Microsoft et l’Éducation nationale : le scandale continue…

Microsoft Académie de Paris

Le 28 mai prochain, l’académie de Paris organise sa « Journée 2014 de l’innovation et du numérique éducatif ».

Cette journée est ouverte à tout le personnel, à savoir « encadrement, formateurs, enseignants du premier et du second degrés, CPE de l’académie de Paris ». Et pour finir la journée (en beauté) : « Clôture par Monsieur le recteur de l’académie de Paris ».

Elle est ainsi présentée : « Le numérique vivifie la pédagogie, facilite l’accès au savoir et favorise le travail collaboratif. Bref, le numérique peut changer l’école. Comment alors s’y préparer ?

Faciliter l’accès au savoir et favoriser le travail collaboratif… Naïvement on pense naturellement au Libre.

Il n’en sera rien puisque cette journée se déroulera au siège de Microsoft France !!! (qui en profite au passage, dans le programme, pour y glisser sa « Classe immersive »).

Faut-il que l’académie de Paris manque à ce point de locaux pour devoir organiser cette journée chez Microsoft ? Accepterait-on que le ministère de l’Agriculture organise son colloque chez Monsanto ?

Ce n’est pas le première fois que Microsoft invite ainsi nos fonctionnaires : en 2011 Les inspecteurs de l’éducation nationale convoqués chez Microsoft, et en 2013 L’école selon Microsoft : comment j’ai appris à ne plus m’en faire et à aimer l’éducation privatrice et fermée.

Nous sommes en 2014 et l’Éducation nationale baigne toujours dans une culture propriétaire. C’est bien joué de la part de Microsoft. Beaucoup moins de la part d’une institution qui s’égare une fois de plus dans sa mission de service public, au détriment de ses élèves et de nos enfants.

Edit du 22 mai : la réponse Twitter de l’académie de Paris qui évoque un « choix technique » assez peu convaincant.

Réponse Académie de Paris

Edit du 30 mai : Basta! (Les profs réfléchissent sur le numérique à l’école… chez Microsoft !) et le site de l’Humanité (Quand l’éducation nationale se fait « sponsoriser » par Microsoft (SNUipp-FSU Paris)) ont consacré un article à ce sujet.

Sources :




Réponse de la FSF à la décision de Mozilla d’accepter des DRM

La semaine dernière, l’annonce de Mozilla d’accepter les DRM dans Firefox a fait couler beaucoup d’encre sur la Toile.

Nous vous proposons ci-dessous la réponse traduite de la Free Software Foundation de Richard Stallman.

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La FSF condamne le partenariat entre Mozilla et Adobe pour le soutien aux DRM

FSF condemns partnership between Mozilla and Adobe to support Digital Restrictions Management

14 mai 2014 – Free Software Foundation
(Traduction[1] : r0u, Olivier, Julien, MonsieurTino, audionuma, marc, Teromene, goofy + anonymes)

Boston, Massachusetts, États-Unis d’Amérique – mercredi 14 mai 2014 – En réponse à l’annonce de Mozilla de soutenir – à contrecœur – les DRM dans son navigateur web Firefox, John Sullivan, le président exécutif de la Free Software Foundation, a fait le commentaire suivant :


« Une semaine seulement après la Journée Mondiale contre les DRM, Mozilla a annoncé son partenariat avec l’éditeur de logiciel propriétaire Adobe pour implémenter le support web des restrictions numériques (DRM) dans son navigateur Firefox, en utilisant les Extension de Contenus Chiffrés (Encrypted Media Extension, EME).

La Free Software Foundation est profondément déçue par l’annonce de Mozilla. La décision compromet des principes importants dans le but d’apaiser des craintes infondées de pertes de part de marché face aux autres navigateurs. Elle associe Mozilla avec une entreprise opposée au mouvement du logiciel libre et aux idéaux fondamentaux de Mozilla.

Même si Mozilla ne va pas directement embarquer le greffon propriétaire d’Adobe, le navigateur va, de façon officielle, encourager les utilisateurs de Firefox à installer le plugin d’Adobe quand une page embarquera uncontenu nécessitant l’utilisation de DRM. Nous sommes d’accord avec Cory Doctorow sur l’absence de différence significative entre « installer des DRM » et « installer du code qui installe des DRM »

Nous sommes conscients que Mozilla fait ceci à contrecœur, et nous le croyons d’autant plus qu’il s’agit de Mozilla et non de Microsoft ou Amazon. Cependant, presque tous ceux qui intègrent les DRM disent qu’ils sont forcés à le faire, et cette absence de responsabilisation permet à cette pratique de persister. Avec cette annonce, Mozilla se place malheureusement – dans ce cas – dans la même catégorie que ses concurrents propriétaires.

Contrairement à ses concurrents, Mozilla va prendre des mesures pour réduire certains des principaux défauts des DRM, en essayant d’isoler le greffon dans un « bac à sable ». Mais cette approche ne peut résoudre le problème éthique fondamental des logiciels propriétaires, ou les problèmes qui apparaissent inévitablement quand un logiciel propriétaire est installé sur un ordinateur.

Dans cette annonce, Mitchell Baker assure que Mozilla avait les mains liées. Mais juste après, elle vante la « valeur » que peut apporter Adobe et suggère qu’il existe un équilibre nécessaire entre les DRM et la liberté de l’utilisateur.

Il n’y a rien de nécessaire dans les DRM, et entendre Mozilla faire l’éloge d’Adobe – l’entreprise qui a été et continue d’être une opposante farouche au logiciel libre et à l’Internet libre – est choquant. Avec la mise en place de ce partenariat, nous nous inquiétons de la capacité et de la volonté de Mozilla à critiquer les pratiques d’Adobe dans le futur.

Nous comprenons que Mozilla craigne de perdre des utilisateurs. Cory Doctorow souligne qu’ils n’ont pas apporté de preuves qui confirmeraient cette crainte ni fait de véritable examen de cette situation. Plus important encore, la popularité n’est pas une fin en soi. Cela est particulièrement vrai pour la Fondation Mozilla, une organisation à but non lucratif avec une mission éthique. Dans le passé, Mozilla s’est distingué et a connu le succès en protégeant la liberté de ses utilisateurs et en expliquant l’importance de cette liberté : en publiant le code source de Firefox, en autorisant des tiers à le modifier, et en respectant les standards du Web face aux tentatives d’imposer des technologies propriétaires.

La décision prise aujourd’hui renverse la situation, en allouant les ressources de Mozilla pour livrer ses utilisateurs à Adobe et à des distributeurs de médias hostiles. Dans ce processus, Firefox perd son identité, qui le différenciait de ses compétiteurs propriétaires – Internet Explorer et Chrome – qui tous deux implémentent EME d’une manière bien pire.

Évidemment, un certain nombre d’utilisateurs veulent uniquement et simplement que les médias avec restrictions comme ceux de Netflix fonctionnent dans Firefox, et ils seront irrités si ce n’est pas le cas. Ce n’est pas surprenant étant donné que la majeure partie du monde n’est pas familière des problèmes éthiques qui entourent le logiciel propriétaire. Ce débat a été et reste une occasion unique de présenter ces concepts aux utilisateurs et de les inviter à s’unir pour adopter certaines décisions difficiles.

Voir Mozilla se compromettre sans faire publiquement l’effort de rallier les utilisateurs contre ce supposé « choix forcé » est doublement décevant. Ils devraient revenir sur cette décision. Mais qu’ils le fassent ou non, nous les appelons à se joindre à nous en allouant autant de leurs ressources pour éliminer définitivement les DRM qu’ils en utilisent à l’heure actuelle pour les soutenir. La FSF aura d’autres déclarations et actions à faire sur ce sujet dans les jours à venir. Pour le moment, les utilisateurs qui se sentent concernés par ce problème sont invités à :



  • Rejoindre notre effort pour empêcher l’approbation de l’EME au W3C. Tandis que l’annonce d’aujourd’hui rend évident le fait qu’un rejet par le W3C de l’EME ne va pas empêcher son implémentation, elle clarifie aussi le fait que le W3C peut rejeter l’EME sans crainte, de façon à envoyer le message que les DRM ne font pas partie de notre vision d’un Web libre.
  • Utiliser une version de Firefox qui ne contient pas le code EME : comme son code source est disponible sous une licence qui permet à qui le veut de le modifier et de le distribuer sous un autre nom, nous nous attendons à ce que des versions sans EME soient mises à disposition, et vous devriez plutôt utiliser celles-ci. Nous les listerons dans le répertoire des logiciels libres.
  • Faire un don pour soutenir le travail de la Free Software Foundation et notre campagne Defective by Design pour mettre un terme aux DRM. Jusqu’à ce qu’elles soient complètement supprimées, Mozilla et d’autres seront constamment tentées de capituler, et les utilisateurs seront forcés de continuer à utiliser des systèmes propriétaires. Même si ce n’est pas pour nous, donnez à un autre groupe luttant contre les restrictions numériques. »

Notes

[1] Une traduction proposée en direct live de l’atelier « La tête dans les nuages ? » lors de Vosges Opération Libre.




