12 actions pour combattre et stopper SOPA 2/3

Voir le premier article de notre dossier SOPA et son introduction : Pourquoi le projet de loi américain SOPA nous menace-t-il tous.

I'm no criminal

Combattez la censure : la trousse à outils de l’activiste anti-SOPA

Electronic Frontier Foundation – Décembre 2011
(Traduction Framalang/Twitter : Kamui57, Skhaen, Gordon, Stephanie, Toto, Martin, Quota)

Fight the Blacklist: A Toolkit for Anti-SOPA Activism

Le congrès américain débat d’une dangereuse loi qui donnerait au Département de la Justice le pouvoir sans précédent de « blacklister » des sites web sans décision de justice et donner aux détenteurs de copyrights d’Hollywood un moyen direct et rapide de couper les moyens financiers d’un site web sur l’allégation de violation de copyright, mettant en danger des sites comme Vimeo ou Etsy. Ce n’est rien de moins qu’un projet de loi créant un régime de censure aux Etats-Unis, et il avance rapidement.

Nous avons besoin de votre aide pour stopper cette loi avant qu’elle n’entame la sécurité sur Internet et qu’elle ne censure le Web. Êtes-vous prêt à vous joindre dans cette bataille à l’EFF, Demand Progress, Fight for the Future, Free Software Foundation, Creative  Commons, CDT, the Participatory Politics Foundation, et à Public Knowledge ? Voici 12 actions que vous pouvez mettre en oeuvre dès maintenant pour nous aider à stopper le projet de loi censeur.

Vous avez d’autres suggestions de moyens de lutter contre SOPA et Protect-IP ? Dites-le nous via identi.ca, Twitter, Facebook, par e-mail à rainey@eff.org, ou ajoutez-le en commentaire sur Reddit.

Blackout

1. Appelez vos sénateurs et députés et dites-leur de s’opposer respectivement à Protect-IP et SOPA. Cliquez ici pour quelques suggestions de points d’accroche. Ensuite, parlez à vos amis de cet appel sur les réseaux sociaux.

2. Contactez le Congrès via le centre d’action de l’Electronic Frontier Fondation. Personnalisez votre  courrier afin d’expliquer qui vous êtes et pourquoi vous êtes préoccupés par ce projet de loi. Si vous êtes hors des Etats-Unis, essayez cette pétition de Fight for the future.

3. Si vous travaillez pour une entreprise qui touche aux nouvelles technologies, contactez les dirigeants de votre entreprise et expliquez leur vos inquiétudes. Demandez-leur de se joindre à vous et de s’exprimer. Ces entreprises (PDF) ont déjà pris position.

4. Bloguez à propos des projets de lois de censure. Peu importe qu’il s’agisse d’une explication candide de la raison pour laquelle vous vous opposez à cette législation, une discussion sur ses effets sur les droits de l’Homme ou un appel à des réalisateurs de films pour protester contre les listes noires, il y a de nombreux moyens de communiquer au sujet de cette inquiétante législation. Aidez-nous à faire passer le mot en écrivant des articles sur votre propre blog, le blog de votre établissement, ou sur des blogs ouverts aux contributeurs.

5. Vous êtes un artiste ? Présentez les dangers de la censure au travers de l’art et de la musique, et utilisez-le pour atteindre des gens qui autrement n’auraient jamais entendu parler de ce problème. Vous pouvez concevoir des stickers, posters, patches, créer une vidéo sur Youtube, ou tenir un débat ouvert autour de la censure.

6. Vous administrez un site web ? Mettez une bannière sur votre site pour protester contre la censure ou faites un lien vers l’EFF.

7. Coordonnez une intervention ou un débat dans l’université ou le centre communautaire local. Invitez les experts locaux en ce qui concerne le copyright et la liberté d’expression à venir débattre de ce problème.

8. Si vous êtes au lycée, parlez à vos professeurs d’éducation civique et de médias, demandez-leur de débattre, en cours, des implications de cette loi. Présentez-leur nos supports de cours libres gratuits sur le copyright.

9. Si vous êtes étudiant(e), exprimez-vous par le biais d’organisations similaires travaillant sur les libertés numériques, comme Students for Free Culture ou Electronic Frontier on Campus. S’il n’y en a pas une branche dans votre établissement, créez-en une. puis déployez une plateforme pour vous coordonner avec d’autres étudiants pour parler de ce projet de loi.

10. Si vous êtes étudiant(e), organisez une rencontre entre la rédaction du journal de votre université ou école, et expliquez-leur la loi, en leur montrant pourquoi ils devraient en parler. Travaillez avec eux pour écrire des articles sur ces sujets. Prenez pour exemple le travail des universités de Buffalo, du Massachusetts, du Minesotta. Plus d’exemples sont disponibles sur la page « Chorus of Opposition » du Centre pour la Démocratie et la Technologie.

11. Écrivez une lettre au rédacteur de votre journal local. Souvenez-vous, ils ont souvent des prérequis. Trouvez les et suivez les à la lettre.

12. Devenez membre de l’EFF. Nous menons le combat pour la défense des libertés civiles en ligne, afin que les générations futures profite d’un Internet libre de toute censure. En nous mobilisant de façon unie, nous pouvons y arriver.

Stop Censorship

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Pourquoi le projet de loi américain SOPA nous menace-t-il tous 1/3

Stop SOPAD’un côté l’État, de l’autre le citoyen. Champ de bataille : Internet. Enjeu principal : la liberté. Parfois le front est international et ça donne l’ACTA, parfois il est national comme l’actuel SOPA aux USA.

Le problème avec les USA , c’est que tout ce qui est national impacte l’international tant est grande leur influence sur l’Internet.

Qu’est-ce donc que ce nouvel acronyme SOPA dont on parle trop peu de notre côté de l’Atlantique ?

« Le Stop Online Piracy Act (ou SOPA), aussi connu sous le nom de H.R.3261, est un projet de loi américain qui élargit les compétences de la législation américaine et des ayants-droit pour lutter contre la contre-façon en ligne de la propriété intellectuelle..SOPA prévoit toute une série de mesure à l’encontre des sites contrevenants. Les pénalités prévues incluent notamment la suspension des revenus publicitaires et des transactions en provenance de services comme Paypal, l’interruption du référencement sur les moteurs de recherche, et le blocage de l’accès au site depuis les principaux opérateurs internet. SOPA criminalise également le streaming de contenu protégés. Les initiateurs de SOPA affirment qu’elle protège les secteurs économiques américains dépendant de la propriété intellectuelle et donc nombre d’emplois et de revenus financiers. Il paraît ainsi nécessaire de renforcer la législation existante, notamment à l’encontre des sites étrangers. Ses détracteurs la qualifient de censure numérique. »

Et Wikipédia de conclure avec la prudence qui la caractérise : « Elle malmènerait l’ensemble d’Internet et menacerait la liberté d’expression. »

Pour ce qui nous concerne, nous n’hésitons pas à lever ce conditionnel et nous nous associons par nos traductions au combat que mène dans l’urgence et avec d’autres l’Electronic Frontier Foundation (EFF) pour tenter de modifier la donne.

Comme le souligne Jérémie Zimmermann sur La Quadrature du Net : « Des mesures de censure du Net aussi vastes et disproportionnées au nom du droit d’auteur sont la conséquence directe de la guerre globale des industries du divertissement contre le partage sur Internet. Alors que la Commission européenne et les États Membres de l’Union européenne poussent à la ratification de l’ACTA pour intensifier la guerre contre le partage, il est clair que les mesures inclues dans SOPA seront bientôt discutées en Europe si rien n’est fait pour les arrêter ».

PS : Cet article fait partie d’un dossier consacré à SOPA sur le blog. On notera que le projet de loi a été ajourné mais ne nous réjouissons pas trop vite…

Quel est le problème avec SOPA ?

What’s Wrong With SOPA?

Electronic Frontier Foundation – Décembre 2011
(Traduction Framalang/Twitter : Kamui57, Skhaen, Gordon, Stephanie, Toto, Martin, Quota)

L’Acte pour Stopper la Piraterie en Ligne (Stop Online Piracy Act, SOPA, H.R. 3261) est une nouvelle loi dangereuse débattue en ce moment à la Chambre des représentants américains. Ses partisans arguent que SOPA cible les sites étrangers « véreux » encourageant les infractions sur internet, mais le langage approximatif qu’elle emploie donnerait naissance à de nouveaux outils dévastateurs pour museler des paroles légitimes partout sur le web.

Malgré l’opposition de longue date d’une coalition diversifiée comprenant des organisations de lutte pour les droits de l’homme et les libertés civiles, des leaders de l’industrie technologique, des experts en sécurité, des spécialistes en droit, des législateurs des deux partis, et beaucoup d’autres, la loi progresse rapidement à travers le Congrès, alimentée par des injections massives d’argent de la part des grandes entreprises de contenus (et donc de gestion des droits d’auteur).

Que pouvons-nous faire pour arrêter cette loi désastreuse ? C’est le moment de prendre le téléphone pour appeler votre député à Washington, et lui faire savoir que nous ne tolèrerons pas cette loi de censure d’internet. Voici quelques faits pour vous aider à comprendre pourquoi :


  • SOPA donne aux individus et entreprises un pouvoir sans précédent pour museler l’expression en ligne. Avec SOPA, des individus ou entreprises pourraient envoyer une notification aux partenaires financiers d’un site (NdT : exemple Paypal), exigeant que ces derniers cessent de traiter avec le site ciblé — même si le site en question n’avait jamais été reconnu coupable d’infraction devant un juge américain. Comme beaucoup de sites dépendent de ces revenus pour couvrir leurs frais de fonctionnement, une seule accusation d’infraction pourrait les ruiner.
  • SOPA donne au gouvernement encore plus de pouvoir pour censurer. L’avocat général peut rayer des sites du web en créant une liste noire et exiger des prestataires de services (tels que les moteurs de recherche et les registraires de nom de domaine) de bloquer les sites appartenant à cette liste.
  • SOPA utilise un langage approximatif dont il va profiter/qui sera exploité. La loi cible presque chaque/n’importe quel site hébergeant du contenu genéré par les utilisateurs ou même qui n’a qu’une fonctionnalité de recherche de contenu, en ne garantissant aucune protection pour les contenus légaux.
  • SOPA ne stopperait pas la piraterie en ligne. Les outils puissants mis à la disposition de l’avocat général gêneront beaucoup les utilisateurs lambda, mais les utilisateurs motivés et expérimentés les contourneront très facilement.

S’il vous plaît appelez aujourd’hui et faites entendre votre voix sur cette question importante. Vous trouverez le numéro de votre député(e) ici : https://eff.org/sopacall.

Il y a beaucoup d’autres raisons pour lesquelles SOPA dessine un avenir sombre à l’avenir d’Internet : cette loi va saper les efforts de défense des droits de l’Homme, interférer avec d’importantes initatives sur la sécurité d’Internet, et balkaniser Internet. Pour plus d’informations sur ces dangers, vous trouverez notre couverture continue de la loi sur https://www.eff.org.

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Geektionnerd : Hadopi 3

Hadopi 3, j’y vais, j’y vais pas ?

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Librologie 3 : User-generated multitude

Bonjour à tous, bonjour à toutes,

Après deux premières Librologies en forme de portrait, je vous propose aujourd’hui de commencer à aborder le domaine des pratiques culturelles Libres, qui est la motivation d’origine de ces chroniques.

C’est l’occasion de revenir sur quelques thématiques évoquées précédemment avec l’épisode rms, mais également d’introduire d’autres problèmes que nous serons amenés à retrouver au fil des semaines.

