Microsoft Office 2013 supportera le format ODF (et PDF) : Victoire du Libre ?

Grande et bonne nouvelle, d’après Microsoft la prochaine version 2013 de la célèbre suite bureautique Office intégrera le format ouvert OpenDocument (ou ODF) dans sa version 1.2. Elle sera également capable d’ouvrir, enregistrer et même éditer du format PDF (voir le tableau comparatif issu de Microsoft en fin d’article).

Cela fait des années que les partisans d’une réelle interopérabilité le demandent. Et cela fait des années aussi que le format PDF est présent sur la suite bureautique libre OpenOffice.org / LibreOffice.

Du coup le journaliste Simon Phipps y voit clairement une victoire de l’open source. Et vous ?

Camknows - CC by-nc-sa

Comment Microsoft été forcé d’ouvrir Office

How Microsoft was forced to open Office

Simon Phipps – 17 août 2012 – InfoWorld.com
(Traduction : Damz, ehsavoie, Patchidem, Calexo, Nek, Fe-lor, Grummfy, Sylvain, Gatitac, Skhaen, ProgVal, Bohio, joe, HgO, Cypher, Jimmy)

Dans Office 2013, la prochaine version de sa célèbre suite bureautique, Microsoft a été contraint de prendre en charge totalement le véritable format ODF, au même titre que le format PDF. Voici comment l’open source a gagné.

Plus tôt cette semaine dans un article de blog, le responsable des standards Office, Jim Thatcher, a décrit les changements à venir dans Office :

Dans la prochaine version d’Office, nous avons ajouté l’utilisation de deux formats supplémentaires : Strict Open XML et Open Document Format (ODF) 1.2. Nous avons aussi intégré la possibilité d’ouvrir des documents PDF afin de pouvoir les modifier dans Word et de les enregistrer dans n’importe quel format. En ajoutant la prise en charge de ces formats de document standardisés, Microsoft Office 2013 offre à ses utilisateurs de nouvelles possibilités quant à l’intéropérabilité des documents bureautiques.

Dans ces quelques mots arides, nous pouvons trouver les échos d’une leçon d’histoire qui nous démontre le pouvoir de l’open source pour garantir la concurrence et favoriser l’innovation, tous deux précieuses sur les marchés du logiciel. Les formats de fichiers ne sont manifestement pas le sujet le plus excitant, mais cette annonce apporte une lumière sur deux faits importants à propos de l’open source : dans un premier temps, le logiciel open source peut être celui qui impose son rythme à la concurrence. Puis, dans un second temps, l’innovation open source fournit les bases solides sur lesquelles d’autres peuvent s’appuyer.

Le triomphe de l’ODF

Au tout début de la dernière décennie, Microsoft Office a quasiment chassé toute concurrence des logiciels bureautiques. Dans ce quasi-monopole, Sun Microsystems a lancé un projet open source en 2000, basé sur la suite bureautique de niche « StarOffice ». Connue sous le nom d’OpenOffice.org, la suite a progressivement pris de l’ampleur pour devenir l’alternative open source à Microsoft (NdT : Cf cet article du Framablog De StarOffice à LibreOffice 28 années d’histoire).

Alors que certaines personnes ont été promptes à accuser OpenOffice.org d’être un dérivé d’Office, elle égale la première version de Word de Microsoft (en 1983 pour Xenix) puisqu’elle a été créée en 1984, visant les ordinateurs personnels populaires de cette époque : le Commodore 64 et l’Amstrad CPC sous CP/M. Elle a ensuite évolué en une suite bureautique pour DOS, OS/2 Warp d’IBM et Microsoft Windows. Quand Sun Microsystems a acquis OpenOffice.org en 1999, il s’agissait d’une application complète et multifonction disponible sur toutes les plates-formes populaires de l’époque.

À leur arrivée chez Sun, les développeurs de StarOffice/OpenOffice.org ont accéléré le projet de créer un format moderne, basé sur XML, pour leur suite. En utilisant un format basé sur XML, il était plus facile de promouvoir l’interopérabilité avec d’autres outils bureautique, ainsi que de maintenir la compatibilité d’une version à l’autre.

Ce problème de l’omniprésence du format .doc ou .xls était le fléau de tous les utilisateurs d’outils bureautique, aussi Sun a pris l’initiative d’aller voir l’OASIS et a proposé une solution : un format de fichier standardisé pour le travail bureautique. J’ai été impliqué dans cette activité et je sais de source sûre que Sun a approché d’autres membres de l’OASIS pour qu’ils contribuent au projet. Toutefois, Microsoft a refusé, en qualifiant cette proposition de « superflue », préférant garder son juteux marché captif d’utilisateurs conditionnés à ses propres formats propriétaires.

OASIS a accepté la proposition et le résultat fut le standard OpenDocument, l’ODF. Malgré un départ difficile, l’adoption de l’ODF a fait boule de neige ; aujourd’hui, le format est un standard ISO et est approuvé/homologué à travers le monde. La pression sur Microsoft est devenue suffisamment forte pour que l’entreprise manipule le monde des standards internationaux afin de créer un format de fichiers XML standard concurrent basé de très près sur les formats utilisés dans Microsoft Office. Il a finalement été accepté par l’ISO en 2008.

Il aura fallu presque 7 ans, mais Microsoft a cédé. En avril, la société a annoncé qu’elle implémenterait complètement dans Office 15 à la fois le standard basé sur Office qu’elle a fait passer en force à l’ISO (standard ISO/IEC 29500, communément appelé OOXML) et les standards poussés par la communauté qu’elle émulait (standard ISO IEC 26300, communément appelé ODF).

L’open source a changé le marché, forçant Microsoft à réagir et à mettre en place la compatibilité de version à version et le concept d’interopérabilité. Sans l’open source, rien de cela ne serait arrivé. Avec l’open source, même si vous n’utilisez pas vraiment le format ODF vous-même, vous bénéficiez d’un marché compétitif et revigoré.

PDF a « presque » son dû

Le second point que souligne le blog de Microsoft est le pouvoir de l’innovation ouverte. La communauté OpenOffice.org a majoritairement migré en 2010 – avec le code – vers un nouveau projet open source nommé LibreOffice. Les projets OpenOffice.org et LibreOffice ont longtemps pris en charge la création de fichiers de type Portable Document Format (PDF). Microsoft Office a fini par copier cette fonctionnalité, d’abord comme une extension à Office 2007, puis comme une fonctionnalité intégrée par défaut. Cependant, LibreOffice inclut aussi la possibilité intéressante de pouvoir créer des fichiers Hybrid PDF qui peuvent ensuite être ré-ouverts et réédités avec LibreOffice. Si vous souhaiteriez essayer vous-même d’éditer des Hybrid PDF, cette vidéo vous expliquera comment faire.

Il semblerait que cette fonctionnalité soit sur le point d’arriver également dans Office :

Avec cette version, Microsoft introduit l’option, que nous appelons « PDF Reflow », qui permet d’ouvrir des fichiers PDF en tant que documents de bureautique éditables. Comme Tristan Davis, responsable du développement de Word, l’expliquait : « avec cette fonctionnalité, vous pouvez retransformer vos PDF en documents Word entièrement éditables, rendant alors modifiables les titres, les listes à puces ou numérotées, les tableaux, les notes de bas de page, etc. en analysant les contenus des fichiers PDF ».

