Rien de ce qui constitue notre vie numérique n’est totalement dépourvu de failles, pas une semaine ne se passe sans qu’un piratage massif ne soit révélé. C’est par millions que nos données d’internautes sont exposées, y compris et peut-être surtout quand nous les confions plus ou moins aveuglément aux grandes entreprises du numérique.
Dans la course jamais gagnée à la sécurité, les mots de passe sont notoirement fragiles, de sorte que les entreprises passent désormais au stade supérieur et cherchent à utiliser nos données biométriques.
Cependant, comme le souligne Glyn Moody dans l’article ci-dessous, si l’on peut changer un mot de passe piraté, il est impossible de changer des données biométriques compromises…
Une importante faille de sécurité soulève une question clef : que se passe-t-il lorsque vos données biométriques ont fuité d’un système ?
par Glyn Moody
Ce n’est pas un secret, la sécurité des mots de passe est souvent déplorable. Les bons mots de passe, ceux qui sont longs et qui mélangent minuscules, majuscules, chiffres et caractères spéciaux, sont difficiles à se mémoriser, à moins d’utiliser un gestionnaire de mots de passe, ce que peu de gens semblent faire. Résultat, les gens ont tendance à choisir des mots de passe faciles à se rappeler, tels que des noms ou des dates de naissance ou encore des absurdités comme « motdepasse » et « 1234 ». Les tentatives pour détourner les personnes de tels mots de passe restent vaines, et en conséquence de nombreuses entreprises et organisations essayent de régler le problème en se débarrassant totalement des mots de passe. L’alternative, utiliser les techniques biométriques telles que la lecture des empreintes digitales, de l’iris et la reconnaissance faciale, est arrivée à maturité et est de plus en plus utilisée. Une des principales sociétés de développement de contrôles d’accès par biométrie s’appelle Suprema :
La gamme étendue de produits Suprema comprend des systèmes de contrôle d’accès biométriques, des solutions de temps et de présence, des lecteurs d’empreintes digitales, des solutions d’authentification mobiles et des modules d’empreintes digitales embarqués. Suprema a consolidé son statut de marque mondiale de premier ordre dans le secteur de la sécurité physique et possède un réseau mondial de ventes dans plus de 130 pays. Suprema se classe en première place concernant les parts de marché dans la région EMEA1 et a été nommée parmi les 50 principaux fabricants mondiaux dans le secteur de la sécurité.
D’après le site web de la société, 1,5 million de leurs systèmes sont installés dans le monde, utilisés par plus d’un milliard de personnes. Au vu de la position de Suprema dans ce secteur, une information concernant une fuite de données à grande échelle dans leur principal produit, BioStar 2, est particulièrement préoccupante : « Lors d’un test la semaine dernière, les chercheurs ont trouvé que la base de données de Biostar 2 n’était pas protégée et en grande partie non-chiffrée. Ils ont été capables d’effectuer des recherches dans la base de données en manipulant le critère de recherche URL dans Elasticsearch pour accéder aux données. » Un message sur la page d’accueil de Suprema indique : « cet incident concerne un nombre limité d’utilisateurs de l’API BioStar 2 Cloud. La grande majorité des clients de Suprema n’utilise pas l’API BioStar 2 Cloud comme solution de contrôle d’accès et de gestion de temps et de présence. » C’est peut-être vrai, mais les déclarations des chercheurs à propos de ce qui a été découvert sont inquiétantes à lire :
Notre équipe a été capable d’accéder à plus de 27,8 millions d’enregistrements pour un total de 23Go de données, qui incluent les informations suivantes :
Accès aux panneaux, tableau de bord, contrôles back office et permissions des administrateurs clients
Données des empreintes digitales
Informations de reconnaissance faciale et images d’utilisateurs
Noms, identifiants et mots de passe d’utilisateurs non chiffrés
Enregistrements des entrées et des sorties de zones sécurisées
Fiches d’employés, incluant les dates d’entrée dans l’entreprise
Niveau de sécurité et habilitations d’employés
Détails personnels, dont l’adresse du domicile et de messagerie privée d’employés
Structures et hiérarchies des fonctions dans l’entreprise
Terminaux mobiles et informations sur les systèmes d’exploitation
Le fait que des mots de passe, y compris ceux de comptes disposant de droits administrateurs, aient été enregistrés par une entreprise de sécurité sans être chiffrés est incroyable. Comme le signalent les chercheurs, tous ceux qui ont trouvé cette base de données pouvaient utiliser ces mots de passe administrateurs pour prendre le contrôle de comptes BioStar 2 de haut niveau avec toutes les permissions et habilitations complètes des utilisateurs, et modifier les paramètres de sécurité d’un réseau entier. Ils pouvaient créer de nouveaux comptes, les compléter avec des empreintes digitales et scans faciaux ainsi que se donner eux-mêmes accès à des zones sécurisées à l’intérieur de bâtiments. De même, ils pouvaient changer les empreintes digitales de comptes possédant des habilitations de sécurité afin d’octroyer à n’importe qui la possibilité d’entrer dans ces zones.
Comme le compte administrateur contrôle les enregistrements d’activité, des criminels pouvaient supprimer ou modifier les données afin de masquer leurs opérations. En d’autres termes, accéder à de tels mots de passe permet à n’importe qui d’entrer dans n’importe quelle partie d’un bâtiment considéré comme sécurisé et ce de manière invisible, sans laisser aucune trace de leur présence. Cela permettrait le vol d’objets précieux conservés dans les locaux. Plus sérieusement, peut-être, cela permettrait un accès physique aux services informatiques, de manière à faciliter l’accès futur aux réseaux et données sensibles.
Le problème ne s’arrête pas là. La liste des informations hautement personnelles, telles que les fiches d’emploi, adresses de messagerie et de domicile visibles dans la base de données, pourrait faire courir un véritable risque de vol d’identité et d’hameçonnage. Ça permet aussi l’identification du personnel clé des entreprises utilisant le système BioStar 2. Cela pourrait les rendre plus vulnérables aux menaces de chantage par des criminels. Mais peut-être que le problème le plus sérieux est celui-ci, relevé par les chercheurs :
L’utilisation de sécurité biométrique comme les empreintes digitales est récente. Ainsi, la véritable portée du risque de vol d’empreintes digitales est encore inconnue.
Toutefois, il est important de se rappeler qu’une fois volées, vos empreintes digitales ne peuvent pas être changées, contrairement aux mots de passe.
Cela rend le vol des données d’empreintes digitales encore plus préoccupant. Elles ont remplacé les mots de passe alphanumériques dans de nombreux objets de consommation, tels que les téléphones. La plupart de leurs lecteurs d’empreintes digitales ne sont pas chiffrés, ainsi lorsqu’un hacker développera une technologie pour reproduire vos empreintes, il obtiendra l’accès à toutes vos informations personnelles telles que les messages, photos et moyens de paiement stockés sur votre appareil.
D’après les chercheurs qui ont découvert cette base de données vulnérable, au lieu de stocker un hash de l’empreinte digitale – une version mathématiquement brouillée qui ne peut pas faire l’objet de rétro-ingénierie – Suprema a enregistré la version numérique des véritables empreintes des personnes, laquelle peut donc être copiée et directement utilisée pour dans un but malveillant. Il existe déjà de nombreuses méthodes pour créer de fausses empreintes d’assez bonne qualité pour berner les systèmes biométriques. Si les données de l’empreinte complète sont disponibles, de telles contrefaçons ont de bonnes chances de mettre en échec même la meilleure sécurité biométrique.
La possibilité d’une fuite d’autant d’empreintes digitales dans le cas du système BioStar 2 rend la réponse à la question « que se passe-t-il lorsque quelqu’un a une copie de vos données biométriques ? » encore plus cruciale. Comme des personnes le signalent depuis des années, vous ne pouvez pas changer vos caractéristiques biométriques, à moins d’une chirurgie. Ou, comme le dit Suprema sur son site web : « La biométrie est ce qui nous définit. »
Étant donné ce point essentiel, immuable, il est peut-être temps de demander que la biométrie ne soit utilisée qu’en cas d’absolue nécessité uniquement, et non de manière systématique. Et si elle est utilisée, elle doit obligatoirement être protégée – par la loi – avec le plus haut niveau de sécurité disponible. En attendant, les mots de passe, et pas la biométrie, devraient être utilisés dans la plupart des situations nécessitant un contrôle d’accès préalable. Au moins, ils peuvent être changés en cas de compromission de la base de données où ils sont conservés. Et au lieu de pousser les gens à choisir et se rappeler de meilleurs mots de passe, ce qui est un vœu pieux, nous devrions plutôt les aider à installer et utiliser un gestionnaire de mots de passe.
À propos de Glyn Moody Glyn Moody est un journaliste indépendant qui écrit et parle de la protection de la vie privée, de la surveillance, des droits numériques, de l’open source, des droits d’auteurs, des brevets et des questions de politique générale impliquant les technologies du numérique. Il a commencé à traiter l’usage commercial d’Internet en 1994 et écrivit le premier article grand public sur Linux, qui parait dans Wired en août 1997. Son livre, Rebel Code, est la première et seule histoire détaillée de l’avènement de l’open source, tandis que son travail ultérieur, The Digital Code of Life, explore la bio-informatique, c’est-à-dire l’intersection de l’informatique et de la génomique.
Humains après tout
S’il y a une expression dont le marketing nous rebat les oreilles, depuis pas mal de temps, c’est bien « intelligence artificielle ». S’il est important de rappeler avant tout qu’un ordinateur de 2019 ou de 1970 reste invariablement aussi con, il est aussi intéressant de suivre ce qui se passe en coulisses, quand on gratte le vernis marketing.
Humains après tout
S’il y a une expression dont le marketing nous rebat les oreilles, depuis pas mal de temps, c’est bien « intelligence artificielle ». S’il est important de rappeler avant tout qu’un ordinateur de 2019 ou de 1970 reste invariablement aussi con, il est aussi intéressant de suivre ce qui se passe en coulisse, quand on gratte le vernis marketing.
Humains après tout
Nous sommes à l’ère de l’intelligence artificielle ! Hourra ! Alléluia !
Bon, dans les faits, c’est moins glamour.
Déjà, « intelligence artificielle » est un terme marketing qui a tendance à vouloir dire tout et n’importe quoi. C’est ce qui fait que les spécialistes l’évitent, en général, préférant des termes plus précis comme apprentissage automatique.
Mais surtout, on se rend compte que, au-delà des théories scientifiques – assez balaises et fort intéressantes au demeurant – et derrière le vernis de ce qui est effectivement vendu comme « intelligence artificielle », on aura souvent du mal à trouver toute trace d’intelligence ou d’artificialité.
Parlons par exemple des Kiwibots, de petits robots-livreurs autonomes lancés sur le campus de Berkeley, en Californie, et qui apportent directement la (mal)bouffe aux étudiants et étudiantes.
Autonome ?
Pas vraiment…
En réalité, ces robots sont tout simplement pilotés par des humains à distance, comme des drones.
Vous allez me dire : mais Gee, du coup, s’il faut un être humain derrière chaque robot, quel intérêt par rapport à un livreur en chair et en os ?
Quand la soi-disant intelligence artificielle permet de consolider la bonne vieille saloperie capitaliste bien humaine…
Côté GAFAM, on n’est pas en reste, puisque par exemple, l’assistant connecté de Microsoft, Cortana, envoie certains enregistrements… à des équipes de prestataires chargés de les transcrire à la main et de les classifier pour améliorer le traitement automatique qui est fait par le logiciel.
Bien sûr, les prestataires en question sont aussi sous-payés, car la promesse de l’intelligence artificielle étant de faire des économies, il faut bien rentabiliser les coûts de R&D et de production quelque part…
Ce n’est pas beaucoup plus brillant du côté des autres GAFAM : l’intégralité des enceintes connectées sur le marché ont été épinglées pour avoir été utilisées afin d’écouter les utilisateurs à leur insu.
