Débat : 9 points (ou tabous ?) jamais (ou rarement) discutés dans le logiciel libre

Nous traduisons souvent Bruce Byfield, libre penseur du logiciel libre, sur le Framablog.

A-t-il raison d’affirmer qu’il est des sujets pour ainsi dire tabous dans la communauté et surtout que la situation a évolué, n’en déplaise à certains ?

Laëtitia Dulac - CC by

Neuf choses dont on ne discute jamais sur l’open source

9 Things That Are Never Admitted About Open Source

Bruce Byfield – 22 janvier 2013 – Datamation
(Traduction : Moosh, brandelune, Sky, ehsavoie, Astalaseven, petit bonhomme noir en haut à droite, mike, goofy, KoS, Mowee, arcady, maxlath, Astalaseven, mariek, VifArgent, Rudloff, VIfArgent, Penguin, peupleLa, Vilrax, lamessen + anonymous)

Quels sont les sujets tabous dans l‘open source de nos jours ? Certains peuvent se deviner mais d’autres pourraient bien vous surprendre.

On pourrait penser qu’un groupe de personnes intelligentes comme les membres de la communauté des logiciels libres et open source (NdT : FOSS pour Free and Open Source Software) seraient sans tabous. On pourrait s’attendre à ce qu’un tel groupe d’intellectuels juge qu’aucune idée n’est interdite ou gênante – mais ce serait une erreur.

Comme toute sous-culture, la communauté FOSS est cimentée par des croyances. Ces croyances contribuent à bâtir une identité commune : par conséquent, les remettre en cause revient à remettre en cause cette identité.

Certains de ces sujets tabous peuvent saper des évidences admises depuis vingt ans ou plus. D’autres sont nouveaux et contestent des vérités communément acceptées. Quand on les examine, on s’aperçoit que chacun d’entre eux peut être aussi menaçant que la déclaration de valeurs communes peut être rassurante.

Pourtant, même s’il est inconfortable d’interroger ces tabous, il est souvent nécessaire de le faire. Les croyances peuvent perdurer longtemps après le temps où elles s’appliquaient, ou après avoir dégénéré en semi-vérités. Il est utile de temps en temps de penser l’impensable, ne serait-ce que pour mettre ces croyances en phase avec la réalité.

Suivant cette logique, voici neuf observations sur l‘open source qui nécessitent selon moi un nouvel examen.

1. Ubuntu n’est plus le dernier grand espoir de l’open source

Quand Ubuntu est apparue il y a neuf ans, nombreux sont ceux qui l’ont considérée comme la distribution qui mènerait la communauté à dominer le monde. Débarquant de nulle part, Ubuntu s’est immédiatement concentrée sur le bureau comme aucune autre distribution avant elle. Des outils et des utilitaires furent ajoutés. De nombreux développeurs Debian trouvèrent un travail chez Canonical, la branche commerciale d’Ubuntu. Des développeurs virent leurs frais payés pour des conférences auxquelles ils n’auraient pas pu se rendre autrement.

Au fil du temps, une bonne partie de l’enthousiasme initial est retombée. Personne ne semble s’être intéressé à la demande de Mark Shuttleworth, le fondateur d’Ubuntu, à ce que les principaux projets coordonnent leurs cycles de livraison ; ils l’ont tout simplement ignorée. Mais on a vu des sourcils se froncer lorsqu’Ubuntu a commencé à développer sa propre interface plutôt que de contribuer à GNOME. Canonical a commencé à contrôler ce qui se passait dans Ubuntu, apparemment pas pour l’intérêt général mais surtout pour la recherche de profits. Nombreux, aussi, furent ceux qui n’apprécièrent pas l’interface d’Ubuntu, Unity, à sa sortie.

Pourtant, à écouter les employés de Canonical, ou les bénévoles Ubuntu, on aurait presque l’impression qu’il ne s’est rien passé pendant ces neuf dernières années. Lisez notamment le blog de Shuttleworth ou ses déclarations publiques : il se donne le rôle de figure de proue de la communauté et déclare que les « hurlements des idéologues » finiront par cesser devant son succès.

2. Le « cloud computing » sape les licences libres

Il y a sept ans, Tim O’Reilly affirmait que les licences libres étaient devenues obsolètes. C’était sa manière un peu dramatique de nous prévenir que les services en ligne mettent à mal les objectifs du logiciel libre. Comme le logiciel, le cloud computing offre aux utilisateurs l’usage gracieux des applications et du stockage, mais sans aucune garantie ou contrôle quant à la vie privée.

La Free Software Foundation (NdT : Fondation pour le Logiciel Libre) répondit à la popularité grandissante du cloud computing en dépoussiérant la GNU Affero General Public License, qui étend les idéaux du FOSS au cloud computing.

Après cela, pourtant, les inquiétudes à propos de la liberté logicielle au sein du cloud ont faibli. Identi.ca fut créé comme une réponse libre à Twitter, et MediaGoblin développé comme l’équivalent libre d’Instagram ou de Flickr, mais ce genre d’efforts est occulté par la compétition. On n’a pas mis l’accent sur l’importance des licences libres ou du respect de la vie privée dans le cloud.

Par conséquent, les avertissements de O’Reilly sont toujours aussi pertinents de nos jours.

3. Richard Stallman est devenu un atout contestable

Le fondateur de la Free Software Foundation et le moteur derrière la licence GNU GPL, Richard M. Stallman, est une des légendes des logiciels libres et open source. Pendant des années, il a été l’un des plus ardents défenseurs de la liberté du logiciel et la communauté n’existerait probablement pas sans lui.

Ce que ses supporters rechignent à admettre, c’est que la stratégie de Stallman a ses limites. Nombreux sont ceux qui disent que c’est un handicapé social, et que ses arguments se basent sur la sémantique — sur les mots choisis et comment ils influencent le débat.

Cette approche peut être éclairante. Par exemple, lorsque Stallman s’interroge sur l’analogie entre le partage de fichiers et les pillages perpétrés par les pirates, il révèle en fait le parti-pris que l’industrie du disque et du cinéma tente d’imposer.

Mais, malheureusement, c’est à peu près la seule stratégie de Stallman. Il dépasse rarement ce raisonnement qu’il utilise pour fustiger les gens, et il se répète même davantage que des personnes qui passent leur temps à faire des discours. Il est perçu de plus en plus, par une partie de la communauté, comme quelqu’un hors de propos voire même embarrassant. Comme quelqu’un qui fut efficace… mais ne l’est plus. Il semble que la communauté a du mal à admettre l’idée que Stallman a eu un impact certain pendant des années, mais qu’il est moins utile aujourd’hui. Soit il est défendu férocement pour son passé glorieux, soit il est attaqué comme un usurpateur parasite. Je crois que les affirmations concernant ce qu’il a accompli et son manque d’efficacité actuel sont vraies toutes les deux.

4. L’open source n’est pas une méritocratie

L’une des légendes que les développeurs de logiciels libres aiment à se raconter est que la communauté est une méritocratie. Votre statut dans la communauté est censément basé sur vos dernières contributions, que ce soit en code ou en temps.

L’idée d’une méritocratie est très attirante, en cela qu’elle forme l’identité du groupe et assure la motivation. Elle encourage les individus à travailler de longues heures et donne aux membres de la communauté un sentiment d’identification et de supériorité.

Dans sa forme la plus pure, comme par exemple au sein d’un petit projet où les contributeurs ont travaillé ensemble pendant de nombreuses années, la méritocratie peut exister.

Mais le plus souvent, d’autres règles s’appliquent. Dans de nombreux projets, ceux qui se chargent de la documentation ou bien les graphistes sont moins influents que les programmeurs. Bien souvent, vos relations peuvent influencer la validation de votre contribution au moins autant que la qualité de votre travail.

De même, la notoriété est plus susceptible d’influencer les décisions prises que le grade et les (surtout si elles sont récentes) contributions. Des personnes comme Mark Shuttleworth ou des sociétés comme Google peuvent acheter leur influence sur le cours des choses. Des projets communautaires peuvent voir leurs instances dirigeantes dominées par les sponsors privés, comme c’est de fait le cas avec Fedora. Bien que la méritocratie soit l’idéal, ce n’est presque jamais la seule pratique.

5. L’open source est gangrené par un sexisme systémique

Une autre tendance qui plombe l’idéal méritocratique est le sexisme (parfois sour la forme de la misogynie la plus imbécile) que l’on trouve dans quelques recoins de la communauté. Au cours des dernières années, les porte-parole du FOSS ont dénoncé ce sexisme et mis en place des règles officielles pour décourager quelques uns de ses pires aspects, comme le harcèlement pendant les conférences. Mais le problème demeure profondément ancré à d’autres niveaux.

Le nombre de femmes varie selon les projets, mais 15 à 20 pour cent peut être considéré comme un chiffre élevé pour un projet open source. Dans de nombreux cas, ce nombre est en dessous des cinq pour cent, même en comptabilisant les non-programmeurs.

De plus les femmes sont sous-représentées lors des conférences, à l’exception de celles où les femmes sont activement encouragées à faire part de leurs propositions (ces efforts entraînent, inévitablement, leur lot d’accusations quant à des traitements spéciaux et des quotas, quand bien même aucune preuve ne peut être avancée).

La plus grande évidence de sexisme se produit quotidiennement. Par exemple, Slashdot a récemment publié un entretien avec Rikki Ensley, membre de la communauté USENIX. Parmi les premiers commentaires, certains se référaient à une chanson populaire dont le refrain mentionne le prénom Rikki. D’autres discutent de son apparence et lui donnent des conseils pour avoir l’air plus « glamour ».

On assiste à des réactions du même ordre, et bien d’autres pires encore sur de nombreux sites dédiés au monde du libre ou sur IRC, dès qu’une femme apparaît, surtout s’il s’agit d’une nouvelle venue. Voilà qui dément les affirmations d’une communauté qui prétend ne s’intéresser qu’aux seules contributions, ou encore l’illusion que la sous-représentation des femmes serait simplement une question de choix individuels.

6. Microsoft n’est plus l’ennemi irréductible du logiciel libre

Il y a à peine plus d’une dizaine d’années, vous pouviez compter sur Microsoft pour traiter le monde du Logiciel Libre de « communiste » ou « anti-Américain », ou sur leurs intentions parfois divulguées dans la presse de vouloir détruire la communauté.

Une grande partie de la communauté s’accroche encore à ces souvenirs. Après tout, rien ne rassemble plus les gens qu’un ennemi commun, puissant et inépuisable.