Les universitaires ont intérêt à contribuer à Wikipédia — qui a intérêt à ce qu’ils contribuent…


présenté par Christophe Masutti

Le moins que l’on puisse dire, lorsqu’on fréquente les milieux universitaires, c’est que les enseignants-chercheurs partagent des avis très différents à propos de l’encyclopédie en ligne libre Wikipédia. Pour certains, c’est un non-sujet puisqu’il s’agit seulement de permettre à n’importe qui d’écrire n’importe quoi. Pour d’autres, il faut savoir y contribuer parfois pour corriger des erreurs, parfois parce qu’il est aussi du devoir du chercheur que de partager ses connaissances, et pour d’autres encore la pertinence de Wikipédia ne saurait être valide à cause de l’anonymat des contributeurs et de l’absence d’un comité éditorial dans les règles de l’art des revues universitaires classiques.

Une quatrième catégorie, en revanche, prend du recul par rapport aux régimes de publication académiques et considère que ce n’est pas parce que les règles de publications sont universitaires qu’elles doivent être universelles. Ceux-là proposent de contribuer activement à Wikipédia mais en tâchant d’opérer la distinction entre les objectifs et les normes de Wikipédia et les attentes habituelles des publications académiques.

L’American Historical Association est l’une des plus anciennes sociétés savantes aux États-Unis. L’une de ses publications mensuelles, Perspectives on History, a 50 ans d’existence et reste l’une des revues historiques les plus lues au niveau mondial. Stephen W. Campbell, un jeune chercheur, vient d’y publier un article-témoignage dont nous vous proposons ci-dessous une traduction. Il y synthétise rapidement l’attitude classique des historiens vis-à-vis de Wikipédia et propose justement de prendre un peu de recul par rapport aux questions épistémologiques de la neutralité et de l’objectivité.

Certains arguments sont bien entendus discutables, mais le plus important est que, en publiant ce témoignage dans une telle revue, on assiste certainement à une déclaration d’intérêt. Cela montre aussi que l’attitude des chercheurs par rapport à Wikipédia n’est pas un phénomène générationnel. William Cronon, le président de l’AHA en 2012, y est cité comme ayant encouragé la participation à Wikipédia.

La question est plutôt à entrevoir du point de vue de la participation active et volontaire : il y a une vie au-delà du régime de l’évaluation permanente et épuisante des instances de “valorisation” de la recherche académique…


Améliorer Wikipédia : Notes d’un sceptique éclairé

Source : Stephen W. Campbell, Improving Wikipedia: Notes from an Informed Skeptic, dans la revue : Perspectives on History, American Historical Association, mai 2014

Traduction Framalang : hack, r0u, KoS, Amargein, Gilles, Asta, Fchaix, goofy

En tant qu’historien américain qui étudie l’économie politique de la période d’avant la guerre de Sécession, j’ai toujours été fasciné par le mouvement de panique de 1837 – un cataclysme financier qui mérite son nom de « première grande dépression américaine », suivant l’expression employée dans un livre récent. Pendant les congés d’hiver 2012-1013, j’ai cherché « Crise de 1837 » sur Wikipédia et n’ai trouvé qu’une entrée assez décousue qui ne pointait que sur bien peu de sources secondaires. C’était fâcheux, c’est le moins qu’on puisse dire. Les rédacteurs de Wikipédia avaient marqué l’article comme partial ou incomplet et demandaient à un « spécialiste » de l’histoire des États-Unis de l’améliorer.

J’ai pris la décision d’améliorer l’entrée, et dans ce processus j’ai découvert des détails importants concernant les règles de Neutralité du point de vue de Wikipédia, les sous-cultures idéologiquement chargées qui, souvent, altèrent et falsifient ces entrées et une explication probable de mon aptitude à réhabiliter l’entrée avec succès. Depuis deux ans et jusque très récemment, j’ai été un critique véhément à l’encontre de Wikipédia, étant frustré par de trop nombreuses réponses dérivées de Wikipédia aux examens. Mais comme je vais le montrer plus loin, je suis devenu plus optimiste concernant la mission de Wikipédia et je crois qu’elle incarne de nombreuses valeurs auxquelles sont très attachés les universitaires.

Parmi ces derniers on trouve un large éventail d’opinions sur l’utilité de Wikipédia. L’ancien président de l’AHA William Cronon ne voyait que des avantages au fait d’encourager les historiens à contribuer davantage à Wikipédia, tandis que Timothy Messer-Kruse émet un jugement sévère en soulignant les écueils d’un site web qui ne fait pas la différence entre les opinions d’un expert et celles d’un profane, et dont la politique de vérification exclut les contenus seulement fondés sur des sources primaires inaccessibles – ce qui fait de lui un critique virulent de Wikipédia(1). Ma position se situe quelque part entre les deux.

En examinant de plus près cet article sur la Crise de 1837, j’ai remarqué que pratiquement tous les auteurs cités dans les références étaient des libertariens radicaux. La seule « référence externe » était un article écrit de façon informelle, aux sources sélectives, écrit par un obscur historien ne citant pas ses références, et rendu publique lors d’une conférence au Ludwig Von Mises Institute (LVMI), un think-tank d’Alabama qui n’est rattaché à aucune université ni soumis à un système de révision par des pairs.

Tenant son nom de l’économiste autrichien Ludwig Von Mises (1881-1973), l’organisation sponsorise des chercheurs prônant le « laissez-faire » économique et les théories du cycle économique de Friedrich Hayek. Certains LVMIstes (« membres » du LVMI) ont réduit à néant Abraham Lincoln, promu l’étalon-or, et donné une vision romantique du Vieux Sud en omettant l’esclavage. Le groupe rejette catégoriquement, d’après son site web, toute forme de régulation par l’État comme dangereuse pour « la science de la liberté ». Cela semble simpliste. La plupart des historiens reconnaissent que le terme « liberté » a plusieurs significations. L’accès à une assurance-maladie, la protection de l’environnement, ou celle des droits civiques, relèvent de la « liberté », mais nécessitent l’intervention de l’État

J’ai passé plusieurs jours de mes congés d’hiver à ajouter du contenu et des références sur le site, et les éditeurs de Wikipédia, vraisemblablement après avoir approuvé mes modifications, ont supprimé la mention qui fait référence à des informations partiales et incomplètes. Quant à savoir pourquoi cette expérience a été un succès, la réponse pourrait se trouver dans la politique de Wikipédia sur la neutralité de point de vue : les contributeurs doivent s’efforcer de « ne pas donner une fausse impression de parité, ni ne donner trop de poids à un point de vue particulier »(2). Tout économiste chevronné qu’ait été Hayek, l’interprétation de Von Mises était encore en minorité.

La façon dont j’ai édité pourrait expliquer pourquoi je ne me suis pas retrouvé dans une guerre d’édition chronophage. J’ai plus que doublé le nombre de références monographiques et d’articles de journaux révisés par des pairs tout en supprimant très peu du texte préexistant même si je le jugeais suspect. J’ai plutôt restructuré la prose pour la rendre plus lisible. Cette formule ne fonctionne peut être pas toujours, mais les historiens devraient essayer d’écrire autant que possible d’une manière descriptive sur Wikipédia et non de façon analytique, bien que cela puisse être contre-intuitif par rapport à notre formation et que la frontière entre description et analyse soit incertaine.

Les détracteurs de Wikipédia ont beaucoup d’objections valides. Il n’y a pas de rédacteur en chef ayant le dernier mot sur le contenu. La sagesse collective peut renforcer certains préjugés innés ou se révéler erronée au cours du temps. C’est le problème que Messer-Kruse a judicieusement mis en exergue dans ses recherches approfondies sur l’attentat de Haymarket Square – même lorsqu’un contributeur-expert, comme Messer-Kruse, élabore un argumentaire basé sur de solides preuves, les éditeurs bénévoles de Wikipédia peuvent tergiverser ou amoindrir le nouveau point de vue « minoritaire ». Enfin, il existe une possibilité pour que l’existence même de Wikipédia dévalue l’art et le travail d’enseigner et publier. Il y a quelques années, j’ai rédigé un article pour un projet d’encyclopédie sur l’esclavage américain d’un éditeur de référence bien connu. L’éditeur m’informa, après que j’eus fini mon article, que le projet serait interrompu pour une durée indéterminée, en partie en raison de la concurrence avec Wikipédia.

Il n’y a peut-être aucun sujet qui mène autant à la controverse que la pierre fondatrice de Wikipédia sur la neutralité. Les détracteurs se demandent si cet objectif peut être atteint ou même s’il est désirable(3). En décrivant ses règles qui mettent l’accent sur le double verrou de la « vérifiabilité » et du refus des « travaux inédits », Wikipédia indique qu’il vise à décrire les débats, mais pas à s’y engager. C’est cela qui fait hésiter les historiens. À partir du moment où nous sélectionnons un sujet de recherche et que nous collationnons des faits dans un ordre particulier, nous nous engageons involontairement dans un débat. Ajoutons à cela que les faits ne sont jamais vraiment neutres puisque ils sont toujours compris à l’intérieur d’un contexte idéologique plus vaste(4).