Oui oui, même Apple, qui se targue pourtant de respecter la vie privée de ses clients, a fait écouter jusqu’à 1000 enregistrements Siri par jour par des prestataires externes.
Face au scandale, chacun des GAFAM a déclaré arrêter « temporairement » les écoutes, grands princes…
Notez pourtant que des solutions existent pour arrêter « définitivement » les écoutes.
Frank Karlitschek est un développeur de logiciel libre, un entrepreneur et un militant pour le respect de la vie privée. Il a fondé les projets Nextcloud et ownCloud et il est également impliqué dans plusieurs autres projets de logiciels libres.
Il a publié le Manifeste des données utilisateursdont nous avons tout récemment publié une traduction et il présente régulièrement des conférences. Il a pris la peine de résumer l’une d’elles qui porte sur les limites des licences libres et open source dans l’environnement numérique d’aujourd’hui.
Il y a quelques semaines, j’ai eu l’honneur de prononcer une conférence introductive aux Open Source Awards d’Édimbourg. J’ai décidé d’aborder un sujet dont je voulais parler depuis un bon bout de temps sans en avoir eu l’occasion jusqu’alors. Ma conférence n’a pas été filmée mais plusieurs personnes m’ont demandé d’en faire une synthèse. J’ai donc décidé de prendre un peu de mon temps libre dans un avion pour en faire un résumé dans le billet qui suit.
J’ai commencé à utiliser des ordinateurs et à écrire des logiciels au début des années 80 quand j’avais 10 ans. C’est à la même l’époque que Richard Stallman a écrit les 4 libertés, lancé le projet GNU, fondé la FSF et créé la GPL. Son idée était que les utilisateurs et les développeurs devraient avoir le contrôle de leur propre ordinateur, ce qui nécessite des logiciels libres. À l’époque, l’expérience informatique se résumait à un ordinateur personnel devant vous et, avec un peu de chance, les logiciels libres et open source qui s’y trouvaient.
L’équation était :
(matériel personnel) + (logiciel libre)
= (liberté numérique)
Depuis, le monde de l’informatique a changé et beaucoup évolué. Nous avons à présent accès à Internet partout, nous avons des ordinateurs dans les voitures, les télévisions, les montres et tous les autres appareils de l’Internet des Objets. Nous sommes en pleine révolution du tout mobile. Nous avons le Cloud computing (le fameux « nuage ») où le stockage des données et la puissance informatique sont partagés entre plusieurs Data centers (centre de données) possédés et contrôlés par plusieurs groupes et organisations à travers le monde. Nous avons un système de brevets très fort, les DRM, la signature de code et autres outils de cryptographie, les logiciels devenus des services, du matériel propriétaire, des réseaux sociaux et la puissance de l’effet réseau.
Dans son ensemble, le monde a beaucoup changé depuis les années 80. La majorité de la communauté du logiciel libre et de l’open source continue de se concentrer sur les licences logicielles. Je me demande si nous ne perdons pas une vue d’ensemble en limitant le mouvement du logiciel libre et open source aux seules questions des licences.
Richard Stallman souhaitait contrôler son ordinateur. Voyons la situation sur quelques-unes des grandes questions actuelles sur le contrôle numérique :
Facebook
Ces derniers temps, Facebook est sous le feu de nombreuses critiques : que ce soit les innombrables atteintes à la vie privée des utilisateurs, l’implication dans le truquage d’élections, le déclenchement d’un génocide en Birmanie, l’affaiblissement de la démocratie et beaucoup d’autres faits. Voyons si le logiciel libre pourrait résoudre ce problème :
Si Facebook publiait demain son code comme un logiciel libre et open source, notre communauté serait aux anges. Nous avons gagné ! Mais cela résoudrait-il pour autant un seul de ces problèmes ? Je ne peux pas exécuter Facebook sur mon ordinateur car je n’ai pas une grappe de serveurs Facebook. Quand bien même j’y arriverais, je serais bien isolé en étant le seul utilisateur. Donc le logiciel libre est important et génial mais il ne fournit pas de liberté ni de contrôle aux utilisateurs dans le cas de Facebook. Il faut plus que des licences libres.
Microsoft
J’entends de nombreuses personnes de la communauté du logiciel libre et open source se faire les chantres d’un Microsoft qui serait désormais respectable. Microsoft a changé sous la direction de son dernier PDG et ce n’est plus l’Empire du Mal. Ils intègrent désormais un noyau Linux dans Windows 10 et fournissent de nombreux outils libres et open source dans leurs conteneurs Linux sur le cloud Azure. Je pense qu’il s’agit là d’un véritable pas dans la bonne direction mais leurs solutions cloud bénéficient toujours de l’emprise la plus importante pour un éditeur : Windows 10 n’est pas gratuit et ne vous laisse pas de liberté. En réalité, aucun modèle économique open source n’est présent chez eux. Ils ne font qu’utiliser Linux et l’open source. Donc le fait que davantage de logiciels de l’écosystème Microsoft soient disponibles sous des licences libres ne donne pas pour autant davantage de libertés aux utilisateurs.
L’apprentissage automatique
L’apprentissage automatique est une nouvelle technologie importante qui peut être utilisée pour beaucoup de choses, qui vont de la reconnaissance d’images à celle de la voix en passant par les voitures autonomes. Ce qui est intéressant, c’est que le matériel et le logiciel seuls sont inutiles. Pour que l’apprentissage fonctionne, il faut des données pour ajuster l’algorithme. Ces données sont souvent l’ingrédient secret et très précieux nécessaire à une utilisation efficace de l’apprentissage automatique. Plus concrètement, si demain Tesla décidait de publier tous ses logiciels en tant que logiciels libres et que vous achetiez une Tesla pour avoir accès au matériel, vous ne seriez toujours pas en mesure d’étudier, de construire et d’améliorer la fonctionnalité de la voiture autonome. Vous auriez besoin des millions d’heures d’enregistrement vidéo et de données de conducteur pour rendre efficace votre réseau de neurones. En somme, le logiciel libre seul ne suffit pas à donner le contrôle aux utilisateurs.
5G
Le monde occidental débat beaucoup de la confiance à accorder à l’infrastructure de la 5G. Que savons-nous de la présence de portes dérobées dans les antennes-relais si elles sont achetées à Huawei ou à d’autres entreprises chinoises ? La communauté du logiciel libre et open source répond qu’il faudrait que le logiciel soit distribué sous une licence libre. Mais pouvons-nous vraiment vérifier que le code qui s’exécute sur cette infrastructure est le même que le code source mis à disposition ? Il faudrait pour cela avoir des compilations reproductibles, accéder aux clés de signature et de chiffrement du code ; l’infrastructure devrait récupérer les mises à jour logicielles depuis notre serveur de mise à jour et pas depuis celui du fabricant. La licence logicielle est importante mais elle ne vous donne pas un contrôle total et la pleine liberté.
Android
Android est un système d’exploitation mobile très populaire au sein de la communauté du logiciel libre. En effet, ce système est distribué sous une licence libre. Je connais de nombreux militants libristes qui utilisent une version personnalisée d’Android sur leur téléphone et n’installent que des logiciels libres depuis des plateformes telles que F-Droid. Malheureusement, 99 % des utilisateurs lambda ne bénéficient pas de ces libertés car leur téléphone ne peut pas être déverrouillé, car ils n’ont pas les connaissances techniques pour le faire ou car ils utilisent des logiciels uniquement disponibles sur le PlayStore de Google. Les utilisateurs sont piégés dans le monopole du fournisseur. Ainsi, le fait que le cœur d’Android est un logiciel libre ne donne pas réellement de liberté à 99 % de ses utilisateurs.
Finalement, quelle conclusion ?
Je pense que la communauté du logiciel libre et open source concernée par les 4 libertés de Stallman, le contrôle de sa vie numérique et la liberté des utilisateurs, doit étendre son champ d’action. Les licences libres sont nécessaires mais elles sont loin d’être encore suffisantes pour préserver la liberté des utilisateurs et leur garantir un contrôle de leur vie numérique.
La recette (matériel personnel) + (logiciel libre) = (liberté numérique) n’est plus valide.
Il faut davantage d’ingrédients. J’espère que la communauté du logiciel libre peut se réformer et le fera, pour traiter davantage de problématiques que les seules licences. Plus que jamais, le monde a besoin de personnes qui se battent pour les droits numériques et les libertés des utilisateurs.
« c’est pratique mais c’est une dépossession… »
Aude Vidal qui signe l’article ci-dessous est autrice d’Égologie (Le Monde à l’envers) et de La Conjuration des ego. Féminismes et individualisme (Syllepse), éditrice d’On achève bien les éleveurs (L’Échappée). Nous la remercions de nous autoriser à reproduire ici le 300e billet de son blog sur l’écologie politique où elle aborde avec vigueur et acuité les diverses facettes de son engagement : écologie, féminisme, anti-capitalisme… Il s’agit ici d’une réflexion sur la difficulté, y compris en milieu militant, à renoncer au confort (« c’est pratique ») procuré par nos outils numériques, pour réapprendre peut-être à… se faire chier ?
Je n’aime pas me faire chier dans la vie, et je ne dois pas être la seule.
Il m’arrive pourtant souvent d’être surprise que ce soit, autour de moi, un critère décisif pour organiser sa vie : aller au plus pratique. À ce qui engage le moins d’efforts. Les pubs fourmillent d’invitations à se laisser dorloter en échange de quelques euros. Le champ des services ne cesse jamais de s’étendre – et de libérer la croissance. Plus besoin de sortir se faire couper les cheveux, le coiffeur vient chez vous. Inutile de penser à mettre de la bière au frigo, un livreur vous l’apporte. Des services auparavant réservés aux client·es des grands hôtels se massifient désormais : faites livrer des fleurs, chercher un document à la maison, etc. Votre maison est devenue le centre du monde, si vous le voulez bien. Il doit bien être possible de faire autrement, c’est comme cela que nous vivions il y a encore cinq ans.
Tous ces services se déploient dans une société de plus en plus inégalitaire : d’un côté des gens qui méritent de bien bouffer après leur journée de boulot ou une réunion exigeante (voir les pubs qui mettent en scène le réconfort après l’effort), de l’autre des galériens qui sont payés une misère pour leur livrer un pad thai ou un kit apéro (ici le témoignage d’un livreur chez Frichti). C’est surtout parce que le chômage reste massif et l’armée de réserve importante, parce que les emplois ont été délibérément déqualifiés en auto-entreprise que ces entreprises prolifèrent. Si les galériens en ont marre de risquer leur vie et la vôtre en conduisant comme des dingues, ils trouveront un migrant à qui faire faire le boulot. Mais le tout s’appuie sur un mélange de paresse et de sens de ce qui lui est dû qui saisit l’individu en régime libéral au moment de faire à bouffer ou de s’occuper de la dimension matérielle de sa vie. Certes nous devons encore être quelques-un·es à cuire des nouilles quand nous avons la flemme de cuisiner et qui apprécions de sortir au restaurant pour nous changer les idées, découvrir un autre monde, des odeurs,une ambiance (et je n’oublie pas que ces lieux aussi sont propices à l’exploitation du travail). Mais la compétition économique pousse au cul tout le monde pour inventer des services innovants – c’est à dire dont personne n’avait vraiment besoin, qui étaient des rêves d’enfants gâtés mais qui, intelligemment marketés, nous laissent imaginer que nos vies sont vachement mieux avec. Ils constituent une industrie de la compensation sur laquelle il faudra mettre le doigt un jour et qui en attendant offre aux winners des vies de merde pleines de gratifications.
