Non à la privatisation du domaine public par la Bibliothèque nationale de France !

L’association COMMUNIA, l’Open Knowledge Foundation France, La Quadrature du Net, Framasoft, Regards Citoyens, Veni Vidi Libri, le Parti Pirate, Libre Accès et SavoirsCom1 publient ce jour un communiqué dénonçant la signature par la BNF, le Commissariat aux investissements d’avenir et le ministère de la Culture et de la communication d’accords qui privatisent l’accès numérique à une part importante de notre patrimoine culturel.

Massimo Barbieri

Paris, le 18 janvier 2013 — Le ministère de la Culture a annoncé hier la conclusion de deux accords, signés entre la Bibliothèque nationale de France et des firmes privées, pour la numérisation de corpus de documents appartenant pour tout (livres anciens) ou partie (78 et 33 tours) au domaine public. Les fonds concernés sont considérables : 70 000 livres anciens français datant de 1470 à 1700, ainsi que plus de 200 000 enregistrements sonores patrimoniaux. Ces accords, qui interviennent dans le cadre des Investissements d’avenir et mobilisent donc de l’argent public, vont avoir pour effet que ces documents ne seront pas diffusés en ligne, mais uniquement sur place à la BnF, sauf pour une proportion symbolique.

Ces partenariats prévoient une exclusivité de 10 ans accordée à ces firmes privées, pour commercialiser ces corpus sous forme de base de données, à l’issue de laquelle ils seront mis en ligne dans Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF. Les principaux acheteurs des licences d’accès à ces contenus seront des organismes publics de recherche ou des bibliothèques universitaires, situation absurde dans laquelle les acteurs du service public se retrouveront contraints et forcés, faute d’alternative à acheter des contenus numérisés qui font partie du patrimoine culturel commun.

Les conditions d’accès à ces éléments de patrimoine du domaine public seront restreintes d’une façon inadmissible par rapport aux possibilités ouvertes par la numérisation. Seule la minorité de ceux qui pourront faire le déplacement à Paris et accéder à la BnF seront en mesure de consulter ces documents, ce qui annule le principal avantage de la révolution numérique, à savoir la transmission à distance. Partout enFrance et dans le monde, ce sont les chercheurs, les étudiants, les enseignants, les élèves, les amateurs de culture, les citoyens qui se trouveront privés de l’accès libre et gratuit à ce patrimoine.

La valeur du domaine public réside dans la diffusion de la connaissance qu’il permet et dans la capacité à créer de nouvelles œuvres à partir de notre héritage culturel. Sa privatisation constitue une atteinte même à la notion de domaine public qui porte atteinte aux droits de chacun. Ces pratiques ont été condamnées sans ambiguïté par le Manifeste du domaine public, rédigé et publié par le réseau européen COMMUNIA financé par la Commission européenne :

Toute tentative infondée ou trompeuse de s’approprier des œuvres du domaine public doit être punie légalement. De façon à préserver l’intégrité du domaine public et protéger ses usagers de prétentions infondées ou trompeuses, les tentatives d’appropriation exclusive des œuvres du domaine public doivent être déclarées illégales.

Les institutions patrimoniales doivent assumer un rôle spécifique dans l’identification efficace et la préservation des œuvres du domaine public. (…) Dans le cadre de ce rôle, elles doivent garantir que les œuvres du domaine public sont accessibles à toute la société en les étiquetant, en les préservant et en les rendant librement accessibles.

À titre de comparaison, les partenariats validés par le ministère de la Culture aboutissent à un résultat encore plus restrictif pour l’accès à la connaissance que celui mis en œuvre par Google dans son programme Google Livres, dans lequel les ouvrages restent accessibles gratuitement en ligne sur le site des institutions partenaires. La mobilisation de l’emprunt national n’aura donc en aucun cas permis de trouver une alternative acceptable aux propositions du moteur de recherche.

Le ministère de la Culture affirme dans son communiqué que ces partenariats sont compatibles avec les recommandations du Comité des sages européens « A New Renaissance ». C’est à l’évidence faux, le rapport du Comité des sages admettant que des exclusivités commerciales puissent être concédées à des firmes privées pour 7 ans au maximum, mais insistant sur la nécessité que les documents du domaine public restent accessibles gratuitement en ligne, y compris dans un cadre transfrontalier. Plus encore, les accords sont en flagrante contradiction avec la Charte Europeana du Domaine Public (pdf) alors même que l’un de ses signataires occupe aujourd’hui la présidence de la fondation Europeana.

Par ailleurs, le rapport du Comité des sages énonce comme première recommandation que les partenariats public-privé de numérisation soient rendus publics afin de garantir la transparence, ce qui n’est pas été fait ici. L’opacité a régné de bout en bout sur la conclusion de ces partenariats, au point qu’une question parlementaire posée au ministère de la Culture par le député Marcel Rogemont est restée sans réponse depuis le 23 octobre 2012, alors même qu’elle soulevait le problème de l’atteinte à l’intégrité du domaine public. Enfin, les partenariats publics-privés ont été récemment dénoncés par l’Inspection générale des finances dans un rapport commandé par le ministre de l’Économie, Pierre Moscovici, et par celui du Budget, Jérôme Cahuzac. Ces partenariats sont jugés trop onéreux, trop risqués, trop complexes et trop profitables aux seuls intérêts privés.

Nous, associations et collectifs signataires de cette déclaration, attachés à la valeur du domaine public et à sa préservation comme bien commun, exprimons notre plus profond désaccord à propos de la conclusion de ces partenariats et en demandons le retrait sans délai. Nous appelons toutes les structures et personnes partageant ces valeurs à nous rejoindre dans cette opposition et à manifester leur désapprobation auprès des autorités responsables : BnF, Commissariat général à l’investissement et ministère de la Culture. Nous demandons également la publication immédiate du texte intégral des accords.

