Principes internationaux pour le respect des droits humains dans la surveillance des communications

International Principles on the Application of Human Rights to Communications Surveillance

(Traduction : Slystone, tradfab, hugo, Pascal22, Hubert Guillaud, sinma, big f, Guillaume, Barbidule, Calou, Asta, wil_sly, chdorb, maugmaug, rou, RyDroid, + anonymes)

Version finale du 7 juin 2013

Alors que se développent les technologies qui leur permettent de surveiller les communications, les États ne parviennent pas à garantir que les lois et réglementations relatives à la surveillance des communications respectent les droits humains et protègent efficacement la vie privée et la liberté d’expression (Ndt : le choix de traduire human rights par « droits humains » – plutôt que « droits de l’homme » – repose sur le choix délibéré de ne pas perpétuer une exception française sujette à caution.). Ce document tente d’expliquer comment le droit international des droits humains doit s’appliquer à l’environnement numérique actuel, à un moment où les technologies et les méthodes de surveillance des communications se généralisent et se raffinent. Ces principes peuvent servir de guide aux organisations citoyennes, aux entreprises et aux États qui cherchent à évaluer si des lois et des pratiques de surveillance, actuelles ou en discussion, sont en conformité avec les droits humains.

Ces principes sont le fruit d’une consultation globale d’organisations citoyennes, d’entreprises et d’experts internationaux sur les aspects juridiques, politiques et technologiques de la surveillance des communications.

Préambule

Le respect de la vie privée est un droit humain fondamental, indispensable au bon fonctionnement des sociétés démocratiques. Il est essentiel à la dignité humaine et renforce d’autres droits, comme la liberté d’expression et d’information, ou la liberté d’association. Il est consacré par le droit international des droits humains[1]. Les activités qui restreignent le droit au respect de la vie privée, et notamment la surveillance des communications, ne sont légitimes que si elles sont à la fois prévues par la loi, nécessaires pour atteindre un but légitime et proportionnelles au but recherché[2].

Avant la généralisation d’Internet, la surveillance des communications par l’État était limitée par l’existence de principes juridiques bien établis et par des obstacles logistiques inhérents à l’interception des communications. Au cours des dernières décennies, ces barrières logistiques à la surveillance se sont affaiblies, en même temps que l’application des principes juridiques aux nouvelles technologies a perdu en clarté. L’explosion des communications électroniques, ainsi que des informations à propos de ces communications (les « métadonnées » de ces communications), la chute des coûts de stockage et d’exploration de grands jeux de données, ou encore la mise à disposition de données personnelles détenues par des prestataires de service privés, ont rendu possible une surveillance par l’État à une échelle sans précédent[3].

Dans le même temps, l’évolution conceptuelle des droits humains n’a pas suivi l’évolution des moyens modernes de surveillance des communications dont dispose l’État, de sa capacité à croiser et organiser les informations obtenue par différentes techniques de surveillances, ou de la sensibilité croissante des informations auxquelles il accède.

La fréquence à laquelle les États cherchent à accéder au contenu des communications ou à leurs métadonnées – c’est-à-dire aux informations portant sur les communications d’une personne ou sur les détails de son utilisation d’appareils électroniques – augmente considérablement, sans aucun contrôle approprié[4]. Une fois collectées et analysées, les métadonnées issues des communications permettent de dresser le profil de la vie privée d’un individu, tel que son état de santé, ses opinions politiques et religieuses, ses relations sociales et ses centres d’intérêts, révélant autant de détails, si ce n’est plus, que le seul contenu des communications[5]. Malgré ce risque élevé d’intrusion dans la vie privée des personnes, les instruments législatifs et réglementaires accordent souvent aux métadonnées une protection moindre, et ne restreignent pas suffisamment la façon dont les agences gouvernementales peuvent les manipuler, en particulier la façon dont elles sont collectées, partagées, et conservées.

Pour que les États respectent réellement leurs obligations en matière de droit international des droits humains dans le domaine de la surveillance des communications, ils doivent se conformer aux principes exposés ci-dessous. Ces principes portent non seulement sur l’obligation pesant sur l’État de respecter les droits de chaque individu , mais également sur l’obligation pour l’État de protéger ces droits contre d’éventuels abus par des acteurs non-étatiques, et en particulier des entreprises privées[6]. Le secteur privé possède une responsabilité équivalente en termes de respect et de protection des droits humains, car il joue un rôle déterminant dans la conception, le développement et la diffusion des technologies, dans la fourniture de services de communication, et – le cas échéant – dans la coopération avec les activités de surveillance des États. Néanmoins, le champ d’application des présents principes est limité aux obligations des États.

Une technologie et des définitions changeantes

Dans l’environnement moderne, le terme « surveillance des communications » désigne la surveillance, l’interception, la collecte, le stockage, la modification ou la consultation d’informations qui contiennent les communications passées, présentes ou futures d’une personne, ainsi que de toutes les informations qui sont relatives à ces communications. Les « communications » désignent toute activité, interaction et échange transmis de façon électronique, tels que le contenu des communications, l’identité des parties communiquant, les données de localisation (comme les adresses IP), les horaires et la durée des communications, ainsi que les identifiants des appareils utilisés pour ces communications.

Le caractère intrusif de la surveillance des communications est traditionnellement évalué sur la base de catégories artificielles et formelles. Les cadres légaux existants distinguent entre le « contenu » et le « hors-contenu », les « informations sur l’abonné » ou les « métadonnées », les données stockées et celles en transit, les données restant à domicile et celles transmises à un prestataire de service tiers[7]. Néanmoins, ces distinctions ne sont plus appropriées pour mesurer le niveau d’intrusion causé par la surveillance des communications dans la vie privée des individus. Il est admis de longue date que le contenu des communications nécessite une protection légale importante en raison de sa capacité à révéler des informations sensibles, mais il est maintenant clair que d’autres informations issues des communications d’un individu – les métadonnées et diverses informations autres que le contenu – peuvent révéler encore davantage sur l’individu que la communication elle-même, et doivent donc bénéficier d’une protection équivalente.

Aujourd’hui, ces informations, qu’elles soient analysées séparément ou ensemble, peuvent permettent de déterminer l’identité, le comportement, les relations, l’état de santé, l’origine ethnique, l’orientation sexuelle, la nationalité ou les opinions d’une personne ; ou encore d’établir une carte complète des déplacements et des interactions d’une personne dans le temps[8]., ou de toutes les personnes présentes à un endroit donné, par exemple une manifestation ou un rassemblement politique. En conséquence, toutes les informations qui contiennent les communications d’une personne, ainsi que toutes les informations qui sont relatives à ces communications et qui ne sont pas publiquement et facilement accessibles, doivent être considérées comme des « informations protégées », et doivent en conséquence se voir octroyer la plus haute protection au regard de la loi.

Pour évaluer le caractère intrusif de la surveillance des communications par l’État, il faut prendre en considération non seulement le risque que la surveillance ne révèle des informations protégées, mais aussi les raisons pour lesquelles l’État recherche ces informations. Si une surveillance des communications a pour conséquence de révéler des informations protégées susceptibles d’accroître les risques d’enquêtes, de discrimination ou de violation des droits fondamentaux pesant sur une personne, alors cette surveillance constitue non seulement une violation sérieuse du droit au respect de la vie privée, mais aussi une atteinte à la jouissance d’autres droits fondamentaux tels que la liberté d’expression, d’association et d’engagement politique. Car ces droits ne sont effectifs que si les personnes ont la possibilité de communiquer librement, sans l’effet d’intimidation que constitue la surveillance gouvernementale. Il faut donc rechercher, pour chaque cas particulier, tant la nature des informations collectées que l’usage auquel elles sont destinées.

Lors de l’adoption d’une nouvelle technique de surveillance des communications ou de l’extension du périmètre d’une technique existante, l’État doit vérifier préalablement si les informations susceptibles d’être obtenues rentrent dans le cadre des « informations protégées », et il doit se soumettre à un contrôle judiciaire ou à un mécanisme de supervision démocratique. Pour déterminer si les informations obtenues par la surveillance des communications atteignent le niveau des « informations protégées », il faut prendre en compte non seulement la nature de la surveillance, mais aussi son périmètre et sa durée. Une surveillance généralisée ou systématique a la capacité de révéler des informations privées qui dépassent les informations collectées prises individuellement, cela peut donc conférer à la surveillance d’informations non-protégées un caractère envahissant, exigeant une protection renforcée[9].

Pour déterminer si l’État est ou non fondé à se livrer à une surveillance des communications touchant à des informations protégées, le respect de principes suivants doit être vérifié.

Les principes

Légalité: toute restriction au droit au respect de la vie privée doit être prévue par la loi. L’État ne doit pas adopter ou mettre en oeuvre une mesure qui porte atteinte au droit au respect de la vie privée sans qu’elle ne soit prévue par une disposition législative publique, suffisamment claire et précise pour garantir que les personnes ont été préalablement informées de sa mise en oeuvre et peuvent en anticiper les conséquences. Etant donné le rythme des changements technologiques, les lois qui restreignent le droit au respect de la vie privée doivent faire l’objet d’un examen régulier sous la forme d’un débat parlementaire ou d’un processus de contrôle participatif.

Objectif légitime : la surveillance des communications par des autorités étatiques ne doit être autorisée par la loi que pour poursuivre un objectif légitime lié à la défense d’un intérêt juridique fondamental pour une société démocratique. Aucune mesure de surveillance ne doit donner lieu à une discrimination sur le fondement de l’origine, du sexe, de la langue, de la religion, des opinions politiques, de la nationalité, de l’appartenance à un groupe social, de la richesse, de la naissance ou de tout autre situation sociale.

Nécessité : les lois permettant la surveillance des communications par l’État doivent limiter la surveillance aux éléments strictement et manifestement nécessaires pour atteindre un objectif légitime. La surveillance des communications ne doit être utilisée que lorsque c’est l’unique moyen d’atteindre un but légitime donné, ou, lorsque d’autres moyens existent, lorsque c’est le moyen le moins susceptible de porter atteinte aux droits humains. La charge de la preuve de cette justification, que ce soit dans les procédures judiciaires ou législatives, appartient à l’État.

Adéquation : toute surveillance des communications prévue par la loi doit être en adéquation avec l’objectif légitime poursuivi.

Proportionnalité : la surveillance des communications doit être considérée comme un acte hautement intrusif qui interfère avec le droit au respect de la vie privée, ainsi qu’avec la liberté d’opinion et d’expression, et qui constitue de ce fait une menace à l’égard les fondements d’une société démocratique. Les décisions relatives à la surveillance des communications doivent être prises en comparant les bénéfices attendus aux atteintes causées aux droits des personnes et aux autres intérêts concurrents, et doivent prendre en compte le degré de sensibilité des informations et la gravité de l’atteinte à la vie privée.

Cela signifie en particulier que si un État, dans le cadre d’une enquête criminelle, veut avoir accès à des informations protégées par le biais d’une procédure de surveillance des communications, il doit établir auprès de l’autorité judiciaire compétente, indépendante et impartiale, que :

  1. il y a une probabilité élevée qu’une infraction pénale grave a été ou sera commise ;
  2. la preuve d’une telle infraction serait obtenue en accédant à l’information protégée recherchée ;
  3. les techniques d’investigation moins intrusives ont été épuisées ;
  4. l’information recueillie sera limitée à ce qui est raisonnablement pertinent au regard de l’infraction concernée et toute information superflue sera promptement détruite ou restituée ;
  5. l’information est consultée uniquement par l’instance spécifiquement désignée, et utilisée exclusivement aux fins pour lesquelles l’autorisation a été accordée.

Si l’État cherche à avoir accès à des informations protégées via une surveillance des communications à des fins qui ne placeront pas une personne sous le risque de poursuites pénales, d’enquête, de discrimination ou de violation des droits de l’homme, l’État doit établir devant une autorité indépendante, impartiale et compétente que :

  1. d’autres techniques d’investigation moins intrusives ont été envisagées ;
  2. l’information collectée sera limitée à ce qui est raisonnablement pertinent, et toute information superflue sera promptement détruite ou restituée à la personne concernée ;
  3. l’information est consultée uniquement par l’instance spécifiquement désignée, et utilisée exclusivement aux fins pour lesquelles l’autorisation a été accordée.

Autorité judiciaire compétente : les décisions relatives à la surveillance des communications doivent être prises par une autorité judiciaire compétente, impartiale et indépendante. L’autorité doit être (1) distincte des autorités qui effectuent la surveillance des communications, (2) au fait des enjeux relatifs aux technologies de la communication et aux droits humains, et compétente pour rendre des décisions judiciaires dans ces domaines, et (3) disposer de ressources suffisantes pour exercer les fonctions qui lui sont assignées.

Le droit à une procédure équitable : Une procédure équitable suppose que les États respectent et garantissent les droits humains des personnes en s’assurant que les procédures relatives aux atteintes aux droits humains sont prévues par la loi, sont systématiquement appliquées et sont accessibles à tous. En particulier, pour statuer sur l’étendue de ses droits humains, chacun a droit à un procès public dans un délai raisonnable par un tribunal établi par la loi, indépendant, compétent et impartial[10] sauf cas d’urgence lorsqu’il y a un risque imminent de danger pour une vie humaine. Dans de tels cas, une autorisation rétroactive doit être recherchée dans un délai raisonnable. Le simple risque de fuite ou de destruction de preuves ne doit jamais être considéré comme suffisant pour justifier une autorisation rétroactive.

Notification des utilisateurs : les personnes doivent être notifiées d’une décision autorisant la surveillance de leurs communications, avec un délai et des informations suffisantes pour leur permettre de faire appel de la décision, et elles doivent avoir accès aux documents présentés à l’appui de la demande d’autorisation. Les retards dans la notification ne se justifient que dans les cas suivants :

  1. la notification porterait gravement atteinte à l’objet pour lequel la surveillance est autorisée, ou il existe un risque imminent de danger pour une vie humaine ; ou
  2. l’autorisation de retarder la notification est accordée par l’autorité judiciaire compétente conjointement à l’autorisation de surveillance ; et
  3. la personne concernée est informée dès que le risque est levé ou dans un délai raisonnable, et au plus tard lorsque la surveillance des communications prend fin.