À l’heure actuelle, le seul problème éventuel est de voir Microsoft limiter l’interopérabilité et la compatibilité de la prise en charge de l’ODF et de sa version de PDF hybrides. Pour des raisons inexpliquées, la société ne va pas proposer la possibilité d’enregistrer les fichiers comme un fichier ODF rétro-compatible (la version prise en charge actuellement dans Office 2012, le format ODF 1.1), donc il sera plus difficile dans un environnement mixte d’utiliser l’ODF. De la même façon, j’ai été conforté dans l’idée que, malgré la prise en charge de l’ouverture de fichiers PDF pour édition, Microsoft ne prend pas en charge l’ouverture des fichiers hybrides PDF de LibreOffice. Peut-être que la menace concurrentielle des logiciels open source est encore trop grande ?

À l’instar de la gestion initiale de l’enregistrement au format PDF, l’ajout de l’édition de documents PDF est un signe de bienvenue à ce qui a été essayé et testé en tant qu’open source. Telle est la dynamique de l’innovation. Les idées créent des idées, et l’innovation est le résultat de l’innovation.

Ici, la différence est que les communautés open source diffusent librement leurs idées à tout le monde, il n’y aura donc pas de menaces juridiques, pas de procès pour violation de brevets, et pas de licence d’utilisation coercitive (et confidentielle). C’est la façon dont les choses doivent se passer si nous voulons voir l’innovation continuer à germer grâce à un marché sain et compétitif.

Formats supportés - Microsoft Office 2013

Crédit photo : Camknows (Creative Commons By-Nc-Sa)




Geektionnerd : Dépêches Melba 3 (p0rn inside)

Un Gee-Mix des news de la semaine…

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Liens connexes, si cela vous a échappé :

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




L’iPhone et l’enfant de 13 ans travaillant 16h par jour pour 0,70 dollars de l’heure

Il est possible qu’un enfant chinois de 13 ans, travaillant 16h par jour pour 0,70 dollars de l’heure, se cache dans votre magnifique iPhone ou iPad. Et quand bien même nous ne soyons pas de ce cas extrême, les conditions sociales de tous ceux qui les produisent loin de chez nous demeurent épouvantables à nos yeux[1].

Ainsi va le monde d’aujourd’hui. Apple n’est qu’un exemple parmi tant d’autres mais il en est un bien triste symbole.

Aaron Shumaker - CC by-nd

Votre iPhone a été fabriqué, en partie, par des enfants de 13 ans travaillant 16 heures par jour pour 0,70 dollars de l’heure

Your iPhone Was Built, In Part, By 13 Year-Olds Working 16 Hours A Day For 70 Cents An Hour

Henry Blodget – 15 janvier 2012 – BusinessInsider.com
(Traduction Framalang/Twitter : HgO, goofy, Maïeul, Mogmi, oli44, Gatitac, popcode, Spartition, MaxLath, kadmelia)

Nous aimons nos iPhones et nos iPads.

Nous apprécions les prix de nos iPhones et iPads.

Nous sommes admiratifs des marges de profit très élevées d’Apple, Inc., le créateur de nos iPhones et iPads.

Et c’est pourquoi il est déconcertant de se rappeler que les bas prix de nos iPhones et iPads — ainsi que les marges de profits très élevées d’Apple — sont possibles parce qu’ils sont fabriqués dans des conditions de travail qui seraient jugées illégales aux États-Unis.

Et il est aussi déconcertant de remarquer que les gens qui fabriquent nos iPhones et iPads non seulement n’en possèdent pas (parce ce qu’ils n’en ont pas les moyens), mais, dans certains cas, qu’ils ne les ont même jamais vus.

C’est un problème complexe. Mais c’est aussi un problème important. Et cela va devenir de plus en plus préoccupant à mesure que les économies mondiales continuent à être de plus en plus interconnectées.

(C’est un problème qui concerne beaucoup de multinationales, et pas seulement Apple. La plupart des fabricants de produits éléctroniques font leurs business en Chine. Cependant, une des spécificités d’Apple, c’est l’importance de ses marges. Apple pourrait augmenter le salaire de ses employés ou leur garantir de meilleures conditions de travail tout en conservant son extrême compétitivité ainsi que sa rentabilité.)

La semaine dernière, l’émission radiophonique américaine This American Life a proposé une édition spéciale sur les industries Apple. L’émission a diffusé (entre autres) le reportage de Mike Daisey, l’homme à l’origine du one-man-show « L’extase et l’agonie de Steve Jobs », avec Nicholas Kristof, dont l’épouse est issue d’une famille chinoise.

Vous pouvez lire ici une retranscription de l’ensemble. Voici quelques détails :

