4 questions à J. Zimmermann, porte-parole d’une Quadrature du Net à soutenir

Soutien - La Quadrature du Net - Geoffrey Dorne - CC by-nc-saDepuis trois ans la Quadrature agite le Net sans relâche pour qu’il reste cet espace de liberté où tant de belles initiatives ont pu prendre forme et se développer, à commencer par le logiciel libre.

L’année dernière, nous nous faisions l’écho d’un appel de Benjamin Bayart pour la Quadrature puisse poursuivre son action.

Un an et quelques belles batailles législatives plus tard, la Quadrature du Net lance une nouvelle et cruciale campagne de financement[1].

L’occasion de faire le point et de revenir avec son porte-parole Jérémie Zimmermann sur les origines, les motivations et les objectifs de cet indispensable mégaphone citoyen dont la portée dépend directement de notre propre implication.

4 questions à Jérémie Zimmermann

Un entretien réalisé par Siltaar pour Framasoft

1. D’où vient « La Quadrature du Net » exactement ?

De cinq co-fondateurs: Philippe Aigrain, Christophe Espern (aujourd’hui retiré), Gérald Sédrati-Dinet, Benjamin Sonntag et moi-même.

Nous étions à la base 5 hackers[2], tous passionnés de logiciels libres et engagés dans les combats pour le logiciel libre, contre les brevets sur les logiciels, contre la DADVSI et pour une infrastructure informationnelle libre.

Avec l’élection de Nicolas Sarkozy, nous avons vu dans son programme, en filigrane, une attaque violente des libertés sur Internet. C’est pour cela que nous avons créé la Quadrature du Net. Pour agir et avant tout pour permettre à chacun de réagir.

Nous avons donc appris de nos expériences associatives et militantes respectives, et choisi de créer une « non-structure », une association de fait, sans président ni membres, qui ne représente que la voix de ses co-fondateurs. Nous défendons une vision d’Internet conforme à ses principes initiaux de partage de la connaissance et d’ouverture, plutôt qu’un Internet « civilisé » basé sur le contrôle et la répression.

Aujourd’hui, je vois la Quadrature du Net comme une caisse à outils. Nous fabriquons des outils (analytiques ou techniques) pour permettre à tous les citoyens de comprendre les processus visant à attaquer leurs libertés individuelles en ligne, et à réagir en participant au débat démocratique.

2. Plusieurs initiatives de la Quadrature ont été largement relayées sur le Web (blackout contre Hadopi, campagne d’appel des députés européens pour l’amendement 138 ou la déclaration écrite n°12), où en sommes-nous aujourd’hui ?

Les résultats sont nombreux et dans l’ensemble très positifs. Nous en sommes les premiers surpris. Outre les victoires législatives (nous avons joué un rôle dans le rejet de l’HADOPI 1, puis la décision du Conseil Constitutionnel la décapitant, dans le vote par deux fois à 88% du Parlement européen du célèbre amendement 138 interdisant les restrictions d’accès sans intervention du juge, etc.), nous avons à notre actif un certain nombre de victoires non-législatives (peser sur des rapports parlementaires européens comme le rapport Lambrinidis, le rapport Medina, ou porter et compléter la « déclaration écrite n°12 » contre ACTA, etc.).

Prenons l’exemple de l’accord multilatéral ACTA : un infect contournement de la démocratie par les gouvernements visant à imposer de nouvelles sanctions pénales dans le cadre de la guerre contre le partage. Nous avons joué un rôle majeur en Europe, notamment en fuitant des versions de travail du document et en alertant les eurodéputés. Le texte définitif, quoiqu’encore très dangereux, est très largement influencé par nos actions, et si nous avons aujourd’hui une maigre chance de le faire rejeter dans son ensemble au parlement européen (vote autour de l’été, à suivre…), c’est sans doute le fruit de ces longues années d’efforts. Et il reste beaucoup à faire : Sur ACTA comme sur tout le reste des dossiers, nos adversaires ont des hordes de lobbyistes payés à plein temps pour tirer la corde dans la direction opposée.

Mais c’est surtout en dehors des textes législatifs eux-mêmes, en complément, que notre action a été je pense la plus utile : à créer un contexte politique autour de ces questions de libertés fondamentales et d’Internet. Il s’agit désormais d’un sujet que les députés et eurodéputés craignent, car ils savent que cela intéresse beaucoup de monde, ils l’ont vu lors de certaines campagnes que nous avons montées et qui les ont surpris. De la même façon dans de nombreux cercles politiques, institutionnels ou universitaires, ces sujets deviennent de plus en plus importants, et chacun commence à réaliser combien ils seront déterminants pour le futur de nos sociétés. L’affaire des câbles diplomatiques fuités par Wikileaks ou la révolte Égyptienne en ont été des exemples flagrants.

Un autre exemple : la question de la neutralité du Net. C’était un obscur dossier technique jusqu’à ce que nous contribuions à en faire un des enjeux-clé de la révision des directives européennes du Paquet Télécom, au point que les eurodéputés obligent la Commission à s’en saisir, ce qui a généré de nombreux articles de presse. Aujourd’hui en France, une mission d’enquête parlementaire composée de députés UMP (Laure de la Raudière) et PS (Corinne Erhel) étudie ce sujet et rendra bientôt un rapport, probablement assorti d’une proposition législative. C’est un sujet qui fait aujourd’hui débat.

Nous nous attachons à des sujets fondamentaux, qui dépassent les clivages politiques traditionnels. Nos victoires se marquent donc esprit par esprit, et nos objectifs sont à des termes qui vont au delà de ceux des mandats électoraux. D’un autre côté ce sont des dossiers souvent complexes, mêlant technologie, droit, éthique et économie… Il nous faut donc faire un travail de fourmis sur les dossiers, tout en rugissant parfois comme des lions pour se faire entendre ! Mais cela ne fonctionnerait pas sans votre soutien à nos actions, si chacun ne participait pas un peu, à son échelle et selon ses moyens.

