Framasoft a fait son original le week-end dernier à Paris

Il est rare que Framasoft s’évade d’Internet et encore plus rare qu’il organise lui-même des évènements sur le terrain de la vraie vie. Alors autant que ça sorte un peu de l’ordinaire, comme ce fut le cas vendredi 7 décembre à la Rockette Libre et samedi 8 décembre à la librairie « À Livr’Ouvert ».

aKa - CC by

Framathon à la Rockette Libre

C’est temps libre chaque vendredi soir à la Petite Rockette. Et c’était au tour de Framasoft d’investir le lieu le 7 décembre dernier.

Il s’agissait de lancer le top départ d’un ambitieux projet en partenariat avec LinuxFr : traduire dans son intégralité le livre Open Advice: what we wish we had known when we started (avec le recul, qu’auriez-vous voulu savoir quand vous avez commencé à contribuer à la communauté du libre ?)

Or nous manquions d’ordinateurs, nous étions un peu fatigués en cette fin de semaine, et nous avions plein de choses à nous dire car certains ne s’étaient pas vus depuis bien longtemps (parfois depuis leur naissance). Donc rares étaient ceux qui travaillaient effectivement sur la traduction : trois, quatre personnes tout au plus au maximum de l’activité. Il faut aussi vous avouer que le slogan détourné par Pouhiou à cette occasion ne nous a pas vraiment motivés : « Boire ou traduire, il faut choisir ! » 😉

aKa - CC byEt pourtant le travail proposé fut réalisé « vite fait bien fait » ! Pourquoi ? Parce que nous avions déposé les deux premiers articles du livre sur Framapad et sollicité dans le même temps la participation d’Internet. Pour ce qui nous concerne, nous avions projeté sur le mur les pads en question et jetions un oeil de temps en temps sur le texte et les couleurs qui défilaient à l’écran.

L’originalité est là.

La majorité des lecteurs de ce blog est désormais habituée à un tel l’outil et une telle manière de procéder ensemble. Mais pour quelqu’un qui découvre, cela a quelques chose de magique ! Et il n’est pas au bout de sa surprise car quand il arrive (enfin) à comprendre que derrière chaque couleur en mouvement se cache quelque part une personne connectée, il lui est tout aussi suprenant d’apprendre que tout ce petit monde n’a pas été « sélectionné » et surtout travaille « pour rien ». Pour la beauté du geste, pour la beauté du Libre…

Cette dernière phrase valait bien une danse 😉

aKa - CC by

Framabook chez « À Livr’Ouvert »

Comment donc ? Tous les livres de notre libre collection Framabook dans une librairie parisienne ! En vitrine même !

Il fallait marquer le coup en invitant les lecteurs à rencontrer les auteurs.

aKa - CC byC’est ainsi que fut organisée une très conviviale mais somme toute classique séance de dédicaces avec trois de nos auteurs : le gendre idéal Benjamin Jean, le plus célèbre auteur vivant du domaine public Pouhiou et l’homme qui gratte plus vite son ukulélé que son ombre Simon Gee Giraudot.

Un petit ordinateur se trouvait au milieu d’eux. Il contenait les versions numériques intégrales de toute la collection.

L’originalité est là.

Les gens étaient évidemment cordialement invités à acheter et repartir avec des livres, c’est normal nous sommes dans une librairie. Mais ils pouvaient aussi sortir leur clé USB que nous nous faisions un plaisir de remplir avec la version numérique du ou des livre(s) de leur choix.

C’est gratuit, mais c’est surtout libre. C’est à notre connaissance une grande première que de proposer, dans un tel lieu, un tel service libre en libre service. Et c’est tout à l’honneur de l’audacieuse librairie qui porte décidément bien son nom. Nous sommes tout d’un coup très loin d’Hadopi.

Ah, et sinon nous avons vendu une trentaine de livres papiers Framabook ce jour-là.

aKa - CC by

Nous remercions toutes celles et ceux qui sont venus et ont participé à ces deux singuliers évènements et plus particulièrement Olive (Rockette Libre) et Bookynette (À Livr’Ouvert) pour leur invitation, accueil, disponibilité et bonne humeur.

C’est quand vous voulez pour recommencer 😉

Crédit photo : aKa (Creative Commons By)




6 bonnes raisons de soutenir Framasoft ?

On n’en donne pas forcément l’impression comme ça mais nous sommes fébrilement en mode « campagne de dons » et ce pendant tout le mois de novembre.

Il faut dire que l’arrivée d’un deuxième permanent, moi en l’occurrence, a certes participé à redynamiser la structure (tout du moins c’était l’objectif), mais aussi quelque peu grevé notre budget (puisque nous avons assez peu de frais fixes hors salaires).

Du coup on tente d’améliorer un peu notre communication autour de la possibilité de nous soutenir parce que, autant dire les choses telles qu’elles sont, nous ne sommes pas des as en marketing. Et puisque nous sommes dans la confidence, on peut aussi vous avouer qu’on ne risque pas de tenir longtemps à ce rythme-là !

Ainsi on réfléchit actuellement à rendre notre accueil du site Soutenir plus clair et « attractif » (au sens propre comme au sens figuré) qu’elle ne l’est actuellement. Parce qu’elle a le mérite d’exister mais elle est hautement perfectible. En résumé, pas très bon en marketing et pas très bon en webdesign non plus 🙂

Alors tout aide, conseil, avis, critique est la bienvenue dans les commentaires.