  • La ville chinoise de Shenzhen est située là où la plupart de nos « merdes » sont fabriquées. Il y a 30 ans, Shenzhen était un petit village sur une rivière. Maintenant, c’est une cité de 13 millions de d’habitants — plus grande que New York.
  • Foxconn, l’une des sociétés qui fabriquent les iPhones et les iPads (et aussi des produits pour un certain nombre d’autres entreprises d’électronique), possède une usine à Shenzhen qui emploie 430 000 personnes.
  • Il y a 20 caféterias à l’usine Foxconn Shenzen. Elle servent chacune 10 000 personnes.
  • Mike Daisey a interviewé une employée, à l’extérieur de l’usine gardée par des hommes armés, une jeune fille âgée de 13 ans. Chaque jour, elle lustrait des milliers d’écrans du nouvel iPhone.
  • La petite de 13 ans a expliqué que Foxconn ne vérifiait pas vraiment l’âge. Il y a parfois des inspections, mais Foxconn est toujours au courant. Avant que les inspecteurs n’arrivent, Foxconn remplace les employés qui semblent trop jeunes par des plus âgés.
  • Durant les deux premières heures devant les portes de l’usine, Daisey a rencontré des travailleurs qui lui ont dit qu’ils avaient 14, 13 et 12 ans (en plus de ceux qui étaient plus âgés). Daisey estime qu’environ 5% des travailleurs avec lesquels il a discuté étaient en-dessous de l’âge minimum.
  • Daisey suppose que Apple, obsédée comme elle l’est des détails, doit le savoir. Ou, s’ils ne le savent pas, c’est parce qu’ils ne veulent pas le savoir.
  • Daisey a visité d’autres usines de Shenzhen, se faisant passer pour un acheteur potentiel. Il a découvert que la plupart des étages des usines sont de vastes salles comprenant chacune entre 20 000 et 30 000 travailleurs. Les pièces sont silencieuses : il n’y a aucune machine-outil, et les discussions ne sont pas autorisées. Quand la main d’œuvre coûte si peu cher, il n’y a aucune raison de fabriquer autrement que manuellement.
  • Une « heure » chinoise de travail dure effectivement 60 minutes — contrairement à une « heure » américaine, qui en général comprend les pauses pour Facebook, les toilettes, un appel téléphonique et quelques conversations. Le temps de travail journalier officiel est de 8 heures en Chine, mais la rotation standard des équipes de travail est de 12 heures. En général, la rotation s’étend jusqu’à 14-16 heures, en particulier lorsqu’il y a un nouveau gadget à fabriquer. Pendant que Daisey était à Shenzhen, un ouvrier de Foxconn est mort en travaillant 34 heures d’affilée.
  • Les chaînes d’assemblage ne peuvent pas aller à un rythme supérieur à celui de l’ouvrier le plus lent, les ouvriers sont par conséquent observés (à l’aide de caméras). La plupart travaillent debout.
  • Les ouvriers résident dans des dortoirs. Dans un cube de béton de 12 mètre de côté qui leur sert de chambre, Daisey compte 15 lits, empilés comme des tiroirs jusqu’au plafond. Un Américain de taille moyenne n’y tiendrait pas.
  • Les syndicats sont interdits en Chine. Quiconque est surpris à monter un syndicat est envoyé en prison.
  • Daisey a interviewé des douzaines d’anciens ouvriers qui soutiennent secrètement un syndicat. Un groupe raconte avoir utilisé de l’« hexane », un nettoyeur d’écran d’iPhone. L’ hexane s’évapore plus rapidement que les autres nettoyeurs d’écran, ce qui permet à la chaîne de production d’aller plus vite. L’hexane est également un neurotoxique. Les mains de l’ouvrier qui lui en a parlé tremblaient de manière incontrôlée.
  • Certains ouvriers ne peuvent plus travailler, leurs mains ayant été détruites par ces mêmes gestes répétés des centaines de milliers de fois durant de nombreuses années (syndrome du canal carpien). Cela aurait pu être évité si les ouvriers avaient simplement changé de poste. Dès que les mains des ouvriers ne fonctionnent plus, ils sont évidemment jetés.
  • Une ancienne ouvrière a demandé à son entreprise de payer les heures supplémentaires, et lorsque la société a refusé, elle est allée au comité d’entreprise. Celui-ci l’a inscrite sur une liste noire qui a circulé parmi toutes les entreprises de la région. Les travailleurs sur une liste noire sont fichés comme « fauteurs de troubles / agitateurs » et les compagnies ne les embauchent pas.
  • Un homme s’est fait écraser la main par une presse à métal chez Foxconn. Foxconn ne lui a dispensé aucun soin médical. Quand sa main a été guérie, il ne pouvait plus travailler et a donc été renvoyé. (Heureusement, l’homme fut capable de trouver un nouveau travail dans une entreprise de menuiserie. Les horaires y sont bien meilleurs dit-il, seulement 70 heures par semaine).
  • Cet homme fabriquait d’ailleurs les coques en métal d’iPads chez Foxconn. Daisey lui montra son iPad. Il n’en avait jamais vu auparavant. Il le prit et joua avec. Il raconta trouver cela « magique ».

Il convient cependant de rappeler que les usines du Shenzhen, aussi infernales soient-elles, ont été une bénédiction pour le peuple chinois. C’est ce que dit l’économiste libéral Paul Krugman. C’est ce que dit Nicholas Kristof, chroniqueur au New York Times. Les ancêtres de la femme de Kristof sont originaires d’un village proche de Shenzhen. Il sait donc de quoi il parle. Pour Kristof, les « malheurs » de l’usine valent toujours mieux que les « malheurs » des rizières.

Donc, de ce point de vue, Apple aide à transférer de l’argent de riches consommateurs américains et européens vers des pauvres travailleurs de Chine. Sans Foxconn et les autres usines d’assemblage, les travailleurs chinois seraient encore en train de travailler dans des rizières, gagnant 50$ par mois au lieu de 250. (C’est l’estimation de Kristof. En 2010, selon Reuters, les employés de Foxconn ont obtenu une augmentation totalisant 298$ par mois, soit 10$ par jour, soit moins d’un dollar par heure.) Avec cet argent, ils s’en sortent bien mieux qu’autrefois. En particulier les femmes, qui ont peu d’autres possibilités.

Mais, bien sûr, la raison pour laquelle Apple assemble ses iPhones et ses iPads en Chine au lieu des États-Unis, c’est que l’assemblage ici ou en Europe coûterait cher, bien plus cher – même compte-tenu des frais d’expédition et de transport. Et cela coûterait beaucoup, beaucoup plus parce qu’aux États-Unis et en Europe, nous avons établi des conditions de travail et de salaire minimales acceptables pour les travailleurs.

Foxconn, inutile de le préciser, n’essaye absolument pas de tendre vers ces conditions minimales.

Si Apple avait décidé de fabriquer les iPhones et les iPads pour les Américains en utilisant les conditions de travail américaines, deux choses pourraient arriver :

  • Le prix des iPhones et des iPads augmenterait
  • Les marges de profit d’Apple diminueraient

Aucun de ces éléments ne serait bénéfique à un consommateur américain ou à un actionnaire d’Apple. Mais ils pourraient ne pas être si terribles que ça non plus. Contrairement à certains fabricants d’électronique, les marges de profit sont si élevées qu’elles pourraient beaucoup baisser et rester tout de même élevées. Et certains utilisateurs américains auraient probablement meilleure conscience si on leur disait que ces produits ont été construits dans les conditions de travail de leur propre pays.

En d’autres termes, Apple pourrait certainement se permettre de respecter des conditions de travail américaines pour fabriquer ses iPhones et iPads, sans pour autant détruire son modèle économique.

On peut alors raisonnablement se demander pourquoi Apple a choisi ici de ne PAS faire ainsi.

(Ce n’est pas qu’Apple soit la seule entreprise qui ait choisi de contourner la législation du travail et les coûts de la main d’œuvre américaine, bien sûr – presque toutes les entreprises industrielles qui veulent survivre, ou tout simplement se développer, doivent abaisser les normes et leurs coûts de productions en faisant fabriquer leurs produits ailleurs.)

Au final les iPhones et les iPads coûtent ce qu’ils coûtent parce qu’ils sont fabriqués selon des conditions de travail qui seraient illégales dans notre pays – parce que les gens de notre pays considèrent ces pratiques comme scandaleusement abusives.

Ce n’est pas un jugement de valeur. C’est un fait.

La prochaine fois que vous vous saisirez de votre iPhone ou de votre iPad, pensez un peu à tout cela.

Notes

[1] Crédit photo : Aaron Shumaker (Creative Commons By-Nd)




La menace SOPA plane aussi sur le monde éducatif 3/3

On le constate partout dans le monde. Quand les lobbyistes du copyright font pression sur les gouvernements pour qu’ils mettent en place un arsenal répressif sur internet afin de « lutter contre le piratage », cela impacte négativement aussi bien la liberté individuelle du citoyen que la liberté collective de l’univers éducatif dont la caractéristique non marchande n’est jamais prise en considération.

Ainsi en va-t-il donc malheureusement ainsi pour le projet de loi américain SOPA qui fait l’objet d’un dossier sur le Framablog.