3. Quelles sont les prochaines batailles qui se profilent à l’horizon pour la défense de la neutralité du Net ?

La bataille de l’ACTA est sans doute l’un des enjeux les plus importants auxquels nous avons eu à faire face depuis bien longtemps. Cet accord[3] prévoit entre autres de nouvelles sanctions pénales pour le fait d’« aider ou faciliter » des « infractions au droit d’auteur à échelle commerciale ». Cela veut dire tout et son contraire. N’importe quelle compagnie d’Internet (fournisseur d’accès, plate-forme d’hébergement ou fournisseur de service) tomberait potentiellement dans cette définition. La seule solution pour elle pour éviter de lourdes sanctions qui compromettraient son activité serait de se transformer en police privée du droit d’auteur sur le Net, en filtrant les contenus, en restreignant l’accès de ses utilisateurs, etc. Exactement ce que souhaitent les industries du divertissement qui sont à l’origine de cet accord, déguisé en banal accord commercial, dans le cadre de la guerre contre le partage qu’elles mènent contre leurs clients.

Si nous laissons la Commission européenne et les États Membres s’entendre pour imposer entre-autres de nouvelles sanctions pénales, alors que ces dernières sont normalement du ressort des parlements, la porte serait ouverte à toutes les dérives. Un tel contournement de la démocratie pourrait laisser des traces durables. Nous devons tout faire pour que l’ACTA soit rejeté par les eurodéputés.

La question de la neutralité du Net est elle aussi complètement fondamentale. Il faut que nous nous battions pour avoir accès à du vrai Internet, cet Internet universel qui connecte tout le monde à tout. Internet, et les bénéfices sociaux et économiques qui en découlent, dépendent de sa neutralité, c’est à dire du fait que nous pouvons tous accéder à tous les contenus, services et applications de notre choix, et également en publier. C’est ainsi que nous pouvons par exemple accéder à tous ces logiciels libres, à Wikipédia, mais également y contribuer, ou créer dans son garage une start-up qui deviendra peut-être le prochain moteur de recherche dominant, ou un petit site qui deviendra un jour une incontournable référence comme Framasoft 😉

Si un opérateur commence à discriminer les communications, que ce soit en fonction de l’émetteur, du destinataire ou du type de contenus échangés, alors ça n’est plus Internet. C’est ce qui est fait en Chine ou en Iran pour des raisons politiques, mais également ce que font Orange, Bouygues et SFR lorsque pour des raisons économiques lorsqu’ils interdisent la voix sur IP, l’accès aux newsgroups ou aux réseaux peer-to-peer (évidemment dans le but de vous vendre leurs propres services, souvent moins compétitifs et bien plus chers).

Nous devons nous battre pour cet Internet que nous construisons chaque jour, que nous aimons et qui nous appartient à tous. C’est cet Internet universel le vrai Internet « civilisé », et non celui vu par Nicolas Sarkozy et les industries qu’il sert, dans lequel nos libertés s’effaceraient derrière un contrôle centralisé malsain et dangereux pour la démocratie.

4. Quel rôle pouvons-nous jouer ?

Dans tous ces dossiers, il est indispensable de comprendre que La Quadrature du Net ne sert à rien sans les centaines, les milliers de citoyens qui la soutiennent, chacun à leur échelle, participent à ses actions, suivent cette actualité et en parlent autour d’eux…

Au jour le jour, il est possible de participer sur le terrain, par exemple sur notre wiki, notre liste de discussion ou notre canal IRC. Des tâches précises comme le développement de nos outils (Mémoire Politique, le Mediakit, nos bots IRC, etc. ), le webdesign et la création de matériaux de campagne (affiches, bannières, infographies, clips, etc.), ou la participation à notre revue de presse ont toutes, constamment, besoin de nouvelles participations.

Il est également indispensable de participer en prenant connaissance des dossiers et en relayant nos communications et nos campagnes, en contactant les élus (députés et eurodéputés), en discutant avec eux de ces sujets pour les persuader jusqu’à établir une relation de confiance, pour pouvoir les alerter le moment venu.

Devant des enjeux d’une importance aussi cruciale, rappelons-nous cette célèbre parole de Gandhi : « Quoi que vous ferez, ce sera forcément insignifiant, mais il est très important que vous le fassiez tout de même. ».

Enfin, si pour des raisons diverses et variées il n’est pas possible de contribuer à ces tâches, il est toujours possible de nous soutenir financièrement, idéalement par un don récurrent.

Il est de notre devoir, tant qu’il nous reste encore entre les mains un Internet libre et ouvert, donc neutre, d’agir pour le protéger.

Soutien - La Quadrature du Net - Geoffrey Dorne - CC by-nc-sa

Notes

[1] Crédit illustrations : Geoffrey Dorne (licence Creative Commons By-Nc-Sa)

[2] Au sens étymologique, des passionnés de technologie aimant comprendre le fonctionnement des choses et les faire fonctionner mieux.

[3] ACTA = Anti-Counterfeiting Trade Agreement, ou Accord Commercial Anti-Contrefaçon. Il s’agit d’un accord multilatéral entre 39 pays, dont les 27 États-Membres européens.




Nouveau projet Framapad : pensez-y si vous souhaitez collaborer en ligne !

Framapad - Copie d'écranContraction de Framasoft et d’Etherpad, Framapad est un nouveau projet à la fois modeste et ambitieux.

Modeste car il ne s’agit que de l’installation du logiciel libre Etherpad sur l’un de nos propres serveurs[1].

Mais ambitieux car nous espérons profiter de la visibilité de notre réseau pour faire découvrir et utiliser ce logiciel au plus large public possible.

Qu’est-ce donc qu’Etherpad ? Il s’agit d’un éditeur de texte collaboratif en temps réel qui permet à plusieurs personnes de partager un texte en cours d’élaboration[2].

Les contributions de chacun apparaissent immédiatement sur l’écran de tous les participants et sont signalées par des couleurs différentes. Un historique permet de revenir en arrière et une fenêtre de messagerie instantanée (ou tchat) est également disponible permettant aux différents collaborateurs de communiquer à côté du texte en construction.

Le gros avantage d’Etherpad réside dans sa rapidité et simplicitié d’utilisation.

