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Wikipédia et éducation : un exemple de réconciliation 2/6

Cet article fait partie du dossier Wikipédia et éducation : un exemple de réconciliation.

C’est la traduction du témoignage de l’enseignant qui est ici présentée.

Copie d'écran - Wikipédia - Jon Beasley-Murray

Introduction de Wikipédia dans les salles de classe : le loup est-il dans la bergerie ?

Was introducing Wikipedia to the classroom an act of madness leading only to mayhem if not murder?

Jon Beasley-Murray – avril 2008 – Wikipédia
(Traduction Framalang : Olivier)

Réflexions sur l’utilisation de Wikipédia dans le cadre du cours SPAN312 à l’Université de la Colombie Britannique, « Murder, Madness, and Mayhem: Latin American Literature in Translation » (NdT : « Meurtre, Folie et Chaos : la littérature latino-américaine en mouvement »), printemps 2008.

Wikipédia : mal aimée mais omniprésente dans l’éducation

Tel un membre non invité, Wikipédia s’aventure aujourd’hui très près du monde universitaire. Les objectifs de Wikipédia sont éminemment académiques : l’encyclopédie se focalise sur la collecte, le traitement, l’enregistrement et la transmission du savoir. À en juger par le nombre d’articles et de lecteurs, elle a particulièrement bien réussi à encourager une culture de curiosité intellectuelle. Elle est pourtant régulièrement sujette aux critiques formulées par les universitaires eux-mêmes.

Et pourtant tout le monde en fait usage d’une manière ou d’une autre, même si c’est difficile à admettre. Et surtout, nos étudiants l’utilisent, ouvertement ou non (puisqu’on leur impose souvent de ne pas citer les articles de Wikipédia dans leurs travaux), mais sans nécessairement en connaître véritablement le fonctionnement. On leur dit que l’usage de Wikipédia n’est pas conseillé, mais on leur dit rarement pourquoi, alors qu’eux la voient comme une ressource incroyablement utile.

La consigne : créer un « Article de Qualité »

J’ai décidé de faire de Wikipédia un axe central d’une matière que j’enseignais, en pensant que c’est seulement en y contribuant activement que les élèves découvriraient ses points faibles et ses points forts. J’avais aussi en tête l’idée qu’ils pourraient par la même occasion améliorer les articles dans un domaine qui à mes yeux manquait cruellement de contenu, en l’occurrence la littérature latino-américaine.

Wikipédia devait être un point important du cours mais sans en être pour autant l’essentiel. Ce n’était pas un cours sur Wikipédia mais, comme mes autres cours, il devait plutôt se concentrer sur l’Amérique Latine ainsi que sur la lecture d’un corpus de textes littéraires d’Amérique Latine. Dans ce cours intitulé « Murder, Madness, and Mayhem » (NdT : Meurtre, Folie et Chaos), les textes choisis comportaient une série de romans sur la dictature de la période du dix-neuvième siècle avec l’argentin Domingo Faustino Sarmiento jusqu’à l’époque contemporaine avec certains des auteurs d’Amérique Latine les plus en vue comme Gabriel García Márquez et Mario Vargas Llosa. Ces livres n’étant ni simples ni courts, les étudiants devaient passer une bonne partie de leur temps personnel à la lecture, la majeure partie du temps en classe étant consacrée aux explications et à la discussion.

Wikipédia n’était que peu abordé durant les cours. La tâche qui leur était assignée était plutôt d’éditer (ou, dans deux cas, de créer), en groupe, les articles de Wikipédia se rapportant aux œuvres et aux auteurs étudiés. Au cours de la session ils devaient réussir à faire obtenir à ces articles ce qu’on nomme dans le jargon Wikipédia le grade d’Article de Qualité.

Lorsque je leur ai assigné cette tâche je ne réalisais pas à quel point c’était ambitieux. Wikipédia définit un Article de Qualité comme un article qui « représente ce que l’on peut de trouver de mieux, et qui répond à des standards professionnels d’écriture et de présentation ». Et ces standards placent de fait la barre très haut. C’est manifestement un des paradoxes de Wikipédia : ses standards sont irréprochables alors même que la majeure partie de son contenu en est fort éloigné. Pour vous donner une idée, moins de 0,1% des articles de Wikipédia possèdent le label Article de Qualité.

En effet, alors que Wikipédia a déjà fait l’objet de nombreux projets pédagogiques au sein d’universités aussi dispersées que celles de Sydney, Hong-Kong, Minnesota et Leiden, c’était à ma connaissance la première fois qu’on demandait explicitement à des étudiants de créer des Articles de Qualité.

Considérations initiales : les avantages de Wikipédia

En plus d’enseigner (même indirectement) aux étudiants les faiblesses et les forces de Wikipédia et en même temps (peut-être incidemment) d’améliorer le contenu de l’encyclopédie concernant l’Amérique Latine, d’autres raisons plus positives venaient étayer ce choix de travail.

L’idée que les étudiants se lançaient dans un projet concret ayant des effets tangibles et publics, à défaut d’être éternels, me plaisait. Après tout, une dissertation ou un examen est un parfait exemple de travail inutile : souvent rédigé à la hâte pour un lecteur unique, le professeur, et ensuite mis de côté.

Je trouve regrettable qu’à de rares exceptions près, comme par exemple dans les ateliers d’écriture, les étudiants ne soient pas plus encouragés à relire et à réfléchir à leur propre travail, où trop souvent ils ne font que jeter un coup d’œil aux commentaires que le professeur aura laborieusement griffonné. C’est compréhensible, puisqu’ayant à ce stade très peu de chances de pouvoir retravailler leur devoir, ils ne s’intéressent alors qu’à leur note et c’est tout. Les étudiants ne découvrent que rarement l’importance des corrections dans un bon travail d’écriture. Alors qu’au contraire, sur Wikipédia, les corrections font (presque) tout : les contributeurs sont appelés « éditeurs » justement parce que leurs écrits sont en permanence au stade de la correction.

De plus ils participeraient à l’élaboration de pages qui, pour certaines (l’article sur Gabriel García Márquez par exemple), reçoivent plus de 60 000 visiteurs par mois. Même les articles les moins visités sur lesquels ils travaillaient recevaient plusieurs centaines de visites par mois. Ici ils écrivaient des articles pour un lectorat ayant la possibilité rare de répondre, de ré-écrire et de commenter le contenu qu’ils produisaient. En effet, travailler sur Wikipédia ouvre la porte au travail collaboratif : les étudiants devaient non seulement collaborer entre eux, mais aussi avec d’autres éditeurs ou des wikipédiens qu’ils ne rencontraient que sur le wiki.

Pour finir, l’idée même que l’attribution de la note soit extérieure à la classe m’attirait. L’idée que le travail soit jaugé à l’aune de son impact et non par le jugement personnel d’un professeur (aussi professionnel soit-il) me plaisait. Dès le départ, j’ai établi avec eux que les groupes qui réussiraient à faire obtenir à leur article la mention Article de Qualité seraient notés A+, c’est aussi simple que ça. Ceux qui atteignaient la mention Bon Article (la barre est placée moins haut, mais les Bons Articles ne représentent tout de même que 0,15% de tous les articles de Wikipédia en anglais) recevraient un A. La note pour ce devoir, en d’autres termes, serait déterminée par l’appréciation collective et publique des autres auteurs.

Considérations initiales : pièges potentiels

J’avoue que je n’ai pas beaucoup pris en considération les écueils de ce plan. Je reconnais que c’était un peu une expérience, mais la tenter me rendait enthousiaste. Ce n’était de toute façon pas le seul point sur lequel le cours serait noté et l’évaluation ne reposerait pas entièrement dessus : les étudiants devaient également tenir à jour un blog hebdomadaire sur leurs lectures et rendre deux devoirs, un à mi-session et un autre à la fin.

(En fin de compte le devoir de fin de session a été abandonné à la majorité des 2/3 de la classe après un vote des étudiants à bulletin secret : 85% d’entre eux ont voté pour l’annulation du devoir final et pour un plus gros coefficient du travail sur Wikipédia.)

J’avais surtout peur que les étudiants soient pris dans une guerre d’édition non constructive et potentiellement décourageante. Une guerre d’édition est un débat sans fin entre des éditeurs qui n’arrivent pas à s’accorder sur le contenu de l’article. Comme dans beaucoup d’interactions en ligne, ces désaccords deviennent rapidement désagréables et provoquent l’intervention d’un administrateur de Wikipédia qui peut décider de « bloquer » l’un des individus impolis, voire les deux. Je n’étais que trop conscient de ce problème puisque dans mes tentatives d’exploration de Wikipédia quelques mois avant de donner ce cours, je me suis retrouvé (plutôt par inadvertance) pris dans de telles guerres, et je me suis fait bloquer pendant quelque temps.

C’est toujours un peu risqué d’amener les étudiants à interagir directement avec la sphère publique. Et, d’une certaine manière, nous devons veiller sur eux. C’est peut-être la raison pour laquelle tellement de technologies de l’éducation (dont WebCT est le meilleur exemple) sont hermétiquement isolées du « monde réel ». Et ça ne serait pas très productif si l’un de mes étudiants se retrouvait bloqué et ne pouvait pas poursuivre son travail ! J’ai donc croisé les doigts en espérant que cette éventualité ne se présente pas.

Premiers pas : « notre » projet se met en route

Wikipédia ne m’était pas totalement inconnue puisque j’avais déjà à mon actif de nombreuses éditions d’articles et même quelques créations (même si ces derniers n’étaient rien d’autre que des ébauches, des versions courtes et préliminaires). Mais jusque là je n’avais pas encore travaillé de manière durable sur un article de Wikipédia. Et bien que j’avais quand même un sentiment de familiarité ainsi qu’un certain sens de la culture Wikipédia, j’avoue que j’étais malgré tout (et le suis d’ailleurs toujours) perplexe devant certains des détails les plus impénétrables des techniques et procédures de ce qui est maintenant devenu une gigantesque et labyrinthique entreprise.

D’un autre côté, cela m’a permis de comprendre l’intimidation que les élèves ne manqueraient pas de ressentir devant la tâche qui se présentaient à eux. Seuls un ou deux étudiants avaient déjà fait des modifications sur Wikipédia et ils étaient peu nombreux à montrer des signes de familiarité avec les conventions du Web. Et ne parlons même pas du code spécifique à Wikipédia (même si celui-ci est simplifié). Je crois que je peux comprendre leur étonnement quand, ayant cliqué pour la première fois sur le bouton « Modifier », ils sont tombés sur une masse confuse de gribouillis caractéristiques des logiciels de wiki.

Pour poser les bases du projet et obtenir du soutien, j’ai enregistré le projet sur une page Wikipédia dédiée à ce genre de choses, j’ai fait apparaître sur tous les articles du projet qu’ils faisaient partie d’une tâche pédagogique, et j’ai démarré une « page projet » décrivant nos objectifs. J’ai aussi laissé des messages sur d’autres projets Wikipédia jugés connexes (principalement des groupes d’éditeurs de Wikipédia qui se concentrent sur un sujet particulier comme par exemple la littérature ou l’Amérique du Sud); j’ai même laissé un mot au journal maison de l’encyclopédie, le Wikipédia Signpost (NdT : le Wikimag en français). J’ai ensuite présenté le projet à la classe, demandé aux étudiants de se créer un compte sur Wikipédia et j’ai croisé les doigts pour que ça marche.