C’est pratique aussi, quand votre smartphone pense à votre place, que le logiciel va chercher vos mots de passe sur une autre bécane, recueille et transfère vos données à votre insu… Pratique, mais un peu inquiétant. Qu’importe, c’est surtout bien pratique ! Je suis la première à ne pas faire en matière de sécurité tous les efforts que me proposent des camarades plus cultivés que moi sur ces questions. Mais malgré cette désinvolture, je flippe quand je vois le niveau d’indépendance acquis par mon smartphone. Après des années de résistance et bien qu’il soit encore possible d’acheter neufs des téléphones bien conçus qui permettent de téléphoner (et d’avoir l’heure), j’ai cédé pour le côté pratique (1) : plus besoin de m’inquiéter d’avoir une connexion Internet régulière, de préparer mes déplacements et ma vie sociale comme je le faisais, avec capture d’écran de plans, schémas dessinés dans l’agenda, infos importantes notées sur papier, etc. Mais je me sens sous tutelle, dépossédée, comme une gamine gâtée sauf que je sais ce que c’est que l’autonomie et je regrette celle que j’avais avant.
Car c’est pratique mais c’est une dépossession : plus la peine de se soucier de la dimension matérielle de sa vie (et de savoir cuire des nouilles), pas besoin de garder la maîtrise de ses outils… Jusqu’ici, tout va bien, tant qu’on fait encore partie de la petite bourgeoisie qui peut se payer tout ça, tant que des pans entiers du macro-système technicien ne s’effondrent pas. Mais tout cela nous déqualifie humainement et il est des menaces plus immédiates encore que l’effondrement écologique ou une vraie crise de l’énergie : nos libertés, individuelles et collectives.
Je côtoie beaucoup de personnes engagées, qui n’ont pas de mots assez durs pour stigmatiser le capitalisme et le productivisme, qui éteignent la lumière dans les pièces qu’elles n’utilisent pas et qui pourtant maintiennent des comptes dans des réseaux sociaux devenus plus gros que des États, qui consomment un paquet de ressources et d’énergie pour calculer ce qu’elles aiment et vendre le résultat à d’autres boîtes, censurent leurs images, détournent leurs « ami·es » d’elles ou réciproquement sur base algorithmique, censurent les noms de groupes pas assez familiaux, gèrent leur environnement social comme un pensionnat dans les années 1950 en attendant de purement et simplement censurer leurs propos (2). Et ces personnes, parfois ces collectifs et associations, restent parce que c’est « pratique »(3).
J’ai toujours reçu un minimum d’écho dans des groupes anti-capitalistes, écologistes ou féministes, quand j’ai suggéré que Facebook, Twitter, Google Drive et autres n’étaient pas nos amis et proposé d’utiliser les outils créés et maintenus par des groupes politiques plus proches de nous et soucieux de nos libertés : les outils Framasoft (qui vont du pad à l’agenda en ligne, en passant par l’interface de sondages et la feuille de calcul), le Crabgrass de Riseup qui offre des fonctionnalités magiques et je me désole de ne faire partie d’aucun groupe qui l’utilise, etc. Et j’ai régulièrement mis en cause chez mes correspondant·es l’idée saugrenue d’avoir un compte Gmail qui vous pousse à garder dix ans de données en ligne plutôt que de ranger dans des fichiers dédiés et régulièrement sauvegardés les images qui vous tiennent à cœur. Et chaque fois, ce que j’entends, c’est que ce serait sympa de sauver la banquise mais… quand même, c’est pratique. Et j’ai vu des bonnes volontés s’arrêter au fait que Framacalc ne propose pas de mettre en couleur les cases, même quand cette couleur contribue à la lisibilité de la feuille sans rajouter aucune information digne d’intérêt. Aucune. Ces outils sont parfois moins bien que leur concurrence commerciale mais ne peut-on arbitrer sur d’autres critères ?
Nous n’allons pas nous flageller, non : si ces entreprises prolifèrent, de la start-up aux GAFA, c’est bien parce que les États leur laissent la bride sur le col. Ils démontent le droit du travail au profit de la micro-entreprise, ils votent des législations liberticides et laissent passer des pratiques intrusives et des concentrations industrielles qui devraient normalement tomber sous le coup de lois anti-trust (Messenger + Facebook + WhatsApp + Instagram, what else?). C’est bien simple : les appels au contrôle des GAFA viennent aujourd’hui du sein desdits GAFA (et pas forcément des concurrents !) autant que des politiques. Visiblement, ça nous touche moins que la dernière vidéo de pandas mignons qui fait le buzz. Mais ça devrait. Et bien que notre marge de manœuvre soit limitée, bien qu’une défection individuelle ne signifie pas grand-chose numériquement, même si c’est dur de se passer des centaines de likes qui saluent vos traits d’esprit et vos indignations sur Twitter, même si votre organisation a fait son trou sur Facebook, il me semble que la première chose à faire, dans cette situation, c’est de quitter ces réseaux pour en faire vivre de plus démocratiques, sobres et décentralisés. Votre engagement anti-capitaliste, écologiste et anti-autoritaire le mérite bien…
Mauvaise nouvelle : il va falloir réapprendre à se faire un peu chier, dans la vie.
PS : Ceci est mon 300e billet sur ce blog, ouvert il y a exactement dix ans. 300 billets, ça ne veut pas dire 300 textes, il y a quelques annonces sur le lot. Mais oui, cela fait deux textes par mois en moyenne. Les meilleurs ont été publiés ailleurs (notamment dans les journaux papier L’An 02, CQFD, L’Âge de faire, Moins ! et d’autres encore) ou reformulés dans le cadre des livres Égologie (Le Monde à l’envers, 2007) et La Conjuration des ego (Syllepse, 2019). Je prépare aussi la réédition de ma brochure sur le revenu garanti (aux éditions du Monde à l’envers cet hiver). C’est un blog qui m’a aidée à écrire dans des formats courts puis un peu plus longs (mais toujours pas très longs !) et à faire œuvre malgré le chômage de longue durée et le manque de sollicitations. Je me fais chier à payer le nom de domaine chaque année, ce qui permet de bénéficier d’un hébergement offert par Gandi.net et de ne pas livrer votre cerveau à la publicité.
(1) À vrai dire j’ai cédé dans la perspective d’un travail de terrain à l’étranger, où les seuls accès à Internet se faisaient par mobile et où mes informateurs utilisaient WhatsApp plus volontiers que des sms hors de prix. Et j’y ai gagné un dictaphone de bien meilleure qualité. Mais au quotidien, en France, je me laisse convaincre par le smartphone alors que j’ai encore le choix tous les matins de mettre plutôt mon vieux Nokia dans ma poche.
(2) Ces réseaux sociaux hébergent vos propos, vous permettent de mettre en ligne vos textes, images, fichiers vidéo et audio. Vous restez responsable de vos publications. Tout va bien. Sauf que les dernières innovations en matière de libertés civiles (qui s’accompagnent de la remise en cause d’un droit de la presse qui fonctionne très bien depuis 1881) font de ces réseaux vos éditeurs, lesquels partagent avec vous la responsabilité pénale de vos publications. Devinez la peine que vont prendre ces gros acteurs capitalistes à faire vérifier par des petites mains rémunérées que vos propos sont en effet contraires à la loi, diffamatoires, insultants ou appelant à la haine ? C’est moins cher de le mettre à la poubelle dès qu’une personne qui ne vous aime pas les signale, d’autant plus que vous ne représentez rien (à moins que vous ne soyez Donald Trump, dans ce cas l’appel à la haine est acceptable). Les organisations qui pourraient se saisir de ce cas de censure pour le rendre public sont elles aussi sur ces réseaux (qui contrôlent leur audience) ou ailleurs et plus personne ne les entend crier parce que tout le monde est sur Facebook. Monde de rêve, hein ?
(3) Moi aussi, je reste, tentant de limiter ma participation et préférant socialiser dans des lieux plus proches de mes valeurs, Seenthis.net ou Mastodon.
C’est Qwant qu’on va où ?
L’actualité récente de Qwant était mouvementée, mais il nous a semblé qu’au-delà des polémiques c’était le bon moment pour faire le point avec Qwant, ses projets et ses valeurs.
Si comme moi vous étiez un peu distrait⋅e et en étiez resté⋅e à Qwant-le-moteur-de-recherche, vous allez peut-être partager ma surprise : en fouinant un peu, on trouve tout un archipel de services, certains déjà en place et disponibles, d’autres en phase expérimentale, d’autres encore en couveuse dans le labo.
Voyons un peu avec Tristan Nitot, Vice-président Advocacy de Qwant, de quoi il retourne et si le principe affiché de respecter la vie privée des utilisateurs et utilisatrices demeure une ligne directrice pour les applications qui arrivent.
Bonjour Tristan, tu es toujours content de travailler pour Qwant malgré les périodes de turbulence ?
Oui, bien sûr ! Je reviens un peu en arrière : début 2018, j’ai déjeuné avec un ancien collègue de chez Mozilla, David Scravaglieri, qui travaillait chez Qwant. Il m’a parlé de tous les projets en logiciel libre qu’il lançait chez Qwant en tant que directeur de la recherche. C’est ce qui m’a convaincu de postuler chez Qwant.
J’étais déjà fan de l’approche liée au respect de la vie privée et à la volonté de faire un moteur de recherche européen, mais là, en plus, Qwant se préparait à faire du logiciel libre, j’étais conquis. À peine arrivé au dessert, j’envoie un texto au président, Eric Léandri pour savoir quand il m’embauchait. Sa réponse fut immédiate : « Quand tu veux ! ». J’étais aux anges de pouvoir travailler sur des projets qui rassemblent mes deux casquettes, à savoir vie privée et logiciel libre.
Depuis, 18 mois ont passé, les équipes n’ont pas chômé et les premiers produits arrivent en version Alpha puis Bêta. C’est un moment très excitant !
Récemment, Qwant a proposé Maps en version Bêta… Vous comptez vraiment rivaliser avec Google Maps ? Parce que moi j’aime bien Street View par exemple, est-ce que c’est une fonctionnalité qui viendra un jour pour Qwant Maps ?
Rivaliser avec les géants américains du capitalisme de surveillance n’est pas facile, justement parce qu’on cherche un autre modèle, respectueux de la vie privée. En plus, ils ont des budgets incroyables, parce que le capitalisme de surveillance est extrêmement lucratif. Plutôt que d’essayer de trouver des financements comparables, on change les règles du jeu et on se rapproche de l’écosystème libre OpenStreetMap, qu’on pourrait décrire comme le Wikipédia de la donnée géographique. C’est une base de données géographiques contenant des données et des logiciels sous licence libre, créée par des bénévoles autour desquels viennent aussi des entreprises pour former ensemble un écosystème. Qwant fait partie de cet écosystème.
En ce qui concerne les fonctionnalités futures, c’est difficile d’être précis, mais il y a plein de choses que nous pouvons mettre en place grâce à l’écosystème OSM. On a déjà ajouté le calcul d’itinéraires il y a quelques mois, et on pourrait se reposer sur Mapillary pour avoir des images façon StreetView, mais libres !
Dis donc, en comparant 2 cartes du même endroit, on voit que Qwant Maps a encore des progrès à faire en précision ! Pourquoi est-ce que Qwant Maps ne reprend pas l’intégralité d’Open Street Maps ?
En fait, OSM montre énormément de détails et on a choisi d’en avoir un peu moins mais plus utilisables. On a deux sources de données pour les points d’intérêt (POI) : Pages Jaunes, avec qui on a un contrat commercial et OSM. On n’affiche qu’un seul jeu de POI à un instant t, en fonction de ce que tu as recherché.
Quand tu choisis par exemple « Restaurants » ou « Banques », sans le savoir tu fais une recherche sur les POI Pages Jaunes. Donc tu as un fond de carte OSM avec des POI Pages Jaunes, qui sont moins riches que ceux d’OSM mais plus directement lisibles.
Bon d’accord, Qwant Maps utilise les données d’OSM, c’est tant mieux, mais alors vous vampirisez du travail bénévole et libre ? Quelle est la nature du deal avec OSM ?