Bonne lecture, et à la semaine prochaine…

Librologie 3 : User-generated multitude

La chronique que je vous propose aujourd’hui a déjà été écrite pour moi, au moins en partie, par l’enseignant-chercheur Olivier Ertzscheid, qui a récemment été frappé, tout comme moi (et des millions d’internautes), par le diagramme suivant :

In 60 seconds - Go-Globe.com

Son commentaire, brillamment intitulé L’imaginaire numéraire du numérique, mérite d’être lu en entier. En voici quelques fragments (où l’on notera d’ailleurs une allusion à Roland Barthes) :

Le vertige des grands nombres est constitutif de la statistique du web, formidable écosystème facilitateur et multiplicateur de la moindre interaction, de la moindre navigation, de la moindre publication, de la moindre attention portée. Les chiffres de Facebook sont donc pareillement vertigineux, comme sont vertigineux ceux de Google, de Youtube et de l’ensemble de ces mégalopoles virtuelles dans lesquelles se croisent, chaque jour, deux milliards d’internautes. (…)

Ces chiffres contribuent également à nourrir un imaginaire collectif qui, incapable de littéralement se représenter « ce que représente » le traitement computationnel de 57 milliards d’interactions comme on est incapable, dans l’instant, de se représenter « ce que représente » la fortune de Liliane Bettancourt à l’échelle de notre salaire mensuel, ces chiffres, disais-je, contribuent également à nourrir un imaginaire collectif réduit à choisir l’extase statistique comme seul argumentaire de la construction de son horizon critique. (…)

2 milliards d’internautes mais 6 miliards d’êtres humains. Or avez-vous vu récemment une infographie sur le nombre de véhicules circulant chaque jour sur le périphérique parisien ou new-yorkais ? Voit-on se multiplier les infographies sur le nombre de coups de fils passés chaque jour dans le monde ? Sur le nombre de litres d’essence consommés chaque jour dans chaque pays ? Sur le nombre de feuilles de papier sortant chaque jour des imprimantes domestiques ? On sait que là aussi les chiffres seraient vertigineux. Mais ces chiffres là ne nous fascinent plus. L’écosystème qu’ils décrivent est « tangible », lourdement, tristement et désespérement tangible. (…)

Le chiffre, les chiffres de l’internet renvoient donc à des effets de sidération qui participent d’une atténuation de l’effet de réel des entités qu’ils décrivent en même temps qu’ils renforcent le pouvoir symbolique des grandes firmes du web. (…) La mythologie de l’internet – au sens des mythologies de Barthes – est construite sur ces chiffres renvoyant à une nouvelle Babel statistique.

Puisqu’Olivier Ertzscheid nous y invite, relisons les Mythologies de Barthes, et tentons par exemple de mettre en balance ce nouvel imaginaire vertigineux des très grands nombres auquel donne lieu Internet, avec la rhétorique de la computabilité et de la quantifiabilité que Roland Barthes observait chez la petite-bourgeoisie poujadiste de son temps (état d’esprit dont nous avons vu qu’il est toujours à l’œuvre aujourd’hui) : « l’infini du monde est conjuré, écrit-il dans son texte sur Poujade déjà cité, (…) toute une mathématique de l’équation rassure le petit-bourgeois, lui fait un monde à la mesure de son commerce ».

M. Ertzscheid n’a pas tort de parler d’une « extase statistique » (d’ailleurs souvent en forme d’auto-congratulation), cependant il s’en faut de peu pour que l’extase cède le pas (en particulier dans certains milieux traditionnellement légitimés) à un sentiment de terreur. Un chiffre concevable fait un argument publicitaire efficace, un chiffre inconcevable effraie. On peut nous vendre, sur des affiches de vingt mètres carrés, tel grand concert dans un stade sportif, avec « 500 musiciens, 200 artistes sur scène », mais on a renoncé depuis longtemps à nous vendre tel film comme ayant nécessité « 200 millions de dollars, 50 000 figurants » et ainsi de suite.

Lorsqu’il cesse d’être concevable pour devenir « sidérant », lorsqu’il ne réduit plus le monde à une donnée appréhensible mais évoque au contraire son ampleur, le chiffre n’est plus un nombre, mais une image : on ne s’appuie plus dessus pour argumenter, mais pour frapper les esprits. Cela n’a pas échappé à un autre enseignant-chercheur, André Gunthert, qui rebondit sur l’analyse de Ertzscheid pour critiquer un ouvrage de Patrice Flichy intitulé Le Sacre de l’amateur, et dont les premières lignes donnent (mal ?) le ton :

Les quidams ont conquis Internet. Cent millions de blogs existent dans le monde. Cent millions de vidéos sont visibles sur YouTube. En France, Wikipédia réunit un million d’articles, et dix millions de blogs ont été créés. Un quart des internautes a déjà signé une pétition en ligne. Ces quelques chiffres illustrent un phénomène essentiel : le web contemporain est devenu le royaume des amateurs.

Ce qui définit l’amateur, c’est donc sa multitude indéterminée (par opposition, imagine-t-on, à la singularité du « professionnel » — j’y reviens à l’instant). Dans un autre ouvrage plus ancien au titre similaire (Le Culte de l’Amateur, également remarqué par Gunthert), l’entrepreneur américain Andrew Keen est même nettement plus vindicatif :

Voici l’ère où la musique que nous écouterons viendra de groupes amateurs dans des garages, les films que nous verrons viendront d’un YouTube amélioré, et les actualités, faite de potins mondains survitaminés, nous seront servies comme une garniture autour de la pub. Voilà ce qui arrive lorsque l’ignorance se joint à l’égoïsme qui se joint lui-même à la loi de la foule.

Les invasions barbares, réactualisation d’un mythe. Cependant, est-ce vraiment là la seule attitude possible ? Autre entrepreneur américain, Chris Anderson a montré avec ses travaux sur la « longue traîne » et l’économie de la gratuité que l’avènement des « multitudes » sur le Web pouvait permettre l’émergence de modèles éminement rentables.

À condition, évidemment, de savoir quoi vendre. Nous parlions récemment de ce glissement linguistique qui consiste à désigner les œuvres de l’esprit sous l’appellation de « contenu », glissement critiqué aussi bien par Stallman que Doctorow : jamais sans doute n’aura-t-il été aussi révélateur que dans l’expression User-Generated Content, « contenu produit par les utilisateurs », dont l’avènement dans les années 2000 a été décrit comme signe d’une « marchandisation du Web ».

Ainsi, le regard que porte le système idéologique dominant sur les multitudes d’internautes me semble osciller entre mépris et avidité, entre terreur et intérêt financier. Nous ne nous appesantirons pas ici sur l’oxymore « user-generator », retournement par lequel le public autrefois passif, devient aujourd’hui actif ; de spectateur, devient acteur ; de consommateur, devient producteur. Beaucoup s’en sont émerveillés (à juste titre), souvent avec cette tonalité d’auto-congratulation que nous évoquions plus haut ; d’autres ont fait remarquer combien l’internaute producteur de richesse intellectuelle devient force de travail volontaire, sans toujours en être conscient ; d’autres enfin soulignent que certaines formes de cette production de richesse sont à même de remettre en cause l’intégrité de notre citoyenneté — autant de critiques pertinentes et valides.

Le point sur lequel j’aimerais m’arrêter ici plus longuement est la dichotomie amateur/professionnel et l’idéologie qui la sous-tend. (C’est là un thème sur lequel nous aurons l’occasion de revenir, et que j’ai déjà tenté d’évoquer ailleurs.) Outre son arbitraire simpliste, cette division me semble révélatrice d’un Ordre social conservateur, par lequel les auteurs se voient figés dans une marginalité clairement identifiée. Un signe de ce processus (sur lequel je reviendrai prochainement) est sans doute à lire dans l’emploi immodéré du terme « artiste » parmi les discours d’industriels ou de politiques : « défendre les artistes », « aimer les artistes »… Or, là où des termes comme « musicien », « écrivain » ou « peintre » évoquent une profession, le mot « artiste » renvoie à un statut social. Ce même « statut prestigieux, comme le relèvait Barthes dans sa mythologie de l’Écrivain en vacances, que la société bourgeoise concède libéralement à ses hommes de l’esprit (pourvu qu’ils lui soient inoffensifs) ». Soyez « artistes », soyez « professionnels »… mais surtout ne sortez pas de votre case. L’on sait ce que le mot « amateur » peut avoir de méprisant ; c’est pourtant occulter le pouvoir assujettissant du mot « professionnel ».

L’amateur d’un côté, le professionnel de l’autre : les deux termes sont d’ailleurs interdépendants, et nous verrons plus bas que leur définition même, dans le dictionnaire, relève de la tautologie. Un ordre bien délimité, bien intelligible, presque « naturel » pour ainsi dire… ce même naturel, note Barthes dans l’avant-propos déjà cité, « dont la presse, l’art, le sens commun affublent une réalité qui, pour être celle dans laquelle nous vivons, n’en est pas moins parfaitement historique ». Nous avons déjà eu l’occasion de nous arrêter sur le mythe du « créateur » ; nous pourrions l’examiner d’un point de vue historique et montrer combien des concepts tels que la singularité et l’unicité de l’auteur (pour ne rien dire de la propriété) sont bien moins universels, immémoriels et impérissables qu’on ne nous le laisse accroire. Dans de nombreuses cultures (et durant une très large part de l’histoire de l’Occident chrétien) les pratiques artistiques sont d’essence rituelle et le fait même de prétendre signer une œuvre semblerait incongru, l’auteur s’estompant devant la tradition ou les divinités ; inversement, même certains auteurs (peintres, compositeurs) qui passent aujourd’hui, à juste titre, pour des individualités exceptionnelles (ou génies, pour employer un autre mythe) de ces quatre derniers siècles, travaillaient dans des conditions que je n’hésiterais pas à qualifier de proto-industrielles. En fin de compte, les pratiques culturelles de toute société ne sont qu’un épiphénomène de son Histoire.

D’un côté l’amateur, de l’autre le professionnel. Certes. Mais comment qualifier alors un citoyen qui, sans être statutairement identifié comme « créateur », s’empare d’une parole publique à laquelle il ne devrait pas « légitimement » prétendre ? On lui fabriquera un nom hybride sur mesure : ce sera le Pro-Am. Virginie Clayssen décrit ainsi cette mise à l’index, avec une jolie période : « Les Pro-Am, cible des contempteurs de blogs, des pourfendeurs de Wikipédia, des détracteurs du Crowdsourcing, cible de ceux qui disent `et voiià, maintenant, n’importe qui peut dire n’importe quoi.´ »

J’irai, pour ma part, plus loin : la simple terminologie pro-am me semble elle-même investie de l’idéologie d’ « ordre social » que j’évoquais à l’instant, délimitée d’un côté par ceux qui produisent, de l’autre par ceux qui consomment. Dans ce cadre il n’est pas anodin de souligner dans quel contexte social se produit l’avènement de l’Internet User-Generated : dans une époque où « nos » sociétés occidentales s’engoncent dans une morosité économique et où les classes sociales sont de moins en moins perméables, la figure de l’artiste est l’une des dernières images positives laissant entrevoir la possibilité d’une ascension sociale — du moins en termes de capital symbolique : les pratiques artistiques, et les possibilités de diffusion ouvertes par Internet, incarnent pour toute une classe moyenne ou défavorisée, l’espoir de « devenir quelqu’un ». (On pourra lire à cet égard un récent article du jeune auteur québecois Mathieu Arsenault, qui applique avec pertinence quelques notions de Pierre Bourdieu au paysage culturel actuel.)

C’est pourquoi cette idéologie fonctionne aussi bien dans les deux sens : au mythe des hordes d’amateur déferlant sur les rivages de la civilisation numérique, répond en miroir celui du jeune artiste « révélé » par Internet. (Étant entendu que la cause finale de toute success story digne de ce nom n’est autre que de rentrer dans le rang : une fois « révélé », le pro-am devient pro tout court et l’Ordre est enfin confirmé.) Du « Sacre de l’amateur » comme horizon ultime.

L’anecdote qui suit me semble révélatrice de cette ambivalence. Comme nous le rapporte le blog américain Techdirt, la prestigieuse guilde des auteurs de romans policiers américains (Mystery Writers of America) se refuse encore aujourd’hui à accepter parmi ses membres des auteurs qui éditent eux-même leurs ouvrages. Cela agace particulièrement un auteur reconnu tel que J.A. Konrath, qui s’en plaint abondamment sur son blog.

Son (long) commentaire mérite d’être lu attentivement. Dans un premier temps, il décrit l’isolement et le besoin de reconnaissance d’un jeune auteur, les conditions (et tarifs) drastiques pour entrer dans cette association… puis sa déception lorsqu’il se rend compte que « La MWA, une structure qui était censée exister pour venir en aide aux auteurs, semblait n’exister que pour s’alimenter elle-même. » On est ici dans un cheminement classique, qui ne devrait étonner personne s’étant déjà trouvé en rapport avec une société dite « d’auteurs ».

Critique des intermédiaires, d’un système industriel dépassé : son texte reprend nombre d’arguments développés depuis longtemps dans le milieu Libriste. Cependant nous allons voir que son raisonnement diffère sensiblement des thématiques du mouvement Libre :

En fixant des conditions d’accès fondées sur les contrats passés avec des éditeurs traditionnels, cette association cherche à n’être composée que de professionnels.

Le fait est que la plupart des ouvrages auto-édités ne sont pas très bon, et n’auraient jamais été publiés dans le système traditionnel.

Mais les temps ont changé. Il est aujourd’hui possible pour les auteurs de contourner les gardiens du temple par choix (et non parce qu’ils n’auraient pas d’autre choix). Des auteurs auto-édités peuvent vendre beaucoup de livres et se faire un paquet d’argent. L’équivalent d’un salaire à temps plein.

Pour moi, être un professionnel n’est pas autre chose.

(…) Au demeurant, je suis entièrement d’accord pour protéger les auteurs d’éditeurs peu recommandables, et pour maintenir une qualité professionnelle élevée.

