Entretien avec iMaugis, une SSLL proposant des solutions libres (TNI…) pour les écoles

En France, l’équipement en matériel informatique des écoles primaires est très disparate, leur financement étant à la charge des municipalités. Quelques plans ministériels (Informatique pour tous en 1985 et École Numérique Rurale en 2009) ont bien tenté de lancer une certaine dynamique mais on constate que les solutions libres ont bien souvent été oubliées dans ces plans (cf cet article du Framablog) qui ressemblent parfois à un subventionnement indirect aux éditeurs de logiciels propriétaires et aux industriels.

Il existe cependant quelques sociétés dont l’objectif est bien moins le profit que de favoriser l’essor du logiciel libre tout en pérennisant des emplois, comme Ryxeo par exemple qui développe la solution AbulÉdu depuis maintenant de nombreuses années.

Nous avons découvert, lors d’un reportage télévisé sur France 3, une toute jeune SSLL (et bientôt SCIC) ardennaise, iMaugis dont les trois coprésidents ont accepté de répondre à quelques questions.

—> La vidéo au format webm

Entretien avec iMaugis

Framasoft : Pouvez vous vous présenter en quelques mots ?

Fabian Pilard : Coprésident en charge de la représentativité d’iMaugis

Julien Mousseaux : Coprésident en charge de la gestion et du développement, fan de geekeries et de booonnes bières!

Remy Mondi : Coprésident en charge de l’animation

Comment avez vous connu les logiciels libres ?

Fabian : un peu par hasard, je me suis retrouvé service civique dans un GULL il y a 2 ans, n’étant pas informaticien, je me retrouve surtout dans la philosophie du logiciel libre.

Rémy : Par le biais d’un ami. J’ai commencé avec Firefox et OpenOffice puis j’ai franchi le cap en installant Ubuntu par la suite.

Julien : Dans une boutique de presse, un mag vendu avec une Red Hat 6.2 que je n’ai jamais réussi à installer 😀 Puis en 2003 quand l’ADSL est arrivée dans notre coin perdu

iMaugis, qu’est-ce que c’est ?

iMaugis est une société de services en logiciels libres sous forme (bientôt !) de coopérative d’intérêt collectif (SCIC).

C’est également une aventure humaine qui nous permet de travailler dans un domaine qui nous passionne, celui de l’informatique, tout en défendant des valeurs, celles des logiciels libres et de l’économie sociale et solidaire.

Qu’est ce qui différencie une SSLL (Société de Services en Logiciels Libres) comme iMaugis d’une SSII (Société de services en ingénierie informatique) ?

Nos prestations ne s’orientent que sur des technologies libres. Par conviction philosophique et technologique.

On peut aussi parler de la différence de taille concernant le futur statut juridique de la SCIC (Société coopérative d’intérêt collectif) impliquant un mode de gouvernance alternatif mais démocratique.

Racontez-nous la génèse d’iMaugis ?

iMaugis est né d’une réflexion d’une dizaine de membres de l’association ILArd (Informatique Libre en Ardennes) qui, au delà de de la promotion du libre avaient pour volonté de répondre à un besoin sur le territoire, et créer de l’emploi pérenne en Ardenne.

Nous remercions Guillaume (président du GULL Ilard) qui a eu dés le début l’idée d’une structure coopérative.

Et depuis, quel chemin avez-vous parcouru ?

Les choses avancent… (parole de politicien), iMaugis est sur le marché concurrentiel, nous commençons à réaliser des prestations. La création d’une société, peu importe la forme, est toujours difficile, mais nous restons confiants et débordons d’idées !

Nous commençons à avoir une certaine visibilité sur le territoire ardennais

Arrivez-vous déjà à dégager des salaires grâce à ces prestations liées au libre ?

Par le biais de subventions à la création d’activités, nous arrivons à dégager quelques fonds, mais pas de quoi rouler sur l’or pour le moment (ce n’est d’ailleurs pas l’objectif). J’ai toujours une autre activité à côté.

Dans le reportage que France 3 vous a consacré, on vous voit présenter un TBI (Tableau Blanc Interactif) annoncé comme un des moins cher du monde, pourriez-vous nous en dire un peu plus ?

Ah la la, France3, toujours à la recherche du scoop 🙂 , le moins cher du monde, je ne sais pas. Moins cher que les solutions existantes sûrement !

Et pourrait-on avoir un ordre d’idée du prix ?

Moins cher ! en terme de matériel, nous sommes à moins de 1000€ ordinateur libre et projecteur compris, ensuite nous proposons du service ( accompagnement, formation ) autour de cette offre.

Comment pensez-vous pouvoir trouver votre place à côté des multinationales du TBI ?

Nous ne vendons pas la même chose, nous ne sommes pas dans la même logique, je pense que nous sommes complémentaires, nous nous orientons plutôt vers les structures ayant peu de moyens et/ou partageant nos valeurs.

De plus nous avons mis au point une IHM (Interface Homme Machine) qui facilite l’usage d’un ordinateur via un TBI.

Au niveau système d’exploitation, utilisez-vous des distributions éducatives existantes (AbulÉdu, ASRI Éducation …) ou bien vous appuyez-vous sur des distributions plus généralistes ?

Nous en avons testé une demi douzaine et elles sont toutes très complètes, mais nous avons besoin d’un système personnalisé et adapté au TBI. Nous nous appuyons donc sur une distrib’ généraliste pour le moment, mais l’objectif est de créer la nôtre. D’ailleurs nous avons déjà l’interface qui nous semble adaptée pour le TBI et la tablette.

Dans le reportage, on peut également voir que vous vous appuyez notamment sur Sankoré. Quels sont les autres logiciels libres principaux au cœur de votre système ?

Sankoré reste LE logiciel libre pour un usage TBI, mais il y a aussi GCompris bien sûr, Beneyluschool, un ENT libre très intéressant, différents logiciels provenant du Terrier, OOo4Kids, Childsplay, Omnitux, Dicorime, Tuxmaths, Tuxpaint, CaRMetal… et des ressources pédagogiques libres.

Et pour la reconnaissance des caractères, avez-vous trouvé ou développé une solution libre convaincante ?

Non, c’est effectivement un domaine où les différents logiciels libres existants n’ont pas encore atteint le niveau des meilleurs solutions propriétaires.

Sur votre site, un de vos produits est appelé École Numérique Pour Tous. Pouvez nous expliquer en quoi cela consiste précisément ?

École Numérique Pour Tous 2.0 : ENPT car c’est une réponse à école numérique rurale.