Non, bien sûr, Qwant n’a pas vocation à vampiriser l’écosystème OSM : nous voulons au contraire être un citoyen modèle d’OSM. Nous utilisons les données et logiciels d’OSM conformément à leur licence. Il n’y a donc pas vraiment de deal, juste un respect des licences dans la forme et dans l’esprit. Par exemple, on met un lien qui propose aux utilisateurs de Qwant Maps d’apprendre à utiliser et contribuer à OSM. En ce qui concerne les logiciels libres nécessaires au fonctionnement d’OSM, on les utilise et on y contribue, par exemple avec les projets Mimirsbrunn, Kartotherian et Idunn. Mes collègues ont écrit un billet de blog à ce sujet.
Nous avons aussi participé à la réunion annuelle d’OSM, State Of the Map (SOTM) à Montpellier le 14 juin dernier, où j’étais invité à parler justement des relations entre les entreprises comme Qwant et les projets libres de communs numériques comme OSM. Les mauvais exemples ne manquent pas, avec Apple qui, avec Safari et Webkit, a sabordé le projet Konqueror de navigateur libre, ou Google qui reprend de la data de Wikipédia mais ne met pas de lien sur comment y contribuer (alors que Qwant le fait). Chez Qwant, on vise à être en symbiose avec les projets libres qu’on utilise et auxquels on contribue.
Google Maps a commencé à monétiser les emplois de sa cartographie, est-ce qu’un jour Qwant Maps va être payant ?
En réalité, Google Maps est toujours gratuit pour les particuliers (approche B2C Business to consumer). Pour les organisations ou entreprises qui veulent mettre une carte sur leur site web (modèle B2B Business to business), Google Maps a longtemps été gratuit avant de devenir brutalement payant, une fois qu’il a éliminé tous ses concurrents commerciaux. Il apparaît assez clairement que Google a fait preuve de dumping.
Pour le moment, chez Qwant, il n’y a pas d’offre B2B. Le jour où il y en aura une, j’espère que le un coût associé sera beaucoup plus raisonnable que chez Google, qui prend vraiment ses clients pour des vaches à lait. Je comprends qu’il faille financer le service qui a un coût, mais là, c’est exagéré !
Quand j’utilise Qwant Maps, est-ce que je suis pisté par des traqueurs ? J’imagine et j’espère que non, mais qu’est-ce que Qwant Maps « récolte » et « garde » de moi et de ma connexion si je lui demande où se trouve Bure avec ses opposants à l’enfouissement de déchets nucléaires ? Quelles garanties m’offre Qwant Maps de la confidentialité de mes recherches en cartographie ?
C’est un principe fort chez Qwant : on ne veut pas collecter de données personnelles. Bien sûr, à un instant donné, le serveur doit disposer à la fois de la requête (quelle zone de la carte est demandée, à quelle échelle) et l’adresse IP qui la demande. L’adresse IP pourrait permettre de retrouver qui fait quelle recherche, et Qwant veut empêcher cela. C’est pourquoi l’adresse IP est salée et hachée aussitôt que possible et c’est le résultat qui est stocké. Ainsi, il est impossible de faire machine arrière et de retrouver quelle adresse IP a fait quelle recherche sur la carte. C’est cette méthode qui est utilisée dans Qwant Search pour empêcher de savoir qui a recherché quoi dans le moteur de recherche.
Est-ce que ça veut dire qu’on perd aussi le relatif confort d’avoir un historique utile de ses recherches cartographiques ou générales ? Si je veux gagner en confidentialité, j’accepte de perdre en confort ?
Effectivement, Qwant ne veut rien savoir sur la personne qui recherche, ce qui implique qu’on ne peut pas personnaliser les résultats, ni au niveau des recherches Web ni au niveau cartographique : pour une recherche donnée, chaque utilisateur reçoit les mêmes résultats que tout le monde.
Ça peut être un problème pour certaines personnes, qui aimeraient bien disposer de personnalisation. Mais Qwant n’a pas dit son dernier mot : c’est exactement pour ça que nous avons fait « Masq by Qwant ». Masq, c’est une application Web en logiciel libre qui permet de stocker localement dans le navigateur (en LocalStorage)2 et de façon chiffrée des données pour la personnalisation de l’expérience utilisateur. Masq est encore en Alpha et il ne permet pour l’instant que de stocker (localement !) ses favoris cartographiques. À terme, nous voulons que les différents services de Qwant utilisent Masq pour faire de la personnalisation respectueuse de la vie privée.
Ah bon alors c’est fini le cloud, on met tout sur sa machine locale ? Et si on vient fouiner dans mon appareil alors ? N’importe quel intrus peut voir mes données personnelles stockées ?
Effectivement, tes données étant chiffrées, et comme tu es le seul à disposer du mot de passe, c’est ta responsabilité de conserver précieusement ledit mot de passe. Quant à la sauvegarde des données, tu as bien pensé à faire une sauvegarde, non ? 😉
Ah mais vous avez aussi un projet de reconnaissance d’images ? Comment ça marche ? Et à quoi ça peut être utile ?
C’est le résultat du travail de chercheurs de Qwant Research, une intelligence artificielle (plus concrètement un réseau de neurones) qu’on a entraînée avec Pytorch sur des serveurs spécialisés DGX-1 en vue de proposer des images similaires à celles que tu décris ou que tu téléverses.
Ah tiens j’ai essayé un peu, ça donne effectivement des résultats rigolos : si on cherche des saucisses, on a aussi des carottes, des crevettes et des dents…
C’est encore imparfait comme tu le soulignes, et c’est bien pour ça que ça n’est pas encore un produit en production ! On compte utiliser cette technologie de pointe pour la future version de notre moteur de recherche d’images.
Comment je fais pour signaler à l’IA qu’elle s’est plantée sur telle ou telle image ? C’est prévu de faire collaborer les bêta-testeurs ? Est-ce que Qwant accueille les contributions bénévoles ou militantes ?
Il est prévu d’ajouter un bouton pour que les utilisateurs puissent valider ou invalider une image par rapport à une description. Pour des projets de plus en plus nombreux, Qwant produit du logiciel libre et donc publie le code. Par exemple pour la recherche d’image, c’est sur https://github.com/QwantResearch/text-image-similarity. Les autres projets sont hébergés sur les dépôts https://github.com/QwantResearch : les contributions au code (Pull requests) et les descriptions de bugs (issues) sont les bienvenus !
Bon je vois que Qwant a l’ambition de couvrir autant de domaines que Google ? C’est pas un peu hégémonique tout ça ? On se croirait dans Dégooglisons Internet !
Effectivement, nos utilisateurs attendent de Qwant tout un univers de services. La recherche est pour nous une tête de pont, mais on travaille à de nouveaux services. Certains sont des moteurs de recherche spécialisés comme Qwant Junior, pour les enfants de 6 à 12 ans (pas de pornographie, de drogues, d’incitation à la haine ou à la violence).
Comment c’est calculé, les épineuses questions de résultats de recherche ou non avec Qwant Junior ? Ça doit être compliqué de filtrer…
Nous avons des équipes qui gèrent cela et s’assurent que les sujets sont abordables par les enfants de 6 à 12 ans, qui sont notre cible pour Junior.
Ça n’est pas facile effectivement, mais nous pensons que c’est important. C’est une idée qui nous est venue au lendemain des attentats du Bataclan où trop d’images choquantes étaient publiées par les moteurs de recherche. C’était insupportable pour les enfants. Et puis Junior, comme je le disais, n’a pas vocation à afficher de publicité ni à capturer de données personnelles. C’est aussi pour cela que Qwant Junior est très utilisé dans les écoles, où il donne visiblement satisfaction aux enseignants et enseignantes.
Mais euh… « filtrer » les résultats, c’est le job d’un moteur de recherche ?
Il y a deux questions en fait. Pour un moteur de recherche pour enfants, ça me parait légitime de proposer aux parents un moteur qui ne propose pas de contenus choquants. Qwant Junior n’a pas vocation à être neutre : c’est un service éditorialisé qui fait remonter des contenus à valeur pédagogique pour les enfants. C’est aux parents de décider s’ils l’utilisent ou pas.
Pour un moteur de recherche généraliste revanche, la question est plutôt d’être neutre dans l’affichage des résultats, dans les limites de la loi.
Tiens vous avez même des trucs comme Causes qui propose de reverser l’argent des clics publicitaires à de bonnes causes ? Pour cela il faut désactiver les bloqueurs de pub auxquels nous sommes si attachés, ça va pas plaire aux antipubs…
En ce qui concerne Qwant Causes, c’est le moteur de recherche Qwant mais avec un peu plus de publicité. Et quand tu cliques dessus, cela rapporte de l’argent qui est donné à des associations que tu choisis. C’est une façon de donner à ces associations en faisant des recherches. Bien sûr si tu veux utiliser un bloqueur de pub, c’est autorisé chez Qwant, mais ça n’a pas de sens pour Qwant Causes, c’est pour ça qu’un message d’explication est affiché.
Est-ce que tous ces services sont là pour durer ou bien seront-ils fermés au bout d’un moment s’ils sont trop peu employés, pas rentables, etc. ?
Tous les services n’ont pas vocation à être rentables. Par exemple, il n’y a pas de pub sur Qwant Junior, parce que les enfants y sont déjà trop exposés. Mais Qwant reste une entreprise qui a vocation à générer de l’argent et à rémunérer ses actionnaires, donc la rentabilité est pour elle une chose importante. Et il y a encore de la marge pour concurrencer les dizaines de services proposés par Framasoft et les CHATONS 😉
Est-ce que Qwant est capable de dire combien de personnes utilisent ses services ? Qwant publie-t-elle des statistiques de fréquentation ?
Non. D’abord, on n’identifie pas nos utilisateurs, donc c’est impossible de les compter : on peut compter le nombre de recherches qui sont faites, mais pas par combien de personnes. Et c’est très bien comme ça ! Tout ce que je peux dire, c’est que le nombre de requêtes évolue très rapidement : on fait le point en comité de direction chaque semaine, et nous battons presque à chaque fois un nouveau record !
Bon venons-en aux questions que se posent souvent nos lecteurs et lectrices : Qwant et ses multiples services, c’est libre, open source, ça dépend ?
Non, tout n’est pas en logiciel libre chez Qwant, mais si tu vas sur les dépôts de Qwant et Qwant Research tu verras qu’il y a déjà plein de choses qui sont sous licence libre, y compris des choses stratégiques comme Graphee (calcul de graphe du Web) ou Mermoz (robot d’indexation du moteur). Et puis les nouveaux projets comme Qwant Maps et Masq y sont aussi.
La publicité est une source de revenus dans votre modèle économique, ou bien vous vendez des services à des entreprises ou institutions ? Qwant renonce à un modèle économique lucratif qui a fait les choux gras de Google, mais alors comment gagner de l’argent ?
Oui, Qwant facture aussi des services à des institutions dans le domaine de l’open data par exemple, mais l’essentiel du revenu vient de la publicité contextuelle, à ne pas confondre avec la publicité ciblée telle que faite par les géants américains du Web. C’est très différent.
La publicité ciblée, c’est quand tu sais tout de la personne (ses goûts, ses habitudes, ses déplacements, ses amis, son niveau de revenu, ses recherches web, son historique de navigation, et d’autres choses bien plus indiscrètes telles que ses opinions politiques, son orientation sexuelle ou religieuse, etc.). Alors tu vends à des annonceurs le droit de toucher avec de la pub des personnes qui sont ciblées. C’est le modèle des géants américains.
Qwant, pour sa part, ne veut pas collecter de données personnelles venant de ses utilisateurs. Tu as sûrement remarqué que quand tu vas sur Qwant.com la première fois, il n’y a pas de bannière « acceptez nos cookies ». C’est normal, nous ne déposons pas de cookies quand tu fais une recherche Qwant !