À l’expiration du délai, les fournisseurs de services de communication sont libres d’informer les personnes de la surveillance de leurs communications, que ce soit de leur propre initiative ou en réponse à une demande.

Transparence : les États doivent faire preuve de transparence quant à l’utilisation de leurs pouvoirs de surveillance des communications. Ils doivent publier, a minima, les informations globales sur le nombre de demandes approuvées et rejetées, une ventilation des demandes par fournisseurs de services, par enquêtes et objectifs. Les États devraient fournir aux individus une information suffisante pour leur permettre de comprendre pleinement la portée, la nature et l’application des lois autorisant la surveillance des communications. Les États doivent autoriser les fournisseurs de service à rendre publiques les procédures qu’ils appliquent dans les affaires de surveillance des communications par l’État, et leur permettre de respecter ces procédures ainsi que de publier des informations détaillées sur la surveillance des communications par l’État.

Contrôle public : les États doivent établir des mécanismes de contrôle indépendants pour garantir la transparence et la responsabilité de la surveillance des communications[11]. Les instances de contrôle doivent avoir les pouvoirs suivants : accéder à des informations sur les actions de l’État, y compris, le cas échéant, à des informations secrètes ou classées ; évaluer si l’État fait un usage légitime de ses prérogatives ; évaluer si l’État a rendu publiques de manière sincère les informations sur l’étendue et l’utilisation de ses pouvoirs de surveillance ; publier des rapports réguliers ainsi que toutes autres informations pertinentes relatives à la surveillance des communications. Ces mécanismes de contrôle indépendants doivent être mis en place en sus de tout contrôle interne au gouvernement.

Intégrité des communications et systèmes : Afin d’assurer l’intégrité, la sécurité et la confidentialité des systèmes de communication, et eu égard au fait que toute atteinte à la sécurité pour des motifs étatiques compromet presque toujours la sécurité en général, les États ne doivent pas contraindre les fournisseurs de services, ou les vendeurs de matériels et de logiciels, à inclure des capacités de surveillance dans leurs systèmes ou à recueillir et conserver certaines informations exclusivement dans le but de permettre une surveillance par l’État. La collecte et le stockage des données a priori ne doivent jamais être demandés aux fournisseurs de services. Les personnes ont le droit de s’exprimer anonymement, les États doivent donc s’abstenir d’imposer l’identification des utilisateurs comme condition préalable pour l’accès à un service[12].

Garanties dans le cadre de la coopération internationale : en réponse aux évolutions dans les flux d’information et les technologies de communication, les États peuvent avoir besoin de demander assistance à un fournisseur de services étranger. Les traités de coopération internationale en matière de police et de justice et les autres accords conclus entre les États doivent garantir que, lorsque plusieurs droits nationaux peuvent s’appliquer à la surveillance des communications, ce sont les dispositions établissant la plus grande protection à l’égard des individus qui prévalent. Lorsque les États demandent assistance dans l’application du droit, le principe de double-incrimination doit être appliqué (NdT : principe selon lequel, pour être recevable, la demande de collaboration doit porter sur une disposition pénale existant à l’identique dans les deux pays). Les États ne doivent pas utiliser les processus de coopération judiciaire ou les requêtes internationales portant sur des informations protégées dans le but de contourner les restrictions nationales sur la surveillance des communications. Les règles de coopération internationale et autres accords doivent être clairement documentés, publics, et conformes au droit à une procédure équitable.

Garanties contre tout accès illégitime : les États doivent adopter une législation réprimant la surveillance illicite des communications par des acteurs publics ou privés. La loi doit prévoir des sanctions civiles et pénales dissuasives, des mesures protectrices au profit des lanceurs d’alertes, ainsi que des voies de recours pour les personnes affectées. Cette législation doit prévoir que toute information obtenue en infraction avec ces principes est irrecevable en tant que preuve dans tout type de procédure, de même que toute preuve dérivée de telles informations. Les États doivent également adopter des lois prévoyant qu’une fois utilisées pour l’objectif prévu, les informations obtenues par la surveillance des communications doivent être détruites ou retournées à la personne.

Signataires

  • Access Now
  • Article 19 (International)
  • Bits of Freedom (Netherlands)
  • Center for Internet & Society (India)
  • Comision Colombiana de Juristas (Colombia)
  • Derechos Digitales (Chile)
  • Electronic Frontier Foundation (International)
  • Open Media (Canada)
  • Open Net (South Korea)
  • Open Rights Group (United Kingdom)
  • Privacy International (International)
  • Samuelson-Glushko Canadian Internet Policy and Public Interest Clinic (Canada)
  • Statewatch (UK)

Notes

[1] Article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme ; article 14 de la Convention des Nations Unies sur les travailleurs migrants ; article 16 de la Convention des Nations Unies sur la protection des droits de l’enfant ; pacte international relatif aux droits civils et politiques ; article 17 du pacte international relatif aux droits civils et politiques ; conventions régionales dont article 10 de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, article 11 de la Convention américaine des droits de l’Homme, article 4 de la déclaration de principe de la liberté d’expression en Afrique, article 5 de la déclaration américaine des droits et devoirs de l’Homme, article 21 de la Charte arabe des droits de l’Homme et article 8 de la Convention européenne de la protection des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ; principes de Johannesburg relatifs à la sécurité nationale, libre expression et l’accès à l’information, principes de Camden sur la liberté d’expression et l’égalité.

[2] Article 29 de la Déclaration universelle des droits de l’homme ; commentaire général numéro 27, adopté par le Comité des droits de l’Homme sous l’article 40, paragraphe 4, par The International Covenant On Civil And Political Rights, CCPR/C/21/Rev.1/Add.9, du 2 novembre ; voir aussi de Martin Scheinin, « Report of the Special Rapporteur on the promotion and protection of human rights and fundamental freedoms while countering terrorism, » 2009, A/HRC/17/34.

[3] Les métadonnées des communications peuvent contenir des informations à propos de notre identité (informations sur l’abonné, information sur l’appareil utilisé), de nos interactions (origines et destinations des communications, en particulier celles montrant les sites visités, les livres ou autres documents lus, les personnes contactées, les amis, la famille, les connaissances, les recherches effectuées et les ressources utilisées) et de notre localisation (lieux et dates, proximité avec d’autres personnes) ; en somme, des traces de presque tous les actes de la vie moderne, nos humeurs, nos centres d’intérêts, nos projets et nos pensées les plus intimes.

[4] Par exemple, uniquement pour le Royaume-Uni, il y a actuellement environ 500 000 requêtes sur les métadonnées des communications chaque année, sous un régime d’auto-autorisation pour les agences gouvernementales, qui sont en mesure d’autoriser leurs propres demandes d’accès aux informations détenues par les fournisseurs de services. Pendant ce temps, les données fournies par les rapports de transparence de Google montrent qu’aux États-Unis, les requêtes concernant des données d’utilisateurs sont passées de 8 888 en 2010 à 12 271 en 2011. En Corée, il y a eu environ 6 millions de requêtes par an concernant des informations d’abonnés et quelques 30 millions de requêtes portant sur d’autres formes de communications de métadonnées en 2011-2012, dont presque toutes ont été accordées et exécutées. Les données de 2012 sont accessibles ici.

[5] Voir par exemple une critique du travail de Sandy Pentland, « Reality Minning », dans la Technology Review du MIT, 2008, disponible ici, voir également Alberto Escudero-Pascual et Gus Hosein « Questionner l’accès légal aux données de trafic », Communications of the ACM, volume 47, Issue 3, mars 2004, pages 77-82.

[6] Rapport du rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté d’opinions et d’expression, Frank La Rue, 3 juin 2013, disponible ici.

[7] « Les gens divulguent les numéros qu’ils appellent ou textent à leurs opérateurs mobiles, les URL qu’ils visitent et les adresses courriel avec lesquelles ils correspondent à leurs fournisseurs d’accès à Internet, et les livres, les courses et les médicaments qu’ils achètent à leurs boutiques en ligne… On ne peut présumer que toutes ces informations, volontairement divulguées à certaines personnes dans un but spécifique, sont, de ce seul fait, exclues de la protection du 4e amendement de la Constitution. » United States v. Jones, 565 U.S, 132 S. Ct. 945, 957 (2012) (Sotomayor, J., concurring).

[8] « La surveillance à court terme des déplacements d’une personne sur la voie publique est compatible avec le respect de la vie privée », mais « l’utilisation de systèmes de surveillance GPS à plus long terme dans les enquêtes sur la plupart des infractions empiète sur le respect de la vie privée. » United States v. Jones, 565 U.S., 132 S. Ct. 945, 964 (2012) (Alito, J. concurring).

[9] « La surveillance prolongée révèle des informations qui ne sont pas révélées par la surveillance à court terme, comme ce que fait un individu à plusieurs reprises, ce qu’il ne fait pas, et ce qu’il fait à la suite. Ce type d’informations peut en révéler plus sur une personne que n’importe quel trajet pris isolément. Des visites répétées à l’église, à une salle de gym, à un bar ou à un bookmaker racontent une histoire que ne raconte pas une visite isolée, tout comme le fait de ne pas se rendre dans l’un de ces lieux durant un mois. La séquence des déplacements d’une personne peut révéler plus de choses encore ; une seule visite à un cabinet de gynécologie nous en dit peu sur une femme, mais ce rendez-vous suivi quelques semaines plus tard d’une visite à un magasin pour bébés raconte une histoire différente. Quelqu’un qui connaîtrait tous les trajets d’une personne pourrait en déduire si c’est un fervent pratiquant, un buveur invétéré, un habitué des clubs de sport, un mari infidèle, un patient ambulatoire qui suit un traitement médical, un proche de tel ou tel individu, ou de tel groupe politique – il pourrait en déduire non pas un de ces faits, mais tous. » U.S. v. Maynard, 615 F.3d 544 (U.S., D.C. Circ., C.A.) p. 562; U.S. v. Jones, 565 U.S (2012), Alito, J., participants. « De plus, une information publique peut entrer dans le cadre de la vie privée quand elle est systématiquement collectée et stockée dans des fichiers tenus par les autorités. Cela est d’autant plus vrai quand ces informations concernent le passé lointain d’une personne. De l’avis de la Cour, une telle information, lorsque systématiquement collectée et stockée dans un fichier tenu par des agents de l’État, relève du champ d’application de la vie privée au sens de l’article 8 (1) de la Convention. » (Rotaru v. Romania, (2000) ECHR 28341/95, paras. 43-44.

[10] Le terme « Due process » (procédure équitable) peut être utilisé de manière interchangeable avec « équité procédurale » et « justice naturelle », il est clairement défini dans la Convention européenne pour les droits de l’Homme article 6(1) et article 8 de la Convention américaine relative aux droits de l’Homme.

[11] Le commissaire britannique à l’interception des communications est un exemple d’un tel mécanisme de contrôle indépendant. L’ICO publie un rapport qui comprend des données agrégées, mais il ne fournit pas de données suffisantes pour examiner les types de demandes, l’étendue de chaque demande d’accès, l’objectif des demandes et l’examen qui leur est appliqué. Voir ici.

[12] Rapport du rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, Frank La Rue, 16 mai 2011, A/HRC/17/27, para 84.




Quelle entreprise peut encore faire confiance à Microsoft ? par Glyn Moody

Le titre se suffit à lui-même ici. On pourrait ajouter aux entreprises, les institutions et les particuliers, bref tout le monde.

Non content d’avoir été accusé par le passé de réserver dans Windows des portes dérobées à la NSA, non content d’être fortement suspecté de laisser les autorités américaines collecter nos données dans Skype, Microsft est maintenant soupçonné de différer la publication de ses patchs de sécurité pour en informer d’abord les mêmes autorités américaines !

Tout DSI normalement constiué(e) devrait lire cet article et en tirer avec sa direction ses propres conclusions.

Cambodia4kidsorg - CC by

Quelle entreprise peut encore faire confiance à Microsoft ?

How Can Any Company Ever Trust Microsoft Again?

Glyn Moddy – juin 2013 – Open Enterprise (Computer World)
(Traduction : Slystone, Luo, lamessen, Antoine, sinma, Pouhiou, Sky, Fe-lor, aKa, Asta, audionuma + anonymes)

Quels que soient les détails des récentes révélations sur l’espionnage de masse de la part des États-Unis fournis par Edward Snowden dans le Guardian, il y a déjà un énorme bénéfice collatéral. D’un côté, le gouvernement des États-Unis se replie sur lui-même, niant certaines allégations en offrant sa propre version de l’histoire. Cela, et pour la première fois, nous donne des détails officiels sur des programmes dont nous n’étions (au mieux) informés que par fuites et rumeurs, voire pas du tout. De plus, la précipitation indécente et l’histoire sans cesse changeante des autorités américaines est une confirmation, si elle était encore nécessaire, que ce que Snowden a révélé est important — vous ne provoquez pas un tel tapage pour rien.

Mais peut-être encore plus crucial, d’autres journalistes, poussés par la honte et leur culpabilisation, ont finalement posé des questions qu’ils auraient dû poser des années voire des décennies plus tôt. Cela a abouti à une série d’articles extrêmement intéressants à propos de l’espionnage de la NSA, dont beaucoup contiennent des informations auxiliaires qui sont aussi intéressantes que l’histoire principale. Voici un bel exemple de ce qui est apparu durant le week-end sur le site de Bloomberg.

Entre autres choses, il s’agit de Microsoft, et d’évaluer dans quelle mesure ils ont aidé la NSA à espionner le monde. Bien sûr, cette crainte n’est pas nouvelle. Dès 1999, il était déjà dit que des portes dérobées avaient été codées dans Windows :

Une erreur d’inattention de programmeurs Microsoft a révélé qu’un code d’accès spécial préparé par l’agence nationale de sécurité étasunienne (NSA) avait été secrètement implémenté dans Windows. Le système d’accès de la NSA est implémenté sous toutes les versions de Windows actuellement utilisées, à l’exception des premières versions de Windows 95 (et ses prédécesseurs). La découverte suivait de près les révélations survenues un peu plus tôt cette année concernant un autre géant du logiciel étasunien, Lotus, qui avait implémenté une trappe « d’aide à l’information » pour la NSA dans son système Notes. Des fonctions de sécurité dans d’autres logiciels systèmes avaient été délibérément paralysées.

