Du choix risqué du logiciel propriétaire et étranger pour sa défense nationale

Army.mil - CC byLe blog de Libération, animé par le spécialiste maison des questions militaires Jean-Dominique Merchet, nous informe aujourd’hui que nos armées ont été attaquées par un virus informatique.

En effet la Marine nationale, ayant son réseau sous Windows, a récemment été infectée par le ver informatique Conflicker (qui exploite une faille du serveur de ce système d’exploitation), jusqu’à, semble-t-il, empêcher certains avions Rafales de décoller[1].

Sachant que Microsoft avait identifié le problème et averti dès le mois d’octobre ses clients de la nécessité d’effectuer des mises à jour pour s’en prémunir, Jean-Dominique Merchet a raison de pointer là l’inquiétante négligence des services informatiques du Ministère.

Par contre il est passé complètement à côté de la question bien plus fondamentale de confier son informatique à un éditeur étranger de logiciels propriétaires. Qui plus est quand il s’agit de Windows dont on connait les problèmes de sécurité, qui plus est quand on travaille dans le domaine hautement sensible de la Défense nationale.

Heureusement certains commentaires sous son billet ne se sont pas privés de le lui rappeler, commentaires qui se trouvent être comme synthétisés par cette intervention lue sur LinuxFr et que je me suis permis de recopier ci-dessous :

Un ver s’attaque à la Marine française

URL d’origine

Patrick_g – 5 février 2009 – LinuxFr (Journal)

Conficker est le nom d’un ver qui infecte les machines sous Microsoft Windows. Il s’attaque au processus SVCHOST.EXE et il permet d’exécuter du code à distance. Un truc sérieux donc mais, hélas, pas inhabituel dans le monde merveilleux de Windows.

Ce qui est plus inhabituel en revanche c’est qu’il semble que ce ver ait réussi a se propager au sein du réseau informatique de la Marine Nationale (Intramar). L’isolation du réseau a été décidée mais elle a été trop tardive et des ordinateurs de la base aérienne de Villacoublay et du 8ème régiment de transmissions ont été infectés par la bestiole.

Sur ce lien on peut même lire que le 15 et le 16 janvier les chasseurs Rafale de la Marine Nationale qui devaient exécuter une mission n’ont pas pu décoller car ils étaient dans l’incapacité de télécharger les données de leur vol !

A priori Microsoft n’est pas coupable de négligence car un correctif pour la faille de SVCHOST.EXE avait été mis à disposition le 23 octobre 2008. Cette infection est donc entièrement la faute des administrateurs du réseau Intramar qui n’ont pas appliqué les correctifs et qui ont donc indirectement provoqué un gros "couac" dans la capacité de défense du pays.

Les questions qui se posent à la suite de cet épisode sont bien entendu les suivantes :

  • Comment est-il possible qu’une fonction aussi critique que le réseau informatique de la Marine nationale dépende d’un système d’exploitation propriétaire fourni par une firme étrangère ?
  • Comment est-il possible de choisir un système d’exploitation à la réputation sécuritaire plus que douteuse et dont il est impossible de relire le code source pour le vérifier ou l’améliorer ?
  • Comment les administrateurs d’un réseau militaire sensible peuvent-ils laisser leurs serveurs non patchés pendant des mois alors que le danger a été signalé et le que le correctif a été mis à disposition ?

Il y a quelque chose de pourri au royaume de la Royale…

Notes

[1] Crédit photo : Army.mil (Creative Commons By)




Vivre sa vie ou l’enregistrer ? Telle est la question !

Put the camera down - SoupPour une fois ce n’est pas le couple Obama qui impressione sur la photo ci-contre[1]. Cliquez dessus pour voir… et vous constaterez peut-être avec moi que « quelque chose ne va pas ».

Qu’est-ce qui pousse tous ces gens à vivre les moments forts de leur vie à travers le prisme de leurs écrans ? Quelles conséquences cela peut-il bien avoir sur l’évènement fort en lui-même mais également à long terme sur la perception et les émotions de nos propres vies ? C’est le sujet du jour qui fait écho à l’émission radio Place de la Toile (France-Culture) du 23 janvier dernier intitulée Et si on se déconnectait ? dont je vous suggère la synthèse réalisée par Hubert Guillaud sur InternetActu.

Il est soudainement loin le temps où l’on se moquait gentiment des touristes japonais rivés à leur appareil photo…

La technologie, c’est formidable, mais n’en oublie-t-on pas de vivre ?

Technology is Great, but Are We Forgetting to Live?

Sarah Perez – 22 janvier 2009 – ReadWriteWeb
(Traduction Framalang : Don Rico et aKa)

Imaginez, vous êtes à un concert où votre groupe préféré monte sur scène pour la dernière fois. Ou bien vous assistez à la prestation de serment du Président Obama. Ou alors vous êtes simplement assis en famille devant le sapin de Noël, à regarder vos enfants ouvrir leurs cadeaux. Qu’êtes-vous en train de faire dans tous ces cas de figure ? Si vous êtes comme la plupart de nos contemporains, vous êtes sans doute en train de filmer la scène avec un gadget électronique d’un genre ou d’un autre, smartphone, appareil photo numérique ou camescope. Il se peut même que vous partagiez ce moment avec d’autres sur Twitter, Facebook ou FriendFeed.

Nos vies sur support numérique

Grâce à la technologie, nous pouvons graver pour toujours chaque moment de notre vie. Nous pouvons prendre des photos, y ajouter un commentaire et les partager aussitôt. Nous pouvons les archiver pour la postérité sur le Web intemporel. Et peut-être qu’un jour, nos arrière-arrière-petits-enfants retrouveront nos profils de réseaux sociaux dans les pages en cache d’Internet Archive et découvriront tout ce que nous avons voulu faire savoir au monde à notre sujet.

D’accord, c’est génial. C’est vraiment dingue. Mais qu’en est-il de nous, et du temps que nous avons passé à enregistrer ces moments ? Ne sommes-nous pas passés à côté de notre vie à trop vouloir la consigner ?

La technologie a accompli des tels progrès que l’utiliser n’exige presque plus aucun effort et nous l’intégrons dans notre vie comme jamais auparavant. Finie l’époque où l’ordinateur était une machine qui vous connectait à un réseau de pages au temps de chargement interminable. Non, le Web d’aujourd’hui, notre cerveau universel, tient dans la poche et est accessible de partout[2].

On peut aujourd’hui transférer nos photos (et même nos vidéos) directement de l’appareil au Web grâce à d’ingénieuses inventions telles que les cartes SD sans fil d’Eye-Fi, technologie qui fait de notre vie un flux constant d’informations destiné à remplir les pages omniprésentes d’une Toile en expansion permanente. Une Toile dont la création constitue peut-être le symbole des efforts fournis par l’humanité pour comprendre le concept de l’Univers, car de quelle manière décrira-t-on le Web de demain ? Comme une entité qui n’a ni début[3] ni fin, un dépôt d’archives en expansion continue recueillant la totalité de nos vies numériques.

On en oublie de vivre

Durant notre bref passage sur Terre, à force de vouloir consigner les moindres instants de notre vie, il se peut que nous en oubliions, de temps à autre en tout cas, comment vraiment profiter de la vie. Et pour profiter de la vie, n’en déplaise à certains, il faut se déconnecter, ranger son appareil photo, et pour une fois savourer l’instant.

Jane Maynard, de l’association Silicon Valley Moms (NdT : Mamans de la Silicon Valley), nous rappelle que de nos jours c’est un travers répandu qui ne concerne plus seulement les fous de technologie. Prenant l’exemple d’un concert où elle allait voir ses enfants jouer, elle décrit ce qui lui pose problème : « Les caméras. Je suis en face d’un dilemme. En voulant consigner les moments fabuleux que l’on vit, on néglige parfois la vraie vie. Comme lorsqu’on assiste au récital de piano de son enfant via l’écran LCD de son appareil et non directement. C’est un équilibre délicat à trouver auquel, j’en suis sûre, nous réfléchissons tous et sommes tous confrontés, surtout à notre époque du tout-numérique. Je me force parfois à ne pas sortir ma caméra, même si j’ai très envie d’enregistrer une scène, de façon à la vivre pleinement au moment où elle se produit. Ces moments-là, je ne les regrette jamais… mais ces considérations m’ont poussée à me poser des questions. Combien de fois me suis-je tellement focalisée sur l’idée de prendre la photo parfaite de mes enfants que j’en ai oublié complètement de profiter du moment présent ? »

Et si on se déconnectait ?

Définir ce qui mérite d’être enregistré et ou pas n’a rien de compliqué. Nous estimons automatiquement que ce sont les moments les plus importants, les plus sensationnels et les plus incroyables qu’il faut enregistrer. Mais ce sont pourtant ces moments-là qu’il vaut mieux savourer pleinement, en leur accordant notre entière attention.