Sopa Doll

PS : On notera que le projet de loi a été ajourné mais ne nous réjouissons pas trop vite…

Comment SOPA affecte les étudiants, les éducateurs et les bibliothèques

Electronic Frontier Foundation – Décembre 2011
(Traduction Framalang/Twitter : Kamui57, Skhaen, Gordon, Stephanie, Toto, Martin, Quota)

How SOPA Affects Students, Educators, and Libraries

Les grands groupes de médias et leurs représentants comme la MPAA et la RIAA ont historiquement ciblé les campus universitaires avec des mesures « anti-piratage », et le Stop Online Piracy Act (SOPA) — le projet de loi de censure qu’ils tentent de faire passer au Congrès — n’est pas une exception. Les partisans du projet insistent sur le fait qu’il cible uniquement les sites « pillards » étrangers dédiés au piratage, mais c’est un terme vague et flou, et ses méthodes d’application trop larges n’assurent en rien qu’elles ne seront pas utilisées pour étouffer la liberté d’expression des élèves et professeurs.

Ressources éducatives libres

Les communautés internationales dédiées aux « Ressources Éducatives Libres » (REL), qui sont conçues pour être partagées, améliorées, et utilisées dans l’éducation, ont particulièrement de quoi s’inquiéter. Des sites comme le Japan Opencourseware Consortium ou Universia, qui offre des ressources à plus de 1 000 universités et représente 10 millions d’étudiants, pourraient être concernés. Dans la décennie passée, ces ressources sont devenues grandement populaires, facilitées par le coût réduit de la distribution numérique et la disponibilité de technologies pour héberger et partager. SOPA pourrait inverser ces tendances en plaçant d’écrasantes responsabilités prohibitives sur les sites qui fournissent ces ressources.

Les éducateurs travaillant dans la communauté des REL ont tiré la sonnette d’alarme à propos de ce projet de loi : Curriki, un site principalement dédié à l’école primaire, a expliqué pourquoi en quoi il craignait SOPA ; les Creative Commons se sont également exprimées au sujet de ce projet, et un groupe d’éducateurs influents a soumis une lettre à la Chambre des Représentants expliquant pourquoi ce projet gèlerait la création de contenus éducatifs.

Bibliothèques et bibliothécaires

Ils ne sont pas seuls. Les bibliothèques représentent un autre groupe éducatif potentiellement impacté par SOPA. La Library Copyright Alliance, un groupe dont les membres incluent l’Association Américaine des Bibliothèques, a également envoyé un courrier à la Chambre des Représentants relevant les problèmes principaux du projet de loi.

De façon alarmante, les bibliothécaires rappellent et indiquent « trois procès en cours pour infractions au copyright contre des universités et leurs bibliothèques, liés à leur usage de technologies numériques », reflet « d’une tension croissante entre les bibliothèques et les détenteurs de droits de plus en plus enclin à brandir la menace de la poursuite judiciaire, jusqu’à aller à exécution ». Cette état d’esprit et cette judiciarisation se poursuivront immanquablement avec SOPA qui pourra mener des poursuites y compris pour des activités relevant du simple fair use et menées sans intention commerciale.

Sopa Watched Computer

Le fair use pour les étudiants et éducateurs

Lorsqu’ils feront face à ce genre de situations, les administrateurs mettront vraisemblablement en place des règles pour protéger leurs universités de toute responsabilité encourue, même si ces règles ne tiennent pas compte de l’exception au copyright du fair use permise aux éducateurs. Malgré la protection actuelle explicite de la loi pour « les copies multiples pour l’usage en salles de cours », de nombreuses universités payent des frais de licences forfaitaires à la Copyright Clearance Center afin de s’épargner d’éventuelles poursuites.

Et il est logique qu’elles le fassent lorsque l’on se souvient des poursuites judiciaires engagées en 2008 par un éditeur universitaire contre l’Université d’Etat de Géorgie, soutenu alors financièrement par le Centre pour une simple histoire de droits sur des photocopies d’articles et extraits de livres. l’Université a modifié en la restreignant sa politique légale concernant le copyright après le procès,

Comment agir ?

D’autres acteurs de la communauté éducative ont des problèmes avec la loi, et avec son pendant tout aussi désastreux de Sénat, PROTECT IP Act ou PIPA. L’Association des Etudiants des Etats Unis, qui représente quatre millions et demi d’étudiants dans plus de quatre cents campus sur tout le pays, s’est insurgée contre ces deux lois, et un groupe de plus de cent professeurs de droits a envoyé une lettre vindicative au Congrès.

Les étudiants, bibliothécaires, professeurs, et autres membres de la communauté éducative, conscients des conséquences problématiques que SOPA entraînerait, élèvent leur voix. Et avec le Congrès mettant SOPA à l’ordre du jour cette semaine, nous avons besoin que des étudiants, des enseignants, et des bibliothécaires se mobilisent.

Nous avons préparé une boîte à outils anti-SOPA pour ceux qui veulent agir contre les lois pour la censure. De nombreuses actions proposées impliquent directement les étudiants.

Qui que vous soyez, appellez vos députés au Congrès dès aujourd’hui et prenez connaissance de notre alerte SOPA. Et n’oubliez pas que vous pouvez devenir membre de l’EFF pour un tarif spécial étudiant.

Sopa Locked Computer

-> Lire d’autres articles consacrés à SOPA sur ce blog




12 actions pour combattre et stopper SOPA 2/3

Voir le premier article de notre dossier SOPA et son introduction : Pourquoi le projet de loi américain SOPA nous menace-t-il tous.

I'm no criminal

Combattez la censure : la trousse à outils de l’activiste anti-SOPA

Electronic Frontier Foundation – Décembre 2011
(Traduction Framalang/Twitter : Kamui57, Skhaen, Gordon, Stephanie, Toto, Martin, Quota)

Fight the Blacklist: A Toolkit for Anti-SOPA Activism

Le congrès américain débat d’une dangereuse loi qui donnerait au Département de la Justice le pouvoir sans précédent de « blacklister » des sites web sans décision de justice et donner aux détenteurs de copyrights d’Hollywood un moyen direct et rapide de couper les moyens financiers d’un site web sur l’allégation de violation de copyright, mettant en danger des sites comme Vimeo ou Etsy. Ce n’est rien de moins qu’un projet de loi créant un régime de censure aux Etats-Unis, et il avance rapidement.

Nous avons besoin de votre aide pour stopper cette loi avant qu’elle n’entame la sécurité sur Internet et qu’elle ne censure le Web. Êtes-vous prêt à vous joindre dans cette bataille à l’EFF, Demand Progress, Fight for the Future, Free Software Foundation, Creative  Commons, CDT, the Participatory Politics Foundation, et à Public Knowledge ? Voici 12 actions que vous pouvez mettre en oeuvre dès maintenant pour nous aider à stopper le projet de loi censeur.

Vous avez d’autres suggestions de moyens de lutter contre SOPA et Protect-IP ? Dites-le nous via identi.ca, Twitter, Facebook, par e-mail à rainey@eff.org, ou ajoutez-le en commentaire sur Reddit.

Blackout

1. Appelez vos sénateurs et députés et dites-leur de s’opposer respectivement à Protect-IP et SOPA. Cliquez ici pour quelques suggestions de points d’accroche. Ensuite, parlez à vos amis de cet appel sur les réseaux sociaux.

2. Contactez le Congrès via le centre d’action de l’Electronic Frontier Fondation. Personnalisez votre  courrier afin d’expliquer qui vous êtes et pourquoi vous êtes préoccupés par ce projet de loi. Si vous êtes hors des Etats-Unis, essayez cette pétition de Fight for the future.

