Blackout de la Wikipédia en anglais pour protester contre SOPA le 18 janvier 2012

« Chers étudiants, faites vos devoirs à la maison avant mercredi car Wikipédia sera coupé du Net ce jour-là ». Tel est le tweet ironique envoyé par Jimmy Wales pour annoncer la fermeture totale de la version anglophone de Wikipédia demain, mercredi 18 janvier 2012, pour protester contre les mortifères lois SOPA et PIPA.

Ce n’est évidemment pas lui seul qui a pris cette grave et sans précédente décision mais l’ensemble de la communauté, comme l’explique le message de la directrice générale de la Wikimedia Foundation Sue Gardner traduit ci-dessous par nos soins.

Signalons que Framasoft se joindra également au mouvement, non seulement en guise de solidarité mais aussi voire surtout parce que nous pensons que ces lois américaines (à l’influence internationale) sont susceptibles d’impacter négativement l’ensemble d’Internet. Nous avions consacré une série d’articles à SOPA en décembre dernier (voir aussi le dossier de La Quadrature).

À priori les wikipédias italiennes et allemandes participeront également, ne serait-ce que par un bandeau informatif, mais pas la francophone. Il semblerait que la communauté se soit réveillée trop tard pour en discuter, que pour certains ces lois sont lointaines et cet engagement « politique » en désaccord avec « le principe de neutralité ».

C’est respectable mais pour ainsi dire dommage car il s’agit là d’un signal fort (et une bonne manière de sensibiliser d’un coup un grand nombre de personnes), sans oublier pragmatiquement que la majorité des serveurs sont aux USA et que ces lois peuvent brutalement couper les accès de la Wikipédia francophone aux Américains.

Wikipédia Blackout

Blackout anti SOPA de la Wikipedia en anglais le 18 janvier

English Wikipedia anti-SOPA blackout

Sue Gardner, 16 janvier 2012 – Wikimedia Foundation
(Traduction Framalang : Clochix, Poupoul2, DonRico)

Aujourd’hui, la communauté Wikipedia a décidé de fermer la version anglophone de Wikipedia pour vingt-quatre heures, dans le monde entier, à partir de 5h UTC le mercredi 18 janvier. Cette fermeture est un acte de protestation contre deux propositions de loi aux USA – le Stop Online Piracy Act (SOPA) présentée à la Chambre des représentants, et le PROTECTIP Act (PIPA) au Sénat – qui, si elles étaient votées, endommageraient gravement l’Internet libre et ouvert, dont Wikipedia.

Ce sera la première fois que la Wikipedia anglophone manifestera ainsi, et cette décision n’a pas été prise à la légère. Voici comment la présentent les trois administrateurs de Wikipedia qui ont animé la discussion de la communauté, au travers d’un extrait de la déclaration publique signée par NuclearWarfare, Risker et billinghurst :

La communauté de la Wikipedia anglophone estime que ces deux lois, si elles étaient votées, seraient dévastatrices pour le Web libre et ouvert.

Au cours des dernières soixante-douze heures, plus de 1.800 Wikipédiens ont participé à une discussion visant à définir les actions que la communauté pourrait vouloir entreprendre contre SOPA et PIPA. C’est de loin le plus fort niveau de participation à un débat jamais vu sur Wikipedia, et cela illustre combien les Wikipédiens se sentent concernés par ces propositions de lois. L’écrasante majorité des participants est favorable à une action de la communauté afin d”encourager une participation plus générale de la population contre ces deux lois. Parmi les propositions étudiées par les Wikipédiens, ce sont celles qui conduiraient à un « blackout » de la Wikipedia anglophone, conjointement avec des blackout similaires d’autres sites opposés à SOPA et PIPA, qui ont reçu le plus de soutien.

Après un passage en revue détaillé de ce débat, les administrateurs chargés de le clore constatent un soutien solide des Wikipédiens du monde entier, et pas seulement aux États-Unis, en faveur d’une action. L’opposition principale à un blackout généralisé du réseau Wikipedia venait de membres de la communauté préférant que le blackout se limite aux visiteurs américains, et que le reste du monde ne voie s’afficher qu’un simple bandeau d’explication. Nous avons néanmoins relevé qu’environ 55% des Wikipédiens en faveur du blackout préféraient une action mondiale, nombre d’entre eux faisant part d’inquiétudes concernant des lois similaires dans d’autres pays.

En prenant cette décision, les Wikipédiens essuieront des critiques pour avoir abandonné leur neutralité et pris un position politique. C’est une question justifiée et légitime. Nous souhaitons que les internautes accordent leur confiance à Wikipedia, et ne craignent pas d’être soumis à une quelconque propagande.

Mais bien que les articles de Wikipedia soient neutres, son existence ne l’est pas. Comme l’a écrit récemment Kat Walsh, qui appartient au conseil d’administration de la Wikimedia Foundation, sur une de nos listes de discussion :

Nous dépendons d’une infrastructure légale qui nous permet de publier nos sites. Et nous dépendons d’une infrastructure légale qui permet aussi à d’autres sites d’héberger du contenu produit par les utilisateurs, qu’il s’agisse d’information ou d’avis personnels. Le rôle principal des projets Wikimedia consiste à organiser et rassembler le savoir mondial. Nous l’intégrons dans son contexte et permettons à nos visiteurs de le comprendre.

Mais ce savoir doit être publié à un endroit où tout un chacun peut y accéder et l’utiliser. Si ce contenu pouvait être censuré sans autre forme de procès, cela serait néfaste pour qui veut exprimer son opinion, pour le public, et pour Wikimedia. Si l’on ne peut s’exprimer que si l’on a les moyens d’affronter des défis juridiques, ou si une opinion doit être approuvée au préalable par quelqu’un qui les a, on ne trouvera plus sur internet qu’un même ensemble d’idées consensuelles.

La décision d’éteindre la Wikipedia anglophone ne vient pas que de moi – elle a été prise collégialement par de nombreux éditeurs du réseau. Et je la soutiens.

Comme Kat et le reste du conseil d’administration de la Fondation Wikimedia, je considère de plus en plus la voix publique de Wikipedia et la bonne volonté que les gens ont pour Wikipedia comme une ressource qui doit être utilisée pour le bénéfice du public. Les lecteurs font confiance à Wikipedia parce qu’ils savent que malgré ses erreurs, Wikipedia a le cœur au bon endroit. Wikipedia n’a pas pour but de monétiser leurs visites ou de leur faire croire quoi que ce soit de particulier, ni même de leur vendre un produit. Wikipedia n’a pas de programme secret : elle veut seulement être utile.

C’est moins vrai pour d’autres sites. La plupart ont des motivations commerciales : leur objectif est de gagner de l’argent. Cela ne signifie pas qu’ils n’ont pas le souhait de rendre le monde meilleur (beaucoup le font), mais que leurs positions et leurs actions doivent être envisagés dans un contexte d’intérêts contradictoires.

Je nourris l’espoir que, lorsque Wikipedia fermera le 18 janvier, les internautes comprendront que nous le faisons pour nos lecteurs. Nous soutenons le droit de chacun à la liberté d’opinion et à la liberté d’expression. Nous estimons que tout le monde devrait avoir accès à du matériel éducatif pour un large éventail de sujets, même s’ils ne peuvent pas le payer. Nous croyons à un internet libre et ouvert où l’information peut être partagée sans entrave. Nous croyons que des propositions de loi telles que SOPA ou PIPA, ou d’autres lois similaires en cours de discussion à l’intérieur ou à l’extérieur des États-Unis, ne font pas avancer les intérêts du grand public. Vous pourrez prendre connaissance ici d’une liste de très bonnes raisons de vous opposer à SOPA et PIPA, proposée par l’Electronic Frontier Foundation.

Pourquoi une action globale, et pas limitée aux seuls États-Unis ? Et pourquoi maintenant, si certains législateurs américains semblent adopter une tactique de retrait vis à vis de SOPA ?

La réalité, à notre sens, c’est que le Congrès ne renoncera pas à SOPA, et que PIPA est toujours en pleine forme. Qui plus est, SOPA et PIPA ne sont que les indicateurs d’un problème bien plus important. Partout dans le monde, nous observons la mise en place de réglementations destinées à combattre le piratage et à réguler internet d’autres manières, avec pour effet de nuire aux libertés numériques. Notre inquiétude ne se limite pas à SOPA et PIPA, qui ne sont que des éléments du problème. Nous voulons que l’internet demeure libre et ouvert, partout dans le monde, et pour tous.

Le 18 janvier, nous espérons que vous partagerez notre engagement et que vous ferez tout votre possible pour faire entendre votre voix.

Sue Gardner




Librologie 8 : Les petits cœurs de tatie Nina

Bonjour à vous, courageux public du Framablog !

Avec l’épisode d’aujourd’hui et le prochain, qui concluera cette première partie de saison Librologique, je vous propose d’ébaucher le portrait de deux personnalités importantes du monde Libre, parfois complémentaires, parfois opposées.

Contrairement à Linus Torvalds ou Richard Stallman avec qui nous avions ouvert ces chroniques, il ne s’agit pas là de programmeurs ni de techniciens, mais d’auteurs : de ces auteurs qui réfléchissent sur leur propre droit — puisque le droit d’auteur, c’est bien conçu pour… les auteurs, non ? (Comment ça, « rien compris » ?)