Le Framablog est un endroit un peu particulier du réseau dans la mesure où il concentre certainement les visiteurs les plus avertis et initiés « au Libre », les plus attachés à Framasoft aussi peut-être (un attachement qui n’exclut en rien la réprobation lorsque l’on vous déçoit, comme on peut parfois le lire en bas de certains billets). Nombreux sont ainsi les commentateurs ayant déjà participé de près ou de loin à nos projets, nombreux sont ceux également que l’on a déjà pressé comme des citrons par le passé (et qui acceptent de bonne grâce, parce que nécessité fait loi, cet énième appel à soutien). Vous avez toute notre gratitude soit dit en passant.

On a ainsi pensé ci-dessous à une énumération du pourquoi du comment que ce serait bien de nous soutenir à placer où bon nous semble (à définir).

Trop emphatique ? Trop « on s’la joue » ? Bon, d’un autre côté il faut convaincre dans ce genre d’exercice, non ?

Toujours est-il que vous êtes donc cordialement invité(e) à confirmer ou infirmer le principe même de cette liste et/ou, plus en détail, nous donner votre avis sur son contenu, quitte bien entendu à supprimer ou ajouter des points.

Merci de votre éventuelle participation et de votre fidélité (ouais, désolé, ça fait un peu animateur radio cette conclusion).

Framasoft - Mosaïque

6 bonnes raisons de soutenir Framasoft (version draft 1.0)

1. Une décennie au service du logiciel libre et sa culture

Plus de 10 ans d’existence, plus d’un million de visites par moi sur l’ensemble du réseau, près d’une vingtaine de projets en direction du grand public pour faire connaître et diffuser le logiciel libre, sa culture et son état d’esprit. Framasoft est l’une des portes d’entrée principale du logiciel libre francophone. Notre témoignage préféré : « J’ai découvert le logiciel libre grâce à Framasoft ».

2. Des projets innovants

Framasoft fut parmi les premiers à proposer en libre, dans la sphère francophone : un annuaire sous Windows (2001), une clé USB portables (2005) avec Ubuntu (2009) et Wikipédia (2012), un DVD (2009), un installateur (2010), une collection de livres (2006), une plateforme vidéo (2007), une boutique (2009), un éditeur (2011) ou un tableur collaboratif (2012)… et nous en avons d’autres dans nos cartons 🙂

3. Une communauté au service du bien commun

Tout[1] ce que produit Framasoft au sein de son réseau est placé sous licence libre favorisant la confiance et la collaboration. Ce sont ainsi des centaines de personnes qui sont impliquées bénévolement au quotidien dans nos projets. Nous incubons et soutenons également des structures tierces et travaillons en partenariat étroit avec les autres acteurs du libre.

4. Un modèle économique qui a du sens

Toute cette activité a un coût et nécessite maintenance technique et coordination humaine. Ne bénéficiant ni de subventions publiques ni de fonds privé[2], Framasoft repose avant tout sur vos dons. En cas de succès, cette fragilité se transforme en force car cela nous garantit notre indépendance et porte le message que l’on peut agir dans le « Libre » et créer des emplois (2 permanents actuellement) à partir de la somme des générosités individuelles sollicitées sur Internet.

5. La défiscalisation

Framasoft s’appuie sur une association 1901 à but non lucratif qui bénéficie de la déduction fiscale liée à son caractère d’intérêt général. Ainsi, par exemple, pour un don récurrent de 120 € (soit 10 € par mois pendant un an), la réduction est de 79,20 € et donc le coût réel de votre don est de 40,80 €.

6. Ensemble nous changeons le monde

Au delà du logiciel, le « Libre » propose un modèle alternatif de société où la coopération prend le pas sur la compétition. Nous assumons notre optimisme, voire notre idéalisme, face à la « crise » qui n’est pas une fatalité. Proactifs, nous avançons en informant et démontrant par la pratique que bien des choses sont possibles. Comme on dit chez nous : « la route est longue mais la voie est libre ».

Notes

[1] Ce n’est pas tout à vrai, par exemple pour certaines traductions de ce blog. Est-ce selon vous publicité mensongère que d’exprimer pourtant cela ainsi ?

[2] Ce n’est pas tout à fait vrai non plus, avec la présence de la pub Google sur 2 des sites du réseau, l’annuaire et la Framakey. On a pensé un temps la retirer pendant toute la durée de cette campagne et voir un peu si on arrivait à atteindre et dépasser le seuil des 100 nouveaux donateurs récurrents (ce que cela rapporte mensuellement) pour pouvoir (enfin) la supprimer définitivement. Mais nous ne sommes pas encore assez solides et sereins pour l’envisager aujourd’hui, sauf donc à connaître un soudain pic de dons 😉




Rien ne serait arrivé sans la loi de Moore

La loi de Moore (qui n’est en fait qu’un conjecture) affirme que le nombre de transistors des microprocesseurs sur une puce de silicium double tous les deux ans. Ce qui, par extension, a donné pour le grand public que le rapport entre la puissance d’un ordinateur et son prix double tous les dix-huit mois.

Autrement dit, les machines sont de plus en plus puissantes et de moins en moins chères.