Vous avez peut-être remarqué que je parle de « notre » projet et de « nos » objectifs. J’essaie en général d’inclure tout le monde quand je parle en classe : « nous » lisons les textes « ensemble  », « nous » essayons de comprendre comment les interpréter. Mais ici la sensation était presque palpable : dès le départ je sentais que je faisais aussi partie du projet, sentiment qui n’ira qu’en s’amplifiant dans les semaines suivantes.

Leçon numéro 1 : « ceci pourra être effacé »

Assez rapidement, quand tout le monde fut censé s’être enregistré et avoir commencé à jouer un peu avec les modifications, j’ai apporté mon ordinateur en cours et j’ai présenté les bases aux étudiants. Raccordé à un vidéoprojecteur, je leur ai montré sur grand écran où se trouve l’onglet « Modifier », comment faire une modification mineure (en changeant un mot sur la page Wikipédia de notre université) et comment faire une modification majeure (en vaporisant un article associé à l’université qui était manifestement un plagiat d’un autre site Web).

Un élève m’a par la suite demandé de leur montrer comment créer une nouvelle page. Deux des articles sur lesquels ils travaillaient n’existaient pas alors et j’ai alors décidé de créer El Señor Presidente, dont le seul contenu initial était : « El Señor Presidente est le titre d’un roman de Miguel Ángel Asturias ». J’ai ensuite poursuivi sur d’autres pages avant de revenir à celle-ci quelques instants plus tard… et c’était tout pour la première leçon. Sauf que, à mon grand embarras (et devant la classe entière) j’ai découvert qu’en à peine une minute d’autres éditeurs de Wikipédia avaient déjà collé une énorme bannière rose sur notre tout frais nouvel article avec la mention suivante : « Cette page est susceptible de remplir les critères de Wikipédia pour suppression rapide ». « Les salauds ! » murmurai-je dans ma barbe et je me suis dépêché de modifier le contenu de l’article pour y afficher « El Señor Presidente est le titre du roman le plus important du romancier, lauréat du prix Nobel, Miguel Ángel Asturias », inquiet que notre petit projet se fasse torpiller à peine commencé.

Si j’avais voulu montrer aux étudiants que la modification de Wikipédia est un exercice de négociation avec l’entière communauté d’éditeurs et de lecteurs, je n’aurais pas pu mieux choisir mon exemple. J’ai découvert (depuis) que pour d’autres projets pédagogiques sur Wikipédia, les étudiants sont souvent encouragés à faire un brouillon de leurs articles à l’abri des regards et de les enregistrer sur les pages publiques uniquement lorsqu’ils sont prêts à affronter un examen général. Ici tout était exposé et ouvert dès le début. Mais je n’ai aucun regret. C’est en effet là que le projet a puisé certains de ses meilleurs atouts.

La FA-Team : synergies, du bon et du mauvais

Mais on a rapidement eu un gros coup de chance, alors même que les messages que j’avais envoyés aux différents projets Wikipédia pré-existants semblaient lettre morte (la plupart, d’après ce que j’ai pu voir, étant enterrés ou plus souvent simplement débordés). Il s’est en effet trouvé qu’un groupe d’éditeurs expérimentés de Wikipédia avait commencé à lancer des idées pour augmenter le nombre d’Articles de Qualité sur Wikipédia. Ils se sont baptisés la « FA-Team » (NdT : L’équipe des Articles de Qualité, FA pour Featured Articles) et cherchaient alors un projet auquel participer. Or ils « nous » ont repéré et nous ont écrit pour savoir si nous désirions un coup de main.

Est-ce que nous désirions un coup de main ? Évidemment !

La FA-Team s’est répartie les articles du projet, ils ont laissé des messages d’accueil sur la page de discussion de chaque étudiant (les pages personnelles spécifiques à chaque utilisateur enregistré de Wikipédia et qui fonctionnent comme des pages où les éditeurs peuvent entrer en contact directement avec l’utilisateur) et ils ont débuté leur mission d’encouragement, de conseil et de guide auprès de notre groupe afin de nous pousser à rédiger des articles de Wikipédia de haut niveau. Ce sont des gens très méticuleux, dévoués, et par dessus tout généreux.

Je réalise maintenant que la FA-Team nous a fait la démonstration de la plus grand force (et peut-être aussi la plus grande faiblesse) de Wikipédia : la synergie. Les éditeurs de Wikipédia sont attirés par l’activité. J’irai même plus loin : ils sont particulièrement attirés par l’activité qui aboutit à l’ajout de contenu nouveau à l’encyclopédie. Un bon exemple de cette attraction est l’avertissement que j’ai reçu après avoir créé une page : il existe un noyau de volontaires de Wikipédia qui scrute sans cesse la création de nouvelles pages, prêts à se jeter dessus si un sujet déplacé ou non-encyclopédique est proposé. N’importe qui peut créer une page Wikipédia, mais si vous en créez une sur vous, votre petit groupe de musique ou votre chat, attendez vous à la voir disparaître sans avoir le temps de dire ouf.

De même, beaucoup de personnes émettent des critiques à l’encontre de Wikipédia, la plus connue étant peut-être celle du comédien américain Stephen Colbert, justement parce que n’importe qui peut ajouter n’importe quelle bêtise à un article. Mais je crois que ces personnes ne réalisent pas que des équipes dévouées de wikipédiens surveillent les modifications récentes pour éliminer rapidement ces bêtises flagrantes.

Mais l’aspect vraiment constructif de la réactivité de Wikipédia s’est également manifesté quand, dans les deux jours suivants la création de la page El Señor Presidente, une petite armée d’éditeurs a apporté des modifications mineures qui, combinées, ont apporté des changements importants dans la mise en page. Un des étudiants a ensuite ajouté un fragment d’information qu’il avait trouvé sur un autre site Web. Un petit coup de mise en page réalisée par d’autres éditeurs et au cours suivant cet article ressemblait déjà aux autres pages Wikipédia. Un peu court peut-être, plutôt incomplet et avec quelques sources tirées un peu au hasard d’Internet, mais il apportait des informations sur le sujet aux lecteurs, au moins le minimum, et surtout il était intégré au grand vaisseau Wikipedia.

(Je devrais préciser ici que j’étais indifférent au fait que le travail final des étudiants pourrait ne pas être « entièrement leur travail ». Pour moi, réussir à persuader d’autres personnes de travailler avec eux, travailler en harmonie avec des inconnus faisait également partie du projet. On peut évidemment se dire qu’ils pouvaient tricher pour accomplir leur devoir, comme pour n’importe quel autre devoir, par exemple en payant une tierce personne pour écrire les articles à leur place. Mais en fait le logiciel wiki qui suit les contributions de chacun offre une transparence inégalée, on sait ce que les étudiants font, étape par étape, qui, quoi et quand.)

Ainsi, l’intervention de la FA-Team n’était donc pas exceptionnelle. Ce n’est qu’un exemple de ce principe de synergie porté à une échelle légèrement plus importante et développée. On peut énoncer le principe de synergie ainsi : plus vous contribuez à Wikipédia, plus votre activité résonne et est développée et multipliée par l’activité d’autres personnes. Certes, les guerres d’édition existent, mais d’après mon expérience elles n’affectent en général pas l’ajout de nouveaux contenus. Ce n’était pas juste de la chance, on était tombé sur l’un des principes de base du fonctionnement du wiki.

L’inconvénient de ce principe est que là où Wikipédia est moribond, il le demeure. Bien qu’en théorie l’activité sur Wikipédia bourdonne en continu, en pratique un coup d’œil à l’historique de quelques pages (une information à portée de clic) suffira à vous convaincre que ces pages sont en fait plutôt stables. Un mauvais article pourra le rester pendant une très longue période. Ainsi dans notre projet nous avions les exemples de deux articles plus anciens (et donc plus importants) : les entrées pour Gabriel García Márquez et Mario Vargas Llosa, restées presque inchangées pendant des années, mis à part un petit peaufinage ça ou là. Nous nous devions donc d’y remédier.

Chercher et… chercher encore

C’est alors devenu un travail de recherche. Les étudiants devaient trouver ce qui est appelé en jargon wikipédien des sources sûres. Une doctrine fondamentale de Wikipédia (même si cela peut sembler étrange voire paradoxal, particulièrement pour des universitaires) est qu’elle ne sert pas à la publication de résultats inédits. Une entrée encyclopédique n’est pas faite pour introduire un débat. C’est la différence principale entre dissertation traditionnelle et Wikipédia.

La FA-Team ayant pris en charge le travail de mise en page ainsi que les tâches routinières, les étudiants étaient libres de s’adonner entièrement à la recherche. Mais c’était sans compter un autre piège qui nous a beaucoup ralenti et que nous aurions dû pourtant anticiper puisque ses racines plongent au cœur même des règles de Wikipédia : le fait que les étudiants n’évaluent pas suffisamment leurs sources.

Il faut se rappeler que le problème à la base de ce projet est que les étudiants se fient trop à Wikipédia sans vraiment en considérer les risques et les inconvénients. Il n’était en fait guère étonnant de les voir reproduire les mêmes erreurs en cherchant des sources pour les articles qu’ils devaient rédiger. Ainsi, il n’était pas rare qu’ils ajoutent des informations non vérifiables ou mal documentées (et trop souvent plagiées) ou qu’ils usent et abusent de citations d’autres pages Web et encyclopédies en ligne.

Et pourtant c’est de là aussi qu’a été tirée l’une des meilleures leçons de ce travail. Parce que Wikipédia exige que chaque information soit étayée par une référence (ce que les membres de la FA-Team répétaient inlassablement), les étudiants se sont retrouvés forcés de citer leurs sources. Ces sources pas forcément fiables se sont donc retrouvées exposées, ce qui n’aurait pas nécessairement été le cas pour un examen de session. De plus, justement parce que la rédaction sur Wikipédia est un processus de révision permanente, il a été demandé à certains de reprendre leur travail de recherche pour ré-évaluer leurs sources, pour en trouver de plus fiables avant de reprendre la rédaction. Par la même occasion le problème des plagiats a été réglé simplement parce que plus personne ne recopiait de passages en les faisant passer pour un produit fini.

Pour résumer, ce travail a fait ressortir les faiblesses initiales des étudiants dans le domaine de la recherche, mais ces faiblesses étaient bien la raison d’être de ce devoir. Ils ont cependant appris que rechercher des informations (et les mettre en forme) est un processus, souvent long, où l’on commence avec des sources parfois douteuses (comme Wikipédia lui-même) pour progresser vers des éléments ou preuves toujours plus solides, jusqu’à découvrir de nouvelles informations occultées par les premières sources.

Autres observations : un travail professionnel

Au moment où j’écris ceci, l’accouchement sous péridurale du projet n’est toujours pas terminé. Un article, celui que j’avais ironiquement créé devant la classe, a passé sa première inspection avec succès, une inspection particulièrement rigoureuse d’ailleurs, ce qui lui vaut maintenant le grade de Bon Article. Mes étudiants sont donc à l’origine d’une partie des 0,15% de ce que Wikipédia a de meilleur à offrir et tout cela en partant de rien. De plus, parmi ces 0,15% ne figure aucun autre travail littéraire d’Amérique Latine. Ils (nous ?) ont toutes les raisons d’être fiers d’eux[1]. Pour autant que je sache, c’est le seul travail éducatif sur Wikipédia à avoir directement abouti à un Bon Article[2].