De plus, le plus surprenant parmi les règles de Wikipédia est la façon dont le site gère les approches complexes de ces nombreux problèmes philosophiques. Les contributeurs de Wikipédia insistent sur le fait que la neutralité n’est pas la même chose que l’objectivité. Le site évite de traiter les peudo-sciences, les fausses équivalences et soutient les principes de la revue par les pairs. Pour valider des arguments contradictoires, il donne la primauté à l’argument dans les publications érudites, et non à la validation par le grand public. Le règlement de Wikipédia reconnaît même que l’on ne peut pas considérer le principe de neutralité au sens le plus strict car les tentatives d’élimination de toute partialité peuvent se faire au détriment de la signification(5). Ce sont toutes ces normes que les universitaires devraient applaudir. Les rédacteurs de Wikipédia ont sans doute répondu aux critiques de Messer-Kruse, et bien qu’il n’incorporera jamais correctement des informations trop innovantes et récentes uniquement connues dans les milieux scientifiques, la beauté du site est qu’il contient les outils de ses propres améliorations.

Ayant conscience que certains de ces problèmes ne trouveront jamais vraiment de solution, j’en appelle aux historiens pour qu’ils consacrent quelques heures de leur précieux temps libre à l’amélioration de Wikipédia ; à titre d’encouragement, je demande aux administrateurs d’intégrer les contributions à Wikipédia dans leurs exigences de publication concernant l’attribution de poste de professeurs. Les docteurs récemment diplômés font face actuellement à une terrible crise de l’emploi et l’objectif tant convoité d’obtenir un poste de professeur à temps plein s’avère de plus en plus difficile à atteindre. Les contributions à Wikipédia pourraient être un bon moyen de valoriser leur CV en prévision d’un prochain entretien d’embauche. Les détails pour y parvenir restent probablement à régler.

Photo par mikedesign, licence CC BY-2.0 

Peut-être des historiens pourraient-ils s’identifier publiquement sur Wikipédia, sauvegarder leurs contributions, et être crédités si Wikipédia conserve leurs corrections. Publier ouvertement peut réduire le risque de troll, l’anonymat protégeant souvent les internautes des répercussions de commentaires indésirables. Les articles Wikipédia doivent venir en complément, et non en substitution, des articles traditionnels (dans des revues) et monographies, et les comités de validation devraient prendre en compte un certain quota d’articles en ligne par rapport aux articles traditionnels – peut-être quatre ou cinq entrées validées dans Wikipédia pour chaque article dans un journal traditionnel spécialisé.

Une des critiques récurrentes à l’égard des monographies est qu’elles conviennent seulement à un public spécialisé et limité, et finissent par s’empoussiérer sur des étagères de bibliothèques endormies. Peut-être que Wikipédia est le lieu idéal pour diffuser nos propres recherches et expertises à destination d’un public plus vaste, ce qui, théoriquement, permettrait d’améliorer la conception de l’histoire qu’a le public et la façon dont on en parle. Nombreux sont les représentants des sciences dures qui ont déjà pris en compte la publication électronique et comme d’autres l’ont souligné, nous risquons d’être marginalisés comme discipline si nous ne nous joignons pas à ce mouvement(6).

Au moment où j’écris ceci, environ un tiers du texte et la moitié des citations de l’article sur la crise de 1837 sont de ma main. J’ai dû mettre de côté ce précieux projet parce que le nouveau semestre venait de commencer, ce qui est bien regrettable parce que la page pouvait encore être améliorée, du moins ai-je procuré les lignes directrices aux autres spécialistes. Le site compte cinquante-huit « abonnés à cette page » et la section « Historique » affiche un grand nombre de suppressions qui ont été réintroduites – ce qui est peut-être l’indice de l’incorrigible obstination des partisans de Wikipédia. Les étudiants, les passionnés d’économie politique et le grand public disposeront toutefois de meilleures informations historiques, du moins je l’espère, à mesure que Wikipédia s’améliorera de façon continue.

Stephen W. Campbell est maître de conférence au Pasadena City College. Sa thèse de doctorat, terminée en 2013 à l’Université de Santa Barbara, analyse l’interaction entre les journaux, les institutions financières et le renforcement de l’État avant la guerre de Sécession.

Notes (Les ouvrages référencés en liens sont en anglais)

1.  William Cronon, « Scholarly Authority in a Wikified World », Perspectives on History, février 2012, http://www. historians.org/perspectives/issues/2012/1202/Scholarly-Authority-in-a-Wikified-World.cfm (consulté le 23 avril 2013). « The Professor Versus Wikipedia », On The Media, 9 mars 2012, http://www.onthemedia.org/story/191440-professor-versus-wikipedia/transcript/ (consulté le 27 février 2014).

2. Wikipédia : Neutralité du point de vue, http://en.wikipedia. org/wiki/Wikipedia:Neutral_point_of_view (consulté le 26 décembre 2013).

3. Jeremy Brown et Benedicte Melanie Olsen, « Using Wikipedia in the Undergraduate Classroom to Learn How to Write about Recent History », Perspectives on History, 50, Avril 2012 (consulté le 23 avril 2013).

4. Martha Nichols et Lorraine Berry, « What Should We Do About Wikipedia ? », Talking on Writing, 20 mai 2013, http://talkingwriting.com/what-should-we-do-about-wikipedia (consulté le 27 décembre 2013).

5. Wikipédia : Neutralité du point de vue.

6. Lori Byrd Phillips et Dominic McDevitt-Parks, « Historians in Wikipedia : Building an Open, Collaborative History », Perspectives on History, décembre 2012, http://www.historians.org/perspectives/issues/2012/1212/Historians-in-Wikipedia. cfm (consulté le 26 avril 2013).

* Ce travail est sous licence Creative Commons Attribution-NonCommercial-NoDerivatives 4.0 International.




Geektionnerd : Bubblies

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Sources sur Numerama :

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Bye bye Google épisode 4 : les contenus embarqués et… la publicité !

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Depuis février, Framasoft essaie activement de se débarrasser de Google.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas facile. Les services de Google nous collent au clavier comme du sirop d’érable en importation directe de Mountain View.

En janvier, nous annoncions notre intention de « manger la pâtée de notre chien », c’est-à-dire de faire ce que l’on dit.

En février, la première étape – probablement la plus dure – était franchie : celle de quitter GMail, pour notre propre infrastructure, basée sur BlueMind.

En mars, nous quittions le service de liste GoogleGroups pour framalistes.org, basé sur le logiciel libre Sympa. Ces listes sont pour l’instant uniquement réservées à Framasoft, car nous n’avons pas les ressources humaines pour ouvrir ce service à la France entière dans de bonnes conditions. Cependant, nous avons reçu tellement de courriers que nous comprenons bien l’urgence d’un service de listes indépendant, sans publicité et respectueux de vos données. C’est pourquoi nous n’excluons pas un jour de l’ouvrir à tous, sous réserve que nos finances nous le permettent.

En avril, nous troquions le service de statistiques Google Analytics contre la mise en place d’une instance de Piwik, évitant ainsi le « pistage collatéral » de nos visiteurs par une firme n’ayant pas démenti qu’elle donnait l’accès de ses machines à la NSA.

En mai, faisons ce qu’il nous plait, et surtout débarrassons-nous d’un des derniers « boulets » de Google : la publicité.

En effet, peut-être que peu de lecteurs de ce blog l’auront noté du fait de l’incontournable bloqueur de publicité Ad Block Plus, mais les sites Framasoft et Framakey affichaient des publicités aux internautes.

En-dehors du fait que ces publicités sont nocives pour les citoyens et contraires à l’éthique que Framasoft essaie humblement de diffuser depuis plus de 10 ans, ces publicités engraissaient la base de données de Google : qui visite quel site ? à quel moment ? pendant combien de temps ? avec quel parcours ?

Leur suppression pouvait donc paraître une évidence. Cependant, il faut bien reconnaître qu’elles auront eu leur utilité économique : sans ces revenus publicitaires, Framasoft n’aurait pas pu embaucher, et par conséquent aurait probablement arrêté son activité il y a plusieurs années, écrasée par son propre poids que le bénévolat seul ne peut suffire à soutenir.

Supprimer la publicité (qui nous rapportait environ entre 550 et 650 € par mois[1]) met donc l’association dans une situation financièrement difficile, car nous ne sommes pas certains de pouvoir maintenir les postes de nos permanents. On ne va donc pas vous mentir : il y aura _encore_ une campagne de dons à Framasoft dans quelques mois.

Cependant, il faut être cohérent dans notre discours : nous ne pouvons pas d’un côté prôner le respect des données et de la vie privée des internautes, et de l’autre gagner de l’argent par l’exploitation de ces mêmes données, qui plus est confiées à un tiers.
Si nous souhaitons passer, comme nous le répétons depuis plusieurs années, d’une « société de consommation » à une « société de la contribution », il faut faire passer le citoyen avant l’économie.

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Mais ce n’est pas tout !

Nous avons aussi profité de ce mois d’avril pour nous débarrasser d’autres « mouchards invisibles ».

Par exemple, plus aucun site Framasoft ne devrait afficher de « Google Fonts » (polices de caractères affichées sur les sites web, même si l’utilisateur ne dispose pas de ces polices sur sa machine).