Mais ce dont la communauté ne se rend pas compte, c’est que la réaction de Microsoft est devenue plus nuancée, et qu’elle varie d’un service à l’autre au sein de l’entreprise.

Nul doute que les dirigeants de Microsoft continuent de voir le logiciel libre comme un concurrent, bien que les dénonciations hautes en couleur aient cessé.

Cependant, Microsoft a pris conscience que, compte-tenu de la popularité du logiciel libre, les intérêts à court terme de l’entreprise seraient mieux servis si elle s’assurait que les outils libres (en particulier les langages de programmation les plus populaires) fonctionnent correctement avec ses propres produits. C’est d’ailleurs la mission principale du projet Microsoft Open Technologies. Récemment, Microsoft est même allé jusqu’à publier une courte déclaration faisant l’éloge de la dernière version de Samba, qui permet l’administration des serveurs Microsoft depuis Linux et les systèmes Unix (NdT : Voir aussi cette FAQ en français publiée par Microsoft).

Bien sûr, il ne faut pas non plus s’attendre à voir Microsoft devenir une entreprise open source ou faire des dons désintéressés d’argent ou de code à la communauté. Mais, si vous faites abstraction des vieux antagonismes, l’approche égoïste de Microsoft à l’égard du logiciel libre n’est pas très différente de nos jours de celle de Google, HP, ou n’importe quelle autre entreprise.

7. L’innovation des interfaces stagne

En 2012, nombreux furent ceux qui n’ont pas adopté GNOME 3 et Unity, les deux dernières interfaces graphiques majeures. Cet abandon fut largement lié à l’impression que GNOME et Ubuntu ignoraient les préoccupations des utilisateurs et qu’ils imposaient leur propre vision, sans concertation.

À court terme, cela a mené à la résurrection de GNOME 2 sous des formes variées.

En tant que prédécesseur de GNOME 3 et de Unity, GNOME 2 fut un choix évident. C’est une interface populaire qui n’impose que peu de restrictions aux utilisateurs.

Quoi qu’il en soit, cela risque d’être, à long terme, étouffant pour l’innovation. Non seulement parce que le temps passé à ressuciter GNOME 2 n’est pas mis à profit pour explorer de nouvelles voies, mais parce que cela semble être une réaction à l’idée même d’innovation.

Peu sont ceux, par exemple, qui sont prêts à reconnaître que GNOME 3 ou Unity ont des fonctionnalités intéressantes. Au contraire, les deux sont condamnés dans leur ensemble. Et les développements futurs, tels l’intention de GNOME de rendre la sécurisation et la confidentialité plus simples, n’ont pas reçu l’attention qu’ils méritaient.

Au final, au cours des prochaines années, l’innovation en sera probablement réduite à une série de changements ponctuels, avec peu d’efforts pour améliorer l’ergonomie dans son ensemble. Même les développeurs hésiteront à tenter quoi que ce soit de trop différent, afin d’éviter le rejet de leurs projets.

Je me dois d’applaudir le fait que les diverses résurrections de GNOME 2 marquent le triomphe des requêtes des utilisateurs. Mais le conservatisme qui semble accompagner ces aboutissements m’inquiète : j’ai bien peur que cette victoire n’engendre d’autres problèmes tout aussi importants.

8. L’open source est en train de devenir une monoculture

Ses partisans aiment à revendiquer que l’un des avantages du logiciel libre et open source, c’est d’encourager la diversité. À la différence de Windows, les logiciels libres sont supposés être plus accueillants pour les idées nouvelles et moins vulnérables aux virus, la plupart des catégories de logiciels incluant plusieurs applications.

La réalité est quelque peu différente. À la lecture d’une étude utilisateurs vous remarquerez un modèle plutôt constant : une application ou technologie recueille 50 à 65% des votes, et la suivante 15 à 30%.

Par exemple, parmi les distributions, Debian, Linux Mint et Ubuntu, qui utilisent toutes le format de packet en .DEB, recueillent 58% du choix des lecteurs 2012 du Linux Journal, que l’on peut comparer aux 16% recueillis par Fedora, openSUSE, et CentOS, qui utilisent quant à elles le format .RPM.

De même, Virtualbox atteint 56% dans la catégorie « Meilleure solution de virtualisation », et VMWare 18%. Dans la catégorie « Meilleure gestion de versions », Git recueille 56% et Subversion 18%. La catégorie la plus asymétrique est celle des « Suites bureautiques » dans laquelle LibreOffice recueille 73% et (sic) Google Docs 12%.

Il n’y avait que deux exceptions à cette configuration. La première était la catégorie « Meilleur environnement de bureau », dans laquelle la diversification des dernières années était illustrée par les scores de 26% pour KDE, 22% pour GNOME 3, 15% pour GNOME 2 et 12% pour Xfce. La deuxième catégorie était celle de « Meilleur navigateur web »dans laquelle Mozilla Firefox recueillait 50% et Chromium 40%.

De manière générale, les chiffres ne rendent pas compte d’un monopole, mais dans la plupart des catégories, la tendance est là. Au mieux, on pourrait dire que, si la motivation n’est pas le profit, le fait d’être moins populaire n’implique pas que l’application va disparaître. Mais si la concurrence est saine, comme tout le monde aime à le dire, il y a tout de même des raisons de s’inquiéter. Quand on y regarde de près, les logiciels libres sont loin d’être aussi diversifiés que ce que l’on croit.

9. Le logiciel libre est bloqué si près de ses objectifs

En 2004, les logiciels libres et open source en étaient au stade où ils couvraient la plupart des usages de base des utilisateurs : envoi de courriels, navigation sur internet et la plupart des activités productives sur ordinateur. En dehors des espoirs de disposer un jour d’un BIOS libre, il ne manquait plus que les pilotes pour les imprimantes 3D et les cartes WiFi pour atteindre l’utopie d’un système informatique entièrement libre et open source.

Neuf ans plus tard, de nombreux pilotes libres de carte WiFi et quelques pilotes libres de cartes graphiques sont disponibles – mais nous sommes loin du compte. Pourtant la Free Software Foundation ne mentionne que rarement ce qui reste à faire, et la Linux Foundation ne le fait pratiquement jamais, alors même qu’elle sponsorise l’OpenPrinting database, qui liste les imprimantes ayant des pilotes libres. Si l’on combinait les ressources des utilisateurs de Linux en entreprise, on pourrait atteindre ces objectifs en quelques mois, pourtant personne n’en fait une priorité.

Admettons que certaines entreprises se préoccupent de leur soi-disant propriété intellectuelle sur le matériel qu’elles fabriquent. Il est possible également que personne ne veuille courir le risque de fâcher leurs partenaires commerciaux en pratiquant la rétroingénierie. Pourtant, on a bien l’impression que l’état actuel de statu quo persiste parce que c’est déjà bien assez, et que trop peu de personnes ont à cœur d’atteindre des objectifs dont des milliers ont fait le travail de leur vie.

Des discussions, non des disputes

Certains ont peut-être déjà conscience de ces sujets tabous. Cependant, il est probable que chacun trouvera dans cette liste au moins un sujet pour se mettre en rogne.

Par ailleurs, mon intention n’est pas de mettre en place neuf aimants à trolls. Même si je le voulais, je n’en aurais pas le temps.

Ces lignes sont plutôt le résultat de mes efforts pour identifier en quoi des évidences largement admises dans la communauté devraient être remises en question. Je peux me tromper. Après tout, je parle de ce que j’ai pris pour habitude de penser, moi aussi. Mais au pire, cette liste est un bon début.

Si vous pensez qu’il y a d’autres sujets tabous à aborder et à reconsidérer au sein de la communauté des logiciels libres et open source, laissez un commentaire. Cela m’intéresse de voir ce que je pourrais avoir oublié.

Crédit photo : Laëtitia Dulac (Creative Commons By)




Apprenez de vos utilisateurs (Libres conseils 21/42)

21/42 ! Tiens, nous voilà déjà à mi-chemin de la traduction d’Open Advice.

Deux ou trois articles petits ou grands chaque jeudi, traduits en un temps record par une bande de furieux, ceux qui sont là depuis le début et ceux qui débarquent et demandent s’ils peuvent participer, ceux qui travaillent d’arrache-clavier et ceux qui en profitent pour déconner échanger des propos sur le chat du pad, ceux qui choisissent un pseudo et ceux qui restent anonymous, ceux qui négligent tranquillement l’orthographe et les grammar nazis qui rectifient, ceux qui traduisent avec Google translate et ceux qui se battraient pour une majuscule à Libre… on rencontre tout un peuple là, et jusqu’à présent tout se passe dans l’enthousiasme et la bonne humeur, l’échange et l’entraide devant un passage un peu ardu sur lequel on s’amuse à chinoiser…

Mais cette fois-ci c’est l’auteur de l’article lui-même qui nous a fait le plaisir de nous rejoindre pour contribuer à la traduction, ce qui est tout de même assez confortable. Merci Guillaume !

Malgré nos relectures croisées, nul doute que des coquilles auront échappé à notre vigilance et que nous trouverons des lecteurs pour les signaler, ce qui nous est précieux car la révision avant l’édition du framabook en sera d’autant facilitée.

D’ici là, en avant pour la deuxième moitié : chaque jeudi à 21h, rendez-vous sur le framapad de traduction, le travail collaboratif sera ensuite publié ici même.

Traduction Framalang : Nyx, Sphinx, peupleLà, Kalupa, Guillaume Paumier, Husi10, lenod, Sky, Julius22, Alpha, RavageJo, KoS, Sputnik, goofy, lamessen

Apprenez de vos utilisateurs

Guillaume Paumier

Guillaume Paumier est photographe et physicien, il habite à Toulouse. Wikipédien depuis longtemps, il travaille actuellement pour la Wikimedia Foundation, l’organisation à but non lucratif qui héberge Wikipédia. En tant que responsable de l’ergonomie multimédia, il a notamment étudié le comportement des utilisateurs afin de créer un nouveau système d’import de fichiers pour Wikimedia Commons, la médiathèque libre associée à Wikipédia.