3. Si vous travaillez pour une entreprise qui touche aux nouvelles technologies, contactez les dirigeants de votre entreprise et expliquez leur vos inquiétudes. Demandez-leur de se joindre à vous et de s’exprimer. Ces entreprises (PDF) ont déjà pris position.

4. Bloguez à propos des projets de lois de censure. Peu importe qu’il s’agisse d’une explication candide de la raison pour laquelle vous vous opposez à cette législation, une discussion sur ses effets sur les droits de l’Homme ou un appel à des réalisateurs de films pour protester contre les listes noires, il y a de nombreux moyens de communiquer au sujet de cette inquiétante législation. Aidez-nous à faire passer le mot en écrivant des articles sur votre propre blog, le blog de votre établissement, ou sur des blogs ouverts aux contributeurs.

5. Vous êtes un artiste ? Présentez les dangers de la censure au travers de l’art et de la musique, et utilisez-le pour atteindre des gens qui autrement n’auraient jamais entendu parler de ce problème. Vous pouvez concevoir des stickers, posters, patches, créer une vidéo sur Youtube, ou tenir un débat ouvert autour de la censure.

6. Vous administrez un site web ? Mettez une bannière sur votre site pour protester contre la censure ou faites un lien vers l’EFF.

7. Coordonnez une intervention ou un débat dans l’université ou le centre communautaire local. Invitez les experts locaux en ce qui concerne le copyright et la liberté d’expression à venir débattre de ce problème.

8. Si vous êtes au lycée, parlez à vos professeurs d’éducation civique et de médias, demandez-leur de débattre, en cours, des implications de cette loi. Présentez-leur nos supports de cours libres gratuits sur le copyright.

9. Si vous êtes étudiant(e), exprimez-vous par le biais d’organisations similaires travaillant sur les libertés numériques, comme Students for Free Culture ou Electronic Frontier on Campus. S’il n’y en a pas une branche dans votre établissement, créez-en une. puis déployez une plateforme pour vous coordonner avec d’autres étudiants pour parler de ce projet de loi.

10. Si vous êtes étudiant(e), organisez une rencontre entre la rédaction du journal de votre université ou école, et expliquez-leur la loi, en leur montrant pourquoi ils devraient en parler. Travaillez avec eux pour écrire des articles sur ces sujets. Prenez pour exemple le travail des universités de Buffalo, du Massachusetts, du Minesotta. Plus d’exemples sont disponibles sur la page « Chorus of Opposition » du Centre pour la Démocratie et la Technologie.

11. Écrivez une lettre au rédacteur de votre journal local. Souvenez-vous, ils ont souvent des prérequis. Trouvez les et suivez les à la lettre.

12. Devenez membre de l’EFF. Nous menons le combat pour la défense des libertés civiles en ligne, afin que les générations futures profite d’un Internet libre de toute censure. En nous mobilisant de façon unie, nous pouvons y arriver.

Stop Censorship

-> Lire d’autres articles consacrés à SOPA sur ce blog




Pourquoi le projet de loi américain SOPA nous menace-t-il tous 1/3

Stop SOPAD’un côté l’État, de l’autre le citoyen. Champ de bataille : Internet. Enjeu principal : la liberté. Parfois le front est international et ça donne l’ACTA, parfois il est national comme l’actuel SOPA aux USA.

Le problème avec les USA , c’est que tout ce qui est national impacte l’international tant est grande leur influence sur l’Internet.

Qu’est-ce donc que ce nouvel acronyme SOPA dont on parle trop peu de notre côté de l’Atlantique ?

« Le Stop Online Piracy Act (ou SOPA), aussi connu sous le nom de H.R.3261, est un projet de loi américain qui élargit les compétences de la législation américaine et des ayants-droit pour lutter contre la contre-façon en ligne de la propriété intellectuelle..SOPA prévoit toute une série de mesure à l’encontre des sites contrevenants. Les pénalités prévues incluent notamment la suspension des revenus publicitaires et des transactions en provenance de services comme Paypal, l’interruption du référencement sur les moteurs de recherche, et le blocage de l’accès au site depuis les principaux opérateurs internet. SOPA criminalise également le streaming de contenu protégés. Les initiateurs de SOPA affirment qu’elle protège les secteurs économiques américains dépendant de la propriété intellectuelle et donc nombre d’emplois et de revenus financiers. Il paraît ainsi nécessaire de renforcer la législation existante, notamment à l’encontre des sites étrangers. Ses détracteurs la qualifient de censure numérique. »

Et Wikipédia de conclure avec la prudence qui la caractérise : « Elle malmènerait l’ensemble d’Internet et menacerait la liberté d’expression. »

Pour ce qui nous concerne, nous n’hésitons pas à lever ce conditionnel et nous nous associons par nos traductions au combat que mène dans l’urgence et avec d’autres l’Electronic Frontier Foundation (EFF) pour tenter de modifier la donne.

Comme le souligne Jérémie Zimmermann sur La Quadrature du Net : « Des mesures de censure du Net aussi vastes et disproportionnées au nom du droit d’auteur sont la conséquence directe de la guerre globale des industries du divertissement contre le partage sur Internet. Alors que la Commission européenne et les États Membres de l’Union européenne poussent à la ratification de l’ACTA pour intensifier la guerre contre le partage, il est clair que les mesures inclues dans SOPA seront bientôt discutées en Europe si rien n’est fait pour les arrêter ».

PS : Cet article fait partie d’un dossier consacré à SOPA sur le blog. On notera que le projet de loi a été ajourné mais ne nous réjouissons pas trop vite…

Quel est le problème avec SOPA ?

What’s Wrong With SOPA?

Electronic Frontier Foundation – Décembre 2011
(Traduction Framalang/Twitter : Kamui57, Skhaen, Gordon, Stephanie, Toto, Martin, Quota)

L’Acte pour Stopper la Piraterie en Ligne (Stop Online Piracy Act, SOPA, H.R. 3261) est une nouvelle loi dangereuse débattue en ce moment à la Chambre des représentants américains. Ses partisans arguent que SOPA cible les sites étrangers « véreux » encourageant les infractions sur internet, mais le langage approximatif qu’elle emploie donnerait naissance à de nouveaux outils dévastateurs pour museler des paroles légitimes partout sur le web.

Malgré l’opposition de longue date d’une coalition diversifiée comprenant des organisations de lutte pour les droits de l’homme et les libertés civiles, des leaders de l’industrie technologique, des experts en sécurité, des spécialistes en droit, des législateurs des deux partis, et beaucoup d’autres, la loi progresse rapidement à travers le Congrès, alimentée par des injections massives d’argent de la part des grandes entreprises de contenus (et donc de gestion des droits d’auteur).