Selon Martin Kelly, blogueur axé sur la religion, « à certains moments, il est bien plus important d’être présent que d’enregistrer quoi que soit ». (Il venait de s’étonner lui-même en regardant les photos floues qu’il avait estimé nécessaire de prendre lors d’un mariage, alors que la mariée s’avançait vers l’autel. Avec le recul, il s’agissait précisément du genre d’instant dont il aurait pu se passer de photographier.)

« Cessez de vouloir vivre votre vie par procuration. Vous êtes déjà là. Vous n’avez rien à prouver », déclare Kat Orphanides en regardant des spectateurs enregistrer un concert au lieu de profiter de la musique. En réalité, c’est plus facile à dire qu’à faire. Si vous avez déjà ressenti une sensation de manque technologique quand vous vous déconnectez du Web (comment ne pas envoyer un tweet pour raconter ce que je viens de voir ? Il faut absolument que je prenne ça en photo !), c’est que vous êtes à deux doigts de ne faire plus qu’un avec la machine. Il est peut-être temps de vous rappeler que vivre se suffit à soi-même… du moins parfois. Vous n’aurez peut-être pas d’archive des moments tous plus extraordinaires les uns que les autres que vous aurez vécu, mais votre vie n’en sera que plus satisfaisante.

Notes

[1] Crédit photo : Put the camera down and enjoy a moment for once

[2] Bien évidemment, ces constatations s’appliquent aux parties du monde où la technologie moderne, comme les smartphones et le haut-débit, sont banals. On n’a pas accès à ces machins partout dans les monde, je le sais.

[3] La toute première page Web se trouve ici, mais elle n’est désignée comme page « Web » que parce que des liens hypertextes la relient à d’autres pages à l’aide de balises html. Alors, était-ce vraiment la première ? Ou est-elle soudain apparue en même temps que les autres ? Est-ce vraiment le point d’origine du Web ?




J’avais vingt ans, je voulais écrire un opéra et changer le monde

Takacsi75 - CC byJ’aurais pu intituler ce billet « Affaire étrangère, l’opéra très libre de Valentin Villenave » mais j’ai préféré garder la première phrase issue de l’article du blog de son auteur présentant le projet, article qui m’a tant séduit que je me suis permis de le reproduire en intégralité ci-dessous.

Pour ce qui est de changer le monde, nous attendrons encore un peu (mais nous acceptons d’ores et déjà bien volontiers de l’accompagner). Par contre il ne lui aura pas fallu plus de quatre ans pour voir le rêve se concrétiser puisque la ville de Montpellier vient tout récemment d’accueillir les premières représentations de son opéra (dont vous trouverez tous les détails dans ce document).

Pourquoi évoquer cette œuvre sur le Framablog ? D’abord parce qu’il y a des outils et des licences libres dans les coulisses. En effet c’est sous l’éditeur musical LilyPond qu’ont été conçues les partitions de l’opéra[1]. Et puis surtout l’ensemble de l’opéra est placée sous une licence originale, créée m’a-t-il semblé pour l’occasion, la Libre Opera License v.0.2, savant mélange de GNU GPL et de Creative Commons By-Nc-Sa (on se retrouve avec cette double licence parce que, à ce que j’ai compris, LilyPond fonctionnant un peu comme LaTeX, les sources sont sous GPL mais les compilations sont sous CC By-Nc-Sa).

Mais au delà du choix des logiciels et des licences libres (ou ouvertes), c’est surtout l’état d’esprit de Valentin qui m’a impressionné. Je n’en ferai pas un quelconque porte-drapeau mais à 24 ans il témoigne je crois de cette nouvelle génération qui souhaite profiter des nouvelles technologies bien plus pour partager que pour consommer, n’en déplaise à ceux qui aujourd’hui se cramponnent aux rênes de toute l’industrie culturelle et musicale.

PS : Je crois savoir que Valentin Villenave est un lecteur assidu du Framablog. Autrement dit n’hésitez pas à l’encourager et/ou lui poser quelques questions dans les commentaires (par exemple sur son choix de la clause non commerciale), je suis certain qu’il se fera la gentillesse de venir y répondre.

Chronique d’une étrange affaire

URL d’origine de l’article

Alors, voilà.

J’avais vingt ans; je voulais écrire un opéra. Et changer le monde.

De l’influence déplorable du cinéma de René Clair sur une jeune âme trop imaginative.

Dans un de mes films préférés (Les Belles de nuit, René Clair, 1952), Gérard Philipe incarne un jeune professeur de piano, en décalage avec une société contemporaine bureaucratique, conformiste, inhumaine ; tout change subitement le jour où l’on apprend qu’il a écrit… un opéra. Comme par magie, le monde s’illumine alors, les regards se font respectueux, et le héros trouve enfin sa place parmi les personnages, unis dans une même allégresse.

Tel est pour moi l’opéra : un mot magique. Une légitimité, des lettres de noblesse : devenir quelqu’un.

À l’âge de vingt ans (c’était il y a quatre ans), j’avais écrit quelques pièces instrumentales d’envergure très modeste, et qui n’avaient pour ainsi dire jamais été jouées. Je gagnais ma vie – c’est encore le cas – en donnant des cours de piano dans une obscure banlieue parisienne, et j’écrivais chaque année, littéralement, des centaines de petits morceaux dans les cahiers de mes élèves, qui partaient ensuite à tous les vents.

Depuis des années, j’avais été pour ainsi dire adopté par une petite compagnie d’opéra, dont j’avais été le tourneur de pages puis l’accompagnateur en titre, et qui montait chaque année des pièces du grand répertoire, le plus souvent en partenariat avec les écoles du voisinage (où les écoliers, après avoir assisté à une répétition lyrique, posaient souvent des questions judicieuses telles que « pourquoi le monsieur crie comme ça ? »).

Sans vraiment y croire, je caressais l’envie de leur écrire un opéra, en signe de gratitude. Je m’étais mis à la recherche d’un livret qui soit percutant et rythmé – pas évident à trouver dans le théâtre contemporain.

Entrée en scène de Lewis Trondheim, et ce qui s’ensuivit.

Je connaissais l’œuvre de Lewis Trondheim depuis l’âge de dix ans, où j’écumais chaque semaine les rayons bande dessinée de la bibliothèque municipale. Des formidables aventures de Lapinot, qui revisitaient la bande dessinée animalière enfantine avec un humour absurde et satirique, j’étais passé à ses œuvres les plus avant-gardistes –- car Lewis n’était pas que drôle et accessible à tous, mais également en perpétuelle quête de renouveau et d’expérimentation formelle, toujours dans un esprit ludique.

Cet auteur complexe et attachant avait une propension à susciter chez ses fans un véritable culte, auquel je n’ai pas échappé. À vingt ans, j’avais méticuleusement lu la totalité de son œuvre, au besoin en téléchargeant ses albums illégalement sur Internet. Je poursuivais à l’époque, à tout hasard, une maîtrise de Lettres modernes consacrée à son œuvre ; un jour il m’apparut comme une évidence que je ne souhaitais pas tant travailler sur Lewis Trondheim que travailler avec lui.

Peu d’auteurs confirmés et reconnus répondraient à un jeune inconnu qui leur propose de participer à l’écriture d’un opéra ; c’est pourtant ce qui se produisit. Lewis Trondheim accepta immédiatement et avec enthousiasme, et me proposa de partir de l’album Politique étrangère qu’il avait réalisé en 2001 avec Jochen Gerner. Dans son œuvre, toujours influencée par la bande dessinée animalière, c’était une exception : les personnages étaient des êtres humains. De plus, cette histoire de château me renvoyait à toute une tradition opératique (La Clémence de Titus de Mozart, par exemple), entrecroisée en l’occurrence avec Jarry, Ionesco… et un tantinet des Marx Brothers.

Bref, nous nous retrouvions à pied d’œuvre, sans aucune certitude quant à une hypothétique concrétisation du projet, faute de moyens, et en tentant de limiter le nombre de décors et de personnages.

Le livret faisait l’objet d’un véritable ping-pong de courriers électroniques entre Lewis et moi-même (nous ne nous étions jamais rencontrés ni téléphoné). Ouvert à mes suggestions mais sans complaisance, il avait très vite compris la problématique bien particulière de l’opéra, genre tout aussi hybride que la bande dessinée : le texte et la musique participent de façon complémentaire à la construction du sens, et il faut constamment veiller à ce que l’un n’affaiblisse pas l’autre (soit parce que trop insignifiant, soit au contraire parce que trop chargé de sens).

En peu de temps, deux événements vinrent changer complètement la tournure du projet. Le premier fut le décès tragique, à l’été 2005, du metteur en scène de la compagnie, Michel Blin, à qui je dois tout ce que je sais sur l’opéra, et à qui cette œuvre est dédiée. Le second, plus insignifiant, fut que Lewis Trondheim se vit récompenser, début 2006, par le Grand Prix du festival de bande dessinée d’Angoulême.