Ni installation ni inscription ne sont demandées, tout se fait en ligne sur Internet. Il suffit de vous rendre sur le site Framapad en cliquant sur « Créer un Pad » et vous voici tout de suite opérationnel, prêt à inviter d’autres participants à vous rejoindre sur la page de votre texte (ou pad) nouvellemment créée.

Framapad - Copie d'écran

Si vous vous retrouvez en situation de devoir rédiger un texte à plusieurs mains, texte pas trop long et sans mise en forme particulière, pensez à Framapad.

C’est plus pratique (et plus ludique) qu’un wiki et plus libre (et moins lourd) qu’un Google Documents.

Pour ce qui nous concerne nous avons découvert ce logiciel il y a un an lors d’une traduction collective. Depuis nous avons pris l’habitude de l’utiliser au quotidien et le projet Framapad n’est en fait que la mise à disposition de tous de cet outil si pertinent et performant[3].

Par rapport à une installation classique d’Etherpad[4], Framapad propose l’interface en français et une documentation détaillée d’une vingtaine de pages de toutes ses fonctionnalités.

Par défaut, les pads sont publics, permanents et accessibles à tous. Mais il est également possible d’ouvrir des pads privés en se créant un compte. Vous disposerez alors de votre propre sous-domaine d’où vous pourrez gérer vos membres, contrôler l’accès, archiver et supprimer vos pads. Ce point précis fait l’objet d’un autre guide détaillé et illustré.

Merci de diffuser l’information car notre espoir récurrent est d’aller au delà des initiés[5]. L’idée étant, ici comme ailleurs, de rendre service, tout en faisant au passage l’expérience du travail collaboratif à la base même du logiciel libre et de sa culture.

-> Se rendre sur Framapad.org

Notes

[1] Pour la petite histoire, Etherpad est devenu libre en décembre 2009, le jour où Google a décidé de diffuser les sources sous Licence Apache v2.

[2] Il est théoriquement possible de se retrouver jusqu’à 16 collaborateurs sur un même document. Nous avons fixé cette limite à 8 pour le moment afin d’éviter le congestions et voir si notre serveur tient la charge.

[3] Un grand merci au passage à Simon Descarpentries (Siltaar) pour avoir piloté ce projet Framasoft.

[4] Autres exemples d’Etherpad sur le Web : Piratepad, Titanpad, Primarypad ou l’Epad de Recit.org (lui aussi francisé).

[5] Merci également de nous signaler dans les commentaires les bugs rencontrés et plus généralement vos remarques et suggestions sur ce projet.




L’association Framasoft publie son rapport moral 2010

Yesika - CC by-saNé en 2001 Framasoft est un réseau de sites et de projets collaboratifs dont l’objectif est de promouvoir et diffuser le logiciel libre et sa culture au plus large public. Avec le temps ce réseau a pris une telle dimension qu’il a eu besoin de s’appuyer sur une structure associative, créée en 2004, pour soutenir son action.

Vous trouverez ci-dessous le rapport moral et financier de l’association pour l’année 2010.

Encore une année riche et bien remplie. Il faut dire qu’avec un annuaire qui a dépassé les 1 500 logiciels (dont une sélection à installer automatiquement), une collection de désormais 10 livres, une clé USB et un DVD aux multiples déclinaisons, un espace de discussion, un autre d’information, un canal vidéo… et même une boutique en ligne, il y a de quoi faire. Sans compter notre présence sur le terrain à une bonne trentaine de manifestations autour du Libre.

La campagne de dons « 1000 10 1 » (1000 donateurs à 10 euros par mois pendant 1 an) n’a pour le moment pas atteint son objectif initial puisque nous n’en sommes qu’à la moitié du chemin. Elle nous assure cependant déjà la pérennisation complète d’un permanent et nous permet d’envisager l’avenir avec si ce n’est sérénité tout du moins un certain optimisme[1].

Grand merci à tous les donateurs (que la crise n’épargnent souvent pas). Merci également à tous ceux qui nous ont laissés un petit mot sur le site de soutien, nous avons eu l’idée d’en faire une synthèse sous forme de carte heuristique que nous consultons de temps en temps pour nous redonner le moral les jours où le travail se fait trop pesant 😉

Merci enfin et surtout aux animateurs, développeurs, rédacteurs, traducteurs, relecteurs, sous-titreurs, etc., à tous ceux qui de près ou de loin participent avec nous à cette aventure qui voit chaque année le logiciel libre prendre un peu plus de place dans nos ordinateurs et dans nos esprits en témoignant par la pratique que d’autres mondes sont possibles.

Remarque : Framasoft fêtera donc ses 10 ans le 13 novembre prochain (date du dépôt du nom de domaine framasoft.net). Si vous avez des idées originales pour célébrer comme il se doit l’évènement, nous sommes preneurs 😉

Notes

[1] Crédit photo : Yesika (Creative Commons By-Sa)




Internet ne peut pas être contrôlé, autant s’y faire – par Laurent Chemla

Evil Erin - CC byOn trouve un article puissant et inédit de Laurent Chemla en ouverture (ou prolégomènes) du tout récent framabook AlternC Comme si vous y étiez.

Historiquement, techniquement, économiquement et moralement, Internet ne peut pas être contrôlé[1].

Autant s’y faire. Et, contrairement à d’autres, nous nous y faisons très bien 😉

Pour rappel toute l’équipe l’AlternC vous attend à La Cantine lundi 28 mars prochain (de 19h à 22h) pour fêter simultanément la sortie du livre, les dix ans d’AlternC et la version 1.0 du logiciel !

Remarque : Ce n’est pas le premier article de Chemla que nous reproduisons sur le Framablog (cf L’avenir d’Internet). Par ailleurs je le remercie de m’avoir ouvert les yeux en 1999 avec Internet : Le yoyo, le téléporteur, la carmagnole et le mammouth.

Internet ne peut pas être contrôlé, autant s’y faire

Laurent Chemla – juillet 2010 – Licence Creative Commons By-Sa

Plus que jamais, à l’heure où j’écris ces lignes, Internet est la cible des critiques du pouvoir. Il serait responsable de toutes les dérives, de toutes les ignominies, il nous ramènerait aux pires heures de notre histoire et serait le lieu de toutes les turpitudes.