V. Villenave.

Librologie 8 : Les petits cœurs de tatie Nina

« En 1988, à l’âge tendre de 20 ans, je quittai ma ville natale de Urbana, Illinois, pour Santa Cruz en Californie, afin d’y poursuivre le rêve naïf de devenir hippie, new-age et ésotérique. Au lieu de quoi je suis devenue illustratrice et cynique. »

C’est ainsi que Nina Paley raconte son histoire, de la banlieue de Chicago (Urbana, dont son père a été un maire courageux) à la Californie — le choix de Santa Cruz n’est pas innocent : indissociable des bouleversements sociaux des années 1960-1970, cette ville correspond bien à l’arrière-plan idéologique de la « Nouvelle Gauche » de cette époque, effectivement liée au mouvement hippie, mais également à l’avènement d’une conception nouvelle des sciences humaines (sociologie, psychiatrie alternative,…). Avec toutefois une tournure moins optimiste dans le cas de Paley : par exemple, elle revendique son choix de ne pas faire d’enfants comme un choix militant ; membre revendiquée du Mouvement pour l’Extinction Volontaire de l’Espèce Humaine, sa principale préoccupation politique (tout au moins dans la période 1995-2005) semble être la surpopulation humaine.

Extinction Volontaire des Humains
Une facette peu connue de Nina Paley…

Dès ses premières publications, N. Paley se définit clairement comme cartooniste : ses récits se présentent sous forme de comic strips (en une ou deux lignes, avec une chute humoristique) ; ses décors sont limités au strict nécessaire, et ses personnages (souvent animaliers) sont dessinés de façon schématique et expressive — signe symbolique du cartoon, les mains n’ont que quatre doigts. Le mot cartoon, qui désignait à l’origine de simples dessins, a glissé peu à peu vers le domaine de l’animation ; nous verrons que c’est à peu de choses près l’évolution que suivra Paley elle-même.

À cette filiation s’ajoute, dès l’origine, une nette dimension autobiographique : sa série Nina’s Adventures (les aventures de Nina) commence dès 1988 et se poursuivra (avec talent) pendant plus de dix ans. Ce format d’auto-fiction en bande dessinée, encrée et éditée directement par l’auteur, renvoie évidemment à un courant de bande dessinée alternative (voire underground) américain qui s’est développé dans les décennies précédentes, allant des intellectuels New-Yorkais (notamment d’origine ashkénaze comme Eisner, Spiegelman, ou Paley elle-même) aux anarcho-libertariens de San Francisco (Crumb). (Le lecteur francophone ne manquera pas de remarquer que c’est précisément en 1987, à l’époque où débute la carrière de Paley, que se tient le en France le fameux colloque de Cerisy qui préfigurera le renouveau de la bande dessinée francophone dite « d’art et d’essai », avec des groupes comme OuBaPo ou L’Association.)

Communication par mitraillettes
© Nina Paley, 1995 ? Licence CC by-sa.

Voici comment Paley présentera plus tard, en 2000, sa démarche qu’elle qualifie — non sans humour — d’anarcho-syndicaliste :

— À quoi sert l’Anarcho-Syndicat ?
— L’Anarcho-Syndicat [NdT : jeu de mot intraduisible avec le mot syndicate, circuit de distribution de médias de masse aux États-Unis] a pour vocation exclusive de distribuer et promouvoir la merveilleuse bande dessinée Nina’s Adventures de Nina Paley.

— Que signifie l’intitulé Anarcho-Syndicat ?
— Étant ma propre employée, cela revient à dire que je m’exploite moi-même pour en tirer profit. Cependant je me suis organisée et ai réuni mes forces avec moi-même pour former un anarcho-syndicat. J’ai ainsi pu renverser mon régime d’oppression Capitaliste, et suis devenue un Collectif Unipersonnel Prolétarien en autogestion.[…]

— Êtes-vous vraiment disposée à consacrer 10% de vos bénéfices pour démanteler le Capitalisme ?
— C’est très sérieux. Malheureusement nous n’avons encore réalisé aucun bénéfice à ce jour. Mais nous sommes déterminées à démanteler le Système, du moment que nous participons totalement au système en question afin de générer les fonds qui nous permettront de le renverser.

— Euh, pardon ?
— Et vous pouvez nous y aider en vous abonnant à la merveilleuse bande dessinée Nina’s Adventures de Nina Paley. C’est sympa, c’est mode, c’est sophistiqué et c’est amusant ! Les lecteurs l’adorent, et vous l’adorerez aussi.

— Mais que deviennent les 90% restants de vos bénéfices ?
— Ça suffit, achetez la BD.

Fluff
© Nina Paley, 1997. (Licence indéterminée.)

À cette série s’en ajouteront d’autres, qu’elle décrit elle-même comme mainstream — et qui seront d’ailleurs distribuées par des syndicates traditionnels de la bande dessinée américaine commerciale : notamment la série animalière Fluff et The Hots, série là encore partiellement autobiographique. À partir de 2009, Paley reviendra sur toutes ces séries achevées, en récupèrera les droits ou les numérisera pour les entreposer sur l’Internet Archive, puis les republier sous licence Libre, et enfin constituer un recueil complet, organisé et correctement édité. Il convient en effet de mentionner que N. Paley, jusqu’au milieu des années 2000, ne publie que sous droit d’auteur « traditionnel » — elle se plaint même, à l’occasion, que son « copyright » soit enfreint lorsque des gens reproduisent ses dessins ici ou là. Si elle distribue elle-même une partie de ses travaux (notamment en ligne, dès l’apparition du Web), c’est toujours sous des termes contraignants et dans une démarche directement commerciale — comme peut d’ailleurs l’illustrer son choix répété de noms de domaines en .com, ou son goût pour le merchandising de produits dérivés.

Ce qui ne signifie pas pour autant que son travail n’évolue pas : à la fin des années 1990, elle se lance dans une carrière de cinéaste avec plusieurs courts-métrages expérimentaux fort intéressants, animés en volume avec de la terre glaise ou travaillés directement sur la pellicule. Au début des années 2000, elle se tourne vers l’ordinateur comme outil d’expression artistique, et en particulier vers le logiciel Macromedia Shockwave-Flash qu’elle dit « adorer ». C’est avec cet outil qu’elle produira désormais la totalité de son œuvre, sous forme de dessins animés vectoriels parfois mélangés à des collages, comme dans le court-métrage anti-nataliste The Stork, où une cigogne livrant des bébés s’avère être un bombardier transformant l’environnement en urbanisme monstrueux…

L’épiphanie Libriste viendra entre 2005 et 2008 avec le long-métrage Sita Sings The Blues (Sita chante le blues en français) qui constituera un virage à la fois artistique et idéologique. La genèse de ce film mérite d’être évoquée, puisque Paley elle-même la présente comme indissociable de l’œuvre elle-même. En 2002, Nina Paley rejoint son mari en Inde, où elle passe trois mois et découvre notamment l’épopée mythologique du Ramayana. De passage à New York, elle reçoit un courriel lapidaire de son époux qui met fin à leur mariage. La détresse émotionnelle, s’ajoutant aux influences mythologiques indiennes et à la découverte des romances enregistrées dans les années 1920 par la chanteuse de jazz Annette Hanshaw, lui fournit le matériau artistique pour… un premier court-métrage, Trial by Fire, qui sera développé en 2005 (à la suite d’une nouvelle rupture amoureuse) en un long-métrage. Élaboration qui ne se fera pas sans mal : outre la nécessité de trouver des financements, la bande sonore du film soulève de nombreuses questions juridiques : si les chansons de Hanshaw se trouvent dans le domaine public au regard du droit fédéral américain, l’État de New York ne les considère pas comme telles. Pour autant, Paley ne renonce pas et pose l’incorporation de ces chansons comme une exigence artistique incontournable — ou plus exactement, nous le verrons, sacrée.

Annette Hanshaw
Auteur inconnu. (Fair Use sur Wikimedia Commons)

Il faudra pas moins de trois ans de travail, un bataillon d’avocats bénévoles et deux instituts (l’Electronic Frontier Foundation et la Clinique du droit de Propriété Intellectuelle Glushko-Samuelson) pour venir à bout de ce problème… en n’y apportant qu’une demie-solution, puisqu’il s’agira en définitive d’une dépénalisation partielle, qui coûtera à Paley 70 000 dollars (au lieu des 220 000 demandés à l’origine). Aujourd’hui encore, ces enregistrements prêtent le flanc aux menaces juridiques (pour la plupart fantaisistes), comme nous l’avons récemment vu lorsque YouTube® a supprimé la bande sonore du film sous pression de la « SACEM » allemande.

C’est en négociant les droits pour cette bande-son que Paley se retrouve, pour ainsi dire, contrainte à publier son film sous une licence Libre : les ayant-droits exigeant un pourcentage sur toute vente du film, le film ne sera pas vendu mais disponible gratuitement. Vengeance symbolique certes, mais Paley ne s’arrête pas là et ajoute avoir pris pleinement conscience des effets néfastes du « copyright » sur la création artistique. Au fil de ses rencontres et côtoiements avec les milieux promouvant les licences alternatives, Paley en est devenue non seulement une membre reconnue mais la porte-parole distinguée (voire, nous y reviendrons, l’égérie) : en 2007 elle sera engagée comme « artiste en résidence » de l’association Question Copyright (remettre en question le droit d’auteur), créée pour l’occasion par le programmeur Karl Fogel — dont on lira avec intérêt les écrits, notamment sur le logiciel Libre et sur l’histoire du droit d’auteur. À dater de ce moment, la majeure partie (sinon la totalité) de son travail d’auteur sera non seulement teintée, mais fondamentalement motivée, par un militantisme Libriste remarquablement complet : promotion des licences alternatives, protection du domaine public lutte contre la criminalisation du partage de la culture, combat pour les libertés civiques, dénonciation de la propagande des industriels de la culture… Le motif le plus récurrent étant sans doute son aversion envers le système juridique, où le droit prétendument « d’auteur » et les brevets — et même les marques commerciales — auto-alimentent un terrorisme administratif constant dépourvu de fondement, sur lequel repose cette engeance nuisible que sont les avocats : toutes proportions gardées, Paley tourne en ridicule les avocats avec le même acharnement et la même obsession personnelle que Molière brocardait les médecins de son temps.