Évidemment tout ne s’est pas fait sans accroc. Deux articles n’ont pour le moment pas vraiment progressé. Le rêve de créer douze nouveaux Articles de Qualité ne restera sans doute qu’un rêve (signifiant par là-même que toute la classe aurait eu la note A+ à un devoir représentant désormais 40% de leur note finale). Mais je suis sûr qu’il en sortira encore une série de Bons Articles (deux autres sont en cours d’évaluation), et certains seront sûrement nominés pour le grade d’Article de Qualité.

Voici donc la résultante d’un travail rigoureux qui, parce qu’il avait pour cadre ce site Web tant décrié qu’est Wikipédia, était loin d’être une solution de facilité. C’était même plutôt le contraire.

Je ne suis toujours pas aveuglé par Wikipédia, loin s’en faut. Il faut bien se dire que c’est une encyclopédie dont seulement une infime fraction de ses articles sont considérés comme de « bons » articles, même par ses propres éditeurs. D’autres faiblesses de Wikipédia sont plus apparentes que jamais, on les retrouve même à un certain degré dans ce projet : un article moribond aura tendance à le rester, et certaines sources sont discutables et souvent plagiées.

Mais, pour la défense de Wikipédia, je dois dire que je n’avais jusqu’alors pas réalisé à quel point ses propres critères sont ambitieux et avec quelle rigueur ils sont appliqués, ni même remarqué l’efficacité du processus collaboratif… si vous êtes prêt à apporter votre contribution et surtout si vous êtes prêt à faire les recherches nécessaires à l’ajout d’informations vérifiables. Là encore je dois dire que nous avons été particulièrement chanceux dans les rencontres que nous avons faites, mais je pense aussi que d’autres bénéficieront de la même bonne fortune.

En ce qui concerne le travail, qui je le répète est loin d’être achevé… j’aimerais croire qu’il enseigne aux étudiants l’art de la recherche et de l’écriture dans un environnement proche du monde réel. Il leur a été assigné au début du semestre un but à moyen terme, voire à long terme, et il leur a été demandé de travailler en collaboration au sein de leurs propres groupes mais aussi avec des inconnus dans un environnement ouvert afin d’établir comment parvenir à ce but et comment le réaliser. Ce travail devait déboucher sur un résultat professionnel, visible par des milliers de personnes, une ressource qui dans la plupart des cas serait la première escale de chercheurs futurs, qu’ils soient étudiants comme eux ou qu’ils fassent simplement partie des millions de visiteurs de Wikipédia de par le monde. La plupart de ces articles sont en effet le premier résultat affiché (ou presque) lors d’une recherche sur Internet sur le sujet traité.

En comparaison, les dissertations et les examens classiques que nous donnons à nos étudiants paraissent plutôt anecdotiques.

Inutile ? Pas d’argumentation

Ce que les étudiants n’apprennent pas par contre à travers ce projet est le développement d’un argument. L’argumentation, la construction cohérente d’une série d’idées, la défense et l’étayement d’une thèse convaincante, est évidemment au cœur de l’enseignement académique. J’attache beaucoup d’importance à cette compétence.

Mais on peut également dire que dans la plupart des emplois qu’occuperont les étudiants après la fin de leur cursus, l’argumentation ne tiendra pas une place aussi importante que dans le monde académique. À l’opposé, la recherche d’informations, la présentation, l’exactitude, l’aptitude à travailler en équipe et la capacité à négocier avec la sphère publique leur seront bien plus utiles (même si ça me fait un peu mal de l’admettre).

De plus, l’écriture sur Wikipédia leur inculque la pensée critique, peut-être pas celle qui est en général abordée à l’université… mais peut-être le devrait-elle. Les éditeurs de Wikipédia sont sans cesse encouragés à faire preuve d’esprit critique vis-à-vis des informations qu’ils trouvent et également vis-à-vis de leurs propres écrits.

J’ai un peu peur d’avoir trop enjolivé la chose. Je le ferai différemment si je suis un jour amené à le refaire. Et je dois vous avouer que j’ai souvent eu l’impression de faire un numéro d’équilibriste, que tout pouvait s’écrouler à tout moment. D’ailleurs nous ne sommes toujours pas à l’abri. Mais si quelque chose tourne mal je pourrai toujours modifier ce texte…

Oh, et si ça vous dit, n’hésitez pas à donner un coup de main sur Murder, Madness, and Mayhem !

El Senor Presidente - Accueil Wikipédia - 5 mai 2008

Les autres articles du dossier

  • 1/6 – Introduction
    Un projet pédagogique « de qualité ».
  • 2/6 – Le projet vu par l’enseignant
    Présentation, chronique et analyse du projet par le professeur Jon Beasley-Murray (à lire en premier).
  • 3/6 – Le projet vu par un éditeur de Wikipédia
    Le point de vue d’un éditeur de Wikipédia, membre de « l’équipe des Articles de Qualité », ayant accompagné et soutenu les étudiants pendant la durée de leurs travaux.
  • 6/6 – Liens connexes
    Une sélection de liens francophones autour de Wikipédia et l’éducation.

Notes

[1] Le 10 avril 2008, El Señor Presidente est devenu le 2000ème Article de Qualité de Wikipedia. Cet article apparaîtra sur la première page de Wikipédia le 5 mai. Au final, les étudiants ont porté deux autres articles au niveau d’exigence requis pour obtenir le grade d’Article de Qualité (Mario Vargas Llosa et The General in His Labyrinth) tandis que huit autres ont obtenu le grade de « Bon Article ». Les seuls autres articles portant sur la littérature Latino-américaine à ce niveau sont Mário de Andrade et Jorge Luis Borges (bien qu’aujourd’hui ils n’obtiendraient certainement plus cet honneur, il est en effet intéressant de noter que les critères de qualité de Wikipédia augmentent régulièrement avec le temps). Grâce à nous, le nombre d’Articles de Qualité sur la culture latino-américaine a donc très fortement augmenté

[2] Plus de détails ici.




Wikipédia et éducation : un exemple de réconciliation 6/6

Cet article clôt le dossier Wikipédia et éducation : un exemple de réconciliation.

Il propose une sélections de liens pour informer, débattre et aller plus loin.

Liens francophones connexes

Revue de « presse » de ce dossier

  • Wikipédia comme support de travail universitaire ? – Adrienne Alix – Compteurdedit – 17 février 2009
    « Il va encore plus loin en se demandant s’il est plus formateur et plus utile à un étudiant de savoir argumenter sur un sujet donné (cadre d’une dissertation) ou de savoir présenter les connaissances liées à ce sujet, d’être capable de faire des recherches sur un sujet, de synthétiser des sources, de confronter son travail au regard des autres et de travailler en collaboration. C’est le genre de débat qui créerait immédiatement des hurlements dans une assemblée d’enseignants, mais je crois que c’est très intéressant si on se demande un peu ce que Wikipédia peut apporter à l’enseignement universitaire. Le volet argumentation pure, très académique, est une chose sans doute essentielle à maîtriser. Mais l’écriture collaborative, avec des exigences de qualité formelle et de sourçage, la synthétisation du savoir existant, la confrontation au regard des autres, toutes ces choses qui sont le principe même du fonctionnement de Wikipédia, je crois très sincèrement que c’est une part de pédagogie qui n’existe pas dans l’enseignement et qui serait pourtant très bonne pour l’esprit et très utile dans le monde professionnel, où on argumente rarement par dissertation. »
  • Une expérience canadienne réconcilie Wikipedia et éducation – Mathieu Grégoire-Racicot – Le Quotidien Jurassien – 20 février 2009
    « Avenir et partage de la connaissance pour les uns, royaume du plagiat et l’opinion mal formulée pour les autres, l’encyclopédie collaborative Wikipedia a une réputation controversée, sulfureuse, spécialement dans le monde de l’éducation. Or une petite histoire, rapportée par le très fouillé et très actif Framablog, tenu par un professeur de lycée français, montre à quel point des projets pédagogiques pourraient se trouver enrichis, encadrés et davantage formateurs en utilisant Wikipedia, non comme une source, mais comme aboutissement de travaux de recherche. »