  • 2.0 car cela rentre dans l’initiative Ordi 2.0 (Reconditionnement d’ordinateurs pour réduire les coûts d’investissements et contribuer au développement durable).
  • ENPT 2.0 est donc une offre clé en main proposant solution matérielle, logicielle et de services adaptés afin d’équiper les écoles.

Quelles sont les différences entre ENPT et d’autres solutions propriétaires ?

ENPT est un ensemble matériel (TBI, ordis en fond de classe, serveur (fichier, impression, proxy, filtrage)) + logiciel, le tout servi avec une interface adaptée soit pour une utilisation avec un stylet (TBI) soit pour une utilisation par un enfant (grosses icônes facilement cliquables, impossibilité de supprimer ou rajouter des logiciels autrement que par l’administrateur du système, l’élève ne pourra utiliser que ce dont il a réellement besoin).

Le but est de faciliter l’usage des TICE tant pour les enseignants que pour les élèves et de favoriser l’accompagnement et la formation grâce à l’économie réalisée sur les frais de licence ainsi que sur l’utilisation de matériel reconditionné. Les solutions propriétaires sont basées sur du matériel systématiquement neuf (et donc onéreux), pas forcément raccord avec le reste des équipements de l’école (avec le TBI par ex) et ne bénéficient souvent pas de suites logicielles éducatives aussi complètes que celle que nous pouvons intégrer grâce aux logiciels libres. De plus la solution ENPT est beaucoup plus “éthique” et s’inscrit dans une véritable mission de service publique car les élèves seront égaux et pourront réutiliser les logiciels vu en classe chez eux (encore un avantage du logiciel libre).

La reporter de France 3 indique que vous avez des contacts avec l’éducation nationale. Qu’en est-il réellement ?

Oui, depuis le début du projet, nous avons voulu travailler en coopération avec l’éducation nationale. Nous avons donc rencontré l’inspection académique des Ardennes pour leur présenter notre projet et ainsi lancer une démarche de co-construction avec eux afin de répondre au mieux aux attentes des enseignants.

Et quel a été leur accueil au départ ?

Intéressé notamment par l’aspect financier puisque ils savent que c’est LA problématique des collectivités pour l’équipement en NTIC. Les différents conseillers TICE rencontrés ne sont pas contre le logiciel libre même s’ils reconnaissent un lobbying important des multinationales (ils nous ont parlé de fenêtres, pas vraiment compris…) …et de certaines personnes qui ne savent plus se servir de leur machine si l’icône ronde est devenue ovale ! (ça marche aussi avec une carrée devenant rectangulaire !).

Et par la suite ?

En toute logique, nous devrions mettre en place un pilote dans une école de Charleville-Mézières en 2012.




Afin que les applications de nos smartphones n’abusent pas l’utilisateur

Il est aujourd’hui question des logiciels installés dans nos téléphones portables intelligents, on parle alors plutôt des apps de nos smartphones.

Ils sont intelligents parce que ces applications peuvent désormais rendre toutes sortes de services. Sauf que parfois, voire souvent, elles collectent au passage les données personnelles de l’utilisateur sans que ce dernier soit forcément au courant de tels agissements[1].

En effet si l’on savait clairement que telle apps a accès à nos contacts, nos photos ou nos localisations géographiques, informations envoyées on ne sait trop où de manière non sécurisée, on y réfléchirait peut-être à deux fois avant de l’installer d’un simple clic dans notre téléphone[2].

La faute aux utilisateurs non vigilants[3] mais surtout aux développeurs de ces applications qui sont encore loin de tous adopter les quelques recommandations ci-dessous de l’Electronic Frontier Foundation.

Remarque : On notera que Mozilla, avec ses prometteurs et vertueux projets Do Not Track et Boot 2 Gecko, se démarque une fois de plus de ses petits camarades.

Phil Campbell - CC by

Déclaration des droits de la vie privée des utilisateurs de téléphones mobiles

Mobile User Privacy Bill of Rights

Parker Higgins – 2 mars 2012 – EFF.org
(Traduction Framalang/Twitter : kamui57, Pascal, goofy, Ak:kes, Thibo, Sylvain, Céline, Jonathan, Gatitac, Antoine, BlackMouse)

Les applications pour smartphones représentent une technologie puissante qui va devenir de plus en plus importante dans les années à venir. Mais l’avantage incomparable qu’elles apportent à un appareil toujours allumé et connecté présente également des risques pour notre vie privée. Et vu les données sensibles que les utilisateurs stockent désormais dans leurs téléphones (textes, coordonnées, localisations, photos, vidéos…), les responsabilités qui incombent aux fabricants, opérateurs, développeurs d’applications et régies publicitaires mobiles sont de plus en plus importantes pour respecter la vie privée des utilisateurs, afin de gagner et conserver la confiance, plus que jamais importante et nécessaire, de ces derniers.

Heureusement, il existe des recommandations répondant aux besoins et attentes des utilisateurs. Ce guide des bonnes pratiques s’inspire fortement de documents tels que le projet de loi FEP de Droits à la confidentialité pour les utilisateurs de réseaux sociaux ainsi que du livre blanc de la Maison Blanche La confidentialité des données des consommateurs dans un monde connecté pour établir une référence et indiquer aux acteurs de l’industrie mobile ce qu’ils doivent faire afin de mieux respecter la vie privée de l’utilisateur.

Constructeurs ou régies publicitaires ont leur part de responsabilité mais on s’intéressera ici avant tout aux développeurs qui ont les possibilité de devancer ces problèmes.

Une déclaration des droits de l’utilisateur de mobile

Les développeurs doivent créer des applications qui respectent les droits suivants :