C’est bien ce qu’il s’est produit et se produit encore, pour le plus grand bonheur du logiciel libre et sa culture…

Leonardo Rizzi - CC by-sa

Un allié secret de l’open source : la loi de Moore

Open source’s secret ally: Moore’s Law

Glyn Moody – 10 octobre 2012 – The H
(Traduction : KoS, ProgVal, Sylvain, greygjhart)

Linux est passé du statut de petit bidouillage sympa dans une chambre à celui de logiciel capable de changer le monde il y a un peu plus de 21 ans lorsque Linus a envoyé son fameux message : « Bonjour aux utilisateurs de minix », invitant les gens à le rejoindre. Comme je l’ai remarqué le mois dernier, cette approche ouverte, collaborative était tout à fait nouvelle et s’est avérée décisive dans l’adoption et le développement de Linux.

Cela fut possible car Internet était déjà suffisamment présent pour qu’assez de gens se joignent à l’équipe de volontaires de Linus en faisant jouer à plein l’intelligence distribuée. En d’autres termes, l’émergence du logiciel libre est intimement liée à internet. En effet, le décollage rapide de Linux, comparé aux progrès plutôt lents du projet GNU est probablement dû, au moins en partie, au fait que ce dernier ne pouvait se reposer sur une connectivité globale. C’est grâce à cela que Richard Stallman a pu vivre des ventes de GNU Emacs, qu’il distribuait sur des bandes magnétiques.

La nature symbiotique du logiciel libre et d’internet, le premier utilisant le second, le second étant utilisé par le premier, est maintenant largement reconnue. Mais un autre facteur clé dans l’apparition de l’open source a été sous-estimé, alors que Linus lui-même le mentionne dans ce fameux premier message :

Je programme un système d’exploitation (gratuit, c’est juste un passe-temps, ça ne sera pas un gros projet professionnel comme GNU) pour des clones AT 386(486).

Comme nous vivons à l’ère Intel depuis deux décennies, une ère qui touche peut-être à sa fin, avec la montée en puissance des smartphones et des tablettes et leurs processeurs de familles différentes, il est facile de négliger l’importance du fait que Linus développa Linux pour les processeurs 80386.

Aussi étrange que cela puisse paraître , l’ordinateur principal de Linus avant qu’il n’écrive Linux était un Sinclair QL, un ordinateur typiquement anglais qui utilisait le processeur Motorola 68008 (qui fonctionnait à 7,5 MHz), fourni avec 128K de RAM et utilisait un infâme microdrive comme stockage.

Passer à un PC 386, fonctionnant à 33MHz, avec 8 Mo de RAM et 40Mo de disque dur, était un véritable bond en avant pour Linus, et poussa ses finances à leurs limites. En fait, il n’a pu acheter son premier PC que le 5 janvier 1991 parce qu’il reçut de l’argent pour Noël qu’il ajouta à un prêt étudiant que le gouvernement Finlandais lui avait récemment accordé. Ce dernier était censé payer sa nourriture et son logement pendant qu’il étudiait à l’université d’Helsinki mais comme il vivait toujours avec sa mère pendant cette période, il réussi à le détourner pour un usage plus intéressant.

Le fait qu’il puisse se payer un système aussi performant reposait sur l’amélioration continuelle du matériel, couplée à la diminution régulière des prix. C’est à dire que c’est grâce à la loi de Moore, qui dit que le ratio entre performances et prix double tous les 18 mois environ, que Linus a pu se retrouver avec le système 386 qu’il mentionne dans le premier message sur Linux.

Sans la loi de Moore, il serait sans doute resté avec son Sinclair QL, codant pour un système dont peu de gens se souciaient. Avec le 386, il a pu rentrer dans le courant dominant de l’informatique en même temps que de nombreuses autres personnes. Partout dans le monde (ou en tout cas dans les zones les plus riches) les jeunes gens ont pu s’acheter de vrais ordinateurs basés sur l’Intel 80386 et (plus tard) 80486. Cela signifiait qu’ils pouvaient faire tourner le code de Linux dès ses débuts, et aussi qu’ils pouvaient contribuer.

Encore une fois, sans la loi de Moore mettant des ordinateurs moins chers dans les mains de bidouilleurs, Linus n’aurait pas été en mesure de construire cette communauté mondiale à travers Internet et le rythme de développement en aurait souffert. En effet, comme la loi de Moore continuait de tirer les prix vers le bas tout en augmentant les performances, de plus en plus de gens dans un nombre croissant de pays ont pu acquérir des PCs suffisamment puissants pour rejoindre le projet Linux. Des processeurs plus rapides signifiaient des temps de compilation plus courts pour les programmes ce qui rendait le bidouillage du code plus facile – et plus agréable.

Il y a ici un contraste intéressant avec le développement du logiciel propriétaire. Les avancées dues à la loi de Moore ne profitent que peu aux programmeurs dans les entreprises, puisqu’ils ont généralement du matériel assez bon. Et les entreprises n’en bénéficient guère plus, puisque ce qui coûte le plus dans la programmation est le salaire des programmeurs, pas le prix de leurs PCs. Dans le monde du logiciel libre, les programmeurs volontaires sont bénévoles et le facteur limitant est le prix du matériel. C’est pourquoi la loi de Moore est très avantageuse pour l’open source.