Autour de l’éducation

  • Projets pédagogiques – Wikipédia
    « Si vous êtes un enseignant dans une école ou dans une université, nous vous encourageons à utiliser Wikipédia dans votre classe non seulement comme source d’information mais comme espace de rédaction et de construction de connaissances. »
  • Wikipédia : la rejeter ou la domestiquer ? – Eric Bruillard – Médialog 61 – mars 2007
    « Le phénomène Wikipédia interpelle le monde enseignant. Quelle confiance peut-on accorder à une encyclopédie rédigée par ses lecteurs et dont les articles sont modifiés en permanence ? Quelle place l’École peut-elle lui faire ? »
  • D’un Club Histoire à un Club Wikipédia – Sylvain Négrier – septembre 2008
    « Quels usages vos élèves font-ils de Wikipédia ? Wikipédia est visiblement une source d’information importante pour eux. Sa valorisation par les moteurs de ucation-a-education-exemple-projet-pedagogique-6exemple-projet-pedagogique-6recherche (dont Google) en fait un point de départ quasi obligé. C’est particulièrement net pour les TPE et l’ECJS. Le problème majeur, mais ce n’est pas une découverte, c’est le manque de recul (voire de compréhension) de certains élèves. Cela leur joue parfois des tours : lors d’une composition à faire à la maison (…) Ceci dit les élèves ne sont pas totalement naïfs, et je les invite à exercer leur esprit critique, y compris envers ce que je leur enseigne : je ne me considère pas comme infaillible. »
  • Wikipédia et le cours d’histoire – Les Clionautes – septembre 2008
    « L’encyclopédie en ligne est devenue un des pôles majeurs sur le web, et une référence de choix pour beaucoup d’élèves et enseignants. Elle fait néanmoins l’objet de réticences et a suscité des débats très vifs ces dernières années. Ce premier article, qui prolonge la page Wikipédia en débats, a pour objectif de revisiter les étapes et les enjeux d’un débat très médiatisé, sur fond de divergences quant à la vision de la société et de l’éducation. Une réflexion sur la place de Wikipedia à l’école invite à interroger nos pratiques, et à proposer des pistes pragmatiques, à court et à moyen terme. »
  • L’histoire peut-elle être Open Source ? Les historiens et Wikipedia – Roy Rosenzweig (traduction Clioweb) – juin 2006
    « L’histoire est un art (un métier ?) éminemment individualiste. Les travaux signés d’une seule personne sont la règle dans la profession (…) Cet individualisme qui caractérise la recherche en histoire est aussi très possessif. Afin de travailler honnêtement, et éviter les accusations de plagiat, nous autres historiens devons attribuer idées et expressions à ceux qui les ont émises (…) Il est donc presque impossible d’envisager dans notre culture professionnelle des travaux historiques dénués de propriétaire, effectués par une multitude d’auteurs anonymes. C’est pourtant la définition exacte de Wikipedia. »
  • Wikipédia tente de pénétrer le milieu éducatif – François Jarraud – Café Pédagogique – décembre 2005
    « Le problème c’est que Wikipédia n’est malheureusement plus un outil recommandable pour les enseignants. Le projet, fort sympathique au départ, sert des intérêts qui suscitent des interrogations (…) Tant que la clarté ne sera pas faite sur le fonctionnement de Wikipédia et le ménage dans ses articles, nous déconseillons aux enseignants de l’utiliser avec les élèves. »
  • Wikipédia, une encyclopédie sans auteurs ? – Serge Pouts-Lajus – Les dossiers de l’Ingénierie Educative n°58 – juin 2007
    « Wikipédia est un projet apparemment sympathique. Il possède des qualités qui ne peuvent lui être contestées et auxquelles je suis, comme tout le monde, sensible : l’encyclopédie libre est utile, gratuite et d’accès facile. Mais justement, lorsqu’il s’agit de savoirs, d’œuvres de l’esprit et de culture, les considérations utilitaristes ne suffisent pas. Tant que l’on reste attaché au principe de responsabilité des individus et des collectifs particuliers relativement aux œuvres qu’ils produisent, il n’est pas possible d’adhérer à un tel projet. »
  • De sévères critiques de Wikipédia – Alithia – Blog : Wikipédia ou le mythe de la neutralité – janvier 2007
    « Cet article et le suivant qui le complète, cite un très grand nombre de critiques faites à wikipedia, par des professionnels de l’enseignement, de la recherche et de l’éducation. »
  • L’édition de référence libre et collaborative : le cas de Wikipédia – INRP – mars 2006 (le dossier complet en pdf)
    « Selon Cormac Lawler, Wikipedia n’est pas simplement une encyclopédie, ni même un nouveau modèle éditorial : le projet présente en effet les caractéristiques d’une organisation apprenante tant dans sa structure que dans son fonctionnement. A la lumière des recherches sur les communautés virtuelles ou les communautés de pratique, il identifie les éléments de convergence suivants : Wikipedia est auto-gérée, auto-sélective et auto-évolutive. Le potentiel de la communauté réside selon lui dans la promotion d’une pédagogie de la découverte et dans le développement de l’esprit critique nécessaire à son fonctionnement. Le conflit est perçu comme un ingrédient nécessaire à la négociation car il requiert une mise en perspective des différents points de vue et une prise en compte des différences culturelles (…) La confrontation des partis-pris culturels est un signe d’action critique manifeste dans un contexte où l’adhésion à la règle de neutralité est partagée et où la convivialité est assumée comme essentielle. »
  • Le phénomène Wikipédia : une utopie en marche – Christian Vandendorpe – Le Débat, no 148 – janvier 2008
    « Au lieu d’élever un pare-feu autour de Wikipédia, l’École aurait donc tout intérêt à s’en servir comme d’un outil pédagogique. Outil d’éducation pour apprendre à respecter le bien public et à ne pas vandaliser des articles ; outil de formation à la lecture critique, surtout, afin d’apprendre à ne pas prendre pour argent comptant tout ce qui s’écrit : en vérifiant la présence de sources crédibles, en comparant divers états d’un article, en comparant la version française avec des versions rédigées dans d’autres langues, en faisant des recherches complémentaires dans d’autres sources, numériques ou imprimées. Une telle attitude critique est plus nécessaire que jamais, alors que le mensonge et la dissimulation s’épanouissent dans la culture anonyme du web et que les plus hautes sphères de l’administration de pays qui se présentent comme des modèles de démocratie pratiquent la désinformation à grande échelle, comme on l’a vu lors de la campagne qui a conduit les États-Unis à envahir l’Iraq. »
  • Wikipédia, un objet problème en information-documentation – Pascal Duplessis et Laure Endrizzi – mai 2008
    « En premier lieu, certainement, Wikipédia s’affiche en tant qu’objet documentaire, support de ressources informationnelles, et dont l’usage doit pouvoir être garanti : l’information offerte, même si elle est gratuite et facilement accessible, est-elle pour autant « consommable », c’est-à-dire sans risque de préjudice pour la santé intellectuelle ? Si de nombreux collègues de discipline ne s’offusquent pas de cette incertitude, sans doute par insuffisance d’expertise, le garant de l’information documentaire en circulation dans l’établissement, lui, s’en inquiète. Quel statut accorder à cet apport d’information au regard des autres ressources disponibles dans ou à partir du CDI ? Quelles précautions prendre ? Quel type d’accompagnement proposer aux élèves ? Quel discours tenir au sujet de Wikipédia ? »
  • Wikipédia – Une encyclopédie libre, gratuite et écrite coopérativement – Alain Caraco – BBF – août 2004
    « Wikipédia est-elle l’encyclopédie qu’attendaient les bibliothèques publiques françaises ? J’aurais tendance à répondre oui et non à la fois. Non dans son état actuel : trop de domaines sont insuffisamment couverts, trop d’articles sont encore à l’état d’une ébauche rédigée hâtivement. Mais, très certainement, oui dans un état futur (…) La Wikipédia en ligne ne peut être qu’en travaux permanents. C’est une sorte de chaudron bouillonnant, où l’on produit la matière première, toujours instable. Des éditions stabilisées, monolingues ou multilingues, sur cédérom, sur papier ou en ligne pourraient en être dérivées. Elles pourraient même être vendues par des éditeurs commerciaux, avec de la valeur ajoutée, notamment en matière de présentation ou d’illustration. Ce modèle économique existe déjà pour les logiciels libres : on peut télécharger Linux auprès de la communauté des développeurs, ou bien acheter une version commerciale, avec un mode d’emploi et une assistance téléphonique. »
  • C’est rien qu’à cause de Wikipédia si nos enfants échouent ! – Framablog – octobre 2008
    « Hier on apprenait en Écosse que c’est Internet qu’il faut blâmer pour le taux d’échec aux examens (…) Wikipédia, parmi d’autres sources, était cité comme étant la raison pour laquelle les étudiants échouent. Est-ce que Internet les rend stupides ? Ou bien est-ce que les étudiants ont seulement besoin d’apprendre à utiliser les nouveaux outils de recherche du Web de façon plus appropriée ? »
  • Ceux qui disent non… à Wikipédia – Astrid Girardeau – Les Écrans – janvier 2008
    « Diaboliser et interdire des sites Internet sous prétexte que les étudiants n’utilisent pas assez leurs propres cerveaux et les contenus académiques, on a vu plus constructif et efficace. Quand on observe l’ergonomie ou la disponibilité des outils d’information académiques accessibles à l’université pour les étudiants, fait remarquer Ertzcheid, on comprend hélas très facilement pourquoi ils préfèrent utiliser Wikipédia ou Google. S’en désoler ne servira à rien. »
  • Wikipédia est un projet encyclopédique et un bien commun de l’humanité – Astrid Girardeau – Les Écrans – janvier 2008
    « Pour 1 enseignant ou 1 université interdisant d’utiliser Wikipédia, 100 autres forment les étudiants à son usage, les aident à décrypter ses contenus. Ce faux-procès en incompétence qui est de plus en plus souvent fait à Wikipédia est d’autant plus horripilant que Wikipédia affiche clairement sur sa page d’accueil le fait qu’elle ne doit pas être utilisée comme une source primaire d’information. »

Plus général

  • Wikipédia – Wikipédia
    « Comme l’indique la première ligne de sa page d’accueil, Wikipédia a pour slogan : Le projet d’encyclopédie librement distribuable que chacun peut améliorer. Ce projet est décrit par son cofondateur Jimmy Wales comme un effort pour créer et distribuer une encyclopédie libre de la meilleure qualité possible à chaque personne sur la terre dans sa langue maternelle (…) En revanche, Wikipédia n’a pas pour but de présenter des informations inédites. Comme pour les encyclopédies classiques, son ambition se limite à exposer des connaissances déjà établies et reconnues. Les travaux personnels ou originaux n’ont pas leur place dans Wikipédia. »
  • Critiques de Wikipédia – Wikipédia
    « Sébastien Blondeel, dans un livre sur Wikipédia, a écrit en 2006 : Wikipédia est un projet avec lequel il faudra compter. Et si les critiques commencent à se faire entendre, c’est paradoxalement plutôt bon signe : justifiées, elles permettent de prendre conscience des problèmes ; gratuites ou exagérées, elles confirment l’influence et le succès du projet. »
  • Wikipédia : constats et propositions – Nat Makarevitch – avril 2006
    « Ce document expose des problèmes et incohérences de Wikipedia, projet d’encyclopédie libre publiée sur le Web, dans le but de l’améliorer, non de dénigrer. Nous y montrons le caractère abusif de certaines actions menées par certains contributeurs. »
  • WikiGrill – Les articles de Wikipédia passés sur le gril de Books
    « Pour remarquable qu’elle soit, et globalement salutaire, l’entreprise Wikipédia invite à la critique. Si beaucoup d’articles de cette encyclopédie d’inspiration démocratique sont de grande qualité, d’autres ne résistent pas à un examen attentif. Soit parce que leur contenu est léger ou inconsistant, soit parce qu’il est manipulé, parfois avec une grande habileté, par des internautes ou des lobbies qui défendent un intérêt. Or, Wikipédia est devenu le premier mode d’accès au savoir pour les jeunes et les moins jeunes qui, sans avoir reçu de formation universitaire poussée, naviguent quotidiennement sur le web. Avec sa rubrique WikiGrill, Books souhaite attirer l’attention sur l’existence de biais qui influencent de manière plus ou moins cryptée la qualité ou l’objectivité de certains articles de Wikipédia. »
  • La réponse de Sylvain Négrier à l’initiative WikiGrill (décembre 2008) : Une lecture critique de Wikigrill
    « Les wikipédiens s’interrogent depuis longtemps sur ce qu’est un bon article. Ils ont défini progressivement deux labels, attribués après un vote des contributeurs, représentant chacun un palier dans le niveau des articles. Il s’agit du label Article de Qualité, le plus prestigieux, pour le moment décerné à un peu plus de 500 articles, et du label Bon Article, qui concerne près de 500 articles et qui récompense ceux qui sont satisfaisants mais qui paraissent encore améliorables. Les conditions d’attribution de ces labels se sont considérablement durcies ces derniers mois, au grand dam de certains wikipédiens, essentiellement pour que ces articles, proposés comme vitrine de Wikipédia (notamment en page d’accueil), puissent échapper aux critiques les plus évidentes. Cela ne constitue toutefois pas une garantie totale : ces articles ne sont que très rarement relus par d’authentiques spécialistes, et les discussions lors des votes se portent assez volontiers sur les aspects formels. Il aurait donc été particulièrement intéressant que les auteurs de Wikigrill™ s’attachent prioritairement à ces articles labellisés. Sont-ils réellement d’un bon niveau ? La procédure d’attribution des labels telle qu’elle existe est-elle à même de repérer les meilleurs articles ? Ne faudrait-il pas la remplacer par une relecture par un/des spécialiste(s) ? »
  • La réponse de Jean-Claude Guédon à l’initiative WikiGrill (janvier 2009) : Wikipedia ? Moi, j’aime plutôt bien
    « Wikipedia n’est pas un produit textuel fixe offert à la consommation; il s’agit d’un processus incessant qui nous convie à la table du plus grand banquet intellectuel jamais construit dans l’histoire de l’humanité. Déjà étonnamment utile, essayons d’imaginer ce que ce sera dans dix ou vingt ans. »
  • L’encyclopédie de non-référence – Denis Berger – février 2005
    « On sait que l’idée de Wikipedia, comme sa licence LGPL, viennent de l’univers du logiciel libre, tendance Stallman, et visent à reproduire dans le domaine de la connaissance ce qui a si bien réussi dans celui de l’informatique : l’élaboration d’un bien commun par la participation de tous, en fonction des moyens de chacun, puisque tout un chacun est présupposé dépositaire d’une parcelle de connaissance qui, si menue soit-elle, est susceptible d’intéresser l’ensemble. Mais la ressemblance entre un programme et une encyclopédie se limite au fait que, dans un cas comme dans l’autre, il faut commencer par les écrire ; le programme, lui, ensuite, s’exécute, et dispose donc de son propre système de correction d’erreurs, brutal mais efficace : s’il est mal écrit, il plante. Il offre donc, paradoxalement pour un logiciel libre par définition livré sans, une garantie quant à son fonctionnement, la disponibilité des sources comme des programmeurs permettant, de plus, en l’espèce, de résoudre rapidement les problèmes. Autrement dit, l’exportation de ce concept, tel qu’il est présenté, vers un projet encyclopédique se révèle privé de pertinence puisque, là, rien, en dehors d’une éventuelle relecture d’un participant qui pourra peut-être se trouver contredite un peu plus tard par un autre, ne garantit la qualité de l’information publiée ; ici, le mécanisme cumulatif et automatique qui permet l’amélioration continue du logiciel libre ne joue pas.  »
  • Inside Wikipédia – Camille Gévaudan – Les Écrans – juillet 2008
    « Ecrans.fr s’invite à l’intérieur de Wikipédia et vous propose d’aller voir comment un projet aussi pharaonique peut fonctionner au quotidien. »
  • Wikifeuilleton – Le Tigre
    « Les coulisses de l’encyclopédie collaborative Wikipedia. »
  • À propos de Wikipédia – Rui Nibau – Framasoft – mars 2006
    « Ici, je n’ai fait que voir un verre à moitié vide en n’abordant qu’un unique aspect des critiques formulées à l’encontre de Wikipédia. D’autres internautes peuvent – à juste titre – le voir à moitié plein. A un moment de son histoire où l’encyclopédie acquiert une visibilité croissante dans d’autres médias, et attire donc l’attention d’acteurs aux intérêts divergents, l’avenir proche nous dira si ce verre finira par se remplir ou par se briser. » (et la réponse de Nojhan : Wikipédia, l’encylopédie asymptotique)
  • Wikipédia : le refus du pouvoir – Mémoire de fin d’étude de Sylvain Firer-Blaess – Institut d’Etudes Politiques de Lyon – 2006/2007
    « Wikipédia refuse le pouvoir : elle refuse la possession de l’information aux plus fortuné, en rendant l’information libre. Elle refuse aussi la production du savoir par quelque uns, en donnant ce pouvoir à tous. Elle refuse dans son organisation les statuts spéciaux, elle refuse la centralisation de la surveillance et de la décision. Ainsi elle dissout le pouvoir et en donne une parcelle à chacun : le pouvoir de décider, le pouvoir de créer le savoir, le pouvoir de s’informer. Elle empêche ainsi fortement les processus de domination dans son organisation interne. Elle a aussi un impact sur le monde réel, impact certes minime, mais donner la possibilité aux personnes qui disposent d’une connexion internet de disposer d’un savoir libre et gratuit, c’est déjà quelque chose. »
  • D’Amour & de Neutralité : Ce(ux) qui résiste(nt) – Martin Erpicum – Mémoire universitaire – juillet 2005
    « L’objet empirique de ce mémoire est l’encyclopédie libre Wikipédia. De tout temps, les encyclopédies ont été un support à l’apprentissage d’un intérêt certain. L’apparition d’un type d’encyclopédie rédigée coopérativement par des pairs sur le réseau Internet a entraîné bon nombre de questionnements : critères de validation de la connaissance, contrôle des actes de vandalisme, régulation des contributeurs, etc. Afin d’éclairer en partie ces questionnements, le présent travail va tenter de décrire les pratiques de régulations inhérentes à la tâche de rédacteur encyclopédique, et de rendre compte des contraintes et normes émergentes qui encadrent l’activité des pairs. »