Mais ces règles font que même quelqu’un comme John Locke, qui a vendu près de 1 million de livres électroniques, ne pourrait prétendre s’inscrire à la MWA.

Combien de membres de la MWA tirent donc à 1 million d’exemplaires ?

J’ai vendu près de 300 000 livres électroniques auto-édités. Mais il semble que ça n’entre pas dans la définition de « qualité professionnelle » de la MWA.

Qualité professionnelle, apparemment, veut dire : « Vous ne valez rien tant que vous ne serez pas approuvé par l’industrie. »

(…) Dans toute structure, il existe une culture du « nous d’un côté, eux de l’autre ». C’est enraciné dans le génome humain. Disciplines sportives. Clubs d’étudiants. Sociétés secrètes. Syndicats. En tant que membre d’un lieu select, on se sent spécial. Dans le pire des cas, on se sent supérieur.

J’ai une info pour vous : aucun écrivain n’est supérieur à aucun autre. Certains peuvent avoir plus de talent. D’autres, plus de chance. Mais si l’on s’acharne, jour après jour, mois après mois, sur votre ordinateur et qu’on atteint enfin le mot magique « fin », on est un écrivain.

Vous voulez faire tourner un groupe d’écrivains ? Alors incluez tout le monde. Vous voulez faire tourner un groupe d’écrivains professionnels ? Ouvrez votre dictionnaire :

professionnel. Se dit de quelqu’un qui :
a. prend part contre rétribution à une activité souvent pratiquée par les amateurs
b. exerce une profession spécifique dans le cadre d’une carrière à long terme
c. est engagé par d’autres gens moyennant rémunération

D’après le dictionnaire, il me semble que beaucoup d’écrivains auto-édités pourraient être qualifiés de professionnels.

(…) Autrefois, il fallait être validé par les gardiens du temple (c’est-à-dire avoir le cul bordé de nouilles) pour se faire de l’argent.

Aujourd’hui on peut court-circuiter les intermédiaires et atteindre directement le lecteur, et se faire au passage une marge plus importante que jamais dans l’histoire de l’imprimerie.

Je me suis cassé le cul à essayer d’être édité. Mais je ne prétends pas que le succès m’est dû. Tout métier exige de travailler dur, et ça ne garantit rien.

Je me rends compte que j’ai eu de la chance de décrocher quelques contrats traditionnels, et encore plus de chance quand l’auto-édition est devenu aussi rentable.

Ça ne fait pas de moi quelqu’un d’estimable. Ça fait de moi quelqu’un de riche.

Si, un par un, les membres de la MWA réalisaient qu’il ne doivent leur carrière et leurs contrats qu’à un coup de chance, je doute qu’ils persisteraient à exclure l’auto-édition.

Au demeurant, je ne dis pas qu’il faudrait ouvrir les portes à tout le monde. Il devrait y avoir des standards de qualité. Une association d’écrivains devrait être composée d’écrivains, pas d’imposteurs.

Aussi, quels seraient mes critères d’admission si j’étais à la tête de la MWA ?

Je n’en aurais qu’un. Prouvez-moi que vous avez vendu 5000 livres. Et l’affaire est dans le sac.

Je dirais que tirer à 5000 témoigne d’une vraie motivation « professionnelle », sans que des dinosaures-gardiens du temple n’aient leur mot à dire. Laissons les lecteurs garder le temple : ce sont eux qui ont le dernier mot de toute façon.

(…) Chacun de nous travaille dur. Chacun de nous n’écrit qu’un mot à la fois. Certains d’entre nous réussissent, la plupart échouent.

Mais nous sommes tous écrivains. Nous pouvons tous apprendre des autres, et nous aider les uns les autres.

Et nous n’avons pas besoin d’une association pour nous dire qu’une avance sur droits de 500 dollars chez un éditeur traditionnel veut dire qu’on est un pro, mais pas un chiffre d’affaires de 500 000 dollars dans l’auto-édition.

Si les ouvrages de Konrath n’ont jamais été publiés sous licences Libres, l’on sait au moins qu’il est favorable à la diffusion gratuite sur Internet et à l’auto-publication.

Cependant cet extrait nous montre aussi combien il reste attaché à la distinction amateur/professionnel, et que son raisonnement s’appuie sur une quantification entièrement marchande (l’on pourra également se référer à ce calcul et cette discussion sur le même sujet, tous deux révélateurs) qui n’est pas sans rappeler la vision de Chris Anderson que nous évoquions plus haut.

Si l’avènement d’Internet et de « la multitude » marque les esprits et semble de nature à bouleverser l’ordre établi, il se contente finalement de perpétuer (dans le meilleur des cas, au prix d’une simple redistribution des rôles), sinon l’ordre social pré-existant, du moins ses valeurs et son idéologie. De même qu’un scenario de film hollywoodien joue avec l’idée de transgression et d’incertitude, pour finalement aboutir à une conclusion où sont restaurées les valeurs morales traditionnelles, le « vertige des grands nombres » que nous procure aujourd’hui le Web n’est autre que ce frisson délicieux d’extase, d’espoir ou de terreur qui nous saisirait devant un rebondissement inattendu : nous ne sommes, après tout, qu’au milieu du film.




L’impression 3D déjà à la portée de tous avec Blender et Shapeways

Le Framablog poursuit son petit dossier sur l’impression 3D, histoire de faire comprendre à certains de quoi il s’agit et de donner à d’autres le goût d’entreprendre.

Après une courte vidéo explicative et un article de fond sur l’impact actuel et futur de la propriété intellectuelle sur l’impression 3D, voici une leçon pratique et concrète réalisée à partir du logiciel de modélisation 3D Blender.

Ce qui est intéressant ici, c’est d’abord le fait que Blender soit un logiciel libre mais c’est aussi le fait que vous n’avez pas besoin d’avoir une imprimante 3D à la maison, c’est le service en ligne Shapeways qui se charge de matérialiser l’objet à partir de votre fichier Blender et qui vous envoie le tout par la Poste.

Conclusion : on peut déjà s’y mettre !

PS : On nous signales dans les commentaires l’existence de la société Sculpteo qui propose en français un service similaire à Shapeways.

Créer des figurines imprimées 3D avec Blender et le service d’impression Shapeways

Creating 3D Printed Models with Blender and the Shapeways Printing Service

Terry Hancock – 26 mai 2011 – Free Software Magazine
(Traduction Framalang : Lolo le 13)

Un des sujets technologiques les plus intéressants de ces récentes années a été la montée en puissance de la technologie « d’impression 3D » pour le prototypage rapide de formes peines. J’avais déjà évoqué le sujet pour le Free Software Magazine, mais ce mois-ci j’ai finalement décidé de l’essayer pour mon propre compte, en créant matériellement des « figurines d’étude » (un joli synonyme de jouets) pour mon projet vidéo, Lunatics.

Dans cet article, je vais vous décrire le processus complet, depuis la création des modèles 3D jusqu’à la réception du produit fini dans ma boîte aux lettres.

La principale raison pour laquelle j’ai fait ce projet, c’est que je voulais tester les capacités du service d’impression 3D de Shapeways. Ils ont associé ce service d’impression avec une conception collaborative en ligne, ce qui crée un environnement fun et motivant pour créer et commander des figurines. C’est un service très facile à utiliser et la qualité d’impression semble être au rendez-vous. Ils proposent aussi une grande variété de matériaux d’impression comme la céramique cuite, des métaux et des plastiques.

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Figure 1 : Conçu dans Blender, exporté et téléversé chez Shapeways, livré en tant que figurine plastique imprimée – C’est cool non ?

La deuxième raison est que je désirais avoir quelque chose d’un peu plus tangible pour élaborer mon projet Lunatics. J’aime travailler avec des ordinateurs, mais parfois vous voulez avoir quelque chose de tangible à tenir et à manipuler avec vos mains quand vous essayez de figer les scènes et planifier les scripts.

Il nous fallait constuire une maquette de la colonie lunaire dans laquelle se déroule la plupart des actions du film. D’ordinaire c’est une affaire de mousse avec des plans de sols imprimés, un peu comme un jeu de plateau. Et comme pour un jeu de plateau, nous allions donc avoir besoin de figurines représentant nos personnages. Nous aurions pu opter pour des pions de Cluedo ou utiliser ceux des échecs avec un code couleur ou encore des petits chevaux, mais ça aurait été bien plus sympa si nous avions des figurines qui ressemblent réellement à nos personnages.

À la même échelle (1/100e) que ces personnages, J’ai aussi voulu créer quelques véhicules spatiaux. J’ai décidé de commencer avec le Moon Truck, un rover lunaire pressurisé conçu pour transporter fret et passagers.

Comme j’ai eu quelques difficultés à imaginer concrètement ce véhicule, il m’a semblé utile d’essayer d’externaliser cette tâche à la fois comme une maquette 3D dans un ordinateur et comme une maquette physique à tenir et à regarder.

Figurine des personnages

J’ai commencé par créer les silhouettes de mes personnages dans un brouillon Inkscape. Elles sont basées sur des figurines d’architecture du domaine public que j’ai grandement modifiées. J’en ai fait des pions comme de simples découpes sur une base ronde (à la différence de soldats de plomb ou des pions Cluedo).

Puis, j’ai sélectionné chaque personnage depuis mon dessin original sous Inkscape et je les ai copiées dans des fichiers SVG séparés (Figure 2). Je les ai sauvegardés en tant que Plain SVG pour un maximum de compatibilité.

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Figure 2 : J’ai d’abord copié le dessin des silhouettes en SVG dans des fichiers séparé et sauvegardé ceux-ci au format Plain SVG.

J’ai importé chaque SVG dans Blender en tant que curves (Figure 3). Il y avait huit personnages principaux (plus deux extras). Pour les mettre à la bonne taille (à l’échelle 1/100e, un mètre est réduit à un centimètre) j’ai décidé de prendre la convention qu’un Bender Unit (BU) serait égale à 1 cm. J’ai donc mis à l’échelle les courbes de cette façon.

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Figure 3 : J’ai importé les objet SVG dans Blender en tant que curves.

Les courbes (curves) sont des objets spéciaux et limités dans Blender. Il vaut mieux utiliser le format mesh pour l’impression 3D. Donc, après avoir importé les courbes depuis le fichier original en SVG, j’ai du les convertir en meshes (soit ALT+C au clavier, soit Changer le type d’objet… depuis le menu Objet).

Mais après la conversion, je n’avais que le squelette, c’est-à-dire les sommets et les arêtes qui les reliaient. Pour créer une face (surface) représentant la silhouette, j’ai utilisé la fonction Beauty Fill (avec le raccourci clavier Alt+F ou en sélectionnant Mesh > Faces > Beauty Fill dans le menu Option du Mode d’édition accessible via la touche Tab). En fait, ça ne crée pas une seule surface, mais plusieurs, l’espace est alors rempli automatiquement par des triangles.

J’ai ensuite passé quelques temps à simplifier la forme. La chose la plus importante est de s’assurer que les petites surfaces sont coplanaires (appartiennent à un même plan).

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Figure 4 : Extrusion de la silhouette.

Ensuite, il m’a fallu donner de l’épaisseur à la découpe. J’ai décidé de les faire d’un millimètre de large, ce qui correspond ici à un dixième de Blender Unit. Pour ce faire, j’ai sélectionné le mesh, puis j’ai basculé sur la vue le long de l’axe X (en tapant 3 sur le pavé numérique). Puis j’ai tapé sur Tab pour passer en Mode édition et j’ai sélectionné tous les sommets (tapez A pour basculer la sélection sur tous les sommets). Enfin, tapez la séquence E (extrude), Y (direction) et 0.1 : cela créera l’extrusion de la silhouette dans la dimension Y (Figure 4).

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Figure 5 : La représentation du personnage d’Anya montre comment la silhouette extrudée chevauche la base cylindrique.

J’ai répété l’opération pour mes dix figurines : création d’une base mesh et extrusion en cylindre mesh, en faisant se chevaucher les figurines extrudées et la base (voir Figure 5).

Il n’est pas nécessaire de fusionner les objets dans Blender, ce qui me sauve d’une trop grande complexité, mais qui donnera une légère surcharge de travail à Shapeways (en effet le calcul actuel est basé sur une analyse des meshes et ils ne compte pas les chevauchements, ainsi, vous serez facturés en double pour les volumes chevauchés).

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Figure 6 : Toutes mes dix figurines dans Blender.

Téléverser le modèle

J’ai fait cela plus d’une fois : au départ téléverser juste un des personnages puis essayer différentes combinaisons. Heureusement Shapeways ne fait pas attention si une forme consiste en une simple pièce ou en une douzaine, mais ils facturent un supplément par forme pour la plupart de leurs matériaux. Ça veut dire qu’il est généralement moins cher d’imprimer une petite collection d’objets en tant que forme simple (si vous le pouvez) en particulier dans le cas où, comme moi ici, elles sont de petite taille.