  • Contrôle individuel : Les utilisateurs ont le droit d’exercer un contrôle sur les données collectées par les applications et savoir comment elles sont utilisées. Bien qu’il existe un contrôle d’accès au niveau du système d’exploitation des smartphones (iOS, Android…), les développeurs devraient s’appliquer à donner également ce pouvoir aux utilisateurs même lorsque cela n’est pas requis techniquement ou juridiquement par la plateforme. Le droit à un contrôle individuel inclut également la possibilité de revenir sur son consentement et d’effacer ces données des serveurs d’applications. Les fiches techniques de la Maison Blanche le disent explicitement : « les compagnies doivent fournir les moyens d’annuler un accord avec la même facilité qu’on a eu à l’obtenir en installant l’application. Si des consommateurs donnent leur consentement en appuyant sur une simple touche, ils devraient être capables de l’annuler de la même façon. »
  • La collecte de données ciblées : En plus des guides des meilleures pratiques pour les fournisseurs d’accès, les développeurs d’applications doivent se montrer particulièrement prudents lorsqu’il s’agit d’appareils mobiles. Le partage non désiré et à son insu des contacts du carnet d’adresses ou des albums photos ont déjà fait l’objet de vives protestation des utilisateurs. Un autre domaine particulièrement sensible concerne les données et les archives de localisation, ainsi que les contenus et les métadonnées relatives aux appels téléphoniques et aux messages texto. Les développeurs d’applications mobiles ne devraient recueillir que le minimum nécessaire pour fournir le service tout en préservant l’anonymat des renseignements personnels.
  • Transparence : Les utilisateurs ont besoin de connaître les données auxquelles une application accède, combien de temps ces données sont conservées et avec qui elles seront partagées. Les usagers devraient être en mesure d’accéder de manière claire aux politiques de confidentialité et de sécurité, et ce, avant et après l’installation. La transparence est particulièrement critique là où l’utilisateur n’interagit pas directement avec l’application (comme par exemple avec Carrier IQ).
  • Respect du contexte : Les applications qui collectent des données ne devraient les utiliser ou les partager qu’en respectant le contexte dans lequel elles ont été fournies. Par exemple si une application possède une fonction « trouver des amis » qui nécessite l’accès à vos contacts, elle ne doit pas donner ces informations à des tiers ou les utiliser pour envoyer des e-mails à ces contacts. Quand l’application souhaites faire une une utilisation externe de ces données, elle doit impérativement obtenir l’accord explicite de l’utilisateur.
  • Sécurité : Les développeurs sont responsables de la sécurité des données qu’ils collectent et conservent. Elle devraient être chiffrées aussi pour le stockage que lorsqu’elles transitent du téléphone au serveur de l’application.

  • Responsabilité : En fin de compte, tous les acteurs de l’industrie mobile sont responsables du comportement des matériels et des logiciels qu’ils créent et déploient. Les utilisateurs ont le droit d’attendre un comportement responsable de leur part et de leur demande de rendre des comptes.

Bonnes pratiques techniques

Que devraient faire les développeurs pour respecter les points ci-dessus ? Voici quelques pratiques à suivre pour préserver la vie privée des utilisateurs.

  • Anonymisation et dissimulation : Les informations devraient être si possible hachées, dissimulées ou au moins anonymisées.
  • Sécuriser les transmission de données : Les connexions TLS devraient être utilisées par défaut pour transférer toute information personnelle et doivent l’être impérativement pour toute information sensible.
  • Stockage sécurisé des données : Les développeurs doivent conserver les informations uniquement durant le temps nécessaire au fonctionnement de leurs services, et ces informations doivent être correctement chiffrées.
  • Sécurité interne : Les entreprises doivent protéger les utilisateurs non seulement des attaques venues de l’extérieur mais aussi du risque de voir des employés abuser de leur possibilité d’accès aux données sensibles.
  • Test d’intrusion : Souvenez-vous de la loi Schneier qui stipule que « n’importe qui, du plus parfait amateur au meilleur cryptographe, peut créer un algorithme que lui-même ne peut pas casser ». Les systèmes de sécurité devraient être testés de manière indépendante et vérifiés avant qu’ils ne soient compromis.
  • Do Not Track : Il faut encourager l’implémentation et la diffusion des systèmes de type Do Not Track (Ne me suivez pas à mon insu et laissez-moi régler mes préférences de confidentialité). Actuellement cela se limite aux navigateurs Web, et seul le projet Mozilla Boot2Gecko (encore en développement) le prend directement en charge à partir du système d’exploitation.

Ces recommandations constituent une base de référence, et l’ensemble des acteurs (des développeurs d’applications aux fournisseurs d’accès et de services en passant par les régies publicitaires et bien d’autres) devraient tout faire pour les atteindre voire les dépasser. L’écosystème d’applications mobiles s’est développé et a mûri. Les utilisateurs sont en droit d’attendre désormais des politiques et des pratiques sérieuses et responsables. Il est temps de répondre à ces attentes.

Notes

[1] Crédit photo : Phil Campbell (Creative Commons By)

[2] La question, une fois de plus, se pose différemment si ces apps sont sous licence libre car la transparence est alors de mise.

[3] La non vigilance des utilisateurs de smartphones n’implique pas forcément la même imprudence pour leur ordinateur personnel. Il n’est ainsi par rare de rencontrer des libristes faisant très attention à ce qu’il y a dans leur PC mais installant à peu près n’importe quoi sur leur téléphone sous Android.




Geektionnerd : Dépêches Melba IV

Des Dépêches Melba consacrées cette semaine au piratage en France et aux États-Unis.

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Liens connexes :

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Le Raspberry Pi sauvera-t-il le Royaume-Uni ?

Grand succès pour le mini ordinateur sous GNU/Linux Raspberry Pi, officiellement disponible à la vente depuis une semaine pour une trentaine d’euros. Plutôt que nous extasier (à juste titre) sur ses caractéristiques techniques, nous en avions souligné ses potentialités éducatives dans un article précédent.

Mais pour le mettre entre les mains des écoliers il faut bien le produire en masse. ce qui présente, d’après Pete Nelson, une belle opportunité économique pour le pays qui l’a vu naître.

Une traduction qui fait vibrer la fibre patriotique mais qui permet aussi en creux de s’interroger sur la situation française en cette période électorale. Angleterre et France, ces deux vieux pays rois de la Révolution industrielle[1], sauront-ils retrouver leur place dans le domaine du matériel et logiciel informatique ?

La réponse est peut-être une fois de plus à chercher du côté du Libre.

Katherine Johnson - CC by

Pourquoi le Raspberry Pi va sauver le Royaume-Uni

Why the Raspberry Pi will save the UK

Pete Nelson – 6 marc 2012 – Blog perso
(Traduction Framlang : OranginaRouge, ZeHiro, nh2, Lamessen)

Le Royaume-Uni a un riche passé d’ingénierie et d’industrie. La révolution industrielle y a commencé et depuis ce jour nous avons assisté au développement d’une ingénierie fiable, solide et bien pensée.

Malheureusement, durant le dernier quart du 20ième siècle, des décisions ont été prises pour mettre à mal l’assise de notre ingénierie et de nos industries de façon à ce que nous, société de consommation, puissions acheter des produits moins chers auquels nous ferions moins attention. Pour combler le déficit, nous nous sommes appuyés de plus en plus sur la City de Londres et nous l’avons dérégulée afin de s’assurer qu’elle attire les investisseurs du monde entier. Alors que la City générait de l’argent pour le pays, le reste d’entre nous se mettait au travail pour subvenir aux besoins de la nation – quelqu’ils soient – généralement en dépensant de l’argent dans de la nourriture de marque distributeur ou des débits de boissons. Pendant ce temps, ceux qui se démenaient à produire des biens réels perdaient leurs CDI au profit de contrats gérés par des sociétés de service afin que les entreprises puissent embaucher et licencier aussi vite qu’ils le souhaitaient, alors que ces suceurs de sang grattaient un gros pourcentage sur les salaires.