Plus récemment, il y eut des craintes au sujet de Skype, racheté par Microsoft en mai 2011. En 2012, il y a eu des discussions pendant lesquelles on s’est demandé si Microsoft avait changé l’architecture de Skype pour rendre l’espionnage plus facile (l’entreprise a même un brevet sur l’idée). Les récentes fuites semblent confirmer que ces craintes étaient bien fondées, comme le signale Slate :

Le scoop du Washington Post sur PRISM et ses possibilités présente plusieurs points frappants, mais pour moi un en particulier s’est démarqué du reste. The Post, citant une diapositive Powerpoint confidentielle de la NSA, a écrit que l’agence avait un guide d’utilisation spécifique « pour la collecte de données Skype dans le cadre du programme PRISM » qui met en évidence les possibilités d’écoutes sur Skype « lorsque l’un des correspondants utilise un banal téléphone et lorsque deux utilisateurs du service réalisent un appel audio, vidéo, font du chat ou échangent des fichiers. »

Mais même cela devient dérisoire comparé aux dernières informations obtenues par Bloomberg :

D’après deux personnes qui connaissent bien le processus, Microsoft, la plus grande compagnie de logiciels au monde, fournit aux services de renseignement des informations sur les bogues dans ses logiciels populaires avant la publication d’un correctif. Ces informations peuvent servir à protéger les ordinateurs du gouvernement ainsi qu’à accéder à ceux de terroristes ou d’armées ennemies.

La firme de Redmond basée à Washington, Microsoft, ainsi que d’autres firmes œuvrant dans le logiciel ou la sécurité, était au courant que ce genre d’alertes précoces permettaient aux États-Unis d’exploiter des failles dans les logiciels vendus aux gouvernements étrangers, selon deux fonctionnaires d’État. Microsoft ne demande pas et ne peut pas savoir comment le gouvernement utilise de tels tuyaux, ont dit les fonctionnaires, qui ne souhaitent pas que leur identité soit révélée au vu de la confidentialité du sujet.

Frank Shaw, un porte-parole de Microsoft, a fait savoir que ces divulgations se font en coopération avec d’autres agences, et sont conçues pour donner aux gouvernements « une longueur d’avance » sur l’évaluation des risques et des mitigations.

Réfléchissons-y donc un moment.

Des entreprises et des gouvernements achètent des logiciels à Microsoft, se reposant sur la compagnie pour créer des programmes qui sont sûrs et sans risque. Aucun logiciel n’est complètement exempt de bogues, et des failles sérieuses sont trouvées régulièrement dans le code de Microsoft (et dans l’open source, aussi, bien sûr). Donc le problème n’est pas de savoir si les logiciels ont des failles, tout bout de code non-trivial en a, mais de savoir comment les auteurs du code réagissent.

Ce que veulent les gouvernements et les compagnies, c’est que ces failles soient corrigées le plus vite possible, de manière à ce qu’elles ne puissent pas être exploitées par des criminels pour causer des dégâts sur leurs systèmes. Et pourtant, nous apprenons maintenant que l’une des premières choses que fait Microsoft, c’est d’envoyer des informations au sujet de ces failles à de multiples agences, en incluant sans doute la NSA et la CIA. En outre, nous savons aussi que « ce type d’alerte précoce a permis aux U.S.A. d’exploiter des failles dans les logiciels vendus aux gouvernements étrangers »

Et rappelez-vous que « gouvernements étrangers » signifie ceux des pays européens aussi bien que les autres (le fait que le gouvernement du Royaume-Uni ait espionné des pays « alliés » souligne que tout le monde le fait). Il serait également naïf de penser que les agences de renseignement américaines exploitent ces failles « jour 0 » seulement pour pénétrer dans les systèmes des gouvernements ; l’espionnage industriel représentait une partie de l’ancien programme de surveillance Echelon, et il n’y a aucune raison de penser que les U.S.A. vont se limiter aujourd’hui (s’il y a eu un changement, les choses ont empiré).

Il est donc fortement probable que les faiblesses des produits Microsoft soient régulièrement utilisées pour s’infiltrer et pratiquer toutes sortes d’espionnage dans les gouvernements et sociétés étrangères. Ainsi, chaque fois qu’une entreprise installe un nouveau correctif d’une faille majeure provenant de Microsoft, il faut garder à l’esprit que quelqu’un a pu avoir utilisé cette faiblesse à des fins malveillantes.

Les conséquences de cette situation sont très profondes. Les entreprises achètent des produits Microsoft pour plusieurs raisons, mais toutes supposent que la compagnie fait de son mieux pour les protéger. Les dernières révélations montrent que c’est une hypothèse fausse : Microsoft transmet consciencieusement et régulièrement des informations sur la manière de percer les sécurités de ses produits aux agences américaines. Ce qui arrive à ces informations plus tard est, évidemment, un secret. Pas à cause du « terrorisme », mais parce qu’il est presque certain que des attaques illégales sont menées contre d’autres pays (et leurs entreprises) en dehors des États-Unis.

Ce n’est rien d’autre qu’une trahison de la confiance que les utilisateurs placent en Microsoft, et je me demande comment un responsable informatique peut encore sérieusement recommander l’utilisation de produits Microsoft maintenant que nous sommes presque sûrs qu’ils sont un vecteur d’attaques par les agences d’espionnage américaines qui peuvent potentiellement causer d’énormes pertes aux entreprises concernées (comme ce qui est arrivé avec Echelon).

Mais il y a un autre angle intéressant. Même si peu de choses ont été écrites à ce sujet — même par moi, à ma grande honte — un nouvel accord législatif portant sur les attaques en ligne est en cours d’élaboration par l’Union Européenne. Voici un aspect de cet accord :

Ce texte demandera aux États membres de fixer leur peine maximale d’emprisonnement à au moins deux ans pour les crimes suivants : accéder à ou interférer illégalement avec des systèmes d’informations, interférer illégalement avec les données, intercepter illégalement des communications ou produire et vendre intentionnellement des outils utilisés pour commettre ces infractions.

« Accéder ou interférer illégalement avec des systèmes d’informations » semble être précisément ce que le gouvernement des États-Unis fait aux systèmes étrangers, dont probablement ceux de l’Union Européenne. Donc, cela indiquerait que le gouvernement américain va tomber sous le coup de ces nouvelles réglementations. Mais peut-être que Microsoft aussi, car c’est lui qui en premier lieu a rendu possible l’« accès illégal ».

Et il y a un autre aspect. Supposons que les espions américains utilisent des failles dans les logiciels de Microsoft pour entrer dans un réseau d’entreprise et y espionner des tiers. Je me demande si ces entreprises peuvent elles-mêmes se trouver accusées de toute sorte d’infractions dont elles ne savaient rien ; et finir au tribunal. Prouver son innocence ici risque d’être difficile, car en ce cas les réseaux d’entreprise seraient effectivement utilisés pour espionner.

Au final, ce risque est encore une autre bonne raison de ne jamais utiliser des logiciels de Microsoft, avec toutes les autres qui ont été écrites ici ces dernières années. Ce n’est pas uniquement que l’open source est généralement moins cher (particulièrement si vous prenez en considération le prix de l’enfermement livré avec les logiciels Microsoft), mieux écrit, plus rapide, plus sûr et plus sécurisé. Mais par-dessus tout, le logiciel libre respecte ses utilisateurs, les plaçant solidement aux commandes.

Cela vous ôte toute crainte que l’entreprise vous ayant fourni un programme donne en secret à des tiers la possibilité de retourner contre vous ce logiciel que vous avez payé assez cher. Après tout, la plupart des résolutions des bogues dans l’open source est effectuée par des codeurs qui ont un peu d’amour pour l’autorité verticale, de sorte que la probabilité qu’ils donnent régulièrement les failles à la NSA, comme le fait Microsoft, doit être extrêmement faible.

Crédit photo : Cambodia4kidsorg (Creative Commons By)




L’ADULLACT, l’AFUL et Framasoft soutiennent l’amendement limitant les racketiciels du groupe GDR défendu par Mme Fraysse

21/06/2013 18:20 (Dernière modification : 21/06/2013 19:51)

Dans le cadre du projet de loi relatif à la consommation, L’ADULLACT, l’AFUL et Framasoft apportent leur soutien, sans réserve, à l’amendement 711 déposé par le groupe GDR et défendu par Jacqueline Fraysse. Cet amendement va dans la bonne voie pour mettre un terme au scandale des racketiciels, c’est-à-dire à la vente forcée de logiciels non demandés lors de l’achat de matériel informatique.

Les associations du logiciel libre appellent donc tous les députés, de toute tendance politique, à soutenir vivement cet amendement !

Au dernier épisode…

À l’automne 2011, le gouvernement de François Fillon avait proposé un projet de loi de protection du consommateur. Plusieurs députés avaient proposé des amendements censés apporter une meilleure protection du consommateur face aux pratiques commerciales déloyales de vente forcée des logiciels inclus dans le matériel informatique. Comme l’AFUL l’avait souligné à l’époque, le remède était pire que le mal puisque après une lecture juridique attentive, ces textes aboutissaient à un résultat totalement opposé au but recherché.

Lors des débats, les députés avaient bien identifié les faiblesses juridiques des uns et la dangerosité des autres et avaient finalement laissé la législation en l’état afin de réfléchir à de meilleures rédactions pour la seconde lecture. Seconde lecture qui n’a jamais eu lieu suite au retrait du texte par le gouvernement.

Aujourd’hui, un nouveau projet de loi de consommation est présenté à la nouvelle législature. Forts de l’enseignement tiré des débats de 2011 et des arguments issus des divers bancs, le groupe Gauche démocrate et républicaine sous l’impulsion de Jacqueline Fraysse, députée de la 4e circonscription des Hauts-de-Seine, propose un amendement ayant pour objectif de mettre fin aux pratiques commerciales déloyales de l’informatique grand public, dans le respect de la législation européenne.

Analyse de l’amendement proposé

L’amendement propose d’ajouter des obligations d’informations à la charge des professionnels dans un nouvel article L. 113-7 (l’article L. 113-6 étant créé dans l’article 54 du projet de loi) du Code de la consommation.

Après l’article L. 113-6 du code de la consommation, est inséré un article L. 113-7 ainsi rédigé :

« Art. L. 113-7. – Le matériel informatique proposé à la vente avec des logiciels intégrés constitue une vente par lots. »

« Tout professionnel vendeur de matériel informatique fournissant des logiciels intégrés doit, avant tout paiement du prix par le consommateur, l’informer par voie d’affichage des caractéristiques essentielles et du prix public toutes taxes comprises du lot ainsi que du prix de chacun des logiciels composant individuellement le lot. L’indication de ces prix doit figurer sur la facture remise au consommateur. »

« La violation de ces dispositions entre dans le champ d’application de l’article L. 122-3. ».

Vente par lots

Tout d’abord, l’alinéa 1 aborde la question de la vente par lots en précisant désormais expressément que le matériel informatique vendu avec des logiciels préchargés constitue une vente par lots.

En effet, si la jurisprudence applique depuis longtemps ce principe (notamment depuis un arrêt de 2005 de la Cour de cassation), il est régulièrement contesté devant les tribunaux, forçant les consommateurs qui estent en justice à expliquer encore et toujours pourquoi matériel et logiciels constituent deux produits parfaitement distincts (l’un est un bien meuble, l’autre une prestation de services). En précisant désormais clairement qu’il s’agit d’une vente par lots, la réglementation spécifique à l’information due par les professionnels sur les lots, issue de l’article 7 de l’arrêté du 3 décembre 1987, s’appliquera.

Obligations d’information

L’alinéa 2 détaille les obligations d’information nécessaires : informer le consommateur par voie d’affichage des caractéristiques essentielles des produits proposés dans le lot.

Les caractéristiques essentielles sont l’ensemble des éléments permettant au consommateur d’effectuer un choix éclairé : par exemple, préciser que le matériel et les logiciels peuvent être vendus séparément, que les logiciels ne sont que des options non obligatoires ou encore que les logiciels fournis sont payants. S’agissant du prix des produits, il devra fait l’objet d’une information précise, non seulement pour le prix des produits composant le lot, mais également le prix de chacun des éléments du lot. La facture qui sera remise au consommateur comprendra donc le prix détaillé de tous les produits. Les procès initiés par les consommateurs ont mis en évidence que le prix des logiciels fournis préchargés, jusque là vendu de force, pouvaient représenter plus de 30 % du prix de la machine seule.

Sanctions

Le 3e alinéa aborde la question des sanctions. La directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 rappelle, au paragraphe 29 de son annexe 1, que la vente forcée est une pratique commerciale déloyale « en toutes circonstances » c’est-à-dire qu’il suffit théoriquement à un juge de constater que le professionnel a exigé un paiement sans commande expresse et préalable du consommateur pour que la pratique soit déclarée déloyale. Cette disposition a été intégrée dans le Code de la consommation par les lois des 3 janvier et 4 août 2008. Les textes ont d’ailleurs été remaniés avec la loi Warsman de 2011 qui a proposé une lecture plus claire de l’article L. 122-3 du Code de la consommation. Cet article prévoit des sanctions civiles de nullité du contrat avec une obligation de remboursement, ainsi que des sanctions pénales. Le texte est donc parfaitement adapté à la situation et permet aux consommateurs d’agir autant par la voie civile que par la voie pénale et d’espérer avoir ainsi du poids face aux entreprises concernées, le plus souvent multinationales.

Voter ce texte malgré les pressions

C’est ce texte qui doit être favorisé et que les députés sont encouragés à adopter massivement. Il faut tout de même rappeler qu’à l’occasion du précédent projet de loi consommation de 2011, des députés s’étaient plaints des pressions qu’ils subissaient pour ne pas voter ces textes favorables aux consommateurs et le député de la 5e circonscription d’Isère, François BROTTES, avait clairement dénoncé cette situation inadmissible. Sous la présente législature, c’est aujourd’hui que se mesurera le courage politique et l’engagement des députés pour l’intérêt général.