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Figure 7 : Exportation d’une forme Blender en format STL pour l’impression 3D chez Shapewys.

Quand vous avez fini votre conception, l’étape suivante est de les exporter dans un format que Shapeways va comprendre. Celui que j’ai trouvé le plus simple à utiliser est le format STL (Figure 7). Ce format est commandé par le menu d’export standard dans Blender (File > Export > STL).

Pour impimer la forme en utilisant Shapeways, j’ai commencé par aller sur le site pour m’identifier. J’ai ensuite cliqué sur le bouton “upload” tout en haut qui m’a renvoyé vers un formulaire d’envoi de ma forme (Figure 8). Le formulaire permet aussi de créer des formes pour votre propre utilisation ou pour le rendre public. En fait, comme avec d’autres service de fabrication communautaire, si vous mettez vos formes à la vente, vous toucherez une commission. N’étant pas tout à fait prêt pour rendre ces fomes libres, j’ai donc juste cliqué sur la boite privée.

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Figure 8 : Téléversement de la figurine Anya chez Shapeways.

Il est possible que vous ayez besoin de modifier ce qui a été téléversé si vous voulez que l’image apparaisse correctement, J’ai suivi quelques mauvais conseils et j’ai orienté l’axe Y en tant que “up” (haut) à la place de l’axe Z, ce qui a eu pour résultat la malheureuse Figure 9. Ça aurait été bien imprimé, mais ça donne un rendu de prévisualisation affreux.

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Figure 9 : Ooops ! L’axe Z devrait être en haut si vous voulez une prévisualisation correcte (là j’ai mis Y).

Une fois que vous avez bien téléversé votre forme, vous pouvez commander une impresion 3D avec comme matériau une variété de plastiques, des pierres recomposées, quelques différents types de métal et différents finis de verre (Figure 10).

De façon pratique, l’interface calcule automatiquement le volume et le prix de chaque matériau pour que vous puissiez comparer. Le coût de pour mon lot de 10 figurines va de $3.20 avec de la pierre recomposée jusqu’à $64.40 pour de l’argent (j’ai fait mes figurines en plastique “Indigo strong and flexible” vu que j’avais utilisé de l’indigo pour les travaux artistiques des Lunatics). Le coût a été facturé en fonction des volumes calculés des formes (pas le bounding box, la vraie forme), plus un coût de base par forme.

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Figure 10 : Matériaux disponibles et prix pour mon lot de figurines.

Camion lunaire

Après le téléversement de figurines et ma tentative de les commander, j’ai découvert une autre particularité du service Shapeways : Il y a un minimum de commande de 25 dollars. Donc si je ne voulais pas gâcher mon argent, il me fallait commander autre chose. J’ai donc décidé de créer une autre forme au 1/100e, cette fois un des véhicules créés pour mon projet Lunatics (Figure 11). Je ne vais pas vous faire le détail de la création, mais c’est bien entendu une conception plus complexe.

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Figure 11 : La conception du camion lunaire dans Blender (je n’ai pas imprimé le module passager sur la droite).

J’ai fait un camion en plusieurs parties qui seront assemblables après coup. C’était en partie pour permettre un assemblage modulaire avec des pièces d’autres modèles (les boogies à quatre roues sont supposés être enlevables sur le camion réel par exemple). Pour d’autres il a été plus facile de faire des formes creuses avec des paroies fines qui ne coûteraient pas tant que ça à imprimer. Le couvercle amovible sur le module l’est aussi pour pouvoir accéder à l’intérieur, bien qu’il n’y ait pas vraiment de détails à l’intérieur (mais je pourrai en ajouter dans une prochaine version).

Vous pouvez commander les pièces en utilisant un simple système de vérification, comme n’importe quel site d’e-commerce. En tant que produits fabriqués à la demande, il y a des délais de fabrication en plus des délais de livraison à inclure dans le bon de commande (Figure 12).

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Figure 12 : Shapeway s’engage sur un délai de fabrication de 10 jours dans la vue du panier d’achat.

Livraison

Bon, cet article ne serait pas complet sans les photos des produits tels que je les ai reçus ! Ils arrivent dans de jolis petits emballages, un par forme, comme vous pouvez le voir sur la Figure 13.

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Figure 13 : Mes objets, tels qu’ils me sont arrivés depuis Shapeways.

J’étais content de voir qu’il n’y a pas eu de figurines cassées (séparées de leur socle). Le camion est arrivé en pièces comme prévu (Figure 14).

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Figure 14 : Le camion a été imprimé en cinq parties (châssis principal et cabine, deux boogies à quatre roues, un conteneur et le toît de la cabine).

L’assemblage du camion a marché dès le premier essai. Les roues sont plus glissées qu’emboitées, mais elles restent en place comme il faut. La prise du sas était passablement dure à ajuster et il a fallu un peu forcer mais le plastique a résisté (Figure 15).

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Figure 15 : Assemblage des composants du camion lunaire.

Il est intéressant d’examiner la texture de près. Il est possible de voir les faces du modèle original sous Blender (les formes cylindriques sont en fait des polygones à très grand nombre de côtés, comme dans le haut du boogie à quatre roues de la Figure 16)

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Figure 16 : Zoom sur un des boogies, notez les lignes dûes à la méthode d’impression.

Et voila !

Il faut vous avouer que j’avais espéré que les roues tournent. J’ai essayé de concevoir un modèle articulé comme un challenge, mais apparemment je n’ai pas dû laisser suffisamment de jeu pour ça et elles sont donc coincées comme si elles étaient imprimées en bloc. C’est un des nombreux problèmes de conception que j’étudierai avant de tenter d’imprimer ces figurines à nouveau.

La Figure 17 montre les figurines assemblées avec un sous et un DVD pour donner une idée de l’échelle. Je suis ravi d’avoir pu tester cette technologie sur quelle j’écrirai certainement à nouveau et j’espère avoir fait quelques émules parmi les courageux lecteurs.

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Figure 17 : Mes pièces complètes avec un penny et un DVD pour l’échelle.

Mais je vais arrêter d’écrire. J’ai trop envie de jouer là avec ma voiture lunaire 🙂




Vidéo : L’impression 3D pour les… enfin ceux qui ne connaissent pas bien

Le magazine Nouvo, de la Télévision suisse romande (TSR) est peut-être la meilleure émission du PAF (Paysage Audiovisuel Francophone) pour tout ce qui concerne les « nouvelles tendances et technologies ».

Tel est du moins notre avis puisqu’avec ce reportage sur l’impression 3D, ce sera déjà notre quatrième extrait du magazine (cf Microsoft Office à l’école française : stop ou encore ? et Pourquoi je vais voter pour le Parti Pirate sans oublier Un excellent reportage de la TSR sur le devenir des dons à Wikipédia).

On voit bien que les industriels sont sur les rangs mais les bidouilleurs également 😉

Imprime-moi un mouton – Nouvo.ch – émission du 15 avril

—> La vidéo au format webm

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L’impression 3D, ce sera formidable… s’ils ne foutent pas tout en l’air !

Cory Doctorow - CC by-saL’impression 3D est en train de naître sous nos yeux.

Demain il sera ainsi possible de reproduire toute sorte d’objets chez nous aussi facilement, ou presque, qu’un texte numérique se couche sur le papier à l’aide de notre bonne vieille imprimante 2D.

Les conséquences potentielles de la démocratisation d’un tel outil donnent le vertige et suscitent espoir et enthousiasme parmi les makers du monde entier[1].

Pour rappel, l’impression 3D est une technique qui permet de produire un objet réel à partir d’un fichier CAO en le découpant en tranches puis en déposant ou solidifiant de la matière (plastique, cire, métal…) couche par couche pour, en fin de compte, obtenir la pièce terminée. C’est l’empilement de ces couches qui crée un volume.

Si le concept et la technologie vous semblent encore un peu obscurs, je vous invite à regarder cette courte vidéo. En moins de 24h deux designeuses vont concevoir sur ordinateur une jolie salière et un beau poivrier qu’elles verront ensuite se matérialiser, non sans émerveillement, dans un fab lab qui possède une imprimante 3D (en l’occurrence une MakerBot).

Pour le moment on se déplace donc chez ceux qui disposent d’une telle imprimante, imprimante encore rudimentaires dans ses possibilités. Mais un jour on pourra créer directement des objets de plus en plus complexes depuis la maison. Et on finira par trouver de moins en moins de mobilier Ikea lorsque nous seront invités chez nos voisins 😉

On ne s’en étonnera pas. Puisqu’il s’agit de créer, d’améliorer, de bidouiller, de remixer… à partir de fichiers CAO conçus à l’origine sur ordinateur, le logiciel libre et sa culture sont directement concernés et déjà en première ligne. Il suffit en effet de créer ces fichiers sur des applications libres, de leur accoler une licence libre, de les partager sur Internet, de faire l’acquisition d’une imprimante open source comme la RepRap (cf cet article pionnier du Framablog) ou la Fab@home, et tout est en place pour que se constitue petit à petit une solide communauté autour de l’impression 3D.

Tout est en place également pour qu’on aboutisse à un monde où il fera mieux vivre, Songez en effet à un monde où les quatre libertés du logiciel s’appliquent également ainsi aux objets domestiques : liberté d’usage, d’étude, d’amélioration et de diffusion. Ne sommes-nous pas alors réellement dans des conditions qui nous permettent de nous affranchir d’une certaine logique économique et financière dont nous ne ne pouvions que constater impuissants les dégâts toujours plus nombreux ?

Il n’y a alors plus de fatalité à subir frontalement le marketing, les délocalisations, la concentration aux mains de quelques uns, le développement insoutenable, etc. Ce blog est un peu idéaliste parfois mais je crois qu’on tient véritablement ici quelque chose susceptible de faire bouger les lignes.

Mais, car il y a un gros, un ÉNORME mais, on peut d’ores et déjà être certain que tout ou partie de l’industrie des produits manufacturés ne s’en laissera pas conter.

Et si nous n’y prenons garde il se produira exactement ce que nous connaissons aujourd’hui avec la musique, où les industries culturelles abordent le problème à rebours en faisant tout pour que les gouvernements durcissent la législation, étouffent la création et criminalisent les internautes.

C’est l’objectif de cette exigeante et longue traduction ci-dessous que d’exposer et anticiper les problèmes qui ne tarderont pas à arriver au fur et à mesure que se développera et se déploiera l’impression 3D. Afin que nous soyons déjà informés et prêts à agir le cas échéant pour défendre et promouvoir cette technologie révolutionnaire.

Des problèmes qui s’annoncent juridiquement complexes. Parce que si la musique ne touche qu’à la question du droit d’auteur, un objet reproduit peut non seulement avoir à faire avec ce dernier mais également concerner les brevets, le design et le droits des marques, pour ne citer qu’eux.

C’est donc aussi à un instructif voyage au travers des méandres de la propriété intellectuelle que nous vous invitons, en nous excusant déjà si d’aventure nous avions commis quelques inexactitudes de profane dans la traduction (sachant de plus que certains termes n’existent que dans la législation américaine).

Le propos de l’auteur Michael Weinberg, de l’association Public Knowledge, s’articule en deux parties claires et distinctes. La situation telle que nous la connaissons aujourd’hui, délicate mais encore relativement douce et tolérante vis-à-vis de la reproduction d’objets, et celle de demain qui verra nécessairement la situation se tendre et évoluer vers une pression croissante pour modifier, voire tordre, les lois vers plus de restriction et de contrôle. Jusqu’à menacer l’existence même de l’impression 3D en criant partout à la contrefaçon si nous n’y faisons rien.

Notre manière de faire à nous est donc de vous proposer cet article. Nous avons besoin de l’April ou la Quadrature du net pour défendre le logiciel libre ou la neutralité d’Internet. Nous aurons besoin d’autres structures demain pour défendre l’impression 3D et derrière elle toute la culture amateur, artisanale et principalement non marchande (au sens noble des termes) du Do It Yourself et du Do It With Others.

Le scénario n’est pas écrit d’avance. Nous avons un peu de temps devant nous car l’impression 3D n’est pas encore aux portes de chaque foyer. Mais quand ce temps adviendra, il faudra prendre garde à ce que ces portes s’ouvrent sans entrave et qu’elles n’aient pas de verrous dont nous n’avons pas la clé.