Bon. Depuis longtemps, je dis qu’il est normal – de la part de ceux qui disposaient de l’exclusivité de la parole publique – de s’inquiéter de l’avènement d’un outil qui permet à tout un chacun de s’exprimer. Pas de quoi s’étonner, dès lors, des attaques furieuses que subit le réseau.

Tant qu’il ne s’agit que de mots…

Oh bien sûr, le législateur étant ce qu’il est, il tente souvent d’aller au delà des mots. Il fait aussi des lois. C’est son métier.

Or donc – sans volonté d’exhaustivité – nous avons vu depuis 1995 un certain nombre de tentatives de « régulation », de « contrôle », voire même de « domestication ». Il y a eu la loi Fillon, la commission Beaussant, la LCEN, la DADVSI, la LSI, la LSQ, et plus récemment HADOPI et LOPPSI. Beaucoup d’acronymes et de travail législatif pour un résultat plus que mince : ce qui n’a pas été retoqué par le Conseil Constitutionnel s’est toujours avéré inapplicable.

La seule chose qui reste, c’est le principe d’irresponsabilité pénale des intermédiaires techniques (LCEN). Grand succès !

On pourrait imaginer que le pouvoir apprendrait quelque chose d’une telle suite d’échecs. On pourrait penser, par exemple, qu’il mesurerait le risque de vouloir créer des lois d’exceptions selon qu’on s’exprime sur Internet ou ailleurs. Que nenni : aujourd’hui encore, j’apprends qu’une député vient de se ridiculiser en proposant d’encadrer le journalisme « en ligne ».

J’ai hâte. On en rigole d’avance.

Mais qu’est qui rend Internet si imperméable à ces tentatives réitérées de contrôle ? J’y vois (au moins) quatre raisons majeures :

La première (dans tous les sens du terme) est historique. À la demande de l’armée américaine, qui souhaitait trouver une parade au risque d’une attaque nucléaire contre son réseau de télécommunication, Internet a été inventé à la fin des années 1960 (dans l’Amérique de Woodstock et de la lutte contre la guerre du Vietnam) par de jeunes universitaires qui rêvaient d’un monde dans lequel l’accès à un réseau mondial de communication serait un droit pour tous (pour que son impact social soit positif)[2].

À l’époque de Mac Luhan, les bases théoriques du futur réseau sont toutes influencées par l’utopie du « village global » et teintées d’idéologie libertaire. Le principe selon lequel la rédaction d’une RFC (texte définissant un des standards d’Internet) doit être ouverte à tous, scientifique ou non – et son contenu libre de droit – est adopté en avril 1969.

Quoi d’étonnant dès lors si le résultat est un réseau presque entièrement décentralisé et non hiérarchique ? Après tout, c’est bien ce que l’armée américaine avait demandé à ses jeunes ingénieurs : un réseau centralisé est facile à détruire (il suffit d’attaquer le centre).

Tout ce qui est facile à contrôler est facile à détruire.
Internet est difficile à détruire.
Donc Internet est difficile à contrôler.

Il faudrait, pour qu’Internet soit plus aisément « domestiquable », que ses bases théoriques mêmes soient revues (à l’exemple du Minitel pour lequel l’émission de contenus était soumise à l’approbation préalable de France Telecom). Mais comment démanteler l’existant et interdire l’utilisation d’une technologie ayant fait ses preuves à tous ceux qui l’ont adoptée depuis des années ?

Et surtout – c’est la seconde raison qui fait d’Internet un bastion dont la prise semble bien difficile – le réseau est international.

On peut, même si c’est difficile à envisager, imaginer qu’un pays impose à ses citoyens l’usage d’une technologie « contrôlée » plutôt qu’une autre, trop permissive. Mais quel pouvoir pourrait faire de même à l’échelle du monde ?

Et comment, dès lors qu’il existerait ne serait-ce qu’un seul endroit dans le monde qui protège la liberté totale de communication (comme c’est le cas depuis peu de l’Islande), empêcher les citoyens et les entreprises du monde entier d’exporter dans ce lieu une communication désormais dématérialisée ?

Pour y parvenir, il faudra non seulement pouvoir contrôler tel ou tel réseau imaginaire, mais aussi réussir à interdire toute communication internationale… Mission impossible. Et puis, comment imaginer la fin des « paradis numériques » dans un monde qui n’a jamais réussi à obtenir celle des paradis fiscaux ?

Internet est supranational.
Il existera toujours des paradis numériques.
Donc l’information ne pourra jamais être contrôlée.

D’autant plus – et c’est la troisième raison majeure qui rend dangereuse toute tentative de contrôle des réseaux – qu’Internet est devenu désormais une source de croissance non négligeable. Une croissance qui dépend d’une législation pérenne et qui surtout va faire l’objet d’une concurrence effrénée entre les pays.

On n’imagine pas aujourd’hui une grande entreprise, telle que Google ou Facebook, avoir son siège social dans un pays dont la fiscalité n’est pas, disons, encourageante. Comment imaginer que demain une entreprise innovante, source d’emplois et d’impôts, se créera dans un pays dont la législation imposerait un contrôle trop strict de l’information diffusée ?

Tout contrôle nécessite une infrastructure plus chère, tant humaine que technique. Il va de soi qu’une entreprise capitaliste choisira plutôt, si elle a le choix, le pays d’accueil dont la législation numérique sera la plus laxiste, qui récupérera du coup les emplois et les impôts (et je ne dis pas que c’est bien : je dis juste que c’est dans ce monde là qu’on vit).

Et même avant d’en arriver là : imaginons qu’un pays impose le filtrage à la source de tout contenu illégal (en passant outre la difficulté technique inhérente). Quel entrepreneur de ce pays osera se lancer dans un nouveau projet novateur, sachant qu’il sera immédiatement copié par un concurrent vivant, lui, dans un paradis numérique et qui ne sera pas soumis aux mêmes contraintes ?