Il en va de même pour les « bibliothèques hébergées ». Google propose en effet la possibilité de charger des ensemble de scripts directement depuis son site, maintenus à jour en permanence, ce qui est fort pratique pour les développeurs web pressés. Mais mauvais pour l’internaute. Il a « suffi » de rapatrier ces bibliothèques (jQuery, notamment) en local. Simple quand on a un seul site à gérer, mais plus long quand — comme Framasoft — vous avez plus de trente sites publics à maintenir…

Autre exemple : les boutons Twitter et Flattr que vous trouverez juste sous cet article. Ces derniers étaient aussi des mouchards potentiels. En incluant du code externe (par JavaScript) pour afficher ces boutons, nous informions involontairement Twitter et Flattr de votre visite sur nos billets, même si vous ne cliquiez pas dessus ! Évidemment et malheureusement, vous retrouvez ces boutons sur des milliers d’autres sites (la chasse aux œufs pascale est finie mais vous pouvez toujours vous amuser à chercher les boutons Twitter, Facebook, Google+, etc.).
Comme ces boutons ont une véritable utilité (ils permettent une diffusion simple et rapide de nos articles sur Twitter, ou vous permettent de nous faire un micro-don), nous ne les avons pas supprimés. Ils ont simplement été remplacés par un mécanisme qui oblige l’utilisateur à cliquer dessus s’il souhaite l’afficher. C’est donc une démarche volontaire qui protège la vie privée de l’immense majorité des internautes qui ne souhaite pas utiliser ces fonctionnalités[2].

Voilà donc pour un mois d’avril bien rempli !

En mai, nous devrions nous concentrer sur la mise en place d’un dépôt Gitlab, afin de ne plus laisser le code source que nous publions uniquement sur Github (qui, rappelons-le, n’est pas libre).

Enfin, maintenant que nous nous sommes débarrassé de Google[3], nous allons pouvoir nous concentrer à nouveau sur la proposition d’alternatives libres : améliorations de framapad.org, framadate.org ou framindmap.org et mises en place de nouveaux services (diaporama, visioconférence, dépôt de fichiers, etc[4].)

Notes

[1] Il est normalement contractuellement interdit de révéler le montant de ses gains adsense, mais comme nous arrêtons, autant être transparents.

[2] Notez qu’une possibilité s’offre aussi à vous de gérer cela en amont, directement dans votre navigateur, par exemple avec l’extension Disconnect)

[3] Il restent encore sans doute certains codes de-ci de-là, vous pouvez nous les signaler en commentaires.

[4] On préfère ne pas trop spoiler, car cela dépendra grandement des moyens financiers à notre disposition.




Solitude(s), un site libre et collaboratif

Une interview menée par Pouhiou

Dany Caligula est un youtubeur qui — littéralement — donne à réfléchir. C’est en voyant sa vidéo sur « le Sens de la Vie » (dont le son a été depuis coupé par YouTube) que je suis tombé sous le charme de son personnage de prof pédant au pull rouge. Bon sang, à grands coups de références ciné, philo et jeux vidéos, ce mec parlait de ce moment qui a changé ma vie et m’a mené à écrire ma première pièce de théâtre ! Quand j’ai appris qu’il est toulousain, je me suis dit qu’il fallait qu’on se rencontre… C’est chose faite, et cela nous a mené à de belles collaborations

Un épisode de Doxa, feat. Pouhiou. Cliquez sur l’image pour voir la vidéo sur YouTube.

Lorsqu’il m’a demandé de participer à la nouvelle version de son site, Solitude(s), je savais qu’il serait sous licence libre… Mais j’ai été ravi de conseiller la fine équipe de ce site sur leur choix de licence (libre et non de libre diffusion ^^) ainsi que de signer l’article fondateur « Pourquoi Solitude(s) passe au libre ? » On a là un projet qui n’émane pas de la communauté libriste, mais s’en inspire et s’empare de ses outils et idées pour les transmettre vers un public nouveau qui ne demande qu’à être convaincu… Forcément, ça méritait bien une petite interview pour le FramaBlog !

pouhiou plus petit— Salut Dany. Tu t’es fait un pseudo en ligne en proposant la chaine Doxa sur YouTube … Comment tu présentes ces vidéos à quelqu’un qui ne les connaît pas ?

caligula en nounours— Salut. Doxa c’est une chronique mensuelle, des vidéos de quinze minutes environ sur des questions de société relativement larges (comme le travail, la sexualité, l’art) dont la finalité est de vulgariser la philosophie et les sciences humaines pour les néophytes et les plus jeunes. C’est pour cela qu’on a fait le choix de mettre ces vidéos sur YouTube, parce que la plateforme concentre un maximum d’attention, notamment auprès des 15-30 ans. Avec Ovis Solo (le co-auteur de l’émission) le partage des savoirs et l’apprentissage de la sagesse nous semblent des notions essentielles à transmettre. On a eu le bonheur de voir que la démarche a été suivie et qu’on a désormais un public fidèle qui commente les vidéos et débat véritablement sur les sujets proposés.

— En réalité, ton projet initial n’était pas Doxa mais bien le site Solitude(s), dont la V2 est sortie il y a quelques jours…

— Oui, à l’origine Doxa n’est qu’une « production » de Solitude(s). J’ai créé Solitude(s) avec quelques amis parce que nous étions lassé des médias traditionnels (dits « verticaux »), et qu’au lieu d’en rester à la simple critique, nous souhaitions apporter notre petite pierre à l’édifice en proposant une plateforme sur laquelle on pourrait partager nos opinions et inviter d’autres solitudes à s’exprimer.

— La suite de l’histoire, tu la racontes dans la vidéo de lancement de la V2 de Solitude(s)… Vous n’êtes pas connus et avez peu de moyens, donc le site vivote mais vous permet de faire de belles rencontres (interview de Pierre Carles) et de vous lancer dans la production des Doxa… Mais alors, pourquoi ressortir Solitude(s) des cartons maintenant ?

— Le succès de Doxa nous a ouvert de nouvelles perspectives. Déjà, il était important pour nous de savoir comment nous allions utiliser cette notoriété grandissante et quel rapport nous allions entretenir avec notre public. Nous aurions pu simplement nous en contenter et surfer sur la vague en enchaînant les émissions. Mais très vite, nous avons décidé d’aller plus loin, et nous nous sommes interrogés sur comment et avec quels outils nous allions pouvoir poursuivre la démarche et discuter des alternatives que nous évoquons dans nos épisodes. C’est ce qui nous a d’abord poussé à faire des lives où l’on peut échanger et approfondir les sujets avec le public. Puis on s’est mis à repenser à Solitude(s), dont toutes ces choses étaient les objectifs initiaux. Simplement, comme cette fois-ci nous avions avec nous une communauté grandissante, un peu d’argent grâce aux dons, et que nous avons eu la chance de rencontrer Anthony Alexandre, un webmaster qui partageait nos envies et nos valeurs, le site allait enfin pouvoir se doter des moyens de ses ambitions.

— Donc, concrètement, qu’est-ce que l’on trouve sur Solitude(s) ?

— On y trouve d’abord des chroniques et des articles qui donnent à réfléchir tout en restant compréhensibles par tous. Bien sûr, il y a les Doxa, mais aussi Bastards Inc, que les lecteurs du Framablog connaissent normalement déjà… Il y a aussi des articles qui proposent un regard sur les médias, l’actualité, tel film, tel jeu, ou parfois simplement des aphorismes. Après, on est encore en train de migrer le contenu sur notre nouveau Joomla, mais le plus important c’est que n’importe qui puisse proposer ses chroniques ou ses articles sur un site qui se veut entièrement collaboratif.

— Clairement, il y a une volonté de faire un site participatif, où l’internaute n’est pas un simple consommateur pantoufles&zapette, mais peut proposer, débattre, réagir…

— Oui, on a tout particulièrement veillé à proposer un ensemble d’outils pour que tout le monde puisse contribuer au site. Outre le module qui permet à tous de proposer ses articles, on a un forum qui est lié directement aux commentaires des articles, et qui est centré autour de la culture et des débats. On aussi un chat, on est en train d’installer un mumble et la communauté vient de nous demander d’ajouter carrément un wiki dédié. L’important pour nous étant vraiment de retrouver une horizontalité dans l’échange afin que n’importe quel internaute puisse participer à ce site en lisant, en proposant ses idées, en corrigeant les articles, en modérant… etc.

— T’es pas libriste à l’origine. Pourtant, dès que j’ai évoqué l’idée de placer Solitude(s) sous CC-BY-SA, t’as été enthousiaste… Comment tu t’es intéressé au libre et pourquoi tu as décidé de sauter le pas ?

— Pour moi, ce n’était pas vraiment « sauter le pas », mais plutôt trouver chaussure à mon pied. Quasiment tout ce que je sais, toutes mes lectures, mes découvertes cinématographiques et vidéoludiques ne proviennent pas de mon éducation, des écoles, ou de tout ce que j’ai acheté à la FNAC ou sur Amazon… Au contraire, si je m’en étais limité à ça, je ne serais pas celui que je suis aujourd’hui. Par contre, les initiatives populaires, les bibliothèques, les internets et surtout le téléchargement m’ont permis de me construire intellectuellement. Vraiment, pour moi le libre était quelque chose d’inné, j’ai toujours trouvé que les choses et la culture étaient libres, d’autant plus avec internet, où quels que soient tes verrous on va te hacker. C’est pourquoi je me permets de télécharger et d’utiliser des extraits d’œuvres (films, musiques, etc.) dans mes émissions.