Les chanteurs de la compagnie eux-mêmes me pressèrent de profiter de cette occasion pour présenter mon projet à une structure plus officielle, et lui donner ainsi une nouvelle envergure. Un dimanche de février, j’envoyai sans trop y croire un mail à l’opéra de Montpellier (simplement parce que c’était la ville de mon librettiste) ; deux heures plus tard, M. René Koering me répondait que l’Opéra se ferait une joie de créer ce projet…

Éléments (en vrac) d’une esthétique (en chantier).

Je ne m’acquitterais pas du minimum syndical sans insérer ici quelques mots sur mon écriture, quitte à enfoncer pas mal de portes ouvertes. Suivant les (rares) personnes à qui j’ai pu la montrer, ma musique suscite les réactions les plus diverses, tantôt qualifiée de dissonante et inaudible, tantôt à l’inverse, de facile, insipide et réactionnaire. J’imagine que mon esthétique (s’il y en a une) se situe quelque part entre les deux – sans espoir de savoir où.

Les répertoires que j’ai joués et lus, certainement, transparaissent, à commencer par les opéras du XVIIIe siècle (Mozart), dont je me sens plus proche que ceux du XIXe siècle. En particulier, la rigueur formelle est pour moi une obsession ; toutes les structures de la pièce, du nombre de tableaux, de mesures, de temps, aux dispositions vocales et instrumentales, ont donné lieu à des contraintes et des jeux mathématiques.

La mise en valeur du texte est un travail avant tout rythmique : dégager de la prosodie les accents, les structures rythmiques, les gestes de tension et de détente (c’est la base de toutes les musiques parlées, de la mélopée antique au rap) ; je les ordonne ensuite suivant des principes très formels, puis les renforce par des motifs mélodiques et harmoniques, toujours suivant des contraintes arbitraires : modes, rapports d’intervalles, etc.

Un autre de mes soucis est de tout faire pour faciliter la vie des interprètes. À commencer par la notation : une partition doit faire sens au premier coup d’œil, sans nécessiter de mode d’emploi. Une certaine musique « contemporaine » arbore sa propre complexité avec fierté, et fait appel à des notations extrêmement complexes (en particulier d’un point de vue rythmique) ; même si je ne suis pas indifférent à la beauté étrange de tels objets, et que je ne nie aucunement leur apport au renouveau des langages musicaux, je crois qu’il est important que la musique « savante » n’en vienne point à se réduire à de telles écritures : faute de quoi elle cessera inéluctablement d’être pratiquée et appréciée par les « simples » citoyens, pour ne demeurer que l’apanage d’une poignée de spécialistes. L’idée d’« être compliqué pour être moderne » n’est ni sage, ni courageuse.

Où l’auteur se hasarde à quelques considérations coupablement politiques.

Je ne sais si je peux me prétendre compositeur ou même musicien ; mais je veux vivre et agir en citoyen.

Puisque j’en suis à accumuler les clichés, je veux mentionner qu’il m’a été donné d’avoir vingt ans à Paris en étant payé deux fois moins que le seuil de pauvreté ; il m’a été donné de chercher un logement des mois durant, en expliquant que j’étais prof de piano, ou bien étudiant, à tout hasard et sans plus de succès ; il m’a été donné de connaître de près notre beau pays où se fait chaque jour plus palpable la peur et la haine des uns à l’égard des autres : riches et pauvres, vieux et jeunes, et ainsi de suite.

De tous ces écartèlements, celui de la culture et de la création m’interpelle le plus. Les dichotomies arbitraires n’y manquent pas : culture du passé contre culture dite actuelle, pratique amateur contre prétendu professionnalisme, art contemporain contre art soi-disant populaire, j’en passe et des meilleures.

J’aimerais croire que de tels morcellements ne profitent à personne. Ce serait hélas ignorer les nombreux enjeux politiques, économiques et médiatiques ; la culture est un champ de bataille où toute initiative doit être défendue pied à pied contre les clichés, les entreprises de ringardisation ou de récupération.

En faisant appel à un auteur de bande dessinée, j’étais bien sûr mû par l’espoir mal dissimulé, sinon de faire sauter quelques barrières, d’amener à l’opéra (et à la musique contemporaine) des publics « non-initiés ». Mais cela ne suffisait pas.

Pour un renouveau des modèles de création.

Nous nous trouvons aujourd’hui face à une situation inédite et merveilleuse : les données immatérielles sont potentiellement accessibles à tous et en tous lieux. Cet immense progrès pourrait être pour les citoyens du monde la promesse de se réapproprier la culture et la connaissance ; au lieu de quoi une poignée d’intérêts privés font de la technologie un outil d’asservissement et de propagation des inégalités. En particulier, l’escroquerie baptisée Propriété Intellectuelle consiste à nous vendre des idées comme l’on vendrait des saucisses.

Hélas ; sans-doute suis-je d’une génération qui ne peut plus se satisfaire d’impostures, à commencer par le terrifiant processus qui conduit aujourd’hui les citoyens à se voir privés de leurs libertés fondamentales, au nom d’une prétendue « protection » des auteurs. Il importe d’agir, non seulement pour que la culture puisse continuer à vivre et à se diffuser, mais également pour préserver notre démocratie même.

Pour ces raisons, Lewis Trondheim et moi-même avons voulu faire un geste symbolique en publiant notre ouvrage sous une licence alternative, qui autorise tout un chacun non seulement à le reproduire, mais également à le diffuser et à le modifier à volonté. La partition est entièrement conçue au moyen du logiciel libre GNU LilyPond, développé depuis treize ans par une communauté de bénévoles enthousiastes, qui constitue pour les musiciens du monde entier l’espoir immense d’accéder librement à toutes les musiques écrites ; plus simplement, c’est pour moi la garantie que les partitions que j’écris sont et demeureront libres et adaptables par tous les interprètes, enseignants, élèves, qui y trouveront le moindre intérêt.

Une œuvre n’appartient à personne, pas plus qu’un enfant n’appartient à ses parents. On peut l’élever du mieux que l’on peut, puis vient un jour où il faut lui souhaiter une longue vie, et le regarder s’éloigner. Je crois que ce moment est venu pour moi.

À Lewis comme à moi-même, restera le souvenir d’une expérience grandiose, et la fierté d’être parvenus à réaliser un projet irréaliste.

Et puis, faut quand même dire qu’on s’est bien marrés.

Valentin Villenave, janvier 2009

Notes

[1] Crédit photo : Takacsi75 (Creative COmmons By)




Ou toute autre version ultérieure de la licence…

Cambodia4kidsorg - CC byCe billet est un peu technique, au sens juridique du terme, mais la problématique abordée est loin d’être inintéressante (et n’étant pas des spécialistes comme Veni Vidi Libri, nous vous remercions par avance des précisions, compléments et corrections que vous apporterez dans les commentaires).

Il évoque les risques potentiels encourus par une création (logicielle, culturelle, etc.) à adopter une licence portant la mention « ou toute autre version ultérieure » (de la-dite licence). Dit autrement, il s’agit de la confiance que vous, auteurs ou utilisateurs, accordez à ceux qui rédigent la licence choisie, puisque vous vous engagez ainsi non seulement au moment présent mais également dans le futur, avec une licence susceptible d’être modifiée au cours du temps. Ce que vous créez ou utilisez aujourd’hui peut donc ne pas suivre exactement les mêmes règles demain.

Prenons l’exemple de la plus célèbre des licences de logiciels libres, la GNU General Public License (ou GNU GPL). Voici ce que l’on peut lire dans la traduction non officielle du paragraphe 9 de la version 2 datant de 1991 :

La Free Software Foundation se réserve le droit de publier périodiquement des mises à jour ou de nouvelles versions de la Licence. Rédigées dans le même esprit que la présente version, elles seront cependant susceptibles d’en modifier certains détails à mesure que de nouveaux problèmes se font jour.

Chaque version possède un numéro distinct. Si le Programme précise un numéro de version de cette Licence et « toute version ultérieure », vous avez le choix de suivre les termes et conditions de cette version ou de toute autre version plus récente publiée par la Free Software Foundation. Si le Programme ne spécifie aucun numéro de version, Vous pouvez alors choisir l’une quelconque des versions publiées par la Free Software Foundation.

Donc si vous placez votre logiciel sous GNU GPL sans préciser la version ou en version 2 avec la mention « ou toute version ultérieure », alors « vous avez le choix de suivre les termes et conditions de cette version ou de toute autre version plus récente publiée par la Free Software Foundation », version plus récente dont on nous assure, et c’est là que ça peut coincer, qu’elle sera « rédigée dans le même esprit ».

Or, justement, dans l’intervalle, la GNU GPL est passée en version 3 en 2007 (sa version actuelle). Extrait de la FAQ de cette nouvelle version, à la question Pourquoi les programmes doivent-ils se référer à « la version 3 de la GPL ou toute version ultérieure » ? :

De temps en temps, après quelques années, il nous arrive de modifier la GPL—quelquefois simplement pour éclaircir un point, quelquefois pour autoriser certaines utilisations alors qu’elles ne l’étaient pas auparavant, et quelquefois pour renforcer une exigence. (Les deux derniers changements datent de 2007 et 1991). L’utilisation de ce « pointeur indirect » dans chaque programme nous permet de changer les conditions de distribution de l’ensemble des logiciels GNU, lorsque nous modifions la GPL.