Vous connaissez Wikipédia, l’encyclopédie libre et gratuite que tout le monde peut modifier ? Elle a été créée en 2001 et a récemment fêté son dixième anniversaire. Bien qu’elle soit l’un des dix sites les plus visités au monde, son interface reste très « 1.0 » quand on la compare aux possibilités qu’offrent les technologies web modernes. Certains peuvent trouver ça bien : Wikipédia est un « truc sérieux » et les utilisateurs n’ont pas à être distraits par des « paillettes » dans l’interface. Pourtant, si Wikipédia a eu du mal à recruter de nouveaux contributeurs ces dernières années, c’est en partie à cause de son interface que certains considèrent comme archaïque. Ceci explique peut-être pourquoi les enquêtes sur les participants à Wikipédia ont montré à maintes reprises qu’il s’agit principalement d’une population d’hommes jeunes, attirés par la technologie, la plupart ayant une formation en informatique et en ingénierie. En dehors du fait que la connaissance libre et les licences libres sont issues du terreau fertile du logiciel libre et open source, l’interface compliquée a découragé beaucoup de contributeurs éventuels.

En 2011, alors que la majorité des plates-formes de publication collaboratives en ligne (comme WordPress, Etherpad et Google Documents) offrent un éditeur graphique, même rudimentaire, Wikipédia utilise toujours, par défaut, un ancien éditeur de texte wiki qui utilise des guillemets (“”) et des crochets ([[]]) pour la mise en forme. Des efforts sont en cours afin de passer à un éditeur graphique par défaut en 2012, mais ce n’est pas un défi facile à relever.

Mais laissons l’éditeur de côté un moment. L’interface de Wikipédia demeure assez compliquée. Et de nombreuses fonctionnalités utiles sont difficiles à découvrir. Savez-vous que Wikipédia possède un système de contrôle de versions intégré ? Et que vous pouvez voir toutes les anciennes versions d’une page ? Savez-vous que vous pouvez voir la liste de toutes les modifications effectuées par un contributeur ? Savez-vous que vous pouvez créer un lien vers une version donnée d’une page ? Savez-vous que vous pouvez exporter une page en PDF ? Savez-vous que vous pouvez créer un vrai livre personnalisé à partir du contenu de Wikipédia ? Et que vous pouvez le faire livrer chez vous ?

Le modèle d’implémentation

La plupart des lecteurs de Wikipédia y arrivent via des moteurs de recherche. Les statistiques montrent qu’ils passent peu de temps sur Wikipédia une fois qu’ils ont trouvé l’information qu’ils cherchaient. Un petit nombre seulement s’attarde et explore les outils que propose l’interface. Par exemple, on critique régulièrement Wikipédia sur sa qualité et sur sa fiabilité. Nombre de ces outils rarement explorés et presque cachés pourraient s’avérer bien utiles aux lecteurs pour les aider à vérifier la fiabilité de l’information, telles que les « pages de discussion » qui témoignent des discussions (passées et en cours) entre les différents contributeurs de chaque article ayant abouti à son contenu actuel.

Wikipédia et ses projets frères (tels que Wikisource et Wikimedia Commons) sont propulsés par le moteur de wiki MediaWiki — et sont soutenus par la Wikimedia Foundation ; rien que ces noms, dans leur confusion, sont un péché contre l’ergonomie. Pendant longtemps, le développement de MediaWiki a été conduit par des développeurs de logiciels. La communauté MediaWiki est forte de nombreux développeurs ; à vrai dire, la communauté est presque exclusivement composée de développeurs. Ce n’est que récemment que des designers ont rejoint la communauté, et ils ont été recrutés par la Wikimedia Foundation pour ce rôle. Il n’y a quasiment aucun designer bénévole dans la communauté. De ce fait, l’application a été construite et « maquettée » exclusivement par des développeurs. Par conséquent, la forme de l’interface a naturellement suivi de très près le « modèle d’implémentation », c’est-à-dire la manière dont le logiciel est implémenté dans le code et les structures de données. Le modèle d’implémentation ne correspond que rarement au « modèle utilisateur », c’est-à-dire à la manière dont l’utilisateur imagine que le logiciel fonctionne.

Il serait injuste de dire que les développeurs ne se soucient pas des utilisateurs. Quand on crée un logiciel, le but — outre le plaisir d’apprendre des choses, d’écrire du code et de résoudre des problèmes — c’est de le publier afin qu’il puisse être utilisé. Ceci est particulièrement vrai dans le monde du logiciel libre et open source, où la plupart des développeurs donnent bénévolement de leur temps et de leurs connaissances. On pourrait avancer que les développeurs sont, de fait, des utilisateurs de leurs propres produits, notamment dans le monde du logiciel libre et open source. Après tout, ils les ont créés ou ont rejoint leurs équipes pour une bonne raison, et c’est rarement l’argent. Par conséquent, les développeurs de ce type de logiciels devraient être dans une position idéale pour savoir ce que veulent leurs utilisateurs.

Mais soyons honnêtes : si vous êtes en train de lire ceci, c’est que vous n’êtes pas votre utilisateur lambda.

Le point de vue du développeur

Si vous êtes développeur, il vous est particulièrement difficile de vous mettre à la place de l’utilisateur. Tout d’abord, votre connaissance du code et de l’implémentation du logiciel vous force à observer ses fonctionnalités et son interface à travers un prisme très particulier. Vous connaissez chacune des fonctionnalités de l’application que vous avez créée. Vous savez où trouver chaque menu. Si quelque chose paraît légèrement bizarre dans l’interface, il est possible que vous l’ignoriez sans le vouloir, parce que vous savez inconsciemment que c’est lié à la façon dont la fonctionnalité est implémentée.

Imaginons que vous soyez en train de créer une application qui enregistre des données sous forme de tableau (par exemple, dans une base de données). Quand vous devrez ensuite afficher ces données pour les montrer à l’utilisateur, il est très probable que vous les représentiez comme un tableau, car c’est la façon dont vous avez implémenté leur stockage. Il vous paraîtra logique d’afficher les données dans un format qui est cohérent avec le format de stockage. Vous aurez probablement le même réflexe pour tout autre type de structure de données séquentielles : vous aurez tendance à l’afficher sous forme de séquence dans l’interface, peut-être comme une liste. Et pourtant, un autre format d’affichage aurait peut-être été plus pertinent et facile d’utilisation pour les utilisateurs, par exemple sous forme d’une série de phrases, d’un graphique ou d’une autre représentation visuelle.

Un autre défi est votre niveau d’expertise. Comme vous souhaitez que votre application soit extraordinaire, vous allez probablement vous documenter sur le sujet pour la concevoir. En fin de compte, vous n’allez pas seulement connaître votre application sur le bout des doigts, vous allez également devenir un expert dans le domaine lui-même. Un grand nombre de vos utilisateurs n’auront pas ce niveau d’expertise — ou n’en auront pas besoin. Ils pourraient être perdus par le niveau de détail de certaines fonctionnalités ou ne pas être familiers avec des termes inconnus des profanes.

Alors, que pouvez-vous faire pour arranger cela ?

Observez les utilisateurs. Vraiment

Observer les utilisateurs à l’œuvre avec votre application est une expérience réellement révélatrice.

Bon, pour observer comment les gens utilisent votre application, vous pouvez faire appel à une société de conseil en ergonomie ; cette société va alors recruter des volontaires avec des profils différents au sein d’un vivier de plusieurs milliers de testeurs, elle va mettre au point une grille d’entretien, louer une salle dédiée aux tests d’ergonomie qui comprendra un dispositif pour enregistrer ce qui se passe sur l’écran et une caméra pointée vers le testeur, et vous serez derrière une vitre sans tain, dans une salle d’observation, à vous taper la tête contre les murs et à jurer à chaque fois que l’utilisateur fait quelque chose qui, selon vous, n’a aucun sens. Si vous avez les moyens de le faire, alors n’hésitez pas, foncez. Ce que vous y apprendrez vous permettra de complètement changer votre point de vue. Si vous n’avez pas les moyens de recourir à une procédure de test professionnelle, tout n’est pas perdu ; vous allez juste devoir le faire par vous-même. Asseyez-vous derrière un utilisateur pendant qu’il vous montre comment il effectue ses tâches et les intègre à son mode de travail. Soyez un observateur silencieux : votre but est d’observer et de noter tout ce qui se passe. Beaucoup de choses vont vous surprendre. Une fois que l’utilisateur a terminé, vous pouvez relire vos notes et lui poser des questions afin de mieux comprendre comment il fonctionne.

Pour vous aider à conduire ces tests vous-même, il existe d’excellents ouvrages comme Don’t Make Me Think: A Common Sense Approach to Web Usability [NdT: Traduit en français : Je ne veux pas chercher: Optimisez la navigation de vos sites et menez vos internautes à bon port], écrit par Steve Krug, About Face 3: The Essentials of Interaction Design, d’Alan Cooper, Robert Reimann et David Cronin, et le projet OpenUsability. Être observé peut être un peu intimidant pour les utilisateurs, mais je parie qu’ils seront nombreux à se porter volontaires pour vous aider à améliorer votre application. Les utilisateurs qui ne peuvent pas contribuer au code sont généralement heureux de trouver d’autres façons de contribuer au logiciel libre : vous montrer comment ils utilisent le logiciel est une manière simple de le faire. Les utilisateurs sont reconnaissants du temps que vous avez donné pour développer le logiciel et veulent vous rendre la pareille.

Vous devrez garder un esprit critique et ne pas forcément accepter toutes les modifications demandées par vos utilisateurs. Écoutez attentivement leurs histoires : elles vous donneront l’occasion d’identifier des problèmes. Mais ce n’est pas parce qu’un utilisateur réclame une fonctionnalité qu’il en a absolument besoin ; peut-être que le meilleur moyen de résoudre le problème sous-jacent est de mettre en place une fonctionnalité complètement différente. Gardez du recul par rapport aux commentaires de vos utilisateurs. Mais cela, vous le saviez probablement déjà.

Et au passage, ne faites pas non plus appel à votre famille.

Je ne dis pas ça méchamment, je suis sûr que vos parents, frères et sœurs sont des gens très bien. Mais si vous créez une application comptable et que votre sœur n’a jamais tenu la moindre comptabilité, elle sera sans doute perdue. Vous perdrez plus de temps à lui expliquer ce qu’est la comptabilité en partie double qu’à tester votre logiciel. Par contre, votre mère, qui s’est acheté un appareil photo numérique l’année dernière, pourrait être un cobaye idéal si vous travaillez sur une application de gestion de photos numériques ou d’envoi sur un site de partage en ligne populaire. Pour votre application de comptabilité, il vaut mieux demander à l’un de vos collègues ou amis qui a déjà quelques notions de comptabilité.