— Ce qui ne t’a pas forcément réussi, puisque tu t’es fait épingler à plusieurs reprises par le fameux « Content ID » de YouTube… Tu as d’ailleurs fait une vidéo, à l’époque, quand les youtubeurs ont cessé d’être protégés par leurs Networks…

— Justement, il y a eu un vrai concours de circonstances autour de cette vidéo. J’étais en train de réfléchir depuis quelque temps à un format pour parler des internets, du téléchargement, et de la culture du remix. J’ignorais encore si j’allais en faire le sujet d’un Doxa ou d’une toute nouvelle émission. Et paf, c’est là qu’arrive ce durcissement des règles de Google. Je fais cette vidéo à chaud, un peu sous la colère, et elle fait plus de 400 000 vues. Elle a donc suscité un vrai débat, et c’est en lisant les commentaires, et en voyant les réactions positives comme antagonistes que je me suis dis qu’il fallait vraiment que je consacre toute une émission à ces problématiques. C’est là que j’ai pris réellement conscience de la portée symbolique et politique de l’utilisation des licences libres et de la terminologie qui les accompagne.

C’est pourquoi mes vidéos sont désormais sous CC-BY et que Solitude(s) est sous CC-BY-SA parce que même si je crois que tout est intrinsèquement libre il est important d’afficher cette intention et d’encourager la sérendipité, les remixes et tout ce qui peut en découler.

— En définitive, Google avec son serrage de vis t’as directement inspiré cette idée de nouvelle émission ?

— Ironiquement, oui. En fait, c’est surtout les réactions des gens par rapport à cette vidéo. La grande majorité des commentaires allaient globalement dans le même sens : « Mais vous avez rien pour vous protéger juridiquement ? » « Internet c’est libre, je ne comprends pas, vous devriez avoir le droit de faire ça », « Est-ce que c’est à cause d’ACTA et des méchants lobbys d’ayants droits que Google est en train de se corrompre ? »…. En lisant tout cela, je me suis rendu compte qu’il fallait intervenir, tellement il y a encore de fausses-vérités et des incompréhensions dans les esprits par rapport à ces questions-là. Visiblement, la grande majorité des internautes soutiennent l’idée d’un internet libre, mais n’ont que peu de connaissances par rapport à ce qu’il se passe. Une nouvelle émission qui pourrait vulgariser ces problématiques et apporter des sources réelles me semble nécessaire, et dans la même lignée de ce que j’ai déjà entrepris avec Doxa.

— Pour finir, revenons sur Solitude(s)… Juste pour le plaisir, tu nous expliques le nom ?

— J’ai emprunté le terme à Rainer Maria Rilke, un poète allemand du début du XXe siècle. Alors qu’aujourd’hui la solitude est souvent perçue négativement et méprisée, Rilke nous invite non seulement à la développer comme source de richesses mais surtout à la dépasser en allant à la rencontre de nouvelles Solitude(s) : « Il sera cet amour que nous préparons, en luttant durement : deux solitudes se protégeant, se complétant, se limitant, et s’inclinant l’une devant l’autre. » C’est un nom rêvé pour un site internet participatif où de nombreuses solitudes seront amenées à échanger.




Fin du support XP, un collège espagnol migre vers Ubuntu

Migrer vers Ubuntu pour un utilisateur habitué à Windows est aujourd’hui une opération relativement aisée, en particulier parce que l’on bénéficie de l’aide de la communauté à chaque étape (n’hésitez pas à rejoindre l’Ubuntu party à la Villette et des évènements libristes partout en France). Cependant, le seul fait de changer d’habitudes demeure un peu délicat et demande un temps d’adaptation à chacun. Imaginez ce que doivent être ces petites difficultés lorsque une communauté scolaire entière franchit le pas : institution, enseignants, élèves, matériels… autant d’écueils sur la voie Libre qu’un collège espagnol est en train de franchir, grâce à un activiste convaincu et passionné.

Choisir la migration c’est d’abord lutter contre une inertie de l’institution, plus prompte à conclure des contrats léonins avec Microsoft qu’à s’embarrasser de scrupules. C’est aussi s’efforcer d’échapper à une alternative pénible : être soumis à l’obligation de payer de coûteuses licences ou inviter les utilisateurs à l’illégalité en les piratant plus ou moins discrètement.

Les conditions de cette migration, telles qu’évoquées dans l’article ci-dessous, sont probablement tout à fait similaires de notre côté des Pyrénées. N’hésitez pas à nous livrer votre expérience, nous le publierons ici en commentaire ou pourquoi pas sous forme d’un autre témoignage : faire connaître les difficultés et les réussites est aussi un bon moyen d’avancer sur la voie du Libre.

Interview : migration d’un collège de Windows XP à Ubuntu

Source : Entrevista: Migración de un colegio desde Windows XP a Ubuntu

Traduction Framespagnol : Diab, TV, rou, Omegax + anonymes [rejoindre ce groupe de traduction]

La fin du support de Windows XP met certaines institutions informatiques et leur système informatique face à un vrai dilemme. Un système éducatif à l’avant-garde se doit de passer à Ubuntu.

Fernando Lanero, pour ceux qui ne le connaissent pas, est professeur et responsable TIC du collège des Augustins à León (España). Un activiste du logiciel libre qui s’est attelé à la migration d’un collège de 1200 élèves vers le système d’exploitation Ubuntu. Je vais discuter avec lui pour qu’il nous raconte de première main où en est cette intéressante eXPérience, dont les enjeux sont multiples.

Marcos Costales : Bonjour Fernando. Comment vas-tu ? Raconte-nous comment tu as débuté dans le petit monde de l’informatique et quand est née ta prise de conscience pour les logiciels libres et plus particulièrement pour Ubuntu…

Fernando Lanero : Bonjour ! Alors, j’ai commencé dans le monde passionnant de l’informatique avec un ordinateur 8086 que m’ont acheté mes parents en CM1 pour avoir réussi tous mes examens. C’était un Olivetti qui devait avoir 16Ko de RAM, un disque dur de 20Mo, un écran monochrome vert fourni avec MS-DOS que j’ai supprimé moins d’un mois après sans le faire exprès (del *.* dans le répertoire racine, tu vois ce que je veux dire). À partir de là j’ai eu des amis avec des ordinateurs et je suis devenu accro, vous imaginez facilement combien d’heures j’y ai passé.

En ce qui concerne le logiciel libre j’ai commencé en 1997 ou 1998. Années où il y eu un boom pour Linux, avec une grande quantité de revues qui incluaient un CD avec des distributions. Là, j’avais un pentium cadencé à 120 Mhz. Mes tentatives d’installation furent un désastre complet, j’étais encore à l’école, il n’y avait pas internet et tout ce que je pouvais faire était de lire et relire la revue et essayer d’en tirer quelque chose qui tienne debout. Mes débuts en ligne de commande, bien que je vienne de MSDOS, furent aussi un désastre complet. Au final, oui, j’ai pu en installer une, je serais maintenant incapable de te dire laquelle. Probablement Slackware ou Fedora.

Ensuite je l’ai abandonnée et suis retourné du côté obscur avec Microsoft et son Windows 98. Dix ans plus tard, aux alentours de 2007, je suis revenu à Linux par le biais de Ubuntu, grâce aux bonnes indications et commentaires de Ricardo Chao, professeur et camarade de classe et grand ami.

Vous avez déjà commencé la migration ?

Pas encore, nous allons attendre la version définitive d’Ubuntu 14.04. Nous faisons actuellement des tests, au départ avec les versions alphas et maintenant avec les bêtas.

Quel système d’exploitation utilisez-vous actuellement et pourquoi avez-vous décidé d’en changer ?

Au collège tous les ordinateurs sont actuellement équipés de Windows, 90% sont sous Windows XP et les plus récents tournent sous Windows 7. Celui du Directeur est sous Windows 8 car c’est le dernier qui ait été acheté. La raison pour laquelle ce logiciel est utilisé est uniquement due au fait qu’il était pré-installé.

De combien d’ordinateurs parlons-nous et quelles sont leurs caractéristiques ?

Il y a deux ordinateurs, ceux du Secrétariat, que nous ne migrerons pas pour des raisons administratives mais nous allons migrer les 98 ordinateurs restants. En réalité, de mon point de vue, c’est un nombre de machines considérable vu qu’il s’agit d’un environnement comme la province de León, une région dépourvue de grandes entreprises technologiques de pointe.

A quoi servent ces 98 ordinateurs ?

Ils sont utilisés pour des activités pédagogiques en classe, pour l’usage des professeurs lors de projections vidéos, de tableaux numériques, pour le dessin technique etc. Il y a également 60 ordinateurs répartis entre la salle informatique et les salles de langues.

Quels programmes utilisez-vous aujourd’hui avec les élèves? As-tu une idée approximative du coût de ces programmes pour le centre?

Le programme phare est Microsoft Office sans aucun doute. Et nous devons renouveler les licences de cette suite logicielle chaque année, comme un loyer. Le coût annuel de renouvellement des suites Office avoisine les 3000€ à 4000€ pour l’ensemble des ordinateurs.