Copying Is Not Theft
© Nina Paley, 2009. Licence cc by-sa.

La « chanson du copyright » (The Copyright Song), en 2009, exprimera très clairement cette reconversion. Financé notamment par une bourse de 30 000 dollars de la Fondation Andy Warhol pour les Arts Visuels, ce clip musical d’une minute a pour but explicite de susciter une vague d’enthousiasme et de versions dérivées comme, par exemple, la Free Software Song de Richard Stallman. Les paroles, en quatre couplets, ne développent qu’une seule idée simple (et bien connue des Libristes et Pirates), à savoir que les biens immatériels ne sont pas privatifs et que dans un contexte de copie immatérielle, il est simplement ridicule de parler de « vol ». L’animation illustre les paroles, de façon dépouillée et intelligible (quoique redondante) ; quant à la ligne mélodique, sa simplicité (accord parfait arpégé, tessiture restreinte, mouvements conjoints) touche à la maladresse (suremploi des fonctions tonales, syncope d’harmonie à la mesure 6) — pour ne rien dire de l’arrangement jazzy « officiel » réalisé pour Paley par son compère de longue date Nik Phelps.

Ce style engagé, simple et efficace devient ainsi la signature de Nina Paley au sein du mouvement Libre. À sa Copyright Song s’ajoutent d’autres clips vidéo, notamment celui très réussi en hommage à l’Electronic Frontier Foundation, ainsi qu’une nouvelle série en bande dessinée dérivée : le comic strip Mimi and Eunice, non seulement prépublié sur le blog Techdirt mais dont la lecture est même officiellement recommandée par Richard Stallman !

Le charme indéniable de cette simplicité de moyens n’échappe pas, au demeurant, à l’ambiguïté de toute séduction : en préférant l’attractivité et l’efficacité à des raisonnements plus longs et développés, ne serait-il pas tout aussi facile de mettre en œuvre les mêmes moyens pour énoncer et défendre de fausses vérités ou des sophismes ? L’exemple ci-dessous juxtapose, à la version originale de la Copyright Song, un pastiche en anglais qui lui fait dire exactement l’inverse de son propos :

The Copyright Song

Copying is not theft.
Stealing a thing leaves one less left
Copying it makes one thing more;
That’s what copying’s for.
  The Copyright Song

Copyright is not wrong;
You have to protect what you write
From being spoliated outright:
You need it to last long.

Autre critique nettement plus sérieuse, il y a de quoi s’étonner du fait que Paley chante (littéralement) les louanges du mouvement Libre… en utilisant un logiciel éminemment propriétaire. Certes, elle a rendu disponibles les fichiers source de sa chanson, fichiers hélas de bien peu d’utilité pour un public Libriste auquel Paley se révèle, de ce fait, étrangère — tout au moins d’un point de vue technique. (Ou comme le trahit également son usage immodéré de réseaux sociaux propriétaires.)

D’un point de vue juridique, en retour, Paley est l’une des voix critiques envers les licences non-libres utilisées par le projet GNU et la Free Software Foundation ; elle s’est également élevée à plusieurs reprises contre les licences de type Non-Commercial, qui ne peuvent entièrement être considérées comme Libres (question complexe). En menant parallèlement (avec Karl Fogel) une réflexion de fond quant aux moyens de bénéficier financièrement de son travail, elle a également proposé un certain nombre de licences ou labels pouvant intéresser les auteurs Libres, notamment le label creator-endorsed (« approuvé par l’auteur »), la licence Creative Commons PRO et l’initiative copyheart.

Au-dessus de tous
« Je me croyais au-dessus de tous… et je me retrouve au même niveau. C’est pas si mal, en fait. »
Nina Paley, 2011.

Pour justifiées qu’elles puissent être, ces initiatives ne semblent pas toujours pleinement cohérentes. À commencer par certains choix terminologiques qui ne seront pas sans éveiller quelques réticences dans notre perspective Librologique : « créateur », « pro »… Ce qui est fort dommage, puisque la suggestion d’un label « approuvé par l’auteur » me paraît tout à fait judicieuse, afin de distinguer, dans un contexte de licences Libres pouvant donner lieu à une profusion d’œuvres dérivées de qualité et d’intérêt variables, les œuvres qui bénéficient d’un soutien particulier de l’auteur d’origine, soit qu’elles présentent à ses yeux un intérêt artistique, soit qu’elles lui semblent (par exemple dans le cas d’une traduction) refléter fidèlement sa pensée.

Quant au terme de « pro », notons qu’il est ici utilisé dans une logique exactement inverse à celle de Jamendo™ que nous avons amplement critiquée : un auteur « pro », pour Paley, c’est un auteur qui a besoin du Copyleft le plus poussé (celui de la licence GPL, Art Libre ou en l’occurrence CC by-sa), et non d’être poussé à renoncer à sa licence :

CC-PRO est une licence Creative Commons qui répond aux besoins spécifiques des auteurs, artistes et musiciens professionnels. CC-PRO s’appuie sur la licence la plus puissante afin de garantir que les œuvres de haute qualité seront promues et reconnues. En offrant la meilleure des protections contre à la fois le plagiat et la censure, cette licence capte l’attention, invite à la collaboration et sollicite la reconnaissance de votre public le plus important : les autres professionnels.

CC-PRO. Parce que le travail d’un professionnel mérite d’être reconnu.

Des licences Libres en tant qu’instrument de puissance — ou : comment ruiner un point de vue légitime par des choix terminologiques désastreux. La communauté Libre au sens large, et en particulier la fondation Creative Commons, ne sembla pas transportée d’enthousiasme par cette suggestion, au grand dam de Paley. Découragée vis-à-vis des licences en général (sinon des subtilités juridiques quelles qu’elles soient), plutôt que d’adopter une licence plus intègre telle que Art Libre, elle lance fin 2010 une nouvelle initiative :

Copier une œuvre est un acte d’amour. L’amour n’est pas assujetti à la loi.
♡ 2010 par Nina Paley. Veuillez me copier.

Paley baptise cette initiative le copyheart, que je pourrais traduire (mais seulement si j’y étais obligé sous la menace des baïonnettes) par « droit d’au-cœur » :

Le symbole ♡ ne peut pas être déposé (je l’espère) et donc pas contrôlé. Ça me va tout à fait. Il se peut, et il arrive, que d’autres gens utilisent le symbole ♡ pour signifier toutes sortes de choses. Mais ce symbole possède une signification culturelle partagée, qui transcende tout usage qu’une personne pourrait en faire. Son véritable pouvoir réside dans le fait que ce n’est pas une licence, ni une marque commerciale. Ce symbole n’est pas soumis à la loi.

C’est sur le site copyheart.org qu’elle développera son raisonnement (à la première personne du pluriel, sous une forme de questions-réponses qui n’est pas sans évoquer sa page « anarcho-syndicaliste » que nous citions plus haut) :

Nous apprécions et utilisons des licences Libres lorsqu’elles viennent à propos ; cependant, elles ne règlent pas le problème des restrictions au droit d’auteur. Plutôt que de tenter d’éduquer le monde entier aux complexités du droit de propriété littéraire et artistique, nous préférons annoncer clairement nos intentions en une phrase simple :

♡ Copier est un acte d’amour. Veuillez me copier.

— Le symbole « copyheart » ♡ est-il déposé ?
— Non. C’est juste une pétition de principe. Son efficacité ne dépend que de l’usage qu’en font les gens, et non des pouvoirs publics. Voici d’autres symboles qui ne sont pas déposés, mais dont la signification et l’intentionnalité sont largement comprises (même de façon imparfaite) :

[NdT : Ce n’est pas tout à fait exact.]

— Le symbole « copyheart » ♡ traduit-il un engagement légal ?
— Probablement pas, mais vous pourriez tenter l’expérience :

  • Adjoignez à votre œuvre le message « copyheart » ?.
  • Attaquez quelqu’un en justice pour copie illégale.
  • Attendez de voir ce que vous répondra le juge.

Pour nous, les lois et la « propriété de l’imaginaire » n’ont pas la moindre place dans les relations amoureuses ou culturelles des gens. Créer de nouvelles licences, de nouveaux contrats et engagements devant la loi ne fait que perpétuer le problème, en amenant la loi — c’est-à-dire la force étatique — dans des domaines où elle n’a rien à faire. Le fait que le symbole ♡ ne constitue pas un engagement légal, n’est pas un bug : c’est un plus !

À tous les efforts de formalisation, juridique et intellectuelle, poursuivis par le mouvement Libre depuis trois décennies, Paley substitue une simple parole « amoureuse » (sinon élégiaque, comme nous le verrons). Cette démarche n’est pas révolutionnaire (elle rappelle notamment le datalove, le kopimi ou encore le « No Copyright » du Piratpartiet), et Paley ne cherche d’ailleurs pas à la présenter comme telle ; elle est, au sens propre, réactionnaire : réaction face au droit « d’auteur » classique, nous l’avons vu, mais également réaction face aux licences Libres elles-même. Pour spontané et rafraîchissant qu’il puisse paraître, ce mouvement d’humeur ne laisse pas de m’interloquer : sans y chercher, comme d’autres, l’indice d’un affligeant irénisme néo-hippy, j’y vois plutôt une révolte libertarienne, anti-étatique et ici anti-système-légal, attitude typiquement américaine et qui n’est pas sans rappeler celle de Linus Torvalds — lequel est d’ailleurs exactement de la même génération que Paley.