Contacts presse

  • L’Open Knowledge Foundation France L’Open Knowlegde Foundation (OKFN) est une organisation à but non lucratif fondée en 2004 à Cambridge qui promeut la culture libre sous toutes ses formes. Ses membres considèrent qu’un accès ouvert aux informations associé aux outils et aux communautés pour les utiliser sont des éléments essentiels pour améliorer notre gouvernance, notre recherche, notre économie et notre culture.
  • La Quadrature du Net La Quadrature du Net est une organisation de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet. À ce titre, la Quadrature du Net intervient notamment dans les débats concernant la liberté d’expression, le droit d’auteur, la régulation du secteur des télécommunications ou encore le respect de la vie privée. Contact : Philippe Aigrain, co-fondateur et conseiller stratégique pa@laquadrature.net +33 6 85 80 19 31
  • Framasoft Réseau d’education populaire au Libre en général et au logiciel libre en particulier. Contact : Alexis Kauffmann, fondateur de Framasoft
  • Regards Citoyens est un collectif transpartisan qui vise à utiliser un maximum de données publiques pour alimenter le débat politique tout en appliquant les principes de la gouvernance ouverte. En plus de faire la promotion de l’OpenData et l’OpenGov en France, il réalise des projets web n’utilisant que des logiciels libres et des données publiques pour faire découvrir et valoriser les institutions démocratiques françaises auprès du plus grand nombre.
  • Le Parti Pirate est un mouvement politique ralliant celles et ceux qui aspirent à une société capable de : partager fraternellement les savoirs culturels et scientifiques de l’humanité, protéger l’égalité des droits des citoyens grâce des institutions humaines et transparentes, défendre les libertés fondamentales sur Internet comme dans la vie quotidienne.
  • Veni, Vidi, Libri a pour objectif de promouvoir les licences libres ainsi que de faciliter le passage de créations sous licence libre.
  • Libre Accès a pour objet de sensibiliser le plus grand nombre aux enjeux de l’art libre et de défendre les droits de ses amateurs et auteurs.

Crédit photo : Massimo Barbieri (Creative Commons By-Sa)




Introduction à l’économie contributive – Vidéo de Simon Lincelles (Ars Industrialis)

Le Framablog a pris l’habitude de suivre les travaux de Bernard Stiegler au sein d’Ars Industrialis. Il faut dire que ça n’est pas tous les jours qu’un philosophe affirme que « le logiciel libre peut redonner sens à nos vies » !

Nous vous proposons ci-dessous le réplication d’une vidéo de Simon Lincelles intitulée « Introduction à l’économie contributive » et co-écrit par Bernard Stiegler.

Malgré quelques inexactitudes, nous partageons l’hypothèse que le logiciel libre (et Wikipédia) représentent un espoir et un modèle pour l’avenir de notre économie.

Remarque : cette vidéo (lien direct Vimeo) est le troisième épisode d’une série initiée ici.




Si je me fais renverser par un camion… par Aaron Swartz (à 16 ans)

Au delà de l’émotion des circonstances, voici la traduction d’une note d’Aaron Swartz qui pose la question du devenir de nos données après notre mort.

Et pour ce qui concerne le code, le léguer à la FSF est une bonne idée 😉

Cet article est rangé dans le répertoire « 2002 » de son site. Il avait alors 16 ans !

Doc Searls - CC by

Si je me fais renverser par un camion…

If I get hit by a truck…

Aaron Swartz – 2002 – Site personnel
(Traduction : Moosh, lgodard, zozio nocture (aka brandelune), aKa, Sky)

Si je me fais renverser par un camion… lisez cette page.


Il y a une vieille blague chez les programmeurs sur qui va gérer le code si son auteur se fait renverser par un camion. Cette page est ici pour assurer que tout le monde sache quoi faire si, pour une raison donnée, je ne suis plus en mesure de conserver mes services Web en fonctionnement.

Je désigne Sean B. Palmer comme mon exécuteur testamentaire virtuel pour l’organisation de ces choses (et Sean, si tu effaces quoi que ce soit, je te hanterai de ma tombe !)

Je demande que le contenu de tous mes disques durs soit rendu public sur aaronsw.com.

Web.Resource.org Sean (ou la personne qu’il désignera) deviendra le nouveau webmaster. Continue de mettre à jour le site et la liste des miroirs, et garantis la persistance des URLs. (Ceci implique que rien de controversé ou d’illégal ne doive être ajouté, à part pour Cryptome.)

Code Source Le copyright pour mon code source sous GPL doit être transféré à la Free Software Foundation. Elle semble avoir une politique raisonnable concernant la mise à disposition du code.

Sites Web Merci de laisser les sites Web opérationnels quand c’est possible, sans modifier les contenus que j’ai écrit quand approprié. Des pages dédiées (par exemple sur aaronsw.com) pourront contenir une note sur ce qui m’est arrivé avec un lien vers des plus d’information. La page d’accueil sur aaronsw.com devra être modifiée avec un lien vers l’ancienne page.

Tombe Je voudrais reposer dans un endroit qui ne me tuera pas. Ce qui veut dire avoir un accès à de l’oxygène (bien qu’un accès direct serait probablement une mauvaise chose), et ne pas avoir à traverser 6 pieds de saleté.

Pour le reste, envoyez un e-mail à Sean. Je suis certain qu’il fera quelque chose de raisonnable.

Si quelque chose m’arrive, merci de mettre à jour le pied de page de cette note avec un lien. Envoyez également un e-mail aux listes concernées et mettez en place une réponse automatique pour mon adresse e-mail afin d’informer les personnes qui m’écrivent. N’hésitez pas à publier les choses que les gens disent à mon propos sur le site. Tout ceci est probablement évident, et je suis certain que vous vous en sortirez.

Oh, et au fait, vous me manquerez tous.

Crédit photo : Doc Searls (Creative Commons By)




Le Manifeste du hacker (1986) #pdftribute Aaron Swartz

Un certain nombre de textes tournent actuellement sur le Net suite au décès d’Aaron Swartz. Parmi eux on trouve « La Conscience d’un hacker » (ou « Le Manifeste du hacker ») datant de… 1986 et que d’aucuns trouvent particulièrement adapté aux circonstances. Et pour cause…

Nous vous le proposons traduit ci-dessous[1]. Il a été rédigé par Loyd Blankenship, (alias The Mentor) juste après son arrestation.

« Oui, je suis un criminel. Mon crime est celui de la curiosité. »

Remarque : Nous sommes en 1986 et c’est par le téléphone que passe le réseau. Un téléphone qui se retrouve alors bloqué par ces « sales gosses » pour la communication classique.