Quand tu fais une recherche, Qwant te donne une réponse qui est la même pour tout le monde. Tu fais une recherche sur « Soupe à la tomate » ? On te donne les résultats et en même temps on voit avec les annonceurs qui est intéressé par ces mots-clés. On ignore tout de toi, ton identité ou ton niveau de revenu. Tout ce qu’on sait, c’est que tu as cherché « soupe à la tomate ». Et c’est ainsi que tu te retrouves avec de la pub pour du Gaspacho ou des ustensiles de cuisine. La publicité vaut un peu moins cher que chez nos concurrents, mais les gens cliquent dessus plus souvent. Au final, ça permet de financer les services et d’en inventer de nouveaux tout en respectant la vie privée des utilisateurs et de proposer une alternative aux services américains gourmands en données personnelles. On pourrait croire que ça ne rapporte pas assez, pourtant c’était le modèle commercial de Google jusqu’en 2006, où il a basculé dans la collecte massive de données personnelles…
Dans quelle mesure Qwant s’inscrit-il dans la reconquête de la souveraineté européenne contre la domination des géants US du Web ?
Effectivement, parmi les deux choses qui différencient Qwant de ses concurrents, il y a la non-collecte de données personnelles et le fait qu’il est français et à vocation européenne. Il y a un truc qui me dérange terriblement dans le numérique actuel, c’est que l’Europe est en train de devenir une colonie numérique des USA et peut-être à terme de la Chine. Or, le numérique est essentiel dans nos vies. Il les transforme ! Ces outils ne sont pas neutres, ils sont le reflet des valeurs de ceux qui les produisent.
Aux USA, les gens sont considérés comme des consommateurs : tout est à vendre à ou à acheter. En Europe, c’est différent. Ça n’est pas un hasard si la CNIL est née en France, si le RGPD est européen : on a conscience de l’enjeu des données personnelles sur la citoyenneté, sur la liberté des gens. Pour moi, que Qwant soit européen, c’est très important.
Merci d’avoir accepté de répondre à nos questions. Comme c’est la tradition de nos interviews, on te laisse le mot de la fin…
Je soutiens Framasoft depuis toujours ou presque, parce que je sais que ce qui y est fait est vraiment important : plus de libre, moins d’hégémonie des suspects habituels, plus de logiciel libre, plus de valeur dans les services proposés.
J’ai l’impression d’avoir avec Qwant une organisation différente par nature (c’est une société, avec des actionnaires), mais avec des objectifs finalement assez proches : fournir des services éthiques, respectueux de la vie pivée, plus proches des gens et de leurs valeurs, tout en contribuant au logiciel libre. C’est ce que j’ai tenté de faire chez Mozilla pendant 17 ans, et maintenant chez Qwant. Alors, je sais que toutes les organisations ne sont pas parfaites, et Qwant ne fait pas exception à la règle. En tout cas, chez Qwant on fait du mieux qu’on peut !
Vive l’Internet libre et ceux qui œuvrent à le mettre en place et à le défendre !
Réinventer la cantine populaire ?
Et si dans notre société qui tangue dangereusement, nous retrouvions les voies du collectif solidaire pour un besoin élémentaire, ou plutôt alimentaire ?
Dans cet article, Rebecca May Johnson nous parle d’une époque où la nécessité de solidarité était mère d’inventivité. Du très actuel barbeuc de rond-point à la soupe populaire à République, en passant par les Restaurants du Cœur, partageons nos repas pour mieux nous entraider. Mais si, comme dans l’après-guerre à Londres, la cantine populaire redevenait une institution et même un service public ?
Il y a de l’espace pour tout le monde. De l’espace, un verre d’eau et une prise électrique. Des chaises, des tables et des toilettes propres. Tellement de chaises que personne n’en est privé. Assez de serviettes pour se moucher ou s’essuyer la bouche. Les chaises ont de multiples formes et certaines sont placées dans des endroits déterminés (une praxis de la discrimination positive). Il y a des chaises hautes et des chaises basses qui créent un paysage varié et permettent d’éviter le contact visuel si souhaité (une question de vie privée), des chaises basses en plastique de couleurs vives et des chaises à bonne hauteur pour les enfants. Il y a aussi une zone réservée pour les femmes qui veulent allaiter sans avoir à gérer les regards gênants d’hommes gênants si elles ne le veulent pas. Un comptoir bien équipé permet de réchauffer la nourriture pour bébés ou les plats faits maison, ce qui constitue une forme de reconnaissance que les bébés existent, que les gens apportant leur propre nourriture existent, et que ces personnes ont besoin d’un espace pour manger. Des plateaux empilés, propres et prêts à servir, sont placés au début de la file d’attente pour la nourriture. Certains sont placés sur des sortes de déambulateurs adaptés avec des étagères pour poser des plateaux afin que les personnes à mobilité réduite, ou accompagnées d’enfants ou encore ayant besoin de plusieurs assiettes puissent s’y appuyer quand elles font la queue et y placer la nourriture sans avoir à porter leur plateau.
La nourriture est bon marché. Je peux me permettre de l’acheter et chacun ici peut l’acheter pour soi-même et ses enfants sans inquiétude. On ne ressent pas l’angoisse de ceux qui n’ont pas d’argent pour s’acheter à manger alors qu’ils ont faim dans un endroit où l’on sert à manger. Pour ceux qui ont de l’argent, le prix est une bonne surprise. Pour ceux qui en ont moins, les prix sont une véritable bénédiction qui leur permet de manger. La nourriture est aussi bon marché que dans les fast-foods de poulets frits et assez riche en calories pour rassasier un enfant ou un adulte pour un bon moment.
La plupart des gens déposent leurs plateaux couverts de miettes et d’assiettes utilisées dans un endroit prévu à cet effet et ramassent leurs serviettes sales. Ils ne laissent pas de restes sur les tables, même si aucune signalétique ne le leur rappelle. De plus, il y a suffisamment de personnel pour que les déchets ne s’accumulent pas, et le personnel n’est pas débordé, stressé ni épuisé.
Du temps
Il y a aussi du temps pour tout le monde. Personne n’est invité à quitter les lieux et personne ne s’inquiète de ne pas être le bienvenu. Bien entendu, les gens partent, mais rester un certain temps n’est pas mal vu. Il n’y a pas d’affiches placardées sur les tables et les murs qui vous enjoignent de partir, de rester, de manger la nourriture achetée sur place ou quoi que ce soit d’autre. En fait, dans la belle tradition d’hospitalité occidentale qui remonte à l’épopée d’Homère (cf. Xénia 3) aucune personne accueillie ici ne sera invitée à partir, et tout le monde aura sans conteste de quoi boire, se nourrir et se laver. Aucun corps ne devient répugnant en restant et en franchissant une limite temporelle et spatiale, ambiguë mais clairement définie (du moins pas pendant les horaires d’ouverture). Une telle disposition offre une intimité en public, si celle-ci est définie comme la possibilité d’être là sans être soupçonné de quoi que ce soit. Les raisons pour lesquelles on peut se sentir suspect à Londres, en 2019, sont principalement, le fait de ne pas avoir d’argent, ou encore l’évolution constante des bio-politiques qui s’entremêlent, transformant la couleur de peau, le sexe et la religion en sources d’angoisse en public.
Contrairement à l’Odyssée d’Homère, il n’y aura pas de massacre si les gens restent plus longtemps qu’ils ne devraient, ou s’ils prennent plus d’échantillons gratuits que ce qui est prévu. Après tout, certaines personnes ne prennent pas d’échantillons du tout. Dans d’autres endroits, par exemple des petits cafés indépendants, certes charmants, mais peu rentables et coûteux, où le loyer est si élevé qu’il faut y passer peu de temps et dépenser beaucoup, il existe une limite de temps implicite mais clairement définie qui provoque l’inquiétude chez tout le monde (propriétaire, employés, clients). Cette limite existe même si les salaires sont bas et que les saisonniers sont renvoyés chez eux pendant la saison basse. Par ailleurs, rester trop longtemps sur la place grise et propre située devant King’s Cross, suscitera à coup sûr le regard suspicieux d’un agent de sécurité privée : quelles sont les raisons de rester immobile ou assis, si ce n’est pas pour dépenser ? Or, c’est ce qu’on ressent parfois. Dans ces endroits et dans la plupart des endroits de nos jours, le corps commence à passer dans un état de manque, d’autant plus important que le temps passé depuis la dernière dépense est long.
Du plaisir
J’ai commencé par décrire certaines caractéristiques des cantines de magasins IKEA situés à l’extérieur de la ville et d’une de banlieues que j’ai récemment visitées à Reading et Croydon. Je n’ai aucune illusion sur la raison pour laquelle IKEA a des cantines dans ses magasins : ces derniers sont énormes et épuisants à arpenter. Fournir un certain confort et une alimentation abordable rend la visite supportable, voire très amusante. Ils utilisent leurs cantines pour montrer à quel point ils sont généreux, hospitaliers et socialement bienveillants : une vision vivante de ce qu’ils vous vendent. Dans les cantines IKEA, j’ai éprouvé énormément de plaisir en mangeant et m’asseyant, et j’ai remarqué que beaucoup d’autres personnes semblaient ressentir la même chose. J’ai essayé différents plats à trois occasions différentes : des boulettes de viande avec des frites et diverses sauces, une tarte sucrée, une salade de crevettes, des boulettes végétariennes avec du boulgour pilaf, un yaourt, quelques tranches de pain à l’ail, du cheesecake, du café, du sirop de fleurs de sureau, des bonbons acidulés. J’ai tout mangé et tout aimé, et j’aurais bien voulu goûter aussi certains plats du petit menu. Si un tel endroit existait en ville, j’irais tous les jours. C’est révélateur : bien qu’il n’y ait aucune cantine publique en ville (quel conseil municipal pourrait en effet se permettre de conserver une telle quantité d’immobilier après les coupes budgétaires ?), les Chambres du Parlement, elles, disposent de dix cantines.
L’idée que la restauration collective doive être dépourvue de plaisir est fausse. Le plaisir issu de la consommation d’un repas ou d’une boisson sans l’angoisse due à la restriction du temps, de l’espace et de l’argent peut avoir un immense effet bénéfique. Le plaisir issu d’une nourriture préparée à partir de boîtes de conserve et d’ingrédients surgelés peut aussi avoir un grand effet. Dans son livre How to Cook a Wolf (Comment cuisiner un loup), l’auteur de recettes américain du milieu du XXe siècle MFK Fisher aborde les vertus des légumes en conserve et surgelés et conçoit une recette de petits pois à la française avec des petits pois surgelés. De même, dans son livre The Food of Italy (La Cuisine d’Italie), Claudia Roden avoue toujours acheter ses cœurs d’artichauts surgelés pour ses recettes qui en utilisent, et Ruth Rogers, co-fondatrice de The River Café, prépare une sauce tomate pour ses invités en utilisant une conserve de tomates à partir d’une recette de Marcella Hazan. De la même façon, dans les cantines d’IKEA et dans beaucoup d’autres lieux dont j’aime la nourriture, les repas servis utilisent les avantages des innovations telles que la surgélation et la conserve pour en offrir un grand volume avec peu de gaspillage. Les légumes surgelés et en conserve sont récoltés au meilleur de leur saison, lorsqu’ils sont abondants et peu onéreux. On ne peut pas dire la même chose des fruits et légumes importés, qui restent verts des semaines après avoir été cueillis et pourrissent souvent sans jamais mûrir assez pour être comestibles. Comparez une tomate fraîche crue en janvier et une conserve de tomates cuites récoltées en août en Italie. Les tomates de la boîte sont moins chères, plus sucrées et délicieuses.