Succincte bibliographie

  • « Wikipédia, Découvrir, utiliser, contribuer » – Florence Devouard et Guillaume Paumier – Presses universitaires de Grenoble – janvier 2009
    « Ce livre vous guide à la découverte de cette gigantesque fourmilière et vous explique comment utiliser efficacement son contenu. Il vous incite ensuite à devenir acteur et à participer à la rédaction de l’encyclopédie, quels que soient votre âge et vos domaines de compétences. »
  • Wikipédia, Média de la connaissance démocratique ? Quand le citoyen lambda devient encyclopédiste – Marc Foglia – FYP Éditions – novembre 2007
    « Cherchez n’importe quel mot sur Google… Les deux premières pages de résultat, celles qui comptent, renvoient presque invariablement à un article de Wikipédia. Comment cette encyclopédie d’un nouveau genre s’est-elle installée comme une source universelle de connaissance, et désormais comme un réflexe intellectuel ? L’origine de ce phénomène, son fonctionnement et son évolution fulgurante sont autant d’appels à la réflexion.Wikipédia c’est la dématérialisation de la connaissance et la progression de son accessibilité : peut-on parler d’un nouveau média ? d’une Toile dans la Toile ? Que devient la propriété intellectuelle dans ce partage gratuit de la connaissance ? Pourra-t-on parler d’une « génération Wikipedia » ? Quels sont les risques que fait courir l’encyclopédie libre à la connaissance, au jugement et à l’esprit critique ? Ces interrogations nous permettent d’éclairer d’autres phénomènes contemporains comme le travail collaboratif en réseau, la frontière entre biens marchands et biens non-marchands, la frontière entre travail et bénévolat, la démocratie à l’ère du numérique, etc. Par une approche critique, philosophique et sociologique, l’ouvrage analyse en profondeur cette « l’encyclopédie collaborative » comme un phénomène émergent, comme expression de tendances de fond de la modernité au XXIe siècle, et une innovation remarquable susceptible d’éclairer d’autres évolutions de la société contemporaine. »
  • Wikipédia – Comprendre et participer – Sébastien Blondeel – Eyrolles – avril 2006
    « Qui n’a entendu parler de Wikipédia, l’encyclopédie collaborative de l’Internet la plus vaste et la plus consultée ? Qui ne connaît ce projet international auquel des experts de tous domaines contribuent ? Née en 2001, Wikipédia compte plus de trois millions d’articles début 2006, 120 langues actives, un million d’articles en anglais, 250 000 en français. Ce livre explique comment l’explorer et y participer, dans quelles limites réutiliser son contenu et quels sont ses secrets de fonctionnement (financement, contexte politique). »

El Senor Presidente - Accueil Wikipédia - 5 mai 2008

Les autres articles du dossier

  • 1/6 – Introduction
    Un projet pédagogique « de qualité ».
  • 3/6 – Le projet vu par un éditeur de Wikipédia
    Le point de vue d’un éditeur de Wikipédia, membre de « l’équipe des Articles de Qualité », ayant accompagné et soutenu les étudiants pendant la durée de leurs travaux.
  • 6/6 – Liens connexes
    Une sélection de liens francophones autour de Wikipédia et l’éducation.



Ou toute autre version ultérieure de la licence…

Cambodia4kidsorg - CC byCe billet est un peu technique, au sens juridique du terme, mais la problématique abordée est loin d’être inintéressante (et n’étant pas des spécialistes comme Veni Vidi Libri, nous vous remercions par avance des précisions, compléments et corrections que vous apporterez dans les commentaires).

Il évoque les risques potentiels encourus par une création (logicielle, culturelle, etc.) à adopter une licence portant la mention « ou toute autre version ultérieure » (de la-dite licence). Dit autrement, il s’agit de la confiance que vous, auteurs ou utilisateurs, accordez à ceux qui rédigent la licence choisie, puisque vous vous engagez ainsi non seulement au moment présent mais également dans le futur, avec une licence susceptible d’être modifiée au cours du temps. Ce que vous créez ou utilisez aujourd’hui peut donc ne pas suivre exactement les mêmes règles demain.

Prenons l’exemple de la plus célèbre des licences de logiciels libres, la GNU General Public License (ou GNU GPL). Voici ce que l’on peut lire dans la traduction non officielle du paragraphe 9 de la version 2 datant de 1991 :

La Free Software Foundation se réserve le droit de publier périodiquement des mises à jour ou de nouvelles versions de la Licence. Rédigées dans le même esprit que la présente version, elles seront cependant susceptibles d’en modifier certains détails à mesure que de nouveaux problèmes se font jour.

Chaque version possède un numéro distinct. Si le Programme précise un numéro de version de cette Licence et « toute version ultérieure », vous avez le choix de suivre les termes et conditions de cette version ou de toute autre version plus récente publiée par la Free Software Foundation. Si le Programme ne spécifie aucun numéro de version, Vous pouvez alors choisir l’une quelconque des versions publiées par la Free Software Foundation.

Donc si vous placez votre logiciel sous GNU GPL sans préciser la version ou en version 2 avec la mention « ou toute version ultérieure », alors « vous avez le choix de suivre les termes et conditions de cette version ou de toute autre version plus récente publiée par la Free Software Foundation », version plus récente dont on nous assure, et c’est là que ça peut coincer, qu’elle sera « rédigée dans le même esprit ».

Or, justement, dans l’intervalle, la GNU GPL est passée en version 3 en 2007 (sa version actuelle). Extrait de la FAQ de cette nouvelle version, à la question Pourquoi les programmes doivent-ils se référer à « la version 3 de la GPL ou toute version ultérieure » ? :

De temps en temps, après quelques années, il nous arrive de modifier la GPL—quelquefois simplement pour éclaircir un point, quelquefois pour autoriser certaines utilisations alors qu’elles ne l’étaient pas auparavant, et quelquefois pour renforcer une exigence. (Les deux derniers changements datent de 2007 et 1991). L’utilisation de ce « pointeur indirect » dans chaque programme nous permet de changer les conditions de distribution de l’ensemble des logiciels GNU, lorsque nous modifions la GPL.

Si aucun programme ne contenait ce pointeur indirect, nous serions forcés de longuement discuter du changement avec de très nombreux détenteurs de copyright, ce qui serait virtuellement impossible. En pratique, la probabilité d’aboutir à un mode de distribution unifié pour les logiciels GNU serait nulle.

Supposez qu’un programme dise « Version 3 de la GPL ou toute version ultérieure » et qu’une nouvelle version de la GPL soit publiée. Si la nouvelle version de la GPL donne une permission supplémentaire, cette permission est immédiatement disponible pour tous les utilisateurs du programme. Mais, si la nouvelle version de la GPL comporte une exigence plus restrictive, cela ne limitera pas l’utilisation de la version courante du programme, car ce dernier peut toujours être utilisé sous GPL Version 3. Lorsqu’un programme dit « Version 3 de la GPL ou toute version ultérieure », les utilisateurs seront toujours autorisés à l’utiliser, et même à le modifier, selon les termes de la GPL Version 3—même après que d’autres versions de la GPL auront été rendues disponibles.

Si une exigence plus forte dans une nouvelle version de la GPL n’est pas obligatoire pour les logiciels existants, à quoi sert-elle ? Lorsque la version 4 de la GPL est disponible, les développeurs de la plupart des programmes sous GPL distribueront les versions suivantes de leur programme en spécifiant « Version 4 de la GPL ou toute version ultérieure ». Les utilisateurs devront se conformer aux clauses plus restrictives de la GPL Version 4, pour les versions suivantes de ce programme.