Elizabeth Brossa - CC by-nc-sa

La conscience d’un hacker

The Conscience of a Hacker

The Mentor – 8 janvier 1986 – Phrack.org
(Traduction : NeurAlien, Moosh, ga3lig, goofy, zozio nocture (aka brandelune), Slystone, KoS, aKa, Martin, lamessen, Sky)

Ce qui suit a été écrit peu de temps après mon arrestation…

Un autre s’est fait prendre aujourd’hui, c’est partout dans les journaux.
« Scandale : Un adolescent arrêté pour crime informatique », « Arrestation d’un hacker après le piratage d’une banque »…
Satanés gosses, tous les mêmes.

Mais vous, dans votre psychologie de costume trois pièces et votre conscience technologique des années 50, avez-vous un jour pensé à regarder le monde avec les yeux d’un hacker ?
Ne vous êtes-vous jamais demandé ce qui l’avait fait agir et quelles forces l’avaient animé ?
Je suis un hacker, entrez dans mon monde…
Mon monde, il commence avec l’école… Je suis plus éveillé que la plupart des autres enfants et les nullités qu’on nous enseigne m’ennuient…
Satanés gamins, ce sont tous les mêmes.

Je suis au collège ou au lycée. J’ai écouté les professeurs expliquer pour la quinzième fois comment réduire une fraction.
J’ai bien compris. « Non Mme Dubois, je n’ai pas montré mon travail. Je l’ai fait dans ma tête ».
Satané gosse. Il a certainement copié. Ce sont tous les mêmes.

J’ai fait une découverte aujourd’hui. J’ai trouvé un ordinateur.
Attends une minute, c’est cool. Ça fait ce que je veux. Si ça fait une erreur, c’est parce que je me suis planté.
Pas parce qu’il ne m’aime pas…
Ni parce qu’il se sent menacé par moi…
Ni parce qu’il pense que je suis un petit malin…
Ni parce qu’il n’aime pas enseigner et qu’il ne devrait pas être là…
Satané gosse. Tout ce qu’il fait c’est jouer. Ce sont tous les mêmes.

Et c’est alors que ça arrive. Une porte s’ouvre…
Les impulsions électroniques déferlent sur la ligne téléphonique comme l’héroïne dans les veines d’un drogué.
Pour trouver dans un Forum le refuge contre la stupidité quotidienne.
« C’est ça… C’est ici que je dois être…»
Ici, je connais tout le monde… Même si je n’ai jamais rencontré personne. Je ne leur ai jamais parlé, et je n’entendrai peut-être plus parler d’eux un jour… Je vous connais tous.
Satané gosse. Encore pendu au téléphone. Ce sont tous les mêmes.

A l’école, on nous a donné des pots de bébé alors qu’on avait les crocs pour un steak…
Les morceaux de viande que vous avez bien voulu nous tendre étaient pré-mâchés et sans goût.
On a été dominé par des sadiques ou ignoré par des apathiques.
Les seuls qui avaient des choses à nous apprendre trouvèrent en nous des élèves de bonne volonté, mais ceux-ci étaient comme des gouttes d’eau dans le désert.

C’est notre monde maintenant… Le monde de l’électron et des commutateurs, la beauté du baud. Nous utilisons un service déjà existant, sans payer ce qui pourrait être bon marché si ce n’était pas géré par des profiteurs avides, et c’est nous que vous appelez criminels.
Nous explorons… et vous nous appelez criminels.
Nous recherchons la connaissance… et vous nous appelez criminels.
Nous existons sans couleur de peau, sans nationalité, sans dogme religieux… et vous nous appelez criminels.
Vous construisez des bombes atomiques, vous financez les guerres, vous assassinez et trichez, vous manipulez et vous nous mentez en essayant de nous faire croire que c’est pour notre propre bien… et pourtant c’est nous qui sommes les criminels.

Oui, je suis un criminel. Mon crime est celui de la curiosité.
Mon crime est celui de juger les gens selon ce qu’ils pensent et disent, pas selon leur apparence.
Mon crime est d’être plus malin que vous, quelque chose que vous ne me pardonnerez jamais.

Je suis un hacker, et ceci est mon manifeste.
Vous pouvez arrêter un individu, mais vous ne pouvez pas tous nous arrêter…
Après tout, nous sommes tous les mêmes.

The Mentor

Crédit photo : Elizabeth Brossa (Creative Commons By-Nc-Sa)

Notes

[1] Il en existait une première traduction mais elle était « perfectible ».




Manifeste de la guérilla pour le libre accès, par Aaron Swartz #pdftribute

Il se passe quelque chose d’assez extraordinaire actuellement sur Internet suite à la tragique disparition d’Aaron Swartz : des centaines de professeurs et scientifiques du monde entier ont décidé de publier spontanément leurs travaux en Libre Accès !

Il faut dire que sa mort devient chaque jour plus controversée, les pressions judiciaires dont il était l’objet n’étant peut-être pas étrangères à son geste. Comme on peut le lire dans Wikipédia : « En juillet 2011, le militant américain pour la liberté de l’Internet Aaron Swartz fut inculpé pour avoir téléchargé et mis à disposition gratuitement un grand nombre d’articles depuis JSTOR. Il se suicide le 11 janvier 2013. En cas de condamnation, il encourait une peine d’emprisonnement pouvant atteindre 35 ans et une amende s’élevant jusqu’à 1 million de dollars. »

On peut suivre l’évolution du mouvement derrière le hashtag #pdftribute (pdf hommage) qui a déjà son site et son compte Twitter dédiés.

Dans la foulée nous avons décidé de traduire ensemble un autre article important d’Aaron Swartz (rédigé à 21 ans), en lien direct avec la motivation de tous ceux qui lui rendent ainsi un vibrant, concret et utile hommage : Guerilla Open Access Manifesto.

