackeuses. Même en mettant de côté la pauvreté, l’urbanisation et la hausse de la criminalité, les filles ne sont pas plus portées à hacker dans ma ville natale que partout ailleurs. Quand j’ai parlé à des classes de mathématiques de CM2, les garçons m’ont expliqué qu’ils réparaient leurs consoles de jeux, ou débridaient leurs téléphones. Les filles n’ont pas fait de projets, elles ont parlé de mode ou de quête de popularité, pas de construire des choses.

Qu’est-ce qui a changé?

Je n’ai jamais eu de problème avec les hackers de la vieille école. Ils me traitent comme l’un d’eux, plutôt que comme « la femme du groupe », et beaucoup sont assez âgés pour se souvenir d’avoir travaillé dans des équipes composées d’un tiers de femmes, et personne ne trouvait cela bizarre. Bien sûr, le mot clé ici est « âgé » (désolée les gars). La plupart des programmeurs dont j’apprécie la compagnie sont plus proches de l’âge de mon père que du mien.

La nouvelle génération de développeurs open source n’est pas comme l’ancienne. Ils ont changé les règles à tel point que mon sexe est sous les projecteurs pour la première fois en 18 ans passés dans cette communauté.

Lorsque nous appelons un homme un « technicien », cela signifie qu’il est programmeur, administrateur système, ingénieur électrique ou quelque chose du même genre. C’était également le cas lorsqu’on appelait une femme une « technicienne ». Cependant, selon la nouvelle génération, une femme technicienne peut être également une graphiste ou quelqu’un qui gagne sa vie en tweetant. Cela dit, je suis contente de savoir qu’il y a des gens spécialisés dans les médias — cela veut dire que je n’ai pas à m’occuper de cet aspect des choses — mais les mettre à côté des programmeurs donne l’impression que ces « femmes techos » sont la partie handisport des JOs de la programmation.

Avant, je me sentais à l’aise avec les hommes, et personne ne se souciait de mon apparence. Aujourd’hui, j’ai l’impression de perdre mon temps à parler de genre plutôt que de technologies… Ceci dit, il y a plusieurs visions :

  • La vision « il n’y a aucune femme dans l’assemblée ». Je suis dans l’assemblée, mais on me dit que je ne compte pas puisque je porte t-shirt, jeans, bottes, et que je n’ai pas de maquillage.
  • La vision « tu nies ta féminité pour rentrer dans le moule ; c’est une forme d’oppression ! ». On me dit que c’est dans ma nature de femme d’aimer absolument le maquillage et la mode. Alors que je suis simplement une geek qui se soucie peu de son apparence.
  • La vision « tu ne représentes pas les femmes ; tu serais un meilleur modèle pour les filles si tu avais le bon look ». Marrant, le reste du monde semble très occupé à dire aux filles d’être à la mode (il suffit de regarder un magazine ou marcher dans le rayon fille d’un magasin de jouets). Je ne pense pas que quelqu’un d’aussi peu doué que moi dans ce domaine doive s’en occuper.

À une exception près, j’ai entendu ces réprimandes venir uniquement de femmes, et de femmes qui ne savent pas coder. Quelquefois, j’ai envie de crier « vous n’êtes pas une programmeuse, vous faites quoi ici ?! »

J’en suis aussi venue à réaliser que j’ai un avantage que les nouvelles arrivantes n’ont pas : j’étais ici avant le début de la panique morale autour du sexisme. Quand une douzaine de mecs décident de boire et hacker dans la chambre d’hôtel de quelqu’un, je suis invitée. Ils me connaissent depuis des années, donc je suis sûre. Les nouvelles, quelles que soient leurs compétences, ne sont pas invitées à moins que je ne sois là tout du long. Une accusation de harcèlement sexuel potentielle plane, et personne ne veut se risquer à avoir 12 hommes seuls avec une seule femme et des boissons alcoolisées. Du coup, les nouvelles restent dehors.

Je n’ai jamais été mise dans un groupe « Les femmes dans X », à l’écart de l’action réelle d’un projet. J’ai assez d’influence pour dire non quand on me dit que je devrais être loyale et réserver mon temps de travail pour des groupes féminins au lieu de le consacrer à la technologie. Je ne suis pas assez jeune ou impressionnable pour écouter les goûts de l’Initiative Ada[1], qui m’aurait tenue de donner de façon passive-agressive des cartons rouges à quiconque me dérange, ou m’aurait fait ressentir tous les hommes comme une menace, ou encore m’aurait fait comprendre que n’importe quel différend que je peux avoir serait causé par mon sexe.

Voici une nouvelle pour vous : à l’exception des polymathes dans le groupe, les hackers sont généralement socialement inadaptés. Si quelqu’un de n’importe quel sexe fait quelque chose qui viole mes limites, je suppose que c’est un malentendu. J’explique calmement et précisément ce qui m’a dérangé et comment éviter le franchissement de cette limite, je tiens à ce que la personne sache que je ne suis pas en colère contre elle, je veux juste m’assurer qu’elle est au courant, de sorte que cela ne se reproduise pas. C’est ce que font les adultes, et cela fonctionne. Les adultes ne cherchent pas à tout prix à se vexer, à donner des « creeper cards », et ne s’attendent pas à ce qu’on lise dans leurs esprits. Je ne suis pas un enfant, je suis un adulte, et j’agis comme tel.