Si aucun programme ne contenait ce pointeur indirect, nous serions forcés de longuement discuter du changement avec de très nombreux détenteurs de copyright, ce qui serait virtuellement impossible. En pratique, la probabilité d’aboutir à un mode de distribution unifié pour les logiciels GNU serait nulle.

Supposez qu’un programme dise « Version 3 de la GPL ou toute version ultérieure » et qu’une nouvelle version de la GPL soit publiée. Si la nouvelle version de la GPL donne une permission supplémentaire, cette permission est immédiatement disponible pour tous les utilisateurs du programme. Mais, si la nouvelle version de la GPL comporte une exigence plus restrictive, cela ne limitera pas l’utilisation de la version courante du programme, car ce dernier peut toujours être utilisé sous GPL Version 3. Lorsqu’un programme dit « Version 3 de la GPL ou toute version ultérieure », les utilisateurs seront toujours autorisés à l’utiliser, et même à le modifier, selon les termes de la GPL Version 3—même après que d’autres versions de la GPL auront été rendues disponibles.

Si une exigence plus forte dans une nouvelle version de la GPL n’est pas obligatoire pour les logiciels existants, à quoi sert-elle ? Lorsque la version 4 de la GPL est disponible, les développeurs de la plupart des programmes sous GPL distribueront les versions suivantes de leur programme en spécifiant « Version 4 de la GPL ou toute version ultérieure ». Les utilisateurs devront se conformer aux clauses plus restrictives de la GPL Version 4, pour les versions suivantes de ce programme.

Les développeurs ne sont toutefois pas dans l’obligation d’agir ainsi ; ils peuvent continuer à autoriser l’utilisation de la version précédente de la GPL, si c’est leur souhait.

Le fait qu’une licence évolue n’est en rien critiquable puisque depuis 1991 il s’en est passé des choses dans le monde numérique (à commencer par l’avènement d’Internet). De plus cette nouvelle version a été le fruit d’un long processus de concertation publique (voir la lettre de Chris Frey plus bas), la FSF ayant le souci de donner confiance et ne pas donner l’impression qu’on lui signait un chèque en blanc pour les « versions ultérieures » de ses licences.

Il n’empêche que ces modifications « rédigées dans le même esprit » sont laissées à la libre appréciation de chacun. C’est ainsi que Linus Torvalds, conformément au dernier paragraphe de notre extrait ci-dessus, n’a toujours pas passé le noyau Linux en GPL v3 et préfère rester en GPL v2, au grand dam de la FSF.

Mais prenons désormais l’exemple d’une autre licence de la FSF, la GNU Free Documentation License (ou GNU FDL). À l’origine cette licence avait été pensée pour la documentation de logiciels libres mais elle a été adoptée, faute d’existence d’autres licences mieux adaptées à l’époque, par le poids lourd de la culture libre que constitue l’encyclopédie Wikipédia.

Or, depuis, une licence clairement mieux adaptée est apparue : la licence Creative Commons By-Sa[1]. Ces deux licences n’étant pas compatibles, que pouvait-on faire ? C’est justement la réponse à cette question que nous avons évoqué dans notre récent billet dédié : Wikipédia en route vers la licence Creative Commons By-Sa. Ce billet explique pourquoi et comment la FSF a accepté de modifier sa licence GNU FDL (version intermédiaire 1.3) pour que Wikipédia puisse légalement passer sous Creative Commons, passage justement rendu possible parce que la licence de Wikipédia est la GNU FDL sans mention de version (acceptant donc implicitement « toute version ultérieure » de la licence).

Le problème c’est que contrairement au passage de la GNU GPL de la version 2 à la version 3, il n’y a pas eu de concertation publique et de long processus de maturation transparent et « démocratique ». De plus les modifications apportées ont clairement été rédigées dans l’unique but de satisfaire la Wikimedia Foundation (et Creative Commons) puisqu’elles ne s’adressent qu’aux wikis crées avant novembre 2008 qui ont jusqu’en juin 2009 pour se décider à migrer. Une mise à jour « sur mesure » en quelque sorte.

Aussi nobles soient les intentions des uns et des autres, il y a tout de même ici un peu d’arbitraire et d’opacité aussi bien sur le fond que dans la forme. C’est ce que critique Chris Frey dans cette « lettre ouverte à Richard Stallman » que nous avons choisi de traduire et vous proposer ci-dessous, accompagnée par la réponse toute aussi ouverte de Richard Stallman.

Lettre ouverte à Richard Stallman

Open Letter to Richard Stallman

Chris Frey – 4 novembre 2008 – Advogato.org
(Traduction Framalang : Olivier, Siltaar et Don Rico)

Cher M. Stallman,

Je vous écris pour exprimer la déception que j’ai ressentie à l’égard de la Free Software Foundation par rapport à la publication récente de la version 1.3 de la GNU Free Documentation License .

Cette nouvelle version introduit à la section 11 une nouvelle clause qui, selon la FAQ, accorde aux wikis le droit de modifier la licence de certains contenus pour les faire passer de la licence GFDL 1.3 à la licence CC-BY-SA 3.0, pour les ajouts datant d’avant le 1er novembre 2008. Ils peuvent appliquer ce changement de licence jusqu’au 1er août 2009.

Cela constitue à mon sens une erreur morale importante et un abus de confiance. Même si cette nouvelle clause n’est pas dangereuse, elle n’en reste pas moins mauvaise.

Il y a de nombreuses années, j’ai lu des critiques visant les recommandations quant à l’application de la licence GNU GPL aux logiciels. On critiquait la formule « version 2 of the License, or (at your option) any later version » (NdT : version 2 de la licence, ou, selon votre choix, toute version ultérieure) avançant l’argument que cette formulation conférait trop de pouvoir à la FSF, et que cela revenait à signer un chèque en blanc permettant le détournement futur de l’œuvre licenciée.

Ces critiques ont à mes yeux perdu de leur sens après que j’ai été témoin de la transparence et de l’attention extrême portée à la rédaction de la nouvelle GPL version 3. Tous les commentaires furent enregistrés sur un site Web et débattus de manière tout à fait transparente. La rédaction a été longue et méticuleuse, réalisée en prenant en compte l’opinion des utilisateurs de la licence, et dans l’objectif de servir l’intérêt des logiciels libres. C’était magnifique.

Je commençais à comprendre les avantages d’une licence ouverte. J’avais compris les intentions de la FSF. Ils ne fléchissaient pas concernant les principes des logiciels libres, mais au contraire se montraient toujours plus fermes. Seule la FSF pouvant modifier la GPL, et étant donné le sérieux de sa méthode pour la mettre à jour, je me suis dit que je pouvais lui accorder ma confiance.

Hélas, ce changement apparemment précipité apporté à la GFDL vient tout gâcher. Cette modification va à l’encontre de la clause tacite selon laquelle c’est l’auteur qui choisit la licence pour son travail, mais elle introduit en outre un nouvel acteur. Non seulement la FSF peut changer les termes de la GFDL, mais voilà que la Creative Commons Corporation peut à présent modifier les termes qui régissent des travaux plus anciens auparavant placés sous GFDL.

Fort heureusement, cette situation ne durera que jusqu’au 1er août 2009. Mais les anciens wikis placés sous GFDL ont désormais une double licence.

Peut-être ai-je vécu coupé du monde légal, mais je n’ai pas non plus vu d’appel à contribution pour cette révision. Si je l’ai manqué, je regrette de n’avoir pu donner mon avis plus tôt. Si la période de discussion était plus courte, voire inexistante, c’est une faille dans le processus de mise à jour de la GFDL, et j’espère que la FSF y remédiera.

Concrètement, cette requalification de licence importe peu. Le cadre de ce qui peut être soumis à une requalification de licence est bien délimité, et ces deux licences ont en gros la même fonction. Certains auteurs ont peut-être préféré la GFDL à la licence CC-BY-SA pour des raisons spécifiques, l’une d’entre elles étant le fait que la licence doit être jointe à l’œuvre. Cette condition de la GFDL est à la fois une caractéristique et un défaut de conception. Mais ce choix, qui auparavant revenait à l’auteur, lui est à présent retiré.

Au final, les conséquences sont sûrement minimes. En effet, beaucoup voient en ce changement un grand pas en avant. Je pense que c’est simplement la réputation de la FSF qui s’en trouve affectée. Quel message cela adresse-t-il aux utilisateurs d’autres licences de la FSF ? Est-on sûr que la FSF ne permettra pas la modification des licences de nos œuvres au profit de licences non-FSF si l’on opte pour la clause « version ultérieure » ? Dans le passé je ne me serais même pas posé la question. À présent, j’ai un doute.

J’ai hâte de connaître votre sentiment à ce propos et, si vous le permettez, je publierai une copie conforme de votre réponse là où je publie cette lettre.