Internet est solide, c’est vrai, mais l’innovation reste fragile, et est souvent l’oeuvre de petites structures très réactives et pécuniairement défavorisées. Les lois votées à l’emporte-pièces sans tenir compte de cette fragilité-là sont autant de balles tirées dans le pied de la société toute entière.

La concurrence est mondialisée.
Une législation de contrôle coûte cher.
Donc les lois de contrôle d’Internet sont source de délocalisation.

Malgré tout il existe bel et bien des règles de vie supranationales et qui s’imposent à tout pays se voulant un tant soit peu démocratique. Mais si.

Je vais citer ici l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Lisez-la bien :

« Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».

Elle a été rédigée en 1948. Bien avant Internet, même si à la lire on a l’impression qu’elle a été écrite spécialement pour lui. Car en effet, il n’existait pas grand chose, avant Internet, pour « recevoir et répandre sans considération de frontière les informations et les idées ». Il faut croire que ses rédacteurs étaient visionnaires…

Comment s’étonner, à la lecture de cet article, du nombre de censures que notre Conseil Constitutionnel a opposé aux diverses velléités de contrôle que le pouvoir a tenté d’imposer depuis 15 ans ?

Le droit de recevoir et diffuser de l’information est inaliénable.
Internet est à ce jour l’unique moyen d’exercer ce droit.
Donc tout contrôle d’Internet risque d’être contraire aux droits de l’homme.

Sauf à s’exonérer des grands principes fondamentaux, et donc à vivre dans une société totalitaire, le contrôle ou le filtrage d’Internet se heurtera toujours à la liberté d’expression. Les états peuvent l’accepter, et à l’instar de l’Islande décider d’en profiter, ou refuser de le voir et, à l’instar de la France, se heurter sans cesse à un mur en essayant encore et encore de réguler ce qui ne peut l’être.

Historiquement, techniquement, économiquement et moralement, Internet ne peut pas être contrôlé.

Autant s’y faire.

Notes

[1] Crédit photo : Evil Erin (Creative Commons By)

[2] J.C.R Licklider et Robert Taylor, The Computer as a Communication Device in Science and Technology, April 1968.




Sortie de Firefox 4 – C’est Tristan Nitot qui en parle le mieux

Ayant croisé Tristan Nitot samedi dernier lors d’un BookSprint (objet d’un prochain billet), j’en ai profité pour lui extorquer quelques mots à propos dans le tant attendue version 4 du Firefox.

Quant au Mozilla Manifesto, vous le trouverez ici.

N’oubliez pas de prendre son relais pour convaincre à votre tour votre cercle d’amis 🙂

—> La vidéo au format webm




Geektionnerd : Firefox 4 on y est presque !

La tant attendue version 4 de Firefox est enfin officiellement annoncée pour le mardi 22 mars prochain !

« Mozilla d’la joie ! Bonjour, bonjour les pandas roux ! Mozilla d’la joie… »

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Une France qui s’annonce terrifiante pour Internet et les libertés numériques

Fabrice Epelboin nous révèle aujourd’hui que ReadWriteWeb met fin à ses éditions européennes, avec toutes les questions que cela pose quant au devenir et aux archives de la version française de RWW.

C’est le risque lorsque l’on dépend d’une maison mère américaine et que les articles n’ont jamais eu l’honneur d’une licence Creative Commons (sauf justement ce dernier billet où Epelboin à décidé de s’affranchir de la tutelle dans un dernier baroud d’honneur).

Notez bien que pareille mésaventure peut arriver à tous ceux qui placent du contenu sur Facebook, Twitter ou Google (autant dire à tous le monde). Puisque en vous inscrivant à ces services vous adhérez à des conditions dont il est bien stipulé qu’elles peuvent changer à tout moment si le propriétaire en décide ainsi. Par exemple si les actionnaires de ces sociétés décident d’en modifier le modèle économique CQFD.

Merci au passage à Fabrice Epelboin[1] et à RWW France pour la pertinence et la pugnacité de leurs informations, reportages et analyses (cf l’excellente compilation Chroniques de l’Infowar 2010 De l’Hadopi à Wikileaks à conserver au cas où). Nous n’étions pas de trop pour tenter d’apporter un autre son de cloche face à des institutions publiques et privées qui ont la fâcheuse tendance à prendre le Net et les nouvelles technologies par le mauvais bout de la lorgnette.

Mais ce qui m’a le plus marqué c’est la conclusion du billet. Un peu comme si l’auteur s’était lâché en livrant véritablement le fond de sa pensée. Et cette pensée est d’autant plus pro-fonde que le gus sait de quoi il parle :

« Les temps qui viennent en France sont terrifiants pour internet et les libertés numériques. Du point de vue des lois qui s’y appliquent, nous ne sommes plus, sur l’internet Français, dans une démocratie.

Avec quelques gus dans un garage, nous avons réussi a sensibiliser pas mal de monde à ce problème, mais force est de reconnaître que nous avons, au mieux, mis des bâtons dans les roues d’un char d’assaut qui écrase toutes les velléités de liberté sur internet, et veut le civiliser comme il a colonisé hier ceux qu’il qualifiait de sauvages.

Un autre monde est possible, mais en France, ça va prendre du temps. Une fois de plus, le pays va prendre un retard considérable en matière de numérique, au point que sa place dans le monde de demain est désormais totalement compromise, mais ça, même sans comprendre quoi que ce soit à la neutralité du net ou aux enjeux sociétaux d’Hadopi et de Loppsi, vous avez du vous en apercevoir. »

Aux dernières nouvelles Fabrice Epelboin s’en irait rouler sa bosse en Tunisie. Parce qu’il souhaite désormais « construire avec » et non plus « lutter contre ».

Il reste une place dans l’avion ?




Le rêve de Staline ou le cauchemar de Stallman

Eva Blue - CC byUne petite mise à jour de la pensée de Stallman avec cette interview donnée par un confrère américain ?