On s’en fout de mes nibards

Je suis venue au monde de l’open source car j’aimais faire partie d’une communauté où mes idées, mes capacités et mon expérience comptaient, pas mes seins. Cela a changé, et ce changement est dû à l’action de gens qui disent vouloir une communauté où les idées, les capacités et l’expérience comptent plus que des seins.

Il y a très peu de filles qui veulent hacker. J’imagine que ça a beaucoup à voir avec le fait que l’on donne aux filles des poupées de mode et du maquillage et qu’on leur dit de fantasmer à propos d’amour et de popularité, alors qu’on donne aux garçons des LEGO et des boites à outils et qu’on leur dit d’en faire quelque chose. J’imagine que ça a beaucoup à voir avec le genre de femmes qui roucoulaient « mais elle pourrait être tellement belle si seulement elle ne passait pas autant de temps avec les ordinateurs ». J’imagine que ça a beaucoup à voir avec la manière dont les filles sont associées à l’éphémère — popularité, beauté et bien-être — alors qu’on enseigne aux garçons à se délecter de la réalisation. Donnez-moi une jeune personne de n’importe quel sexe avec une mentalité de hacker, et je vais m’assurer qu’elle aura le soutien dont elle a besoin pour devenir incroyable. Pendant ce temps, achetez à votre nièce ou votre fille une boite de LEGO et apprenez-lui à souder. J’aime voir des enfants aux rencontres de LUG et aux hackerspaces — amenez-les ! Il n’y aura jamais trop de hackers.

Ne blâmez pas les hommes simplement parce qu’ils sont là. Le « privilège des hommes » est une manière de dire « tu te sens coupable car tu n’as pas de seins, honte à toi, même si tu ne fais rien de mal », et j’ai perdu trop de mon temps à protéger des mecs sympas de cette idée. Oui, certaines personnes sont des ordures. Appelez-les des ordures, et ne reprochez à personne ayant la même anatomie d’avoir ce comportement. L’amalgame entre les bons mecs et les mauvais n’aide personne, ça empêche juste les mecs sympas d’interagir avec les femmes car ils sentent qu’ils ne pourront pas s’en tirer. Je suis fatiguée de dépenser mon temps et mon énergie à protéger les mecs bien de ce drame.

Ne blâmez pas les hackers d’avoir des défauts de non-hackers. Ce n’est pas ma faute si certaines personnes ne lisent pas les pages du manuel, pas plus que c’est mon travail de leur tenir la main étape après étape pour qu’ils n’aient pas à les lire. Ça n’est pas à moi d’amener de force des femmes aux rencontres de LUG et de tenter de leur laver le cerveau de manière à vous rendre plus à l’aise avec le ratio homme/femme, et de toute manière procéder ainsi ne marcherait pas.

Avant tout, je suis déçue. J’avais un havre, un endroit où personne n’accordait d’importance à mon apparence, à ce à quoi mon corps ressemblait ou à n’importe quel attribut éphémère — car ils s’intéressaient à ce que je pouvais faire — et ce décalage de culture m’a volé mon havre. Au moins, je l’ai eu. Les filles qui me suivent ont raté cela.

Je me rappelle qu’à cette époque, dans mon havre, si quelqu’un était désagréable ou essayait de m’intimider, les gens autour de moi réagissaient avec un retentissant « Comment oses-tu être désagréable avec quelqu’un qu’on apprécie ! ». Aujourd’hui, si un homme se comporte mal, on s’embourbe dans un raisonnement beaucoup plus complexe : « Est-ce que c’est parce qu’elle est une femme ? », « Est-ce que je vais passer pour un héros si j’interviens ? », « Est-ce que je suis misogyne si je n’interviens pas ? », « Qu’est-ce que ça implique pour les femmes dans le monde de la technologie ? », « Est-ce que je veux vraiment participer à un énième débat sur la politique des sexes ? ». C’était tellement plus simple lorsqu’on n’avait pas besoin de tout analyser, et qu’on tombait sur des gens désagréables seulement parce qu’ils étaient désagréables.

La passion de Susan Sons pour l’éducation l’a conduite vers l’open source avec Debian Edu, Edubuntu, et elle a aussi initié Frog et Owl qui aident les technophiles à interagir avec les enseignants pour développer des outils éducatifs plus utiles.

Notes

[1] Source: wikipedia: Ada Initiative est une organisation américaine visant à accroître la participation des femmes dans la culture libre et l’open source. Elle a été fondée en 2011 par les informaticiennes et défenseurs de l’open source Valerie Aurora et Mary Gardiner.




Geektionnerd : Internet est un don de Dieu ?

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Sources :

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)