Variez vos cobayes

Pour des raisons qui resteront éternellement mystérieuses, les gens trouveront toujours d’innombrables façons d’utiliser et de maltraiter votre application. Ils trouveront des manières de la casser que vous n’auriez même pas imaginées dans vos pires cauchemars. Certains mettront en place des processus et des méthodes de travail avec votre application qui n’ont absolument aucun sens à vos yeux. Et, de désespoir, vous vous cognerez la tête contre les murs. D’autres utiliseront votre application avec tellement d’intelligence que vous vous en sentirez idiot. Essayez de rencontrer des gens qui utilisent votre application avec des objectifs différents.

Les utilisateurs sont de drôles d’oiseaux. Mais ils sont de votre côté. Apprenez d’eux.

Si vous ne retenez rien d’autre…

… alors retenez ceci :

  • Vous serez tenté de modeler l’apparence et le comportement de votre interface sur la façon dont le logiciel fonctionne en coulisses. Vos utilisateurs peuvent vous aider à éviter ce piège.
  • Les utilisateurs sont des oiseaux capricieux. Ils vont casser, maltraiter et optimiser votre application à un point que vous ne pouvez pas même pas imaginer.
  • Apprenez de vos utilisateurs. Améliorez votre application en fonction de ce que vous avez appris. Vous avez tout à y gagner.



Non, je ne vais pas télécharger ton application mobile de merde !

C’était mieux avant ?

Tom Morris souhaite juste lire un article de presse. Sauf que la procédure pour y arriver n’est pas la même selon qu’il se trouve sur bon vieil ordinateur ou sur son clinquant smartphone (ici un iPhone).

Alors Tom Morris en a marre et nous le dit sur son blog dans un style qui ne fait pas dans la dentelle !

Daniel Hennemand - CC by

Non, je ne vais pas télécharger ton appli de merde

No, I’m not going to download your bullshit app

Tom Morris – 2 février 2013 – Blog personnel
(Traduction : Pouhiou, ehsavoie, Lapinosor + anonymes)

Comment lisions-nous les informations à l’époque du Web :

  1. Aller sur le site du journal.
  2. Cliquer sur l’article.
  3. Lire.

Voici comment nous lisons les informations à l’ère des saloperies d’applications iPhones inutiles :

  1. Aller sur le site web.
  2. Être informé que vous n’êtes pas autorisé à lire le site web.
  3. Être redirigé vers un App Store.
  4. Télécharger l’application.
  5. Attendre tandis qu’un fichier de plusieurs megaoctets se télécharge sur votre capricieuse et onéreuse connexion 3G.
  6. Ouvrir l’application.
  7. Se familiariser avec une interface dont les touches sont d’une intuitivité obscure qui ne nous a pas été dévoilée et d’une utilisation subtilement différente des autres applications similaires.
  8. Lutter contre l’indicateur d’état mal implémenté d’une roue dentée de chargement (sur iOS) ou une barre de progression clignotante (sur Android) parce que vous avez eu l’audace d’utiliser votre appareil mobile sur une connexion lente ou incertaine.
  9. Tenter de trouver l’article que vous souhaitiez lire dans une mise en page et une architecture informationnelle qui sont totalement différentes de la mise en page et de l’architecture informationnelle du site web auquel vous vous êtes habitué, parce qu’un enfoiré a décidé que lire l’équivalent électronique d’un journal doit être une « rupture technologique » (car il a lu bien trop de Seth Godin[1] et autres foutaises).
  10. Réaliser que l’application ne vous montre pas la même chose en mode paysage ou portrait. À vous les joies de passer pour un gros obsédé dans le métro en tournant votre iPad dans tous les sens pour mieux zoomer sur la pin-up de la page 3.
  11. Ne pas être capable de partager avec vos amis parce que ce n est pas une page web avec une URI. Parce que pourquoi avoir besoin d’URI quand vous avez de beaux et brillants boutons sur votre téléphone?
  12. Perdre du temps pour télécharger les fichiers binaires à la prochaine mise a jour (automatique) de l’application sur l’App Store, afin que vous ayez cette « nouvelle fonctionnalité », même s’il n’y a aucune putain de fonctionnalité qui vous intéresse, si ce n’est de pouvoir (enfin) lire ces putains d’articles.
  13. Si vous utilisez Android, installez d’abord un logiciel anti pub au cas où l’application s’installerait avec quelques délicieuses pubs qui s’introduisent dans vos données personnelles.
  14. Abandonner, aller au kiosque le plus proche, acheter la version papier, balancer son smartphone depuis la falaise la plus proche et démarrer une campagne de dénigrement contre tous les idiots qui pensent que mettre l’info dans une application mobile est une bonne idée.

Dans la guerre « Web contre Applications mobiles » (NdT : web vs. apps), je pense que vous pouvez aisément deviner de quel côté je suis.

Je ne voudrais pas télécharger une application de la BBC ou de la NPR (National Public Radio) pour mon ordinateur. Pourquoi en voudrais-je une sur mon téléphone ? Dois-je acheter un nouveau poste de radio à chaque fois que je veux écouter une nouvelle station ? Non. La fonctionnalité est la même, la seule chose qui diffère, c’est le contenu.

Les applications mobiles doivent fournir une fonctionnalité réelle, et pas seulement des bouts de contenu encapsulés dans des fichiers binaires.

Crédit photo : Daniel Hennemand (Creative Commons By)

Notes

[1] Seth Godin est un entrepreneur américain, ancien responsable du marketing direct de Yahoo, ainsi qu’un auteur et conférencier à succès sur des problématiques du marketing. Il a notamment popularisé le thème du permission marketing.




Apprendre à déléguer (Libres conseils 19/42)

Chaque jeudi à 21h, rendez-vous sur le framapad de traduction, le travail collaboratif sera ensuite publié ici même.

Traduction Framalang : Nyx, lamessen, Sphinx, peupleLà, lerouge, Sky, Julius22, Astalaseven, Alpha, HgO, michel, Sputnik, goofy, HanX, KoS

Ne vous inquiétez pas, faites confiance

Shaun McCance

Shaun McCance est impliqué dans la documentation de GNOME depuis 2003 en tant que rédacteur, chef de la communauté et développeur d’outils. Il a passé la plupart de ce temps à se demander comment inciter davantage de personnes à écrire une documentation de meilleure qualité, avec un certain succès à long terme. Il propose son expérience de la documentation communautaire à travers sa société de conseil, Syllogist.

Alors que je m’apprêtais à écrire cet article, il s’est passé quelque chose d’énorme : GNOME 3 est sorti. C’était la première version majeure de GNOME depuis neuf ans. Tout était différent et toute la documentation existante devait être réécrite. Au même moment, nous changions notre façon de l’écrire. Nous avions jeté nos vieux manuels et étions repartis sur une nouvelle base, avec un système d’aide dynamique par sujet, en utilisant Mallard.

Quelques semaines avant la sortie, une partie d’entre nous s’est réunie pour élaborer la documentation. Nous passions nos journées à travailler, à planifier, à écrire et à réviser. Nous avons écrit des centaines de pages malgré les changements incessants liés aux ultimes modifications du logiciel. Nous avions des contributeurs en ligne qui proposaient de nouvelles pages et corrigeaient ce qui existait déjà. Je n’avais jamais vu notre équipe de documentation aussi productive.

À quoi avons-nous finalement abouti ? Beaucoup de facteurs sont entrés en jeu, et je pourrais écrire un livre entier sur les nuances de la documentation open source. Mais ce que j’ai fait de plus important a été de m’effacer et de laisser les autres faire le travail. J’ai appris à déléguer ; et à déléguer dans les règles de l’art.

Revenons huit ans en arrière. J’ai commencé à m’impliquer dans la documentation de GNOME en 2003. Je n’avais pas vraiment d’expérience en tant que rédacteur technique à cette époque. Mon emploi m’amenait à travailler sur des outils de publication et j’ai commencé à travailler sur les outils et sur le visualiseur d’aide utilisés par la documentation de GNOME. Peu de temps après, je me suis retrouvé à la rédaction de la documentation.

En ce temps-là, la majeure partie de notre documentation était entre les mains de rédacteurs techniques professionnels de chez Sun. Ils s’occupaient d’un manuel, l’écrivaient, le relisaient et l’envoyaient sur notre dépôt CVS. Après quoi nous pouvions tous le regarder, y apprendre quelque chose et lui apporter des corrections. Mais il n’existait pas d’efforts concertés pour impliquer les gens dans le processus d’écriture.

Ce n’est pas que les rédacteurs de Sun essayaient de protéger ou de cacher quoi que ce soit. Ils étaient avant tout rédacteurs techniques. Ils connaissaient leur travail et le faisaient bien. D’autres personnes auraient pu les remplacer pour d’autres manuels mais ils auraient écrit leurs travaux d’une manière habituelle. Utiliser un groupe de collaborateurs novices, aussi enthousiastes soient-ils, pour chaque page, revient à perdre un temps inimaginable sur des détails. C’est tout simplement contre-productif.

De manière inévitable, le vent a tourné chez Sun et leurs rédacteurs techniques ont été affectés à d’autres projets. Cela nous a laissés sans nos rédacteurs les plus prolifiques, ceux qui disposaient des meilleures connaissances. Pire que cela, nous étions laissés sans communauté et personne n’était là pour ramasser les morceaux.

Il y a des idées et des processus standards dans le monde de l’entreprise. J’ai travaillé dans le monde de l’entreprise. Je ne crois pas que quiconque remette ces idées en cause. Les gens font leur travail. Ils choisissent des missions et les terminent. Ils demandent aux autres de faire une relecture, mais ils n’ouvrent pas leur travail aux nouveaux venus et aux rédacteurs moins expérimentés. Les meilleurs rédacteurs écriront sans doute le plus.

Ces idées sont d’une plate évidence, mais elles échouent lamentablement dans un projet communautaire. Vous ne développerez jamais une communauté de contributeurs si vous faites tout vous-même. Dans un projet de logiciel, vous pouvez avoir des contributeurs compétents et suffisamment impliqués pour contribuer régulièrement. Dans la documentation, cela n’arrive presque jamais.

La plupart des gens qui s’essayent à la documentation ne le font pas parce qu’ils veulent être rédacteur technique ni même parce qu’ils aiment écrire. Ils le font parce qu’ils veulent contribuer. Et la documentation est la seule manière qu’ils trouvent accessible. Ils ne savent pas coder. Ils ne sont artistiquement pas doués. Ils ne maîtrisent pas assez une autre langue pour faire de la traduction. Mais ils savent écrire.