On y retrouve certaines constantes pour lesquelles il se bat depuis près de trente ans (« la conscience du logiciel libre a été presque entièrement cachée sous le tapis par l’open source »). Mais il donne également son avis, souvent lapidaire, sur des sujets d’actualité comme l’essor de la téléphonie mobile, qualifiée de « rêve de Staline » (où même l’OS Android ne trouve pas grâce à ses yeux).

En toute logique, il ne possède pas de téléphone portable. « Les décisions que vous prenez dépendent de vos valeurs. Et la plupart des gens sont conduits à penser uniquement au prix et à la performance des logiciels, et non au fait de savoir s’ils respectent votre liberté. Les gens qui prennent des décisions sur ces valeurs ne feront jamais aucune concession pour obtenir un logiciel libre, alors que moi je suis prêt à travailler pendant des années et des années pour ne pas avoir de logiciels propriétaires sur mon ordinateur ».

Et vous ?

Et de conclure l’entretien par un message plus politique en référence aux mouvements sociaux du Wisconsin : « Les entreprises et les medias de masse ont, dans une large mesure, convaincu les Américains qu’ils n’ont pas de légitimité pour refuser le système économique, quels que soient les objectifs de ce système économique. Nous avons besoin d’un esprit de résistance en Amérique. Nous devons retrouver l’esprit de liberté avec lequel nous avons bâti les États-Unis. »

PS : Pour ceux qui désireraient mieux connaître le personnage nous rappelons l’existence de notre framabook sur Richard Stallman. Eyrolles vient de nous communiquer les ventes de l’année 2010 qui sont plus qu’encourageantes avec un total dépassant les 2 300 exemplaires.

Les téléphones mobiles sont le « rêve de Staline », selon le fondateur du mouvement du logiciel libre

Cell phones are ‘Stalin’s dream,’ says free software movement founder

Jon Brodkin – 14 mars 2011 – Network World
(Traduction Framalang : Étienne, Siltaar, Pandark, Lolo le 13, Goofy, Ypll, Yoann, Garburst)

Richard Stallman[1] : Les iPhones et autres Androids sont des traceurs à la Big Brother.

Près de trente ans après le début de sa croisade pour débarrasser le monde du logiciel propriétaire, Richard Stallman constate que les smartphones sont une nouvelle menace pour la liberté des utilisateurs.

« Je n’ai pas de téléphone portable. Je n’utiliserai pas de téléphone portable », déclare Stallman, fondateur du mouvement des logiciels libres et créateur du système d’exploitation GNU. « C’est le rêve de Staline. Les téléphones mobiles sont les outils de Big Brother. Je ne vais pas porter sur moi un traceur qui enregistre où je vais en permanence, ni un outil de surveillance qui autorise les écoutes. »

Stallman croit fermement que seul le logiciel libre (NdT: free software dans le texte) peut nous préserver de ces technologies de contrôle, qu’elles soient dans les téléphones portables, les PCs, les tablettes graphiques, ou tout autre appareil. Et par free il n’entend pas gratuit mais la possibilité d’utiliser, de modifier et distribuer le logiciel de quelque façon que ce soit.

Stallman a fondé le mouvement du logiciel libre entre le début et le milieu des années 80, avec le projet GNU et la Free Software Foundation, dont il est toujours le président.

Quand j’ai demandé à Stallman de lister quelques-uns des succès du mouvement du logiciel libre, le premier à être mentionné était Android mais pas la version de Google, non, une autre version du système d’exploitation mobile débarrassé de tout logiciel propriétaire (voir également Stallman soutient LibreOffice).

« Ce n’est que très récemment qu’il est devenu possible de faire fonctionner des téléphones portables largement répandus avec du logiciel libre », dit Stallman. « Il existe une version d’Android appelée Replicant qui peut faire fonctionner le HTC Dream sans logiciel propriétaire, à part aux États-Unis. Aux États-Unis, il a quelques semaines, il y avait encore un problème avec certaines bibliothèques, même si elles fonctionnaient en Europe. À l’heure qu’il est, peut-être cela fonctionne-t’il, peut-être pas. Je ne sais pas. »

Bien qu’Android soit distribué sous des licences libres, Stallman note que les constructeurs peuvent produire et livrer le matériel avec des exécutables non libres, que les utilisateurs ne peuvent pas remplacer « parce qu’il y a un élément dans le téléphone qui vérifie si le logiciel a été changé, et ne laissera pas des exécutables modifiés se lancer». Stallman appelle cela la Tivoisation, parce que TiVo utilise des logiciels libres tout en plaçant des restrictions matérielles qui l’empêchent d’être altéré. « Si le constructeur peut remplacer l’exécutable, mais que vous ne pouvez pas, alors le produit est dans une cage », dit-il.

En théorie, les téléphones qui n’utilisent que des logiciels libres peuvent être à l’abri des risques d’espionnage électronique. « Si vous n’avez que des logiciels libres, vous pouvez probablement vous en protéger, parce que c’est par les logiciels qu’on peut vous espionner », explique Stallman. Petit paradoxe au passage, Stallman répondait à mes questions sur un téléphone portable. Pas le sien, bien entendu, mais celui qu’il avait emprunté à un ami espagnol pour sa tournée de conférneces en Europe. Pendant les 38 minutes de notre échange, la connexion a été coupée cinq fois, y compris juste après un commentaire de Stallman sur l’espionnage électronique et les logiciels libres sur les téléphones. Nous avons essayé de nous reconnecter plusieurs heures plus tard mais il nous a été impossible de terminer l’interview par téléphone. Stallman a répondu au reste de mes questions par email.

Sacrifier le confort est une chose dont Stallman est familier. Il refuse d’utiliser Windows ou Mac, bien évidemment, mais même un logiciel tel qu’Ubuntu, peut-être le système d’exploitation le plus populaire basé sur GNU et le noyau Linux, ne satisfait pas ses critères de liberté. « Peu de monde est prêt à faire les mêmes sacrifices », reconnaît-il.

« Les décisions que vous prenez dépendent de vos valeurs », dit-il. « Et la plupart des gens sont conduits à penser uniquement au prix et à la performance des logiciels, et non au fait de savoir s’ils respectent votre liberté. Les gens qui prennent des décisions sur ces valeurs ne feront jamais aucune concession pour obtenir un logiciel libre, alors que moi je suis prêt à travailler pendant des années et des années pour ne pas avoir de logiciels propriétaires sur mon ordinateur ».