Mais il y a une industrie qui peut changer les choses au Royaume-Uni : le logiciel. Nous avons un solide héritage en matière de matériel informatique et de logiciel dans ce pays mais la beauté du développement logiciel est qu’il peut être réalisé par n’importe qui, à n’importe quel endroit avec un minimum d’investissement. Le coût le plus important est de loin la formation du personnel pour qu’il soit capable de développer un logiciel ; bien qu’il soit très simple d’acquérir les bases, ça reste un métier qui nécessite des connaissances en ingénierie et une expérience pratique.

C’est là que le Raspberry Pi peut nous sauver : il est désormais possible pour le gouvernement de fournir à moindre coût et à chaque enfant de ce pays une machine qu’il pourra emporter chez lui et avec laquelle il pourra jouer. En outre, si le gouvernement tient sa promesse d’arrêter de donner des cours sur l’utilisation de Microsoft Word et commence à enseigner des sujets dignes de ce nom, nous aurons bientôt une génération de travailleurs hautement qualifiés à portée de main, prêts à exporter des produits dans le monde.

La programmation n’est pas faite pour tout le monde, bien entendu, mais le développement d’un logiciel ne se résume pas à de la programmation, il y est aussi une question de conception , d’idées, de raisonnements et d’organisation. Nous avons déjà de super entreprises de design, de jeux, de développement web et logiciel dans ce pays (bien que minoritaires) – si les représentants de ces industries pouvaient aller dans cette direction et développer massivement ces industries au point de venir concurrencer les leaders américains alors nous serions sur la bonne voie.

C’est génial d’entendre que Nissan a créé de nouveaux emplois dans le pays mais je crois qu’il est nécessaire de commencer à s’éloigner de ces industries antiques et de créer une main d’œuvre locale, décentralisée et hautement qualifiée composée de créateurs, dans l’objectif d’exporter à nouveau.

Et nous devons commencer à donner à l’industrie du logiciel le respect qu’elle connaît aux États-Unis. Au moment où je vous écris, le Raspberry Pi se vend à 700 unités par seconde et cela me redonne confiance en ce monde – qu’une initiative à but non lucratif et une conception désintéréssée puisse avoir autant de succès. Et j’aime qu’il soit basé sur une autre technologie de Cambridge qui a changé le monde (et qui a confirmé que nous, britanniques, pouvons encore produire des choses) : la puce ARM.

Notes

[1] Crédit photo : Katherine Johnson (Creative Commons By)




Pourquoi les écoles devraient utiliser le logiciel libre et l’enseigner (R. Stallman)

Petite mise en lumière d’un article du site de Free Software Foundation de Richard Stallman.

Quand on regarde ce qui a été fait dans ce domaine à l’Éducation nationale française ces cinq dernières années (à savoir pas grand chose), on se dit qu’il y a encore du pain sur la planche…

On notera que l’on n’oppose pas outils et savoirs informatiques et que dans les deux cas le logicel libre est plus que pertinent[1].

Liz Poage - CC by

Pourquoi les établissements d’enseignement devraient utiliser le logiciel libre et l’enseigner

URL d’origine du document

Free Software Foundation – licence Creative Commons By-Nd
Version du 2 février 2012 – Traduction : Pierrick L’Ébraly

Les écoles devraient apprendre à leurs élèves à devenir les citoyens d’une société forte, compétente, indépendante et libre.

Ce sont les raisons principales pour lesquelles universités et écoles de tous niveaux devraient n’utiliser que du logiciel libre.

Partage

Les établissements scolaires doivent enseigner les valeurs du partage en montrant l’exemple. Le logiciel libre aide l’éducation, en permettant le partage des savoirs et des outils :

  • Savoirs. Beaucoup de jeunes élèves ont un don pour la programmation, ils sont fascinés par les ordinateurs et enthousiastes à l’idée d’apprendre comment leurs systèmes marchent. Avec des logiciels privateurs[2], cette information est un secret, donc les enseignants ne peuvent d’aucune façon les rendre accessibles à leurs élèves. Mais s’il s’agit de logiciel libre, le professeur peut expliquer les bases, et leur donner le code source pour qu’ils le lisent et apprennent.
  • Outils. Les professeurs peuvent fournir à leurs élèves des copies des programmes qu’ils utilisent en classe, pour qu’ils puissent les utiliser chez eux. Avec le logiciel libre, la copie est non seulement autorisée, mais encouragée.

Responsabilité sociale

  • L’informatique est devenue une partie essentielle du quotidien. La technologie numérique transforme notre société très rapidement, et les écoles ont une influence sur le futur de la société. Leur mission est de préparer les élèves à jouer leur rôle dans une société numérique libre en leur enseignant les savoir-faire qui leur permettront de prendre facilement le contrôle de leurs propres vies. Le logiciel ne doit pas être aux mains d’un développeur qui prenne des décisions unilatérales que personne d’autre ne puisse modifier. Les établissements d’enseignement ne doivent pas permettre aux entreprises du logiciel privateur d’imposer leur puissance sur le reste de la société et sur son futur.

Indépendance

Les écoles ont une responsabilité éthique : elles doivent enseigner la force, pas la dépendance vis-à-vis d’un seul produit ou de telle ou telle puissante entreprise. De plus, en choisissant d’utiliser le logiciel libre, l’école elle-même gagne en indépendance vis-à-vis de tout intérêt commercial et évite l’enfermement par un fournisseur.

  • Les entreprises du logiciel privateur utilisent écoles et universités comme tremplin pour atteindre les utilisateurs et de là imposer leurs logiciels à la société dans son ensemble. Elles proposent des réductions, voire des copies gratuites de leurs logiciels privateurs aux établissements d’enseignement, de manière que les étudiants apprennent à les utiliser et en deviennent dépendants. Une fois que les étudiants auront leur diplôme, ni eux, ni leurs futurs employeurs ne se verront offrir de copies au rabais. Fondamentalement, ces entreprises font des écoles et des universités des démarcheurs pour amener les gens à une dépendance permanente à vie.
  • Les licences libres n’expirent pas, ce qui veut dire qu’une fois que le logiciel libre est adopté, les établissements conservent leur indépendance vis-à-vis du vendeur. De plus, les licences libres donnent aux utilisateurs le droit, non seulement d’utiliser les logiciels comme ils le souhaitent, de les copier et de les distribuer, mais aussi de les modifier pour les faire répondre à leurs propres besoins. Ainsi, si une institution décide de mettre en œuvre une fonction spécifique dans un logiciel, elle peut demander ce service à n’importe quel développeur, sans avoir à passer par le distributeur initial.