C’est là que les rédacteurs professionnels lèvent les yeux au ciel. Le fait que vous soyez instruit ne signifie pas que vous puissiez écrire une bonne documentation pour l’utilisateur. Il ne s’agit pas simplement de poser des mots sur le papier. Vous devez comprendre vos utilisateurs, ce qu’ils savent, ce qu’ils veulent, les endroits où ils cherchent. Vous avez besoin de savoir comment présenter l’information de façon compréhensible et savoir où la mettre pour qu’ils puissent la trouver.

Les rédacteurs techniques vous diront que la rédaction technique n’est pas à la portée de tous. Ils ont raison. Et c’est exactement pourquoi la chose la plus importante que les rédacteurs professionnels puissent faire pour la communauté est de ne pas écrire.

La clé pour construire une communauté efficace autour de la documentation, c’est de laisser les autres prendre les décisions, faire le travail et en récolter eux-mêmes les fruits. Il ne suffit pas de leur donner du travail en continu. La seule solution pour qu’ils s’intéressent suffisamment et s’accrochent au projet, c’est qu’ils se sentent investis personnellement. Le sentiment de faire partie intégrante d’un projet est une source puissante de motivation.

Mais si vous ne travaillez qu’avec des rédacteurs débutants et que vous leur donnez tout le travail à faire, comment pouvez-vous avoir l’assurance que la documentation ainsi créée sera de qualité ? Une participation massive mais incontrôlée n’aboutit pas à de bons résultats. Le rôle d’un rédacteur expérimenté au sein de la communauté est d’être un professeur et un mentor. Vous devez leur apprendre comment rédiger.

Commencez par impliquer les gens tôt dans le planning. Planifiez toujours du bas vers le haut. La planification du haut vers le bas n’incite pas à la collaboration. Il est difficile d’impliquer les gens dans la réalisation d’une vue d’ensemble de haut niveau si tous n’ont pas la même perception de cette vue d’ensemble. Mais les gens sont capables de travailler sur des segments. Ils peuvent réfléchir à des sujets particuliers d’écriture, à des tâches que les gens réalisent, à des questions que les gens peuvent se poser. Ils peuvent regarder les forums de discussion et les listes de diffusion afin de voir ce que les utilisateurs demandent.

Écrivez vous-même quelques pages. Cela donne un exemple à imiter. Il faut ensuite répartir tout le reste du travail. Laissez à d’autres la responsabilité de rubriques ou de chapitres entiers. Précisez-leur clairement quelles informations ils doivent fournir, mais laissez-les écrire. C’est en forgeant qu’on devient forgeron.

Soyez constamment disponible pour les aider ou répondre aux questions. Au moins la moitié de mon temps consacré à la documentation est passée à répondre à des questions afin que les autres puissent effectuer leur travail. Quand des brouillons sont soumis, relisez-les et discutez des critiques et des corrections avec leurs auteurs. Ne vous contentez pas de corriger vous-même.

Cela vous laisse tout de même le gros du travail à faire. Les gens complètent les pièces du puzzle, mais c’est toujours vous qui les assemblez. Au fur et à mesure qu’ils acquièrent de l’expérience, les gens s’occuperont de pièces de plus en plus grandes. Encouragez-les à s’impliquer davantage. Donnez-leur davantage de travail. Faites en sorte qu’ils vous aident à aider plus de rédacteurs. La communauté fonctionnera toute seule.

Huit ans plus tard, GNOME a réussi à créer une équipe de documentation qui se gère elle-même, résout les problèmes, prend des décisions, produit une bonne documentation et accueille constamment de nouveaux contributeurs. N’importe qui peut la rejoindre et y jouer un rôle. Telle est la clé du succès pour une communauté open source.




Donnez-moi la liberté de vous payer… par Ploum

Et si nous faisions en sorte qu’Internet nous permette de payer en toute liberté ?

Que nous sortions du double carcan de la somme fixe et unique pour tout le monde et du poids moral négatif induit par l’usage (de la copie) sans rétribution ?

Flattr - CC by

Si c’est possible de le copier, alors vous le trouverez gratuitement sur Internet. Ceci n’est pas un slogan publicitaire mais une constatation. Nous vivons dans un monde où le contenu s’est affranchi de son support matériel et des limites inhérentes. Dans ce monde, les barrières de l’accès à la connaissance sont tombées. Tout le monde peut partager une réflexion philosophique, une analyse d’une œuvre de Monet. Ou une vidéo de chatons et le dernier clip d’un chanteur à la mode.

Au fond, c’est merveilleux. Cela devrait nous émerveiller tous les matins. Aucun auteur de Science-Fiction n’avait osé en rêver. C’est génial ! Sauf si on gagne sa vie à vendre du contenu sur un support physique. Auquel cas, la perspective est un peu inquiétante.

Alors que le support physique n’était jamais qu’un moyen comme un autre de diffuser de l’information, les vendeurs ont tout d’abord tenté de lier irrémédiablement le contenu avec son contenant. Voire de distribuer le contenu de manière virtuelle mais en ajoutant artificiellement les contraintes du matériel, quand bien même ce matériel n’existait plus.

Après cet échec prévisible, les industries du contenu cherchèrent d’autres méthodes de rentabilisation. Après tout, il existe des journaux gratuits, des chaînes de télévision gratuites. Le dénominateur commun étant le financement par l’ajout de publicité.

Outre les questions qu’elle pose, la publicité a le problème de dégrader l’expérience du contenu. Apprécierez-vous d’être interrompu au milieu d’une fugue de Bach par un slogan ventant des croquettes pour chat ? Pire : tout comme il est possible de tout trouver gratuitement, il est également possible de bloquer la publicité.

Un monde virtuel qui ne vivrait que de la publicité serait fortement limité. En effet, la publicité devrait forcément faire référence aux produits du monde réel, celui au grand plafond bleu, produits limités en quantité par le monde réel lui-même. À l’heure où l’on parle de décroissance, on ne peut imaginer augmenter à l’infini les publicités.

Lorsqu’il n’est physiquement plus possible de forcer quelqu’un à vous donner de l’argent, la seule solution est de faire appel à son sens moral. De le convaincre. Deux choix s’offrent au vendeur : la voie positive « C’est bien de donner » et celle négative « Ne pas donner, c’est mal ! ».

Devinez laquelle a été choisie ? Nous vivons dans un monde merveilleux où le partage est possible instantanément à travers la planète et nous avons réussi à transformer cette utopie futuriste, cette réalisation extraordinaire en un péché moral : « Ne pas payer, c’est mal ! », « Ne pas payer est illégal », « Si vous ne payez pas, vous serez poursuivi en justice », « Si vous ne payez pas, vos artistes préférés vont mourir de faim ».

Mais toute cette rhétorique négative se fonde sur une série de postulats.

1. Un artiste doit être payé pour ses réalisations.

FAUX. Cette vision se base sur une séparation nette entre les artistes d’un côté et les consommateurs de l’autre. Internet a démontré que nous sommes tous, à différents degrés, des artistes. Comme le dit Rick Falkvinge, un artiste c’est quelqu’un qui produit de l’art. À partir du moment où cette personne cherche à en tirer du profit, elle devient un entrepreneur. Et, à ce titre, c’est à elle de mettre en place un business model. On pourrait également appliquer cet argument au logiciel libre et dire que tout codeur doit être payé pour ses contributions. Pourtant, le logiciel libre prouve que c’est loin d’être le cas.

2. Tout travail mérite salaire.

FAUX. Le client paie généralement le produit d’un travail, pas le travail lui-même. Creuser un trou dans votre jardin est un travail dur. Le reboucher l’est tout autant. Pourtant, personne ne vous paiera pour cela. Le travail n’est donc rémunéré que lorsque quelqu’un estime intéressant de le faire, quelle que soit sa raison.

3. Il faut payer avant de consommer.

FAUX. Imaginez que vous puissiez entrer dans un restaurant, manger et que le prix soit laissé à votre appréciation. Si vous avez aimé, vous payez beaucoup. Sinon, vous payez moins ou juste assez pour couvrir le prix des produits. Utopiques ? C’est pourtant dans ce monde que nous vivons de plus en plus. La musique en est l’exemple le plus marquant : il n’est pas rare de rencontrer des audiophiles qui achètent un album qu’ils ont téléchargé depuis six mois sous prétexte : « C’est vraiment un bon CD, je l’adore, je l’écoute en boucle. Du coup, je l’achète pour soutenir l’artiste. ».

4. Il est obligatoire de payer.

FAUX. Contrairement à l’exemple du restaurant, la reproduction de l’information à un coût tout à fait nul. Il n’y a donc aucune raison particulière de payer pour consommer du contenu. Nous écoutons de la musique chez des amis, nous lisons un livre trouvé sur un banc, nous entendons un voisin expliquer le sens de la vie par dessus sa haie : nous consommons en permanence du contenu sans le payer. Pire, un même contenu peut être consommé gratuitement à titre promotionnel puis rendu payant par après. Les distributeurs de contenu sont donc dans la position schizophrénique de devoir diffuser le contenu autant que possible tout en empêchant… qu’il soit trop diffusé.

Pourtant, cet argument de l’obligation de payer est tellement tenace qu’il en est devenu « Si c’est gratuit, c’est nul » jusqu’à un extrème « Si c’est cher, c’est bien » exploité par les grandes marques.

5. Chacun doit payer le même prix pour accéder au même contenu.

FAUX. De nouveau, aucune loi naturelle n’oblige à ce que chacun paie la même chose pour le même service. Nous sommes pourtant habitués à ce genre de choses : les militaires, les jeunes et les pensionnés ont des réductions dans les transports en commun. Les journalistes et les professeurs ont des entrées gratuites dans certains musées.

Quand on y pense, payer le même prix est foncièrement injuste. Une personne qui adore un contenu paiera autant que quelqu’un qui n’a agit que par réflexe suite à une publicité et ne le consommera qu’une ou deux fois.

Si nous arrivons à remettre en question ces postulats, alors peut-être arriverons-nous à sortir de cette pernicieuse morale négative. Peut-être pourrons-nous enfin être fiers de cet accomplissement humain : le partage du savoir à tous les niveaux.