Potentiel futur

Ce n’est pas un effet purement historique des premières heures de Linux. Nous voyons encore aujourd’hui la Loi de Moore tirer les prix vers le bas en accueillant toujours plus d’utilisateurs. Un bon exemple est le mini-ordinateur Raspberry Pi. Il offre les bases de la puissance d’un PC sur une petite carte mère, à un prix minuscule. Cela signifie que non seulement les personnes ordinaires – même des enfants – peuvent l’acheter sans avoir à penser au prix, mais aussi que les écoles peuvent envisager d’en acheter un pour chaque étudiant, ce qui est normalement inenvisageable avec les prix prohibitifs des PC, même ceux bon marché.

L’effet que le Raspberry Pi aura sur l’éducation n’est pas encore clair, mais il semble que celui-ci ou l’un des nombreux systèmes semblables à prix très bas va permettre l’arrivée de nouveaux types de projets avec des nouveaux groupes de contributeurs, dans les pays émergents par exemple.

Et les choses sont déjà en train d’aller plus loin. Voici un projet Kickstarter qui illustre à merveille cette progression continue rendue possible grâce à la loi de Moore. Il s’agit de Parallella. l se décrit comme un « Supercalculateur Grand Public », et ce n’est pas une blague.

Une fois terminé, l’ordinateur Parallella devrait fournir l’équivalent d’un processeur à plus de 45Ghz sur un circuit de la taille d’une carte de crédit tout en consommant moins de 5 Watts en fonctionnement normal. En s’en tenant seulement à la fréquence, c’est plus de puissance qu’un serveur haut de gamme qui coûte des milliers de dollars et consomme 400W.

Important, tout le système sera ouvert :

  • Accès ouvert : absolument aucun accord de non divulgation ou accès spéciaux nécessaires ! Toute l’architecture et le kit de développement seront publiés sur le web dès que le projet sera financé sur Kickstarter.
  • Open Source: la plateforme Parallella sera basée sur des outils et des bibliothèques libres et gratuites. Tous les fichiers de conception des circuits seront fournis une fois que Parallella sera sur le marché
  • Bon marché : les coûts du matériel et des outils de développement ont toujours été une barrière très difficile à franchir pour les développeurs cherchant à écrire des applications haute-performance. Notre but est de fournir l’ordinateur haute-performance Parallella à un coût inférieur à 100$, le rendant accessible à tous.

Oui, c’est un super ordinateur à 45GHz, fourni en standard avec Ubuntu, pour moins de 100$. Si Parallella parvient à sortir cela – et en tant que projet Kickstarter (il y a toujours le risque qu’il ne soit pas totalement financé ou qu’il ne fonctionne pas correctement) il va mettre un nouveau niveau de puissance de calcul entre les mains de tout le monde, y compris les étudiants.

Potentiellement, cela va permettre à des gens qui, jusqu’à présent, ne pouvaient tout simplement pas s’acheter une telle puissance de calcul de démarrer une toute nouvelle génération de projets open source. Encore une fois, le principal bénéficiaire ici est l’open source : si une entreprise a besoin d’un supercalculateur, elle va généralement l’acheter immédiatement, puisqu’elle peut se permettre de payer un prix conséquent pour les modèles actuels. Ce que Parallella apporte, grâce à la loi de Moore, est la démocratisation d’une puissance de calcul de cet ordre, qui ne va plus être réservée à des projets commerciaux disposant de solides fonds.

Il est important de noter que c’est la loi de Moore, agissant sur le matériel qui apporte ces bénéfices, plutôt que n’importe quel changement exponentiel dans le logiciel (qui n’y contribue qu’indirectement). De plus des lois de Moore pour d’autres types de matériel commencent également à prendre forme. Un exemple frappant en est l’impression 3D, où les prix baissent régulièrement. Ou encore le monde du séquençage du génome, démêler les milliards de « lettres » chimiques qui forment la double hélice de l’ADN, qui voit l’arrivée de changements encore plus importants.

Vous savez peut-être que le coût de séquençage du génome baisse mais vous n’avez peut-être pas la moindre idée de la vitesse à laquelle il baisse. Le National Human Genome Research Institute qui fait partie du National Institute of Health américain a compilé des données étendues sur le coût de séquençage de l’ADN au cours de la dernière décennie et a utilisé ces informations pour créer deux graphique à couper le souffle. Les chercheurs du NHGRI montrent que non seulement les coûts de séquençage sont en chute libre mais ils dépassent la courbe exponentielle de la loi de Moore d’une grande marge.

Cela signifie que le coût de séquençage de votre génome, ou de n’importe quel autre organisme, va bientôt devenir à la portée de tout le monde. Cela va-t-il créer une communauté globale de bio-hackers libristes, menée par un nouveau Linus avec un séquenceur de bureau (et peut-être un supercalculateur Parallella) dans sa chambre à coucher ? L’expérience des logiciels libres suggère que oui et nous apprend que nous ne devrions jamais sous-estimer le simple pouvoir de la loi de Moore à conduire des changement inattendus et révolutionnaires.

Crédit photo : Leonardo Rizzi (Creative Commons By-Sa)




Polémique : la nouvelle imprimante 3D de MakerBot a-t-elle trahi l’open hardware ?