L’intérêt général d’abord !

L’intérêt du consommateur et l’ouverture du marché à tous les acteurs, notamment français, étant la priorité des élus de la nation, nous sommes confiants dans le fait que l’ensemble des députés verront le point d’équilibre atteint par cet amendement et qu’ils le soutiendront unanimement.

Cyprien Gay, membre du groupe de travail « non aux racketiciels » de l’AFUL indique « Voilà 15 ans que nous interpellons les politiques de toutes tendances sur cette question. Depuis le début des années 2000 ce sujet est évoqué à l’Assemblée. Cependant, la pression des éditeurs qui bénéficient de cette vente forcée a réussi jusqu’ici à conserver un statu quo qui leur est favorable, avec la complicité inexplicable des divers gouvernements. »

Christophe Masutti, président de Framasoft, déclare « Il est est plus que nécessaire de clarifier les pratiques de vente liée qui maintiennent une tension évidente entre d’un côté le droit du consommateur à l’information et de l’autre côté le recours providentiel aux directives européennes qui empêche les États membres d’interdire les “offres conjointes” assimilées à une pratique commerciale comme une autre, bien que la “vente forcée” soit, elle, condamnable. Ceci constitue un frein artificiellement entretenu au déploiement du formidable potentiel compétitif du logiciel libre. »

Dimitri Robert, administrateur de l’AFUL souligne « Les logiciels vendus de force avec les matériels informatiques sont édités hors d’Europe par des entreprises réputées pour leur évasion fiscale et l’évitement à l’impôt sur leurs activités en France. Il n’y a donc aucun intérêt pour la France ou pour l’Europe d’entretenir leur rente sur le dos du consommateur Français. »

Également interrogé, l’avocat de l’AFUL, Maître Frédéric CUIF, estime que « Il s’agit d’un texte de consensus qui devrait à la fois permettre une meilleure information des consommateurs mais aussi leur offrir la possibilité de dénoncer moins difficilement ces pratiques commerciales déloyales devant les tribunaux. Bien sûr, il faudra toujours passer par un juge pour faire cesser la pratique commerciale déloyale de vente forcée, mais c’est un premier pas évident en faveur des consommateurs en attendant une véritable prise de conscience nationale sur la question. »

Laurent Séguin, président de l’AFUL conclut : « Il est temps de faire cesser cette situation de concurrence faussée où l’on impose, depuis trop longtemps, un choix uniforme aux consommateurs. Des acteurs européens et français portent d’ores et déjà des solutions concurrentes crédibles et innovantes, notamment sous licence libre, aux logiciels vendus de force avec du matériel informatique. Malheureusement, ces racketiciels les empêchent d’accéder au marché sur un pied d’égalité. Aujourd’hui, avec ces textes justes et équilibrés, les parlementaires ont l’opportunité de faire triompher enfin l’intérêt général en faisant en sorte qu’en France, les effets de ce hold-up planétaire soient amoindris. »

À propos de l’Adullact (http://adullact.org/)

Née fin 2002, l’Association des Développeurs et Utilisateurs de Logiciels Libres pour les Administrations et les Collectivités Territoriales s’est donnée pour tâche de constituer, développer et promouvoir un patrimoine commun de logiciels libres métiers, afin que l’argent public ne paie qu’une fois. L’Adullact dispose d’une équipe permanente, pour encourager et aider les membres à mutualiser leurs développements sur la forge adullact.net, qui compte aussi les projets de la forge admisource. Structure unique en son genre, l’Adullact était accréditée pour le Sommet Mondial de Tunis.

À propos de l’AFUL (http://aful.org/)

Association Francophone des Utilisateurs de Logiciels Libres, l’AFUL a pour principal objectif de promouvoir les logiciels libres ainsi que l’utilisation des standards ouverts. Ses membres, utilisateurs, professionnels du logiciel libre, entreprises ainsi que d’autres associations, sont issus d’une dizaine de pays ou de régions francophones (France, Belgique, Suisse, Afrique francophone, Québec).

Interlocuteur de nombreux médias, l’AFUL est présente sur nombre de salons, conférences et rencontres. Elle agit notamment activement contre la vente liée (site Non aux Racketiciels, comparatif bons-vendeurs-ordinateurs.info et bons-constructeurs-ordinateurs.info), pour l’interopérabilité (membre de l’AFNOR, participation aux référentiels d’interopérabilité et d’accessibilité de la DGME, site formats-ouverts.org, etc.), intervient sur les problématiques du droit d’auteur ainsi que pour la promotion de l’utilisation de logiciels et ressources pédagogiques libres pour l’éducation entendue au sens large.

À propos de Framasoft (http://framasoft.org/)

Issu du monde éducatif, Framasoft est un réseau d’éducation populaire consacré principalement au logiciel libre et s’organise en trois axes sur un mode collaboratif : promotion, diffusion et développement de logiciels libres, enrichissement de la culture libre et offre de services libres en ligne.  Pour plus d’informations, vous pouvez vous rendre sur le site Web à l’adresse suivante : http://www.framasoft.org/ et nous contacter par notre formulaire de contact http://contact.framasoft.org/

 

Contacts presse :

  • Laurent Séguin, président de l’AFUL, laurent.seguin@aful.org +33 (0)6 63 94 87 16
  • Me Frédéric Cuif, avocat au barreau de Poitiers, +33 (0)5 49 88 70 61
  • Cyprien Gay, membre GdT Racketiciel, cyprien.gay@aful.org +33 (0)6 61 89 49 82
  • Alexis Kauffmann, fondateur et chargé de mission Framasoft, aka@framasoft.org +33 (0)6 95 01 04 55
  • Relations presse – AFUL : presse@aful.org



Les pages man de MySQL ne sont plus libres (bye bye GPL)

Edit : en fait c’était un bug (mais un bug troublant quand même). Fausse alerte donc, le contenu du billet ci-dessous n’est plus pertinent.

Quand on saute d’une version 5.5.30 à la 5.5.31, il ne se passe généralement pas grand chose mis à part quelques bugs fixés.

Sauf qu’ici on a décidé en catimini de changer la licence des pages man de MySQL et ce n’est pas très fair-play de la part de son propriétaire Oracle.

Heureusement qu’on a le fork MariaDB, d’où est d’ailleurs issue cette traduction.

MySQL Logo

Les pages man de MySQL changent discrètement de licence pour ne plus être sous GPL

MySQL man pages silently relicensed away from GPL

Colin Charles – 18 juin 2013 – MariaDB Blog
(Traduction : Lgodard, ehsavoie, Asta, rou, BastienLQ)

On nous a récemment rapporté que la licence des pages man de MySQL a été modifiée. Le changement a été fait en douce lors du passage de MySQL 5.5.30 à MySQL 5.5.31. Cela affecte toutes les pages du répertoire man/ du code source.

On peut voir que ces changements sont intervenus durant cette courte période (5.5.30->5.5.31). Les anciennes pages du manuel étaient publiées sous la licence suivante :

Cette documentation est un logiciel libre : vous pouvez la redistribuer et/ou la modifier uniquement sous les termes de la licence GNU GPLv2 telle que publiée par la Free Software Foundation.

Les nouvelles pages man (5.5.31 et ultérieures — toujours en vigueur pour 5.5.32) sont sous la licence suivante :

Ce logiciel et la documentation rattachée sont soumis à un accord de licence contenant des restrictions sur leur utilisation et leur divulgation et sont protégés par les lois sur la propriété intellectuelle. Sauf autorisation expresse dans cet accord de licence ou par la loi, vous ne pouvez pas utiliser, copier, reproduire, traduire, diffuser, modifier, changer de licence, transmettre, distribuer, exposer, publier ou montrer une quelconque partie, quelque soit sa forme ou les moyens utilisés. Il est interdit de faire de la rétroingénierie, désassembler ou décompiler ce logiciel, sauf si la loi le requiert pour l’interopérabilité…

Ce n’est clairement pas une marque d’affection pour MySQL de la part d’Oracle. La nouvelle licence est également devenue bien plus longue (en clair ce n’est pas sous licence GPL). Tandis que ce qui suit a été récupéré de l’outil resolveip, le copyright est le même pour toutes les pages man. Vous pouvez comparer la page man de la version 5.5.30 et celle de la version 5.5.31.

License man page MySQL




Stop Watching Us, une pétition soutenue par Mozilla suite à l’affaire Prism

Mozilla a lancé hier la pétition Stop Watching Us suite à la retentissante affaire de la collecte de données privées d’internautes par le renseignement américain.

Nous en avons traduit la lettre adressée au Congrès qui apparaît en accueil de l’initiative.

Il va sans dire que cela nous concerne tous et pas seulement les Américains (à fortiori si vous avez déjà laissé des traces chez Google, Facebook, Twitter, Apple, Amazon, etc.)

Digital cat - CC by

Arrêtez de nous regarder

Stop Watching Us

Mozilla – 11 juin 2013
(Traduction : Mowee, Cyb, MFolschette + anonymes)

Les révélations sur l’appareil de surveillance de la National Security Agency, si avérées, représentent un abus stupéfiant de nos droits fondamentaux. Nous réclamons que le Congrès américain révèle l’étendue des programmes d’espionnage de la NSA.

Chers membres du Congrès,

Nous vous écrivons pour exprimer notre préoccupation à propos des rapports récemment publiés dans le Guardian et le Washington Post, et reconnus par l’administration Obama, qui révèlent l’espionnage secret par la NSA d’enregistrements téléphoniques et de l’activité sur Internet du peuple des États-Unis.

Le Washington Post et le Guardian ont récemment publié des rapports basés sur les informations fournies par un agent du renseignement, montrant comment la NSA et le FBI peuvent aisément accéder aux données collectées par neuf des principales sociétés américaines de l’Internet et partager ces données avec les gouvernements étrangers. Le rapport mentionne l’extraction par le gouvernement américain de données audio, vidéo, de photos, de courriels, de documents et d’historiques de connexion permettant aux analystes de suivre les mouvements et contacts des personnes au cours du temps. Il en résulte que les contenus des communications des personnes aussi bien résidant aux États-Unis qu’étrangères peuvent être parcourus sans aucune suspicion de crime ou d’association avec une organisation terroriste.

Ces rapports, également publiés par le Guardian et avérés par l’administration, révèlent que la NSA tire abusivement profit d’une section controversée du Patriot Act pour collecter les enregistrements d’appels de millions d’utilisateurs de Verizon. Les données collectées par la NSA incluent chaque appel, l’heure à laquelle il a été effectué, sa durée, et d’autres « informations d’identification » pour ces millions d’utilisateurs de Verizon, et ce pour l’ensemble des appels internes aux États-Unis, que les utilisateurs soient ou non suspectés de crime. Le Wall Street Journal rapporte que certains des principaux fournisseurs d’accès à Internet comme AT&T ou Sprint, sont sujets à de tels agissements secrets.

Ce type de collecte généralisée de données par le gouvernement est en contradiction avec le fondement des valeurs américaines de liberté et de vie privée. Cette surveillance massive viole le Premier et le Quatrième Amendement de la Constitution des États-Unis, laquelle protège le droit de parole des citoyens et leur anonymat et prémunit contre les perquisitions et saisies afin de protéger leur droit à la vie privée.

Nous appelons le Congrès à prendre des mesures immédiates pour mettre fin à cette surveillance et fournir publiquement toutes les données collectées par le programme de la NSA et du FBI. Nous appelons donc le Congrès à immédiatement et publiquement :

  1. Réformer la section 215 du Patriot Act, le privilège du secret d’état ainsi que les amendements de la loi FISA. L’objectif est de bien faire comprendre que la surveillance de l’activité sur Internet ainsi que l’enregistrement de toutes les conversations téléphoniques de toute personne résidant au sein des États-Unis sont interdits par la loi et constituent des violations pouvant être jugées par des autorités compétentes tel qu’un tribunal public.
  2. Mettre en place une commission spéciale qui, après investigation, publiera de façon publique l’étendue de cet espionnage domestique. Cette commission devrait de plus recommander des réformes juridiques et règlementaires spécifiques afin de mettre un terme à cette surveillance inconstitutionnelle.
  3. Demander des comptes aux principaux fonctionnaires responsables de cette surveillance.

Je vous remercie de l’attention que vous porterez à ce sujet.

Cordialement,

Crédit photo : Digital Cat (Creative Commons By)




Comment aider le logiciel libre quand on ne sait pas coder

Ce n’est pas Framasoft qui vous dira le contraire, on peut contribuer au logiciel libre et faire ainsi partie de sa communauté sans être nécessairement un développeur de logiciel libre.

Rédiger de la documentation, signaler un bug, traduire, donner, etc. il y a plein de manières de participer, à commencer par les utiliser et le faire savoir.

Gozamos - CC by-sa

Comment les non-programmeurs peuvent contribuer aux projets open source

How non-programmers can contribute to open source projects

Duncan McKean – 4 juin 2013 – Blog personnel
(Traduction : « Anonymes », nos excuses car un bug Framapad empêche de citer tous les traducteurs/ices que nous remercions au passage)

Beaucoup de gens intéressés par l’idée d’apporter leur aide à des projets open source mais n’ayant absolument aucune compétence en programmation m’ont demandé ce qu’ils pouvaient faire. Eh bien, voici quelques moyens pour ces non-programmeurs de contribuer à de tels projets.

Il est important de noter qu’il est bon de contribuer aux projets des logiciels que vous utilisez. Ainsi, vous pourrez vous-même bénéficier de vos contributions.

Utilisez le logiciel

Le meilleur moyen de contribuer à des projets open source est d’utiliser les produits eux-mêmes. Écrivez votre livre avec Libre Office Writer. Dessinez vos images avec Krita. Créez des choses à imprimer en 3D avec FreeCAD ou Blender. Réservez vos tickets de concert en ligne via Firefox. Faites vos comptes avec Grisbi. Jouez à Flightgear, Battle for Wesnoth, Vega Strike, UFO : Alien Invasion.