Et des solutions commencent à se mettre en place. Ma préférée étant Flattr qui, justement, permet de donner une petite somme d’argent aux contenus que l’on apprécie et ce parfois automatiquement. Avec la subtilité que la somme donnée par mois est fixe, quelque soit la quantité de contenu consommé. Framasoft est sur Flattr et je milite activement pour qu’on puisse Flattrer les billets individuels ! Certes, Flattr est centralisé mais tout service gérant des transferts d’argent le restera tant que Bitcoin ne sera pas généralisé !

Les artistes eux-mêmes commencent à bouger. Après l’expérience de Radiohead en 2007, c’est au tour d’Amanda Palmer de voir dans le « Payez ce que vous voulez » l’avenir des artistes. Et pour ceux qui souhaitent vraiment s’investir dans la réussite d’un artiste, les plateformes de « crowdsourcing » comme Kickstarter sont en train de contourner de plus en plus le rôle des gros producteurs, de décentraliser les industries du contenu.

À ce genre de discours, il est courant d’objecter que, si ils ont le choix, les consommateurs vont éviter de payer. Pourtant, le choix est déjà là. La majorité des consommateurs choisit de payer pour des raisons morales le plus souvent négatives. Il existe également des domaines où le fait de donner volontairement est considéré comme normal : c’est le principe du pourboire. Je vous propose de tester le web payant pour vous faire votre propre idée.

Transformer Internet en une économie du « Payez ce que vous voulez » ne serait donc que transformer les raisons morales afin de les rendre positives. Et, à ce titre, rendre complètement obsolètes tous les fichages, les surveillances et autre HADOPI. Un retour à la liberté.

Flattr ne différencie pas les consommateurs des producteurs de contenu. Nous sommes tous des producteurs de contenu, nous somme tous des artistes. Et nous sommes tous également avides de nouveautés, d’art et d’idées. Finalement, n’est-ce pas un des fondement de l’égalité ?

Contrairement à un achat, où je me sens toujours extorqué de mon argent durement gagné, faire un micro don me réchauffe le cœur, me donne le sentiment d’être, à mon échelle, un contributeur. Un sentiment de fraternité.

Liberté, égalité, fraternité. C’est peut-être la définition du web et de l’art de demain.

Crédit photo : Flattr (Creative Commons By)




Pour ou contre l’iPad à l’école ? Le cas de la Corrèze

Fin 2010, François Hollande annonçait (sans cacher sa fierté pour son département) que la Corrèze avait décidé de mettre un iPad entre les mains de tous les élèves de Sixième dans le cadre du projet Ordicollège.

On peut voir ici en vidéo l’intégralité de son allocution. On y parle d’« égalité », de « meilleur outil pour réussir », on y parle aussi d’un « coût de 1,5 million d’euros ».

Cette opération ayant été reconduite cette année, l’association P.U.L.L.CO (Promotion de l’Utilisation des Logiciels Libres en COrrèze) a décidé de réagir en convoquant la presse et surtout en publiant une lettre ouverte au président du Conseil Général. Ce dernier y a répondu en apportant ses propres arguments.

Cet échange nous a semblé suffisamment intéressant et révélateur pour que nous décidions de le reproduire ci-dessous.

Brad Flickinger - CC by

iPads au collège : lettre ouverte au président du Conseil Général

URL d’origine du document

Association P.U.L.L.CO – 26 janvier 2013

Lettre ouverte adressée au Président du Conseil Général de la Corrèze Gérard Bonnet.

Monsieur le Président,

C’est avec une grande déception et une pointe de colère que nous apprenons que le Conseil Général a reconduit la distribution d’iPad aux collégiens corréziens dans le cadre de l’opération Ordicollège.

Lors de son lancement en 2008, l’opération Ordicollège avait fait le choix courageux et intelligent d’équiper les collégiens en matériel informatique fonctionnant grâce à des logiciels libres. Ce choix est depuis 3 ans remis en cause par l’arrivée des iPads, un produit sans clavier, dont les qualités pédagogiques restent à démontrer.

Les logiciels libres reposent sur les libertés que confère la licence d’un logiciel à ses utilisateurs. Ils sont alors libres de les utiliser, de les copier, de les étudier, de les adapter et de les redistribuer, en version originale ou modifiée. Les logiciels libres mettent le plus souvent en œuvre des standards ouverts qui garantissent l’accessibilité aux données et leur réutilisation à des fins d’interopérabilité entre systèmes et logiciels actuels et futurs.

Ce modèle revêt de nombreux intérêts. Tout d’abord il permet une libre circulation des logiciels et le partage du savoir. Chacun peut ainsi s’approprier la connaissance accumulée et l’enrichir de son propre savoir, faisant du logiciel libre un bien commun. Ce modèle rend de fait la distribution de logiciels gratuits possible, ce qui permet leur diffusion au plus grand nombre. Ainsi, avec le modèle du logiciel libre, nul ne peut être exclu de l’accès au savoir, ni de l’accès aux ressources numériques.

Par ailleurs, ce modèle favorise la relocalisation du développement du logiciel au plus près des utilisateurs finaux. Ainsi, l’investissement dans l’économie du logiciel libre permet des retombées économiques locales au lieu de les transférer vers les principaux éditeurs propriétaires, souvent installés aux États-Unis. ll existe des solutions libres à la plupart des usages informatiques. Si elles n’existent pas encore, il suffit d’en financer le développement pour que chacun en profite. Il est donc possible de remettre en cause les positions dominantes d’éditeurs propriétaires à l’origine de situation de dépendance technologique. Pour un investisseur institutionnel tel qu’une collectivité territoriale comme le Conseil Général, ces préoccupations nous semblent prioritaires.

C’est d’ailleurs en ce sens que va la récente réponse du Ministère des PME, de l’innovation et de l’Économie numérique, à une question écrite du député Jean-Jacques Candelier. Cette dernière rappelle les principaux avantages du logiciel libre. D’abord pour les individus, car « chacun peut s’approprier la connaissance » et « nul ne peut être exclu de l’accès au savoir » avec le logiciel libre ; mais aussi pour l’État, pour lequel le logiciel libre « constitue une opportunité qu’il convient de saisir », et pour les industries européennes enfin, notamment en raison de l’indépendance technologique qu’il permet. La position du ministère de Fleur Pellerin fait d’ailleurs suite à la circulaire de Jean-Marc Ayrault sur l’usage des logiciels libres dans les administrations allant dans le même sens.

En choisissant d’équiper les collégiens d’iPad, en plus d’enrichir une entreprise privée américaine avec nos impôts, le Conseil Général de la Corrèze se rend coupable d’enfermer l’ensemble des collégiens corréziens dans le carcan d’Apple. Les usages sont ainsi limités à ce que l’entreprise a décidé ou permis. L’utilisateur n’a pas la possibilité d’explorer l’outil pour le comprendre, ni de l’adapter à ses besoins. Il est contraint d’adapter ses besoins à l’outil. Par exemple le choix volontaire d’Apple d’interdire l’usage de certaines technologies comme Flash et Java sur ses tablettes rend impossible l’accès à certaines ressources éducatives mises à disposition sur les sites web de Sesamath (en Flash) et de Geogebra (en Java).

Par ailleurs, Apple utilise des Mesures Techniques de Protection (MTP ou DRM) pour restreindre les libertés des utilisateurs de diverses manières. Pour ne citer que deux exemples, il est impossible d’installer un logiciel ne provenant pas de l’AppStore officiel, qui n’est contrôlé que par l’intérêt commercial de la firme, et l’usage des films achetés sur iTunes est surveillé. De plus, le contournement de ces restrictions est interdit et considéré par Apple comme un acte criminel.

Plus grave : les données personnelles de tous les collégiens sont menacées. En effet, l’usage de l’iPad contraint ses utilisateurs à enregistrer des données personnelles dans des bases de données détenues par Apple aux États-Unis, c’est-à-dire en dehors du pouvoir de contrôle de la CNIL, censée protéger les données personnelles des citoyens français. De plus, l’usage de ces tablettes, de par leur manque de capacité de stockage, contraint les utilisateurs à enregistrer leurs données ailleurs, souvent dans le « Cloud », en utilisant des services comme Dropbox. Là encore, les données des utilisateurs échappent à leur contrôle au profit d’intérêts commerciaux étrangers et soumises à des lois qu’ils ne connaissent pas.

En outre, la société Apple exerce un filtrage arbitraire sur les logiciels (les « apps ») téléchargeables sur les dispositifs sans clavier qu’elle commercialise (tablettes, téléphones, baladeurs numériques…). La gestion des mises à jour des-dits logiciels est elle aussi particulièrement problématique : les anciennes versions des logiciels ne sont pas accessibles au téléchargement, ce qui a pour conséquence de provoquer une obsolescence artificiellement accélérée des dispositifs qui les accueillent. Ainsi, alors qu’un ordinateur sous GNU/Linux n’est limité dans le temps que par la durée de vie du matériel, un iPad deviendra obsolète lorsque les applications seront déclarées comme n’étant plus installables.

Enfin, ce contrôle monopolistique forcément intéressé est déjà un problème pour les consommateurs de technologies aisés, mais c’est un désastre pour les moins nantis. Le fossé se creuse entre ceux qui ont les moyens d’acheter des applications sur le magasin en ligne d’Apple et ceux qui ne les ont pas. Est-ce le rôle de l’école que d’exacerber les inégalités économiques et sociales des familles ? Est-ce le rôle du Conseil Général de financer ce choix discriminant ? Est-ce le rôle du Conseil Général d’apprendre aux élèves à être les consommateurs d’Apple ?

L’objectif est-il de mettre un appareil connecté dans les mains de chaque collégien, quel qu’en soit le prix et en dépit de leur liberté ? Ou devrions-nous plutôt fournir des outils qui encouragent les élèves et les enseignants au partage de la connaissance en mettant à leurs disposition un environnement dans lequel ils ont la possibilité de résoudre eux-mêmes leurs problèmes ? Pour nous, l’éducation c’est de la créativité, de l’ingéniosité et du partage ; toutes ces caractéristiques étant bien plus puissantes dans le monde du libre que dans celui, verrouillé et rigide, de la tablette numérique du géant américain.

En choisissant de distribuer des iPad aux collégiens, le Conseil Général de la Corrèze a fait le choix politique de suivre un effet de mode, en privilégiant le paraître au bon sens. Ce choix démagogique a un prix, celui de l’aliénation des élèves et des enseignants ainsi que l’évaporation de l’investissement public au seul profit des intérêts d’une entreprise commerciale étrangère.