Je vous remercie de votre attention.

Cordialement,

Chris Frey

Réponse ouverte à Chris Frey à propos de la GFDL 1.3

An open response to Chris Frey regarding GFDL 1.3

Richard Stallman – 3 décembre 2008 – FSF.org
(Traduction Framalang : Olivier, Siltaar et Don Rico)

Cher M. Frey,

Votre lettre concernant les modifications récentes apportées à la GFDL, qui permettent aux administrateurs de certains wikis sous licences GFDL de modifier la licence de leur contenu sous licence Creative Commons BY-SA, soulève des questions cruciales vis-à-vis des modifications, de la manière dont elles ont été conduites et de leurs implications quant à la gestion par la FSF de nos licences à l’avenir.

De mon point de vue, et c’est aussi celui du conseil de la FSF, cette modification de la licence est totalement en accord avec nos valeurs, notre éthique et nos engagements, et c’est une nouvelle démonstration que la FSF mérite toujours votre confiance. Les licences comportant la clause « ou toute version ultérieure » nous permettent de donner de nouvelles permissions qui répondent aux besoins de la communauté et de contrer les nouvelles menaces qui pèsent contre la liberté des utilisateurs.

Cette option de changement de licence introduite par la GFDL 1.3 est complètement en accord avec l’esprit et les objectifs de la GFDL. Certains sites Web pourront ainsi passer de la GFDL à une autre licence libre, une autre licence qui diffère sous certains aspects mais qui est très proche globalement de la GFDL. Cette disposition permet à ces sites de rendre leur licence compatible avec de vastes collections de contenu sous licence libre avec lesquelles ils veulent coopérer.

L’impact de ce changement est limité car l’option de changement de licence ne s’applique qu’à un nombre de cas limité : les wikis, telle Wikipédia, qui ne font pas usage de certaines clauses particulières de la GFDL, comme les sections invariantes (NdT : contenu qui n’est modifiable que par l’auteur lui-même) et les textes de couverture, qui n’ont pas d’équivalent dans la licence CC-BY-SA.

Nous avons offert aux wikis une option à durée limitée dans le temps leur permettant de passer sous CC-BY-SA les contenus issus de la contribution du public. La fondation Wikimedia a initié un débat public quant à la décision à prendre : les participants de Wikipédia peuvent donner leur avis pour ou contre le changement. Nous n’avons joué aucun rôle dans cette décision, nous avons simplement donné à Wikipédia l’opportunité de la prendre.

Ce changement ne s’est pas fait dans la précipitation. La FSF s’est entretenue pendant plus d’un an avec la Wikimedia Foundation, Creative Commons et le Software Freedom Law Center pour planifier ce changement.

Ces discussions sont restées secrètes pour une raison que, je l’espère, vous approuverez : limiter l’applicabilité de cette option et éviter l’éventualité d’un changement de licence massif d’autres contenus placés sous licence GFDL. Cette option a été pensée uniquement pour les wikis bénéficiant d’une collaboration publique. Nous ne souhaitions pas que tout le monde puisse changer la licence des œuvres couvertes par la GFDL en les « blanchissant » au travers de Wikipédia ou d’autres sites similaires avant la date butoir.

Si un wiki exerce son option de changement de licence, cela implique qu’il accorde sa confiance aux Creative Commons plutôt qu’à la Free Software Foundation pour ce qui est des modifications futures de la licence. En théorie ,on pourrait y voir une source d’inquiétude, mais je pense que nous pouvons faire confiance à Creative Commons pour continuer sa mission à l’occasion des mises à jours de ses licences. Des millions d’utilisateurs font déjà confiance aux Creative Commons à ce sujet et je pense que nous pouvons faire de même.

Vous avez qualifié notre modification de licence de « trahison », mais si vous examinez ce que nous avons entrepris, vous verrez que nous sommes restés fidèles à nos principes.

Nous n’avons jamais affirmé que nous ne changerions pas nos licences, ou que nous ne ferions pas de modifications comme celle-ci. Nous nous sommes en revanche engagés à effectuer ces changements en respectant l’esprit de nos licences, et en garantissant les objectifs de ces licences. C’est ce que nous avons fait avec la GFDL 1.3 et, à plus grande échelle, avec la GPLv3, et c’est ce que nous continuerons à faire.

Vous avez entièrement raison d’attendre de la FSF une éthique irréprochable. J’espère que les modifications apportées à la licence GFDL vous convaincront que nous respectons cette éthique.

Cordialement,

Richard Stallman
Président de la Free Software Foundation

Notes

[1] Crédit photo : Cambodia4kidsorg (Creative Commons By)




Écrire à l’ère de la distraction permanente

Joi - CC byLe Framablog et ses traducteurs aiment bien de temps en temps sortir des sentiers battus du Libre pour modestement apporter quelques éléments de réflexion autour des changements comportementaux induits par les nouvelles technologies et le monde connecté.

Après Et si cela ne servait plus à rien de mémoriser et d’apprendre par coeur ? et Internet et Google vont-ils finir par nous abrutir ?, voici que nous vous proposons aujourd’hui un article de Cory Doctorow, que je tiens personnellement pour l’une des personnalités les plus intéressantes et influentes de la « culture libre », sur la difficulté non plus de lire mais d’écrire à l’aube de ce nouveau siècle.

En faire un peu tous les jours, savoir suspendre sa plume, ne pas effectuer de recherche, ne pas attendre les conditions parfaites, laisser tomber le traitement de texte, ne pas répondre aux sirènes des messageries instantanées (et autres réseaux sociaux), tels sont les conseils avisés de notre auteur[1] pour y remédier.

Que pensez-vous de ces quelques recommandations ? En apporteriez-vous d’autres ? Qu’est-ce qui nous permet d’échapper à la procrastination du travail rédactionnel qui s’éternise faute d’avoir su dire non aux sollicitations extérieures ? Les commentaires n’attendent que vous réponses… sauf si bien sûr, dans l’intervalle, vous avez le malheur de cliquer ailleurs 😉

Écrire à l’ère où tout est là pour nous distraire

Writing in the age of distraction

Cory Doctorow – 7 janvier 2008 – Locus Mag
(Traduction Framalang : Don Rico et Goofy)

Nous savons que nos lecteurs sont distraits, voire parfois submergés par les innombrables distractions qui se trouvent à portée de clic partout sur Internet, mais il va de soi que les rédacteurs sont tout autant confrontés à ce problème d’envergure, le monde foisonnant d’informations, de communication et de communautés tapis derrière notre écran, à portée des touches alt+tab de notre traitement de texte.

Le pire conseil sur l’écriture qu’on m’ait jamais donné était de me tenir à l’écart d’Internet, soi-disant que j’y perdrais du temps et que ça ne m’aiderait pas à écrire. C’était un conseil erroné du point de vue créatif, professionnel, artistique et personnel, mais je comprends bien ce qui avait incité cet écrivain à m’administrer une telle mise en garde. Régulièrement, quand je vois un site, un jeu ou un service nouveau, je ressens l’attraction irrésistible d’un trou noir de concentration : une activité chronophage prête à me prendre dans ses filets de distraction. Jeune papa impliqué qui écrit au moins un livre par an, une demi-douzaines d’articles par mois, au moins dix billets de blog par jour, auxquels s’ajoutent divers mini-romans, nouvelles et conférences, je suis bien placé pour savoir qu’on manque vite de temps et connaître les dangers de la distraction.

Mais l’Internet m’apporte beaucoup. Il nourrit ma créativité et mon esthétique, il me profite d’un point de vue professionnel et personnel, et pour chaque moment qu’il me vole, le plaisir que j’y prends me le rend au centuple. Je n’y renoncerai pas plus qu’à la littérature ou quelque autre vice délectable.