Ce manifeste s’achève sur cette interrogation : « Serez-vous des nôtres ? »

Remarque : L’émouvante photo ci-dessous représente Aaron Swartz a 14 ans en compagnie de Larry Lessig. On remarquera son bien joli tee-shirt 😉

Rich Gibson - CC by

Manifeste de la guérilla pour le libre accès

Guerilla Open Access Manifesto

Aaron Swartz – juillet 2008 – Internet Archive
(Traduction : Gatitac, albahtaar, Wikinade, M0tty, aKa, Jean-Fred, Goofy, Léna, greygjhart + anonymous)

L’information, c’est le pouvoir. Mais comme pour tout pouvoir, il y a ceux qui veulent le garder pour eux. Le patrimoine culturel et scientifique mondial, publié depuis plusieurs siècles dans les livres et les revues, est de plus en plus souvent numérisé puis verrouillé par une poignée d’entreprises privées. Vous voulez lire les articles présentant les plus célèbres résultats scientifiques ? Il vous faudra payer de grosses sommes à des éditeurs comme Reed Elsevier.

Et il y a ceux qui luttent pour que cela change. Le mouvement pour le libre accès s’est vaillamment battu pour s’assurer que les scientifiques ne mettent pas toutes leurs publications sous copyright et s’assurer plutôt que leurs travaux seront publiés sur Internet sous des conditions qui en permettent l’accès à tous. Mais, même dans le scénario le plus optimiste, la politique de libre accès ne concerne que les publications futures. Tout ce qui a été fait jusqu’à présent est perdu.

C’est trop cher payé. Contraindre les universitaires à débourser de l’argent pour lire le travail de leurs collègues ? Numériser des bibliothèques entières mais ne permettre qu’aux gens de chez Google de les lire ? Fournir des articles scientifiques aux chercheurs des plus grandes universités des pays riches, mais pas aux enfants des pays du Sud ? C’est scandaleux et inacceptable.

Nombreux sont ceux qui disent : « Je suis d’accord mais que peut-on y faire ? Les entreprises possèdent les droits de reproduction de ces documents, elles gagnent énormément d’argent en faisant payer l’accès, et c’est parfaitement légal, il n’y a rien que l’on puisse faire pour les en empêcher. » Mais si, on peut faire quelque chose, ce qu’on est déjà en train de faire : riposter.

Vous qui avez accès à ces ressources, étudiants, bibliothécaires, scientifiques, on vous a donné un privilège. Vous pouvez vous nourrir au banquet de la connaissance pendant que le reste du monde en est exclu. Mais vous n’êtes pas obligés — moralement, vous n’en avez même pas le droit — de conserver ce privilège pour vous seuls. Il est de votre devoir de le partager avec le monde. Et c’est ce que vous avez fait : en échangeant vos mots de passe avec vos collègues, en remplissant des formulaires de téléchargement pour vos amis.


Pendant ce temps, ceux qui ont été écartés de ce festin n’attendent pas sans rien faire. Vous vous êtes faufilés dans les brèches et avez escaladé les barrières, libérant l’information verrouillée par les éditeurs pour la partager avec vos amis.

Mais toutes ces actions se déroulent dans l’ombre, de façon souterraine. On les qualifie de « vol » ou bien de « piratage », comme si partager une abondance de connaissances était moralement équivalent à l’abordage d’un vaisseau et au meurtre de son équipage. Mais le partage n’est pas immoral, c’est un impératif moral. Seuls ceux qu’aveugle la cupidité refusent une copie à leurs amis.


Les grandes multinationales, bien sûr, sont aveuglées par la cupidité. Les lois qui les gouvernent l’exigent, leurs actionnaires se révolteraient à la moindre occasion. Et les politiciens qu’elles ont achetés les soutiennent en votant des lois qui leur donnent le pouvoir exclusif de décider qui est en droit de faire des copies.

La justice ne consiste pas à se soumettre à des lois injustes. Il est temps de sortir de l’ombre et, dans la grande tradition de la désobéissance civile, d’affirmer notre opposition à la confiscation criminelle de la culture publique.

Nous avons besoin de récolter l’information où qu’elle soit stockée, d’en faire des copies et de la partager avec le monde. Nous devons nous emparer du domaine public et l’ajouter aux archives. Nous devons acheter des bases de données secrètes et les mettre sur le Web. Nous devons télécharger des revues scientifiques et les poster sur des réseaux de partage de fichiers. Nous devons mener le combat de la guérilla pour le libre accès.

Lorsque nous serons assez nombreux de par le monde, nous n’enverrons pas seulement un puissant message d’opposition à la privatisation de la connaissance : nous ferons en sorte que cette privatisation appartienne au passé. Serez-vous des nôtres ?

Aaron Swartz

Crédit photo : Rich Gibson (Creative Commons By)




En hommage à Aaron Swartz

Une vague d’émotion sans précédente s’est emparée du Web (que j’ai l’habitude de lire) après la récente tragique disparition d’Aaron Swartz à l’âge de 26 ans. Il faut dire qu’il en avait fait des choses en une pourtant si courte période !

Nous avons décidé de lui rendre hommage en traduisant collectivement l’un des articles de son blog où il évoque son parcours et ses nombreux projets.

Cet article a été initialement écrit en 2007. Aaron avait alors à peine 20 ans…

Sage Ross - CC by-sa

Comment dégoter un boulot comme le mien

How to Get a Job Like Mine

Aaron Swartz – 18 août 2008 – Blog personnel
(Traduction : ga3lig, clementd, Amic, tth, bld, KoS, Havok Novak, a_r_n_a_u_d_b, jpcw + anonymous)

L’écrivain américain Kurt Vonnegut avait l’habitude de toujours nommer ses interventions « Comment obtenir un travail comme le mien » pour parler ensuite de ce que bon lui semblait. Je suis plutôt dans la situation inverse. On m’a informé que je pouvais parler de n’importe quel sujet qui m’intéressait et j’ai donc décidé, plutôt que de pontifier sur l’avenir d’Internet ou de la puissance de la collaboration massive, que la discussion la plus intéressante était probablement celle-ci : « Comment bénéficier d’un travail comme le mien » (NdT : ce texte a été rédigé en préparation d’une conférence donnée au congrès informatique Tathva à NIT Calicut en 2007).