Traquez les bugs

Maintenant que vous utilisez le logiciel, vous pouvez éventuellement rencontrer des bugs quand vous essayez de faire quelque chose. Ou alors, le logiciel peut avoir un comportement autre que celui qui était attendu.

Entrez en contact avec les développeurs et prévenez-les. Les développeurs travaillent sur les retours de leurs utilisateurs, ceci les aide à perfectionner le produit. De plus, les sources étant libres, les bugs sont en général rapidement corrigés.

Chaque projet aura un lien pour signaler un bug. Allez-y, identifiez-vous et décrivez ce bug dans les détails. N’oubliez pas d’indiquer quelle version du logiciel vous utilisez ainsi que les caractéristiques de votre ordinateur.

Écrivez de la documentation

Contribuer à écrire la documentation d’un projet pour le rendre plus clair et plus simple à comprendre.

La plupart du temps, les développeurs sont trop occupés à coder et la documentation a besoin d’un peu d’attention. Vous pouvez la mettre en forme afin qu’elle soit plus claire, ajouter des images ou des tutoriels. Si certaines parties du projet ne sont pas claires, il suffit de demander sur les listes de diffusion. Ainsi, lorsque vous recevrez une réponse, vous pourrez l’ajouter à la documentation. Dès que les personnes qui maintiennent le projet saisiront ce que vous faites, leurs réponses seront encore plus efficaces et utiles.

Traduisez

Il y a beaucoup de personnes dans le monde qui utilisent ce projet et certaines d’entre elles pourraient ne pas parler la langue dans laquelle celui-ci a été distribué. Si vous parlez couramment un langage peu connu, contactez les développeurs/l’équipe de documentation et offrez vos services. Vous pourriez participer à la traduction de l’interface, de la documentation ou encore du site web.

Offrez vos compétences

Regardez les projets individuels et voyez ce dont ils ont besoin. Vous pouvez apporter quelque chose ? Vous êtes designer sonore et pourriez créer quelques sons pour un jeu vidéo open source ? Concepteur d’interface ? Vous pourriez aider en remaniant l’interface utilisateur pour la rendre plus ergonomique. Il est également possible de lancer des entreprises viables utilisant ou formant aux logiciels open source.

Vous pouvez aussi contribuer à la culture du libre en publiant ce que vous créez sous certaines licences Creative Commons. Vos créations peuvent ainsi aider à promouvoir le logiciel pour lequel elles ont été créées. Ceci inclut :

  • les images ;
  • les programmes ;
  • les tutoriels ;
  • les manuels d’installation et de documentation ;
  • les livres.

Utilisez la licence CC BY-SA pour que chaque réutilisation de votre travail soit elle aussi placée sous licence libre, CC BY si la façon dont il est réutilisé vous importe peu. Vous trouverez plus d’informations à ce sujet sur le site des Creative Commons.

Prêchez la bonne parole

Aider à la prise de conscience des projets open-source est très important. N’agressez pas tout le monde, faites juste savoir quels projets vous utilisez. Créé avec MyPaint sous LinuxMint. Écrit en Sigil sous Ubuntu. Je suis fier d’utiliser WordPress. Toutes ces mentions sont utiles.

Faites des dons

Enfin, leur donner de l’argent. Avec de l’argent, le projet peut embaucher des développeurs supplémentaires qui pourront corriger des bugs plus rapidement, créer de nouveau outils, les améliorer pour vous. Certains projets proposent des dons occasionnels, alors que d’autres vous permettent de payer de petites sommes mensuellement. C’est une meilleure idée car cela aide les développeurs à mieux gérer leurs revenus quand ils savent quelle somme d’argent ils reçoivent de façon sûre.

Soyez professionnel

L’une des principales critiques faites aux logiciels open source est le manque de professionnalisme. Peu importe la manière dont vous contribuez à un projet open source, mettez un point d’honneur à le faire de façon professionnelle. L’élévation du niveau de qualité d’un projet commence avec ses utilisateurs. Assurez-vous que vous agissez de manière professionnelle lorsque vous discutez de projets avec d’autres et créez des contributions de qualité quand vous utilisez des logiciels open source.

Maintenant que vous savez tout ça, lancez-vous et allez aider à rendre les projets open source géniaux.

Crédit photo : Gozamos (Creative Commons By-Sa)




Wikipédia face aux institutions, par Éric Bruillard

Éric Bruillard est professeur au STEF – ENS Cachan.

L’article ci-dessous reprend une présentation faite le 15 décembre 2012 lors des Rencontres Wikimédia, à l’université Paris Descartes.

Remarque : Vous pouvez également accéder directement à la version ODT et PDF du document.

Kalexanderson - CC by

Wikipédia face aux institutions

Éric Bruillard – décembre 2012

Introduction

Il y a cinq ans, en mars 2007, j’avais écrit un article intitulé « Wikipédia : la rejeter ou la domestiquer ». J’avançais l’idée, qui a souvent été mal comprise, que Wikipédia ne pouvait pas « avoir une présence reconnue dans l’enseignement en France, ses principes mêmes (neutralité) n’étant pas compatibles avec les valeurs de l’école laïque et républicaine française, valeurs qui conduisent à privilégier certains points de vue et à en interdire d’autres ». J’ajoutais que Wikipédia pouvait cependant avoir une place, d’une part comme projet encyclopédique avec des participations actives à ce projet, comme faire écrire des articles à des élèves, et, d’autre part, comme une encyclopédie à laquelle beaucoup auraient recours, dans une posture de consommateur.

Ces deux directions ont été effectivement suivies, et des utilisations constructives sont repérables dans l’enseignement secondaire ou supérieur, quoique la « consommation » est certainement beaucoup plus développée que la participation. Mais Wikipédia aurait-elle maintenant une présence reconnue dans l’éducation ?

Dans un premier temps, nous allons tenter de situer les discours généraux sur Wikipédia, notamment dans l’éducation nationale. Ensuite, nous verrons en quoi Wikipédia est maintenant une véritable institution, statut qui n’est pas sans poser de nouvelles questions. Enfin nous traiterons la question de l’évaluation des articles de cette encyclopédie : une évaluation interne s’est installée alors que l’évaluation externe ne semble pas beaucoup progresser : serait-ce révélateur de relations encore difficiles avec un projet collectif que l’on a toujours du mal à appréhender ?

Wikipédia : quoi de neuf depuis 2007 ?

Le premier constat que l’on peut faire, sans avoir spécialement besoin de l’étayer, est celui de la croissance impressionnante du projet Wikipédia : une présence très importante (notamment via Google), des utilisations qui se multiplient, notamment dans l’éducation, de nouveaux projets associés…

Pourtant, face à ce formidable déploiement, on s’aperçoit, notamment à travers le discours d’étudiants ou d’enseignants, d’une méconnaissance persistante du fonctionnement de Wikipédia, d’idées reçues tenaces, d’utilisations contestées, d’interrogations sur la fiabilité…

Wikipedia nous aide d’ailleurs à cerner ce que qu’est une idée reçue : « une opinion, située entre le stéréotype, le cliché et le lieu commun », précisant qu’elle a « la particularité de s’admettre aisément » parce qu’elle est « très répandue, que celui qui la transmet la considère très souvent comme évidemment démontrée ; elle est agréable à admettre, parce qu’elle répond (le plus souvent simplement) à une question redondante, ou gênante, ou complexe : elle aide à ne plus réfléchir et s’impose insidieusement ». Justement, un peu de réflexion s’impose.

Comme il est possible à n’importe qui de créer ou modifier le contenu d’un article, que ce n’est pas réservé à des spécialistes, il ne semble pas possible qu’il y ait des articles de qualité et on ne peut en aucun cas s’en remettre à Wikipédia. Ce discours de sagesse populaire continue à être très souvent énoncé. Prenons juste un seul exemple : “Wikipedia is a free, web-based, collaborative, multilingual encyclopedia project. Anybody is able to change, add or remove articles on Wikipedia. This of course is prone to many problems as some authors may be: biased, vandalise the article or write incorrect information.”

Les études comparatives qui ont été menées attestent du contraire et l’expérience quotidienne de nombre d’entre nous montre qu’on lui fait malgré tout confiance. Peu d’études nouvelles sont disponibles. La seule étude récente est intitulée Assessing the accuracy and quality of Wikipedia entries compared to popular online encyclopaedias A preliminary comparative study across disciplines in English, Spanish and Arabic. Mais les auteurs remercient la Wikimedia Foundation pour son soutien financier. D’autres institutions ne sont sans doute intéressées à financer une évaluation des articles de Wikipedia, préférant laisser planer le doute et les idées reçues.

Quelle présence officielle dans l’éducation ?

Si la neutralité de l’éducation nationale française l’invite à ne pas citer de marque ou de nom de produit dans ses programmes officiels, sauf exception, elle est conduite à veiller sur ce qui est proposé. Une recherche sur le site officiel Eduscol atteste de la présence de Wikipédia.

On trouve des revues de presse ; un dossier déjà ancien sur les usages pédagogiques ; des recommandations, des définitions issues de Wikipédia, le fait que Wikipedia offre une nouvelle fonctionnalité (l’exportation de pages au format epub, ce qui permet de constituer une sélection d’articles à consulter hors ligne sur une liseuse ou sur smartphone).

On trouve également référence à Wikipedia dans des sujets de bac, des ressources pour la résolution de problèmes, des dossiers pédagogiques… mais avec le plus souvent des modes de citation approximatifs (cf page 2 de ce document). Dans les ressources pour la classe terminale générale et technologique, Physique-chimie, Série S (Eduscol), on trouve 10 références à Wikipédia.

Ce bref tour d’horizon nous en apprend plus sur le système éducatif que sur Wikipédia. Cette dernière apparaît pratique et très utile, mais demeure un motif récurrent de complaintes, attestant des difficultés (ou de l’incapacité ?) du système éducatif à traiter les évolutions en cours sur les savoirs, leur diffusion, leur mise en question… Une utilisation parfois « honteuse », que l’on peut rapprocher des usages des calculatrices en collège il y a quelques années[1] : une sur utilisation, une maîtrise très diversifiée et un manque de formation des élèves. Au début du collège, utiliser la calculatrice est considéré comme une tricherie, il ne faudrait s’en servir que pour contrôler les résultats des opérations que l’on fait à la main. Mais dès la 4e, la tricherie est quelque sorte légalisée, notamment avec les fonctions trigonométriques, et ceux qui ont acquis une bonne maîtrise des calculatrices, sont alors avantagés. Le système éducatif prend peu en charge, voire pas du tout, la formation des élèves à cette maîtrise.

Wikipédia - Eduscol

Wikipédia dans le site Eduscol – 10 décembre 2012

Les objets informatiques spécifiques du système éducatif ne sont pas bien traités par Wikipédia. Ainsi, l’article ENT est encore une ébauche de piètre qualité. On retrouve une même ébauche, non signalée comme telle, sur l’expression « manuel numérique », page modifiée pour la dernière fois le 28 juin 2010[2]. C’est une version quasi « ministérielle » qui est proposée, la page « discussion » n’est pas ouverte et aucun article dans une autre langue n’est associé. Ce n’est toutefois par mieux en anglais où l’article “digital textbook” est une présentation du programme de ministère de l’éducation de Corée du Sud ! Les exemples sont coréens, avec des liens vers Toshiba et Fujitsu. Il s’agit d’un article sur le projet coréen, et pas sur l’initiative californienne par exemple.

Enfin, pour clore ce rapide tour d’horizon, un site de l’académie de Montpellier propose de « créer un manuel numérique à l’aide de Wikipédia ». Il est écrit : « Wikipédia est une excellente ressource pour construire un livre numérique dans le but d’explorer un sujet ou d’entamer une recherche documentaire. Pour inciter les étudiants à utiliser Wikipédia comme outil de départ plutôt que comme finalité d’une recherche, un enseignant peut facilement fournir à ses étudiants une collection d’articles de références sous la forme d’un livre numérique. Retrouvez les différentes étapes de création d’un livre numérique dans un mode opératoire mis à disposition sur le site “Prof Web”. »

Si on clique sur l’adresse indiquée, on retrouve le même paragraphe à la virgule près, puis un petit mode d’emploi. Tous les éléments sont présents : citation et même copié-collé. Un exemple mais avec la parapluie de la bonne pratique (il faut utiliser simplement comme point de départ). On se sert de Wikipedia mais d’une manière non risquée !!! On ne cherche pas à comprendre, mais à trouver une pratique que l’on considère légitime et que les autres ne pourront pas contester.

Cette méfiance persistante sur un projet maintenant très établi ne cache-t-elle pas des caractéristiques encore mal connues ou mal comprises. Et Wikipedia, s’il est encore regardé de travers par les institutions, ne serait-il pas aussi une institution ?

Wikipédia est une institution

En effet, pour la recherche, une simple interrogation sur Wikipedia dans Google Scholar produit de très nombreux résultats ; depuis 2011 : 45 700 résultats ; depuis 2012 : 23 100 résultats (à titre de comparaison, on obtient pour les mêmes dates concernant Britannica : 13100 / 7320). Dans les travaux auxquels on accède, il y a des études sur le fonctionnement même de Wikipédia : contenus, conflits, participation, etc. ; des outils pour Wikipédia.

Issus de son fonctionnement même, l’encyclopédie fournit des corpus très utiles pour les linguistes, notamment les paraphrases et modifications locales dans l’historique des révisions des articles, conduisant à améliorer les performances d’applications de TAL : traduction automatique, question-réponse, génération…

Encore plus intéressant, dans un processus d’institutionnalisation de Wikipédia, le projet Semanticpedia associe le ministère de la culture, l’INRIA et Wikimedia France. Cette collaboration vise à « réaliser des programmes de recherche et développement appliqués à des corpus ou des projets collaboratifs culturels, utilisant des données extraites des projets Wikimédia ». Il s’agit notamment de fournir des données culturelles accessibles à tous, dans une version Web sémantique structurée ; en gros devenir la référence pour la culture avec des modes d’interrogation très avancés dans des formes de déclaration sémantique.