Tony Buser - CC by

CE SERA FORMIDABLE S’ILS NE FOUTENT PAS TOUT EN L’AIR

L’impression 3D, la propriété intellectuelle et la bataille autour de la prochaine grande technologie de rupture

It Will Be Awesome if They Don’t Screw it Up: 3D Printing, Intellectual Property, and the Fight Over the Next Great Disruptive Technology

Michael Weinberg – 10 novembre 2010 – PublicKnowledge.org
(Traduction Framalang : Daphné Kauffmann)

Ce livre blanc intitulé « Ce sera incroyable s’ils ne foutent pas tout en l’air : L’impression 3D (NdT : 3D Printing), la propriété intellectuelle et la bataille autour de la prochaine grande technologie de rupture » (NdT : disruptive technology) examine comment la propriété intellectuelle (NdT : IP law) a un impact sur la technologie émergente de l’impression 3D et comment l’oligarchie (NdT : Incumbent) qui se sent menacé par sa croissance pourrait être tenté de l’utiliser pour l’arrêter.

Vous trouverez ci-dessous le texte intégral du livre blanc, mais pour une version plus léchée en couleur et en images, consultez le pdf (en anglais).

Pour observer cette technologie en action et écouter des interviews d’experts sur la question, voir notre page dédiée à l’impression 3D.

Introduction

Une chance et un avertissement

La prochaine grande technologie de rupture est en train de se mettre en place hors de notre vue. Dans de petits ateliers et bureaux anonymes, des garages et des sous-sols, des révolutionnaires sont en train de bricoler des machines capables de transformer des données numériques en atomes physiques. Ces machines peuvent ainsi télécharger des plans pour une clef à molette à partir du Net et imprimer une vraie clef qui fonctionne. Les usagers dessinent leurs propres bijoux, équipements ou jouets à l’aide d’un programme informatique, et utilisent leurs machines pour créer de vrais bijoux, de vrais équipements ou de vrais jouets.

Ces machines, dont le nom générique est « imprimantes 3D », ne viennent pas du futur ni d’un roman de science fiction. Des versions à usage domestique, imparfaites mais bien réelles existent déjà et peuvent être acquises pour environ 1 000 $. Chaque jour elles s’améliorent et se rapprochent du grand public.

Par bien des aspects, la communauté de l’impression 3D d’aujourd’hui ressemble à la communauté de l’ordinateur personnel (PC) du début des années 90. Il s’agit d’un groupe relativement restreint, très compétent techniquement, dont tous les membres sont curieux et passionnés par le fort potentiel de cette nouvelle technologie. Ils bricolent leurs machines, partagent leurs découvertes et créations, et sont pour le moment davantage concentrés sur les possibilités offerts que sur le résultat obtenu. Ils bénéficient également de la révolution de l’ordinateur personnel : le pouvoir de communication du Net leur permet de partager, innover et communiquer bien plus vite que le Homebrew Computer Club n’aurait pu l’imaginer (NdT : un célèbre club informatique du début des années 80).

La révolution de l’ordinateur personnel met aussi en lumière certains pièges que pourraient rencontrer la croissance de l’impression 3D. Quand l’oligarchie a commencé à comprendre à quel point l’utilisation d’ordinateurs personnels pouvait être perturbatrice (en particulier les ordinateurs personnels massivement connectés), les lobbys se sont organisés à Washington D.C. pour protéger leur pouvoir. Se rassemblant sous la bannière de la lutte contre le piratage et le vol, ils ont fait passer des lois comme le Digital Millennium Copyright Act (DMCA) qui a rendu plus difficile l’utilisation nouvelle et innovante des ordinateurs. En réponse, le public a redécouvert des termes autrefois obscurs comme le « fair use » et s’est mobilisé avec vigueur pour défendre son droit à discuter, créer et innover. Malheureusement, cette large prise de conscience du public est arrivée après les lois restrictives adoptées par le Congrès.

Bien sûr, les ordinateurs n’étaient pas le premier exemple technologique de limitation contrainte et imposée. Ainsi l’arrivée de la presse écrite a entraîné de nouvelles censures par de nouvelles lois créées pour ralentir la diffusion de l’information. Et n’oublions pas que l’industrie du divertissement prétendait que l’enregistrement sur cassette lui serait fatal (l’exemple le plus mémorable est celui de l’industrie du film, qui comparait le magnétoscope à l’Étrangleur de Boston s’attaquant à une femme seule chez elle).

L’un des objectifs poursuivis par ce livre blanc est de sensibiliser la communauté de l’impression 3D, et le public dans son ensemble, avant que l’oligarchie ne tente de paralyser l’impression 3D à l’aide de lois restrictives sur la propriété intellectuelle. En analysant ces lois, en comprenant pourquoi certaines modifications pourraient avoir un impact négatif sur l’avenir de l’impression 3D, nous serons prêts, cette fois-ci, quand l’oligarchie convoquera le Congrès.

L’impression 3D

Qu’est-ce que l’impression 3D ? Pour l’essentiel, une imprimante 3D est une machine qui peut transformer un projet en objet physique. Fournissez-lui les plans d’une clef à mollette, et elle produira une clef physique et prête à l’emploi. Scannez une tasse à café à l’aide d’un scanner 3D, envoyez le document à l’imprimante, et vous pourrez ainsi produire des milliers de tasses identiques.

Alors qu’il existe déjà aujourd’hui un grand nombre de modèles d’imprimantes 3D en concurrence, la plupart travaillent de la même manière. Au lieu de prendre un bloc de matériau et de le découper pour en faire un objet, une imprimante 3D construit l’objet à partir de tout petits morceaux de ce matériau, couche après couche, tel un mille-feuille. Parmi d’autres avantages, ceci permet à l’imprimante 3D de créer des structures qu’il serait impossible au fabriquant de réaliser, s’il devait insérer un outil tranchant dans un bloc compact de matériau. Cela permet aussi à l’imprimante 3D de former une grande variété d’objets à partir de matériaux courants.

Parce qu’elles créent des objets en les construisant couche après couche, les imprimantes 3D peuvent créer des objets contenant des pièces internes et mobiles. Au lieu de devoir imprimer des pièces distinctes et de les assembler par quelqu’un, une imprimante 3D peut imprimer l’objet déjà assemblé. Bien entendu, une imprimante 3D peut aussi imprimer des pièces distinctes ou de rechange. En fait, certaines imprimantes 3D peuvent imprimer un grand nombre de leurs propres pièces de rechange, leur permettant ainsi de se répliquer ou s’auto-reproduire.

L’impression 3D commence par un projet, habituellement créé à l’aide d’un programme de conception assistée par ordinateur (CAO) exécuté sur un ordinateur personnel. Ce projet constitue un modèle virtuel en 3D du futur objet physique. Les programmes CAO sont largement utilisés de nos jours par les designers, ingénieurs et architectes afin d’imaginer des objets physiques avant qu’ils ne soient créés dans le monde réel.

Le processus de la CAO remplace la nécessité de réaliser des prototypes physiques à partir de matériel malléable comme l’argile ou le polystyrène. Un designer se sert de la CAO pour créer le modèle qui est ensuite enregistré sous la forme d’un fichier numérique. Tout comme le traitement de texte est supérieur à la machine à écrire car il permet à l’écrivain de rajouter, supprimer et éditer le texte en toute liberté, la CAO permet au designer de manipuler le fichier et donc le projet comme bon lui semble.

On peut aussi utiliser un scanner 3D pour créer un projet de CAO en scannant un objet existant. De la même manière qu’un scanner à plat crée un fichier numérique à partir d’un dessin sur une feuille de papier, un scanner 3D peut créer un fichier numérique à partir d’un objet physique.

Peu importe comment l’objet est créé, une fois que le fichier CAO existe, il peut être largement distribué comme n’importe quel autre fichier informatique. Une personne peut ainsi créer un nouvel objet, envoyer ce dessin numérique par email à un ami à travers le pays, et cet ami peut à son tour imprimer un objet identique.

L’impression 3D en action

Le mécanisme de l’impression 3D est bien beau, mais à quoi peut-il bien servir ?

Impossible d’apporter aujourd’hui une réponse complète et définitive à cette question.

Si en 1992, après vous avoir décrit l’essentiel de l’ordinateur en réseau, quelqu’un vous avait demandé à quoi cela pourrait servir, vous n’auriez probablement pas cité Facebook, Twitter ou SETI@Home. À la place, vous auriez peut-être imaginé les premiers sites comme Craigslist, les pages d’accueil des journaux imprimés, ou (si vous étiez particulièrement avant-gardiste) les blogs. Bien que ces premiers sites ne soient pas représentatifs de tout ce le Net d’aujourd’hui peut offrir, ils donnent au moins une idée de ce qu’Internet pouvait être. De la même manière, les exemples actuels d’impression 3D apparaîtront inévitablement primitifs dans cinq, dix ou vingt ans. Cependant, ils peuvent aider à comprendre de quoi il est question.

Comme exposé plus haut, l’impression 3D sert à créer des objets. Dans sa forme la plus basique, l’impression 3D pourrait ainsi vous permettre de créer des serre-livres de la forme de votre visage ou des figurines animées sur commande. L’impression 3D pourrait également servir à fabriquer des machines simples comme des bicyclettes ou des skateboards. De manière plus élaborée, si elle est combinée avec des cartes de circuits imprimés faits sur commande, l’impression 3D pourrait servir à fabriquer de petits appareils domestiques comme une télécommande faite sur mesure, modelée pour épouser parfaitement la forme de votre main, avec tous les boutons placés exactement où vous le souhaitez. L’impression 3D industriel est déjà utilisée pour fabriquer des prothèses sur mesure tout à fait fonctionnelles.

Ces possibilités semblent déjà incroyables aujourd’hui. Qui pourrait résister à offrir une réplique exacte de son visage à ses proches ? Quel enfant (ou adulte d’ailleurs) n’aimerait pas voir des jouets qu’il a dessinés sur un ordinateur atterrir directement entre leurs mains ? Qu’est-ce qui vous empêche de fabriquer un grille-pain qui rentre parfaitement dans le recoin le plus tordu de votre cuisine ? Pourquoi les amputés n’auraient pas de prothèses qui correspondent parfaitement avec le reste de leur corps ou bien ornées de rayures jaunes à néons clignotants s’ils en ont envie ?

Pourtant ces incroyables possibilités sont fragiles et vulnérables face aux nombreuses restrictions potentielles de la propriété intellectuelle. Les artistes peuvent craindre que leurs sculptures protégées par le droit d’auteur ne soient répliquées sans permission. Les fabricants de jouets peuvent craindre pour leurs droits des marques. Le nouveau grille-pain et la nouvelle prothèse d’un bras peuvent porter atteinte à d’innombrables brevets.

Personne ne suggère que ces inquiétudes soient injustifiées puisque la possibilité de copier et de répliquer est aussi la possibilité d’enfreindre les droits d’auteurs, brevets et marques déposées. Mais la possibilité de copier et répliquer est également la possibilité de créer, de développer et d’innover. Tout comme l’imprimerie, la photocopieuse et l’ordinateur personnel avant lui, certains jugeront que l’impression 3D constitue une menace alors que d’autres la verront au contraire comme un outil révolutionnaire pour étendre la créativité et la connaissance.

Il est crucial que ceux qui ont peur ne bloquent pas ceux qui sont inspirés.

Zach Hoeken - CC by-sa

Utiliser l’impression 3D

Les lois de la propriété intellectuelle sont aussi variées et complexes que l’utilisation potentielle de l’impression 3D. La façon la plus simple d’envisager l’impact que la propriété intellectuelle pourrait avoir sur l’impression 3D, c’est d’envisager plusieurs scénarios possible.

Créer des produits originaux

Intuitivement, c’est la création de produits originaux qui devrait engendrer le moins de conflits avec la propriété intellectuelle. Ceci semble logique puisque c’est ici l’utilisateur qui crée son propre objet en 3D.

Dans l’univers du droit d’auteur, cette intuition semble correcte. Quand un enfant de Seattle écrit un poème à son chien, ce travail est protégé par un droit d’auteur. Si, deux ans plus tard, un autre enfant d’Atlanta écrit un poème identique à son chien (ignorant l’existence du premier poème ), le second travail est également protégé par un droit d’auteur. Ceci est possible car le droit d’auteur tient compte de la création indépendante, même si le même travail a été indépendamment créé deux fois (ou même plus de deux fois). Si une œuvre doit être originale pour recevoir une protection par droit d’auteur, l’œuvre n’a pas besoin d’être unique au monde.

Sauf qu’avec la reproduction d’objets en 3D vient se surajouter la question des brevets. Les brevets ne permettent pas la création parallèle. Une fois une invention brevetée, chaque reproduction non autorisée de cette invention constitue une infraction, que le reproducteur ait connaissance de l’invention originale ou non.

Par le passé, cette distinction n’a pas véritablement posé de problème. Le droit d’auteur protège de nombreuses et complexes créations qui peuvent prendre la forme d’une variété d’expressions. Par conséquent, il était peu probable que deux personnes créent exactement la même œuvre sans que la seconde ne copie la première.