Conseil
« Peux-tu me donner un conseil ?
— Pourquoi me demander comment vivre ta vie ?
— Comme ça, lorsque ça tourne mal je sais à qui le reprocher.
 »

Mais surtout, je ne peux que me demander s’il n’y a pas quelque chose d’irresponsable à proposer un modèle de diffusion culturelle sans même vouloir considérer ses possibles implications juridiques. Par exemple, omettre (ici délibérément) le signe © sur une œuvre, en droit américain, a longtemps revenu à renoncer à tous droits dessus (patrimoniaux et moraux, puisque ces derniers n’existent pas en tant que tels) — comme un grand studio hollywoodien en a autrefois fait l’expérience involontairement. (Cette bizarrerie est en théorie « corrigée » depuis la ratification de la Convention de Berne en 1988, mais l’absence du signe © est toujours unanimement déconseillée.)

Se pose alors la question de savoir dans quelle mesure Paley elle-même connait — et respecte — les véritables droits des véritables auteurs. Ainsi, les nombreux effets sonores que Paley utilise dans ses dessins animés, ne sont jamais « crédités » au générique — pas plus que l’abondant matériel photographique dont elle se sert sous forme de collages, dans ses animations ou bandes dessinées : le fair use n’exonère pourtant pas de citer ses sources. Ce qui nous amène à un regard différent sur le film Sita Sings The Blues, qui a tant fait parler de lui quant aux chansons de Hanshaw… mais dont personne, à ma connaissance, n’a souligné les autres emprunts, plus discrets mais moins assumés. Quant aux chansons elles-même, il ne me semble pas qu’elles soient sans soulever de questions. Comme le fait remarquer agressivement un documentariste, c’est en pleine connaissance de cause que Paley a choisi d’inclure dans son film des œuvres potentiellement problématiques, là où tout autre cinéaste se serait torturé pendant longtemps sur la question du choix des musiques et de l’obtention des droits.

On peut donc voir dans la démarche de Paley, aussi bien une admirable intégrité artistique sans concession… ou une attitude méprisante et irresponsable. À ces deux points de vue possibles, le Libriste que je suis en ajoute un troisième : de même que les programmeurs de logiciels Libres, depuis plus de trente ans, sont obligés de tout réinventer et ré-implémenter par eux-même, la solution la plus saine pour Paley n’aurait-elle pas été d’engager une poignée de musiciens (qui ne demanderaient pas mieux) pour recréer une bande sonore pleinement Libre, sur les mêmes gestes et mêmes intentions musicales ? En fin de compte, Sita Sings The Blues restera, non comme le premier long-métrage Libre que beaucoup attendaient (et attendent encore), mais comme une opportunité historique magistralement manquée : outre ses emprunts incertains ou (seulement) partiellement dépénalisés, les fichiers source du dessin animé (d’ailleurs très peu mis en avant sur son site) requièrent l’utilisation d’un logiciel propriétaire — et n’ont d’ailleurs même pas été rendus publics. Quelles que soient ses intentions, quelle que soit sa licence, ce film n’incite pas à la création d’œuvres dérivées : ni d’un point de vue technique, ni d’un point de vue juridique… ni même, d’ailleurs (nous y reviendrons plus bas), d’un point de vue artistique.

Les lacunes juridiques ou le manque de rigueur intellectuelle sont, certes, des travers pardonnables — et dont personne n’est exempt — ; cependant, Paley s’étant faite porte-parole du mouvement Libre, détentrice d’un parole publique (ses conférences constituent pour elle une importante source de revenus), ses travaux et son discours ne peuvent que se trouver happés dans l’ambiguïté de toute personne qui a à la fois des convictions à défendre… et un produit à vendre. Dans la brochure publicitaire que je mentionnais il y a peu, Paley évoque le lien financier qui l’unit à son public :

À l’époque où mon film était encore illégal et que l’argent se perdait à flots dans les frais de justice et de licences, j’ai dit comme une plaisanterie que si ce film était gratuit, au moins je pourrais vendre des T-shirts. Et j’ai alors réalisé que c’était en fait là que l’argent se trouvait : dans les produits dérivés et les soutiens volontaires.

Quand un artiste est fauché, tout le monde se dit que son travail ne doit pas être si bon que ça, alors que c’est sans rapport. J’ai aussi vu des artistes qui refusaient de créer à moins d’être payés. Pour moi, au contraire, je n’ai jamais touché autant d’argent que lorsque j’ai commencé à utiliser la licence Creative Commons by-sa. Je suis au premier plan ; je n’ai pas besoin d’investir dans de la promotion, mes fans le font pour moi et achètent mes produits dérivés. C’est en partageant que je devenue visible.

Discours sensiblement différent de celui de Konrath, pour qui le « poids » d’un auteur est financièrement quantifiable. De fait, Paley est aussi prompte à critiquer les auteurs cupides… que ceux qui dénoncent (hypocritement selon elle) l’exploitation des bénévoles. Dialectique pas entièrement surmontée par Paley, qui semble elle-même, dans cette autre interview extraite du documentaire Libre Copier n’est pas voler, éprouver quelques difficultés à articuler ensemble ses motivations artistique, financière et « amoureuse » :

Vous savez, je ne fais pas ça pour l’argent. Je fais ça par amour ; la plupart des artistes font ça par amour. J’ai aussi besoin de me nourrir, donc… j’ai l’amour de l’argent — euh, je veux dire, ce n’est pas la même sorte d’amour mais : je, je suis du genre, pro-argent. Je suis très pro-revenu pour les artistes. Mais en fait je suis pro-art. L’art — je suis au service de l’art, c’est cette vie que j’ai choisie, euh, c’est mon job. L’art vient d’abord.

Il y a donc une large part d’irrationnel dans l’affection débordante que témoigne à Paley son très large public, affection dont les motivations sont sans doute multiples. La communauté Libriste, très certainement, lui est infiniment reconnaissante d’avoir embrassé la « cause » du copyleft : ainsi de ce Libriste qui voit respectivement en Richard Stallman et Nina Paley… « son papa et sa maman ». Une composante d’attirance hétérosexuelle (physique ou imaginaire) n’est sans doute pas non plus à exclure, dans une communauté geek très majoritairement masculine et prompte à se trouver des égéries parmi les personnalités de sexe féminin, pour peu qu’elles soient versées dans l’informatique (par exemple telle ex-ministre française, à tort, ou telle actrice américaine, à raison — ô combien) — phénomène d’ailleurs à double tranchant, comme le montre cet internaute anonyme qui remplace entièrement la page Wikipédia de Paley par : « Nina Paley est moche ».

Ces facteurs d’explication, toutefois, ne semblent pas suffisants. En particulier, ils ne permettent pas de comprendre pourquoi le succès de Paley s’étend au-delà de la seule sphère Libriste ou geek, et pourquoi, par exemple, le film Sita Sings The Blues se retrouve gratifié d’un score ahurissant de 100% sur le site de critiques Rotten Tomatoes — score que n’atteignent pas d’autres films indépendants qui arborent eux aussi leur faible budget. Le film de Paley est même parvenu à enchanter jusqu’au célébrissime et redoutable Rogert Ebert, lui aussi natif de la ville d’Urbana.

Sita Sings The Blues

Pourtant ce long-métrage ne me semble pas exempt de reproches : montage maladroit (quelques lenteurs injustifiées, dialogues en champ/contrechamp poussifs), construction narrative pas toujours bien gérée (enchaînements parfois trop systématiques ou au contraire peu cohérents, déséquilibre global de la progression dramatique) esthétique indécise (du dessin scanné-tremblotant au dessin vectoriel somme toute assez impersonnel, en passant par des procédés de collages pas toujours motivés), manque de caractérisation des personnages (à l’exception notable des fameuses « trois silhouettes » qui conversent informellement avec un accent indien) ce film, surtout, vieillit mal : ce qui aurait été une prouesse technique d’animation 2D au début des années 2000 (voir le court-métrage Fetch récompensé à l’époque par quelques festivals), a bien du mal à impressionner aujourd’hui. Quelque expressivité que recherche Paley (qui a été jusqu’à « rotoscoper » à la main la danseuse Reena Shah), les formes géométriques et les couleurs tranchées persistent à renvoyer constamment à un « degré zéro » du cartoon, où le lyrisme n’opère plus, et où se désamorce la volonté de l’auteur, pourtant parfois ostensiblement réaffirmée, de réaliser une œuvre malgré tout « sérieuse ».

Cette insuffisance n’est malheureusement pas rattrapée par la bande son : même en étant sensible au charme des goualantes des années 1920 (ce qui n’est hélas pas mon cas), l’accompagnement musical est en fait constitué en majorité… de musique synthétique parfaitement actuelle (réalisée notamment par Todd Michaelsen), et à vrai dire assez pauvre, quoiqu’elle tente de se donner quelques accents exotiques indéterminés. J’exposais plus haut mon regret qu’il n’ait pas été fait appel à des musiciens d’aujourd’hui pour ré-inventer des chansons aussi expressives que celles de Hanshaw ; comme si la réalisatrice, mue par la croyance que seul des objets musicaux anciens, sacralisés, pourraient atteindre à une telle expressivité, s’était montrée de ce fait bien moins exigeante quant à la qualité des objets musicaux « profanes », c’est-à-dire modernes.