Se cacher
Durant la majeure partie de mon séjour à Londres ces dix dernières années, j’ai beaucoup rêvé d’une telle opulence et d’une telle hospitalité bien maîtrisées, et de cette générosité abordable et attirante, riche en calories que j’ai connue dans les cantines IKEA et dans certains autres endroits, tels que la cantine de l’auberge de jeunesse indienne, à Fitzrovia, la cantine du Muslim World League, rue Charlotte, les McDonald’s où qu’ils soient, les funérailles tamoules et leur repas fourni par un traiteur pouvant servir de « 10 à 10 000 » personnes, ou les cantines universitaires. Par exemple, j’ai aspiré à l’hospitalité d’une cantine chaleureuse les centaines de fois où j’étais assise sur le sol glacial de la British Library pour manger mon repas fait maison avec des couverts en plastique volés, ou quand j’ai rassemblé tout mon courage pour acheter un thé et oser manger, pleine de honte, ma propre nourriture dans le restaurant de la bibliothèque, assise sous le panneau indiquant clairement que les sièges sont réservés aux usagers de la bibliothèque.
La dissimulation de son corps et de sa pauvreté est devenue une composante de la survie londonienne. J’ai caché des sandwiches ou me suis moi-même cachée là où j’aurais dû consommer pour avoir le droit de m’asseoir, et ce, partout dans la ville. Pas vous ? L’été dernier, une femme s’est approchée de moi nerveusement alors que j’étais en train de manger un cheeseburger au McDonald situé près de la British Library, pour me demander les jetons de ma tasse de café et en avoir un gratuit. Je l’ai alors vue y vider de nombreux sachets de sucre gratuits, geste nécessaire pour compléter un apport calorique suffisant pour la maintenir en vie un jour de plus : un marché noir de sachets de sucre, qui ternit l’image de Londres en tant que destination gastronomique. J’ai vu des queues à l’entrée des banques alimentaires et l’arrivée des boîtes de dons de nourriture à la sortie des supermarchés. Le gouvernement permet à une réelle famine de se répandre sans lever le petit doigt. Les rues de la ville ne reconnaissent plus le fonctionnement perpétuel du ventre et de la vessie comme faisant partie intégrante de la vie de chaque humain. Les Victoriens y faisaient attention, alors même qu’ils ne reconnaissaient pas le droit de vote des femmes, et leurs toilettes souterraines sont devenues des cafés sans sanitaires. J’ai vécu récemment un émouvant moment d’hospitalité (Xenia) après avoir frappé à la porte d’un préposé au nettoyage de toilettes publiques à Peterborough : il m’a laissé passer sans me poser aucune question, alors même que je n’avais pas les 20 pence demandés. De tels moments de résistance sont rassurants et montrent une volonté de trouver une alternative au délabrement de l’hospitalité municipale qui définit de plus en plus l’espace public.
Les « Restaurants britanniques »
En voyant un livre que j’avais en main, mais que je n’avais pas encore lu, intitulé Tranche de vie, la façon de manger britannique depuis 1945, une agente de sécurité de la British Library m’a expliqué qu’elle connaissait l’hospitalité populaire et les cantines pour tous – à l’inverse de celle où elle travaillait actuellement. « Ce livre doit donc parler des Restaurants britanniques », a-t-elle dit. Je lui ai répondu « Qu’est-ce que c’est ? ». Elle m’a répondu que pendant et après la guerre, avec le manque de nourriture dû au rationnement, le gouvernement avait mis en place des « Restaurants britanniques » pour servir un plat chaud à prix bas pour chacun, afin que les gens puissent manger des choses comme de la semoule ou du ragoût dont elle ne se souvenait que de l’odeur. C’était dans les années 50 ou 60. Ces restaurants étaient destinés aux travailleurs, aux gens ordinaires et aux enfants, a-t-elle ajouté. Elle y allait souvent quand elle était à l’école à Red Hill, dans le Surrey. Puis ils ont disparu avant qu’elle n’aille au lycée.
Elle confirma que la nourriture n’était pas mauvaise et qu’elle était vraiment très abordable. Elle était très enthousiaste en me parlant des « Restaurants britanniques » ; elle en avait conservé un souvenir ému.
J’ai essayé d’imaginer un restaurant britannique aujourd’hui, un programme soutenu par le gouvernement pour s’assurer que chaque bénéficiaire puisse être nourri, comme s’il s’agissait d’une grande cause nationale. Je n’ai pas pu. Quand j’ai parlé à l’agente de sécurité, j’ai découvert que si le restaurant de la British Library continue à servir du café filtre, son offre la moins chère, le nouveau fournisseur (le troisième en dix ans, car aucune entreprise privée ne s’en sort) n’en fait plus la publicité et se contente d’afficher le prix des cafés les plus chers, à côté des 17 livres (environ 20 euros) pour les plats chauds et des 5 livres (environ 5,60 euros) pour les gâteaux. Le café filtre a disparu depuis.
Puis j’ai regardé dans mon livre et découvert que les « Restaurants britanniques » servaient des repas équilibrés (conformément aux connaissances scientifiques de l’époque) et avaient des bibliothèques, des fleurs fraîches sur les tables, des gramophones et des pianos. J’avais l’impression de découvrir une vision utopique du futur, un peu comme dans un film de science-fiction. Des recherches dans les archives du Mass Observation montrent de nombreux entretiens avec des personnes ravies d’être rassasiées par des plats chauds. En 1950, 50 millions de repas étaient servis chaque semaine. Lord Woolton, le ministre conservateur de l’alimentation, qui avait demandé à un de ses amis socialistes de concevoir des cantines subventionnées par l’État, les a considérées comme « l’une des plus grandes révolutions sociales dans l’industrie du pays ». Des discussions ont eu lieu au Parlement sur la façon dont ces cantines produisaient une étonnante amélioration du bien-être des travailleurs.
Après la guerre, les conservateurs les ont closes parce qu’elles n’étaient pas rentables. Les cantines ont périclité, puis ont fini par disparaître. Aujourd’hui, les déserts alimentaires et les banques alimentaires prolifèrent, et les gens ne peuvent plus se nourrir suffisamment pour vivre. C’est une étrange situation : alors que la pauvreté alimentaire apparaît, nous oublions que par le passé nous faisions des cantines populaires. Le souvenir de la guerre que l’on entretient est celui du rationnement, du manque alors que pour beaucoup de gens, il n’y avait jamais eu autant de nourriture chaude et rassasiante.
Un siège, une table, un verre d’eau, une assiette de nourriture qui tient au corps pour un bon moment ; l’espace et le temps dans lequel s’épanouir.
Je rêve de cantines.
Nous sommes déjà des cyborgs mais nous pouvons reprendre le contrôle
Avec un certain sens de la formule, Aral Balkan allie la sévérité des critiques et l’audace des propositions. Selon lui nos corps « augmentés » depuis longtemps font de nous des sujets de la surveillance généralisée maintenant que nos vies sont sous l’emprise démultipliée du numérique.
Selon lui, il nous reste cependant des perspectives et des pistes pour retrouver la maîtrise de notre « soi », mais elles impliquent, comme on le devine bien, une remise en cause politique de nos rapports aux GAFAM, une tout autre stratégie d’incitation aux entreprises du numérique de la part de la Communauté européenne, le financement d’alternatives éthiques, etc.
Ce qui suit est la version française d’un article qu’a écrit Aral pour le numéro 32 du magazine de la Kulturstiftung des Bundes (Fondation pour la culture de la République fédérale d’Allemagne). Vous pouvez également lire la version allemande.
Traduction Framalang : goofy, jums, Fifi, MO, FranBAG, Radical Mass
L’esclavage 2.0 et comment y échapper : guide pratique pour les cyborgs.
par Aral Balkan
Il est très probable que vous soyez un cyborg et que vous ne le sachiez même pas.
Vous avez un smartphone ?
Vous êtes un cyborg.
Vous utilisez un ordinateur ? Ou le Web ?
Cyborg !
En règle générale, si vous utilisez une technologie numérique et connectée aujourd’hui, vous êtes un cyborg. Pas besoin de vous faire greffer des microprocesseurs, ni de ressembler à Robocop. Vous êtes un cyborg parce qu’en utilisant des technologies vous augmentez vos capacités biologiques.
À la lecture de cette définition, vous pourriez marquer un temps d’arrêt : « Mais attendez, les êtres humains font ça depuis bien avant l’arrivée des technologies numériques ». Et vous auriez raison.
Nous étions des cyborgs bien avant que le premier bug ne vienne se glisser dans le premier tube électronique à vide du premier ordinateur central.
L’homme des cavernes qui brandissait une lance et allumait un feu était le cyborg originel. Galilée contemplant les cieux avec son télescope était à la fois un homme de la Renaissance et un cyborg. Lorsque vous mettez vos lentilles de contact le matin, vous êtes un cyborg.
Tout au long de notre histoire en tant qu’espèce, la technologie a amélioré nos sens. Elle nous a permis une meilleure maîtrise et un meilleur contrôle sur nos propres vies et sur le monde qui nous entoure. Mais la technologie a tout autant été utilisée pour nous opprimer et nous exploiter, comme peut en témoigner quiconque a vu un jour de près le canon du fusil de l’oppresseur.
« La technologie », d’après la première loi de la technologie de Melvin Kranzberg, « n’est ni bonne ni mauvaise, mais elle n’est pas neutre non plus. »
Qu’est-ce qui détermine alors si la technologie améliore notre bien-être, les droits humains et la démocratie ou bien les dégrade ? Qu’est-ce qui distingue les bonnes technologies des mauvaises ? Et, tant qu’on y est, qu’est-ce qui différencie la lunette de Galilée et vos lentilles de contact Google et Facebook ? Et en quoi est-ce important de se considérer ou non comme des cyborgs ?
Nous devons tous essayer de bien appréhender les réponses à ces questions. Sinon, le prix à payer pourrait être très élevé. Il ne s’agit pas de simples questions technologiques. Il s’agit de questions cruciales sur ce que signifie être une personne à l’ère du numérique et des réseaux. La façon dont nous choisirons d’y répondre aura un impact fondamental sur notre bien-être, tant individuellement que collectivement. Les réponses que nous choisirons détermineront la nature de nos sociétés, et à long terme pourraient influencer la survie de notre espèce.
Propriété et maîtrise du « soi » à l’ère numérique et connectée
Imaginez : vous êtes dans un monde où on vous attribue dès la naissance un appareil qui vous observe, vous écoute et vous suit dès cet instant. Et qui peut aussi lire vos pensées.
Au fil des ans, cet appareil enregistre la moindre de vos réflexions, chaque mot, chaque mouvement et chaque échange. Il envoie toutes ces informations vous concernant à un puissant ordinateur central appartenant à une multinationale. À partir de là, les multiples facettes de votre personnalité sont collectionnées par des algorithmes pour créer un avatar numérique de votre personne. La multinationale utilise votre avatar comme substitut numérique pour manipuler votre comportement.
Votre avatar numérique a une valeur inestimable. C’est tout ce qui fait de vous qui vous êtes (à l’exception de votre corps de chair et d’os). La multinationale se rend compte qu’elle n’a pas besoin de disposer de votre corps pour vous posséder. Les esprits critiques appellent ce système l’Esclavage 2.0.
À longueur de journée, la multinationale fait subir des tests à votre avatar. Qu’est-ce que vous aimez ? Qu’est-ce qui vous rend heureux ? Ou triste ? Qu’est-ce qui vous fait peur ? Qui aimez-vous ? Qu’allez-vous faire cet après-midi ? Elle utilise les déductions de ces tests pour vous amener à faire ce qu’elle veut. Par exemple, acheter cette nouvelle robe ou alors voter pour telle personnalité politique.
La multinationale a une politique. Elle doit continuer à survivre, croître et prospérer. Elle ne peut pas être gênée par des lois. Elle doit influencer le débat politique. Heureusement, chacun des politiciens actuels a reçu le même appareil que vous à la naissance. Ainsi, la multinationale dispose aussi de leur avatar numérique, ce qui l’aide beaucoup à parvenir à ses fins.
Ceci étant dit, la multinationale n’est pas infaillible. Elle peut toujours faire des erreurs. Elle pourrait de façon erronée déduire, d’après vos pensées, paroles et actions, que vous êtes un terroriste alors que ce n’est pas le cas. Quand la multinationale tombe juste, votre avatar numérique est un outil d’une valeur incalculable pour influencer votre comportement. Et quand elle se plante, ça peut vous valoir la prison.