Je crois avoir réussi à trouver un équilibre grâce à quelques techniques simples que je perfectionne depuis des années. Il m’arrive toujours de me sentir lessivé et ivre d’infos, mais c’est rare. La plupart du temps, c’est moi qui ai la maîtrise de ma charge de travail et de ma muse. Voici comment je procède :

  • Des plages de travail courtes et régulières
    Lorsque je travaille à l’écriture d’une nouvelle ou d’un roman, je me fixe chaque jour un objectif modeste, en général une page ou deux, et je m’emploie à l’atteindre, ne faisant rien d’autre tant que je n’ai pas fini. Il n’est pas réaliste, ni souhaitable, de vouloir se couper du monde des heures durant, mais il est tout à fait possible de le faire pendant vingt minutes. En rédigeant une page par jour, je publie plus d’un livre par an, faites le calcul, et il est facile de trouver vingt minutes dans une journée, quelles que soient les circonstances. Vingt minutes, c’est un intervalle assez court pour être pris sur votre temps de sommeil ou votre pause déjeuner (même si cela ne doit pas devenir une habitude). Le secret, c’est de s’y astreindre tous les jours, week-end inclus, pour ne pas vous couper dans votre élan, et pour qu’entre deux séances de travail vos pensées puissent cheminer tranquillement jusqu’à la page du lendemain. Essayez de trouver un ou deux détails accrocheurs, ou un bon mot, à exploiter dans la page suivante, afin de savoir par où commencer lorsque vous vous installerez derrière votre clavier.
  • Ne vous arrêtez pas sur un travail fini
    Dès que vous atteignez votre objectif quotidien, arrêtez-vous. Même si vous êtes au beau milieu d’une phrase. Surtout si vous êtes au beau milieu d’une phrase, en fait. Ainsi, lorsque vous vous mettrez au travail le lendemain, vos cinq ou dix premiers mots seront déjà en place, ce qui vous donnera un petit coup de pouce pour vous lancer. Les tricoteuses laissent un bout de laine dépasser du dernier rang, afin de savoir où reprendre, une sorte de pense-bête. Les potiers, quant à eux, n’égalisent pas le pourtour de l’argile humide avant de la recouvrir de plastique pour la nuit, difficile de repartir sur une surface trop lisse.
  • N’effectuez aucune recherche
    Faire des recherches, ça n’est pas écrire, et vice-versa. Lorsque vous butez sur un point technique qu’une rapide recherche sur Google suffirait à éclaircir, abstenez-vous. Ne cédez pas à l’envie de chercher la longueur du pont de Brooklyn, le nombre d’habitants que compte de Rhode Island ou la distance qui sépare la Terre du Soleil. Ce serait alors la déconcentration assurée : une valse de clics sans fin qui transformerait vos vingt minutes de rédaction en une demi-journée à flâner sur le Web. Adoptez la méthode des journalistes (NdT : ces conseils s’adressent à des anglophones, pour le français il faudra bien sûr adapter) : tapez par exemple « TK » là où doit apparaître votre donnée, comme par exemple « Le pont de Brooklyn, d’un bout à l’autre de ses TK mètres, vacillait tel un cerf-volant." La graphie « TK » n’apparaissant que dans très peu de mots anglais (le seul sur lequel je sois tombé est « Atkins »), une recherche rapide de « TK » dans votre document suffira pour savoir si vous devez vérifier des détails techniques. Si vous en oubliez un, votre préparateur ou correcteur le repérera et vous le signalera.
  • Ne soyez pas trop à cheval sur vos conditions de travail
    N’écoutez pas ceux qui conseillent de créer l’atmosphère idéale pour attirer votre muse dans la pièce. Les bougies, la musique, le silence, le fauteuil confortable, la cigarette, attendre d’avoir couché les enfants… laissez tomber tout ça. Certes, il est agréable de se sentir à l’aise pour travailler, mais si vous vous persuadez que vous ne pouvez écrire que dans un monde parfait, vous vous retrouvez devant une double difficulté : trouver à la fois vingt minutes de libre et l’environnement idéal. Lorsque vous avez le temps, mettez-vous à votre clavier et écrivez. Vous pouvez bien tolérer le bruit/le silence/les enfants/l’inconfort/la faim pendant vingt minutes.
  • Éteignez votre traitement de texte
    Word, Google Docs et OpenOffice.org sont bardés d’une panoplie déconcertante de paramètres de mise en forme et de complétion automatique avec lesquelles vous pouvez passer votre temps à faire mumuse. Laissez tomber. Tout ça, c’est de la distraction, et ce qu’il faut absolument éviter, c’est que votre outil essaie de deviner ce que vous avez en tête, corrige votre orthographe, ou critique la construction de votre phrase, etc. Les programmeurs qui ont conçu votre traitement de texte passent leur journée à taper, tous les jours, et ils ont les moyens d’acheter ou de se procurer n’importe quel outil imaginable servant à entrer du texte dans un ordinateur. Et pourtant ils n’utilisent pas Word pour créer leur logiciel. Il se servent d’un éditeur de texte, comme vi, Emacs, TextPad, BBEdit, Gedit, et bien d’autres encore. Il s’agit là des outils les plus puissants, vénérables et fiables de l’histoire du logiciel (car ils sont au cœur de tous les autres logiciels), et ils ne comportent quasi aucune fonctionnalité susceptible de vous distraire ; en revanche, ils possèdent des fonctions chercher/remplacer très puissantes. Le plus gros avantage, c’est qu’un modeste fichier .txt peut être lu par presque toutes les applications présentes sur votre ordinateur, ou collé directement dans un courriel, sans risque de transmettre un virus.
  • Les outils de communication instantanée : à proscrire
    Ce qui nuit le plus à la concentration, c’est la présence sur votre ordinateur d’un écosystème d’applications intrusives : messagerie instantanée, alertes e-mail, alertes RSS, appels Skype, etc. Toute application exigeant que vous attendiez une réponse, même inconsciemment, accapare votre attention. Tout ce qui surgit sur votre écran pour vous annoncer un fait nouveau l’accapare aussi. Plus vous habituerez vos proches et amis à préférer les courriels, les forums et les technologies similaires qui vous permettent de choisir la plage de temps à consacrer à vos conversations au lieu d’exiger votre attention immédiatement, plus vous réussirez à vous ménager vos vingt minutes. En cas de besoin, vous pouvez prévoir une conversation, par VoIP, texte ou vidéo, mais laisser votre messagerie instantanée allumée revient à vous mettre au travail avec sur votre bureau un panneau géant DÉCONCENTREZ-MOI, du genre qui brille au point d’être visible du monde entier.

Je ne prétends pas être l’inventeur de ces techniques, mais grâce à elles je peux profiter pleinement du XXIème siècle.

Notes

[1] Crédit photo : Joi (Creative Commons By)




L’Angleterre se pose la question du Libre dans l’éducation

Superbomba - CC by-saAprès Barack Obama et l’Open Source, voici une autre traduction émanant de la BBC, autour du Libre et l’éducation cette fois.

C’est un plaisir non dissimulé de voir un tel grand média s’intéresser à la question et lui donner ainsi un fort coup de projecteur dans l’opinion (avec analyses, témoignages, perspectives… du vrai travail de journaliste en somme, tout simplement). Mais c’est également une belle satisfaction de constater la maturité du discours et de l’évaluation du logiciel libre chez la Perfide Albion[1].

Il me tarde de voir pareille situation traverser la Manche. Puissent tous les articles connexes de ce blog modestement y contribuer…

La question du Libre dans l’éducation

Open source question for schools

Andrew Miller – 26 janvier – BBC News
(Traduction Framalang : Daria, Olivier, Don Rico)

Andrew Miller se demande si les logiciels Open Source ne pourraient pas aider les écoles à mieux gérer leur budget.

Au salon British Education Training and Technology, BETT 2009, un rapide coup d’œil suffisait pour se convaincre, par la dimension de l’évènement, que les technologies de l’éducation bénéficient d’un budget plus que conséquent.

Sachant que les logiciels Open Source disponibles gratuitement et librement couvrent l’essentiel des exigences du programme national, on peut se demander pourquoi les écoles n’y ont pas plus recours, avec une économie potentielle de plusieurs millions de livres à la clé.

Comme leur nom le suggère, les logiciels Open Source sont des logiciels communautaires et leur code source est ouvert à tous. N’importe qui peut modifier le logiciel selon ses besoins et ensuite partager ces modifications avec tout le monde.

En entendant parler de logiciel Open Source, nombreux sont ceux qui pensent Linux – le système d’exploitation alternatif disponible sous différentes distributions comme Ubuntu, openSUSE ou Fedora.

Linux propulse les serveurs depuis longtemps, mais l’Open Source touche à toutes sortes de projets. Le navigateur Web Firefox et la suite bureautique OpenOffice en sont de bons exemples.

Promotion ouverte

Dans le secteur de l’éducation, seule une poignée de technophiles, agissant de leur propre initiative, font la promotion des logiciels Open Source et les utilisent pour employer au mieux leur budget technologie.

Les critiques accusent Becta – une agence gouvernementale qui supervise les acquisitions de toutes les technologies pour les écoles – de n’avoir pas assez œuvré à la promotion des logiciels Open Source.

Peter Hughes, responsable des accords d’acquisition au Becta, a assuré à la BBC que Becta sera plus actif dans ce sens.

« En tant qu’organisation, on nous a principalement reproché de ne pas avoir présenté comme il se devait les solutions Open Source et de trop favoriser les solutions propriétaires, comme celles de Microsoft. Nous avons tenu compte de ces critiques et, dans l’exercice de nos conseils en matière de stratégie et de distribution de la technologie dans l’éducation, nous avons tenté de rester impartiaux dans les avis que nous émettons pour aider les écoles à faire les meilleurs choix », a-t-il indiqué.

Fin 2008, le Becta a collaboré avec l’organisation gouvernementale des services d’acquisition OGCBuying.Solutions pour approuver 12 fournisseurs, lesquels ont en commun la capacité à équiper les écoles avec des logiciels Open Source.

Le Becta considère la désignation de Sirius comme un « grand pas en avant » et comme un message envoyé à la communauté : « Nous prenons les logiciels Open Source au sérieux ».