Wikipédia est même vu comme un nouvel outil d’évaluation : une évaluation de la réputation ponctuelle, la fréquentation de Wikipédia étant considéré comme outil de mesure ; mais aussi, l’influence qu’une personne a sur un pays ou même sur une civilisation, qui pourrait être mesurée en fonction des liens menant à sa page Wikipédia.

Ainsi, Wikipédia est devenu outil de référence, même s’il s’en défend. C’est déjà un attracteur très puissant pour les recherches et, selon Kien Quach Tat[3] (2011), au Vietnam, Wikipédia est ce qui permet aux lycéens de valider une information trouvée sur un autre site.

Quelle implication du fait que Wikipédia est une institution ? Peut-on être en dehors de Wikipédia ? Comme elle devient la référence, peut-on continuer à l’ignorer, si une information nous concernant est fausse, peut-on encore traiter cela par le mépris ou l’absence de réaction n’est pas une sorte d’acquiescement ? En tous cas, si Wikipedia gère très efficacement les vandalismes, on sait qu’elle est mal armée pour lutter contre des organisations qui cherchent à imposer leur point de vue. Un projet d’émancipation ne s’est-il pas transformé en un instrument de domination ? On n’en est pas (encore) là ! Demeure une question clé : comment évaluer un article de Wikipédia ?

Comment évaluer un article de Wikipédia ?

En 2007, Wikipédia précisait qu’elle n’avait pas les moyens de juger de la crédibilité d’une information et que la fondation cherchait des solutions à cette absence de validation du contenu des articles, notamment « par l’ajout de systèmes de notation, d’identification des versions non vandalisées et par des collaborations avec des chercheurs et des enseignants » (Bruillard, 2007). Des avancées importantes ont été réalisées. Wikipédia évalue elle-même les articles qu’elle produit. Ainsi, l’article Projet :Évaluation est consacré à « déterminer l’état des articles de Wikipédia selon deux critères : leur importance et leur avancement ».

Mais quelle évaluation externe peut-on trouver ?

Quand on lance la requête « évaluation article Wikipédia », via Google, environ 16 900 000 de résultats (0,42 secondes) sont fournis. Mais la grande majorité de ces résultats correspondent à des articles de Wikipedia. La requête « évaluer un article de Wikipédia » -wikipedia.org ne donne aucun résultat. Enlever les guillemets dans la requête conduit à 8 040 000 résultats (0,19 secondes). Que trouve-t-on ?

D’abord des conseils, il s’agit d’évaluer le nombre et la qualité des sources, de consulter l’historique (combien de personnes y ont contribué, et quand), de consulter l’évaluation de l’article et surtout de le comparer à d’autres sources !

Le tutoriel Cerise propose d’autres conseils :

  • « Voir si le plan est bien construit et détaillé
  • Juger de la qualité de la rédaction : syntaxe, orthographe, synthèse, illustration, …
  • Repérer les liens vers les notes et les définitions
  • Voir s’il y a une bibliographie récente et mise à jour
  • Voir s’il y a un portail sur le thème sélectionné. »

Les guides de la BU de l’université de Rennes 2 dans une page sur « évaluer l’information » consacre un petit encart à Wikipédia en conseillant de regarder les avertissements sur les pages, la date de création (onglet “historique”) et les débats (onglet “discussion”). Cela renvoie à un article du Monde.fr et étrangemenent, aux évaluations internes de Wikipédia.

Sur la Teluq, Marc Couture, dans son cours sur l’évaluation de la crédibilité des documents en ligne, traite du cas particulier de « la crédibilité de Wikipédia ». Il constate que les critères généraux ne s’appliquent qu’imparfaitement aux articles de Wikipédia. Ainsi, ceux reliés à l’insertion dans la littérature spécialisée : « Ce critère prendra donc une valeur toute relative compte tenu à la fois du rôle que joue une encyclopédie dans la littérature scientifique ou savante, et de la difficulté à évaluer le nombre de références à un article de Wikipédia. » Les critères sur l’auteur ne sont pas applicables, les autres (la validation du contenu, forme et la structure du document) sont soit sans garantie soit réfèrent aux classements et processus internes de Wiipédia.

Cherchant dans les sources en anglais, on trouve de nouveau beaucoup de redondances, avec une référence citée, reprise, tronquée dans la Wikipedia anglaise. Un article intitulé Wikipedia:Researching with Wikipedia n’a pas d’équivalent en français avec la recommandation rituelle : “Wikipedia should be a starting place for research, not an end destination and independent confirmation of any fact presented is advised”.

Cet article fournit un lien avec une page sur l’évaluation des articles de Wikipédia, page que l’on retrouve ici (source Phoebe Ayers, en octobre 2006). En fait, ce texte donne tous les éléments pour évaluer un article, les autres sources n’en sont souvent qu’une reprise tronquée. Au bout du compte, c’est une source datée de 2006 (et qui est peut-être antérieure) qui donne les meilleures informations et fait le point le plus complet sur les modes d’évaluation des articles.

Mais est-ce que les procédures d’évaluation préconisées sont opérationnelles ? Autrement dit, peut-on appliquer ces processus dans des utilisations courantes, c’est-à-dire hors situations particulières (notamment scolaires) et de nécessités de vérification. On peut raisonnablement penser que non, si je m’en réfère à mes propres utilisations et ce que peuvent dire les étudiants. Qui confronte systématiquement ce qui est écrit dans un article de Wikipédia à d’autres sources ?

Ce que l’on peut regretter, c’est l’absence de cartographie thématique, alors que l’on imagine qu’il y a des zones de fiabilités différentes, des repérages a priori pourraient guider le lecteurs (les articles dans le domaine X sont plutôt fiables, alors que dans le domaine Y c’est problématique), des marques reconnaissables. Alors que l’on comprend qu’il faut consulter l’historique et les discussions, il y a peu d’outils de visualisation nous donnant une image interprétable ; en conséquence, historique et discussions restent très difficiles à analyser rapidement. En effet, il s’agit de prendre en compte la dynamique collective et temporelle et de pouvoir juger une ressource de par l’histoire de sa construction et des discussions qui l’ont accompagnée. Mais comment le faire rapidement et de manière fiable sans instrumentation. History Flows[4] proposait des visualisations intéressantes. Mais il ne semble pas que ce travail ait été repris et il demeure mal connu.

Des enjeux de formation : guider des consommateurs via des passeurs outillés

L’évaluation dépend bien évidemment dépend de la finalité, du public visé, etc. et on pourrait refuser une sorte d’évaluation intrinsèque des articles de Wikipédia. Mais le jugement sur cette qualité a des incidences fortes, notamment sur les représentations sociales de ce projet encyclopédique. Chacun a ses propres croyances sur Wikipédia, mais il n’y a pas de « sagesse collective » ou de connaissance collective nous en donnant une image moins naïve. Comment juger de la qualité ? On voit que la question est délicate : qualité proportionnelle ou inversement proportionnelle au nombre de contributeurs ; processus linéaire d’accroissement avec quelques accidents ou des formes de plateau, voire des régressions ? La qualité des collaborations aurait un effet sur la qualité des articles.

Selon une étude récente, les changements apportés pour assurer la qualité des articles, avec de nouveaux contributeurs nombreux, aurait un effet négatif sur le recrutement de ces nouveaux contributeurs découragés par les mécanismes mis en place. Ainsi, incontestablement, un processus de professionnalisation a été organisé, processus qui a un effet dissuasif. D’un autre côté, on s’aperçoit que les « consommateurs », rôle que nous prenons tous à un moment ou à un autre pour Wikipédia, ont du mal à sortir d’une vision très naïve et se satisfont d’une sorte de « bonne pratique » paravent : on n’utiliserait que pour commencer une recherche, on ne s’arrêterait jamais sur un article de Wikipédia. Comportement que très peu de personnes adoptent, sauf dans des contextes très particuliers. Alors que l’on propose des modèles à discuter de perméabilité entre concepteurs et consommateurs, on s’aperçoit que pour Wikipédia, il y a d’un côté des concepteurs très instrumentés et d’un autre côté des consommateurs très peu outillés. Entre les deux, on peut s’interroger sur les connaissances, les instruments pour les « médiateurs » (enseignants, documentalistes, etc.). Ne devraient-ils pas en savoir collectivement beaucoup plus que les « simples » utilisateurs ?

Wikipedia est un excellent analyseur des évolutions éducatives : un discours rituel sur la nécessité de développer des utilisations du « numérique », une présence effective mais comme une espèce de sous culture, acceptable parce qu’elle rend des services, pratique mais décriée. Wikipedia est une mine pour les chercheurs, c’est aussi un projet en avance dans le domaine de la culture et dans celui du Web sémantique. Mais comment maîtriser cette technologie collective ? On ne perçoit pas encore bien toutes les potentialités et limites de l’écriture collective. Une tension apparaît : si on apprend par l’écriture, des contraintes de forme trop fortes découragent, l’exigence de qualité risque de conduire à un élitisme par trop restrictif. Il faudrait professionnaliser les intermédiaires, afin de palier le manque d’instrumentation, notamment permettant de visualiser des processus de construction pour juger une production. La question de l’expertise des éducateurs se pose avec une certaine urgence. Pourquoi n’arrive pas à se développer un regard plus professionnel sur les productions de ce travail collectif ?

Crédit photo : Kalexanderson (Creative Commons By)

Notes

[1] Voir par exemple, Bruillard Éric (1994). Quelques obstacles à l’usage des calculettes à l’école : une analyse, Grand N, n°53, p. 67-78.

[2] Page consultée le 6 mars 2013

[3] Kien Quach Tat (2011).. Recherche d’information sur le web et moteurs de recherche : le cas des lycéens. Thèse soutenue le 16 décembre 2011 à l’ENS de Cachan

[4] Viégas Fernanda B., Wattenberg Martin, Dave Kushal (2004). Studying Cooperation and Conflict between Authors with history flow Visualizations. In CHI 2004, April 24–29, 2004, Vienna, Austria. ACM.




Conférence de François Elie : Quelle école pour la société de l’information ?

Le 27 avril dernier François Elie[1] donnait une conférence remarquable et remarquée lors de la troisième édition de Fêtons Linux à Genève.

Nous l’avons jugée suffisamment importante pour en faire un article dédié (vidéo + transcript) et vous inviter à trouver vous aussi la demi-heure au calme pour l’écouter.

Les députés ont récemment abandonné la priorité du libre dans l’éducation. En écoutant François Elie, vous comprendrez pourquoi cette triste décision est tout sauf anodine.

Quelques extraits pour se motiver 😉

« Je vais vous décevoir tout de suite parce que vous vous attendez à ce que je dise qu’il est très très important d’utiliser le logiciel libre dans les écoles. Bon ça y est je l’ai dit. On peut passer à autre chose. »

« Si l’école doit être quelque chose, elle doit essayer de n’être ni l’école de l’initiation, ni l’école de l’apprentissage. Elle doit être au contraire l’école où on apprend à maîtriser les choses pour ne pas dominer les Hommes. »

« Il faut cesser d’opposer l’enseignement de la programmation d’une part et l’enseignement des usages, c’est important mais ça c’est l’école des maîtres et des esclaves. Ce qu’il faut enseigner, vite et à tous, c’est la science, pas la technologie ou l’usage. C’est en amont de la programmation, l’algorithmique. C’est en amont, de telle instanciation, du codage, du chiffrement, la théorie, quelque chose qui comme les maths n’ont besoin que d’une craie et d’un tableau noir. »

« Puisqu’on n’enseigne pas la physique dans une voiture, pourquoi devrait-on nécessairement apprendre l’informatique sur un ordinateur ? »

« L’école est le lieu, l’enjeu d’un affrontement colossal entre ceux qui voudraient ceux qui voudraient qu’elle reste l’école de la liberté et ceux qui voudraient en faire autre chose, une école qui serait cliente captive d’un marché, des industries numériques pour l’éducation. »

« On peut difficilement enseigner la liberté avec des outils qui cherchent à dominer. Ça va être compliqué d’utiliser des outils qui sont faits pour ne pas être partagés pour apprendre à des élèves à partager. Ça va être compliqué d’enseigner à des élèves comment il faut protéger ses données en utilisant des réseaux sociaux qui sont faits pour justement les capturer. Bref apprendre l’ouverture avec ce qui est fait pour fermer, c’est compliqué. »

« Je disais à une syndicaliste, vous aurez du mal à faire la révolution avec Word. Elle n’a pas compris ! J’avais été invité à une université d’été d’Attac, et là je leur avais dit : Je ne vais plus au MacDo mais vous êtes encore sous Windows. »

« L’école est l’endroit où on dit le plus de mal de Wikipédia, il faut le savoir. Par contre on dit beaucoup de bien de Diderot, de l’Encyclopédie, du siècle des Lumières. Embêtant quand même, parce que moi je suis persuadé que Diderot adorerait Wikipédia. Mais il n’adorerait pas Wikipédia pour lire mais pour écrire dedans. Il ne s’agit pas d’apprendre aux enfants à se méfier de ce qu’on lit dans Wikipédia, il faut leur apprendre à écrire dans Wikipédia. Mais ça il faut du temps. »

« L’école a tout à apprendre de la culture des hackers. Il faut apprendre à travailler comme des hackers. Nietzsche a une formule magnifique il dit « Plutôt périr que travailler sans joie ». On peut vouloir travailler comme un maître ou travailler comme un esclave. On peut aussi faire de sa vie quelque chose de plus joyeux, aimer son travail. On peut apprendre à aimer son travail à l’école. On peut apprendre à exister par la valeur de ce qu’on fait, par la valeur de ce qu’on montre, par l’image qu’on a, et pour ça, et bien le logiciel libre pourrait nous aider pour refonder l’école, pour apprendre à collaborer, pour apprendre à partager, pour apprendre à bricoler, produire ses propres outils, se former, se former sans cesse, être en veille permanente. Toutes ces qualités qui sont celles des hackers ce sont celles qu’on attend d’un élève. »

« Alors je reviens à Marx. Au 19ème siècle, il avait posé une bonne question : « À qui appartiennent les moyens de production ? » Et bien les moyens de production des contenus et des outils de l’école doivent appartenir à l’école. Donc la question du logiciel libre n’est pas une petite question, c’est la question même de l’école. Et la question n’est pas à l’utilisation. C’est de se mettre à l’école de ce mode de production, pour produire les savoirs, les contenus, pour rendre possible une éducation, une instruction des élèves qui leur permette d’accéder à la liberté, non par la technologie ou par les usages, mais par la science. »

François Elie : Quelle école pour la société de l’information ? Program or be programmed ?