Comment ai-je réussi à dégotter ce job ? Sans aucun doute, la première étape a été de faire le bon choix, c’est-à-dire les bons gènes : à la naissance, j’étais un garçon, blanc, et américain. Ma famille était relativement aisée et mon père travaillait dans l’industrie informatique. Hélas, il n’existe à ce jour aucun moyen d’influer sur ce genre de choses donc je ne vous serai probablement d’aucune utilité sur ce point.

En revanche, quand j’ai débuté, j’étais un très jeune gamin coincé dans une petite ville au milieu de la campagne. J’ai donc dû trouver quelques astuces pour m’en sortir. En espérant rendre la vie un peu moins injuste, je me suis dit que je pourrais les partager avec vous.

Étape 1 : apprendre

La première chose que j’ai faite, et qu’a priori vous avez tous déjà faite, c’était d’apprendre des choses à propos des ordinateurs, d’Internet et de la culture Internet. J’ai lu un paquet de livres, j’ai lu une quantité énorme de pages Web et j’ai essayé des trucs. J’ai commencé par rejoindre des listes de diffusion et j’ai essayé de comprendre les discussions jusqu’à ce que je me sente assez à l’aise pour me lancer et y participer à mon tour. Ensuite, j’ai regardé des sites Web et j’ai essayé de construire le mien. À la fin, j’ai appris à construire des applications Web et j’ai commencé à le faire. J’avais treize ans.

Étape 2 : expérimenter

Le premier site que j’ai réalisé s’appelait get.info. L’idée était d’avoir une encyclopédie en ligne gratuite, que chacun pourrait éditer, ou compléter, ou réorganiser à travers son navigateur. J’ai tout développé, ajouté un tas d’options sympas, testé ça sur tous les types de navigateurs et j’en étais très fier. J’ai même remporté un prix pour la meilleure application Web de cette année-là. Malheureusement, les seules personnes que je connaissais à cette époque étaient d’autres jeunes de mon école, donc je n’avais pas grand monde pour écrire des articles d’encyclopédie. (Heureusement, quelques années plus tard, ma mère m’a montré ce nouveau site appelé « Wikipédia » qui faisait la même chose.)

Le second site s’appellait my.info. L’idée était qu’au lieu d’aller à la recherche d’informations sur toutes sortes de pages Web différentes, il suffisait d’avoir un programme qui allait chercher les nouveautés dans toutes ces pages Web et qui les regrouperait à un seul endroit. Je l’ai construit et je l’ai fait marcher, mais il se trouve qu’à l’époque, je n’étais pas le seul à avoir eu ce genre d’idée. Beaucoup de gens travaillaient sur cette nouvelle technique, appelée alors « syndication ». Un groupe d’entre eux s’est mis à part et a décidé de travailler sur une spécification appelée RSS 1.0, et je les ai rejoints.

Étape 3 : échanger

C’était l’été, je n’étais pas à l’école et je n’avais pas de boulot, j’avais donc beaucoup de temps libre à disposition. Et je l’ai entièrement consacré à lire la liste de diffusion de RSS 1.0 et à faire toutes sortes de travaux bizarres et tout ce qu’il y avait d’autre à faire. Assez rapidement, on m’a demandé si je voulais devenir membre du groupe, et je me suis retrouvé être co-auteur, puis co-éditeur de la spécification RSS 1.0.

RSS 1.0 était construit au-dessus d’une technologie appelée RDF, source de débats agités sur les listes de diffusion de RSS. J’ai donc commencé à m’intéresser à RDF, j’ai rejoint les listes de diffusion autour de RDF, lu des choses, posé des questions idiotes pour lentement commencer à comprendre comment ça marchait. Assez rapidement, je devenais connu dans le petit monde du RDF et quand ils ont annoncé la création d’un nouveau groupe de travail destiné à créer la prochaine spécification RDF, j’ai décidé de m’y glisser.

Premièrement, j’ai demandé aux membres du groupe de travail si je pouvais m’y joindre. Ils m’ont répondu négativement. Mais je voulais vraiment faire partie de ce groupe de travail, alors j’ai décidé de trouver un autre moyen. J’ai lu le règlement du W3C, qui expliquait le fonctionnement d’un groupe de travail. Les règles indiquaient que, bien que se réservant le droit de rejeter toute demande d’adhésion individuelle, il suffisait que l’une des organisations faisant partie des membres officiels du W3C sollicite la participation d’un candidat pour qu’elle soit acceptée d’emblée. Ainsi, j’ai examiné en détail la liste des organisations membres du W3C, découvert celle qui me paraissait la plus accessible et lui ai demandé de m’inclure dans ce groupe de travail. Et c’est ce qu’ils ont fait !

Faire partie d’un groupe de travail impliquait des communications téléphoniques hebdomadaires avec les autres membres, un tas de discussions sur des listes de diffusion et sur IRC, de temps à autre de voyager vers d’étranges villes pour des rencontres réelles et une quantité de prises de contact avec des personnes à connaître partout.

J’étais aussi un chaud partisan de RDF, j’ai ainsi œuvré ardemment à convaincre d’autres de l’adopter. Quand j’ai découvert que le professeur Lawrence Lessig lançait une nouvelle organisation appelée Creative Commons, je lui ai transmis un courriel lui conseillant d’adopter RDF pour son projet et lui ai expliqué pourquoi. Quelques jours après, il me répondit : « Bonne idée. Pourquoi ne le ferais-tu pas pour nous ? »

Donc, j’ai fini par rejoindre les Creative Commons, qui m’ont fait m’envoler vers toutes sortes de conférences et de réunions, et je me suis retrouvé en train de rencontrer encore plus de gens. Parmi tous ces gens qui commençaient à savoir qui j’étais, j’en suis arrivé à me faire des amis dans un paquet d’endroits et de domaines différents.

Étape 4 : construire

Puis j’ai laissé tout ça de côté et je suis allé à l’université pour un an. Je suis allé a l’université de Stanford, une petite école idyllique en Californie où le soleil brille toujours, où l’herbe est toujours verte et où les jeunes sont toujours dehors à se faire bronzer. Il y a des enseignants excellents et j’ai sans aucun doute beaucoup appris, mais je n’y ai pas trouvé une atmosphère très intellectuelle étant donné que la plupart des autres jeunes se fichaient apparemment profondément de leurs études.