Apprendre

Quand ils choisissent où ils étudieront, de plus en plus d’élèves prennent en compte le fait pour une université d’enseigner ou non l’informatique et le développement logiciel en utilisant le logiciel libre. Le logiciel libre signifie que les élèves sont libres d’étudier la façon dont fonctionnent les programmes, et d’apprendre à les adapter à leurs propres besoins. S’instruire au sujet du logiciel libre aide aussi dans l’étude de la pratique professionnelle et de l’éthique du développement logiciel.

Économies

C’est un avantage évident qui attirera tout de suite de nombreux administrateurs, mais c’est un bénéfice marginal. Le plus important, c’est qu’en étant autorisé à distribuer des copies du programme à faible coût ou gratuitement, les écoles peuvent en fait aider les familles ayant des difficultés financières, promouvant ainsi l’équité et l’égalité d’accès au savoir parmi les élèves.

Qualité

Des solutions libres stables, sûres et facilement installées sont disponibles pour l’éducation dès à présent. De toute façon, l’excellence des performances n’est qu’un bénéfice secondaire, le but ultime étant la liberté pour les usagers de l’informatique.

Notes

[1] Crédit photo : Liz Poage (Creative Commons By)

[2] Autre traduction de proprietary : propriétaire.




Première Copy Party le 7 mars à La Roche-Sur-Yon !

CopyPartyMais que se passera-t-il donc le mercredi 7 mars prochain à la Bibliothèque Universitaire de La Roche-Sur-Yon ?

Ce sera tout simplement la première « Fête à la Copie » !

Rien que le titre on dirait une provocation dans le climat (peu serein) actuel mais en fait pas du tout !

En effet, point de contestation sévère et illicite mais une action conviviale, pédagogique, et 100% légale, pour sensibiliser le public aux problématiques complexes que sont, entre autres, la copie privée, le droit d’auteur, le partage des oeuvres, le libre accès, ainsi que le rôle actuel et futur des bibliothèques.

La législation a tendance à se crisper actuellement face aux nouveaux usages permis par les réseaux. Mais elle a ses petites failles dans lesquelles se sont joyeusement engouffrés une bande de joyeux mais sérieux drilles qui ont bien voulu répondre à quelques questions.

Merci de relayer l’info si, comme nous, vous trouvez l’évènement original et pertinent, car son succès dépend autant de l’affluence le jour J que de l’intérêt médiatique qu’il aura pu susciter.

Interview #CopyParty pour le Framablog

Framasoft : Bonjour, pouvez-vous vous présenter succinctement ?

Lionel Maurel. Conservateur des bibliothèques et juriste. Bibliothèque nationale de France. Auteur du blog S.I.lex, sous le nom de Calimaq

Olivier Ertzscheid. Maître de conférences en sciences de l’information à l’IUT de La Roche sur Yon (université de Nantes) et auteur du blog Affordance.info.

Silvère Mercier, auteur de Bibliobsession, le blog de Silvae, bibliothécaire engagé pour les libertés numériques et la libre dissémination des savoirs.

Bon, alors c’est quoi cette « Copy Party » exactement ?

LM : La Copy Party, c’est une manifestation qui va avoir lieu le 7 mars prochain, à la Bibliothèque Universitaire de la Roche Sur Yon, et au cours de laquelle les lecteurs seront invités à copier, avec leur propre matériel (scanners, ordinateurs portables, appareils photos, smartphones, etc) des documents issus des collections de l’établissement. Ce sera l’occasion de sensibiliser les participants à la problématique du droit d’auteur à l’heure du numérique et de réfléchir aux enjeux de la circulation et du partage des savoirs. D’un point de vue juridique, la Copy Party s’inscrit complètement dans un cadre légal, car elle s’appuie sur l’exception de copie privée, telle qu’elle a été modifiée à la fin de l’année dernière.

D’où est venue cette idée un peu folle ?

LM : A l’occasion de formations sur la propriété intellectuelle données à des bibliothécaires, des questions revenaient souvent de la part de collègues, à propos de l’utilisation par des lecteurs de moyens de copie personnels, comme des appareils photos ou des portables. Jusqu’à présent, il était difficile de donner une réponse certaine, car il existait une « zone grise », en raison du débat non tranché sur la « licéité de la source » dans les conditions de la copie privée. Avec la réforme du 20 décembre 2011, le législateur a explicitement indiqué que la source des reproductions devait être licite pour pouvoir bénéficier de la copie privée. Or le fait d’accéder à des documents documents en bibliothèques constitue une telle source licite (avec des nuances selon les types de documents, mais dans la très grande majorité des cas). D’un point de vue général, l’ajout de la condition de licéité de la source fragilise le régime de la copie privée, en obligeant l’utilisateur à déterminer s’il accède légalement ou non à un contenu. La Quadrature du Net a vivement critiqué cette réforme, en déplorant le fait que l’on fasse peser cette charge sur les utilisateurs, surtout dans le contexte des contenus en ligne, où le diagnostic juridique peut être très difficile à effectuer. Je partage tout à fait cette analyse et il est certain que l’ajout de cette condition de « source licite » a fermé des portes pour l’avenir. Mais je me suis rendu compte qu’il y avait peut-être une chance de donner à cette loi un sens que ses instigateurs n’avaient pas prévu et de retourner la restriction en de nouvelles possibilités. J’ai donc écrit un billet pour montrer les conséquences de la licéité de la source sur les usagers de bibliothèques.

A l’occasion d’une discussion avec d’autres bibliothécaires, à laquelle participait Silvère Mercier, l’idée est venue que cette extension des facultés de copie des usagers de bibliothèque pouvait aussi donner lieu à des évènements où des documents seraient mis à disposition des lecteurs afin qu’ils les reproduisent avec leur propre matériel. Le nom « Copy Party » a été lâché par quelqu’un et nous avons tout de suite compris que nous tenions un concept ! Silvère a développé l’idée de la Copy Party dans un billet sur son blog Bibliobsession, qui a attiré l’attention d’Olivier Ertzscheid. Finalement, la Bibliothèque Universitaire de La Roche Sur Yon, où enseigne Olivier, s’est laissée convaincre d’organiser un tel évènement. La suite, nous la connaîtrons après le 7 mars !

Est-ce vraiment une « première mondiale » ?