En revanche, plusieurs personnes travaillant en même temps sur un problème pratique ou un nouveau produit matériel peuvent créer des solutions semblables. Pour que les brevets soient efficaces ils doivent couvrir tous les appareils identiques, quel que soit leur développement. C’est pour cela que l’on a pris l’habitude d’effectuer une recherche de brevets avant d’essayer de résoudre un problème ou d’innover. Il s’agit alors d’une course à l’enregistrement où l’on doit prendre les précautions nécessaires.

Or, en se démocratisant, l’impression en 3D peut rendre la création d’objets physique presque aussi répandue que la création de travaux protégés par le droit d’auteur.

Ce changement va probablement augmenter le nombre d’innocents qui portent atteinte à des brevets dont ils ignorent l’existence. Avec la prolifération de l’impression en 3D, les individus vont chercher à résoudre des problèmes en dessinant et en créant leurs propres solutions. En produisant ces solutions, il est tout à fait possible qu’ils incorporent involontairement des éléments protégés par un brevet. Une fois encore, contrairement au droit d’auteur, cette façon de copier en tout innocence constitue malgré tout une infraction.

Partager des projets sur Internet amplifie le phénomène. Il est peu probable qu’un seul et unique objet produit à usage domestique attire l’attention d’un détenteur de brevets. Mais si l’histoire d’Internet nous a jusqu’à présent enseigné une chose, c’est que les gens aiment partager. Des individus qui ont, avec succès, dessiné des produits qui rendent service et résolvent des problèmes bien réels partageront leurs plans en ligne. D’autres gens qui ont les mêmes problèmes utiliseront (et même amélioreront) ces plans. Les plans massivement utilisés parce que massivement utiles seront certainement les plus visés par les détenteurs de brevets.

Bien que la violation de brevets par inadvertance ait le potentiel pour devenir l’un des conflits les plus représentatifs et les plus en vue de l’impression en 3D, il est néanmoins peu probable qu’il affecte beaucoup de gens. Lorsque des millions de gens créent des objets via l’impression en 3D, la probabilité pour que quelqu’un copie un objet breveté est élevée. Cependant, parce que les brevets ne couvrent pas l’ensemble des objets dans le monde, la probabilité qu’un quelconque objet reproduit porte directement atteinte à un brevet est finalement relativement faible. Il est tout à fait possible qu’une grande partie (sinon la majorité) des utilisateurs d’imprimantes 3D passent leur vie entière sans jamais enfreindre de brevet par inadvertance.

Copier des produits

Naturellement, chaque objet produit par une imprimante 3D ne sera pas le résultat de la créativité et de l’ingéniosité de celui qui l’imprime. Comme nous l’avons déjà mentionné, l’objet sera parfois téléchargé et imprimé à partir du plan original conçu par quelqu’un d’autre. Et parfois l’objet se retrouvera être une simple copie d’un produit du commerce déjà existant.

Cette copie pourra provenir d’au moins deux sources. La première source est Internet. Les plans CAO, comme tous les fichiers, sont facilement copiables et distribuables en ligne. Une fois qu’un individu crée le plan d’un objet et télécharge ce plan sur un serveur, il est alors potentiellement disponible pour tout le monde.

La seconde source est un scanner 3D. Un scanner 3D a la capacité de créer un fichier CAO en scannant un objet 3D. Un individu pourvu d’un scanner 3D sera ainsi capable de scanner un objet physique, de transférer le fichier obtenu vers une imprimante 3D, et de le reproduire comme bon lui semble.

Peu importe la source du fichier, copier des objets qui existent dans le commerce va attirer l’attention des fabricants de l’objet original. Bien que la prolifération de l’impression en 3D crée sans aucun doute des opportunités pour le fabricant (comme la réduction considérable de ses coûts de production et de diffusion ainsi que la possibilité de permettre aux clients de personnaliser les objets), cela va également fortement perturber le modèle économique existant. Selon le type d’objet copié, les fabricants chercheront sans doute à contrer ces pratiques en prenant appui sur les différentes formes de protection de la propriété intellectuelle.

Le droit d’auteur

Pour l’essentiel, le droit d’auteur s’applique à chaque œuvre de création originale qui est fixée sur un support tangible. Ceci inclut la plupart des choses qui sont écrites, dessinées ou modélisées. Cependant, le droit d’auteur protège uniquement le texte, le dessin ou le plan lui-même, pas l’idée qu’il exprime.

Les ordinateurs en réseau sont justement conçus pour reproduire des choses qui sont écrites, dessinées ou modélisées. L’avènement d’Internet a rendu le public de plus en plus conscient de l’existence et des règles du droit d’auteur. Dès que des créations sont apparues en ligne, elles ont été copiées. Dès que des articles ont été copiés, les créateurs et ceux qui monétisaient leurs œuvres ont évoqué un manque à gagner pour demander un droit d’auteur toujours plus contraignant et restricitf, en se déchargeant sur le public ou les fournisseurs d’accès, n’importe qui sauf sur eux-mêmes.

A plusieurs titres, cette tension a défini l’univers du droit et des règles de la propriété intellectuelle de ces quinze dernières années. Cependant, elle a été essentiellement limitée au monde de l’intangible et de l’immatériel. On peut débattre sur l’avenir physique du CD, DVD ou des livres mais il s’agit en fait de chansons, de films et d’histoires. Ces sont ces œuvre de l’esprit et non leurs supports qui sont au cœur du droit d’auteur.

L’émergence de l’impression 3D est susceptible de modifier la donne.

Globalement les tentatives d’étendre la protection du droit d’auteur aux objets fonctionnels ont échoué, ce droit d’auteur ayant évité de s’attacher aux objets fonctionnels puisque c’était aux brevets de les protéger (si tant est qu’ils doivent être protégés). Il est cependant inévitable que certains objets fonctionnels aient aussi des visées décoratives et artistiques protégées par le droit d’auteur.

Une nouvelle pompe à essence, un engrenage, ou une machine à plier les boîtes sont des exemples sans charme d’objets d’utilité courante. Mais il arrive parfois que des objets pratiques puissent également être décoratifs. Un vase est un récipient qui sert à contenir de l’eau ou des fleurs, mais il peut aussi être une œuvre d’art à part entière. Alors absence de droit d’auteur (un vase) et droit d’auteur (la décoration sur le vase) coexistent sur le même objet (le vase décoratif). N’importe quel élément décoratif de l’objet se situant hors du champ d’utilité de cet objet (et donc susceptible d’être « séparé » de l’objet utile) peut être protégé par le droit d’auteur.

Ceci a des implications pour les individus utilisant des imprimantes 3D reproduisant des objets physiques. Alors que, la plupart du temps, l’objet physique lui-même ne sera pas protégé par un droit d’auteur, il n’en va pas de même pour ses éléments décoratifs.

Les utilisateurs feraient mieux de garder cette distinction en tête. Prenons comme simple exemple un individu qui voudrait reproduire un taquet de porte. Cet individu aime ce taquet en particulier car il a exactement la bonne taille et le bon angle pour maintenir le porte de sa maison ouverte. Admettons que ce taquet de porte possède aussi des éléments décoratifs : il est recouvert d’un imprimé vivant et coloré, et orné de gravures complexes sur les côtés. Si l’individu venait à reproduire le taquet en entier, avec l’imprimé et les gravures, le fabricant original pourrait porter plainte avec succès pour infraction au droit d’auteur. Mais si l’individu a simplement reproduit les éléments du taquet de porte qui l’intéressaient (la taille et l’angle du taquet) sans les éléments décoratifs (l’imprimé et la gravure), il est peu probable que le fabricant original puisse réussir à porter plainte pour infraction du droit d’auteur contre le copieur.

Le brevet

Le brevet diffère du droit d’auteur sur plusieurs points clés. D’abord et avant tout, la protection par brevet n’est pas automatiquement accordée. Alors que le simple fait d’écrire une histoire induit une protection par droit d’auteur, la simple création d’une invention n’entraîne pas de protection par brevet. Un inventeur (NdT : américain) doit faire une demande de brevet pour son invention auprès du Patent and Trademark Office (PTO). L’invention doit être nouvelle, utile, et non-évidente. En déposant sa demande, l’inventeur doit nécessairement divulguer les informations qui permettraient à d’autres d’appliquer l’invention. Enfin, la protection par brevet dure beaucoup moins longtemps que la protection par droit d’auteur.

La conséquence de ces différences est qu’il y a beaucoup moins d’inventions protégées par un brevet qu’il n’y a de travaux protégés par le droit d’auteur. Alors que le droit d’auteur protège automatiquement chaque comptine, chaque poème et chaque film fait maison (même insignifiant) et ce pour des décennies après sa création, la plupart des objets fonctionnels ne sont pas protégés par les brevets.

Cette dichotomie s’exprime notamment dans la différence de traitement entre les produits numériques et les produits physiques. Lorsqu’on achète une œuvre qui est livrée sous forme digitale à notre ordinateur (qu’il s’agisse d’une chanson, d’un film ou d’un livre), vouloir effectuer des copies supplémentaires et non-autorisées de cette œuvre est une infraction car l’œuvre est protégée par le droit d’auteur, à moins qu’il ne s’agisse de fair use ou qu’elle ne fasse partie du domaine public (NdT : il est dommage ici que l’auteur oublie les licences libres). En revanche, lorsqu’on achète un objet physique qui est livré chez nous, en effectuer une copie supplémentaire ne constituera sans doute pas une violation de brevet, car l’objet n’est probablement pas couvert par un brevet. Ceci crée tout un univers d’articles qui peuvent être librement répliqués à l’aide d’une imprimante 3D.

Le brevet protège moins d’objets, et les protège pour une plus courte durée, mais lorsque qu’il les protège, c’est de façon plus complète et globale. Comme nous l’avons vu précédemment, il n’y a pas d’exception pour la création indépendante dans le monde des brevets. Une fois un objet breveté, toutes les copies portent atteinte à ce brevet, que le copieur connaisse son existence ou non. Plus simplement, si vous utilisez une imprimante 3D pour reproduire un objet breveté, vous portez atteinte au brevet. L’utilisation même du procédé breveté sans autorisation porte atteinte au brevet. En outre, contrairement au droit d’auteur, il n’y a pas de fair use pour les brevets. Il n’y a pas non plus d’exception pour usage domestique, ou de droit à la copie privée.

Pourtant, l’infraction n’est pas aussi absolue qu’elle semble l’être à première vue. Pour porter atteinte à une invention brevetée, il faut porter atteinte à l’invention en entier. Ceci découle de la nature des brevets. L’une des premières exigences de la protection par brevet est que l’invention doit être nouvelle. Souvent, une invention originale consiste en l’assemblage de plusieurs inventions déjà existantes travaillant ensemble d’une manière nouvelle. Il serait illogique que, en brevetant la nouvelle combinaison d’inventions anciennes, le détenteur du brevet obtienne aussi un brevet sur l’ancienne invention. Copier des éléments non brevetés d’une invention brevetée ne viola pas à priori ce brevet.

La marque déposée

Bien qu’elle soit habituellement regroupée avec le brevet et le droit d’auteur, la marque déposée (NdT : trademark en anglais) est un domaine légèrement différent de la propriété intellectuelle. Contrairement au brevet et au droit d’auteur, il n’y a pas de mention de la marque déposée dans la Constitution (NdT : américaine). La marque déposée s’est plutôt développée comme une manière de protéger les consommateurs, leur donnant l’assurance que le produit marqué du logo du fabriquant était en effet fabriqué et soutenu par ce fabriquant. Par conséquent, la marque déposée n’est pas conçue dans le but de protéger la propriété intellectuelle en soi. La propriété intellectuelle est ici plutôt un effet secondaire issu du besoin de protéger l’intégrité de la marque.

La marque déposée pourrait néanmoins être impliquée dans le fait de produire des copies exactes d’objets. Si l’imprimante 3D effectue une copie d’un objet et que cette copie contient une marque déposée, la copie porte alors atteinte à la marque déposée. Cependant, la particularité de l’impression 3D permettrait à un individu de répliquer un objet sans répliquer la marque. Si vous aimez un produit donné mais que vous ne tenez pas particulièrement à avoir le logo attaché dessus, le reproduire sans logo ne devrait pas porter atteinte à la loi des marques déposées.

Utilisation dans le commerce

Il existe une question supplémentaire à prendre en considération concernant l’usage domestique de l’impression 3D (pratiqué à la maison). Parce que la protection par marque déposée est avant tout là pour permettre au consommateur de s’y retrouver sur le marché, l’infraction envers la marque déposée est décrite en termes « d’utilisation dans le commerce » (afin de ne pas semer la confusion dans l’esprit du consommateur sur l’origine du produit). A la différence du brevet ou du droit d’auteur, ce n’est pas le fait de copier une marque déposée qui crée l’infraction, c’est son utilisation commerciale.