John Spencer, chef du développement commercial de Sirius, a confié à la BBC que l’Open Source est encore trop méconnu, pas seulement dans les écoles, et que Linux souffre d’un problème d’image.

« Beaucoup d’établissements scolaires sont restés bloqués en l’an 2000, quand il est devenu évident que la connaissance de l’outil informatique deviendrait une nécessité, mais depuis ils n’ont rien fait. Ils ont peur d’avancer en terrain inconnu, et il ne s’agit pas seulement de Linux mais également de Vista et d’Office 2007. Les bons professeurs chercheront toujours à aller de l’avant mais ils sont si occupés qu’ils préfèrent souvent s’en tenir à ce qu’ils connaissent », a précisé Mr. Spencer.

Sirius a déjà installé des logiciels libres dans beaucoup d’établissements au Royaume-Uni.

Dans le cadre d’un projet mené à Twickenham, on autorise les portables et ultra-portables appartenant à l’établissement ou aux élèves à démarrer sur le réseau pour leur donner accès aux fichiers et aux programmes dont ils ont besoin.

« Le réseau coûte moitié moins que ce que RM peut proposer et les économies d’énergie réalisées permettent au système de s’autofinancer en moins de 3 ans », affirme Mr. Spencer

Le temps de la compétition

Une autre initiative du Becta est centrée sur le site opensourceschools.org.uk, lancé fin 2008. Il a pour objectif de fournir des informations essentielles et des conseils aux professeurs pour une bonne utilisation des logiciels Open Source.

Cependant, le Becta émet quelques réserves.

« Nous voulons que les professeurs se rendent compte qu’ils peuvent, et doivent, considérer les logiciels Open Source comme une alternative solide », a déclaré Mr. Hughes.

« Les établissements doivent malgré tout bien se renseigner. Les mises en garde à l’égard de l’Open Source sont aussi nombreuses qu’à l’égard des logiciels propriétaires. »

Et que pensent les grosses entreprises informatiques des logiciels Open Source qui marchent sur leurs plate-bandes ?

Steve Beswick, le directeur de l’éducation pour Microsoft Royaume-Uni, a déclaré à la BBC que même si les logiciels Open Source peuvent, sur la valeur nominale, permettre des économies, il faut se méfier des coûts cachés, pécuniaires et autres.

« Beaucoup de monde est habitué à utiliser les outils Microsoft, et il faut donc re-former les gens à l’utilisation des solutions Open Source, ce qui peut avoir un coût élevé », affirme-t-il.

« Pour faire le bon choix, les établissements colaires et les universités doivent avoir toutes les informations en main. »

M. Beswick a prétendu que Microsoft n’est pas opposé à l’Open Source, et cite leur « engagement en faveur l’interopérabilité » démontré par le support du format Open Document Format dans le Service Pack 2 d’Office 2007.

Il a aussi mentionné le travail que Microsoft a réalisé en acquérant IIS, son logiciel de serveur phare, pour travailler avec le langage PHP.

Le ministre de l’Éducation, Jim Knight, s’est fait l’écho du point de vue de Becta. Dans une déclaration, il a annoncé : « Les établissements scolaires et les universités doivent maîtriser les tenants et les aboutissants du problème pour faire le bon choix – qu’il se porte vers l’Open Source ou le propriétaire –, et doivent être conscients du coût total de la solution adoptée, en n’oubliant pas le support à long terme et la formation. Je pense que c’est le rôle du Becta de travailler avec les fournisseurs de logiciels, aussi bien Open Source que propriétaires, afin que les écoles et universités puissent tirer au mieux parti des logiciels pour appuyer l’enseignement et l’apprentissage. »

Et du côté de la communauté Open Source alors ?

Gerry Gavigan, le président du consortium Open Source, a dit à la BBC que l’adoption des logiciels Open Source ne pouvait que passer par un changement des mentalités.

« Les coûts de la formation continue ne disparaissent pas simplement grâce au passage des logiciels propriétaires aux logiciels gratuits et Open Source. En revanche, les coûts associés aux formations induites par les mises à niveau encouragées ou forcées par une tierce partie ne sont plus d’actualité », a-t-il indiqué.

On parle aussi fréquemment du problème du verrouillage technologique, une des explications principales, pour les défenseurs de l’Open Source, à la domination prolongée de Windows.

« L’un des paramètres qui n’est pas toujours pris en compte dans le calcul des contrats d’achat de logiciels sont les coûts à long terme résultant des licences ou du verrouillage technologique », a déclaré Mr. Gavigan.

Mr. Gavigan admet que la gratuité des logiciels Open Source leur a parfois nui.

« Annoncer que vous avez essayé de régler un problème en dépensant des sommes faramineuses a plus d’impact sur votre public que de dire que vous avez utilisé une solution gratuite. D’après une croyance malheureuse, si ça ne coûte rien, ça ne vaut rien », a-t-il déploré.

Le monde connecté

Quoiqu’il en soit, certaines écoles se mettent aux logiciels Open Source. Le lycée Highworth, à Ashford, propose à la fois des logiciels propriétaires et des logiciels Open Source à ses étudiants.

L’administrateur réseau de l’école, Marc Blake, a confié que bien qu’il soit important que les élèves connaissent des alternatives à Windows, il convient de reconnaître qu’ils vivent dans un monde dominé par Microsoft.

Mais il a annoncé à la BBC que d’importantes économies pourraient être réalisées en utilisant des alternatives Open Source.

« Nous proposons à la fois Office 2003 et OpenOffice, de sorte que les clients aient le choix. J’estime que 98% des clients choisissent Microsoft Office à la place d’OpenOffice, mais au moins ce choix existe », a précisé Mr. Blake.

« La seule mise à jour vers Office 2007 de toute l’école nous coûterait environ 27000£, mais ce montant n’inclut pas le coût de remise à niveau des utilisateurs ni les mises à jour des documents associés ou du matériel pédagogique. Acquérir l’équivalent de Moodle (logiciel libre d’e-apprentissage) pour nos 1200 étudiants nous aurait coûter plus de 3000£ par an. Pour ce prix-là on n’a pas le support professionnel, mais si on est prêt à faire ce sacrifice, c’est beaucoup d’argent économisé », a-t-il ajouté.

Avant d’adopter Linux, Mr. Blake s’inquiétait de la compatibilité de certaines des plus récentes technologies du Web. Ses inquiétudes se sont envolées puisque son établissement a maintenant plusieurs Asus EeePC fonctionnant sous Linux qui sont utilisés majoritairement pour les projets Web 2.0.

Cette année au BETT, un nombre non négligeable de logiciels pédagogiques ont fait le grand saut vers le Web 2.0 pour s’assurer une compatibilité avec toutes les plateformes.

L’utilisation de l’Open Source pourrait permettre aux écoles de réaliser d’importantes économies, mais cela implique un gros investissement en temps, en recherche et en formation. Mais allier logiciels commerciaux et logiciels Open Source, comme le fait le lycée Highworth, peut permettre une réduction des coûts tout en donnant le choix aux étudiants.

Voilà un bon point à faire figurer sur le bulletin scolaire des écoles.

Notes

[1] Crédit photo : Superbomba (Creative Commons By-Sa)




La douce musique de Maya Filipic

Independentman - CC byLe punk hardcore (de préférence californien), c’est pas mal mais c’est pas l’idéal si vous souhaitez tranquillement écouter un peu de musique tout en vous livrant à une activité intellectuelle intense, comme par exemple la rédaction de votre blog quotidien (quand bien même ce ne soit pas véritablement intense).

Dans ce cas précis, la délicatesse du piano de l’album Between two worlds de Maya Filipic (Creative Commons By-Nc-Nd) me convient mieux et je tenais à vous le faire partager[1].

Extrait 1 : « Stories from Emona I » (télécharger au format OGG)

Voici la traduction de la courte présentation de l’artiste sur Jamendo :

Née à Ljubljana, en Slovénie, Maya a toujours grandi auprès d’un piano. Lorsque à l’âge de 8 ans elle est entrée au conservatoire, elle savait déjà jouer du piano et du violon, mais s’est aperçue dès le début que le piano était pour elle le meilleur moyen de s’exprimer.

Elle s’est initiée à la composition au début de ses études, et a commencé très tôt à composer et interpréter ses propres mélodies. Mais ce qui l’intéresse le plus dans la musique reste l’improvisation.

Très vite, elle s’est rendu compte que l’enseignement académique ne répondait pas à ses attentes, et bien qu’ayant consacré deux tiers de sa vie à l’apprentissage du piano, elle a interrompu ses études à la faculté de musique au bout de deux ans. Elle aspirait à être plus qu’un pianiste jouant de façon machinale, formé pour finir enseignante dans un conservatoire pour le restant de ses jours, en appliquant le style que lui auraient inculqué ses professeurs. Cette perspective ne correspondait pas à sa façon de concevoir la musique.