Crois-tu que les élèves puissent utiliser ces programmes chez eux en payant eux-mêmes leur licence ?

C’est bien le problème. Ça c’est le piège du logiciel privatif. Dans tes cours tu enseignes avec le logiciel dont tu as besoin pour ton activité d’enseignement. Mais que se passe-t-il ? Si tu enseignes à l’élève à travailler avec un programme privatif, au jeune tu lui apprends à maîtriser ce programme, et ce que tu fais c’est que tu crées un utilisateur de ce programme pour le compte de cette entreprise (car il devient un client potentiel). la contrepartie logique de ce processus c’est que tu risques de l’inciter à pirater ce programme et du coup, à aller à l’encontre de la loi lorsqu’elle ne lui convient pas (tu en fais un délinquant potentiel). Il n’y a pas d’alternative possible à ces deux options avec le logiciel privatif.

classe avec ordis

Tu formes des consommateurs pour une multinationale ou des pirates informatiques, en apprenant aux élèves à enfreindre les lois lorsqu’elles ne conviennent pas. C’est le plus gros danger. Les gens se plaignent en Espagne de cette culture de la tricherie ou du vol dans notre société. Et c’est pourtant ce qui se fait dans de nombreuses écoles, enseigner à tricher de manière indirecte à travers les logiciels privatifs. Si par exemple tu enseignes Photoshop, le centre dispose d’une licence achetée, parfait. Mais, l’élève va-t-il acheter le programme pour faire ses devoirs à la maison ? Impossible ! Et que va-t-il se passer ? Ou tu le lui passes sous la table ou tu l’encourages à aller le télécharger avec un crack. Tu es déjà en train de créer des délinquants, parce que tu les incites à outrepasser la loi.

As-tu vérifié s’il existe des logiciels libres susceptibles de remplacer les logiciels privateurs que vous utilisez actuellement ?

À 100%. Pour Photoshop et MS Office nous pouvons passer à Gimp et LibreOffice sans problème. Nous avons aussi commencé à entrer en contact avec les éditeurs. Maintenant tous les manuels scolaires sont accompagnés d’un logiciel de soutien pour les classes numériques. Ainsi tu travailles avec les élèves de la classe de manière interactive, surtout avec les manuels de langues, d’histoire, dans les cycles maternelle et primaire. Que se passe-t-il ? Elles ont toutes un logiciel pour Windows, mais aucun pour Linux. En discutant avec eux, je leur ai expliqué que nous allions migrer sous Linux et que si leur logiciel ne fonctionnait pas sous Linux nous changerions les manuels scolaires pour d’autres qui nous faciliteraient leur utilisation ou simplement qui disposeraient de logiciels multi-plateformes. Ou ils se démènent pour que leurs produits fonctionnent sous Linux ou nous chercherons des alternatives.

As-tu détecté d’autres problèmes d’utilisation de Windows XP à part le coût des licences ?

Oui, le principal problème de la migration est l’administration de Castilla León. Que se passe-t-il ? Le conseil de Communauté autonome a signé en 2011 un accord avec Microsoft pour utiliser leurs logiciels pendant 5 ans (bien entendu sans appel d’offres d’aucune sorte). La nouvelle a été publiée par les médias, la directrice de Microsoft Iberia est venu, il y a eu une réunion avec Bill Gates…

Le problème de cet accord est que toutes les applications web qui sont développées doivent fonctionner avec des logiciels de Microsoft et sont uniquement accessibles avec Internet Explorer. Ce qui est un énorme problème ; c’est notre principal inconvénient et la raison pour laquelle nous ne migrons pas les deux ordinateurs du secrétariat, parce que c’est notre seule manière de communiquer avec le conseil de communauté autonome : via Internet Explorer, lequel ne fonctionne bien entendu que sur les systèmes Windows.

Quand tu as envisagé la migration suite à l’obsolescence de Windows XP, je suppose que tu as envisagé la possibilité de passer au système d’exploitation Windows 8. As-tu subi un quelconque type de pression de la part du collège ou du conseil pour que, parmi les différentes alternatives envisagées, tu optes pour Windows 8 ? La question vaut aussi pour Windows 7.

Le processus de migration s’est décidé lors de l’annonce de la fin du support et des mises à jour de Windows XP de la part de Microsoft pour cause d’obsolescence. Au collège le principal problème au niveau de la sécurité concerne la transmission des malwares via des dispositifs amovibles de stockage, parce que les gens fonctionnent principalement avec des clefs USB pour le transfert de documents, c’est un authentique incubateur de virus. Il y a quelques années nous avons eu un grave problème dû à un malware qui se transmettait par les clés USB et qui avait échappé aux mailles de l’antivirus de notre collège ; ça a été la folie jusqu’à ce que nous arrivions à tout éradiquer.

Je n’ai pas subi de pression, j’ai eu beaucoup de liberté et en me demandant quelle direction prendre face au problème qui se présentait à nous, je leur ai dit qu’on ne pouvait plus continuer avec XP. Mon premier choix a été de changer pour Windows 7 qui fonctionnait bien, ils m’ont donné leur accord et nous avons demandé un devis. La surprise a été que Windows 7 avait déjà été supprimé du catalogue et que Microsoft ne fournissait déjà plus de licences pour ce logiciel.

On ne peut déjà plus l’acheter ?

Tu ne peux plus l’acheter, Windows 7 n’est plus en vente. Et bien sûr en version piratée tu ne peux pas l’installer pour toutes les raisons que j’ai citées précédemment, au delà des questions légales. Nous avons donc demandé au fournisseur un devis pour la migration vers Windows 8, qui s’est avéré complètement hors de prix : environs 12.000€ pour changer toutes les licences, c’est à dire la moitié du budget du collège pour toute l’année scolaire. C’est ingérable pour un centre éducatif. Et ce prix inclut la remise de 50% pour l’éducation.

L’interface en mosaïque proposée par Windows 8 avec Métro n’est pas non plus adéquate pour un environnement d’enseignement. L’interface avec laquelle tu travailles qui te met la météo de la région de León, l’horoscope et les dernières nouvelles. Cela n’a aucun sens au sein d’une classe. Windows 8 pour l’éducation n’est absolument pas viable selon moi. Il ne me paraît pas utile. De plus les ordinateurs n’ont pas la capacité de faire tourner cette version de manière fluide et en ajoutant la mise à jour du matériel pour migrer avec succès aux nouvelles versions de Windows 8, le budget aurait pu tranquillement monter à 25.000€. Le collège était disposé à le financer si nous n’avions aucun autre recours et c’est là que je leur ai proposé de passer au logiciel libre.

Combien coûte une seule licence Windows 8 pour le collège ? Il pratiquent des remises?

120 € avec la remise de 50% pour l’éducation. Incroyable.

Beaucoup d’administrations d’Espagne appuient et promeuvent le logiciel libre, tu connais la position du conseil de la communauté autonome de Castilla León à ce sujet ? ” Le conseil appuie le logiciel libre à 0 %. Ils ne veulent rien savoir là-dessus. Nous sommes David contre deux Goliath : le conseil de Castilla León et Microsoft.

Quelles autres alternatives as-tu étudiées pour la migration ?

Au vu du matériel, j’ai aussi testé Xubuntu et Lubuntu. Lors de la publication par Canonical de la première version Alpha de Ubuntu 14.04, je l’ai essayé sur l’ordinateur le plus ancien, Unity étais complètement fluide alors j’ai installé Ubuntu 14.04 sur les autres.

Quel est le plus gros avantage d’utiliser Ubuntu au collège ? Pourquoi Ubuntu et pas d’autres distributions ?

Le plus grand avantage c’est que dans le collège toute la communauté associe déjà le logiciel libre à Ubuntu, tous connaissent Ubuntu et en ont entendu parler à un moment ces dernières années.

L’autre grand avantage est le support de pilotes que propose Ubuntu. J’ai essayé beaucoup de distributions et aucune ne propose un support aussi important. Pour une centaine d’ordinateurs de configurations matérielles diverses on ne voulait pas avoir de problème avec le fonctionnement de la carte graphique, de la carte audio, de la connexion réseau… Nous avions besoin d’une distribution qui fonctionne à 100% dès le début sur tous les ordinateurs.

As-tu rencontré un problème concret pour choisir Ubuntu ?

Oui, les gens. Les gens sont réticents à changer pour Linux. Ils sont réticents à changer en général. « Et ça comment ça va m’affecter ? » Je leur réponds que ça ne va pas fondamentalement les affecter, qu’ils vont pouvoir continuer à effectuer leurs tâches de la même façon, voire de façon plus efficace. La suite bureautique LibreOffice peut leur donner quelques problèmes parce que tout le monde fonctionne avec Microsoft Office et lors de l’import de documents des dernières versions l’apparence change et ça les rends fous. Mais ça ne me préoccupe pas beaucoup, nous avons un bon support au collège !

un libriste espagnol qui migre son collège vers ubuntu

Quel sera le coût économique de migrer vers Ubuntu ? Vous avez envisagé de payer le support officiel de Canonical ? Pourquoi ?

Pour le moment nous ne pensons pas payer le support officiel, même si cela pourrait être une bonne option. Le coût réel est de 0€, vu que nous allons l’installer nous-mêmes.