Sauf qu’avec le temps, le sens de l’expression « utilisation dans le commerce » s’est considérablement élargi. L’infraction de la marque déposée s’est même étendue au point d’inclure la « dilution » de marques célèbres, considérant finalement tout usage public d’une marque célèbre – dans le commerce ou pas – comme une violation de marque déposée.

Ceci dit, la simple existence chez soi d’une marque déposée non autorisée ne devrait pas porter atteinte à la loi des marques déposées. Dans la plupart des cas, fabriquer des produits contenant une marque déposée chez soi, pour son propre usage personnel, n’est pas une violation de la marque déposée. En effet, puisqu’on sait qu’on a fabriqué le produit, il n’y a donc pas de risque de « confusion » sur sa provenance. Mais il n’en ira pas de même si vous utilisez cette même imprimante domestique pour reproduire en série des lunettes de soleil de marque que vous destinez à la vente.

Le remplacement d’objets

Si l’impression 3D peut servir à créer des copies de produits manufacturés, elle pourra aussi servir à créer des pièces de rechange destinées à des produits usés ou cassés. Au lieu de fouiller les magasins pour trouver la pièce à remplacer, on pourra simplement l’imprimer, quitte à améliorer soi-même la pièce pour qu’elle dure plus longtemps à l’avenir.

Comme pour la création et la copie d’objets, le fabricant peut être tenté d’utiliser les lois de la propriété intellectuelle pour empêcher une telle activité. Dans le cas des objets de remplacement, le droit d’auteur et la marque déposée ne seront pas prédominants. puisqu’une pièce de remplacement est, presque toujours, par définition, un « article utile ». Ils seront donc avant tout placés sous la juridiction des brevets.

Le brevet autorise cependant la libre reproduction de pièces de remplacement de plusieurs manières. Tout d’abord, la protection par brevet requiert des exigences relativement rigoureuses. Comme mentionné plus haut, ces exigences rigoureuses impliquent que relativement peu d’objets sont protégés par brevet.

De plus, beaucoup d’objets protégés par brevet sont, en fait, des « combinaisons » de brevets. Les combinaisons de brevets associent des objets existants (certains brevetés, d’autre pas) d’une nouvelle manière. Bien que la nouvelle combinaison soit protégée par brevet, les éléments individuels (en supposant qu’ils ne soient pas protégés individuellement par brevet) peuvent être reproduits librement à volonté. Par conséquent, il paraît évident que la fabrication de pièces de remplacement non brevetées pour un appareil breveté ne viole pas le brevet de cet appareil. Tant que l’appareil original a été acheté légitimement, chacun devrait avoir le droit de fabriquer ses propres pièces de rechange.

Deux objections cependant. Tout d’abord, lorsque l’on se retrouve en face d’un appareil breveté simple constitué d’une seule pièce (ou une pièce individuellement brevetée d’un appareil plus complexe), on ne peut plus le reproduire sans se mettre en infraction. Ensuite, s’il est légal de réparer un appareil breveté, reconstruire le même appareil en entier à partir de ses pièces constitutives constitue une infraction. La limite entre réparer et reproduire n’est pas toujours évidente à définir, et avec l’augmentation de l’utilisation de l’impression 3D pour remplacer des pièces, elle peut devenir une zone floue de plus en plus préoccupante.

Une règle simple à retenir est que si l’article breveté est conçu pour n’être utilisé qu’une seule et unique fois, entreprendre de le reconstruire est considéré comme une infraction. Mais si une pièce non-brevetée d’un appareil breveté plus important s’est usée, reconstruire la pièce n’est pas une infraction, même si, avec le temps, le propriétaire d’un appareil finit par remplacer chaque pièce usée de l’appareil breveté. Ajoutons que remplacer une partie d’un appareil breveté pour lui donner une fonctionnalité nouvelle ou différente n’est pas non plus une infraction, parce que cela crée un nouvel appareil.

Utilisation du logo et du « trade dress »

Quand les imprimantes 3D seront devenues courantes, chacun les utilisera pour reproduire des logos de marques déposées et autres éléments de « trade dress » (NdT : en droit américain, l’apparence, la texture ou le design de l’objet qui peuvent être soumis à protection). Les reproductions plus ou moins exactes de logos, comme énoncé plus haut, seront probablement des infractions. Ce sera plus complexe pour ce qui concerne l’aspect général de l’objet qui peut être protégé par un brevet de design et par la subdivision consacrée au trade dress de la marque déposée.

Les brevets de design

En plus du brevet purement fonctionnel, la loi américaine prévoit une protection par brevet pour « le design nouveau, original et ornemental d’un article de fabrication ». Bien que cette extension au design ornemental puisse avoir l’air de chevaucher le droit d’auteur, les brevets de design sont pour le moment d’une portée assez limitée. D’abord parce que le design protégé doit être réellement original. Ensuite parce que les brevets de design sont strictement limités à des designs d’ornement non-fonctionnels (tout de moins c’est ce que les tribunaux ont toujours dit jusqu’à maintenant). Enfin, parce que la protection de design est fortement encadrée et précisée lors du dépôt de brevet et ne s’applique pas pour des designs similaires ou simplement dérivés de l’original.

À plusieurs égards, cette distinction entre la forme et la fonction est incompatible avec les buts traditionnels du design industriel. De manière générale, les designers industriels parviennent à l’élégance en mariant la forme et la fonction, établir une distinction nette entre la forme et la fonction va à l’encontre de cet objectif.

Les utilisateurs d’imprimantes 3D devraient donc à priori pouvoir contourner les brevets de design. Si un élément d’un objet est fonctionnel, et ainsi nécessaire pour reproduire un objet, une machine ou un produit, il ne peut tout simplement pas être protégé par un brevet de design.

Il existe cependant des cas pour lesquels la protection par brevet de design peut poser problème. Le plus connu est sans doute celui des fabricants d’automobiles qui utilisent de plus en plus de brevets de design pour protéger des plaques de carrosserie, des phares ou des rétroviseurs. Ce qui peut alors empêcher la concurrence de pénétrer le marché des pièces de rechange. On peut également l’utiliser pour protéger un design dès le moment de sa sortie et attendre ainsi le temps nécessaire pour ensuite passer le relais à la protection plus permanente du trade dress régie par le droit des marques.

Le trade dress

La protection par marque déposée peut s’étendre au-delà du logo collé sur un produit, pour inclure le design du produit lui-même. Mais pour étendre la protection au design des produits, les tribunaux ont exigé que le trade dress s’applique à une association spécifique avec un fabriquant particulier. Or valider une telle association prend du temps et doit être prouvé par des résultats d’études auprès du public. En conséquence de quoi, la plupart des designs de produits, même les designs uniques créés « pour rendre le produit plus utile ou plus attrayant », ne seront pas protégés comme trade dress.

En outre, comme pour les brevets de design, la protection par trade dress ne peut s’appliquer aux éléments fonctionnels d’un produit, sachant de plus qu’il est à la charge du fabricant de ce produit d’établir la prétendue non fonctionnalité de l’élément en question. Toute caractéristique « essentielle » d’un produit, caractéristique qui donnerait un désavantage à la concurrence si elle ne pouvait l’inclure ou qui affecterait le coût et la qualité de l’appareil, est exclue de la protection par trade dress. Comme l’a établi la Cour Suprême, la loi des marques déposées « ne protège pas le trade dress d’un design fonctionnel simplement parce qu’un investissement a été fait pour encourager le public à associer une caractéristique fonctionnelle particulière avec un seul fabricant ou vendeur ».

Donc comme pour les brevets de design, la protection par trade dress ne devrait pas empêcher à grande échelle la reproduction d’objets avec une imprimante 3D. Si un élément de l’objet est nécessaire à son fonctionnement, il ne peut pas être protégé par cette disposition. Cependant, essayer de le copier à l’identique peut aller à l’encontre du droit des marques en arguant de la protection par trade dress.

Remixer

Et que dire du remix ? La culture du remix a été l’un des résultats créatifs les plus riches de l’accès à Internet. Jusqu’ici cette culture s’est cantonnée à des œuvres écrites, aux arts visuels et à la musique. mais on voit cependant déjà poindre des exemples de remixeurs qui travaillent sur des objets physiques bien réels ou qui mélangent allègrement matériel et immatériel.

D’une certaine manière, l’impression 3D peut ouvrir la voie à un nouvel âge d’or de culture du remix.

Rappelons que les sources traditionnelles des œuvres remixées – textes, audio et vidéo – sont pour la plupart protégées (strictement) par le droit d’auteur. En conséquence, les artistes remixeurs ont dû souvent compter sur le fair use pour créer leurs œuvres (NdT : sur le fair use ou sur les licences libres). La réappropriation et le mélange d’objets fonctionnels et tangibles du quotidien présentent aujourd’hui, et en règle générale, moins de problèmes liés au droit de la propriété intellectuelle, principalement parce que nous ne sommes pas encore en face d’une pratique de masse.

Mais une fois ces problèmes déclenchés, il seront plus difficiles à résoudre. Contrairement au droit d’auteur, il n’y a pas de fair use pour les brevets. Reconstruire un objet breveté à de nouvelles fins, quelle que soit la raison, est effectivement une violation du brevet.

Tony Buser - CC by

Problèmes futurs

Jusqu’à présent nous nous sommes efforcés de passer en revue les différents champs de la propriété intellectuelle qu’impacte l’impression 3D et les risques encourus par rapport à la législation actuelle. Cette législation est contraignante mais elle autorise encore à faire certaines choses. Mais que se passera-t-il lorsque l’impression 3D frappera réellement aux portes du grand public en pouvant potentiellement placer une imprimante dans chaque foyer ? Les conséquences et les enjeux sont tels qu’il y a fort à parier que la législation sera plus dure encore si nous n’y prenons garde.

L’avènement de l’impression 3D, encore à ses balbutiements aujourd’hui, ne se fera pas du jour au lendemain. Elle va petit à petit, sur la durée, se glisser dans la vie courante. Durant ce processus, il y aura des dizaines, voire des centaines de petits accrochages avec la propriété intellectuelle. Ces accrochages témoigneront de la tension entre la propriété intellectuelle existante et ces nouvelles réalités. Une nouvelle réalité que l’on tentera d’apprivoiser parfois de force, et ce faisant, on changera lentement l’état de la loi. Alors qu’il serait facile de passer à côté de ces accrochages, ici un obscur procès, là un petit amendement, il est est crucial de se monter au contraire vigilant. Car tous ces changements, anodins individuellement, finiront par décider globalement de la liberté que nous aurons ou non à utiliser une technologie aussi novatrice et perturbatrice que l’impression 3D au maximum de ses possibilités et potentialités.

Vous trouverez ci-dessous une liste de questions et problèmes qu’il faudra très probablement analyser et affronter.

Les brevets

Extension des conditions d’infraction aux brevets

L’infraction traditionnelle aux brevets, telle la contrefaçon, n’est pas forcément bien adaptée à un monde dans lequel les individus répliquent des articles brevetés dans leurs propres foyers et pour leur propre usage. Contrairement à la violation du droit d’auteur, la simple possession ou le simple téléchargement d’un fichier ne sont à priori pas suffisants pour se rendre responsable d’une infraction. Afin d’identifier un individu en infraction, le propriétaire du brevet devra en effet trouver un moyen d’établir que l’appareil a été effectivement répliqué dans le monde physique par le prévenu. Ceci devrait être encore plus compliqué, long et coûteux que les moyens intensifs mis actuellement sur les sites d’échange de fichiers numériques pour tenter de contrer les infractions aux droits d’auteur.

Dans le sillage de la bataille que livrent en ce moment-même les industries culturelles contre le partage de fichiers à l’aide du droit d’auteur, les détenteurs de brevets utiliseront sans doute le « contributory infringement » pour défendre leurs droits (NdT : en droit américain, il s’agit d’étendre le champ des responsabilités à ceux qui facilitent la contrefaçon par fourniture indirecte de moyens). Ils pourraient , par exemple, poursuivre les fabricants d’imprimantes 3D en justice, sous prétexte que les imprimantes 3D sont nécessaires pour faire des copies. Il pourraient aussi poursuivre les sites qui hébergent des fichiers de dessins CAO en les accusant de piratage. Au lieu de devoir poursuivre des centaines, voire des milliers d’individus aux moyens limités, les propriétaires de brevets pourraient poursuivre une poignée d’entreprises ayant les moyens de payer un procès contre eux

En plus d’attaquer les entreprises qui rendent l’impression 3D possible, les propriétaires de brevets peuvent également essayer de stigmatiser les fichiers numériques de type CAO, à peu près de la même façon que les détenteurs de droits d’auteur stigmatisent le protocole BitTorrent de transfert de fichiers (voire même directement le format MP3 des fichiers musicaux). Cette façon d’assimiler automatiquement les fichiers CAO à des infractions pourrait aussi ralentir l’adoption de l’impression 3D par le grand public et reviendrait à dire que chaque personne qui télécharge un fichier CAO sur un site communautaire est, en quelque sorte, un pirate de l’impression 3D.