Mais vers la fin de l’année, j’ai reçu un courriel d’un écrivain nommé Paul Graham qui disait démarrer un nouveau projet, Y Combinator. L’idée derrière Y Combinator était de trouver un groupe de développeurs vraiment talentueux, les faire venir à Boston pour l’été, leur donner un peu d’argent et la base administrative pour lancer une société. Ils travaillent alors très, très dur pour apprendre tout ce dont ils ont besoin de savoir sur le monde des affaires, en les mettant en contact avec des investisseurs, des clients, etc. Et Paul suggéra que je m’inscrive.

Donc je l’ai fait, et après beaucoup de peine et d’efforts, je me suis retrouvé à travailler sur un petit site appelé Reddit.com. La première chose à savoir à propos de Reddit était que nous n’avions aucune idée de ce que nous étions en train de faire. Nous n’avions pas d’expérience dans les affaires, nous n’avions pratiquement pas d’expérience en création de logiciels au niveau qualité d’un produit fini. Et nous n’avions aucune idée si, ou pourquoi, ce que nous faisions fonctionnait. Chaque matin, nous nous levions et nous vérifiions que le serveur n’était pas tombé en panne et que le site ne croulait pas sous les messages indésirables, et que nos utilisateurs étaient toujours présents.

Lorsque j’ai commencé à Reddit, la croissance était lente. Le site avait été mis en ligne très tôt, quelques semaines après avoir commencé à travailler dessus, mais pendant les trois premiers mois, il a difficilement atteint trois mille visiteurs par jour, ce qui représente un minimum pour un flux RSS utilisable. Nous avons ensuite, lors d’une session marathon de codage de quelques semaines, transféré le site de Lisp à Python et j’ai écrit un article sur mon blog au sujet de cet exploit. Il a beaucoup attiré l’attention (même l’enfer ne peut déclencher autant de colère que celle d’un fan de Lisp mécontent) et encore aujourd’hui les gens que je rencontre en soirée, lorsque que je mentionne que j’ai travaillé à Reddit, disent : « Oh, le site qui a migré depuis Lisp. »

C’est à ce moment-là que le trafic a vraiment commencé à décoller. Dans les trois mois qui ont suivi, le trafic a doublé à deux reprises. Chaque matin, nous nous levions pour vérifier les statistiques et voir comment nous nous en sortions, vérifier si une nouvelle fonctionnalité que nous avions lancée nous avait attiré plus de monde, ou si le bouche à oreille continuait de faire parler de notre site, ou encore si tous nos utilisateurs nous avaient abandonnés. Et, chaque jour, le nombre de visiteurs progressait. Mais nous ne pouvions nous empêcher d’avoir l’impression que la croissance du trafic était encore plus rapide lorsque nous arrêtions de travailler sur le site.

Nous n’avions toujours pas d’idée sur la façon de gagner de l’argent. Nous avons vendu des t-shirts sur le site, mais, chaque fois, l’argent récupéré sur la vente servait à racheter encore plus de t-shirts. Nous avons signé avec un acteur majeur de la publicité en ligne pour vendre de la publicité sur notre site, mais cela n’a guère fonctionné, en tout cas pas pour nous, et il était rare que nous touchions, en réalité, plus de deux dollars par mois. Une autre idée était de commercialiser, sous licence, le savoir-faire « Reddit » pour permettre à d’autres de monter des sites sur le modèle Reddit. Mais nous n’avons trouvé personne d’intéressé pour acquérir notre licence.

Rapidement, Reddit a acquis des millions d’utilisateurs chaque mois, un chiffre qui dépasse de loin le magazine américain moyen. Je le sais, car j’ai discuté, à cette période, avec de nombreuses maisons d’édition. Ils se sont tous demandés comment le charme de Reddit pourrait opérer pour eux.

De plus, les sites d’actualités en ligne ont commencé à voir que Reddit pourrait leur envoyer un énorme trafic. Ils ont pensé, d’une certaine manière, encourager cela en ajoutant un lien « reddit this » à tous leurs articles. Pour autant que je sache, ajouter ces liens n’améliore pas vraiment votre chance de devenir populaire sur Reddit (bien que cela rende votre site plus moche), mais cela nous a offert beaucoup de publicité gratuite.

Assez rapidement, la discussion avec nos partenaires se dirigeait vers une négociation d’acquisition. L’acquisition : la chose dont nous avions toujours rêvé ! Il n’y aurait plus à s’inquiéter de faire du profit. Des entreprises externes se chargeaient de cette responsabilité en contrepartie de faire notre fortune. Nous avons tout laissé tomber pour négocier avec nos acheteurs. Et ensuite, cela est resté à l’abandon.

Nous avons négocié pendant des mois. Au début, nous débattions sur le prix. Nous préparions des « business plans » et des feuilles de calcul, puis allions au siège social pour faire des présentations et affronter des réunions et des appels téléphoniques sans fin. Finalement, ils refusèrent notre prix et nous sommes donc repartis. Plus tard, ils changèrent d’attitude, nous nous sommes serrés la main et nous étions d’accord sur la transaction pour finalement commencer à renégocier sur certains autres points cruciaux, et nous éloigner à nouveau. Nous avons dû nous retirer trois ou quatre fois avant d’obtenir un contrat acceptable. Au final, nous avons dû arrêter de travailler efficacement pendant six mois.

Je commençais à devenir malade d’avoir à consacrer autant de temps à l’argent. Nous commencions tous à être affectés par le stress et le manque de travail productif. Nous avons commencé à nous disputer et ensuite à ne plus nous parler, avant de redoubler d’efforts pour retravailler ensemble, pour retomber finalement dans nos errements. L’entreprise a failli se désintégrer avant que la transaction ne se concrétise.

Mais finalement, nous sommes allés chez nos avocats pour signer tous les documents et le lendemain matin, l’argent était sur nos comptes. C’était terminé.

Nous nous sommes tous envolés pour San Francisco et avons commencé à travailler dans les bureaux de Wired News (nous avions été rachetés par Condé Nast, une grande entreprise de publication qui possède Wired et de nombreux autres magazines).