Le point de vue que je développe ici, naturellement, repose sur beaucoup de subjectivité. Il montre néanmoins qu’il n’est pas impossible d’être déçu par Sita Sings The Blues, et partant, que les (au demeurant nombreuses) qualités intrinsèques du film ne suffisent pas à expliquer ce fameux score de « 100% ». C’est qu’opère un envoûtement d’un autre ordre : derrière le mythe ancien qu’elle met en scène, se trouve en fait une parole mythologique de Paley elle-même. Pour détourner le propos de Roland Barthes sur Minou Drouet, l’enfant-poète des années 1950, « une légende est une légende. Oui, sans doute. Mais une légende dite par Nina Paley, ce n’est déjà plus tout à fait une légende, c’est une légende décorée, adaptée à une certaine consommation, investie de complaisances visuelles, de révoltes, d’images, bref d’un usage social qui s’ajoute à la pure matière ». Là où une légende se prête à de multiples interprétations, le film de Paley nous dicte un mode de signification, et transforme son auteur même en figure, son écriture même en message. Sita Sings The Blues est plus qu’un exploit technique, fruit du travail tenace et courageux d’une seule personne avec des moyens très restreints : il est le récit — épique — de cet exploit. L’objet mythologique est donc moins le personnage de Sita, que le parcours de cette artiste qui, jeune, inconnue, (très relativement) isolée, a travaillé pendant de nombreuses années avec pour seule motivation d’exprimer avec originalité et courage, l’histoire de sa découverte de l’Inde, de ses ruptures amoureuses et de son émotion à l’écoute de vieilles chansons (je dis bien : l’histoire de son émotion, plus que l’émotion elle-même).

Ostensiblement poétique (et renvoyant d’ailleurs fréquemment à des motifs enfantins), l’écriture visuelle de Paley peut se décrire comme la poésie de Minou Drouet que Barthes moquait en son temps : « une suite ininterrompue de trouvailles, [qui] produit elle-même une addition d’admirations » — la comparaison s’arrête toutefois là, dans la mesure où Paley, comme nous le voyions ci-dessus, cherche à raconter une histoire personnelle et autrement expressive, où la thématique de l’amour tient une place prépondérante. Ce qui nous renvoie, curieusement, au « copyheart » vers lequel Paley se tournera quelques années plus tard : qu’il soit narratif et autobiographique comme dans Sita Sings The Blues, ou symbolique sous forme de petits cœurs, ce motif amoureux contamine tout le projet artistique de l’auteur (du moins tel qu’elle le déclare), qui semble ainsi vouloir s’abstraire, non seulement de rigueur juridique comme nous l’avons vu, mais même de toute conceptualisation ou formalisme. On peut se demander si l’art, tel que le pratique et l’envisage Paley depuis 2004, n’est pas voué à se réduire à une parole élégiaque.

Le culte de l’originalité
« Je pense que chaque message humain peut se résumer en un seul, qui ne pourra jamais être dit assez : Je vous aime. »
Nina Paley, 2009.

La critique de Barthes à laquelle je fais ici référence n’est donc pas incongrue ; il y a bien une écriture « mythologique » dans Sita Sings The Blues, mais pas au sens où l’entend l’auteur. Le mythe est ici l’œuvre elle-même… et ce mythe ne laisse de fait aucune place à une pensée du réel, par exemple socio-politique, que Paley balaye elle-même un peu rapidement : « Certains académiciens bon chic bon genre ont décidé, sans se donner la peine de regarder l’œuvre, que toute personne de couleur blanche qui entreprend un tel projet est par définition raciste, et que c’est encore un exemple de néo-colonialisme. ». Je n’irais certes pas jusque là, mais je dois avouer un certain malaise en voyant, dans l’« interlude » du film, les personnages de la mythologie indoue siroter un soda, grignoter du popcorn ou des hotdogs, tels des américains moyens. Peu importe qu’il s’agisse là d’une allusion, non pas aux États-Unis directement, mais à Bollywood et à l’Inde moderne, occidentalisée (quoique toujours fondamentalement inégalitaire) : n’est-ce pas occulter que ladite Inde moderne subit la domination économique écrasante desdits États-Unis, à grands coups d’OMC, de FMI, de call-centers délocalisés et acculturants, de brevets et d’OGM ?

De fait, l’on n’entend plus Paley, aujourd’hui, parler de surpopulation (sinon de façon détournée), de justice sociale ou de défense des minorités. Cette page de sa vie militante est manifestement tournée, entièrement remplacée par son engagement Libriste. Tout comme, dans un même temps, son travail artistique autrefois polygraphique et polytechnique, semble avoir perdu en hardiesse ce qu’il a gagné en cohérence et en accessibilité. De même, enfin, que son site web autrefois exubérant d’humour, de curiosités et d’auto-ironie, se résume aujourd’hui à un blog WordPress relativement terne. Peut-être Nina Paley, avec le succès, a-t-elle enfin trouvé une place à part entière dans le monde culturel Libre, un équilibre apaisant, un âge de raison artistique. Ou peut-être est-ce là, tout simplement, ce que l’on nomme vieillir.




Geektionnerd : Windows 8 not Linux friendly ?

D’après PC INpact et Numerama, le Secure Boot de Windows 8, le prochain Windows, pourrait faire du tort à GNU/Linux.

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




8 choses à faire et ne pas faire si vous souhaitez sensibiliser au Logiciel Libre

Mikael Altemark - CC byHier soir je suis tombé sur un article conseil en anglais de la FSFE qui déclinait quelques bonnes et mauvaises pratiques si vous voulez faire connaître le logiciel libre autour de vous (et tout le bien que vous en pensez).

Pour ne pas surcharger la barque Framalang (qui doit tanguer quelque part entre les Seychelles et les Maldives), j’ai choisi de m’adresser à d’autres esclaves bonnes volontés du Libre. Ceux de l’émérite site LinuxFr qui présente la particularité d’abriter en son sein des êtres prêts à tous les sacrifices pour faire avancer La Cause.

Et hop, un rapide journal bien senti avec un Framapad inside, et le tour est joué.

Suffit d’attendre et de ne pas oublier de bien saluer tous ceux qui franchissent le pad (par contre j’avais oublié la bière, désolé).

Et c’est ainsi qu’en plein samedi soir du mois d’août, nous traduisîmes en à peine trois heures et à plusieurs mains (une bonne petite vingtaine, soit, si vous me suivez, dix personnes) ce court exposé plein de bon sens (à la limite de l’enfonçage de portes ouvertes ?) qui devrait, à n’en pas douter, faire au moins doubler le taux de convertis dès la rentrée prochaine.

Ça a bossé dur et vite en tout cas, rien que pour le titre, on a eu les propositions suivantes : « De la communication efficace du logiciel libre », « Plaidoyer efficace pour le logiciel libre »[1], « De l’évangélisation efficace du logiciel libre », « Défense efficace du logiciel libre », pour finalement retenir « Promouvoir efficacement le logiciel libre ».

Plus sérieusement, grand merci à mes (éphémères) compagnons de route (longue mais libre) pour ce traducthon improvisé. Je reste, comme au premier jour, fasciné par tout ce que l’on peut réaliser ensemble, de GNU/Linux à cette toute modeste traduction plurielle.

Promouvoir efficacement le logiciel libre

Effective Free Software advocacy

Sam Tuke – 10 août 2011 – FSFE
(Traduction collective LinuxFr : NeoX, mansuetus, Roro7302, Jeece, eastwind, crabs, fiuzzy, oktail, qdii et quelques autres anonymous)

Expliquer ce qu’est le logiciel libre est une tâche importante mais parfois délicate et difficile. Des concepts et une terminologie complexes, de subtiles variantes et un contexte social, politique et économique particulier, peuvent nous éloigner d’une communication efficace. Ces quelques lignes ont pour but de vous aider à présenter vos propos pour qu’ils soient à la fois plus clairs, cohérents et convaincants.

1) À faire : Dès qu’une occasion se présente, parler ouvertement et régulièrement du logiciel libre avec vos amis et vos proches.

1) À éviter : Critiquer les autres pour leur désintérêt ou leur manque de compréhension du logiciel libre. Essayez plutôt d’écouter ceux qui ne sont pas d’accord avec vous en n’essayant pas de les forcer à adopter votre point de vue. Le logiciel libre est un sujet intrinsèquement important. Mais si une personne en particulier ne peut en appréhender sa valeur, alors n’insistez pas et attendez de trouver quelqu’un d’autre qui sera prêt à poursuivre la discussion avec vous.

2) À faire : Présenter, de manière constructive, des exemples réels de problèmes posés par les logiciels propriétaires. Faire allusion au vendeur peut être tout aussi efficace que de mentionner le nom d’une entreprise.

2) À éviter : Focaliser sa critique du logiciel propriétaire sur une seule et unique entreprise. Si vous avez besoin de nommer une entreprise, essayez d’en citer d’autres. Les problèmes liés aux logiciels non libres sont génériques. Partir d’une situation globale affectant une pratique ou un marché donnera plus de poids à vos arguments et évitera les partis pris.

3) À faire : Citer les faits et les sources à chaque fois que cela est possible et être clair sur la provenance des informations. Si vous ne pouvez pas vous souvenir immédiatement de la référence, pensez à la transmettre plus tard par courrier électronique.

3) À éviter : Baser votre argumentation sur des informations non ou mal sourcées. Tenez-vous-en aux faits, et laissez les hypothèses de travail, les généralités et les suppositions pour les rares occasions où elles pourront être vraiment utiles.

4) À faire : Choisir avec soin vos arguments selon votre propre niveau de compréhension et celui de votre auditoire. Restez concentré sur les sujets que vous maîtrisez, ceux pour lesquels vous avez une expérience personnelle (même modeste) et dans lesquels vos auditeurs seront susceptibles de se reconnaître.