100 ordinateurs représentent beaucoup d’équipements. Auront-ils tous la même configuration ? Comment allez-vous faire ?

Nous allons faire une ISO spécifique pour le collège en unifiant certaines choses. Pour ceux qui sont sur le même réseau, nous les installeront par le réseau… et ceux qui ne le sont pas, nous les installerons un par un.

Combien de temps va prendre la migration ?

Environ 2 mois.

Avez-vous des problèmes de pilotes avec les tableaux numériques interactifs ?

Oui, nous avons des problèmes, mais Hitachi nous donne le code source et c’est beaucoup plus simple. Il y a un groupe d’un autre collège de Barcelone emmené par Francisco Javier Teruelo qui nous aide beaucoup sur ce sujet avec l’idée finale de créer un paquet d’installation pour tout automatiser.

En plus du gain économique, que gagneront le corps professoral, les élèves et les parents avec Ubuntu? Y a-t-il un avantage par rapport à l’utilisation de Windows 8 ?

Ce qu’ils vont gagner c’est la tranquillité à 100%, surtout en supprimant tous les malwares qui pullulaient, ce qui au collège devient une véritable paranoïa. La conversation typique du collège ressemble à ceci :

— Tous les ordinateurs sont remplis de virus. — mmmh attends, avec ton ordinateur à la maison, depuis combien de temps tu n’as pas actualisé l’antivirus ? — Je ne sais pas. J’ai acheté l’ordinateur et l’antivirus était livré avec, je n’y ai plus jamais touché. — Et il a quel âge ? — Six ans — Ok, donc d’où viennent tous les virus du collège ? De ton ordinateur.

Au collège nous avons un antivirus totalement actualisé et même comme ça nous avons le problème dont je te parlais de contagion par USB.

Plus d’avantages ? La rapidité du réseau. Suite à la récente migration à la fibre optique et la configuration du réseau en Gigabit, tout va être beaucoup plus rapide et encore plus avec Linux. Parce que sincèrement, je ne sais pas ce que fait Windows, mais il ralentit n’importe quel réseau de 10% à 15% en comparaison d’un réseau fonctionnant avec Linux. Ou alors la NSA nous espionne…

On nous a dit que les professeurs étaient un peu réfractaires au changement, les élèves aussi ?

Les élèves sont intéressés. Les enfants sont curieux par nature. Parmi eux il y a une culture pro-Linux. Au fil des ans j’ai réussi à faire germer l’idée que Linux « déchire », qu’il est utilisé par les gens qui ont un réel intérêt pour l’apprentissage et la connaissance du fonctionnement réel des choses et les jeunes sont très attirés par cette idée. Ils ne sont en rien réfractaires au changement. Ils recherchent la nouveauté et le changement.

On dirait que l’initiative citoyenne a des années-lumière d’avance sur l’administration, surtout en lisant des nouvelles qui disent que l’Administration migrera vers Windows 8 sans appel d’offre. Que dirais-tu à tous ceux qui disent qu’une migration vers Ubuntu est complexe, aussi onéreuse que vers Windows 8, non viable ou mille autres boniments ?

Boniment, tu l’as dit. La phrase exacte est « boniments vendus par la propagande des grandes multinationales ». Ces circonstances que tu viens de citer c’est ce que te vend Microsoft, qui a fait une publicité subliminale impressionnante pour te faire voir que ce qui est bien c’est Windows. Windows m’a apporté mille problèmes pendant des années sur les ordinateurs du collège avec son manque de support pour les vieilles cartes ATI. Avec Linux, tu as beaucoup plus de compatibilité sur du vieux matériel. Tout est plus simple.

En ce qui concerne le coût, qu’ils ne viennent pas nous en parler. Nous sommes passé de 12.000€ à 0€. Parce que nous l’installons nous-mêmes, et si nous ne l’avions pas installé il aurait fallu faire appel à une société pour l’installation, mais celle-ci ne nous aurait pas facturé 12 000€ pour l’installation, loin de là.

S’il avait fallu employer une entreprise ça aurait également créé de l’emploi local.

Tout à fait. Beaucoup mieux. Tu aurais des gens qui travaillent dans ton entourage et pas qui touchent des aides par manque d’emploi.

La fin du support a-t-elle servi à se demander quelles seront les prochaines technologies qui seront utilisées, avec l’objectif d’être plus ouvertes et moins dépendantes d’une société en particulier ?

C’est sûr. Tout est bon pour envisager d’autres alternatives technologiques. Un article dans le Quotidien de León sur cette migration a suscité beaucoup d’intérêt dans notre entourage. Voir qu’il existe d’autres alternatives. Bien supérieures et avec une philosophie ouverte du partage d’égal à égal. Linux a commencé à s’associer à l’avant-garde… grâce au travail de toute la communauté. Android a aussi fait beaucoup de bien à Linux. Bien que ce ne soit pas une alternative 100% libre, les gens entendent parler de LINUX. Leur téléphone fonctionne très bien et ça c’est bien !

Quand j’étais petit, il y avait un ordinateur par foyer, avec de la chance. J’avais une vraie passion pour les films comme WarGames, Internet n’existait pas et je lisais avec ferveur les peu de revues qui racontaient comment les vrais hackers volaient du temps de travail pour programmer les gros ordinateurs de leurs universités… Maintenant nous avons facilement 2 ordinateurs par personne, une tonne de documentation, un accès bien plus facile à la technologie… Les vrais natifs numériques sont les élèves d’aujourd’hui… Ont-ils cet intérêt que nous avions dans le temps pour l’informatique ? Tu les crois passionnés par Ubuntu ? Ils l’utilisent chez eux ?__

Oui. C’est vrai que maintenant beaucoup plus de gens se servent de l’informatique et c’est beaucoup plus accessible, mais le niveau d’utilisation est plus superficiel. Quand nous étions petits nous approfondissions beaucoup plus, je me souviens que j’avais un manuel de 300 pages sur MS-DOS avec les commandes et je l’étudiais parce que j’adorais ça. Maintenant c’est impensable. La majorité des enfants utilisent surtout les réseaux sociaux, il ne s’agit pas de l’intérêt pour l’informatique en soi que nous avions. C’est un intérêt focalisé sur les applications. Je dois reconnaître qu’avec le 8086 je jouais à Monkey Island, mais si tu avais un problème avec le son tu devais te débrouiller pour trouver ce qu’il se passait. Maintenant si quelque chose ne fonctionne pas, ils changent d’appareil.

Disons qu’avant ils étaient là par choix et qu’aujourd’hui ils sont là par obligation…

Aujourd’hui c’est parce qu’ils l’ont et comme ils l’ont, ils l’utilisent. Nous avons un peu perdu l’esprit des « pionniers » que nous avons connu.

J’ai pourtant vérifié in situ avec le Linux & Tapas à León où beaucoup de tes élèves sont venus, qu’ils ont une réelle passion pour le logiciel libre…

Oui, c’est vrai qu’à eux autant qu’à d’autres j’ai toujours essayé de montrer les bienfaits de l’utilisation de systèmes libres… de leur faire voir que la voie, c’est le partage avec les autres, l’entraide. La philosophie Ubuntu dans un système éducatif est fondamental. A la fin de l’année scolaire, j’ai toujours une dizaine d’élèves qui l’installent pour leur propre compte, autant que je sache.

Merci beaucoup Fernando d’avoir partagé avec nous cette expérience et bonne chance pour la migration.

Article sous licence Creative Commons CC BY-SA 3.0




clibre.eu : un (autre) annuaire de logiciels libres

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Il existe de nombreux annuaires francophones de logiciels libres. Celui de Framasoft, renommé Framalibre depuis que le réseau s’est diversifié, évidemment. Mais il est loin d’être le seul.

Nous pourrions citer par exemple jesuislibre.org, qui a sensiblement le même âge que Framasoft (c’est-à-dire près de 15 ans !). Et bien entendu, les annuaires spécialisés. Par exemple celui de l’Adullact, celui de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne, le Pack Logiciels Libres de l’entreprise, etc. Sans oublier, bien évidemment, l’article Liste de logiciels libres de l’incontournable encyclopédie libre Wikipédia.

Il faut bien reconnaître, pour citer Cyrille Borne, que l’annuaire logiciel de Framasoft est devenu bien poussiéreux ces dernières années. Nous en sommes bien conscients et travaillons à une refonte totale de Framalibre. Comme ce projet va encore nous prendre quelques mois, nous avons même publié framastart.org, un annuaire simplifié, afin de répondre à la demande des personnes souhaitant n’avoir qu’une sélection réduite à l’indispensable à avoir sur son poste de travail.

Cependant, des initiatives méritent d’être saluées en particulier lorsqu’elles font l’objet d’un travail sérieux et réfléchi. C’est donc avec une curiosité amicale que nous avons posé quelques questions à l’un des sympathiques créateurs d’un nouvel entrant : cLibre.eu

Aux esprits chagrins qui pourraient trouver dommage que les énergies soient réparties sur de multiples sites, et non sur un seul qui pourrait les fédérer[1], nous répondrons qu’il en va sans doute avec les annuaires de logiciels comme avec les logiciels eux-mêmes : la liberté de faire le sien doit être préservée, et même encouragée. Cela afin de préserver l’innovation, d’éviter les projets sclérosés, et d’inviter à la création de nouvelles communautés.