Le matériel libre, ou open hardware, en général et l’impression 3D en particulier, cela fait longtemps qu’on en parle sur le Framablog (notre premier article sur la RepRap date de 2008).

Nous y croyons parce qu’avec une imprimante 3D libre, vous pouvez non seulement créer des objets en partageant leurs fichiers numériques sous format et licence libres mais également concevoir l’imprimante elle-même, puisque ses sources (c’est-à-dire ses plans de fabrication) sont aussi sous licence libre.

À partir de là, vous voici potentiellement prêt pour… changer le monde (ou tout du moins, ne nous emballons pas, pour dessiner lentement mais sûrement les contours d’un nouveau paysage industriel). Évidemment cela ne se fera pas sans peine et l’on peut déjà anticiper de terribles batailles du côté de la propriété intellectuelle (pire encore que pour la culture), d’où notre long (mais passionnant) article : L’impression 3D, ce sera formidable… s’ils ne foutent pas tout en l’air !.

Or que se passe-t-il aujourd’hui ? L’un des fers de lance de l’impression 3D, la société MakerBot, a récemment annoncé la sortie de son nouveau modèle, la « Replicator 2 » (cf photo ci-dessous). Et à en croire cette percutante vidéo promotionnelle elle semble en effet bien plus mieux que les précédentes, d’ailleurs le célèbre magazine Wired s’en est tout de suite extasié : The New MakerBot Replicator Might Just Change Your World (rien que ça !)

Mais, car il y a un mais, il semblerait que ce nouveau modèle ne soit tout simplement plus libre, aussi bien dans ses sources de fabrication que (et c’est peut-être le plus choquant) dans le format de fichier numérique permettant de créer les objets en 3D (qui se partagent du reste sur le site Thingiverse de MakerBot qui lui aussi a récemment changé ses conditions d’utilisation dans le sens de la fermeture, d’où l’apparition d’alternatives). Tout ceci reste au conditionnel mais force est de reconnaître que MakerBot navigue en ce moment entre flou et silence quant à la réponse à donner à ce début de polémique.

Si cela s’avérait fondé, cela serait très mal vécu par la communauté qui y verrait là comme une sorte de trahison avec les principes du matériel libre, d’autant que la société MakerBot s’est fait connaître dans l’enthousiasme justement parce qu’elle proposait des modèles d’imprimantes 3D libres (quand vous vous rendez sur l’article Imprimante 3D de Wikipédia, MakerBot est cité en exemple de matériel libre).

Ceci étant dit, la question sous-jacente est aussi celle de la viabilité des entreprises de matériels libres. MakerBot a levé des fonds (dix millions de dollars), a investi, vient d’ouvrir un magasin à New York, etc. MakerBot a donc le vent en poupe et est en train de changer de dimension industrielle. Cela peut-il se faire tout en restant totalement libre ? Peut-être que les investisseurs ont fait pression vers la fermeture (par rapport au profit, à la concurrence, etc. quid d’un petit malin qui prendrait les sources délocaliserait en Chine et inonderait le marché ? d’ailleurs on y a déjà plus que pensé !).

Pour rentre compte de cette polémique nous vous proposons coup sur coup trois traductions ci-dessous (une fois de plus, merci à tous les traducteurs bénévoles).

La première émane de Josef Prusa, développeur tchèque pionnier (et passionné) du projet RepRap que l’on peut considérer comme la première imprimante 3D libre (et qui elle, on en est sûr, l’est restée). C’est d’ailleurs sur cette RepRap que s’est construit MakerBot et ils ne s’en cachent pas. C’est lui qui a levé le lièvre et il réagit ici avec véhémence et émotion (d’où le style parfois confus, flottant et familier sachant que l’anglais n’est pas sa langue maternelle non plus).

La seconde est un réponse directe à Josef Prusa. Son auteur est Bre Pettis, l’un des fondateurs de MakerBpot. Il semblerait qu’elle soit destinée avant tout à éteindre l’incendie.

La dernière traduction provient lui aussi de l’un des fondateurs de MakerBot, sauf qu’il a été viré de l’entreprise depuis ! On peut estimer qu’il y a de la rancœur dans son propos mais il n’a pas forcément tort de qualifier la réponse de Bre Pettis de « tas de conneries issu du double langage d’entreprise » en rappelant la définition de l’open hardware.

Et pour finir cette (longue) introduction, un lien vers un petit dessin qui résume amèrement la situation.

Louis Seigal - CC by

Crédit photo : Louis Seigal (Creative Commons By)

Le sens de l’Open Hardware

Open Hardware meaning

Josef Prusa – 20 Septembre 2012 – Blog personnel
(Traduction : fcharton, KoS, Smonff, Pascal, Alex, Gatitac, @jfomhover, ProgVal, Dam, Ag3m, tanguy)

Ddurant123 - CC byJe voulais écrire sur ce sujet depuis longtemps. Certains d’entre vous le savent peut-être, d’autres non, mais j’ai lancé ma propre société de RepRap. Elle se nomme Prusa Research, et c’est sans doute la première entreprise basée sur l’open hardware en République Tchèque, mais certainement pas la première au monde. Il y a plusieurs projets qui le font très bien, par exemple Arduino (à qui je dois tellement que, grâce à RepRap, je peux maintenant considérer Massimo comme mon ami car j’ai commencé à faire du hardware grâce à lui et Arduino), Adafruit, Sparkfun, etc.