Ce choix aurait pu être différent, il aurait pu être celui de la liberté, de l’égalité et de la fraternité en choisissant un autre modèle de société, celui, globalisé du nord au sud, du bien commun et du logiciel libre. Les moyens investis depuis de nombreuses années l’auraient été de façon bien plus pérenne en aidant à concevoir une tablette et des ressources numériques libres. De nombreux projets existent déjà et sauraient profiter de l’aide des collectivités territoriales et de la puissance publique pour le bénéfice de tous.

Nous restons à votre entière disposition pour vous apporter plus de précisions sur nos positions et vous faire part de nos propositions pour l’avenir de l’opération Ordicollège.

Librement.

L’association Pullco

Devon Christopher Adams - CC by

Réponse à l’association Pullco

URL d’origine du document

OrdiCollège – 30 janvier 2013

Mettre en avant que la tablette est un produit sans clavier tout en argumentant sur la nécessité de faire le choix de tablettes françaises comme le fait l’association Pullco (« il existe des tablettes françaises compétitives », La Montagne, 29/01/13), (« Pourquoi utiliser des tablettes Apple alors que nous avons des tablettes françaises, Archos », L’Echo de la Corrèze, 28/10/13) interroge : la tablette Apple serait donc un produit de moindre qualité que la tablette Archos (également fabriquée en Chine), alors qu’aucune des deux n’a de clavier physique ?

Les collectivités locales sont soumises à une réglementation précise et contraignante dans le cadre des marchés publics. Pour Ordicollège, il s’agit d’un appel d’offres européen, qui a été remporté par une société française et non par Apple. Aucune offre de matériel « français » n’a été déposée, pas plus que d’offres sous environnement « libre ».

Le budget engagé par le Conseil général n’est pas uniquement destiné à l’acquisition du matériel, il revient pour une bonne part à la société française qui a remporté le marché. La chaîne de préparation, la logistique, la gestion administrative, représentent des emplois. La fabrication de la coque de protection a été confiée à une société française, les équipes techniques du constructeur le sont également.

L’association Pullco défend le logiciel libre selon quatre principes : la liberté d’exécuter le programme sans restrictions, la liberté d’étudier le fonctionnement du programme, la liberté de redistribuer des copies du programme, la liberté d’améliorer le programme et de publier ses améliorations. Cette approche, parfaitement recevable, ne répond pas pour autant aux objectifs fixés dans le cadre d’Ordicollège.

Le Conseil général de la Corrèze a fait le choix, depuis 2008, d’équiper les collégiens dans le but de favoriser les apprentissages et la réussite scolaire, notamment pour les élèves en difficulté, et de réduire la fracture numérique. Sans conditions de ressources, ni contraintes liées à la nécessité d’un abonnement internet au domicile. Objectif atteint, comme en atteste le rapport réalisé par la mission d’évaluation de l’Inspection générale de l’Education nationale. Rapport qui souligne également le choix judicieux de la tablette.

Pédagogiquement, cette opération s’inscrit dans la mise œuvre au Collège des compétences définies par le référentiel Education nationale B2i (brevet informatique et internet, mis à jour en décembre 2011).

Le B2i porte sur les pratiques, « les évolutions d’Internet et le développement des usages pédagogiques du numérique afin de mieux préparer les élèves à un usage responsable de ces technologies » ; les objectifs sont les suivants : acquérir, stocker et traiter des informations pour produire des résultats, être un utilisateur averti des règles et des usages de l’informatique et de l’internet, composer un document numérique, chercher et sélectionner l’information demandée, communiquer, échanger.

L’informatique n’est pas une matière enseignée au collège. Ce sont ses usages qui sont au programme et le logiciel (ou application) ne représente qu’une infime part dans ce contexte. Il convient au passage de ne pas faire d’amalgame entre logiciels et ressources pédagogiques, ces dernières pouvant fonctionner avec un logiciel ou de façon autonome.

A partir de ce constat, il est facile de comprendre que les objectifs défendus par l’association Pullco sont éloignés du contexte d’Ordicollège.

L’exclusion de l’accès au savoir n’est pas un argument recevable, chaque collégien étant destinataire du même matériel, des mêmes logiciels. Pas plus que l’idée d’un « enfermement dans le carcan » d’un constructeur. Les fonctionnalités d’un navigateur internet, d’un traitement de texte ou d’un tableur sont identiques, quel que soit l’environnement système.

Au collège, ce sont les bases nécessaires à l’utilisation et à la compréhension de ces outils qui sont enseignées, sachant que plus tard, l’utilisateur sera libre de faire le choix de son environnement personnel, mais qu’il devra aussi s’adapter à l’environnement mis en œuvre dans son cadre professionnel.

L’association Pullco met en avant l’impossibilité d’utiliser les ressources en Flash, en oubliant qu’il ne s’agit pas d’une technologie libre et que celle-ci est aujourd’hui en voie de remplacement par le HTML5. Elle avance également des arguments erronés concernant les données personnelles des élèves : les informations nécessaires sont gérées via des adresses génériques (ex. : tab2019@ordicollege), un alias nominatif étant uniquement ajouté sur le compte de messagerie.

Concernant le téléchargement de logiciels (apps) sur les tablettes, bon nombre sont gratuites et utilisées dans le cadre d’Ordicollège. Par contre, il n’a jamais été question de faire payer des apps aux parents, l’utilisation de cartes bancaires étant interdite dans le cadre de la mise à disposition des tablettes.

Face aux arguments développés par l’association Pullco, il y a la réalité du monde des technologies. Qu’un matériel soit davantage plébiscité qu’un autre ne relève pas uniquement de la communication mise en œuvre par son fabricant. Les utilisateurs savent également faire preuve de discernement.

L’association Pullco comprend parmi ses adhérents des spécialistes des programmes informatiques et c’est tout à son honneur. Mais l’immense majorité des usagers du numérique ne sont pas des passionnés des systèmes ou des entrailles des matériels et des logiciels, ce qui ne signifie pas pour autant que l’on puisse parler pour eux d’alinéation. Cela dit, il est dommage que Pullco n’ait jamais engagé la moindre démarche envers Ordicollège ou pris contact avec ses animateurs pour se renseigner à la source sur l’opération.

Les dirigeants de l’association auraient pu recueillir des informations vraies et précises, notamment sur le travail de recherche et de développement effectué dans le cadre d’Ordicollège. Ainsi, les responsables d’Unowhy, société française ayant remporté l’appel à projets du Ministère de l’Education, qui développent une tablette française (pour l’assemblage seulement) sur la base d’un environnement Linux, étaient en Corrèze le 28/01/2013 pour une réunion de travail sur Ordicollège. Pour eux, la Corrèze est le département le plus en avance dans les usages pédagogiques du numérique et même loin devant les opérations engagées ailleurs en France.

Crédit photos : Brad Flickinger et Devon Christopher Adams (Creative Commons By)




Restons courtois ! (Libres conseils 17/42)

Chaque jeudi à 21h, rendez-vous sur le framapad de traduction, le travail collaboratif sera ensuite publié ici même.

Traduction Framalang : peupleLa, goofy, lamessen, SaSha_01, lerouge, Kalupa, RavageJo, lenod, Sky, Astalaseven, Alpha, KoS, purplepsycho +tala

De L’importance des bonnes manières

Rich Bowen

Rich Bowen a travaillé dans le domaine du logiciel libre et open source pendant près de quinze ans. La majeure partie de son travail a porté sur le serveur HTTP Apache ; il a également travaillé sur Perl, PHP et diverses applications web. Il est l’auteur de Apache Cookbook, The Definitive Guide to Apache et divers autres livres. Il fait également de fréquentes apparitions dans diverses conférences sur les technologies.

J’ai commencé à travailler sur le projet de documentation du serveur HTTP Apache en septembre 2000. Du moins, c’est à ce moment-là que j’ai réalisé mon premier commit dans les docs. Auparavant, j’avais présenté quelques corrections par courriel, et quelqu’un d’autre les avait appliquées.

Depuis cette période, j’ai réalisé un peu plus d’un millier de modifications de la documentation du serveur HTTP Apache, ainsi qu’une poignée de modifications du code lui-même. Ceux qui s’impliquent dans les logiciels libres et open source le font pour tout un tas de raisons différentes. Certains tentent de se faire un nom. La plupart essaient de « gratter là où ça les démange » comme ils disent, s’efforçant d’ajouter une fonctionnalité, ou de créer une nouvelle brique logicielle pour satisfaire un de leurs besoins.

Je me suis impliqué dans l’écriture de la documentation sur des logiciels parce que j’avais été enrôlé pour aider à l’écriture d’un livre et que la documentation existante était vraiment horrible. Donc, pour rendre le livre cohérent, j’ai dû discuter avec différentes personnes du projet afin qu’elles contribuent à donner du sens à la documentation. Lors de la rédaction de l’ouvrage, j’ai amélioré la documentation, avant tout pour me faciliter la tâche. À peu près à la même époque, Larry Wall, le créateur du langage de programmation Perl, promouvait l’idée selon laquelle les trois principales qualités d’un programmeur étaient la paresse, l’impatience et l’arrogance. Selon moi, Larry avançait des arguments fondés et avec un sens de l’humour certain. Néanmoins, une partie non négligeable de la communauté des programmeurs a pris ses paroles comme un permis de connerie.

La paresse

Nous écrivons de la documentation pour ne pas avoir à répondre aux mêmes questions tous les jours pour le restant de notre vie. Si la documentation est insuffisante, les gens auront des difficultés à utiliser le logiciel. Bien que cela puisse être la source d’une activité lucrative de consultant, il s’agit aussi du meilleur moyen de faire avorter un projet, car les gens abandonneront, frustrés, et se tourneront alors vers d’autres choses qu’ils n’auront pas à passer des heures pour comprendre.

Ainsi, la paresse est la première vertu d’un rédacteur de documentation. Quand un client pose une question, nous devrions répondre à cette question en profondeur. Et même, de la façon la plus complète possible. Nous devrions alors enregistrer cette réponse pour la postérité. Nous devrions l’enrichir avec des exemples et si possible des diagrammes et des illustrations. Nous devrions nous assurer que le texte est clair, grammaticalement correct et éloquent. Nous devrions alors l’ajouter à la documentation existante dans un endroit facile à trouver et largement référencé partout où quelqu’un pourrait le chercher.