LM : Des manifestations ont déjà eu lieu, qui portaient le nom de « Copy Party ». La première s’est déroulée à Berlin en 1984, dans le cadre de ce qui allait devenir le Chaos Computer Club. Ce type d’évènements s’est ensuite multiplié au cours des années 80, au point de faire partie de la « Culture Hacker ». Dans notre cas, nous n’incitons pas à réaliser des copies illicites ou à « cracker » des protections. Il ne s’agit pas d’un appel à la désobéissance civile. La Copy Party de la Roche Sur Yon respecte le cadre légal de la copie privée. Mais il y a peut-être quand même une forme de « hacking » de la loi, lorsqu’on en propose une lecture qui n’avait sans doute pas été prévue par ses auteurs !

Pour revenir à la question, c’est en tout cas la première fois qu’un évènement de ce genre aura lieu dans une bibliothèque en France. Mais peut-être pas la dernière !

Quels messages souhaitez-vous par là-même faire passer ?

LM : La première intention est de sensibiliser les participants aux questions liées au droit d’auteur et à la diffusion des savoirs, en prenant cette manifestation comme un cas pratique. Nous allons en effet rapidement nous rendre compte que même en accédant à des « sources légales », bénéficier de la copie privée reste une chose compliquée. En effet, les règles sont susceptibles de changer selon les types de documents (livres, CD, DVD, jeux vidéo, logiciels, bases de donnée, etc). Il est aussi possible que nous nous heurtions à des DRM, qui empêcheront la reproduction. Il y a aussi la question de l’usage que l’on peut faire des copies réalisées dans ce cadre, qui reste très restrictif (elles doivent être « réservées à l’usage du copiste et non destinées à une utilisation collective »). Ces difficultés vont certainement nous amener « en creux » à réfléchir sur les justifications de ces restrictions à l’accès au savoir, dans le cadre d’une bibliothèque.

Plus largement, l’acte de copie devient de plus en plus problématique, parce que la propriété intellectuelle, ébranlée par l’environnement numérique, ne parvient pas à retrouver ses assises, malgré le durcissement continu du système. Le simple fait que cette Copy Party fasse autant parler d’elle est symptomatique. Alors même que nous allons au fond seulement rester dans le cadre d’une exception prévue par la loi, la Copy Party sent la poudre, comme si toute copie était assimilable à un acte de piraterie ! Ce n’est pas vrai et nous allons le prouver.

Quelles retombées en attendez-vous ?

LM : La Copy Party pourrait être l’occasion d’engager un débat sur la place des bibliothèques dans la société actuelle et leur rôle dans l’environnement numérique. Il faut savoir en effet que les bibliothèques ont de plus en plus de mal à remplir leurs missions dans l’environnement numérique. Dans l’environnement analogique, des mécanismes ont été mis en place par la loi dans les années 1990/2000 pour faciliter certains types d’usage des oeuvres en bibliothèque. C’est le cas par exemple de la loi sur la reprographie ou de celle sur le droit de prêt des livres. Mais ces textes ne s’appliquent pas à l’environnement numérique, ce qui fait qu’utiliser un scanner dans une bibliothèque constitue un véritable casse-tête ou que le prêt de livres numériques n’arrive pas à se mettre en place dans de bonnes conditions. Des exceptions ont bien été votées dans les lois DADVSI et Hadopi en faveur des bibliothèques, mais elles sont très restrictives, voire presqu’inapplicables, notamment parce qu’elles ne permettent pas de mettre des contenus en ligne. La condition juridique des bibliothèques est à repenser, si l’on ne veut pas qu’elles soient tenues à l’écart de la révolution numérique.

L’autre question sous-jacente à la Copy Party est celle des pratiques de partage dans un cadre non marchand. Dans le cadre de la copie privée, il n’est pas possible de « partager » les contenus. Mais nombreux sont ceux qui ont fait un lien entre la licence légale qui a été instaurée pour le prêt en bibliothèque et les propositions de licence globale (ou contribution créative) qui sont avancées comme alternative à la répression du partage en ligne. Il me semble que cette comparaison est pertinente, car la bibliothèque du 21ème siècle, c’est le web tout entier, et une solution est nécessaire pour reconnaître la légitimité de l’accès au savoir et du partage de la culture. La Copy Party ne constitue bien entendu pas une telle solution, mais si elle peut attirer l’attention sur ses enjeux, ce sera déjà bien.

Le fonds de la bibliothèque universitaire est-il riche et multimédia ?

OE : C’est un fonds documentaire typique d’une bibliothèque universitaire (BU). Donc on ne pourra pas nécessairement copier beaucoup de musique ou de DVDs 😉 Mais la particularité de la BU de La Roche sur Yon est qu’elle n’accueille pas uniquement des étudiants et des chercheurs mais est ouverte à l’ensemble des habitants de la ville. Tout le monde devrait donc pouvoir y trouver des documents à copier en fonction de ses centres d’intérêt.

Ici on a donc l’aval et la complicité de la bibliothèque de La Roche-sur-Yon mais imaginez que vous fassiez des émules dans d’autres bibliothèques, ne craignez-vous pas de semer un certain « désordre » ?

LM : C’est un peu paradoxal de parler de désordre, alors que la Copy Party n’est qu’une conséquence de la réforme de la loi sur la copie privée. D’ailleurs, il n’est pas besoin qu’une Copy Party soit organisée pour que les usagers des bibliothèques puissent réaliser des reproductions sur le fondement de la copie privée à partir d’oeuvres empruntées ou consultées sur place. C’est une chose qu’ils peuvent faire au jour le jour et que les établissements ne peuvent pas empêcher. Même s’ils ne souhaitent pas organiser de Copy Parties (ce qui est leur droit le plus entier), il faudra bien qu’ils accèdent aux demandes de leurs usagers et qu’ils accompagnent ces nouvelles pratiques. Je dirais d’ailleurs que cette capacité des usagers à copier avec leur propre matériel devrait plutôt être considérée comme une chance pour les bibliothèques. On constate en effet avec l’évolution technologique que les usagers viennent de plus en plus dans les bibliothèques avec leurs propres équipements (ordinateurs portables, appareils photos, téléphones portables, etc). D’une certaine manière, les bibliothèques ont toujours été des lieux où l’on accomplit en public des activités « privées » (la lecture, l’étude, etc). La nouvelle loi sur la copie privée permet d’accompagner ces nouveaux usages.

Il y aura peut-être cependant à un moment une réaction des titulaires de droits face à ces nouvelles facultés de copie et de circulation des oeuvres, mais les industries culturelles se sont réjouies de l’insertion de cette condition de « licéité de la source ». Il faut à présent en accepter les conséquences. Par ailleurs, rappelons que la copie privée fait l’objet d’une rémunération, dont les individus s’acquittent lors de l’achat de supports vierges et de matériels de copie. C’est aussi vrai des usagers dans les bibliothèques !