Les développeurs ne sont toutefois pas dans l’obligation d’agir ainsi ; ils peuvent continuer à autoriser l’utilisation de la version précédente de la GPL, si c’est leur souhait.

Le fait qu’une licence évolue n’est en rien critiquable puisque depuis 1991 il s’en est passé des choses dans le monde numérique (à commencer par l’avènement d’Internet). De plus cette nouvelle version a été le fruit d’un long processus de concertation publique (voir la lettre de Chris Frey plus bas), la FSF ayant le souci de donner confiance et ne pas donner l’impression qu’on lui signait un chèque en blanc pour les « versions ultérieures » de ses licences.

Il n’empêche que ces modifications « rédigées dans le même esprit » sont laissées à la libre appréciation de chacun. C’est ainsi que Linus Torvalds, conformément au dernier paragraphe de notre extrait ci-dessus, n’a toujours pas passé le noyau Linux en GPL v3 et préfère rester en GPL v2, au grand dam de la FSF.

Mais prenons désormais l’exemple d’une autre licence de la FSF, la GNU Free Documentation License (ou GNU FDL). À l’origine cette licence avait été pensée pour la documentation de logiciels libres mais elle a été adoptée, faute d’existence d’autres licences mieux adaptées à l’époque, par le poids lourd de la culture libre que constitue l’encyclopédie Wikipédia.

Or, depuis, une licence clairement mieux adaptée est apparue : la licence Creative Commons By-Sa[1]. Ces deux licences n’étant pas compatibles, que pouvait-on faire ? C’est justement la réponse à cette question que nous avons évoqué dans notre récent billet dédié : Wikipédia en route vers la licence Creative Commons By-Sa. Ce billet explique pourquoi et comment la FSF a accepté de modifier sa licence GNU FDL (version intermédiaire 1.3) pour que Wikipédia puisse légalement passer sous Creative Commons, passage justement rendu possible parce que la licence de Wikipédia est la GNU FDL sans mention de version (acceptant donc implicitement « toute version ultérieure » de la licence).

Le problème c’est que contrairement au passage de la GNU GPL de la version 2 à la version 3, il n’y a pas eu de concertation publique et de long processus de maturation transparent et « démocratique ». De plus les modifications apportées ont clairement été rédigées dans l’unique but de satisfaire la Wikimedia Foundation (et Creative Commons) puisqu’elles ne s’adressent qu’aux wikis crées avant novembre 2008 qui ont jusqu’en juin 2009 pour se décider à migrer. Une mise à jour « sur mesure » en quelque sorte.

Aussi nobles soient les intentions des uns et des autres, il y a tout de même ici un peu d’arbitraire et d’opacité aussi bien sur le fond que dans la forme. C’est ce que critique Chris Frey dans cette « lettre ouverte à Richard Stallman » que nous avons choisi de traduire et vous proposer ci-dessous, accompagnée par la réponse toute aussi ouverte de Richard Stallman.

Lettre ouverte à Richard Stallman

Open Letter to Richard Stallman

Chris Frey – 4 novembre 2008 – Advogato.org
(Traduction Framalang : Olivier, Siltaar et Don Rico)

Cher M. Stallman,

Je vous écris pour exprimer la déception que j’ai ressentie à l’égard de la Free Software Foundation par rapport à la publication récente de la version 1.3 de la GNU Free Documentation License .

Cette nouvelle version introduit à la section 11 une nouvelle clause qui, selon la FAQ, accorde aux wikis le droit de modifier la licence de certains contenus pour les faire passer de la licence GFDL 1.3 à la licence CC-BY-SA 3.0, pour les ajouts datant d’avant le 1er novembre 2008. Ils peuvent appliquer ce changement de licence jusqu’au 1er août 2009.

Cela constitue à mon sens une erreur morale importante et un abus de confiance. Même si cette nouvelle clause n’est pas dangereuse, elle n’en reste pas moins mauvaise.

Il y a de nombreuses années, j’ai lu des critiques visant les recommandations quant à l’application de la licence GNU GPL aux logiciels. On critiquait la formule « version 2 of the License, or (at your option) any later version » (NdT : version 2 de la licence, ou, selon votre choix, toute version ultérieure) avançant l’argument que cette formulation conférait trop de pouvoir à la FSF, et que cela revenait à signer un chèque en blanc permettant le détournement futur de l’œuvre licenciée.

Ces critiques ont à mes yeux perdu de leur sens après que j’ai été témoin de la transparence et de l’attention extrême portée à la rédaction de la nouvelle GPL version 3. Tous les commentaires furent enregistrés sur un site Web et débattus de manière tout à fait transparente. La rédaction a été longue et méticuleuse, réalisée en prenant en compte l’opinion des utilisateurs de la licence, et dans l’objectif de servir l’intérêt des logiciels libres. C’était magnifique.

Je commençais à comprendre les avantages d’une licence ouverte. J’avais compris les intentions de la FSF. Ils ne fléchissaient pas concernant les principes des logiciels libres, mais au contraire se montraient toujours plus fermes. Seule la FSF pouvant modifier la GPL, et étant donné le sérieux de sa méthode pour la mettre à jour, je me suis dit que je pouvais lui accorder ma confiance.

Hélas, ce changement apparemment précipité apporté à la GFDL vient tout gâcher. Cette modification va à l’encontre de la clause tacite selon laquelle c’est l’auteur qui choisit la licence pour son travail, mais elle introduit en outre un nouvel acteur. Non seulement la FSF peut changer les termes de la GFDL, mais voilà que la Creative Commons Corporation peut à présent modifier les termes qui régissent des travaux plus anciens auparavant placés sous GFDL.

Fort heureusement, cette situation ne durera que jusqu’au 1er août 2009. Mais les anciens wikis placés sous GFDL ont désormais une double licence.

Peut-être ai-je vécu coupé du monde légal, mais je n’ai pas non plus vu d’appel à contribution pour cette révision. Si je l’ai manqué, je regrette de n’avoir pu donner mon avis plus tôt. Si la période de discussion était plus courte, voire inexistante, c’est une faille dans le processus de mise à jour de la GFDL, et j’espère que la FSF y remédiera.

Concrètement, cette requalification de licence importe peu. Le cadre de ce qui peut être soumis à une requalification de licence est bien délimité, et ces deux licences ont en gros la même fonction. Certains auteurs ont peut-être préféré la GFDL à la licence CC-BY-SA pour des raisons spécifiques, l’une d’entre elles étant le fait que la licence doit être jointe à l’œuvre. Cette condition de la GFDL est à la fois une caractéristique et un défaut de conception. Mais ce choix, qui auparavant revenait à l’auteur, lui est à présent retiré.

Au final, les conséquences sont sûrement minimes. En effet, beaucoup voient en ce changement un grand pas en avant. Je pense que c’est simplement la réputation de la FSF qui s’en trouve affectée. Quel message cela adresse-t-il aux utilisateurs d’autres licences de la FSF ? Est-on sûr que la FSF ne permettra pas la modification des licences de nos œuvres au profit de licences non-FSF si l’on opte pour la clause « version ultérieure » ? Dans le passé je ne me serais même pas posé la question. À présent, j’ai un doute.

J’ai hâte de connaître votre sentiment à ce propos et, si vous le permettez, je publierai une copie conforme de votre réponse là où je publie cette lettre.

Je vous remercie de votre attention.

Cordialement,

Chris Frey

Réponse ouverte à Chris Frey à propos de la GFDL 1.3

An open response to Chris Frey regarding GFDL 1.3

Richard Stallman – 3 décembre 2008 – FSF.org
(Traduction Framalang : Olivier, Siltaar et Don Rico)

Cher M. Frey,

Votre lettre concernant les modifications récentes apportées à la GFDL, qui permettent aux administrateurs de certains wikis sous licences GFDL de modifier la licence de leur contenu sous licence Creative Commons BY-SA, soulève des questions cruciales vis-à-vis des modifications, de la manière dont elles ont été conduites et de leurs implications quant à la gestion par la FSF de nos licences à l’avenir.

De mon point de vue, et c’est aussi celui du conseil de la FSF, cette modification de la licence est totalement en accord avec nos valeurs, notre éthique et nos engagements, et c’est une nouvelle démonstration que la FSF mérite toujours votre confiance. Les licences comportant la clause « ou toute version ultérieure » nous permettent de donner de nouvelles permissions qui répondent aux besoins de la communauté et de contrer les nouvelles menaces qui pèsent contre la liberté des utilisateurs.

Cette option de changement de licence introduite par la GFDL 1.3 est complètement en accord avec l’esprit et les objectifs de la GFDL. Certains sites Web pourront ainsi passer de la GFDL à une autre licence libre, une autre licence qui diffère sous certains aspects mais qui est très proche globalement de la GFDL. Cette disposition permet à ces sites de rendre leur licence compatible avec de vastes collections de contenu sous licence libre avec lesquelles ils veulent coopérer.

L’impact de ce changement est limité car l’option de changement de licence ne s’applique qu’à un nombre de cas limité : les wikis, telle Wikipédia, qui ne font pas usage de certaines clauses particulières de la GFDL, comme les sections invariantes (NdT : contenu qui n’est modifiable que par l’auteur lui-même) et les textes de couverture, qui n’ont pas d’équivalent dans la licence CC-BY-SA.

Nous avons offert aux wikis une option à durée limitée dans le temps leur permettant de passer sous CC-BY-SA les contenus issus de la contribution du public. La fondation Wikimedia a initié un débat public quant à la décision à prendre : les participants de Wikipédia peuvent donner leur avis pour ou contre le changement. Nous n’avons joué aucun rôle dans cette décision, nous avons simplement donné à Wikipédia l’opportunité de la prendre.

Ce changement ne s’est pas fait dans la précipitation. La FSF s’est entretenue pendant plus d’un an avec la Wikimedia Foundation, Creative Commons et le Software Freedom Law Center pour planifier ce changement.

Ces discussions sont restées secrètes pour une raison que, je l’espère, vous approuverez : limiter l’applicabilité de cette option et éviter l’éventualité d’un changement de licence massif d’autres contenus placés sous licence GFDL. Cette option a été pensée uniquement pour les wikis bénéficiant d’une collaboration publique. Nous ne souhaitions pas que tout le monde puisse changer la licence des œuvres couvertes par la GFDL en les « blanchissant » au travers de Wikipédia ou d’autres sites similaires avant la date butoir.

Si un wiki exerce son option de changement de licence, cela implique qu’il accorde sa confiance aux Creative Commons plutôt qu’à la Free Software Foundation pour ce qui est des modifications futures de la licence. En théorie ,on pourrait y voir une source d’inquiétude, mais je pense que nous pouvons faire confiance à Creative Commons pour continuer sa mission à l’occasion des mises à jours de ses licences. Des millions d’utilisateurs font déjà confiance aux Creative Commons à ce sujet et je pense que nous pouvons faire de même.

Vous avez qualifié notre modification de licence de « trahison », mais si vous examinez ce que nous avons entrepris, vous verrez que nous sommes restés fidèles à nos principes.

Nous n’avons jamais affirmé que nous ne changerions pas nos licences, ou que nous ne ferions pas de modifications comme celle-ci. Nous nous sommes en revanche engagés à effectuer ces changements en respectant l’esprit de nos licences, et en garantissant les objectifs de ces licences. C’est ce que nous avons fait avec la GFDL 1.3 et, à plus grande échelle, avec la GPLv3, et c’est ce que nous continuerons à faire.