4) À éviter : Ennuyer ou irriter un auditoire inadapté et non préparé à un discours par trop technique ou philosophique. Vous êtes naturellement motivé pour parler en long et en large de vos sujets ou concepts favoris, mais rappelez-vous que si le but est de communiquer sur le logiciel libre, alors il vous faut déterminer au préalable l’interêt et le niveau technique de votre auditoire et adapter votre discours en conséquence.

5) À faire : Faire preuve de patience, de calme, de raison et d’objectivité dans votre communication. Évitez les situations de crises et sinon tentez de les désamorçer.

5) À éviter : Être pressant, aggressif ou trop impliqué personnellement dans vos propos. Vous n’avez rien à prouver et le logiciel libre continuera à vivre quel que soit l’avis d’un individu ou d’un groupe. Soyez simplement constructif dans vos propositions.

6) À faire : Rencontrer et discuter avec des personnes potentiellement intéressées par le logiciel libre. Sollicitez ces contacts et veillez à vous montrer disponible pour répondre à leurs demandes.

6) À éviter : Passer votre temps à contacter des personnes qui ont clairement manifesté leur désintérêt pour le sujet. Vous seriez plus utile en d’autres lieux.

7) À faire : Effectuer des démonstrations de logiciels libres de qualité, en particulier si vous les utilisez vous-même. Voir c’est retenir, et montrer comment vous tirez profit des logiciels libres au quotidien peut être plus percutant que n’importe quel argument idéologique.

7) À éviter : Promettre ou insinuer des choses que les logiciels libres ne peuvent pas apporter. Vous pouvez faire énormément de choses avec des logiciels libres, mais vous ne pouvez pas tout faire, et prétendre le contraire ne ferait que nourrir des attentes et mènerait à la frustation et la déception.

8) À faire : Trouver des moyens d’inviter les nouveaux venus à rencontrer d’autres partisans du logiciel libre et à assister à des évènements organisés par des groupes d’utilisateurs locaux. Essayez de réunir des personnes ayant des centres d’intérêts communs est également un terreau favorable pour les nouveaux arrivants dans le monde du logiciel libre.

8) À éviter : Espérer que chaque personne croisée souhaite adhérer et participer à vos groupes d’utilisateurs de logiciels libres (LUG) ou à votre hackerspace. La plupart des gens ne se déplacent à une manifestation, une rencontre, que si cela correspond à leurs centres d’intérêts et leur niveau de compréhension. Seuls certains de vos contacts sont prêts à accorder une partie de leur temps libre à ce genre d’évènement . Lorsque c’est le cas, n’oubliez pas de rester accueillant et patient.

Notes

[1] Crédit photo : Mikael Altemark (Creative Commons By)




Petite chronique de l’e-G8, retour sur une tempête médiatique

G8 vs Internet - CC by-saLes 24 et 25 mai derniers se tenait à Paris le « Forum e-G8 », en prélude au G8 de Deauville. Ce forum participatif consacré à Internet fut résolument orienté “business” : organisé par le groupe publicitaire Publicis, les invités étaient principalement les dirigeants des plus grosses sociétés de communication (Google, Facebook, eBay, Fox, Bertelsmann, Vivendi, etc.).

Si le commerce fait évidemment partie intégrante des possibilités ouvertes par Internet, cela ne constitue qu’une petite partie de l’utilisation qui est faite du réseau aujourd’hui. Or, la sélection très orientée des intervenants ne portait par conséquent qu’un seul point de vue : « Comment utiliser Internet pour doper la croissance économique ? » et sa question sous-jacente « Comment contraindre et réguler Internet pour s’assurer que les profits continueront d’augmenter ? ».

La société civile était donc complètement marginalisée dans le programme du e-G8, laissant le champ libre à un discours de « civilisation », de « moralisation », voire de contrôle de l’Internet. C’était sans compter sur des interventions de John Perry Barlow (EFF) ou Lawrence Lessig (Creative Commons), et surtout sans la culture du « hacking » (au sens de « bidouillage », « détournement ») d’associations comme la Quadrature du Net qui ont pu faire entendre la voix des principaux concernés : les internautes.

Petite chronique de l’e-G8, retour sur une tempête médiatique

Neurone364 – 24/06/2011 – Framablog

Cette petite rétrospective se propose de parcourir les principaux évènements du « forum e-G8 » tels qu’ils furent présentés par la presse écrite sur Internet. À l’origine de cette initiative, une constatation simple : la revue de presse que tient la Quadrature du Net est passée, lors de ces deux journées pittoresques, d’un rythme de croisière d’environ 5 articles signalés par semaine, à plus de 50 par jour ! La petite équipe bénévole dédiée à la tâche a donc suivi le mouvement imprimé par le porte-parole, les co-fondateurs, les accampagnants[1], les bénévoles et tous les citoyens qui agissent et réagissent en conscience aux attaques contre Internet signalées par la Quadrature, pour finir la semaine sur les rotules, avec un sourire serein et des cernes sous les yeux.

Tout a commencé calmement, le 18 mai 2011, avec la publication par la Quadrature du Net d’un communiqué intitulé « Forum eG8 » : un écran de fumée pour le contrôle gouvernemental du Net. Dans ce communiqué, nous dénoncions l’organisation par le gouvernement d’un processus pseudo-consultatif, mis en place autour d’un show à l’américaine, avec les stars du web commercial réunies à Paris. En parallèle, accompagnée de plusieurs organisations d’artistes et citoyennes, la Quadrature invitait toutes les créativités à s’exprimer contre les tentatives de transformer Internet en un outil de répression et de contrôle en ouvrant le site web http://g8internet.com à l’expression publique.

D’un côté, il y avait donc ce simple espace de liberté, ouvert pour l’occasion par quelques gus dans un garage, et de l’autre, Publicis, un géant mondial à qui l’on confie des budgets d’état pour faire son métier : de la publicité. De la communication pour ceux qui ont, à vendre, la vision d’un Internet restreint aux intérêts de leurs activités…

Vous vous demandiez ce qu’est la Quadrature du Net ? C’est ça : un village d’irréductibles amoureux de la liberté d’expression, celle offerte à tous par l’Internet neutre que nous avons encore entre les mains, et qui s’échappe comme une poignée de sable sur laquelle soufflent de puissants intérêts privés et commerciaux.

Heureusement, cette histoire n’est pas encore écrite, et nous avons avec nous bien mieux qu’une potion magique : un réseau planétaire reliant sans discrimination toutes les bonnes volontés du monde. Il ne tient qu’à chacun de tendre la main (vers son clavier, et son prochain) pour se dresser en rempart de ce droit fondamental qu’est l’accès à Internet, l’accès aux autres.

Ce 18 mai 2011, la presse commençait à frémir devant l’évènement en préparation, LePoint.fr titrait par exemple : « Le forum e-G8 suscite doutes et attentes » notant que si « beaucoup espéraient une mise à plat des politiques de gouvernance du Net, de respect de la vie privée ou de développement des libertés d’expression et d’information, il se pouvait que l’orientation de ce e-G8 soit avant tout économique et tournée vers les grands acteurs privés plutôt que vers les internautes. »

Le 19, c’est Médiapart qui se faisait l’écho d’une société civile oubliée à cette grand messe, dans un article intitulé : « Avant le G8 du Net, les citoyens tentent de garder la parole ». Et ce « tentent » n’était rien moins que défaitiste.

Le 20 mai, la Quadrature du Net annonçait une analyse à paraître dans l’hebdomadaire Marianne et sur le site du journal détaillant la spectaculaire opération de rattrapage tentée par Nicolas Sarkozy auprès des électeurs internautes, après avoir lui-même empêché la tenue d’une conférence mondiale consacrée à la liberté d’expression sur internet, pourtant proposée par Bernard Kouchner. Après avoir menacé de passer les banlieues au karsher, le conquistador de l’Élysée voulait cette fois se donner pour mission de « civiliser » l’internet.

L’Élysée ne veut pas entendre parler de cyberdissidence, ni de liberté d’expression, il veut du “contrôle”. Frédéric Martel, Marianne, 21-27 mai 2011

Cet article de Marianne, repris dans le Figaro sous le titre : « Sarkozy préfère “l’internet civilisé” aux cyberdissidents » sera lu plus de 30 000 fois en une semaine, première goutte de pluie annonçant la fin du calme avant la tempête médiatique.

D’ailleurs des gouttes tombaient déjà au delà de nos frontières, comme en atteste cet article du New York Times paru le même jour, sous le titre narquois « Chaos of internet Will Meet French Sense of Order » ou « Le chaos d’Internet va rencontrer le sens de l’ordre français ».

La pluie s’est mise à crépiter le 23 mai, à la veille du forum, le lundi de cette fameuse semaine. Les premières éclaboussures vinrent du site PublicSénat.fr reconnaissant que l’évènement annoncé est « Pour le chef de l’Etat, l’occasion de renouer avec le monde du Web, un peu malmené avec la loi Hadopi. Nicolas Sarkozy n’est pas un grand amateur des questions numériques. », et relayant l’analyse de la Quadrature quant au contenu des « débats », voire plutôt du déballage prévu pour les jours suivants. De son côté, l’Express publiait dans un article « Ce qu’il faut savoir sur l’eG8 » confiant que

L’impression générale donnée par le forum est celle d’un grand fourre-tout, dont on imagine qu’il servira de grand rendez-vous de networking. Dans ces conditions, difficile de déboucher sur des annonces concrètes. D’autant que les chefs d’Etat du G8 ne prévoient de consacrer qu’une heure à ces questions lors du sommet de Deauville.