La RepRap et surtout l’impression 3D sont pleine de conneries actuellement, c’est vrai. Il y a ainsi tous les jours de nouvelles entreprises qui se montent. La majorité des gens n’y ont pas contribué d’un yotta, pas apporté la moindre contribution et pourtant ils se prétendent inventeurs, mais fini le troll. Je fais partie de la communauté RepRap depuis vraiment longtemps et je puis affirmer sans fausse modestie que j’ai beaucoup aidé à le diffuser. La Prusa Mendel est probablement le modèle d’imprimante 3D le plus répandu sur la planète.

Croyez moi, c’est parfois vraiment tentant de prétendre avoir réalisé des choses que vous n’avez pas vraiment faites, n’est-ce pas ? Comme « Hé, mon imprimante peut imprimer à une résolution de 50 microns! » LOL. J’ai conçu un putain de tatouage pour me défendre de ça. C’est le logo de l’Open Hardware avec la goutte standard de RepRap dedans. C’est directement sur mon avant-bras droit, tout le monde peut le voir quand on me serre la main, quand je rencontre quelqu’un ou que je signe un contrat, peu importe. C’est un symbole pour moi. L’Open Hardware et RepRap ont fait de moi ce que je suis.

Un triste évènement qui s’est produit aujourd’hui m’a finalement motivé à écrire cet article. Makerbot a fermé ses sources, du moins tout semble le laisser présager. Makerbot a été lancé par plusieurs développeurs principaux du projet RepRap, Zach Smith, Bre Pettis (NdT : lire sa réponse juste après) et Adam Mayer. Adrian Bowyer, le fondateur du projet RepRap, leur a donné, comme d’autres, de l’argent pour démarrer. Makerbot est basé sur la RepRap, et ils n’ont jamais eu honte de cela. Mais cela a changé et Makerbot a commencé à prendre de la distance. Les gens m’ont accusé de dénigrer Makerbot lorsque je donne des conférences sur la RepRap. Je me suis dit « qu’est-ce que c’est que ce délire ! ». J’ai même échangé quelques e-mails avec Bre. Je vois toujours Makerbot comme un ami important de l’univers Open Hardware, également comme un bouclier qui protègerait de potentielles poursuites judiciaires.

Bre a donné une conférence l’an dernier à l’Open Hardware Summit, bla bla…. « une entreprise qui montre aux autres que le chemin de l’open source est possible ». J’avoue que je grinçais des dents en entendant le directeur des relations publiques laisser penser qu’ils avaient inventé la chose, vous savez, cette connerie que Makerbot a créé : l’extrudeur pas à pas. Ils en ont même fait une vidéo sympa. Plus tard, ils ont levé la bagatelle de 10 millions de dollars et les choses ont commencé à changer.

Et surprise, surprise, maintenant on a la Replicator 2 et sa version en source fermée. Hé, regardez, on a récupéré toutes les améliorations que vous avez partagé sur Thingiverse, compilé le tout dans un paquet et on l’a fermé. Pareil avec le logiciels MakerWare. (Ils ont finalement, après des années, arrêté d’utiliser Skeinforge, un logiciel libre créé par un brésilien qui n’avait même pas d’imprimante).

Et vous savez ce qui est le plus sournois ? Ne pas en parler lorsqu’ils l’ont annoncé, pas même lorsque les premières commandes sont parties ou juste après l’Open Hardware Summit où Bre Pettis est allé faire un beau discours (relayé par des magazines comme Make: faisant de MakerBot l’un des héros de l’Open Hardware).

J’ai demandé des précisions sur leur page Facebook, demandé à Bre directement et à d’autres employés, mais je n’ai eu aucune réponse. Si c’est vraiment ouvert, pourquoi ne pas le dire ?

Lettre ouverte à Bre Pettis.
Salut Bre,
On se connait depuis un moment. Je voulais te demander si la Replicator 2 est fermée ou non. Et si oui, pourquoi ? J’aimerais aussi t’interviewer pour mon émission RepRap sur Youtube, je te promets de rester neutre. Mais il faudra t’expliquer sur ton comportement bizarre que je mentionne dans cet article.
Jo Prusa, core développeur du projet RepRap

Crédit photo : Ddurant123 (Creative Commons By)

Corriger la désinformation avec de l’information

Fixing Misinformation with Information

Bre Pettis – 20 septembre 2012 – MakerBot.com
(Traduction : fcharton, KoS, Smonff, Pascal, Alex, Gatitac, @jfomhover, ProgVal, Dam, Ag3m, tanguy)

Bre Pettis - CC by-ncIl y a de fausses informations que j’aimerais éclaircir.

Question 1 : Le MakerBot Replicator 2 est-il open source ?

Nous travaillons dessus et allons être aussi ouvert que possible tout en ayant une activité viable. Nous allons continuer à respecter les licences et à contribuer à la technologie ouverte des imprimantes 3D, dont certaines sont de notre initiative. Nous ne voulons pas abuser de la bonne volonté et du soutien de notre communauté. Nous aimons ce que nous faisons, nous aimons partager et nous aimons ce que notre communauté invente. J’ai l’intime conviction que les entreprises qui partagent seront celles qui réussiront demain et je ne pense pas que ce soit un secret. Ces jours-ci, même des sociétés comme Google et IBM se lancent dans l’open source et trouvent de nouvelles manières de partager.