Dans les deux cas, c’est vous qui perdez !
Ça ressemble à de la science-fiction cyberpunk dystopique, non ?
Remplacez « multinationale » par « Silicon Valley ». Remplacez « puissant ordinateur central » par « cloud ». Remplacez « appareil » par « votre smartphone, l’assistant de votre smart home, votre smart city et votre smart ceci-cela, etc. ».
Bienvenue sur Terre, de nos jours ou à peu près.
Le capitalisme de surveillance
Nous vivons dans un monde où une poignée de multinationales ont un accès illimité et continu aux détails les plus intimes de nos vies. Leurs appareils, qui nous observent, nous écoutent et nous pistent, que nous portons sur nous, dans nos maisons, sur le Web et (de plus en plus) sur nos trottoirs et dans nos rues. Ce ne sont pas des outils dont nous sommes maîtres. Ce sont les yeux et les oreilles d’un système socio-techno-économique que Shoshana Zuboff appelle « le capitalisme de surveillance ».
Tout comme dans notre fiction cyberpunk dystopique, les barons voleurs de la Silicon Valley ne se contentent pas de regarder et d’écouter. Par exemple, Facebook a annoncé à sa conférence de développeurs en 2017 qu’ils avaient attelé 60 ingénieurs à littéralement lire dans votre esprit4.
J’ai demandé plus haut ce qui sépare la lunette de Galilée de vos lentilles de contact produites par Facebook, Google ou d’autres capitalistes de surveillance. Comprendre la réponse à cette question est crucial pour saisir à quel point le concept même de personnalité est menacé par le capitalisme de surveillance.
Lorsque Galilée utilisait son télescope, lui seul voyait ce qu’il voyait et lui seul savait ce qu’il regardait. Il en va de même lorsque vous portez vos lentilles de contact. Si Galilée avait acheté son télescope chez Facebook, Facebook Inc. aurait enregistré tout ce qu’il voyait. De manière analogue, si vous allez achetez vos lentilles de contact chez Google, des caméras y seront intégrées et Alphabet Inc. verra tout ce que vous voyez. (Google ne fabrique pas encore de telles lentilles, mais a déposé un brevet5 pour les protéger. En attendant, si vous êtes impatient, Snapchat fait des lunettes à caméras intégrées.)
Lorsque vous rédigez votre journal intime au crayon, ni le crayon ni votre journal ne savent ce que vous avez écrit. Lorsque vous écrivez vos réflexions dans des Google Docs, Google en connaît chaque mot.
Quand vous envoyez une lettre à un ami par courrier postal, la Poste ne sait pas ce que vous avez écrit. C’est un délit pour un tiers d’ouvrir votre enveloppe. Quand vous postez un message instantané sur Facebook Messenger, Facebook en connaît chaque mot.
Si vous vous identifiez sur Google Play avec votre smartphone Android, chacun de vos mouvements et de vos échanges sera méticuleusement répertorié, envoyé à Google, enregistré pour toujours, analysé et utilisé contre vous au tribunal du capitalisme de surveillance.
On avait l’habitude de lire les journaux. Aujourd’hui, ce sont eux qui nous lisent. Quand vous regardez YouTube, YouTube vous regarde aussi.
Vous voyez l’idée.
À moins que nous (en tant qu’individus) n’ayons notre technologie sous contrôle, alors « smart » n’est qu’un euphémisme pour « surveillance ». Un smartphone est un mouchard, une maison intelligente est une salle d’interrogatoire et une ville intelligente est un dispositif panoptique.
Google, Facebook et les autres capitalistes de surveillance sont des fermes industrielles pour êtres humains. Ils gagnent des milliards en vous mettant en batterie pour vous faire pondre des données et exploitent cette connaissance de votre intimité pour vous manipuler votre comportement.
Ce sont des scanners d’être humains. Ils ont pour vocation de vous numériser, de conserver cette copie numérique et de l’utiliser comme avatar pour gagner encore plus en taille et en puissance.
Nous devons comprendre que ces multinationales ne sont pas des anomalies. Elles sont la norme. Elles sont le courant dominant. Le courant dominant de la technologie aujourd’hui est un débordement toxique du capitalisme américain de connivence qui menace d’engloutir toute la planète. Nous ne sommes pas vraiment à l’abri de ses retombées ici en Europe.
Nos politiciens se laissent facilement envoûter par les millions dépensés par ces multinationales pour abreuver les lobbies de Bruxelles. Ils sont charmés par la sagesse de la Singularity University (qui n’est pas une université). Et pendant ce temps-là, nos écoles entassent des Chromebooks pour nos enfants. On baisse nos taxes, pour ne pas handicaper indûment les capitalistes de surveillance, au cas où ils voudraient se commander une autre Guinness. Et les penseurs de nos politiques, institutionnellement corrompus, sont trop occupés à organiser des conférences sur la protection des données – dont les allocutions sont rédigées par Google et Facebook – pour protéger nos intérêts. Je le sais car j’ai participé à l’une d’elles l’an passé. L’orateur de Facebook quittait tout juste son boulot à la CNIL, la commission française chargée de la protection des données, réputée pour la beauté et l’efficacité de ses chaises musicales.
Il faut que ça change.
Je suis de plus en plus convaincu que si un changement doit venir, il viendra de l’Europe.
La Silicon Valley ne va pas résoudre le problème qu’elle a créé. Principalement parce que des entreprises comme Google ou Facebook ne voient pas leurs milliards de bénéfices comme un problème. Le capitalisme de surveillance n’est pas déstabilisé par ses propres critères de succès. Ça va comme sur des roulettes pour les entreprises comme Google et Facebook. Elles se marrent bien en allant à la banque, riant au visage des législateurs, dont les amendes cocasses excèdent à peine un jour ou deux de leur revenu. D’aucuns diraient que « passible d’amende » signifie « légal pour les riches ». C’est peu de le dire lorsqu’il s’agit de réglementer des multinationales qui brassent des milliers de milliards de dollars.
De manière analogue, le capital-risque ne va pas investir dans des solutions qui mettraient à mal le business immensément lucratif qu’il a contribué à financer.
Alors quand vous voyez passer des projets comme le soi-disant Center for Humane Technology, avec des investisseurs-risques et des ex-employés de Google aux commandes, posez-vous quelques questions. Et gardez-en quelques-unes pour les organisations qui prétendent créer des alternatives éthiques alors qu’elles sont financées par les acteurs du capitalisme de surveillance. Mozilla, par exemple, accepte chaque année des centaines de millions de dollars de Google6. Au total, elle les a délestés de plus d’un milliard de dollars. Vous êtes content de lui confier la réalisation d’alternatives éthiques ?
Si nous voulons tracer une autre voie en Europe, il faut financer et bâtir notre technologie autrement. Ayons le courage de nous éloigner de nos amis d’outre-Atlantique. Ayons l’aplomb de dire à la Silicon Valley et à ses lobbyistes que nous n’achetons pas ce qu’ils vendent.
Et nous devons asseoir tout ceci sur de solides fondations légales en matière de droits de l’homme. J’ai dit « droits de l’homme » ? Je voulais dire droits des cyborgs.
Les droits des cyborgs sont des droits de l’homme
La crise juridique des droits de l’homme que nous rencontrons nous ramène au fond à ce que nous appelons « humain ».
Traditionnellement, on trace les limites de la personne humaine à nos frontières biologiques. En outre, notre système légal et judiciaire tend à protéger l’intégrité de ces frontières et, par là, la dignité de la personne. Nous appelons ce système le droit international des droits de l’Homme.
Malheureusement, la définition de la personne n’est plus adaptée pour nous protéger complètement à l’ère du numérique et des réseaux.
Dans cette nouvelle ère, nous étendons nos capacités biologiques par des technologies numériques et en réseau. Nous prolongeons nos intellects et nos personnes par la technologie moderne. C’est pour ça que nous devons étendre notre concept des limites de la personne jusqu’à inclure les technologies qui nous prolongent. En étendant la définition de la personne, on s’assure que les droits de l’homme couvrent et donc protègent la personne dans son ensemble à l’ère du numérique et des réseaux.
En tant que cyborgs, nous sommes des êtres fragmentaires. Des parties de nous vivent dans nos téléphones, d’autres quelque part sur un serveur, d’autres dans un PC portable. C’est la somme totale de tous ces fragments qui compose l’intégralité de la personne à l’ère du numérique et des réseaux.
Les droits des cyborgs sont donc les droits de l’homme tels qu’appliqués à la personne cybernétique. Ce dont nous n’avons pas besoin, c’est d’un ensemble de « droits numériques » – probablement revus à la baisse. C’est pourquoi, la Déclaration universelle des droits cybernétiques n’est pas un document autonome, mais un addendum à la Déclaration universelle des droits de l’Homme.
La protection constitutionnelle des droits cybernétiques étant un but à long terme, il ne faut pas attendre un changement constitutionnel pour agir. Nous pouvons et devons commencer à nous protéger en créant des alternatives éthiques aux technologies grand public.
Pour des technologies éthiques
Une technologie éthique est un outil que vous possédez et que vous contrôlez. C’est un outil conçu pour vous rendre la vie plus facile et plus clémente. C’est un outil qui renforce vos capacités et améliore votre vie. C’est un outil qui agit dans votre intérêt – et jamais à votre détriment.
Une technologie non éthique est au contraire un outil aux mains de multinationales et de gouvernements. Elle sert leurs intérêts aux dépens des vôtres. C’est un miroir aux alouettes conçu pour capter votre attention, vous rendre dépendant, pister chacun de vos mouvements et vous profiler. C’est une ferme industrielle déguisée en parc récréatif.
La technologie non éthique est nuisible pour les êtres humains, le bien-être et la démocratie.
Semer de meilleures graines
La technologie éthique ne pousse pas sur des arbres, il faut la financer. La façon de la financer a de l’importance.
La technologie non éthique est financée par le capital risque. Le capital risque n’investit pas dans une entreprise, il investit dans la vente de l’entreprise. Il investit aussi dans des affaires très risquées. Un investisseur risque de la Silicon Valley va investir, disons, 5 millions de dollars dans 10 start-ups différentes, en sachant que 9 d’entre elles vont capoter. Alors il (c’est habituellement un « lui/il ») a besoin que la 10e soit une licorne à un milliard de dollars pour que ça lui rapporte 5 à 10 fois l’argent investi (Ce n’est même pas son argent, mais celui de ses clients.). Le seul modèle d’affaires que nous connaissions dans les nouvelles technologies qui atteigne une croissance pareille est la mise en batterie des gens. L’esclavage a bien payé.
L’esclavage 2.0 paie bien aussi.
Pas étonnant qu’un système qui attache autant de valeur à un mode de croissance de type prolifération cancéreuse ait engendré des tumeurs telles que Google et Facebook. Ce qui est stupéfiant, c’est que nous semblions célébrer ces tumeurs au lieu de soigner le patient. Et plus déconcertant encore, nous nous montrons obstinément déterminés à nous inoculer la même maladie ici en Europe.
Changeons de direction.
Finançons des alternatives éthiques
À partir des biens communs
Pour le bien commun.
Oui, cela signifie avec nos impôts. C’est en quelque sorte ce pour quoi ils existent (pour mettre en place des infrastructures partagées et destinées au bien commun qui font progresser le bien-être de nos populations et nos sociétés). Si le mot « impôt » vous effraie ou sonne trop vieux jeu, remplacez-le simplement par « financement participatif obligatoire » ou « philanthropie démocratisée ».
Financer une technologie éthique à partir des biens communs ne signifie pas que nous laissions aux gouvernements le pouvoir de concevoir, posséder ou contrôler nos technologies. Pas plus que de nationaliser des entreprises comme Google et Facebook. Démantelons-les ! Bien sûr. Régulons-les ! Évidemment. Mettons en œuvre absolument tout ce qui est susceptible de limiter autant que possible leurs abus.