En Europe, le site RTL.be titrait sans illusions et avec le franc-parler que l’on ne trouve plus dans l’hexagone concernant les affaires gouvernementales : « eG8 Forum : politiques et stars du Web à Paris ».

Le mardi 24 mai la Quadrature du Net rappelait dans un communiqué, pour lancement de l’opération, que :

L’eG8 est une mise en scène où un gouvernement déconnecté de la civilisation Internet espère apparaître en phase avec celle-ci en se montrant en compagnie de quelques leaders économiques du secteur. »

Et la pluie se fit alors battante. Elle ruisselait sur nos écrans en ondées numériques défilant comme les vagues vert-phosphorescent des moniteurs de la matrice… Libération parlait ainsi de « L’illustration parfaite d’une collusion malsaine » Europe1 des « “People” et paillettes pour le G8 du web » et Le Monde relevait que l’e-G8 n’allait que « de “Internet civilisé” à l’Internet “facteur de croissance” », se faisant l’écho des analyses de la Quadrature ou de l’IGC[2] pour qui il est anormal que le forum soit « organisé par le secteur privé et que l’accès soit donné aux seuls acteurs des entreprises privées et des gouvernements. »

20Minutes.fr notait également de son côté qu’à l’e-G8 il semblait se confronter « deux visions du Net irréconciliables » tandis que Challenges.fr reprenait le glissement sémantique opéré par le Président qui ne parla plus alors dans ses discours de civiliser l’espace numérique, mais désormais de moraliser l’internet.

SudOuest.fr titra sur la sensationnelle déclaration de Nova Spivack, invité à l’événement :

Internet va balayer les gouvernements

En début d’après midi, la CNIL tapait du poing sur la table dans une spectaculaire sortie intitulée « La protection de la vie privée absente de l’e-G8 : oubli ou rejet ? » et se terminant par plusieurs remarques dont la plus cinglante est sûrement :

Lors de cet événement où tout s’achète, combien coûte la protection de la vie privée ? Apparemment pas grand-chose !

Une petite phrase qui en dit long sur la considération du gouvernement à l’égard de cet indispensable organe de l’état, et qui se répandit sur les blogs et micro-blogs cet après-midi là, alors que le déjeuner des canotiers imaginés par Publicis subissait un orage imprévu.

En milieu d’après midi, la Quadrature publiait, avec une trentaine d’organisations et associations attachées aux libertés sur Internet une « Déclaration de la Société Civile au G8 et e-G8 » rappelant en quatre points essentiels leur attachement à l’accès Internet pour tous, à la liberté d’expression et à la neutralité du réseau.

Déclaration entendue par France24 qui constata en fin de journée que l’e-G8 « ne dissipait pas la crainte de la censure » et le pire était encore à venir.

Le lendemain ce fut le déluge. Des journaux allemands, anglais, italiens, suisses, belges, canadiens ou américains se firent l’écho de l’actualité de la veille, à l’image d’FT.com titrant «? Tech titans’ optimism fades under Paris sun ?» ou « L’optimisme des titans de la technologie s’estompe sous le soleil de Paris » ou encore de V3.co.uk avec son « Rights groups revolt as Sarkozy reveals plans to stamp out Internet freedoms », « les défenseurs des droits sur internet se révoltent face aux plans dévoilés par Sarkozy d’éradiquer les libertés sur Internet ». Pour Cyberpresse.ca « Sarkozy souffle le chaud et le froid » :

Évoquant le rôle qu’a joué Internet dans les soulèvements observés en Tunisie ou en Égypte, il a déclaré que le web est devenu “le vecteur d’une puissance inédite pour la liberté d’expression dans le monde”. Mais, du même souffle, il a soutenu que le réseau mondial ne doit pas être “un univers parallèle affranchi des règles du droit ” Le discours de Nicolas Sarkozy ne risque guère d’apaiser les organisations de défense des usagers de l’internet, qui l’accusent de vouloir “censurer” le réseau.

Analyse on ne peut plus juste, car pendant ce temps là, la société civile se mobilisait pour faire entendre ses voix au cours d’une conférence de presse improvisée tournant au contre-sommet de l’e-G8. Une soixantaine de journalistes vinrent en effet y entendre Lawrence Lessig (fondateur des Creative Commons), Jean-François Julliard (secrétaire général de RSF), le journaliste américain Jeff Jarvis, Susan Crawford (membre de l’ICANN et ex-conseillère de Bill Clinton) ou encore Jérémie Zimmermann (porte parole de la Quadrature du Net). Parmi ces journalistes, ceux de ZDNet devait titrer dans l’après midi « Un “contre eG8” dénonce la mise en scène du forum Internet du gouvernement » rappelant que pour la Quadrature du Net, le « forum » e-G8 n’était qu’un pas de plus vers la régulation des réseaux, les modèles économiques de ces « géants » du web étant basés sur des restrictions aux libertés fondamentales des citoyens[3].

En fin de journée, le Figaro se fit l’écho des « Déceptions à l’e-G8 » tandis que le Monde rappelait l’une des premières revendications de la Quadrature du Net, dans un article nommé : « L’accès à Internet doit devenir un droit fondamental ».

Les jours suivants, et jusqu’à la tenue du G8 lui même, la pluie ne s’arrêta pas comme une simple averse. Le 26 mai, Ouest-France tint à résumer « G8 de l’Internet : que faut-il en retenir ? » notant « que le G8 à venir dans les jours suivant veut réguler Internet. Et cette éventualité fait des remous chez les acteurs du web. »

La France paraît assez mal placée pour donner des leçons et pourtant, quel discours le président français a-t-il tenu au gotha mondial des créateurs d’avenir ? Il leur a dit qu’il fallait réguler Internet, le moraliser

Indiquait quant à elle France24 dans un article intitulé : « Sarkozy et Internet : le grand malentendu »

Dans une interview vidéo parue le lendemain sur ITEspresso Tristan Nitot (fondateur et président de l’association Mozilla Europe) indiquait qu’à l’ « e-G8 : il y a un manque de représentativité, on a l’impression de servir d’alibi »

LeMonde concèdait le 28 mai que l’e-G8 restera « un sommet à l’impact limité » alors que Télérama ne mâchait pas ses mots, indiquant plus prosaïquement « L’e-G8 à Paris : game over ! ».

On a surtout assisté, à Paris, pendant les deux jours de ce premier “G8 d’Internet”, à des démonstrations de force et des discours de “winners” du Web en quelques minutes chrono. On n’en ressort pas franchement bouleversés…

Le porte-parole de la Quadrature du Net, Jérémie Zimmermann, qui ne dormit que 10h en trois jours, fut sollicité pour de nombreuses entrevues. Parmi ces interviews, la plus insolite fut sûrement celle accordée à LCI, qui permet aujourd’hui de lire, sur TF1.fr qu’à l’« e-G8 : Nicolas Sarkozy a voulu se racheter une conduite » alors qu’il « s’était adressé mardi exclusivement à un parterre de chefs d’entreprises et d’acteurs “business”. Or, ce n’est qu’une toute petite partie de ce qu’est réellement Internet.»…

Épuisés mais ravis, c’est globalement dans cet état que se trouvaient la plupart des neurones de la Quadrature du Net à la fin de cette intense semaine. Les trois modérateurs du site http://g8internet.com n’ayant par exemple guère profité de plus sommeil, vu l’activité débordante du site. Morceaux choisis :

Mais ces efforts ne furent pas vains, loin s’en faut. On pouvait en effet lire sur Slate.fr le 29 mai, « G8 et internet: un rendez-vous manqué » :

Difficile d’oublier que le eG8 était organisé par la France, le pays qui a introduit l’approche de la riposte graduée et un filtrage administratif du Web . Ce qui lui a valu de faire son entrée dans la liste des pays « sous surveillance » dans le rapport 2011 de Reporters sans frontières sur « Les Ennemis d’Internet ». Des dizaines d’organisations militent pour la liberté d’expression – notamment en ligne – et le respect de la vie privée, or seules deux d’entre elles ont été invitées à s’exprimer dans le cadre du eG8 

Une façon de constater, une fois de plus qu’en usant simplement, mais avec conviction, des recours démocratiques à disposition des citoyens en France, la société civile a vraiment le pouvoir de prendre part à la vie politique du pays, de participer des décisions et d’éviter le plus souvent le pire d’être voté[4]. Or la Quadrature du Net ne se présente à vous que comme une boîte à outil technique et politique, informant sur les enjeux et donnant les clés à chacun pour qu’il construise son intervention citoyenne. Ce n’est pas plus compliqué qu’un courriel, ou qu’un coup de fil, mais c’est ce quelque chose qui change la donne, alors indignez vous ! D’ailleurs, vous avez entendu parler d’ACTA ?

Notes

[1] Néologisme pour : campaigners

[2] Internet Governance Caucus

[3] L’intégralité des interventions de cette conférence de presse est disponible depuis en vidéo sur le Médiakit de la Quadrature du Net

[4] En terme de lois inapplicables ou se révélant contraire à la constitution par exemple…




Geektionnerd : e-G8

Le e-G8 vient de s’achever et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il a laissé un sentiment mitigé.

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Un manuel sur Thunderbird pondu collégialement en 48h chrono

Thunderbird LogoIl est finalement assez rare de voir des acteurs du logiciel libre préserver la règle théâtrale classique de l’unité de temps, de lieu et d’action.

Ce qui l’est moins, c’est de voir différentes structures (Mozilla Europe, FrenchMozilla, FLOSS Manuals Francophone et Framasoft) mettre leur force en commun pour un noble objectif, en l’occurrence proposer aux utilisateurs francophones de Thunderbird un tutoriel de qualité.