J’attends avec impatience de pouvoir parler avec les gens du Open Hardware Summit pour voir comment MakerBot peut partager autant que possible, donner du travail à ses 150 employés, produire du hardware fabuleux, et rester pérenne. Est-ce que nous devrons expérimenter pour rendre cela possible ? Oui, et cela va demander beaucoup de collaboration, de coopération, et de compréhension.

J’aimerais qu’il y ait plus d’exemples de grandes entreprises prospères dans le domaine du matériel « ouvert ». D’un point de vue commercial, nous avons été ouvert de manière absurbe, plus ouverte que n’importe quelle autre entreprise que je connais. Il n’y a pas de modèles ou de sociétés que je connaisse qui ait plus de 150 employés et qui soient plus ouverte que nous (je serais ravi d’avoir tort, mais je ne le pense pas). Nous expérimentons la manière d’être aussi ouvert que possible tout en ayant toujours un travail à la fin de la journée. Allons-nous réussir ? Je l’espère, mais même si ce nest pas le cas, tout le monde va découvrir qu’être aussi ouvert que possible est une bonne chose pour les affaires ou bien que personne ne devrait le faire, ou quelque chose entre les deux.

Personnellement, j’espère que nous réussirons, et pas seulement parce que j’aime ce que les gens font avec produits MakerBot et que j’adore les employés qui fabriquent ces machines, mais parce que je crois que MakerBot en tant qu’entreprise peut créer un nouveau modèle riche d’enseignements. Mais je n’ai pas l’intention de laisser les vulnérabilités de l’open hardware détruire ce que nous avons créé.

Des business que je connais, liés à l’open source hardware, ceux qui ont du succès sont ceux qui créent des projets éducatifs. Adafruit, Evil Mad Science et Sparkfun font des choses fabuleuses. Des entreprises comme Chumby et OpenMoko n’y sont pas parvenus, malgré le fait que des gens vraiment intelligents y étaient impliqués. Un grand nombre des projets hardware sur Kickstarter sont open source, mais je n’en ai vu aucun qui tienne le passage à la production industrielle. Encore une fois, je suis preneur de n’importe quel exemple réussi d’une grande entreprise de matériel open source. Il y a quelque chose de très intéressant à observer là dedans. Les entreprises hardware qui ont le plus de succès sont celles qui font des projets en étant open source.

Nous allons continuer à contribuer aux projets que nous avons démarré et à d’autres projets open source. J’ai été un fan de l’EFF et la FSF depuis suffisamment longtemps pour respecter les licenses. J’ai été prof depuis plusieurs années et je sais que quand on partage avec une communauté respectueuse, tout le monde dans cette communauté y gagne.

Nous sommes en train de travailler activement à un programme de développement pour créer des trucs super disruptifs et innovants. Nous attendons vraiment de pouvoir trouver des moyens de créer des situations gagnant/gagnant avec des développeurs et des entreprises. Heureusement, tout le monde n’est pas là pour manger gratos, à la fois Ultimaker et plusieurs projets RepRap ont contribué à la technologie et montrent que nous pouvons bosser ensemble et reposer sur les épaules les uns des autres.

Ce n’est pas le premier changement que nous avons effectué pour devenir professionnels et ça ne sera pas le dernier.

Question 2 : Est-ce que les conditions d’utilisation de Thingiverse ont changé pour « voler » les choses des gens

Thingiverse ne vole pas. Nous avons créé Thingiverse afin qu’il soit le meilleur endroit pour partager des choses en utilisant des licences libres. Les nouvelles conditions d’utilisation, que nous avons mis en place en février de cette année, nous permettent avant tout de partager vos créations sur notre site mais aussi de nous protéger contre les entreprises et leurs avocats. Peut-on la rendre plus conviviale ? Oui, mais les honoraires d’avocats sont chers et rendre cela plus simple prend beaucoup de temps.

J’ai mis sur notre liste de choses à faire en 2013 : rendre les conditions d’utilisation plus faciles à comprendre et éviter les malentendus. Si vous êtes préoccupés par cela, faites en sorte de lire le billet que j’ai écrit plus tôt cette année sur les conditions d’utilisation de Thingiverse.

Crédit photo : Bre Pettis (Creative Commons By-Nc)

MakerBot contre Open Source – Du point de vue d’un fondateur

MakerBot vs. Open Source – A Founder Perspective

Zachary Smith – 21 septembre 2012 – Hoektronics.com
(Traduction : fcharton, KoS, Smonff, Pascal, Alex, Gatitac, @jfomhover, ProgVal, Dam, Ag3m, tanguy)

Mark Demers - CC by-nc-ndJe m’appelle Zachary Smith (aussi connu sous le pseudo de Hoeken), je fabrique des imprimantes 3D depuis 2007 en prenant part au projet RepRap. J’ai créé une organisation à but non lucratif (la RRRF, RepRap Research Foundation) dédiée à la promotion des imprimantes 3D. En 2009, j’ai convié mes amis Adam Mayer et Bre Pettis à se lancer dans la fabrication d’imprimantes 3D. Partant de là, MakerBot Industries était né. Revenons-en à avril 2012, quand j’ai été poussé à la porte de l’entreprise du même nom. Aujourd’hui, je n’ai aucune information sur le fonctionnement interne de l’entreprise que j’ai créé. Allez voir cet article de Chris Thompson pour plus d’informations.