Pourrait-on en organiser dans d’autres pays ou est-ce trop lié à la législation nationale ?

LM : Il faut impérativement aller voir le droit de chaque pays pour savoir si l’on peut y organiser des Copy Parties. En Angleterre par exemple, la copie privée n’existe tout simplement pas en général. Certains pays, comme le Canada par exemple, ont mis en place des exceptions spécialement conçues pour que les bibliothèques puissent remettre des copies d’oeuvres (notamment d’articles de revues) à leurs usagers. Le point majeur à surveiller est celui de la licéité de la source, qui modifie sensiblement le périmètre de la copie privée.

Hadopi, Sopa, Acta, etc. ça vous parle quant à l’évènement ?

LM : Hadopi, cela me parle particulièrement oui, car on oublie souvent que « la négligence caractérisée dans la sécurisation de la connexion », qui est le pivot du système Hadopi, s’applique également aux accès publics à Internet et pas seulement aux individus. Cela signifie qu’une bibliothèque, mais aussi une université, un hôpital, un aéroport et même un parc public pourraient recevoir des avertissements et pourquoi pas, se voir couper leur accès à Internet en cas de récidive. Les bibliothèques, que ce soient au niveau français ou international, se sont aussi mobilisées contre l’accord ACTA, au nom de la défense de valeurs comme la liberté d’expression ou l’accès à la connaissance.

Cette litanie de textes répressifs, de plus en plus violents, empêchent qu’un vrai débat soit conduit sur le rééquilibrage entre les droits des créateurs et ceux du public. Les bibliothèques en font très directement les frais, au quotidien, dans l’accomplissement de leurs missions.

La Copy Party sera suivie d’un débat avec les participants qui sera l’accasion de poser ces questions.

Comment peut-on vous aider si on n’a pas la chance de pouvoir s’y rendre ?

LM : Vous pouvez relayer l’information pour donner un maximum d’impact à cet évènement, et il sera également possible de suivre et de participer à distance sur Twitter, grâce au hashtag #CopyParty.

Mais le meilleur moyen de faire avancer les choses, cela reste de sensibiliser à tous les niveaux sur ces questions liées au droit d’auteur et à la propriété intellectuelle, et en particulier les décideurs.

En elle-même, la Copy Party ne peut être qu’un aiguillon. Elle ne change pas fondamentalement le système.

Ce qu’il faut espérer, c’est qu’un jour, la reproduction ne se fasse plus sur la base d’une simple exception étriquée (comme la copie privée), mais qu’elle soit consacrée comme un véritable droit de l’individu, reconnu avec une force égale au droit d’auteur.

—> Copy Party

Pour aller plus loin nous vous suggérons la lecture de ces deux billets issus du blog S.I.lex de Calimaq : Copy Party : prendre au mot la loi sur la copie privée et interroger les pratiques en bibliothèque et Le cadre juridique de la Copy Party en dix questions.




L’Open Data fort bien résumé en moins de 2 minutes

Mis en ligne en décembre dernier, initié par LiberTIC, soutenu par Nantes Métropole et réalisé par A2B Production, le clip L’Open Data à la Loupe mérite mieux que ces 7132 vues actuelles sur YouTube.

Il est en effet fort bien réalisé et permet à tout un chacun d’appréhender immédiatement ce qu’est l’Open Data (qui demeure encore malheureusement affaire de spécialistes).

Et cerise sur le gâteau, il est sous Licence Art Libre 🙂

—> La vidéo au format webm

Faites passer…




« Le logiciel libre peut redonner sens à nos vies » Bernard Stiegler

Le philosophe Bernard Stiegler fait l’objet d’un tag dédié sur le Framablog.

En découvrant le titre de l’article qui lui était consacré dans le journal belge Le Soir du 30 novembre dernier, on comprend bien pourquoi 🙂

Remarque : Demain 3 mars à 14h au Théâtre de La Colline aura lieu une rencontre Ars Industrialis autour du récent ouvrage L’école, le numérique et la société qui vient co-signé entre autres par Bernard Stiegler.

Bernard Stiegler - Le Soir

« Le logiciel libre peut redonner sens à nos vies »

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Quentin Noirfalisse – 30 novembre 2011 – Le Soir

Bernard Stiegler, un philosophe en lutte. Dans sa ligne de mire : un capitalisme addictif qui aspire le sens de nos existences. Son remède : une économie de la contribution.

Ce n’est plus un secret pour personne : le capitalisme est en train d’être dévoré par ses propres effets toxiques. En 2005, parmi d’autres voix peu écoutées alors, une association française, Ars Industrialis, lancée par quatre philosophes et une juriste, avait sonné le tocsin. A l’époque, leur manifeste décrivait les dangers d’un capitalisme « autodestructeur » et la soumission totale aux « impératifs de l’économie de marché et des retours sur investissements les plus rapides possibles des entreprises » et notamment celles actives dans les médias, la culture ou les télécommunications.

Aujourd’hui, l’association comporte plus de 500 membres, économistes, philosophes, informaticiens et toxicologues (car le capitalisme est devenu « addictif » et « pulsionnel ») confondus et ne semble pas s’être trompée de sonnette d’alarme. « Nous faisons partie des gens qui ont soulevé, dès 2006, l’insolvabilité chronique du système financier américain. On nous riait au nez, à l’époque », explique le philosophe Bernard Stiegler, fondateur d’Ars Industrialis et directeur de l’Institut de recherche et d’innovation du Centre Pompidou.

L’homme habite un petit moulin industriel reconverti en maison à Epineuil-le-Fleuriel, au beau milieu de la France paysanne. Entre quelques cris de paons, il vient de nous détailler le malaise qui s’empare de tous les échelons de la société.

Le règne de l’incurie

« Au 20e siècle, un nouveau modèle s’est substitué au capitalisme industriel et productiviste du 19e : le consumérisme, qu’on assimile au fordisme et qui a cimenté l’opposition entre producteur et consommateur. Le capitalisme productiviste supposait la prolétarisation des ouvriers. Ceux-ci perdaient tout leur savoir-faire qui était transféré aux machines. Avec le consumérisme, ce sont les consommateurs qui perdent leur savoir-vivre, ce qui constitue la deuxième phase de la prolétarisation. »

Chez Stiegler, le savoir-vivre, c’est ce qui permet à un homme de pouvoir développer ses propres pratiques sociales, d’avoir un style de vie particulier, une existence qui n’est pas identique à celle de son voisin. « Le problème du capitalisme, c’est qu’il détruit nos existences. Le marketing nous impose nos modes de vie et de pensée. Et cette perte de savoir-faire et de savoir-vivre devient généralisée. Beaucoup d’ingénieurs n’ont plus que des compétences et de moins en moins de connaissances. On peut donc leur faire faire n’importe quoi, c’est très pratique, mais ça peut aussi produire Fukushima. L’exemple ultime de cette prolétarisation totale, c’est Alan Greenspan, l’ancien patron de la Banque fédérale américaine, qui a dit, devant le Congrès américain qu’il ne pouvait pas anticiper la crise financière parce que le système lui avait totalement échappé. »

Que la justification de Greenspan soit sincère ou non, il n’en ressort pas moins que le système ultralibéral qu’il a sans cesse promu a engendré la domination de la spéculation à rendement immédiat sur l’investissement à long terme. Nous assistons, déplore Stiegler, au règne d’une « économie de l’incurie » dont les acteurs sont frappés d’un syndrome de « déresponsabilisation » couplé à une démotivation rampante.