Transcript

Nous devons cette transcription à Marie-Odile de l’April[2]. Nous nous sommes permis d’y ajouter quelques liens.

Bonjour à tous. On va commencer, on ne va pas attendre que les portes se ferment. Je vais me présenter rapidement. Je suis un petit peu impressionné parce que cette conférence et la suivante sont présentées comme des événements. Si je suis mauvais tant pis, enfin vous verrez. Je me présente rapidement, François Élie, j’ai un peu plus d’un demi-siècle, actuellement j’enseigne la philosophie. Je suis tombé dans l’informatique tout petit et puis il y a dix ans je suis rentré en politique un peu par hasard et j’ai fondé une association en France qui s’appelle l’Adullact avec quelques-uns pour non pas simplement utiliser les logiciels libres sur fonds publics, mais pour les développer et les développer sur un segment métier, sur ces logiciels qui sont adhérants et qui empêchent de basculer vers le libre. Mais ça j’en parlerai dans la conférence suivante.

L’objet ici ça va être de réfléchir sur le libre et l’éducation. Alors je vais vous décevoir tout de suite parce que vous vous attendez à ce que je dise qu’il est très très important d’utiliser le logiciel libre dans les écoles. Bon ça y est je l’ai dit. On peut passer à autre chose. Bien sûr que c’est important. On pourrait faire des listes de gens très courageux qui ont installé des salles en libre accès, des salles en libre. Mais j’ai envie de dire que ce n’est pas le plus important. Il y a beaucoup plus important. Il y a l’école elle-même.

Je voudrais vous parler du rapport entre le logiciel libre et l’école et vous verrez que les enjeux sont un petit peu plus importants que ça.

Pour ça il faut revenir à ce que c’est qu’une école. Alors je vous l’ai dit j’enseigne la philosophie pour manger et je vais essayer de revenir un peu en arrière, au moment où on a inventé les écoles. Ce n’est pas Charlemagne ou Jules Ferry qui ont inventé les écoles, ce sont les philosophes il y a 25 siècles.

Et puis je vais vous parler un peu de Platon pour vous mettre à température en vous parlant de l’allégorie de la Caverne. Pour ceux qui voudraient retrouver le texte, c’est dans le livre 7 de La République. Des hommes sont dans une caverne à regarder un écran, comme vous regardez un écran, regardent les images qui sont projetées. Ils sont là depuis leur enfance les jambes et le cou enchaînés de sorte qu’ils ne peuvent voir que devant eux. La lumière vient d’un feu allumé sur une hauteur loin derrière eux et entre le feu et les prisonniers passe une route élevée. Le long de cette route passe un petit mur et les long de ce petit mur des hommes font des marionnettes. Et ces hommes voient les ombres de ces objets qui passent. Alors Socrate s’adresse à son interlocuteur et lui dit mais qu’est-ce qui se passe si on les déchaîne, si on essaye de les faire sortir de la caverne. Et bien évidemment ils vont résister. Je ne sais pas si vous avez déjà vu en septembre des enfants se précipiter à l’école en disant chouette je vais apprendre à lire. En général, ils préféreraient rester avec leurs Pokémon, leurs Playmobil, leur Lego, bref leurs ombres. Et donc il y a une force de résistance. On ne veut pas le savoir. Le savoir n’est pas quelque chose de naturel. On résiste au savoir ! Alors ils faut les emmener à petits pas , pas les emmener trop vite sinon on leur brûle les yeux. Si vous emmenez un élève de Terminale qui aime beaucoup les maths, si vous l’emmenez au Collège de France tout de suite, il va détester les maths. Donc il faut l’emmener à petits pas. Et puis par habitude il va progressivement s’habituer aux objets de la région supérieure. Et un jour il redescendra parce que quand il verra le soleil en dehors de la caverne il redescendra parce qu’il comprendra que le savoir n’a de valeur que s’il est partagé. Il essaiera de sortir les gens de la caverne.

Alors qui sont les gens qui sont derrière le petit mur. Ce sont ceux qui sont montés et qui ne sont pas redescendus. On les appelle les sophistes. C’est ceux qui jouent avec le savoir, c’est ceux qui ont la tentation du pouvoir. Toute la question des écoles c’est de savoir si on enseigne comme les sophistes, si on fait des marionnettes ou si on cherche à libérer par le savoir.

Les premières écoles existent, elles existent avant, il y a très très longtemps. Il existe 2 types d’école. Dans les temples, il y a des écoles où on fait de l’initiation, des secrets, des arcanes, des choses qu’on ne répète pas. Et puis il y a d’autres écoles. Ce sont les écoles pour les esclaves. Pour donner de la valeur à un esclave il faut lui donner un métier. Il faut lui apprendre des choses utiles. Et on va s’arranger pour qu’à l’école il ait un bagage, quelque chose à vendre.

Vous reconnaissez un peu des écoles qui sont encore aujourd’hui. Il y a encore le tentation de vouloir enseigner des secrets à quelques-uns et puis un bagage pour tous les autres.

Alors il y a une école qui m’intéresse, c’est l’école de Pythagore. Ils font des mathématiques et il y a 2 écoles. Il y a l’école pour les mathématiciens, ils apprennent à faire des maths dans le secret et puis il y a l’école des acousmaticiens, ceux qui écoutent et on leur apprend à utiliser les mathématiques, mais pas à faire des mathématiques. Et un jour les philosophes vont libérer les mathématiques pour livrer le grand secret et le grand secret c’est qu’il n’y a pas de secret, c’est que tout le monde peut faire des mathématiques.

Vous voyez le rapport avec l’informatique ? Alors si l’école doit être quelque chose, elle doit essayer de n’être ni l’école de l’initiation, ni l’école de l’apprentissage. Elle doit être au contraire l’école où on apprend à maîtriser les choses pour ne pas dominer les Hommes.

Je voulais partir de ça pour essayer de comprendre quelles sont les écoles qui vous accueillir de l’informatique demain ou peut être aujourd’hui. L’éternel problème de l’école, Platon le disait déjà, Bourdieu appelle ça la reproduction, c’est éviter que les âmes d’or s’imaginent que leurs enfants sont des âmes d’or et permettre aux enfants des âmes de bronze, qui seraient des âmes d’or, de pouvoir percer et servir par leur mérite, par leur valeur. Alors il y a toujours le problème depuis l’origine, il y a des paramètres qui permettent de réussir : le fric, le piston, la triche, il paraît que ça existe encore dans les écoles.

Je voulais revenir maintenant venir sur un principe que propose Alain, philosophe du début du 20ème siècle, pour dire que « l’enseignement doit être résolument retardataire », je vous lis la formule « non pas rétrograde, tout au contraire, rétrograde ça voudrait dire partir du présent pour aller en sens inverse vers le passé. Non ! Retardataire c’est partir du passé et s’acheminer à petits pas vers le présent pour savoir d’où on vient. C’est pour marcher dans le sens direct qu’il prend du recul. Prendre du recul pour aller loin et pour ensuite marcher. Pour apprendre l’histoire des sciences, pour apprendre l’histoire de la langue, pour apprendre d’où on vient et comment on a fait. Bien sûr on va le faire non pas en 25 siècles mais en quelques années. Car si l’on ne se place point dans le moment dépassé, comment le dépasser ? Ce serait une folle entreprise, même pour un homme dans toute la force de prendre les connaissances en leur état dernier. Il n’aurait point d’élan ni aucune espérance raisonnable. Au contraire celui qui accourt des anciens âges est comme lancé sur le mouvement juste. il sait vaincre : cette expérience fait les esprits rigoureux. »

Vous avez compris encore le rapport avec l’informatique. Si on apprend l’informatique telle qu’elle se fait aujourd’hui, si on apprend les usages de l’informatique d’aujourd’hui, on n’a rien compris. Il faut apprendre d’où ça vient, pourquoi ça a évolué comme ça, sinon et bien on sera piégé.

Alors à la fin de l’allégorie de la Caverne, Platon nous dit il y a une leçon à tirer de ça. Celui qui se souvient qu’on a les yeux brûlés par l’obscurité ou par la lumière, il se souvient qu’on peut être dérangé par soit l’entrée vers l’enseignement soit l’entrée vers le savoir lui-même. Et notre première manière de nous situer par rapport à quelqu’un qui a envie de nous apprendre quelque chose ou qui au contraire a quelque chose à apprendre de nous, c’est de rire de lui. C’est de chercher à ne pas enseigner. Alors ça tombe bien il y a des tas de choses qu’ils savent déjà ! Forcément ! Donc il n’y a rien à leur enseigner ! Et puis ça tombe bien ! Il n’ont pas envie d’apprendre, alors on les livre à la séduction. Et c’est vrai Socrate le disait déjà. Un médecin a perdu d’avance devant un tribunal d’enfants contre les confiseurs, contre les gens de la séduction qui vont leur donner des objets designés, packagés, de la marque, quelque chose qui a une valeur extérieure et qui les séduira.

Alors on nous rebat les oreilles avec la génération Y. Ces enfants qui auraient eu des cours d’informatique intra-utérins et qui sauraient tout déjà et qui n’auraient rien à apprendre et qui en savent plus que nous. J’ai commencé avec un ZX81 et je plains sincèrement ceux qui commencent avec un smartphone. Ils jouent avec, ils ont un clickodrome et avec des gigas de mémoire vive, ils en font moins que nous avec 1 kilo, j’avais même acheté 1 kilo supplémentaire pour faire plus de choses. La vrai génération Y c’est la nôtre, c’est la mienne, ce n’est pas celle d’aujourd’hui. Ce sont les gens qui ont vu naître l’informatique qui arrivait et qui quittait les gros ordinateurs, juste avant le verrouillage du PC, au moment où on échangeait du code, on apprenait, on apprenait de l’assembleur, on jouait avec.

Comment apprennent-ils ? Ils apprennent par imitation. Alors c’est très bien l’imitation, c’est très utile et à la différence du singe qui lui est beaucoup plus intelligent. Je vous raconte une petite histoire. Il y a une expérience qui a été faite récemment par une américaine, expérience magnifique. Elle va présenter à des jeunes singes une boîte et elle fait toutes sortes d’opérations, elle tire un tiroir, elle tourne la chevillette, elle fait des opérations bizarres et puis à la fin il y a un tiroir avec des bonbons. Elle présente ça à des singes. Ils refont, ils reproduisent tout, ils tirent le tiroir, ils prennent les bonbons. Elle met des jeunes enfants, ils font exactement la même chose. Et puis ensuite elle enlève le cache et on voit que la boîte est transparente et on voit que la plupart des opérations ne servent à rien. Il suffit d’appuyer sur un bouton et le tiroir sort. Le singe appuie sur le bouton tout de suite, il prend les bonbons et s’en va et l’enfant reproduit. Il imite. Aristote avait raison : l’homme est un animal imitateur. Et pourquoi il imite ? Parce qu’on ne sait jamais, il n’a peut être pas compris, il y a peut être quelque chose, il y a du sens quelque part. Il ne compte pas sur lui. Et donc si l’imitation est importante, il faut distinguer entre le modèle et l’exemple. Il y a des enfants qui ne peuvent dessiner que s’ils ont un modèle, c’est-à-dire ils ne savent pas dessiner. Et puis il y a ceux qui ont appris par l’exemple, qui ont compris le mouvement, qui ont compris comment on utilisait l’outil et qui vont se l’approprier. Et d’ailleurs on enseigne par l’exemple, on n’enseigne pas parce ce qu’on dit, on enseigne parce qu’on montre.

Alors est-ce que l’informatique est dans une situation spéciale face à la question de l’enseignement. Je vais partir d’une formule de Bernard Lang, très très éclairant, je dois beaucoup à mon ami Bernard Lang sur cette question, il n’est pas enseignant mais il a tout compris. « Comme beaucoup de disciplines scientifiques, l’informatique est à la fois une science, une technologie de l’utilisation de cette science et un ensemble d’outils qu’elle permet de réaliser. Trois pas deux ! Trois. La confusion entre ces trois aspects est une première source d’incompréhension et de désaccord. Cette confusion en particulier entre la science et la technologie.

Alors on nous dit qu’il n’y pas besoin d’apprendre comment fonctionne une voiture pour apprendre à conduire. Et je voudrais revenir sur cette analogie avec l’automobile pour essayer de répondre à la question : est-ce que c’est si inutile que ça de soulever le capot ? Et c’est vrai qu’on n’apprend pas la mécanique auto dans les écoles. Mais on apprend la physique. On apprend la science. On n’apprend pas la technologie. Et donc si on fait cette comparaison, on s’aperçoit qu’on n’a pas besoin de soulever le capot, mais on apprend aux enfants, à tous les enfants, pas simplement ceux qui seront garagistes, pas les esclaves garagistes, mais à tous ceux qui utiliseront des objets, on leur apprend un peu de mathématique, un peu de physique pour qu’ils puissent ne pas être piégés qu’ils puissant savoir que ce n’est pas le ventilateur qui a éteint les bougies, qu’ils puissent avoir une petite idée de ce qui se passe dans la machine, que ce n’est pas magique.

Alors il y a 3 fractures numériques. Il y a une fracture numérique qui est très grave qui est celle de la naïveté de ceux qui croient que c’est magique, ceux qui ne comprennent rien, ceux qui jouent avec leur smartphone. Et puis en face il y a ceux qui comprennent, qui ne savent peut-être pas comment on fait mais qui savent comment ça marche. Qui savent quels sont les enjeux qui sont derrière.