Stallman utilise un ordinateur portable Lemote Yeeloong faisant tourner gNewSense, une distribution GNU/Linux ne comportant que des logiciels libres.

« Il y a des choses que je ne peux pas faire. J’utilise actuellement un ordinateur assez lent, parce que c’est le seul portable avec un BIOS libre. gNewSense est la seule distribution entièrement libre qui tourne sur Lemote, qui est équipé d’un processeur de type MIPS » explique Stallman. Une autre distribution était fournie avec le Lemote, mais elle comprenait des logiciels non libres que Stallman a remplacés par gNewSense.

Stallman, 57 ans, a commencé à faire l’expérience du partage de logiciels à ses débuts au Laboratoire d’intelligence artificielle du MIT en 1971. Cette communauté de partage s’est dispersée au début des années 80 à peu près au moment où Digital Equipment Corp. a arrêté le serveur central sur lequel s’organisait la communauté. Stallman aurait pu rejoindre le monde des logiciels propriétaires s’il avait accepté de « signer des accords de confidentialité et promettre de ne pas aider mes camarades hackers », selon ses propres mots. Au lieu de cela, il a lancé le mouvement du logiciel libre.

Stallman est un personnage fascinant du monde de l’informatique, admiré par beaucoup et injurié par des entreprises comme Microsoft, qui voient en lui une menace pour les profits qu’ils peuvent tirer des logiciels.

Stallman n’a pas réussi à casser la domination de Microsoft/Apple sur le marché de l’ordinateur de bureau, sans parler de celle d’Apple sur les tablettes. Par contre, le mouvement du logiciel libre qu’il a créé a directement participé à la prolifération de serveurs sous Linux dans les data centers qui propulsent une grande partie d’Internet. Il y a peut-être là une ironie, Stallman ayant exprimé de la rancoeur au sujet de la reconnaissance acquise par le noyau Linux aux dépens de son système d’exploitation GNU.

Stallman se dit « plutôt » fier de cette multiplication des serveurs libres, « mais je suis plus inquiet de la taille du problème à corriger que du chemin que nous avons déjà accompli ».

Les logiciels libres dans les data centers, c’est bien, mais « dans le but d’apporter la liberté aux utilisateurs, leurs propres PC de bureau, portable et téléphone sont ce qui a le plus d’effet sur leur liberté ». On se soucie principalement de logiciel plutôt que de matériel, mais le mouvement insiste sur « du matériel avec des spécifications telles que l’on peut créer des logiciels libres qui le supporte totalement », insiste-t-il. « Il est outrageux de proposer du matériel à la vente et de refuser de dire à l’acheteur comment l’utiliser. Cela devrait être illégal ».

Avant d’accepter d’être interviewé par Network World, Stallman a exigé que l’article utilise sa terminologie de référence — par ex. « logiciel libre » à la place d’« open source » et « GNU/Linux » au lieu de juste « Linux ». Il a aussi demandé que l’interview soit enregistrée et que, si l’enregistrement était mis en ligne, il soit publié dans un format compatible avec le libre.

Il y a quatre libertés logicielles essentielles, expliquées par Stallman. « La liberté zéro est la liberté d’utiliser le programme comme bon vous semble. La liberté 1 est la liberté d’étudier le code source, et de le changer pour qu’il fonctionne comme vous le souhaitez. La liberté 2 est la liberté d’aider les autres ; c’est la liberté de réaliser et de distribuer des copies exactes quand vous le souhaitez. Enfin la liberté 3 est la liberté de contribuer à votre communauté, c’est la liberté de distribuer des copies de vos versions modifiées quand vous le souhaitez ».

Stallman a évoqué le terme « copyleft » pour désigner les licences qui garantissent que le code d’un logiciel libre ne peut pas être redistribué dans des produits propriétaires.

La clé de la philsophie de Stallman est la suivante : « Sans ces quatre libertés, le propriétaire contrôle le programme et le programme contrôle les utilisateurs », a-t-il affirmé. « Le programme se retrouve alors être un instrument de pouvoir injuste. Les utilisateurs méritent d’avoir la liberté de contrôler leur informatique. Un programme non libre est un système de pouvoir injuste et ne devrait pas exister. L’existence et l’usage de logiciels non libres est un problème sociétal. C’est un mal. Et notre but est un monde délivré de ce problème. »

Ce problème n’a pas été créé par une entreprise en particulier, mais Microsoft est d’habitude la plus critiquée par les gens comme Stallman.

« Ils continuent à nous considérer comme leurs ennemis », insiste Stallman. Il y a dix ans, dans une saillie restée célèbre, le PDG de Microsoft Steve Ballmer traitait Linux de « cancer ». Depuis Microsoft a baissé le ton en public, mais Stallman ne s’en laisse pas compter : « D’un certain côté ils ont appris à être un peu plus subtils mais leur but est de faire utiliser Windows et non un système d’exploitation libre ». Après cette phrase, notre appel téléphonique s’est une fois de plus interrompu.

À part Microsoft, Stallman épingle « Apple et Adobe, ainsi qu’Oracle et beaucoup d’autres qui font des logiciels propriétaires et contraignent les gens à les utiliser ».

Google « fait de bonnes choses et d’autres mauvaises » dit Stallman. « Il a mis à disposition des logiciels libres comme le codec WebM, et pousse YouTube à adopter son support. Toutefois, le nouveau projet Google Art ne peut être utilisé qu’à travers des logiciels propriétaires. »

Stallman est également en porte-à-faux avec ce qu’on appelle la communauté open source. Les partisans de l’open source sont issus du mouvement du logiciel libre, et la plupart des logiciels open source sont aussi des logiciels libres. Cependant, pour Stallman, ceux qui se disent partisans du logiciel libre ont tendance à considérer que l’accès au code source est simplement un avantage pratique, et ignorent les principes éthiques du logiciel libre. Diverses entreprises commerciales ont pris en route le train de l’open source sans adhérer aux principes auquel croit Stallman et qui devraient selon lui être au cœur du logiciel libre.