Vous avez entièrement raison d’attendre de la FSF une éthique irréprochable. J’espère que les modifications apportées à la licence GFDL vous convaincront que nous respectons cette éthique.

Cordialement,

Richard Stallman
Président de la Free Software Foundation

Notes

[1] Crédit photo : Cambodia4kidsorg (Creative Commons By)




L’Angleterre se pose la question du Libre dans l’éducation

Superbomba - CC by-saAprès Barack Obama et l’Open Source, voici une autre traduction émanant de la BBC, autour du Libre et l’éducation cette fois.

C’est un plaisir non dissimulé de voir un tel grand média s’intéresser à la question et lui donner ainsi un fort coup de projecteur dans l’opinion (avec analyses, témoignages, perspectives… du vrai travail de journaliste en somme, tout simplement). Mais c’est également une belle satisfaction de constater la maturité du discours et de l’évaluation du logiciel libre chez la Perfide Albion[1].

Il me tarde de voir pareille situation traverser la Manche. Puissent tous les articles connexes de ce blog modestement y contribuer…

La question du Libre dans l’éducation

Open source question for schools

Andrew Miller – 26 janvier – BBC News
(Traduction Framalang : Daria, Olivier, Don Rico)

Andrew Miller se demande si les logiciels Open Source ne pourraient pas aider les écoles à mieux gérer leur budget.

Au salon British Education Training and Technology, BETT 2009, un rapide coup d’œil suffisait pour se convaincre, par la dimension de l’évènement, que les technologies de l’éducation bénéficient d’un budget plus que conséquent.

Sachant que les logiciels Open Source disponibles gratuitement et librement couvrent l’essentiel des exigences du programme national, on peut se demander pourquoi les écoles n’y ont pas plus recours, avec une économie potentielle de plusieurs millions de livres à la clé.

Comme leur nom le suggère, les logiciels Open Source sont des logiciels communautaires et leur code source est ouvert à tous. N’importe qui peut modifier le logiciel selon ses besoins et ensuite partager ces modifications avec tout le monde.

En entendant parler de logiciel Open Source, nombreux sont ceux qui pensent Linux – le système d’exploitation alternatif disponible sous différentes distributions comme Ubuntu, openSUSE ou Fedora.

Linux propulse les serveurs depuis longtemps, mais l’Open Source touche à toutes sortes de projets. Le navigateur Web Firefox et la suite bureautique OpenOffice en sont de bons exemples.

Promotion ouverte

Dans le secteur de l’éducation, seule une poignée de technophiles, agissant de leur propre initiative, font la promotion des logiciels Open Source et les utilisent pour employer au mieux leur budget technologie.

Les critiques accusent Becta – une agence gouvernementale qui supervise les acquisitions de toutes les technologies pour les écoles – de n’avoir pas assez œuvré à la promotion des logiciels Open Source.

Peter Hughes, responsable des accords d’acquisition au Becta, a assuré à la BBC que Becta sera plus actif dans ce sens.

« En tant qu’organisation, on nous a principalement reproché de ne pas avoir présenté comme il se devait les solutions Open Source et de trop favoriser les solutions propriétaires, comme celles de Microsoft. Nous avons tenu compte de ces critiques et, dans l’exercice de nos conseils en matière de stratégie et de distribution de la technologie dans l’éducation, nous avons tenté de rester impartiaux dans les avis que nous émettons pour aider les écoles à faire les meilleurs choix », a-t-il indiqué.

Fin 2008, le Becta a collaboré avec l’organisation gouvernementale des services d’acquisition OGCBuying.Solutions pour approuver 12 fournisseurs, lesquels ont en commun la capacité à équiper les écoles avec des logiciels Open Source.

Le Becta considère la désignation de Sirius comme un « grand pas en avant » et comme un message envoyé à la communauté : « Nous prenons les logiciels Open Source au sérieux ».

John Spencer, chef du développement commercial de Sirius, a confié à la BBC que l’Open Source est encore trop méconnu, pas seulement dans les écoles, et que Linux souffre d’un problème d’image.

« Beaucoup d’établissements scolaires sont restés bloqués en l’an 2000, quand il est devenu évident que la connaissance de l’outil informatique deviendrait une nécessité, mais depuis ils n’ont rien fait. Ils ont peur d’avancer en terrain inconnu, et il ne s’agit pas seulement de Linux mais également de Vista et d’Office 2007. Les bons professeurs chercheront toujours à aller de l’avant mais ils sont si occupés qu’ils préfèrent souvent s’en tenir à ce qu’ils connaissent », a précisé Mr. Spencer.

Sirius a déjà installé des logiciels libres dans beaucoup d’établissements au Royaume-Uni.

Dans le cadre d’un projet mené à Twickenham, on autorise les portables et ultra-portables appartenant à l’établissement ou aux élèves à démarrer sur le réseau pour leur donner accès aux fichiers et aux programmes dont ils ont besoin.

« Le réseau coûte moitié moins que ce que RM peut proposer et les économies d’énergie réalisées permettent au système de s’autofinancer en moins de 3 ans », affirme Mr. Spencer

Le temps de la compétition

Une autre initiative du Becta est centrée sur le site opensourceschools.org.uk, lancé fin 2008. Il a pour objectif de fournir des informations essentielles et des conseils aux professeurs pour une bonne utilisation des logiciels Open Source.

Cependant, le Becta émet quelques réserves.

« Nous voulons que les professeurs se rendent compte qu’ils peuvent, et doivent, considérer les logiciels Open Source comme une alternative solide », a déclaré Mr. Hughes.

« Les établissements doivent malgré tout bien se renseigner. Les mises en garde à l’égard de l’Open Source sont aussi nombreuses qu’à l’égard des logiciels propriétaires. »

Et que pensent les grosses entreprises informatiques des logiciels Open Source qui marchent sur leurs plate-bandes ?

Steve Beswick, le directeur de l’éducation pour Microsoft Royaume-Uni, a déclaré à la BBC que même si les logiciels Open Source peuvent, sur la valeur nominale, permettre des économies, il faut se méfier des coûts cachés, pécuniaires et autres.

« Beaucoup de monde est habitué à utiliser les outils Microsoft, et il faut donc re-former les gens à l’utilisation des solutions Open Source, ce qui peut avoir un coût élevé », affirme-t-il.

« Pour faire le bon choix, les établissements colaires et les universités doivent avoir toutes les informations en main. »

M. Beswick a prétendu que Microsoft n’est pas opposé à l’Open Source, et cite leur « engagement en faveur l’interopérabilité » démontré par le support du format Open Document Format dans le Service Pack 2 d’Office 2007.

Il a aussi mentionné le travail que Microsoft a réalisé en acquérant IIS, son logiciel de serveur phare, pour travailler avec le langage PHP.

Le ministre de l’Éducation, Jim Knight, s’est fait l’écho du point de vue de Becta. Dans une déclaration, il a annoncé : « Les établissements scolaires et les universités doivent maîtriser les tenants et les aboutissants du problème pour faire le bon choix – qu’il se porte vers l’Open Source ou le propriétaire –, et doivent être conscients du coût total de la solution adoptée, en n’oubliant pas le support à long terme et la formation. Je pense que c’est le rôle du Becta de travailler avec les fournisseurs de logiciels, aussi bien Open Source que propriétaires, afin que les écoles et universités puissent tirer au mieux parti des logiciels pour appuyer l’enseignement et l’apprentissage. »

Et du côté de la communauté Open Source alors ?

Gerry Gavigan, le président du consortium Open Source, a dit à la BBC que l’adoption des logiciels Open Source ne pouvait que passer par un changement des mentalités.

« Les coûts de la formation continue ne disparaissent pas simplement grâce au passage des logiciels propriétaires aux logiciels gratuits et Open Source. En revanche, les coûts associés aux formations induites par les mises à niveau encouragées ou forcées par une tierce partie ne sont plus d’actualité », a-t-il indiqué.

On parle aussi fréquemment du problème du verrouillage technologique, une des explications principales, pour les défenseurs de l’Open Source, à la domination prolongée de Windows.

« L’un des paramètres qui n’est pas toujours pris en compte dans le calcul des contrats d’achat de logiciels sont les coûts à long terme résultant des licences ou du verrouillage technologique », a déclaré Mr. Gavigan.

Mr. Gavigan admet que la gratuité des logiciels Open Source leur a parfois nui.

« Annoncer que vous avez essayé de régler un problème en dépensant des sommes faramineuses a plus d’impact sur votre public que de dire que vous avez utilisé une solution gratuite. D’après une croyance malheureuse, si ça ne coûte rien, ça ne vaut rien », a-t-il déploré.

Le monde connecté

Quoiqu’il en soit, certaines écoles se mettent aux logiciels Open Source. Le lycée Highworth, à Ashford, propose à la fois des logiciels propriétaires et des logiciels Open Source à ses étudiants.

L’administrateur réseau de l’école, Marc Blake, a confié que bien qu’il soit important que les élèves connaissent des alternatives à Windows, il convient de reconnaître qu’ils vivent dans un monde dominé par Microsoft.

Mais il a annoncé à la BBC que d’importantes économies pourraient être réalisées en utilisant des alternatives Open Source.

« Nous proposons à la fois Office 2003 et OpenOffice, de sorte que les clients aient le choix. J’estime que 98% des clients choisissent Microsoft Office à la place d’OpenOffice, mais au moins ce choix existe », a précisé Mr. Blake.

« La seule mise à jour vers Office 2007 de toute l’école nous coûterait environ 27000£, mais ce montant n’inclut pas le coût de remise à niveau des utilisateurs ni les mises à jour des documents associés ou du matériel pédagogique. Acquérir l’équivalent de Moodle (logiciel libre d’e-apprentissage) pour nos 1200 étudiants nous aurait coûter plus de 3000£ par an. Pour ce prix-là on n’a pas le support professionnel, mais si on est prêt à faire ce sacrifice, c’est beaucoup d’argent économisé », a-t-il ajouté.

Avant d’adopter Linux, Mr. Blake s’inquiétait de la compatibilité de certaines des plus récentes technologies du Web. Ses inquiétudes se sont envolées puisque son établissement a maintenant plusieurs Asus EeePC fonctionnant sous Linux qui sont utilisés majoritairement pour les projets Web 2.0.

Cette année au BETT, un nombre non négligeable de logiciels pédagogiques ont fait le grand saut vers le Web 2.0 pour s’assurer une compatibilité avec toutes les plateformes.

L’utilisation de l’Open Source pourrait permettre aux écoles de réaliser d’importantes économies, mais cela implique un gros investissement en temps, en recherche et en formation. Mais allier logiciels commerciaux et logiciels Open Source, comme le fait le lycée Highworth, peut permettre une réduction des coûts tout en donnant le choix aux étudiants.

Voilà un bon point à faire figurer sur le bulletin scolaire des écoles.

Notes

[1] Crédit photo : Superbomba (Creative Commons By-Sa)




La douce musique de Maya Filipic

Independentman - CC byLe punk hardcore (de préférence californien), c’est pas mal mais c’est pas l’idéal si vous souhaitez tranquillement écouter un peu de musique tout en vous livrant à une activité intellectuelle intense, comme par exemple la rédaction de votre blog quotidien (quand bien même ce ne soit pas véritablement intense).