Que pouvons-nous faire pour arrêter cette loi désastreuse ? C’est le moment de prendre le téléphone pour appeler votre député à Washington, et lui faire savoir que nous ne tolèrerons pas cette loi de censure d’internet. Voici quelques faits pour vous aider à comprendre pourquoi :


  • SOPA donne aux individus et entreprises un pouvoir sans précédent pour museler l’expression en ligne. Avec SOPA, des individus ou entreprises pourraient envoyer une notification aux partenaires financiers d’un site (NdT : exemple Paypal), exigeant que ces derniers cessent de traiter avec le site ciblé — même si le site en question n’avait jamais été reconnu coupable d’infraction devant un juge américain. Comme beaucoup de sites dépendent de ces revenus pour couvrir leurs frais de fonctionnement, une seule accusation d’infraction pourrait les ruiner.
  • SOPA donne au gouvernement encore plus de pouvoir pour censurer. L’avocat général peut rayer des sites du web en créant une liste noire et exiger des prestataires de services (tels que les moteurs de recherche et les registraires de nom de domaine) de bloquer les sites appartenant à cette liste.
  • SOPA utilise un langage approximatif dont il va profiter/qui sera exploité. La loi cible presque chaque/n’importe quel site hébergeant du contenu genéré par les utilisateurs ou même qui n’a qu’une fonctionnalité de recherche de contenu, en ne garantissant aucune protection pour les contenus légaux.
  • SOPA ne stopperait pas la piraterie en ligne. Les outils puissants mis à la disposition de l’avocat général gêneront beaucoup les utilisateurs lambda, mais les utilisateurs motivés et expérimentés les contourneront très facilement.

S’il vous plaît appelez aujourd’hui et faites entendre votre voix sur cette question importante. Vous trouverez le numéro de votre député(e) ici : https://eff.org/sopacall.

Il y a beaucoup d’autres raisons pour lesquelles SOPA dessine un avenir sombre à l’avenir d’Internet : cette loi va saper les efforts de défense des droits de l’Homme, interférer avec d’importantes initatives sur la sécurité d’Internet, et balkaniser Internet. Pour plus d’informations sur ces dangers, vous trouverez notre couverture continue de la loi sur https://www.eff.org.

-> Lire d’autres articles consacrés à SOPA sur ce blog




Geektionnerd : Hadopi 3

Hadopi 3, j’y vais, j’y vais pas ?

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Librologie 3 : User-generated multitude

Bonjour à tous, bonjour à toutes,

Après deux premières Librologies en forme de portrait, je vous propose aujourd’hui de commencer à aborder le domaine des pratiques culturelles Libres, qui est la motivation d’origine de ces chroniques.

C’est l’occasion de revenir sur quelques thématiques évoquées précédemment avec l’épisode rms, mais également d’introduire d’autres problèmes que nous serons amenés à retrouver au fil des semaines.

Bonne lecture, et à la semaine prochaine…

Librologie 3 : User-generated multitude

La chronique que je vous propose aujourd’hui a déjà été écrite pour moi, au moins en partie, par l’enseignant-chercheur Olivier Ertzscheid, qui a récemment été frappé, tout comme moi (et des millions d’internautes), par le diagramme suivant :

In 60 seconds - Go-Globe.com

Son commentaire, brillamment intitulé L’imaginaire numéraire du numérique, mérite d’être lu en entier. En voici quelques fragments (où l’on notera d’ailleurs une allusion à Roland Barthes) :

Le vertige des grands nombres est constitutif de la statistique du web, formidable écosystème facilitateur et multiplicateur de la moindre interaction, de la moindre navigation, de la moindre publication, de la moindre attention portée. Les chiffres de Facebook sont donc pareillement vertigineux, comme sont vertigineux ceux de Google, de Youtube et de l’ensemble de ces mégalopoles virtuelles dans lesquelles se croisent, chaque jour, deux milliards d’internautes. (…)

Ces chiffres contribuent également à nourrir un imaginaire collectif qui, incapable de littéralement se représenter « ce que représente » le traitement computationnel de 57 milliards d’interactions comme on est incapable, dans l’instant, de se représenter « ce que représente » la fortune de Liliane Bettancourt à l’échelle de notre salaire mensuel, ces chiffres, disais-je, contribuent également à nourrir un imaginaire collectif réduit à choisir l’extase statistique comme seul argumentaire de la construction de son horizon critique. (…)

2 milliards d’internautes mais 6 miliards d’êtres humains. Or avez-vous vu récemment une infographie sur le nombre de véhicules circulant chaque jour sur le périphérique parisien ou new-yorkais ? Voit-on se multiplier les infographies sur le nombre de coups de fils passés chaque jour dans le monde ? Sur le nombre de litres d’essence consommés chaque jour dans chaque pays ? Sur le nombre de feuilles de papier sortant chaque jour des imprimantes domestiques ? On sait que là aussi les chiffres seraient vertigineux. Mais ces chiffres là ne nous fascinent plus. L’écosystème qu’ils décrivent est « tangible », lourdement, tristement et désespérement tangible. (…)

Le chiffre, les chiffres de l’internet renvoient donc à des effets de sidération qui participent d’une atténuation de l’effet de réel des entités qu’ils décrivent en même temps qu’ils renforcent le pouvoir symbolique des grandes firmes du web. (…) La mythologie de l’internet – au sens des mythologies de Barthes – est construite sur ces chiffres renvoyant à une nouvelle Babel statistique.

Puisqu’Olivier Ertzscheid nous y invite, relisons les Mythologies de Barthes, et tentons par exemple de mettre en balance ce nouvel imaginaire vertigineux des très grands nombres auquel donne lieu Internet, avec la rhétorique de la computabilité et de la quantifiabilité que Roland Barthes observait chez la petite-bourgeoisie poujadiste de son temps (état d’esprit dont nous avons vu qu’il est toujours à l’œuvre aujourd’hui) : « l’infini du monde est conjuré, écrit-il dans son texte sur Poujade déjà cité, (…) toute une mathématique de l’équation rassure le petit-bourgeois, lui fait un monde à la mesure de son commerce ».

M. Ertzscheid n’a pas tort de parler d’une « extase statistique » (d’ailleurs souvent en forme d’auto-congratulation), cependant il s’en faut de peu pour que l’extase cède le pas (en particulier dans certains milieux traditionnellement légitimés) à un sentiment de terreur. Un chiffre concevable fait un argument publicitaire efficace, un chiffre inconcevable effraie. On peut nous vendre, sur des affiches de vingt mètres carrés, tel grand concert dans un stade sportif, avec « 500 musiciens, 200 artistes sur scène », mais on a renoncé depuis longtemps à nous vendre tel film comme ayant nécessité « 200 millions de dollars, 50 000 figurants » et ainsi de suite.

Lorsqu’il cesse d’être concevable pour devenir « sidérant », lorsqu’il ne réduit plus le monde à une donnée appréhensible mais évoque au contraire son ampleur, le chiffre n’est plus un nombre, mais une image : on ne s’appuie plus dessus pour argumenter, mais pour frapper les esprits. Cela n’a pas échappé à un autre enseignant-chercheur, André Gunthert, qui rebondit sur l’analyse de Ertzscheid pour critiquer un ouvrage de Patrice Flichy intitulé Le Sacre de l’amateur, et dont les premières lignes donnent (mal ?) le ton :

Les quidams ont conquis Internet. Cent millions de blogs existent dans le monde. Cent millions de vidéos sont visibles sur YouTube. En France, Wikipédia réunit un million d’articles, et dix millions de blogs ont été créés. Un quart des internautes a déjà signé une pétition en ligne. Ces quelques chiffres illustrent un phénomène essentiel : le web contemporain est devenu le royaume des amateurs.