Après il y a une autre fracture qui est la fracture entre ceux qui savent utiliser mais qui ne font qu’utiliser et puis ceux qui maîtrisent, ceux qui fabriquent les logiciels, ceux qui fabriquent les applications. Ça c’est une autre fracture.

Et puis il y a une fracture sur l’accès : est-ce qu’on a juste la possibilité d’utiliser ou pas. Je me souviens au SMSI à Genève puis à Tunis on nous avait expliqué que le problème de l’accès c’est d’abord l’électricité dans le monde ; qu’avant d’avoir des ordinateurs et du réseau, il faut d’abord avoir de l’électricité. Alors ça calme tout le monde. Mais il n’y a pas besoin d’électricité pour, au tableau noir, expliquer ce que c’est que l’informatique.

Donc il y a trois savoirs, 3 savoirs différents : il y a une compréhension des processus qui touchent à l’information, comment on produit l’information, comment on la code, comment on la transporte, comment on la traite, comment on l’exploite, qui peut avoir intérêt à l’exploiter. Cette science de l’information on la confond souvent avec un savoir-faire dans le domaine de la programmation effective, alors qu’on peut très bien apprendre en pseudo code de l’algorithmique théorique avec une craie et un tableau noir. On peut expliquer ce que c’est qu’un compilateur, sans avoir de machine, sans avoir à programmer à instancier dans un langage précis ce qu’on a compris comme algorithme. Et de ce point de vue là, c’est des maths. On devrait se poser la question : mais pourquoi continue t-on à enseigner des maths à des gens qui ne vont pas les utiliser ? Ben évidemment c’est parce qu’on n’est pas dans une école de l’initiation où les mathématiciens font ça entre eux et on n’est pas non plus dans une école de l’apprentissage où l’école a pour but de donner un métier, un bagage utilisable. L’école ne sert évidemment pas à ça. D’ailleurs heureusement parce que sinon on n’enseignerait pas la philosophie qui ne sert à rien à part fabriquer des profs de philosophie ! Enfin il y a une troisième savoir, qui est le savoir-faire dans le domaine des usages, j’aimerais bien écrire zzusages avec 2 z, où on est devant un savoir faire qui change sans arrêt, où on est simplement dans l’adaptation du consommateur à l’offre.

On retrouve nos 3 écoles : l’école de la liberté, la science pour tous et là elle n’a pas besoin d’ordinateurs ; l’école des maîtres, la technologie pour quelques-uns et puis l’école des esclaves, les usages pour le plus grand nombre. Avec 3 finalités différentes. Dans le premier cas on est formé à comprendre les fins, les buts. On ne sait pas coder mais on peut décider ce qui mérite d’être codé, ce qui doit être codé, ce qu’il faudrait coder, ce qu’il faut utiliser, ce qu’il ne faut pas utiliser ; on peut décider.

Les autres savoirs ont des finalités différentes. Elles sont non pas au niveau des fins, elles sont au niveau des moyens. On va former des codeurs. Alors il y a des tas de gens qui vous disent il faut former des informaticiens pour exister dans la compétition internationale. Sans doute, mais ce n’est pas le plus urgent. Et puis former des consommateurs qui savent s’adapter à ce qu’il y a, à ce qu’on leur vend. Et là il y a du monde ! Il y a du monde pour conseiller les ministres, pour conseiller les gouvernements, pour conseiller les partis : vous comprenez bien, s’ils veulent faire des achats lucides, s’ils veulent choisir les bons produits, il faut les aider, il faut les initier tout de suite. Et d’ailleurs on vous organise des programmes quasiment gratuits, on vous fournit les machines. La première dose est gratuite !

Alors le problème c’est qu’on ne peut plus se contenter d’un tableau noir. On est passé autour de 2004 du siècle de l’automobile au siècle de l’information. 2004 les investissements dans l’informatique et les nouvelles technologies ont dépassé les investissements dans l’automobile. On a quitté le siècle de l’automobile pour entrer dans le siècle de l’information. Au passage 2004 c’est aussi la date où le nombre de téléphones portables embarqués sur des machines a dépassé le nombre de téléphones portables embarqués sur les êtres humains. C’est bon à savoir, vos imprimantes, vos machines à café sont pleines de mobiles, il y en a plus dans les machines que sur vous. Ça aussi il faut y réfléchir. Alors on a 3 manières de faire entrer l’informatique à l’école. Je vous le disais on n’a pas besoin de tableau numérique pour enseigner l’informatique elle-même pour enseigner la science. De la même façon on n’a pas besoin de machine à calculer pour enseigner les mathématiques. Évidemment ! On n’a pas besoin d’une machine à calculer pour savoir faire une division. Au contraire, surtout pas ! On peut aussi enseigner l’informatique comme technologie, apprendre à programmer, à gérer les réseaux et on peut aussi se contenter d’utiliser, apprendre l’utilisation dans les fameuses TICE. Seulement on n’a plus le choix ! On n’a plus le choix parce qu’arrive la vague de ce qu’on appelle le numérique, c’est-à-dire que tous les savoirs sont maintenant numérisés et que le tableau noir et bien il va falloir résister pour n’utiliser que le tableau et on va devoir utiliser le numérique, alors ça pose problème.

Déjà je m’arrête un instant, on a dépassé un fait de base. Il faut cesser d’opposer l’enseignement de la programmation d’une part et l’enseignement des usages, c’est important mais ça c’est l’école des maîtres et des esclaves. Ce qu’il faut enseigner, vite et à tous, c’est la science, pas la technologie ou l’usage. C’est en amont de la programmation, l’algorithmique. C’est, en amont de telle instanciation, du codage, du chiffrement, la théorie, quelque chose qui comme les maths n’ont besoin que d’une craie et d’un tableau noir.

Seulement le numérique arrive et on ne peut plus se contenter d’un tableau noir. Il paraît que le numérique est partout, que tous les supports de transmission de l’information et tous les supports d’information sont maintenant numérisés. Et donc ça pose un problème très particulier. Ça pose un problème particulier parce qu’il y a une interaction très forte entre les trois. Comme si on devait enseigner la physique dans une voiture, si je reprends l’analogie. On peut enseigner la physique avec un tableau noir, mais là dans le cas de l’informatique, il faut enseigner la physique dans une voiture. Autrement dit l’école est le lieu, l’enjeu d’un affrontement colossal entre ceux qui voudraient ceux qui voudraient qu’elle reste l’école de la liberté et ceux qui voudraient en faire autre chose, une école qui serait cliente captive d’un marché, des industries numériques pour l’éducation. Parce que la technologie elle englobe les usages et il faudrait qu’on enseigne la science dans cette espèce de gangue, dans cette espèce de caverne où on vous projette des ombres avec des matériels particuliers, avec des formats particuliers. Comment faire ? Comment essayer de rester honnête et faire correctement les choses. La caverne est revenue !

Alors je vais citer une deuxième fois Marx, il n’y a plus que les libéraux pour citer Marx aujourd’hui : « Les armes de la critique passent par la critique des armes. » C’est hors contexte, car c’était dans la Critique de la philosophie du droit de Hengel, ça n’a rien à voir mais la phrase est pratique.

On peut difficilement enseigner la liberté avec des outils qui cherchent à dominer. Ça va être compliqué d’utiliser des outils qui sont faits pour ne pas être partagés pour apprendre à des élèves à partager. Ça va être compliqué d’enseigner à des élèves comment il faut protéger ses données en utilisant des réseaux sociaux qui sont faits pour justement les capturer. Bref apprendre l’ouverture avec ce qui est fait pour fermer, c’est compliqué. Donc on est dans une impasse, dans une contradiction. Alors je vais prendre la formule de Bernard Lang. Il encourageait à réfléchir sur les risques potentiels de ces nouveaux modes de médiation dans l’appréhension de la connaissance. Le numérique devient la médiation pour apprendre la science qui est amont du numérique. On doit enseigner la physique dans la voiture. Et vous le savez quand le sage montre la lune, l’ignorant regarde le doigt. Il n’entend pas ce qu’on lui dit. Les enfants ne regardent pas ce qu’il y a sous l’ordinateur, ils regardent l’ordinateur. Ils ne regardent pas ce qu’ils ont à lire, ils regardent la manipulation, ils ne savent pas ce qu’il y a à regarder.

Alors je vais prendre quelques exemples taquins. Premier exemple taquin : on fait une exposition sur les OGM, on mange bio à la cantine, pardon, au restaurant scolaire, mais par contre on fait l’affiche de l’exposition sur Mac ou sous Windows. Cherchez l’erreur. Il y a un petit souci. Je disais à une syndicaliste, vous aurez du mal à faire la révolution avec Word. Elle n’a pas compris ! J’avais été invité à une université d’été d’Attac, c’était assez bizarre un libéral invité à Attac et là je leur avais dit « Je ne vais plus au MacDo mais vous êtes encore sous Windows ».

Deuxième exemple taquin, toujours à l’école. L’école est l’endroit où on dit le plus de mal de Wikipédia, il faut le savoir. Par contre on dit beaucoup de bien de Diderot, de l’Encyclopédie, du siècle des Lumières. Embêtant quand même, parce que moi je suis persuadé que Diderot adorerait Wikipédia. Mais il n’adorerait pas Wikipédia pour lire mais pour écrire dedans. Il ne s’agit pas d’apprendre aux enfants à se méfier de ce qu’on lit dans Wikipédia, il faut leur apprendre à écrire dans Wikipédia. Mais ça il faut du temps.

Troisième exemple taquin : le tableau numérique interactif ; ça c’est la catastrophe, l’absurdité totale. Avec une craie et un tableau noir, je suis à égalité avec un élève. Il va au tableau, il prend la craie ; la craie c’est du calcaire, c’est comme dans son jardin. L’ardoise, il y en a sur son toit. Il n’y a pas d’interface technologique qui le sépare du savoir. Avec le tableau numérique interactif, Pythagore est de retour ! Vous ne pourrez faire des mathématiques simples, poser une division, que si vous disposez d’une interface extrêmement compliquée, si vous avez du 220, si vous avez du réseau, sinon la division va être compliquée. J’ai le souvenir de professeurs de physique qui pour étudier la chute des corps prenaient une capture avec une caméra numérique de l’objet qui tombait, moulinait ça, détection de mouvement et ensuite tout ça apparaissait dans un tableur avec quelques lignes. Je leur avais expliqué qu’avec une feuille de papier de chocolat, une prise RS232, on arrivait à faire beaucoup plus précis, 400 000 fois par seconde, mais non ce n’était pas bien, il fallait du dispositif !

Alors il y a des alternatives. Il y a une alternative qui essaye d’exploiter les outils numériques mais de manière intelligente. Par exemple prenez un smartphone et vous le connectez à votre PC de classe, il projette ça avec un vidéo-projecteur et puis vous transportez le tableau numérique interactif, vous le posez sur la table de l’élève, il peut écrire, c’est le même que son smartphone, c’est l’ardoise et la craie. Il n’y a de TNI chez lui mais il a aussi peut être un smartphone et puis là tout le monde peut écrire dessus. Voilà.

On peut arriver à subvertir ces médiations pour trouver plus intelligent. Alors je vais revenir au logiciel libre. L’école a tout à apprendre de la culture des hackers. Il faut apprendre à travailler comme des hackers. Nietzsche a une formule magnifique il dit « Plutôt périr que travailler sans joie ». On peut vouloir travailler comme un maître ou travailler comme un esclave. On peut aussi faire de sa vie quelque chose de plus joyeux, aimer son travail. On peut apprendre à aimer son travail à l’école. On peut apprendre à exister par la valeur de ce qu’on fait, par la valeur de ce qu’on montre, par l’image qu’on a, et pour ça, et bien le logiciel libre pourrait nous aider pour refonder l’école, pour apprendre à collaborer, pour apprendre à partager, pour apprendre à bricoler, produire ses propres outils, se former, se former sans cesse, être en veille permanente.

Toutes ces qualités qui sont celles des hackers ce sont celles qu’on attend d’un élève. Et donc il y a bien des rapports entre l’école les outils, les contenus. Mais pas simplement sur l’utilisation du logiciel libre. Puisque le numérique est partout, il n’y a vraiment plus que 2 écoles possibles : soit l’école programmée, c’est pour ça que j’avais sous-titré cette conférence « Programmer ou être programmé », c’est la devise des hackers. Soit l’école programmée. Le numérique sera partout dans le système éducatif, il sera désormais impossible de réguler quoi que ce soit, l’école sera un client captif. Les outils, les contenus seront produits par une sorte d’industrie numérique qui sera complètement extérieure à l’école et qui va lui dicter sa loi, qui va la transformer en autre chose.

Soit l’école de la liberté. Mais pour ça il faudra utiliser une technologie et des usages qui permettent d’enseigner la science de l’informatique. Autrement dit, la question n’est pas d’utiliser le logiciel libre, ce n’est pas la question. On ne peut utiliser que ce qui existe, ce n’est déjà pas beaucoup. Il s’agit de développer les logiciels libres dont a besoin l’école. Il s’agit de produire des contenus, partagés, qui pourraient être produits par des enseignants, ils sont quand même mieux placés que d’autres pour les produire, mais de manière collaborative pour libérer l’école de cette menace de l’industrie numérique éducative. Au passage, l’argent public pourrait être mieux utilisé qu’en achetant des produits qui en général sont faits par les mêmes enseignants mais avec une autre casquette.

Alors je reviens à Marx. Au 19ème siècle, il avait posé une bonne question : « À qui appartiennent les moyens de production ? » Et bien les moyens de production des contenus et des outils de l’école doivent appartenir à l’école. Donc la question du logiciel libre n’est pas une petite question, c’est la question même de l’école. Et la question n’est pas à l’utilisation. C’est de se mettre à l’école de ce mode de production, pour produire les savoirs, les contenus, pour rendre possible une éducation, une instruction des élèves qui leur permette d’accéder à la liberté, non par la technologie ou par les usages, mais par la science.

Je vous remercie.

Notes

[1] François Elie sur le Framabog.

[2] URL d’origine de la transcription avec les questions réponses en bonus.