Preuve de la copie

Cependant, le contributory infringement ne permettra pas automatiquement aux propriétaires de brevets d’arrêter l’impression 3D, parce qu’il exige tout de même une preuve de l’infraction.

Cette obligation devrait empêcher les propriétaires de brevets d’insinuer qu’une entreprise X aide nécessairement les gens à porter atteinte à la loi à cause de la nature même du produit qu’elle propose. Pour réussir à poursuivre l’entreprise X en justice, les propriétaires de brevets devront prouver que l’utilisateur s’est effectivement servi du produit ou du service proposé par l’entreprise X pour porter atteinte à la loi et pas seulement que l’utilisateur aurait pu le faire. Le contributory infringement donne aux détenteurs de brevets un moyen de protéger leur brevet sans être obligé de poursuivre chaque individu qui a enfreint la loi, mais ils doivent tout de même trouver au moins un individu qui a effectivement porté atteinte au brevet.

Staple Article of Commerce

Un second obstacle pour les détenteurs de brevets est la doctrine dite du « staple article of commerce » (NdT : en droit américain on évoque cela lorsqu’un appareil ou un produit est devenu d’usage courant et qu’on le trouve partout dans le commerce).

Des outils comme un scanner ou un lecteur de code-barre servent sans aucun doute à effectuer un certain nombre de tâches ou de fonctions brevetées, mais ils sont aussi utilisés pour un grand nombre de tâches non-brevetées. Un ordinateur, une imprimante 3D et un peu de colle peuvent servir à fabriquer une reproduction contrefaite d’un produit breveté, mais tous ces objets ont cependant tellement d’usages légaux et communs n’engendrant pas d’infractions que les proscrire serait nuisible à la société.

Cette doctrine reconnaît que les inventions sont faites à partir d’éléments, et que ces éléments peuvent servir à faire plus de choses que l’invention seule. Par exemple, ce n’est pas parce que vous avez breveté un nouveau mécanisme en acier que vous pouvez poursuivre tous les fabricants d’acier pour contributory patent infringement. L’acier a de nombreuses utilisations légales, mais aussi illégales, et le simple fait qu’il pourrait être utilisé à de mauvaises fins ne prouve pas qu’il l’a été.

Tant qu’un article peut être utilisé couramment sans infraction, le fait qu’il puisse éventuellement être utilisé pour violation de brevet n’est pas suffisant pour engendrer la responsabilité de son créateur. Vendre du matériel à usage courant pouvant accomplir un processus ne représente pas une atteinte au brevet de ce processus. Quand la Cour Suprême a examiné le sort du vieux format vidéo VCR, elle a justement emprunté ce concept à la loi des brevets.

La connaissance

Enfin, pour poursuivre en justice une entreprise qui fournit des outils susceptibles de servir à enfreindre un brevet ou à fabriquer des contrefaçons, le propriétaire du brevet doit montrer que l’entreprise savait ou avait l’intention de permettre à quelqu’un d’enfreindre ce brevet. Le détenteur du brevet doit montrer que la partie qui aurait incité à l’infraction avait effectivement connaissance du brevet en question, ou était délibérément indifférent à l’existence d’un tel brevet.

Comme pour les autres obstacles, ceci devrait pouvoir protéger les entreprises qui fournissent simplement les outils nécessaires à l’impression 3D. Le fabricant de l’imprimante, le concepteur du logiciel ou les entreprises qui fournissent les matériaux que l’imprimante utilise pour fabriquer les objets devraient être en mesure d’affirmer qu’ils offrent leurs services à un marché vaste et légitime et que toute infraction est sans rapport avec leurs activités.

Réparation et reproduction

Pour le moment, le public est encore libre de répliquer des éléments non brevetés faisant partie d’un objet breveté, pour en réparer et remplacer des éléments usés ou défectueux, sans nécessairement devoir obtenir la pièce de rechange auprès de fabricant original.

Aujourd’hui, le public est libre de répliquer des éléments non brevetés faisant partie de combinaisons brevetés. Chacun peut réparer et remplacer des éléments usés sans se protéger par une licence supplémentaire ou obtenir les pièces de rechange nécessaires auprès du fabricant original.

Mais s’il devient plus facile de créer ces pièces de rechanges non brevetés, les fabricants commenceront alors sans doute à considérer cette pratique comme du piratage ou du vol. Ils chercheront probablement à criminaliser la création de pièces de rechange sans licence et à abaisser le seuil de ce qui constitue une contrefaçon. Ceci devrait malheureusement se traduire par une extension de la protection par brevets (on pense en particulier à ce qui touche au design) ainsi qu’une volonté croissante de commencer à protéger aussi les éléments non brevetés d’une combinaison brevetée.

De plus, la frontière relativement ambiguë entre réparer et reconstruire sera sans doute examinée et probablement revue et corrigée dans le sens d’une plus grande restriction. Les utilisateurs vont résister pour conserver le droit de réparer les pièces usées, pendant que les entreprises lutteront pour constituer un monopole sur les pièces de rechange.

Le droit d’auteur

L’impression 3D permettant de recréer des objets physiques, il y a fort à parier que les fabricants et designers de ces objets réclament de plus en plus de protection « par droit d’auteur » pour leur objets fonctionnels. Au lieu de séparer les éléments de design des éléments fonctionnels, ils s’efforceront de les confondre pour étendre la protection par droit d’auteur à tous les articles fonctionnels qui contiennent des éléments de design. C’est déjà le cas dans le milieu de la mode ou pour des appareils comme les aspirateurs Dyson ou l’iPod que l’on essaye d’ériger en objet d’art. Récemment le Congrès a rajouté du droit d’auteur pour protéger le dessin des coques de bateaux.

Ce droit d’auteur sur des objets physiques ferait alors un peu office de brevet, à ceci près que l’on n’exige plus d’innovation ou de temps limité d’application. Des objets utiles pourraient être ainsi protégés très longtemps, des dizaines d’années après leur création. L’innovation mécanique et fonctionnelle pourrait être gelée par crainte d’engendrer d’importants procès pour violation du droit d’auteur. Il pourrait alors devenir de plus en plus difficile de récréer et améliorer des objets aussi simple qu’un serre-livres ou un tasse à café.

La marque deposée

Ces dernières années, on a pu voir la Cour Suprême protéger l’intérêt du public en tentant de garantir la concurrence face aux détenteurs de marques qui voulaient augmenter la portée de leur protection. Mais rien n’est jamais acquis et la pression va se poursuivre car la marque déposée est une protection très attrayante avec sa durée de vie potentiellement infinie.

En ce qui concerne le trade dress, les fabricants vont continuer à exiger la protection automatique de la marque ainsi que son caractère singulier intrinsèque (NdT : inherent distinctiveness) sans attendre qu’un design particulier obtienne ce caractère distinctif aux yeux du public. Ils vont aussi certainement chercher à minimiser voire à éliminer la notion « d’utilisation dans le commerce » au sein du droit des marques. Cette « utilisation dans le commerce » n’a pas encore été tellement évoquée devant les tribunaux, car dans les faits les actions en justice concernaient avant tout des utilisations commerciales illicites de la marque. Mais au fur et à mesure qu’il deviendra plus facile pour chacun de créer des produits chez soi à usage personnel, on peut s’attendre à ce que tout ceci soit remis en question.

La question de l’anti-dilution des marques peut aussi participer à étendre leur portée. Contrairement à la marque déposée traditionnelle, une utilisation qui dilue une « marque célèbre » n’a pas besoin d’être dans le commerce, de désorienter le consommateur, ou de causer des dommages économiques directs au détenteur de la marque pour être illégale. On peut ainsi imaginer des décisions de justice augmenter graduellement la définition même d’une marque célèbref dans le but de recourir à la dilution.

Extension de la responsabilité

La bataille du droit d’auteur sur Internet pour la musique ou la vidéo nous a enseigné qu’il peut être complexe, coûteux et très long d’engager des poursuites individuelles contre des personnes en infraction. Pour palier à cela, les détenteurs des droits ont cherché à étendre la responsabilité de la faute à ceux qui facilitent l’infraction. Tous les ordinateurs peuvent faire de la copie, mais si les fabricants d’ordinateur ou les fournisseurs d’accès au réseau étaient tenus pour responsable de chaque film téléchargé illégalement, c’en serait vite fini de l’Internet et du développement des nouvelles technologies que nous connaissons encore aujourd’hui.

On risque fort de constater la même dérive avec l’impression 3D qui permet donc de reproduire des objets potentiellement protégés par des brevets, droits d’auteur ou marques déposées. Si on permet aux détenteurs de droits de rejeter la responsabilité des copies faites par des individus sur les fabricants qui rendent l’impression 3D possible, ceux-ci ne pourront plus continuer à se développer. Si, comme on le constate pour la musique actuellement, les détenteurs de droits arrivent à forcer les entreprises d’imprimantes 3D à céder un pourcentage de leurs ventes (comme « compensation »), ou à incorporer des mesures techniques de protection pour contrôler, restreindre ou interdire la copie, ce secteur économique plein de promesses calera avant d’atteindre le grand public (on pourrait ainsi par exemple empêcher une imprimante 3D de lire dans plans CAO tatoués numériquement).

Conclusion

La faculté de reproduire des objets physiques chez soi ou dans de petits ateliers est potentiellement tout aussi révolutionnaire que la faculté de rassembler des informations, quelles que soient leurs sources, sur un écran d’ordinateur.

Aujourd’hui, les premiers contours de cette révolution commencent tout juste à se dessiner. Ce sont les scanners 3D et la CAO accessibles à tous pour créer des plans. Ce sont tous ces ordinateurs interconnectés pour partager facilement ces plans. Et ce sont enfin toutes ces pionnières imprimantes 3D permettant de transposer ces plans dans le monde réel. Tous ces outils, accessibles, bon marché et faciles à utiliser, vont changer notre manière d’envisager les objets physiques de façon aussi radicale que les ordinateurs ont changé notre manière d’envisager les idées.

La frontière entre un objet physique et la description digitale de cet objet physique va commencer à s’estomper. Avec une imprimante 3D, posséder les bits est presque synonyme de posséder les atomes. Les systèmes de contrôle des informations traditionnellement appliqués aux ressources numériques pourraient commencer à s’infiltrer dans le monde physique.

Les contours de base de cette révolution n’ont donc pas encore été définis. Et d’une certaine manière, c’est une bénédiction. Lâcher ces outils dans le monde va engendrer des conséquences inattendues et des changements imprévisibles. Mais cette inconnue joue aussi en notre défaveur. Voyant peu à peu l’impression 3D sortir de l’ombre pour devenir une menace, les entreprises impactées vont inévitablement essayer de la limiter en augmentant les protections de la propriété intellectuelle. Ce faisant, elles vont fort logiquement attirer l’attention sur les torts causés à leurs modèles économiques, tels que la perte de ventes, la baisse de profits et la réduction d’emplois (que l’impression 3D en soit ou non directement responsable).

On n’en voit que les prémisses aujourd’hui mais il est évident que des milliers de nouvelles entreprises vont fleurir dans le sillage de l’impression 3D. Sauf qu’elles n’existeront peut-être plus quand les grandes entreprises se réveilleront et commenceront de à faire appel à la propriété intellectuelle pour toujours plus se protéger. Il sera alors demandé aux décisionnaires et aux juges d’évaluer le poids des pertes concrètes par rapport aux futurs bénéfices difficile à quantifier ou imaginer.

C’est pourquoi il est crucial pour la communauté actuelle de l’impression 3D, tapie dans des garages, des hackerspaces ou des fab labs, garde d’ores et déjà un œil vigilant sur ces questions cruciales de réglementation avant qu’ils ne prennent trop d’ampleur.

Le temps viendra, et il viendra vite; où les industries en place qui seront touchées exigeront de nouvelles lois restrictives pour l’impression 3D. Si la communauté attend ce jour pour s’organiser, il sera trop tard.

La communauté doit plutôt s’efforcer d’éduquer les décisionnaires et le public sur le formidable potentiel de l’impression 3D. Ainsi, lorsque les industries en place décriront avec dédain l’impression 3D comme un passe-temps de pirates ou de hors-la-loi, leurs déclarations tomberont dans des oreilles trop avisées pour détruire cette toute nouvelle nouveauté.

Windell Oskay - CC by

Notes

[1] Crédit photos : Cory Doctorow, Tony Buser, Zach Hoeken, Tony Buser et Windell Oskay (Creative Commons By ou By-Sa)




Geektionnerd : Des souris et des Gnomes 3.0

Quand GNOME 3 est , GNU/Linux danse (de joie) !

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

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Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)