Ce qui définit l’amateur, c’est donc sa multitude indéterminée (par opposition, imagine-t-on, à la singularité du « professionnel » — j’y reviens à l’instant). Dans un autre ouvrage plus ancien au titre similaire (Le Culte de l’Amateur, également remarqué par Gunthert), l’entrepreneur américain Andrew Keen est même nettement plus vindicatif :

Voici l’ère où la musique que nous écouterons viendra de groupes amateurs dans des garages, les films que nous verrons viendront d’un YouTube amélioré, et les actualités, faite de potins mondains survitaminés, nous seront servies comme une garniture autour de la pub. Voilà ce qui arrive lorsque l’ignorance se joint à l’égoïsme qui se joint lui-même à la loi de la foule.

Les invasions barbares, réactualisation d’un mythe. Cependant, est-ce vraiment là la seule attitude possible ? Autre entrepreneur américain, Chris Anderson a montré avec ses travaux sur la « longue traîne » et l’économie de la gratuité que l’avènement des « multitudes » sur le Web pouvait permettre l’émergence de modèles éminement rentables.

À condition, évidemment, de savoir quoi vendre. Nous parlions récemment de ce glissement linguistique qui consiste à désigner les œuvres de l’esprit sous l’appellation de « contenu », glissement critiqué aussi bien par Stallman que Doctorow : jamais sans doute n’aura-t-il été aussi révélateur que dans l’expression User-Generated Content, « contenu produit par les utilisateurs », dont l’avènement dans les années 2000 a été décrit comme signe d’une « marchandisation du Web ».

Ainsi, le regard que porte le système idéologique dominant sur les multitudes d’internautes me semble osciller entre mépris et avidité, entre terreur et intérêt financier. Nous ne nous appesantirons pas ici sur l’oxymore « user-generator », retournement par lequel le public autrefois passif, devient aujourd’hui actif ; de spectateur, devient acteur ; de consommateur, devient producteur. Beaucoup s’en sont émerveillés (à juste titre), souvent avec cette tonalité d’auto-congratulation que nous évoquions plus haut ; d’autres ont fait remarquer combien l’internaute producteur de richesse intellectuelle devient force de travail volontaire, sans toujours en être conscient ; d’autres enfin soulignent que certaines formes de cette production de richesse sont à même de remettre en cause l’intégrité de notre citoyenneté — autant de critiques pertinentes et valides.

Le point sur lequel j’aimerais m’arrêter ici plus longuement est la dichotomie amateur/professionnel et l’idéologie qui la sous-tend. (C’est là un thème sur lequel nous aurons l’occasion de revenir, et que j’ai déjà tenté d’évoquer ailleurs.) Outre son arbitraire simpliste, cette division me semble révélatrice d’un Ordre social conservateur, par lequel les auteurs se voient figés dans une marginalité clairement identifiée. Un signe de ce processus (sur lequel je reviendrai prochainement) est sans doute à lire dans l’emploi immodéré du terme « artiste » parmi les discours d’industriels ou de politiques : « défendre les artistes », « aimer les artistes »… Or, là où des termes comme « musicien », « écrivain » ou « peintre » évoquent une profession, le mot « artiste » renvoie à un statut social. Ce même « statut prestigieux, comme le relèvait Barthes dans sa mythologie de l’Écrivain en vacances, que la société bourgeoise concède libéralement à ses hommes de l’esprit (pourvu qu’ils lui soient inoffensifs) ». Soyez « artistes », soyez « professionnels »… mais surtout ne sortez pas de votre case. L’on sait ce que le mot « amateur » peut avoir de méprisant ; c’est pourtant occulter le pouvoir assujettissant du mot « professionnel ».

L’amateur d’un côté, le professionnel de l’autre : les deux termes sont d’ailleurs interdépendants, et nous verrons plus bas que leur définition même, dans le dictionnaire, relève de la tautologie. Un ordre bien délimité, bien intelligible, presque « naturel » pour ainsi dire… ce même naturel, note Barthes dans l’avant-propos déjà cité, « dont la presse, l’art, le sens commun affublent une réalité qui, pour être celle dans laquelle nous vivons, n’en est pas moins parfaitement historique ». Nous avons déjà eu l’occasion de nous arrêter sur le mythe du « créateur » ; nous pourrions l’examiner d’un point de vue historique et montrer combien des concepts tels que la singularité et l’unicité de l’auteur (pour ne rien dire de la propriété) sont bien moins universels, immémoriels et impérissables qu’on ne nous le laisse accroire. Dans de nombreuses cultures (et durant une très large part de l’histoire de l’Occident chrétien) les pratiques artistiques sont d’essence rituelle et le fait même de prétendre signer une œuvre semblerait incongru, l’auteur s’estompant devant la tradition ou les divinités ; inversement, même certains auteurs (peintres, compositeurs) qui passent aujourd’hui, à juste titre, pour des individualités exceptionnelles (ou génies, pour employer un autre mythe) de ces quatre derniers siècles, travaillaient dans des conditions que je n’hésiterais pas à qualifier de proto-industrielles. En fin de compte, les pratiques culturelles de toute société ne sont qu’un épiphénomène de son Histoire.

D’un côté l’amateur, de l’autre le professionnel. Certes. Mais comment qualifier alors un citoyen qui, sans être statutairement identifié comme « créateur », s’empare d’une parole publique à laquelle il ne devrait pas « légitimement » prétendre ? On lui fabriquera un nom hybride sur mesure : ce sera le Pro-Am. Virginie Clayssen décrit ainsi cette mise à l’index, avec une jolie période : « Les Pro-Am, cible des contempteurs de blogs, des pourfendeurs de Wikipédia, des détracteurs du Crowdsourcing, cible de ceux qui disent `et voiià, maintenant, n’importe qui peut dire n’importe quoi.´ »

J’irai, pour ma part, plus loin : la simple terminologie pro-am me semble elle-même investie de l’idéologie d’ « ordre social » que j’évoquais à l’instant, délimitée d’un côté par ceux qui produisent, de l’autre par ceux qui consomment. Dans ce cadre il n’est pas anodin de souligner dans quel contexte social se produit l’avènement de l’Internet User-Generated : dans une époque où « nos » sociétés occidentales s’engoncent dans une morosité économique et où les classes sociales sont de moins en moins perméables, la figure de l’artiste est l’une des dernières images positives laissant entrevoir la possibilité d’une ascension sociale — du moins en termes de capital symbolique : les pratiques artistiques, et les possibilités de diffusion ouvertes par Internet, incarnent pour toute une classe moyenne ou défavorisée, l’espoir de « devenir quelqu’un ». (On pourra lire à cet égard un récent article du jeune auteur québecois Mathieu Arsenault, qui applique avec pertinence quelques notions de Pierre Bourdieu au paysage culturel actuel.)

C’est pourquoi cette idéologie fonctionne aussi bien dans les deux sens : au mythe des hordes d’amateur déferlant sur les rivages de la civilisation numérique, répond en miroir celui du jeune artiste « révélé » par Internet. (Étant entendu que la cause finale de toute success story digne de ce nom n’est autre que de rentrer dans le rang : une fois « révélé », le pro-am devient pro tout court et l’Ordre est enfin confirmé.) Du « Sacre de l’amateur » comme horizon ultime.