Après une période passée à voyager de par le monde, à parfaire ses connaissances, à dévouvrir de nouveaux lieux et de nouvelles façons d’appréhender la vie, elle a commencé à intégrer ses expériences à sa musique. Dans son premier album, elle tente d’exprimer les sentiments que lui inspire de revenir sur le moment charnière où son ancienne façon de voir les choses à cédé la place à la nouvelle. D’où le titre, « Between two worlds ».

Extrait 2 : « Stories from Emona II » (télécharger au format OGG)

PS : Comme c’est de la Creative Commons et que c’est susceptible de bien se marier avec des images, on ne s’étonnera pas de commencer à la retrouver sur pas mal de vidéos YouTube dans le plus pur esprit de la Remix Culture chère à Larry Lessig.

Notes

[1] Crédit photo : Independentman (Creative Commons By)




Cloud computing, logiciel libre et service public

Per Ola Wiberg - CC byEn ce début d’investiture Obama, de nombreux internautes expriment souhaits et desiderata à la nouvelle administration.

Le vœu de William Hurley a retenu notre attention. « Je suggère que vous créiez un cloud computing financé par l’État, mis à la disposition des facultés et des universités », nous dit-il. Nous n’en saurons pas vraiment plus car il n’est pas entré dans les détails mais nous avons néanmoins saisi la perche pour en faire un billet où nous pourrions nous interroger ensemble sur les relations entre l‘informatique dans les nuages, le logiciel libre et un éventuel rôle de la puissance publique.

Placer nos données personnelles, nos fichiers, nos liens, etc. sur le Grand Internet présente en effet de nombreux avantages pratiques à l’heure où l’on peut « quasiment » se connecter partout tout le temps. Mais ce n’est pas sans poser quelques questions pour ne pas dire quelques problèmes. Je pense par exemple à la mésaventure récente de ce pauvre Marc L***[1] que l’on pouvait suivre au jour le jour à la trace via Facebook et consorts. Je pense également à notre récent billet La tête dans les nuages mais les pieds sur terre. Je pense enfin à la toile tissée méthodiquement par Google avec tous ses services en ligne (Gmail, Reader, Maps, Earth, Picasa, Calendar, Docs, YouTube…) que nous sommes nombreux à utiliser au quotidien.

Et puisqu’il est question d’éducation supérieure et d’université[2], je dois bien vous avouer que, l’année dernière, lorsqu’il a été question de créer en deux-trois coups de cuillère à pot des adresses de messagerie (avec ou sans chat) pour tous les enseignants et étudiants de mon établissement scolaire, de se doter d’agendas partagés et d’une suite bureautique en ligne (fichiers tableurs et traitements de texte potentiellement accessibles en lecture écriture, selon les droits, à toute la communauté, et disponibles au format ODF), je me suis tourné vers… Google Apps Education sans avoir « malheureusement » à le regretter.

En tant que responsable TICE de mon lycée J’ai donc osé confier les données de mes élèves à Google ! Est-ce grave docteur ? Oui ça l’est ! J’en ai bien conscience et je compte bien un jour me soigner (quand bien même Google n’affiche bien entendu pas de publicités pour ce service spécifique au monde éducatif). Il faut tout de même dire, à ma décharge, que par rapport à ma problématique et à mes besoins (temps limité, budget nul et situation particulière d’un lycée à l’étranger) je ne pouvais raisonnablement pas m’appuyer sur un quelconque Espace Numérique de Travail (ENT) dont je doute de plus en plus de leur pertinence et efficience à mesure que le temps passe (surtout si l’on continue à s’obstiner à les développer académie par académie).

Les partisans du logiciel libre peuvent sensibiliser sur les risques encourus à confier nos documents et informations numériques à des services en ligne « gratuits » proposés par des sociétés commerciales « web 2.0 » qui n’offrent pas de garanties sur l’avenir et sont souvent opaques au niveau de nos droits et des formats. Ils peuvent pousser à ce que des licences plus adaptées et plus transparentes soient adoptées (telle la licence AGPL). Mais, contrairement à un Microsoft où il « suffisait » de proposer des alternatives logicielles libres, ils ne peuvent absolument pas concurrencer un Google sur son terrain, c’est-à-dire justement le cloud computing, qui nécessite des investissements très très lourds ne serait-ce que pour pour installer et maintenir les batteries de serveurs disséminés un peu partout sur le réseau. Et alors je crois effectivement que le politique et le secteur public (national ou supra-national) peuvent nous être d’un grand secours pour modifier la donne (si tant est que l’on juge que la donne mérite modification).

C’est certainement l’alliance « logiciel libre + secteur public » qui pourra faire en sorte de ne pas laisser le champ libre aux seules sociétés privées. Ne privatisons pas la totalité du cloud computing (surtout dans le domaine éducatif), voilà par extrapolation, le sujet du billet du jour. Un peu comme ce qu’a voulu faire le projet de bibliothèque numérique européenne Europeana pour contrarier Google Books avec pour le moment le succès que l’on sait

L’enseignement supérieur a besoin d’un nuage informatique national

Higher education needs a national computing cloud

William Hurley – 26 janvier 2009 – InfoWorld
(Traduction Framalang : Don Rico)

Le cloud computing (ou informatique dématérialisée ou informatique dans les nuages), est vital pour l’avenir de l’enseignement supérieur aux États-Unis, et j’invite le Président Obama à agir

Le 26 janvier 2009
M. le Président Barack Obama
La Maison Blanche
Washington, DC 20500-0001

M. le Président,

Je tiens à vous adresser mes plus sincères félicitations, Monsieur, pour votre récente investiture à la fonction de 44ème Président des États-Unis d’Amérique. Votre victoire est la preuve de la grandeur de notre démocratie, mais aussi de la capacité de transformation de cette même démocratie. Comme des millions de mes semblables du monde entier, j’ai regardé avec une grande fierté votre prestation de serment, lors de laquelle vous êtes devenu un exemple vivant de l’impact que peut avoir un seul citoyen américain.

Vous avez déclaré « Le monde change, et nous devons changer avec lui ». Je suis on ne peut plus d’accord, M. le Président, et je crois que la politique que mènera votre administration sera une fontaine d’innovation. Je sais que le vice-président et vous êtes profondément favorables au développement des initiatives de recherche dans les instituts d’enseignement supérieur qui sont au cœur de l’innovation américaine. Pour ces instituts, l’avenir est déjà là. Mais, comme l’a écrit William Gibson « il n’est pas encore tout à fait équitablement réparti ».

Nous avons laissé le coût de la technologie entraver notre capacité à innover. Les chercheurs ne sont plus limités par le manque d’idées ou de connaissances, mais plutôt par les moyens informatiques nécessaires pour conduire des expériences et en analyser les résultats.

Je suggère donc que vous créiez un cloud computing financé par l’État, mis à la disposition des facultés et des universités. Une telle ressource aurait le mérite de niveler le terrain universitaire. Les chercheurs qui travaillent d’arrache-pied dans des milliers d’instituts de taille modeste auraient alors accès à une puissance informatique qui n’est pour l’instant accessible qu’à une poignée de privilégiés. Il nous est impossible de prédire d’où viendra la prochaine grande innovation, mais des ressources informatiques dématérialisées publiques amélioreraient de façon extraordinaire nos moyens de coopérer et d’innover au niveau national.

Les grandes avancées technologiques et sociales peuvent se produire presque simultanément. En septembre 1962, un jeune chercheur publiait ce qui donnerait naissance aux plus grandes avancées technologiques de notre temps, et au même moment, un autre jeune homme originaire de Kosciusko, dans le Missouri, amorçait un itinéraire personnel qui aboutirait à un moment charnière dans la lutte pour les droits civiques. D’aucuns peuvent y voir une coïncidence, mais en ce qui me concerne j’y vois la providence. Les recommandations de Paul Baran en faveur d’une structure nationale publique destinée à transporter des données informatiques et l’entrée de James Meredith à l’université du Mississipi ont, du point de vue technologique et social, changé les États-Unis en profondeur.

Votre administration, par sa connaissance des nouvelles technologies, tient l’occasion d’accomplir un autre grand bond en avant. On ne peut comparer ma lettre à l’article de Baran, mais j’espère suggérer cette idée au moment opportun. Une idée trop en avance sur son temps a aussi peu de valeur qu’une idée avancée après que des engagements ont déjà été pris. J’espère donc attirer votre attention maintenant, avant que vos projets de réformes pour l’éducation aient été élaborés, et tant qu’il reste du temps pour prévoir le financement d’un cloud computing ayant le potentiel de transformer des chercheurs dispersés et inégaux en une locomotive d’innovation la plus puissante du monde.

Encore une fois, M. le Président, je tiens à vous féliciter, votre équipe et vous, pour votre victoire grandiose acquise grâce aux nouvelles technologies, ainsi que pour votre investiture inattendue, exaltante et triomphante.

Notes

[1] J’en profite pour saluer ici le très libre curieux magazine curieux Le Tigre.

[2] Crédit photo : Per Ola Wiberg (Creative Commons By)