La prochaine fois que quelqu’un posera la même question, nous pourrons lui répondre avec un lien vers la réponse. Et les questions que l’on pourrait poser après l’avoir lue devraient être la source d’améliorations et d’annotations à ce qui a déjà été écrit. C’est la vraie paresse. La paresse ne signifie pas simplement se dérober au travail. Cela veut aussi dire faire le travail si bien qu’il n’aura pas à être refait.

La patience

ll existe une tendance dans le monde de la documentation technique à être impatient et querelleur. Les sources de cette impatience sont nombreuses. Certaines personnes pensent que, comme elles ont dû travailler dur pour comprendre ces choses, vous le devez aussi. Beaucoup d’entre nous dans le monde du technique sommes des autodidactes et nous avons peu de patience pour ceux qui viennent après nous et veulent accéder rapidement au succès. J’aime appeler ça le comportement du « tire-toi de mon chemin ». Ce n’est pas vraiment constructif.

Si vous ne parvenez pas à être patient avec le client, alors vous ne devriez pas être impliqué dans le service clientèle. Si vous vous mettez en colère quand quelqu’un ne comprend pas, vous devriez peut-être laisser quelqu’un d’autre gérer la question.

Bien sûr, c’est très facile à dire, mais beaucoup plus difficile à faire. Si vous êtes un expert sur un sujet particulier, les gens vont inévitablement venir à vous avec leurs questions. Vous êtes obligé d’être patient, mais comment allez-vous y parvenir ? Cela vient avec l’humilité.

L’humilité

J’ai fait de l’assistance technique, en particulier par liste de diffusion, pendant à peu près deux ans, quand j’ai commencé à suivre des conférences techniques. Ces premières années ont été très amusantes. Des idiots venaient sur une liste de diffusion et posaient des questions stupides que des milliers d’autres perdants avaient posées avant eux. Et si seulement ils avaient regardé, ils auraient trouvé toutes les réponses déjà données auparavant. Mais ils étaient trop paresseux et trop bêtes pour le faire.

Ensuite, j’ai assisté à une conférence, et j’ai constaté plusieurs choses. Tout d’abord, j’ai découvert que les personnes qui posaient ces questions étaient des êtres humains. Ils n’étaient pas simplement un bloc de texte écrit noir sur blanc, à espacement fixe. Il s’agissait d’individus. Ils avaient des enfants. Ils avaient des loisirs. Ils connaissaient beaucoup plus de choses que moi sur une grande variété de sujets. J’ai rencontré des gens brillants pour qui la technologie était un outil qui servait à accomplir des choses non techniques. Ils souhaitaient partager leurs recettes avec d’autres cuisiniers. Ils souhaitaient aider les enfants d’Afrique de l’Ouest à apprendre à lire. Ils étaient passionnés de vin et voulaient en apprendre davantage. Ils étaient, en bref, plus intelligents que moi, et mon orgueil était le seul obstacle sur la route de leur succès.

Quand je suis revenu de cette première conférence, j’ai regardé les utilisateurs de listes de diffusion sous un tout autre jour. Ce n’étaient plus des idiots posant des questions stupides, simplement des gens qui avaient besoin d’un peu de mon aide pour pouvoir accomplir une tâche. Pour la plupart, la technologie n’était pas une passion. La technologie était seulement un outil. Il était donc compréhensible qu’ils n’aient pas passé des heures à lire les archives de la liste de diffusion de l’année passée et choisissent plutôt de reposer des questions.

Bien entendu, si un jour les aider devient pénible, la chose la plus polie à faire est de prendre du recul et de laisser quelqu’un d’autre répondre à la question plutôt que de leur dire que ce sont des imbéciles. Mais il faut aussi se rappeler toutes les fois où j’ai eu à poser des questions stupides.

La Politesse et le Respect

En fin de compte, tout cela se résume à la politesse et au respect. J’ai principalement abordé la question de l’assistance technique, mais la documentation n’est rien d’autre qu’une forme statique d’assistance technique. Elle répond aux questions que vous attendez des gens et elle offre des réponses dans une forme semi-permanente à titre de référence.

Lorsque vous écrivez cette documentation, vous devriez essayer de trouver le juste équilibre entre penser que votre lecteur est un idiot et penser qu’il devrait déjà tout savoir. D’un côté, vous lui demandez de s’assurer que l’ordinateur est branché, de l’autre, vous utilisez des mots comme « simplement » et « juste » pour faire comme si chaque tâche était triviale, laissant au lecteur l’impression qu’il n’est pas tout à fait à la hauteur.

Cela implique d’avoir beaucoup de respect et d’empathie pour votre lecteur, en essayant de vous rappeler ce que c’est que de débuter ou d’avoir un niveau intermédiaire dans l’apprentissage d’un nouveau logiciel. Cependant, les exemples de mauvaise documentation sont si répandus qu’il ne doit pas être difficile de s’en souvenir. Il y a des chances que vous en ayez fait l’expérience au cours de la dernière semaine.

J’aurais aimé…

J’aurais aimé être moins arrogant quand j’ai commencé à travailler sur la documentation open source. Quand je relis ce que j’ai pu écrire sur des listes de diffusion archivées publiquement, gravées à jamais dans le marbre d’Internet, j’ai honte d’avoir été aussi grossier.

La plus grande vertu humaine est la politesse. Toutes les autres vertus en découlent. Si vous ne pouvez pas être poli, tout ce que vous accomplirez importera peu.




Lettre ouverte à Skype (et donc Microsoft)

Depuis 2011, date du fracassant rachat de Skype par Microsoft pour plusieurs milliards de dollars, la situation des données collectées par l’application est encore plus floue que par le passé. D’autant que quand on débourse une telle somme on attend un certain retour sur investissement !

C’est ce qui a poussé un collectif d’auteurs à écrire une lettre ouverte demandant rapidement des éclaircissements.

PS : Sauf bien sûr si on s’en passe et en passe par une solution libre 😉

Mike Licht - CC by

Lettre ouverte à Skype

Open Letter to Skype

Lettre collective – 24 janvier 2013
(Traduction : Skydevil, toto, RavageJo, Progi1984, lmnt, Metal-Mighty, ehsavoie, Alpha, arcady, Penguin, Zilkos + anonymous)

De la part des défenseurs des libertés personnelles et de la vie privée, de militants d’Internet, de journalistes et de diverses organisations

À l’attention :
du Président de la division Skype, Tony Bates
du Directeur en charge de la vie privée du groupe Microsoft, Brendon Lynch
de l’avocat général du groupe Microsoft, Brad Smith

Chers MM Bates, Lynch et Smith,

Skype est une plateforme de communication vocale, vidéo et textuelle qui compte plus de 600 millions d’utilisateurs à travers le monde, ce qui en fait de facto une des plus grandes entreprises de télécommunication au monde. Nombreux sont les utilisateurs qui comptent sur la sécurité des communications via Skype, que ce soit des activistes dans des pays gouvernés par des régimes totalitaires, des journalistes communiquant avec des sources confidentielles ou de simples utilisateurs qui souhaitent parler, en privé, à leurs associés, leur famille ou leurs amis.

Il est préjudiciable que ces utilisateurs, ainsi que ceux qui les conseillent en terme de sécurité informatique, se trouvent en permanence face à des déclarations obscures et ambiguës quant à la confidentialité des conversations Skype, en particulier en ce qui concerne la possibilité pour des gouvernements ou des personnes tierces d’accéder à leur données personnelles et leurs communications.

Nous comprenons que la transition engendrée par le rachat de Microsoft, et les modifications légales ainsi que celles de l’équipe dirigante en découlant, puissent avoir levé des questions auxquelles il est difficile de répondre officiellement, quant à l’accès légal, à la collecte des données des utilisateurs et au degré de sécurité des communications via Skype. Cependant nous pensons que depuis l’annonce officielle du rachat en Octobre 2011, et à la veille de l’intégration de Skype dans plusieurs de ses logiciels et services clefs, il est temps que Microsoft documente publiquement les pratiques de Skype en termes de sécurité et de respect de la vie privée.

Nous demandons à Skype de publier et de mettre à jour régulièrement un rapport de transparence comprenant les élements suivants :

  1. Des données quantitatives concernant la délivrance des informations des utilisateurs Skype à des tierces parties, décomposées selon le pays d’origine de la requête, incluant le nombre de requêtes faites par gouvernement, le type de données demandées, la proportion de requêtes accordées – et les raisons de rejet des requêtes en désaccord.
  2. Des détails précis sur toutes les données utilisateurs collectées actuellement par Microsoft et Skype, et leurs conditions de conservation.
  3. Une meilleur connaissance des données que les tierces parties, incluant les opérateurs réseaux ou les éventuelles parties malveillantes, peuvent intercepter ou récuperer.
  4. Une documentation décrivant les relations opérationnelles entre Skype d’une part, TOM Online en Chine et des éditeurs tiers ayant acquis une license des technologies Skype d’autre part, incluant la compréhension qu’a Skype des capacités de surveillance et de censure dont les utilisateurs peuvent être sujets en utilisant ces produits alternatifs.
  5. Le point de vue de Skype quant à ses responsabilités envers la Communications Assistance for Law Enforcement Act (CALEA)[1], ses conditions quant à la mise à disposition des méta-données sur les appels en réponse aux subpoenas et aux Lettres de Sécurité Nationales (National Security Letters, NSL), et, globalement, les conditions et les lignes directrices suivies par les employés lorsque Skype recoit et répond aux requêtes de transfert de données utilisateurs à l’application de la loi et à directon des agences de renseignement aux États-Unis et le reste du monde.

D’autres entreprises telles que Google, Twitter et Sonic.net publient d’ores et déjà des rapports de transparence détaillant les requêtes d’accès aux données des utilisateurs émanant de tierces parties, et cela deux fois par an. Nous pensons que ces informations sont vitales pour nous permettre d’aider les utilisateurs de Skype les plus vulnérables, qui s’appuient sur votre logiciel pour assurer la confidentialité de leurs communications et, dans certains cas, protéger leurs vies.

Cordialement,
Les personnes soussignées.

Crédit photo : Mike Licht (Creative Commons By)

Notes

[1] Loi exigeant des points d’entrée pour les écoutes par les services de sécurité et de contre espionnage des communications, il n’y a pas un acte global regroupant toutes les lois concernants les écoutes et interceptions légales ni harmonisation européenne mais plusieurs lois françaises permettent l’écoute et l’interception légale des communications sur un réseau public.