« je ne veux pas présenter les choses de façon manichéenne », déclare Stallman. « Il est certain que beaucoup de gens qui ont des points de vue open source ont contribué à des logiciels utiles qui sont libres, et il existe des entreprises qui ont jeté les bases de logiciels utiles qui sont libres aussi. C’est donc du bon travail. Mais en même temps, à un niveau plus fondamental, mettre l’accent sur l’open source détourne l’attention des gens de l’idée qu’ils méritent la liberté. »

L’une des cibles de Stallman est Linus Torvalds, le créateur du noyau Linux et l’une des personnalités les plus célèbres du monde du logiciel libre.

Stallman et son équipe ont travaillé sur le système d’exploitation GNU pendant la majeure partie des années 80, mais il manquait une pièce au puzzle : un noyau, qui puisse fournir les ressources matérielles aux logiciels qui tournent sur l’ordinateur. Ce vide a été comblé par Torvalds en 1991 quand il a mis Linux au point, un noyau analogue à Unix.

Les systèmes d’exploitation qui utilisent le noyau Linux sont couramment appelés « Linux » tout court, mais Stallman se bat depuis des années pour que les gens emploient plutôt l’appellation « GNU/Linux ».

Stallman « voudrait être sûr que GNU reçoive ce qu’il mérite » dit Miguel de Icaza de chez Novell, qui a créé le l’environnement libre GNOME, mais a été critiqué par Stallman pour ses partenariats avec Microsoft et la vente de logiciel propriétaire. « Quand Linux est sorti, Richard n’y a pas prêté sérieusement attention pendant quelque temps, et il a continué à travailler sur son propre noyau. C’est seulement lorsque Linux s’est trouvé sous les feux de la rampe qu’il a pensé que son projet n’était pas assez reconnu. » Le problème, c’est qu’à cette époque, est apparue à l’improviste une communauté qui n’était pas nécessairement dans la ligne GNU.

Le noyau GNU, appelé Hurd, est toujours « en développement actif », selon le site internet du projet.

La contribution de Torvalds au logiciel libre sera largement célébrée cette année à l’occasion des 20 ans du noyau Linux. Mais Stallman n’en sera pas l’une de ses majorettes, et pas seulement à cause de cette querelle sur le nom.

« Je n’ai pas d’admiration particulière pour quelqu’un qui déclare que la liberté n’est pas importante », explique Stallman. « Torvalds a rendu un bien mauvais service à la communauté en utilisant ouvertement un programme non libre pour assurer la maintenance de Linux (son noyau, qui est sa contribution majeure au système d’exploitation GNU/Linux). je l’ai critiqué sur ce point, et bien d’autres avec moi. Quand il a cessé de le faire, ce n’était pas par choix délibéré. Plus récemment, il vient de rejeter la version 3 de la licence GPL pour Linux parce qu’elle protège la liberté de l’utilisateur contre la Tivoisation. Son refus de la GPL v.3 est la raison pour laquelle la plupart des téléphones sous Android sont des prisons ».

Même Red Hat et Novell, largement reconnus comme soutiens du logiciel libre, ne reçoivent pas une franche approbation. « Red Hat soutient partiellement le logiciel libre. Novell beaucoup moins », dit-il, notant que Novell a un agrément de brevet avec Microsoft.

En dépit de son pessimisme apparent, Stallman voit quelques points positifs motivant sa quête de logiciel libre. Quand il n’est pas chez lui à Cambridge (Massachusetts), Stallman parcourt le monde pour y donner des conférences et participer à des débats sur le logiciel libre.

Avant de voyager vers l’Espagne, Stallman s’est arrêté à Londres pour faire une conférence (dans laquelle il a qualifié Windows de « malware ») et pour rencontrer quelques membres du Parlement afin de leur expliquer les principes du logiciel libre. Il reçoit souvent un meilleur accueil en Europe que chez lui.

« Aux États-Unis, la conscience du logiciel libre a été presque entièrement cachée sous le tapis par l’open source. Dès lors on ne trouve aucun responsable gouvernemental qui accepte de parler avec moi ».

Mais hors de l’Amérique du Nord, quelques gouvernements s’engagent dans le logiciel libre. « J’ai découvert hier, qu’en France, les organismes d’État continuent à migrer vers le logiciel libre », dit-il. « Il n’y a pas une politique systématique qui leur enjoint de le faire, mais ils le font de plus en plus. Et dans certains pays, par exemple en Équateur, il existe une politique explicite pour que les organismes gouvernementaux migrent vers le logiciel libre, et ceux qui veulent continuer à utiliser des logiciels non libres doivent demander une dérogation temporaire pour le faire. »

Bien que Stallman ne l’ait pas mentionné, le gouvernement russe exige aussi des organismes qu’ils remplacent les logiciels propriétaires par des alternatives libres d’ici 2015, afin d’améliorer à la fois l’économie et la sécurité, selon le Wall Street Journal.

Au-delà du logiciel libre, Stallman se consacre aux questions politiques, et tient un blog pour le journal Huffington Post. De fait, il voit peu de différences entre les entreprises qui maltraitent la liberté logicielle et les « gredins de Washington » qui sont les obligés des lobbys d’entreprises qui leur font des dons.

Dans les mouvements sociaux récents du Wisconsin, Stallman retrouve quelque chose de son propre état d’esprit. « Quelquefois, la liberté demande des sacrifices et la plupart des Américains n’ont pas la volonté de faire le moindre sacrifice pour leur liberté », dit-il. « Mais peut-être que les manifestants du Wisconsin commencent à changer cela ». Les entreprises et les medias de masse « ont, dans une large mesure, convaincu les Américains qu’ils n’ont pas de légitimité pour refuser le système économique, quels que soient les objectifs de ce système économique. Nous avons besoin d’un esprit de résistance en Amérique. Nous devons retrouver l’esprit de liberté avec lequel nous avons bâti les États-Unis. »

Notes

[1] Crédit photo : Eva Blue (Creative Commons By)