J’étais malheureux. Je ne pouvais pas supporter San Francisco. Je ne pouvais pas supporter une vie de bureau. Je ne pouvais pas supporter Wired. J’ai pris de longues vacances de Noël. Je suis tombé malade. J’ai pensé à me suicider. J’ai fui la police. Et quand je suis revenu le lundi matin, on m’a demandé de démissionner.

Étape 5 : liberté

Les quelques premiers jours sans travail ont été bizarres. Je tournais en rond chez moi. Je profitais du soleil de San Francisco. Je lisais quelques livres. Mais rapidement, j’ai senti que j’avais besoin, à nouveau, d’un projet. J’ai commencé à écrire un livre. Je désirais collecter toutes les bonnes études dans le domaine de la psychologie pour les raconter, non pas comme des analyses, mais comme des histoires. Chaque jour, je descendais à la bibliothèque de Stanford pour y faire des recherches. (Stanford est une école réputée en psychologie.)

Mais un jour, Brewster Kahle m’a appelé. Brewster est le fondateur de The Internet Archive, une organisation formidable qui essaye de numériser tout ce qu’elle trouve pour le publier sur le Web. Il m’a dit qu’il voulait démarrer un projet dont nous avions parlé à l’époque. L’idée serait de rassembler l’information de tous les livres du monde dans un lieu unique, un wiki libre. Je me suis mis immédiatement au travail, et dans les quelques mois qui ont suivi, j’ai commencé à contacter les bibliothèques, mettre à contribution des programmeurs, cogiter avec un designer et faire plein d’autres trucs pour mettre ce site en ligne. Ce projet a fini par devenir Open Library. Il a été développé en grande partie par un talentueux programmeur indien : Anand Chitipothu.

Un autre ami, Seth Roberts, a suggéré que nous devrions trouver le moyen de réformer le système des études supérieures. Nous n’arrivions pas à nous mettre d’accord sur une solution satisfaisante, mais nous avons eu une autre bonne idée : un wiki qui explique aux étudiants à quoi ressemblent les différents métiers. Ce site va être bientôt lancé…

Ensuite, un autre ancien ami, Simon Carstensen, m’a envoyé un e-mail disant qu’il avait obtenu son diplôme universitaire et qu’il cherchait à monter une entreprise avec moi. En fait, j’avais gardé une liste d’entreprises qui pourraient être d’excellentes idées et j’ai pris la première de la liste. L’idée était de créer un site Web aussi simple à remplir qu’un champ texte. Pendant les mois suivants, nous avons travaillé d’arrache-pied à rendre les choses de plus en plus simples (et un peu plus complexes aussi). Le résultat, avec le lancement il y a quelques semaines, est le site : Jottit.com.

Je me suis aussi engagé en tant que conseiller pour deux projets du Summer of Code, les deux étant étonnamment ambitieux et avec un peu de chances, ils devraient être lancés bientôt.

J’ai décidé également alors de m’impliquer dans le journalisme. Mon premier article papier vient d’être publié.

J’ai aussi lancé quelques blogs sur la science et j’ai commencé à travailler à rédiger un article académique moi-même. Il se base sur une étude que j’avais conduite il y a quelques temps sur les rédacteurs effectifs de Wikipédia. Quelques personnes, y compris Jimmy Wales, qui est en quelque sorte le porte-parole de Wikipédia, affirmait que Wikipédia n’était pas, tout compte fait, un projet massivement collaboratif, mais était plutôt rédigé par une équipe d’à peu près 500 auteurs, qu’il connaissait pour la plupart. Il avait fait quelques analyses simples pour le mettre en évidence, mais j’ai vérifié attentivement les chiffres et j’arrive à la conclusion inverse : la grande majorité de Wikipédia a été écrite par de nouveaux rédacteurs, la plupart ne s’étant pas donné la peine de créer un compte, ajoutant quelques phrases de ci de là. Comment Wales a-t-il pu commettre une telle erreur ? Il a analysé le nombre de modifications effectuées par chaque auteur sans vérifier la nature de ces modifications. Or la grande majorité de leurs modifications sont tout à fait mineures : ils font des choses comme des corrections orthographiques ou des remises en forme. Il semble plus raisonnable de croire que ces 500 personnes se comportent plus comme des inspecteurs que comme des producteurs de contenu.

Derniers conseils

Quel est le secret ? Comment pourrais-je condenser les choses que je fais dans des phrases concises qui me correspondent le plus ? Allons-y :

  1. Soyez curieux. Élargissez vos lectures. Essayez de nouvelles choses. Je pense que ce que beaucoup de gens appellent intelligence n’est rien d’autre que de la curiosité ;
  2. Dites oui à tout. J’ai quelques difficultés à dire non, à un niveau pathologique, quels que soient les projets, les interviews ou les amis. Du coup, j’essaie beaucoup et même si ça se solde souvent par un échec, j’ai toujours fait quelque chose ;
  3. Faites comme si les autres n’avaient pas la moindre idée de ce qu’ils sont en train de faire. Une foule de gens hésite à tenter une action pour la simple raison qu’ils pensent qu’ils n’en savent pas suffisamment sur le sujet ou parce qu’ils supposent que d’autres l’ont fait avant eux. Eh bien, peu de gens ont la moindre idée de la manière de mener une action et ils sont même encore moins nombreux à expérimenter de nouvelles méthodes, donc en général si vous faites de votre mieux sur quelque chose, vous le ferez plutôt bien.

J’ai suivi cette ligne de conduite. Et voilà où j’en suis aujourd’hui, avec une douzaine de projets en tête et mon niveau de stress toujours au plus haut.

Chaque matin, je me lève et vérifie mes courriels pour savoir lequel de mes projets a implosé aujourd’hui, quelle date limite a été dépassée, quels discours je dois préparer et quels articles doivent être rédigés.

Un jour, peut-être, vous aussi serez dans la même situation. Si tel est le cas, j’espère que j’y aurai modestement contribué.

Crédit photo : Sage Ross (Creative Commons By-Sa)




Geektionnerd : Sony Copyright Extension

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Source : Sony sort un disque de Bob Dylan uniquement pour éviter le domaine public (Numerama)

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Maraval, Depardieu et les licences libres, par Jérémie Nestel

Que les gros salaires lèvent le doigt, surtout en temps de crise… Mais ce qu’il y a peut-être de plus intéressant dans l’affaire Depardieu, ce qu’elle a rebondi sur une mise en accusation globale du financement du cinéma français, grâce à une tribune mordante de Vincent Maraval dans Le Monde.