Dans ce cas précis, la délicatesse du piano de l’album Between two worlds de Maya Filipic (Creative Commons By-Nc-Nd) me convient mieux et je tenais à vous le faire partager[1].

Extrait 1 : « Stories from Emona I » (télécharger au format OGG)

Voici la traduction de la courte présentation de l’artiste sur Jamendo :

Née à Ljubljana, en Slovénie, Maya a toujours grandi auprès d’un piano. Lorsque à l’âge de 8 ans elle est entrée au conservatoire, elle savait déjà jouer du piano et du violon, mais s’est aperçue dès le début que le piano était pour elle le meilleur moyen de s’exprimer.

Elle s’est initiée à la composition au début de ses études, et a commencé très tôt à composer et interpréter ses propres mélodies. Mais ce qui l’intéresse le plus dans la musique reste l’improvisation.

Très vite, elle s’est rendu compte que l’enseignement académique ne répondait pas à ses attentes, et bien qu’ayant consacré deux tiers de sa vie à l’apprentissage du piano, elle a interrompu ses études à la faculté de musique au bout de deux ans. Elle aspirait à être plus qu’un pianiste jouant de façon machinale, formé pour finir enseignante dans un conservatoire pour le restant de ses jours, en appliquant le style que lui auraient inculqué ses professeurs. Cette perspective ne correspondait pas à sa façon de concevoir la musique.

Après une période passée à voyager de par le monde, à parfaire ses connaissances, à dévouvrir de nouveaux lieux et de nouvelles façons d’appréhender la vie, elle a commencé à intégrer ses expériences à sa musique. Dans son premier album, elle tente d’exprimer les sentiments que lui inspire de revenir sur le moment charnière où son ancienne façon de voir les choses à cédé la place à la nouvelle. D’où le titre, « Between two worlds ».

Extrait 2 : « Stories from Emona II » (télécharger au format OGG)

PS : Comme c’est de la Creative Commons et que c’est susceptible de bien se marier avec des images, on ne s’étonnera pas de commencer à la retrouver sur pas mal de vidéos YouTube dans le plus pur esprit de la Remix Culture chère à Larry Lessig.

Notes

[1] Crédit photo : Independentman (Creative Commons By)




VoD : l’interopérabilité selon TF1

J - CC by-saCe billet d’humeur aurait pu s’intituler « TF1 Vision : parcours du combattant », ou « TF1 Vision / Microsoft, descente aux enfers d’un candide linuxien », et pour développer je vais vous conter les déboires que m’a valu mon addiction aux séries TV.

Plantons le décor. Je n’ai pas la télé et je ne regarde que des DVDs, notamment des séries. Parmi ces séries, il y a LOST, et récemment, j’ai découvert que la saison 5 était disponible sur TF1 Vision, le site de vidéo à la demande (ou VoD) de TF1. Enthousiaste, je me voyais déjà passer quelques soirées à me repaître de vidéos. C’était sans compter sur les efforts conjugués de TF1 et de Microsoft[1] pour me mettre des bâtons dans les roues…

L’autre soir, donc, je m’installe derrière mon PC dans l’idée de télécharger deux épisodes de LOST. Le site de TF1 Vision passe bien sous Ubuntu Hardy, malgré une architecture truffée d’éléments en Flash, et l’inscription au service se déroule sans accroc. Mais lorsqu’on arrive sur la page de téléchargement, ça se gâte.

Un assistant de vérification de compatibilité m’annonce que mon système d’exploitation n’est pas pris en charge :

  1. Système d’exloitation : Votre système d’exploitation est incompatible avec notre service. Nos contenus sont accessibles sous Windows XP uniquement.
  2. Navigateur Internet
  3. Lecteur vidéo
  4. Activation des cookies

Copie d'écran - TF1 Vision

Qu’ils n’aient pas pensé à GNU/Linux ne m’étonne guère, mais qu’en est-il de Mac, qui est quand même en train de tailler de sérieuses croupières à Microsoft ? Le service commercial de TF1 devrait se tenir au courant de l’actualité informatique : Apple avait atteint début 2008 les 4% de part de marché en France et bénéficie depuis d’une progression fulgurante, GNU/Linux reste marginal mais connaît un succès croissant, et arrive en bonne place sur les mini-PC. Étrange de se couper ainsi de dizaines de milliers de clients potentiels…

Ayant gardé une partition sous XP au cas où l’on me confierait une traduction nécessitant un programme n’existant que pour Windows, je reboote et retourne sur le site de TF1 Vision. De retour sur la page de téléchargement, je clique sur le teaser de la saison 5 de LOST, pour un essai gratuit (pas fou, non plus…).

Ce qui donne alors :

  1. Système d’exloitation : OK
  2. Navigateur Internet : Votre navigateur Internet est incompatible avec notre service. Nos contenus sont accessibles avec Internet Exporer 6.0 ou plus.
  3. Lecteur vidéo
  4. Activation des cookies

Copie d'écran - TF1 Vision

Firefox n’est pas pris en charge. Apparemment, Safari, Chrome et Opera non plus. Pour TF1, c’est IE ou rien. Là encore, les concepteurs du site et les types du service commercial sont en retard de quelques années. Ignorent-ils que Firefox représente 25% de parts de marché en France, que Safari et Opera représentent malgré tout un nombre non négligeable d’utilisateurs ?

Désirant pousser le vice jusqu’au bout, je ferme Firefox et ouvre Internet Explorer 7. Encore une fois, ça coince :

  1. Système d’exloitation : OK
  2. Navigateur Internet : OK
  3. Lecteur vidéo : La version de votre lecteur vidéo est incompatible avec notre service. Nos contenus sont accessibles avec Windows Media 10 ou plus.
  4. Activation des cookies

Copie d'écran - TF1 Vision

N’en ayant pas l’utilité, je n’avais pas installé WMP version 11. Bien entendu, nulle mention d’un autre lecteur, même propriétaire. Il est pourtant loin le temps où Windows Media Player régnait sur le marché des lecteurs multimédia. Quicktime, ne serait que pour le streaming, ou VLC et Miro,comptent un bon paquet d’utilisateurs.

En tant qu’utilisateur de Linux, et même en tant qu’ancien utilisateur de Windows XP, je suis révolté qu’on ne me laisse aucun choix pour les programmes à utiliser. Comble de malchance, un bug de Windows Media Player m’a empêché de voir le fichier téléchargé à grand peine.

Avouez que l’on fait mieux comme expérience utilisateur. Certes, je n’attendais pas de TF1 qu’elle publie ses vidéos au format Ogg et sous licence Creative Commons, mais en arriver à un tel point de mépris de l’interopérabilité est attérant. Pour une entreprise commerciale, se couper d’une part grandissante des consommateurs est par ailleurs une stratégie pour le moins singulière. Mais TF1 n’est hélas pas la seule, de nombreux sites ou plateformes de téléchargement ne respectant pas les standards et l’interopérabilité, Apple et iTunes en tête.

Comment faire lorsqu’on est utilisateur de Linux, que l’on utilise Firefox ou Epiphany pour l’Internet et Totem ou VLC pour le multimédia ? Lorsqu’on est utilisateur de Mac et qu’on utilise Safari et Quicktime, sans parler de logiciels libres ? Et même lorsqu’on est sous Windows mais qu’on préfère surfer avec Firefox ou Opera, et lire ses fichiers vidéo avec VLC ou Miro ?

A-t-on alors d’autre choix que l’abstinence ou le téléchargement illégal lorsqu’on est utilisateur de Linux ? En ce qui me concerne, j’ai une furieuse envie d’installer eMule ou d’aller traîner sur The Pirate Bay… Les entreprises privées qui sont les premières à diaboliser le téléchargement illégal devraient peut-être d’abord faire sauter les verrous (au lieu d’en rajouter, on a vu la pirouette qu’a dû exécuter Apple face à l’ineptie et à l’impopularité des DRM) qui empêchent bon nombre d’entre nous d’accéder à leurs services.

Notes

[1] Crédit photo : J (Creative Commons By-Sa)




Un exemple de cinéma libre (au sens des logiciels libres)

Zara - CC by-saQu’est-ce qu’un « film libre » ? Est-ce qu’une œuvre cinématographique qui interdit la modification et la commercialisation (typiquement sous licence Creative Commons By-Nd) peut encore se considérer comme tel alors même qu’elle assure pourtant le « minimum syndical » de la libre circulation ? On pourrait alors penser qu’il suffit de lever ces clauses (typiquement avec une licence Creative Commons By-Sa) par avoir à faire avec certitude à du « cinéma libre ». Mais là encore ça peut coincer car quid d’une telle œuvre qui ne fournirait pas ses « sources » (rushes en haute définition, musiques, textes…) ? Le logiciel libre n’a pas le monopole de la liberté mais si l’on se réfère uniquement à la définition donnée par les fameuses quatre libertés du logiciel libre (dont deux nécessitent le code source) alors non nous ne sommes toujours pas en présence d’un « film libre ».

C’est pourquoi, au delà de ses qualités artistiques intrinsèques[1], nous avons trouvé intéressant d’évoquer le film anglophone « en construction » Valkaama en traduisant le billet dédié du blog des Creative Commons (et en ajoutant la bande-annonce ci-dessous). L’occasion de rappeler qu’en France nous avons Ralamax Prod qui tente de faire quelque chose de similaire avec leur projet de film sous licence Art Libre Varsovie-Express.

Les sources du film libre Valkaama disponibles en téléchargement

Files seeded for Valkaama, "open source movie"

Michelle Thorne – 16 janvier 2009 – Creative Commons Blog
(Traduction Framalang : Don Rico)

Les fichiers sources de Valkaama, tout nouveau « film Open Source » collaboratif filmé à Cracovie, en Pologne, ont été mis en ligne. Tim Baumann, son réalisateur, a choisi de de procéder à toute la post-production de ce long métrage de façon ouverte, avec l’aide de bénévoles, qu’ils soient amateurs ou professionnels.

Nous publions sur cette page toutes nos sources audio et vidéo afin de vous donner la possibilité de les utiliser comme matière de base. Si vous souhaitez participer à ce projet, en nous aidant à terminer le film, en créant des montages, en proposant une nouvelle bande-annonce, ou si vous voulez publier quoi que ce soit en rapport avec Valkaama, veuillez nous contacter.

Valkaama est une comédie dramatique qui se déroule en Suède et en Finlande, tournée par les élèves d’une école de théâtre et des amateurs venus de Cracovie et ses environs. On y suit les pérégrinations de deux jeunes gens très différents l’un de l’autre, que le destin pousse sur la route de Valkaama. Leurs chemins finissent par se croiser, mais ils ne se rendent pas compte combien leur voyage est déjà déterminé par leurs passés respectifs.

Les films open-source et à contenu libre restent rares. Valkaama est un des premiers films à être distribué gratuitement, et à garantir en outre l’accès libre à tous les matériaux sources utilisés et créés au cours de sa production. Ce projet est placé sous des licences Creative Commons By-Sa 3.0 afin d’assurer une utilisation et réutilisation très souple du matériau produit. À presque chaque texte, image et vidéo, ainsi que qu’à tous les médias téléchargeables, est associé une licence. Les licences sont même parfois incluses dans les fichiers médias eux-mêmes.

Remixez bien !

Notes

[1] Crédit photo : Zara (Creative Commons By)