Ne remplaçons pas un Big Brother par un autre.
À l’inverse, investissons dans de nombreuses et petites organisations, indépendantes et sans but lucratif, et chargeons-les de concevoir les alternatives éthiques. Dans le même temps, mettons-les en compétition les unes avec les autres. Prenons ce que nous savons qui fonctionne dans la Silicon Valley (de petites organisations travaillant de manière itérative, entrant en compétition, et qui échouent rapidement) et retirons ce qui y est toxique : le capital risque, la croissance exponentielle, et les sorties de capitaux.
À la place des startups, lançons des entreprises durables, des stayups en Europe.
À la place de sociétés qui n’ont comme possibilités que d’échouer vite ou devenir des tumeurs malignes, finançons des organisations qui ne pourront qu’échouer vite ou devenir des fournisseurs durables de bien social.
Lorsque j’ai fait part de ce projet au Parlement européen, il y a plusieurs années, celui-ci a fait la sourde oreille. Il n’est pas encore trop tard pour s’y mettre. Mais à chaque fois que nous repoussons l’échéance, le capitalisme de surveillance s’enchevêtre plus profondément encore dans le tissu de nos vies.
Nous devons surmonter ce manque d’imagination et fonder notre infrastructure technologique sur les meilleurs principes que l’humanité ait établis : les droits de l’homme, la justice sociale et la démocratie.
Aujourd’hui, l’UE se comporte comme un département de recherche et développement bénévole pour la Silicon Valley. Nous finançons des startups qui, si elles sont performantes, seront vendues à des sociétés de la Silicon Valley. Si elles échouent, le contribuable européen réglera la note. C’est de la folie.
La Communauté Européenne doit mettre fin au financement des startups et au contraire investir dans les stayups. Qu’elle investisse 5 millions d’euros dans dix entreprises durables pour chaque secteur où nous voulons des alternatives éthiques. À la différence des startups, lorsque les entreprises durables sont performantes, elles ne nous échappent pas. Elles ne peuvent être achetées par Google ou Facebook. Elles restent des entités non lucratives, soutenables, européennes, œuvrant à produire de la technologie en tant que bien social.
En outre, le financement d’une entreprise durable doit être soumis à une spécification stricte sur la nature de la technologie qu’elle va concevoir. Les biens produits grâce aux financements publics doivent être des biens publics. La Free Software Foundation Europe sensibilise actuellement l’opinion sur ces problématiques à travers sa campagne « argent public, code public ». Cependant, nous devons aller au-delà de l’open source pour stipuler que la technologie créée par des entreprises durables doit être non seulement dans le domaine public, mais également qu’elle ne peut en être retirée. Dans le cas des logiciels et du matériel, cela signifie l’utilisation de licences copyleft. Une licence copyleft implique que si vous créez à partir d’une technologie publique, vous avez l’obligation de la partager à l’identique. Les licences share-alike, de partage à l’identique, sont essentielles pour que nos efforts ne soient pas récupérés pour enjoliver la privatisation et pour éviter une tragédie des communs. Des corporations aux poches sans fond ne devraient jamais avoir la possibilité de prendre ce que nous créons avec des deniers publics, habiller tout ça de quelques millions d’investissement et ne plus partager le résultat amélioré.
En fin de compte, il faut préciser que les technologies produites par des entreprises stayups sont des technologies pair-à-pair. Vos données doivent rester sur des appareils que vous possédez et contrôlez. Et lorsque vous communiquez, vous devez le faire en direct (sans intervention d’un « homme du milieu », comme Google ou Facebook). Là où ce n’est techniquement pas possible, toute donnée privée sous le contrôle d’une tierce partie (par exemple un hébergeur web) doit être chiffrée de bout à bout et vous seul devriez en détenir la clé d’accès.
Même sans le moindre investissement significatif dans la technologie éthique, de petits groupes travaillent déjà à des alternatives. Mastodon, une alternative à Twitter fédérée et éthique, a été créée par une seule personne d’à peine vingt ans. Quelques personnes ont collaboré pour créer un projet du nom de Dat qui pourrait être la base d’un web décentralisé. Depuis plus de dix ans, des bénévoles font tourner un système de nom de domaine alternatif non commercial appelé OpenNIC7 qui pourrait permettre à chacun d’avoir sa propre place sur le Web…
Si ces graines germent sans la moindre assistance, imaginez ce qui serait à notre portée si on commençait réellement à les arroser et à en planter de nouvelles. En investissant dans des stayups, nous pouvons entamer un virage fondamental vers la technologie éthique en Europe.
Nous pouvons construire un pont de là où nous sommes vers là où nous voulons aller.
D’un monde où les multinationales nous possèdent par procuration à un monde où nous n’appartenons qu’à nous-mêmes.
D’un monde où nous finissons toujours par être la propriété d’autrui à un monde où nous demeurons des personnes en tant que telles.
Du capitalisme de surveillance à la pairocratie.
3 questions à Marie-Cécile Godwin Paccard de la #TeamMobilizon
Marie-Cécile Godwin Paccard est designer indépendante et chercheuse UX. Elle accompagne des personnes et des organisations dans la définition de leurs fondamentaux et objectifs, en apportant un regard systémique. Elle s’occupe de comprendre les usages en profondeur et de concevoir des outils utilisables, éthiques et inclusifs. Elle fait partie de l’équipe qui travaille sur le logiciel Mobilizon. Nous lui avons posé 3 questions pour qu’elle nous explique son rôle sur le projet.
Bonjour Marie-Cécile ! Vous avez accompagné le projet Mobilizon, afin que celui-ci corresponde, dès sa conception, aux besoins et usages des personnes qui sont vouées à l’utiliser. Pouvez-vous nous expliquer en quoi il est particulièrement important pour ce projet de prendre en compte les besoins et attentes des futur⋅es utilisateur⋅ices ?
Bonjour à toute l’équipe ! Étudier les besoins et les usages, c’est essentiel si l’on veut concevoir un logiciel, un service ou même un objet qui soit utilisable, et donc utilisé. Mobilizon a pour ambition de permettre aux personnes de s’organiser et de se rassembler, et de leur donner le pouvoir de le faire librement et respectueusement. Rien de mieux pour commencer à parler « usages » dès le début de la réflexion autour du projet ! Toute l’équipe qui travaille sur Mobilizon a le souhait que les communautés existantes s’en emparent et que de nouvelles communautés s’y créent. On ne pourra pas atteindre cet objectif si on ne fait pas l’effort d’aller à la rencontre des personnes pour comprendre ce dont elles ont besoin, quels problèmes elles rencontrent et comment elles ont fait pour y pallier jusqu’à présent.
Quand on conçoit des choses destinées à être utilisées par d’autres personnes, il est très important de ne pas se contenter de nos propres suppositions, croyances ou idées fixes et d’ouvrir notre esprit à la perception et à l’expérience d’autres personnes. Une courte phase de recherche en usages peut donner des résultats rapides et précieux et permettre d’identifier très en amont des problématiques et des objectifs auxquels on n’avait pas forcément pensé et qui vont nous aider à questionner nos présupposés de départ.
Quelle a été votre démarche pour recueillir la parole de ces utilisateur⋅ices (ou communautés) ?
D’abord, nous avons passé un temps de réflexion ensemble à bien cadrer le projet, ses ambitions, mais aussi ses implications politiques (car TOUT est politique, surtout dans le design et le logiciel, qui plus est libre !) et comment Mobilizon s’inscrivait dans la mission de Framasoft. Nous avons fait le point sur les plateformes d’organisation existantes et ce qu’elles engendraient comme problèmes qui empêchaient les gens de s’organiser librement. J’ai ensuite proposé un plan de recherche à l’équipe, pour bien définir ce vers quoi nous allions orienter la phase de recherche. Nous avons lancé une première enquête en ligne, qui a recueilli pas loin de 300 réponses. Dans cette enquête, nous demandions aux personnes répondantes comment elles s’organisaient en général pour se rassembler à l’aide des plateformes numériques, soit en tant qu’invitées, soit en tant qu’organisatrices elles-mêmes. Nous avons recueilli des informations précieuses sur les problèmes qu’elles pouvaient rencontrer, et pourquoi elles utilisaient ou pas tel ou tel outil numérique pour le faire.
Dans un deuxième temps, nous avons défini des typologies de communautés à qui nous souhaitions nous adresser. À nouveau, il fallait partir des usages : des communautés très grandes avec différents niveaux d’organisation qui créent des rassemblements publics, des communautés spécialisées qui organisent des événements thématiques, des organisations qui souhaitent assurer respect de la vie privée à elles et aux personnes qui participent à leurs événements, etc. Je suis ensuite partie à la recherche de personnes qui correspondaient à ces cas d’usages pour leur poser des questions sur leur manière de s’organiser. On ne parle pas encore de logiciel, de code ou de graphisme à ce point : on se focalise encore et toujours sur les usages, sur la réalité de l’organisation d’événements et aux problèmes bien concrets qui se posent aux personnes qui les mettent en place.
Comment ces éléments alimentent-ils la réflexion sur les fonctionnalités de Mobilizon ?
Une fois que la phase de recherche est bouclée, il est temps de tirer des conclusions sur les données recueillies. Quelle est la réalité des usages des personnes et comment concevoir un logiciel qui ira dans leur sens ? On va ensuite arbitrer nos décisions avec ces données.
Certaines choses parlent tout de suite d’elles-mêmes : si je me rends compte à travers quasiment tous les entretiens qu’une problématique revient tout le temps, cela veut dire qu’il faut la garder en tête tout au long de la conception et du développement et trouver la meilleure manière d’y répondre. Certes, il y a des problèmes très humains que Mobilizon ne pourra pas résoudre, par exemple les « no-show », les personnes qui indiquent qu’elles participeront à l’événement mais finissent par ne pas venir. Même si l’on a pas de solution logicielle pour résoudre ce souci, comprendre pourquoi il embête les organisateurs et organisatrices permet de prendre de meilleures décisions par la suite.
Mobilizon ne pourra pas être « one-size-fits-all » (taille unique). Seront couvertes en priorité les fonctionnalités que nous pensons indispensables aux petites communautés qui n’ont pas les moyens techniques de se rassembler ailleurs. On ne remplacera pas un Mattermost ou un WhatsApp, et on n’aura jamais la même force de frappe que Facebook. Mais Mobilizon proposera les fonctionnalités essentielles pour que les communautés les plus exposées au capitalisme de surveillance puissent migrer hors de Facebook, mais ne pourra pas remplacer les centaines de pads imbriqués ou les conversations vocales de Discord à plus de 30 personnes !
En ce moment, je suis en train de concevoir le « back office » de Mobilizon, et toute l’articulation de la « tuyauterie » qui va permettre de créer un événement, un groupe, d’inviter des personnes dans ledit groupe pour s’organiser en amont de l’événement, de définir les différentes identités avec lesquelles on pourra dire que l’on participe à un événement en cloisonnant son activité, de modérer les participations ou les questions et commentaires…
Avec le reste de l’équipe, nous nous posons également plein de questions sur la manière dont Mobilizon va accompagner les personnes dans la compréhension des principes de la fédération et des instances. Le but est de nous assurer que dans tous les cas, la personne qui souhaite utiliser une instance Mobilizon pour créer un événement sur le web accède simplement aux tenants et aboutissants de tel ou tel choix, pour prendre la décision qui lui convient le mieux. Cela va se traduire dans plein d’aspects de la conception du logiciel : comment va se dérouler l’inscription (« on boarding »), quels éléments vont permettre de comprendre le principe des instances dans le texte et dans l’interface, etc.
Pour en savoir plus sur le logiciel Mobilizon, c’est sur https://joinmobilizon.org/. Vous pouvez aussi vous inscrire à la newsletter Mobilizon pour recevoir les informations sur l’évolution du logiciel.