Vous trouverez ci-dessous la reproduction de la page « À propos » que j’ai eu l’honneur de rédiger ainsi que le billet blog de Goofy qui annonce l’évènement.

À propos de ce manuel

Qu’est-ce qui peut bien pousser un Tourangeau, un Niçois, une Francilienne, d’autres Franciliens et même un Romain à se retrouver l’espace d’un week-end à Paris pour y travailler bénévolement sur leur temps libre ?

Un BookSprint bien sûr !

Votre mission si vous l’acceptez : traduire du début à la fin un livre de plus de cent pages en moins de trois jours ! Voilà une tâche qui s’annonçait si ce n’est prométhéenne tout du moins rébarbative.

Sauf s’il s’agit d’un livre sur Thunderbird et qu’en ce temps où nos données personnelles se promènent toujours plus nombreuses sur le Web, il n’est pas inutile de rappeler les intérêts et avantages à utiliser sur son ordinateur cet excellent client de messagerie.

Sauf si l’on s’y met tout ensemble dans la joie et dans la bonne humeur pour apporter nous aussi notre modeste pierre francophone au logiciel libre en général et à ce logiciel libre en particulier.

Un objectif motivant, la perspective d’un convivial travail collaboratif in the real life et la confiance de placer le fruit de nos efforts sous licence libre, il n’en fallait pas plus pour trouver une bonne dizaine de volontaires prêts à relever le défi.

Un défi concrétisé le 19 et 20 mars 2011 à Paris dans les bureaux de Mozilla Europe avec le soutien de FrenchMozilla, Framasoft et FLOSS Manuals Francophone.

Quant à la version originale, vous ne serez pas surpris d’apprendre qu’elle avait été conçue cinq mois plus tôt lors d’un… BookSprint à Toronto !

Un BookSprint en suit un autre, et à en juger par les mines fatiguées mais réjouies des participants, le mouvement n’est pas prêt de s’arrêter…

TradAction Thunderbird - Mars 2011

Votre courrier avec Thunderbird – un manuel en français

URL d’origine du document

Goofy – 9 avril 2011 – FrenchMozilla

Le fruit d’une tra­duc­tion col­la­bo­ra­tive

La ver­sion ori­gi­nale en anglais de ce manuel pour Thun­der­bird a été réa­li­sée pen­dant un books­print à Toronto au Canada à l’occa­sion d’une semaine de l’open source en novem­bre 2010 : pen­dant deux jours, une ving­taine de par­ti­ci­pants y ont con­tri­bué, à l’ins­ti­ga­tion de Mozilla Mes­sa­ging et de FLOSS Manuals.

Pour vous offrir la ver­sion fran­çaise, nous avons aussi joint nos for­ces. Mozilla Europe a pris en charge le finan­ce­ment et l’inten­dance de l’opé­ra­tion et nous a accueillis géné­reu­se­ment dans ses locaux pari­siens (merci Tris­tan et Pas­cal !), Floss manuels fr a fourni la pla­te­forme de tra­duc­tion et sa com­pé­tence atten­tive (merci Élisa), les tra­duc­teurs du milieu du Libre se sont asso­ciés : ceux de french­mo­zilla, ceux de fra­ma­lang venus en force et d’autres encore que l’aven­ture ten­tait pour cette tra­duc­tion « ouverte ».

Mieux que les cré­dits détaillés qui figu­rent dans les der­niè­res pages, c’est un grand merci qu’il faut don­ner à tous ceux qui ont con­sa­cré béné­vo­le­ment du temps libre et de l’éner­gie à cette opé­ra­tion. Le week-end (des 19-20 mars 2011) a été à la fois fié­vreux et détendu, c’était aussi une occa­sion de se ren­con­trer, de man­ger, boire et s’amu­ser ensem­ble… Et les tex­tes du manuel ont été inté­gra­le­ment tra­duits et relus une pre­mière fois en 48 heu­res. Vous le ver­rez, le manuel est aussi riche en illus­tra­tions : les nom­breu­ses cap­tu­res d’écran ont demandé un peu plus de temps, car nous tenions à ce qu’elles mon­trent l’inter­face fran­çaise.

Un manuel des­tiné à tous

Nous pen­sons que ce manuel peut être utile en par­ti­cu­lier à ceux qui décou­vrent Thun­der­bird ou hési­tent encore à l’uti­li­ser. Il les aidera à ins­tal­ler, faire les pre­miers pas et décou­vrir les pos­si­bi­li­tés de l’appli­ca­tion.

Il peut être éga­le­ment une réfé­rence pra­ti­que pour tous les béné­vo­les des forums de Gecko­zone qui assu­rent vaillam­ment l’aide et le sup­port de Thun­der­bird et qui doi­vent sou­vent répé­ter les mêmes répon­ses. Un lien vers tel ou tel cha­pi­tre peut évi­ter de trop lon­gues expli­ca­tions.

Ceux qui uti­li­sent déjà Thun­der­bird et qui ont besoin d’aller plus loin ont l’habi­tude de con­sul­ter la base de con­nais­san­ces de Thun­der­bird (merci Vin­cent qui la main­tient avec brio !). mais ils pour­ront décou­vrir ici, outre quel­ques trucs et astu­ces, les fonc­tion­na­li­tés d’une exten­sion toute récente : il s’agit de « Con­ver­sa­tions », dont Jona­than Prot­zenko, son déve­lop­peur, a fourni le cha­pi­tre-tuto­riel qui n’exis­tait pas encore dans la ver­sion anglaise. C’est un des « plus » non négli­gea­bles de ce manuel !

Pas par­fait mais par­fai­te­ment uti­li­sa­ble et évo­lu­tif

Il est libre et open source. Con­for­mé­ment à l’enga­ge­ment des co-rédac­teurs par­ti­ci­pant à la pla­te­forme Floss­ma­nuals, ce manuel sous copy­right est sous licence GNU GPL : il peut notam­ment être lu et copié libre­ment.

Plus encore, vous pou­vez y con­tri­buer ! Il vous suf­fit de vous enre­gis­trer sur la pla­te­forme de tra­duc­tion et vous pour­rez relire/révi­ser/cor­ri­ger (la chasse aux coquilles est ouverte) mais aussi bien sûr ajou­ter des phra­ses expli­ca­ti­ves voire des cha­pi­tres entiers, com­plé­ter avec de nou­vel­les cap­tu­res d’écran etc.

Nous serons atten­tifs aux déve­lop­pe­ments de Thun­der­bird et nous ferons en sorte de tenir ce guide à jour lors­que de nou­vel­les fonc­tion­na­li­tés de l’appli­ca­tion appa­raî­tront.

Le manuel est à vous !

Liens utiles




Tu ne partageras pas ta carte marine, nous raconte La Pérouse en 1787

Norman B. Leventhal Map Center at the BPL - CC byQuand on n’y connaît rien en informatique, il est difficile de s’émouvoir du discours passionné d’un utilisateur de logiciels libres détaillant avec emphase les quatre libertés garanties par leur licence.

Le libriste pédagogue aura donc souvent recours à des analogies pour éclairer son auditoire, la plus courue étant sûrement celle de la recette de cuisine. Dans ce billet nous nous proposons d’y ajouter l’exemple, ou plutôt le contre-exemple, des cartes marines[1].

Plongeons-nous, c’est le cas de le dire, plusieurs siècles en arrière pour retrouver un observateur sceptique face aux règles mises en place par les grandes compagnies maritimes de l’époque pour protéger la connaissance et en tirer profit face à la concurrence.

En effet, j’ai lu récemment et avec beaucoup de plaisir le « Voyage autour du monde sur l’Astrolabe et la Boussole » du grand navigateur Jean-François de La Pérouse qui mena une campagne d’exploration scientifique du Pacifique de 1785 à 1789.

Ce récit est empreint d’humanisme, d’intelligence et de générosité. Le voyage s’est déroulé sur un bateau en bois et à voiles, du temps où ordinateur, GPS et autres balise Argos n’existaient évidemment pas. Mais, d’un certain point de vue, ces marins avaient un savoir et un savoir-faire supérieurs aux nôtres car ils ne pouvaient avoir recours à ces outils en cas de problèmes.

Dans son journal, La Pérouse note que les capitaines hollandais partant de Batavia vers le Japon devaient prêter serment, à leur compagnie, de ne pas divulguer leurs cartes marines. Ces cartes qui compilaient l’ensemble des informations collectées par les voyageurs précédents, dans ces terres inconnues où le moindre récif pouvait amener le naufrage.

La Pérouse - Gallica - Domaine Public

Extrait du livre issu de Gallica, le service numérique en libre accès de la Bibliothèque Nationale de France.

Pour les compagnies, l’enjeu était de taille : elles vivaient du commerce des produits du Japon. Elles cherchaient à avoir une position exclusive, pour s’assurer des bénéfices maxima. Afin d’empêcher la concurrence, elles privaient les autres marins de leurs avancées cartographiques, et elles interdisaient d’éventuels rivaux par des contrats bilatéraux avec les dirigeants locaux.

Le serment des capitaines n’était pas sans conséquence. Un officier de marine convaincu d’avoir permis la consultation de ses cartes à un tiers aurait été dégradé, privé de commandement, banni de son pays.

Mais une autre conséquence c’est que chaque compagnie devait créer ses propres cartes et malheur à celle qui envoyait ses bateaux dans des zones non encore renseignées chez elle.

Le logiciel libre est issu de l’informatique mais aussi de tous ceux qui, avant lui, se sont battus pour la non appropriation des biens communs.

Notes

[1] Crédit photo : Norman B Leventhal Map center at the BPL (Creative Commons By)