L’anecdote qui suit me semble révélatrice de cette ambivalence. Comme nous le rapporte le blog américain Techdirt, la prestigieuse guilde des auteurs de romans policiers américains (Mystery Writers of America) se refuse encore aujourd’hui à accepter parmi ses membres des auteurs qui éditent eux-même leurs ouvrages. Cela agace particulièrement un auteur reconnu tel que J.A. Konrath, qui s’en plaint abondamment sur son blog.

Son (long) commentaire mérite d’être lu attentivement. Dans un premier temps, il décrit l’isolement et le besoin de reconnaissance d’un jeune auteur, les conditions (et tarifs) drastiques pour entrer dans cette association… puis sa déception lorsqu’il se rend compte que « La MWA, une structure qui était censée exister pour venir en aide aux auteurs, semblait n’exister que pour s’alimenter elle-même. » On est ici dans un cheminement classique, qui ne devrait étonner personne s’étant déjà trouvé en rapport avec une société dite « d’auteurs ».

Critique des intermédiaires, d’un système industriel dépassé : son texte reprend nombre d’arguments développés depuis longtemps dans le milieu Libriste. Cependant nous allons voir que son raisonnement diffère sensiblement des thématiques du mouvement Libre :

En fixant des conditions d’accès fondées sur les contrats passés avec des éditeurs traditionnels, cette association cherche à n’être composée que de professionnels.

Le fait est que la plupart des ouvrages auto-édités ne sont pas très bon, et n’auraient jamais été publiés dans le système traditionnel.

Mais les temps ont changé. Il est aujourd’hui possible pour les auteurs de contourner les gardiens du temple par choix (et non parce qu’ils n’auraient pas d’autre choix). Des auteurs auto-édités peuvent vendre beaucoup de livres et se faire un paquet d’argent. L’équivalent d’un salaire à temps plein.

Pour moi, être un professionnel n’est pas autre chose.

(…) Au demeurant, je suis entièrement d’accord pour protéger les auteurs d’éditeurs peu recommandables, et pour maintenir une qualité professionnelle élevée.

Mais ces règles font que même quelqu’un comme John Locke, qui a vendu près de 1 million de livres électroniques, ne pourrait prétendre s’inscrire à la MWA.

Combien de membres de la MWA tirent donc à 1 million d’exemplaires ?

J’ai vendu près de 300 000 livres électroniques auto-édités. Mais il semble que ça n’entre pas dans la définition de « qualité professionnelle » de la MWA.

Qualité professionnelle, apparemment, veut dire : « Vous ne valez rien tant que vous ne serez pas approuvé par l’industrie. »

(…) Dans toute structure, il existe une culture du « nous d’un côté, eux de l’autre ». C’est enraciné dans le génome humain. Disciplines sportives. Clubs d’étudiants. Sociétés secrètes. Syndicats. En tant que membre d’un lieu select, on se sent spécial. Dans le pire des cas, on se sent supérieur.

J’ai une info pour vous : aucun écrivain n’est supérieur à aucun autre. Certains peuvent avoir plus de talent. D’autres, plus de chance. Mais si l’on s’acharne, jour après jour, mois après mois, sur votre ordinateur et qu’on atteint enfin le mot magique « fin », on est un écrivain.

Vous voulez faire tourner un groupe d’écrivains ? Alors incluez tout le monde. Vous voulez faire tourner un groupe d’écrivains professionnels ? Ouvrez votre dictionnaire :

professionnel. Se dit de quelqu’un qui :
a. prend part contre rétribution à une activité souvent pratiquée par les amateurs
b. exerce une profession spécifique dans le cadre d’une carrière à long terme
c. est engagé par d’autres gens moyennant rémunération

D’après le dictionnaire, il me semble que beaucoup d’écrivains auto-édités pourraient être qualifiés de professionnels.

(…) Autrefois, il fallait être validé par les gardiens du temple (c’est-à-dire avoir le cul bordé de nouilles) pour se faire de l’argent.

Aujourd’hui on peut court-circuiter les intermédiaires et atteindre directement le lecteur, et se faire au passage une marge plus importante que jamais dans l’histoire de l’imprimerie.

Je me suis cassé le cul à essayer d’être édité. Mais je ne prétends pas que le succès m’est dû. Tout métier exige de travailler dur, et ça ne garantit rien.

Je me rends compte que j’ai eu de la chance de décrocher quelques contrats traditionnels, et encore plus de chance quand l’auto-édition est devenu aussi rentable.

Ça ne fait pas de moi quelqu’un d’estimable. Ça fait de moi quelqu’un de riche.

Si, un par un, les membres de la MWA réalisaient qu’il ne doivent leur carrière et leurs contrats qu’à un coup de chance, je doute qu’ils persisteraient à exclure l’auto-édition.

Au demeurant, je ne dis pas qu’il faudrait ouvrir les portes à tout le monde. Il devrait y avoir des standards de qualité. Une association d’écrivains devrait être composée d’écrivains, pas d’imposteurs.

Aussi, quels seraient mes critères d’admission si j’étais à la tête de la MWA ?

Je n’en aurais qu’un. Prouvez-moi que vous avez vendu 5000 livres. Et l’affaire est dans le sac.

Je dirais que tirer à 5000 témoigne d’une vraie motivation « professionnelle », sans que des dinosaures-gardiens du temple n’aient leur mot à dire. Laissons les lecteurs garder le temple : ce sont eux qui ont le dernier mot de toute façon.

(…) Chacun de nous travaille dur. Chacun de nous n’écrit qu’un mot à la fois. Certains d’entre nous réussissent, la plupart échouent.

Mais nous sommes tous écrivains. Nous pouvons tous apprendre des autres, et nous aider les uns les autres.

Et nous n’avons pas besoin d’une association pour nous dire qu’une avance sur droits de 500 dollars chez un éditeur traditionnel veut dire qu’on est un pro, mais pas un chiffre d’affaires de 500 000 dollars dans l’auto-édition.

Si les ouvrages de Konrath n’ont jamais été publiés sous licences Libres, l’on sait au moins qu’il est favorable à la diffusion gratuite sur Internet et à l’auto-publication.

Cependant cet extrait nous montre aussi combien il reste attaché à la distinction amateur/professionnel, et que son raisonnement s’appuie sur une quantification entièrement marchande (l’on pourra également se référer à ce calcul et cette discussion sur le même sujet, tous deux révélateurs) qui n’est pas sans rappeler la vision de Chris Anderson que nous évoquions plus haut.

Si l’avènement d’Internet et de « la multitude » marque les esprits et semble de nature à bouleverser l’ordre établi, il se contente finalement de perpétuer (dans le meilleur des cas, au prix d’une simple redistribution des rôles), sinon l’ordre social pré-existant, du moins ses valeurs et son idéologie. De même qu’un scenario de film hollywoodien joue avec l’idée de transgression et d’incertitude, pour finalement aboutir à une conclusion où sont restaurées les valeurs morales traditionnelles, le « vertige des grands nombres » que nous procure aujourd’hui le Web n’est autre que ce frisson délicieux d’extase, d’espoir ou de terreur qui nous saisirait devant un rebondissement inattendu : nous ne sommes, après tout, qu’au milieu du film.