On notera au passage que c’est un producteur qui a mis les pieds dans le plat et non un journaliste, ce qui en dit long sur l’inféodation d’une profession qui préfère se voiler la face en se cantonnant à voir des films (gratos) en pondant leur anecdotique et souvent insignifiant « J’aime / J’aime pas ».

« Le système est sclérosé », surenchérit ici Jérémie Nestel, du collectif Libre Accès, en insistant sur une revendication dont le persistant refus devient de plus en plus difficile à justifier : ce qui est financé sur fonds publics doit être placé tôt ou tard sous licence libre. Tard ce serait ici pas plus d’une dizaine d’années en n’attendant surtout pas la trop lointaine échéance du domaine public, 70 ans après les morts de tous les protagonistes d’un film !

Musique, littérature, cinéma… Internet révèle chaque jour davantage une culture soumise à l’industrie culturelle qui ne profite qu’à une minorité, qui criminalise le partage et qui ne peut ou veut s’adapter à son époque.

Vincent Roche - CC by-sa

Pour un cinéma promouvant le droit au partage

URL d’origine du document

Jérémie Nestel – 6 janvier 2013 – Libre Accès
Licence Art Libre

Notre mémoire collective contribue à forger une morale commune fait de références similaires.

Cette mémoire collective repose essentiellement sur « des œuvres de l’esprit ».

L’incapacité des politiques à préserver les biens communs dont ceux issus des œuvres de l’esprit annonce la fin du contrat social de notre société.

Pourquoi aliéner notre liberté à une société privilégiant des intérêts particuliers à l’intérêt général ?

Les débats autour d’Hadopi, du droit d’auteur et des nouvelles taxes demandées au public pour financer des rentes à vie aux stars des médias et aux multinationales du divertissement trouvent un écho à deux articles du monde commentant l’exil fiscal de Depardieu.

Tout d’abord ce premier article du Monde « Depardieu, enfant perdu de la patrie » faisant le parallèle entre la volonté de Depardieu de renoncer à sa nationalité et une thèse de Pierre Maillot sur l’identification des Français aux acteurs.

L’article suggère que « le Français qui se reconnaît dans Depardieu se reconnaît perdu ». En choisissant l’exil et « sa déchéance nationale » Depardieu devient le symbole d’une France dont le lien social est brisé.

Le deuxième article du Monde « Les artistes français sont trop payés », coup de gueule du producteur Vincent Maraval, qui relativise l’exil de Depardieu au regard des salaires indécents des acteurs du cinéma Français.

On y apprend que le salaire des acteurs n’est pas lié à la recette commerciale de leur film mais à leur capacité à obtenir les fonds cumulés du CNC, des taxes, des avantages fiscaux et de la télévision publique.

« Est-il normal qu’un Daniel Auteuil, dont les quatre derniers films représentent des échecs financiers de taille, continue à toucher des cachets de 1,5 million d’euros sur des films coproduits par France Télévision ? »

Cet article nous apprend qu’aucune des grandes productions françaises ne doit sa viabilité économique à son exploitation commerciale mais uniquement au financement public direct ou indirect.

Ces fonds publics ne servent pas à faire émerger une esthétique cinématographique française mais à maintenir une société d’acteurs et de producteurs percevant des millions.

Système complètement sclérosé où les réseaux de distribution des salles de cinéma et des chaînes de télévision sont saturés par des grosses productions françaises ou américaines et incapables de s’adapter à la démocratisation des outils numériques de production cinématographique et à la multiplicité des réalisateurs !

L’article de Maraval aura donné lieu à des réactions en chaîne du milieu du cinéma, Libération annonçant même une série de conférences dédiées.

On y apprendra pèle mêle :

Thomas Langmann : « Le système d’avance sur recette du CNC, symbole de l’exception culturelle française, est devenu un comité de copinage. Formé de trois collèges, les choix de l’avance sur recettes restent entièrement à la discrétion de ces commissions. ».

Olivier Bomsel : « Les chaînes françaises n’achètent donc que des créneaux de diffusion : leur seul actif est la valorisation instantanée par la diffusion ».

C’est peut-être là le plus grand scandale, au final. Qu’importe que des acteurs perçoivent des millions comme Daniel Auteuil grâce à des fonds publics, mais pourquoi priver les Français de leur droit au partage sur des productions qu’ils ont contribué à financer ?

Si Canal plus avec Studio Canal détient un catalogue grâce aux films qu’ils ont produits, pourquoi interdire ce droit aux chaînes publiques, chaînes publiques qui appartiennent aux Français ?

La société française est prise en otage d’une économie cinématographique et musicale défaillante ne pouvant se maintenir qu’en exigeant toujours plus de taxes, et en privant les français de leur droit au partage. Dans ce contexte surprenante intervention de la ministre de la Culture Aurélie Filippetti, à la tribune de Maraval, pour affirmer que le mode de financement du cinéma est « un un système vertueux ». Pour pérenniser un système défaillant on ne parlera pas d’une nouvelle économie bâtie sur le partage mais de régulation.

En toile de fond, de l’affaire Depardieu, on retiendra sa capacité à mobiliser sur une affaire somme toute personnelle, deux présidents de la République : Incroyable pouvoir d’influence des acteurs du cinéma sur le politique !

Ce n’est donc pas demain qu’un Ministre de la Culture affirmera que tout film produit à l’aide de financement public (CNC, de France Télévision, aides régionales, Européenne etc.) puisse être diffusé sous une licence libre favorisant le partage. L’appropriation « des catalogues de films » par les multinationales du divertissement vole à notre humanité des pans entiers de notre culture commune. Il n’est donc pas injuste de penser qu’au bout de dix ans d’exploitation un film puisse être diffusé sous une licence libre compte tenu que ceux qui l’ont réalisé ont déjà été rémunérés.

Le partage, l’échange de films qui ont marqué notre vie est un acte social à l’heure du numérique aussi banal que de chanter en famille des chansons en fin de dîner.

Crédit photo : Vincent Roche (Creative Commons By-Sa)