Où se situe la solution ? Pour Stiegler, l’heure est venue de passer du capitalisme consumériste à un nouveau modèle industriel : l’économie de la contribution. En 1987, le philosophe organisait une exposition au Centre Pompidou, « Les mémoires du futur », où il montra que « le 21e siècle serait une bibliothèque où les individus seraient mis en réseaux, avec de nouvelles compétences données par des appareils alors inaccessibles. »

Depuis, Stiegler a chapeauté la réalisation de logiciels et réfléchit le numérique, convaincu qu’il est, en tant que nouvelle forme d’écriture, un vecteur essentiel de la pensée et de la connaissance. Il a observé de près le mouvement du logiciel libre[1]. C’est de là qu’aurait en partie germé l’idée d’une économie de la contribution. Car dans le « libre », l’argent n’est plus le moteur principal. Il cède la place à la motivation et à la passion, deux valeurs en chute libre dans le modèle consumériste. La question du sens donné aux projets par leurs participants y occupe une place centrale.

« Le logiciel libre est en train de gagner la guerre du logiciel, affirme la Commission européenne. Mais pourquoi ça marche ? Parce que c’est un modèle industriel – écrire du code, c’est éminemment industriel – déprolétarisant. Les processus de travail à l’intérieur du libre permettent de reconstituer ce que j’appelle de l’individuation, c’est-à-dire la capacité à se transformer par soi-même, à se remettre en question, à être responsable de ce que l’on fait et à échanger avec les autres. Cela fait longtemps, par exemple, que les hackers[2] s’approprient les objets techniques selon des normes qui ne sont pas celles prescrites par le marketing. »

De la même manière, une « infrastructure contributive » se développe, depuis deux décennies, sur un internet qui « repose entièrement sur la participation de ses utilisateurs ». Elle a permis, entre autres, d’accoucher de Wikipédia et de substituer à la dualité consommateur-producteur un ensemble de contributeurs actifs. Ceux-ci créent et échangent leurs savoirs sur le réseau, développant ainsi des « milieux associés » où ils peuvent façonner leurs propres jugements. Pour Stiegler, cette capacité à penser par soi-même propre au modèle contributif, est constitutive d’un meilleur fonctionnement démocratique.

Poison et remède

Pas question, toutefois, de tomber dans un angélisme pontifiant. Dans ses textes, il décrit le numérique comme un « pharmakon », terme grec qui désigne à la fois un poison et un remède, « dont il faut prendre soin ». Objectif : « lutter contre un usage de ces réseaux au service d’un hyperconsumérisme plus toxique que jamais », peut-on lire dans le Manifeste d’Ars Industrialis. Stiegler complète, en face-à-face : « Le numérique peut également aboutir à une société policière. Soit on va vers un développement pareil, soit vers l’économie de la contribution. »

D’ores et déjà, des embryons de ce modèle naissent dans d’autres domaines. « Une agriculture contributive existe déjà. L’agriculteur et ses consommateurs deviennent des partenaires, en s’appuyant notamment sur le web. » En France, cela se fait au travers des AMAP, les Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne, où les différents acteurs se mettent d’accord sur la quantité et la diversité des denrées à produire. « Dans l’univers médical, poursuit Stiegler, les patients sont parfois intégrés à la recherche, comme ce qu’a fait le professeur Montagnier avec les malades du sida. Nous pensons également qu’il y a des domaines contributifs en énergie, où l’idée serait de produire autant que l’on reçoit, grâce aux réseaux de distribution intelligents, les smart grids. C’est bien sûr totalement contraire aux intérêts des grands groupes. »

Ainsi, l’idée d’une économie de la contribution implique que des pans entiers de nos sociétés sont à réinventer. Stiegler énumère certains besoins : « une politique éducative en relation avec le numérique, un nouveau droit du travail, un système politique déprofessionnalisé, un monde de la recherche où professionnels et amateurs sont associés. Nous plaidons beaucoup pour cette figure de l’amateur, qui aime ce qu’il fait et s’y investit complètement. » Reste, finalement, la question de l’argent. La valeur produite par les contributeurs n’est pas toujours monétisable, mais peut avoir un impact sur l’activité économique. Ainsi, les articles de Wikipédia permettent à Bernard Stiegler d’écrire beaucoup plus vite qu’avant. « La puissance publique doit être en charge d’assurer la solvabilité des contributeurs. Quelqu’un qui a un projet intéressant doit pouvoir recevoir de l’argent. Cela s’inscrit dans le sillage de thèses classiques comme le revenu minimum d’existence, à ceci près que nous pensons que ces budgets doivent être pensés comme des investissements. »

Reproduire de l’investissement, non seulement financier, mais surtout humain. Aux yeux de Stiegler, voilà l’enjeu d’une sortie de crise. Et voilà, aussi, pourquoi il appelle à la réunion des hackers, des universités, des chercheurs, des amateurs et des gens de bonne volonté (« il y en a partout ») face à un « néolibéralisme devenu l’organisation généralisée du désinvestissement ».

www.arsindustrialis.org

Interview de Bernard Stiegler

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Entretien : Quentin Noirfalisse – Vidéo: Adrien Kaempf et Maximilien Charlier
Geek PoliticsDancing Dog Productions

—> La vidéo au format webm

Notes

[1] Selon la définition consacrée, un logiciel est libre lorsque les utilisateurs ont le droit « d’exécuter, de copier, de distribuer, d’étudier, de modifier et d’améliorer le logiciel ». Quelques exemples, parmi les plus connus : Firefox, OpenOffice ou le système d’exploitation Ubuntu.

[2] Le hacker, grand artisan de l’internet tel qu’on le connaît, n’est pas un pirate informatique, mais plutôt un « détourneur », qui va utiliser des systèmes ou des objets (technologiques ou non) dans un but que leurs créateurs n’imaginaient pas.