Bonjour Hervé, peux-tu te présenter ?

Rien de spécial. Centre d’intérêt nombreux et variés des activités de montagne à la méditation en passant encore par un fort investissement dans les associations.

Vous venez de publier clibre.eu, un annuaire de logiciel libre “allégé”. Quelles sont ses spécificités, notamment par rapport à Framalibre, l’annuaire de Framasoft ?

En fait cela fait 2 ans qu’il existe, mais nous n’avons jamais pris le temps de communiquer autour.

Nous avons donc mis un certain nombre de critères :

  • Pour le grand public, assos, TPE (pas pour les geek)
  • Support aux débutants (tutoriels, présentation, forums)
  • En français dans le texte
  • Les domaines les plus demandés (bureautique, internet, graphisme…)
  • Un nombre restreint de logiciels (qui ne devraient pas dépasser la centaine)
  • Une fiche (pas de notice ni de commentaires) avec plein de liens (téléchargement, forum…)
  • Mise à jour régulière
  • Facilité le passage final de Windows ou Mac vers Linux
  • Tout éthique (pas de diffusion de violence, discrimination …)
  • Gratuit ou peu cher à l’utilisation

Un premier mini moteur de recherche (http://www.clibre.eu/alternatives/) est mis en place. Il permet de trouver une alternative en saisissant uniquement le mot d’une utilisation (internet, photo…) ou le nom d’un logiciel propriétaire.

Nous avons aussi une approche qui intègre l’évolution libre qui n’est plus seulement de favoriser des distributions Linux ou des logiciels, mais des aussi applications ou services en ligne qui ont des fonctionnalités équivalentes.

Autre approche similaire avec vous, c’est l’indispensable éducation par rapport à la gratuité. C’est souvent l’élément déclencheur pour l’adoption des logiciels libres par le grand public. C’est à nous après de les amener progressivement à s’imprégner du fonctionnement et des valeurs du libre qui dépassent de plus en plus le cadre des logiciels libres.

D’emblée nous n’avions pas voulu faire un doublon de l’annuaire framalibre. Nous n’en avions ni les moyens mais surtout pas l’envie que ce soit à l’extérieur ou à l’intérieur de Framasoft. C’est dans ce sens ou je t’avais rencontré pour bien fixer les différences.

Ce n’est pas un fork et nous espérons bien qu’il y ait un jour un annuaire qui comporte des milliers de référence du Libre. S’il y a un intérêt évident d’avoir un annuaire le plus exhaustif possible, il est aussi intéressant de promouvoir le libre pour un milieu spécifique : association, éducation, entreprise… Chacun à son propre code culturel et des logiciels plus adaptés…

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Pourquoi avoir créé ce projet ? Et comment vois-tu son évolution dans les mois qui viennent ?

C’est parti d’un besoin personnel (comme souvent ;-)). Je fais partie de nombreuses associations et nous sommes nombreux à avoir été confrontés à un problème d’interopérabilité. Un bien grand mot pour expliquer les pertes de caractères, mises en page entre logiciels parfois de la même société bien connue. Certains adhérents avaient des PC ou des Macs. J’utilisai des mots et des explications qui n’aboutissaient pas souvent aux résultats escomptés. Du côté de l’utilisateur, il était aussi plus simple de continuer à fonctionner avec ses habitudes.

L’intérêt des campagnes précédentes des adeptes du libre, c’est d’avoir permis petit à petit d’acquérir notoriété et crédibilité. Les associations l’ont adopté de plus en plus souvent pour leurs besoins fondamentaux. D’autre part les logiciels libres les plus connus font d’énormes progrès pour intégrer l’expérience utilisateur et s’adapter à celui-ci plutôt que le contraire. J’ai dû faire la même chose dans mes explications en m’adaptant. Avec la généralisation de l’utilisation d’internet, il est devenu de plus en plus facile de faire des liens vers les ressources et quelques tutoriels.

Mais on est encore loin d’un basculement massif vers les systèmes libres en raison de l’intégration des systèmes d’exploitation et de logiciels lors de l’achat d’ordinateurs, tablettes ou autres et du poids du freeware.

Nous faisons le constat qu’il manque encore des outils de promotion et vulgarisation, que ce soit sous forme d’annuaire, vidéos ou autres pour des non-informaticiens.

www.cLibre.eu est un nouvel outil qui va dans ce sens avec notamment le mini moteur de recherche qui permet de trouver plus facilement un équivalent à son logiciel propriétaire.
Gain personnel: je gagne en efficacité et en temps pour faire autre chose, par exemple pour le libre. J’ai juste à mettre un lien dans une phrase et l’envoyer par mail en signature.

Les non informaticiens ont maintenant tous les éléments en main pour basculer petit à petit leur logiciel. La situation est mature maintenant pour aider à un basculement plus massif vers une informatique totalement libre, vers des distributions Linux. C’est l’objectif qui suit une fois que nous avons adopté des logiciels sur notre Windows ou Mac et que l’on retrouve les mêmes sur sa distribution Linux.
C’est le chemin que j’ai pris et nous sommes nombreux à avoir fait.

Personnellement je n’avais jamais contribué au code ou au financement de logiciels libres, c’est une manière pour moi de remercier tout le travail fait par d’autres (promoteur, développeur…)

Peux-t-on y participer ? Comment ?

Pour l’instant c’est encore difficile (toujours ce temps qui nous file entre les doigts), cela fait partie des évolutions du site qui sont programmées dans les prochains mois. Il faut au préalable que l’on réfléchisse sur les besoins, les cadres et les fonctionnalités pour favoriser l’intégration de nouvelles personnes ou tout simplement faire un outil réellement participatif. Cela arrivera d’autant plus vite que nous aurons, après cet interview, un retour positif et un soutien de la part de la communauté du libre aussi bien pour ce site que pour la réalisation d’une vidéo.

Vous pouvez déjà nous aider :

  1. en faisant la promotion de ce site dans votre entourage, sur vos sites et réseaux
  2. en répondant, en se mettant dans la peau d’une personne de votre connaissance sans compétence informatique
  3. si vous avez un peu plus de temps Waouh 🙂 , en suivant le lien nous aider
    1. vérifier le tableau http://www.clibre.eu/alternatives/ (qui est le point d’entrée le plus important) en vérifiant/proposant des noms de catégories ou marques propriétaire susceptibles d’être très recherchées par les non-informaticiens
    2. vérifier chaque fiche logiciel sur les liens, texte de présentation, voir en l’enrichissant. (Nous contacter d’abord pour savoir ceux qui n’ont pas été pris et qui vous intéressent)
    3. tout type de travaux graphiques (logo, picto, bandeau pub…)
    4. animation pédagogique multimédia (vidéo, prezi)

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Avez-vous d’autres projets en cours ?

Oui. Faire une vidéo pour promouvoir les logiciels libres. L’intérêt a été discuté avec plusieurs interlocuteurs de plusieurs associations, sites du libre et cela fait unanimité.

Le monde du libre a besoin de ressources ludiques, cool, sympa pour amorcer le basculement dans nos milieux spécifiques (assos, éducation, TPE …) ou nos proches non informaticiens. Les critères sont donc à peu près les mêmes que pour le site. L’objectif étant que cette vidéo puisse être réutilisé (librement !) sur tout type de site comme introduction. A chacun ensuite de proposer les outils ou liens spécifiques. Exemple : en dessous de la vidéo, il serait possible d’insérer des liens vers framapack, libreassociation, annuaire grand public …

Là aussi nous avons des besoins urgents car nous souhaiterions lancer une campagne de financement participatif qui doit être terminée courant juin.

Vous pouvez participer comme association ou personnellement avec l’une des options suivantes :
A/ En tant qu’asso nous trouvons le projet sympathique et nous sommes prêts à parrainer cette initiative. Nous autorisons cLibre.Eu à mettre notre beau logo dans cette campagne ;
B/ Personnellement pour être tenu au courant de ce projet, je m’inscris sur la lettre d’infos www.clibre.eu ;
C/ Je relaie la campagne sur ma liste de contacts, lettre d’infos … dès son lancement ;
D/ Je communique des contacts pour la réalisation vidéo, graphisme… ou de structures, sites web… afin de mener à bien ce projet en leur relayant l’infos ;
E/ J’ai des compétences pour faire quelques graphismes (image campagne, logo, bandeau pub …), une animation Prezi, aider pour les relations presse ;
F/ J’ai un peu de temps pour réfléchir au synopsis, contenu de la campagne. Je veux bien recevoir quelques mails par mois et participer à la rédaction du texte de campagne et d’après-campagne.

Merci Hervé ! Un petit mot pour la fin ?

En fait le combat du libre doit rejoindre celui d’un changement beaucoup plus profond de la société.
Sur l’internet cela passe par trouver et mettre en place des alternatives face à l’hégémonie de Google.
Framasoft nous montre le chemin en développant des applications en ligne libre.
Merci à vous, merci à toi.

Le chemin est long, mais que de chemin parcouru déjà 😉

Notes

[1] Et dans les ténèbres les lier ? 😉