Je ne soutiens aucun mouvement qui restreint la nature libre du MakerBot, qu’il s’agisse de matériel, d’électronique, de logiciel, de firmware, ou d’aucun autre projet ouvert. MakerBot a été créé sur les bases de projets de matériel libre, tels que RepRap ou Arduino, aussi bien que d’autres projets logiciels libres pour le développement de notre propre logiciel. Je reste dévoué au mouvement de l’open source, et je crois aux idéaux et buts de l’Open Source Hardware. Je n’ai jamais dévié de cette position et j’espère que je ne le ferai jamais.

Je réserve mon jugement jusqu’à ce qu’on entende quelque chose d’officiel de la part de MakerBot sur la nature open source (ou pas) de sa dernière imprimante. J’essaie de rentrer en contact avec les gens pour comprendre, mais jusqu’à présent personne ne parle, et mes ex-partenaires n’ont pas répondu à mes appels téléphoniques ou mes e-mails. Cela ne sent pas bon. La meilleure information que j’ai trouvée est un tas de conneries issues du double langage d’entreprise (NdT : le « tas de conneries » c’est justement la traduction ci-dessus « Corriger la désinformation avec de l’information » !).

Si ces allégations se révèlent vraies, ce serait une triste journée pour le mouvement du matériel libre. Non seulement ce serait la perte d’un grand fabriquant de matériel ouvert, mais ce serait aussi la perte d’un exemple pour le mouvement. Beaucoup de gens se sont tournés vers Makerbot en disant : « Oui, le matériel ouvert est un secteur viable, regardez la réussite de MakerBot ». S’ils ferment ces portes, alors cela donnera des arguments à ceux qui disent que le matériel ouvert n’est pas viable. Cela va aussi décourager d’autres entreprises de se lancer dans le matériel ouvert. Ce serait effectivement une bien triste nouvelle.

Personnellement, je considère les migrations vers les formats propriétaires comme la trahison ultime. Quand on m’a chassé ce n’était dû qu’à un malheureux mais classique clash de personnalités, où une personne devait partir et l’autre rester. J’ai ravalé mon égo et je suis parti parce que je savais que la société que j’avais fondé porterait mes idéaux plus loin dans le monde. Sans m’attarder sur nos différences, j’avais pensé que Bre aurait continué à suivre les principes sur lesquels nous avions fondé notre société et les mêmes principes qui avaient joués un rôle de premier plan dans le succès de notre société. Passer d’un format libre à un format propriétaire est contraire à tout ce que je défends et en tant que co-fondateur de MakerBot Industries, j’ai honte d’y voir mon nom associé.

Bre Pettis, je t’en prie, montre-moi que j’ai tort en clarifiant exactement sous quelle license Makerbot va diffuser les fichiers de conception et le logiciel. C’est tout ce que nous (la communauté) souhaitons.

Enfin, je voudrais rappeler et souligner la définition de l’Open Source Hardware, que MakerBot a approuvé. Ce document énonce en des termes très clairs ce que cela signifie être une entreprise d’open hardware. Je le laisse ici à votre jugement :

Open source hardware regroupe les conceptions Hardware réalisées publiquement et disponibles de manière à ce que n’importe qui puisse étudier, modifier, distribuer, créer et vendre un design ou un produit basé sur ce design. La source du produit hardware, le design duquel le produit est issu, est disponible sous un format choisi pour permettre de faire des modifications. Idéalement, open source hardware utilisera des composants et matériaux facilement approvisionnables, des procédés de fabrication standard, des infrastructures libres, des contenus libres de droit et des outils de design open source pour maximiser la possibilité donnée à d’autres de concevoir ou utiliser un produit hardware. Open source hardware permet à quiconque d’avoir le contrôle sur leur technologie du moment qu’elles partagent leur savoir et encourage le commerce au travers de l’échange de design libre.

Crédit photo : Mark Demers (Creative Commons By-Nc-Nd)




Ceci est une Révolution : ce que l’Open Source a changé

Patrice Bertrand - SmilePatrice Bertrand est directeur général de la SSII Smile spécialisée dans l’intégration de solutions open source ainsi que président du prochain Open Word Forum (dont Framasoft sera).

Il a tout récemment fait paraître un article dans le quotidien économique et financier La Tribune qu’il nous a semblé intéressant de reproduire ici (enrichi de quelques liens) avec son aimable autorisation.

C’est accessible et synthétique. On n’hésite pas à employer les grand mots.

Et, clin d’œil à nos plus fidèles lecteurs, on peut également y trouver là comme une sorte de réconciliation entre les frères ennemis « open source » et « logiciel libre » (enfin vous nous direz dans les commentaires).

Ceci est une Révolution : ce que l’Open Source a changé

Patrice Bertrand – 17 septembre 2012 – La Tribune

URL d’origine du document

Les 11, 12 et 13 octobre prochains se tiendra à Paris, l’Open World Forum, un événement de renommée internationale dédié à l’open source et aux approches ouvertes. L’open source est une idée qui a pris naissance dans le monde du logiciel, mais a inspiré et bousculé bien d’autres domaines. Tout comprendre en quelques clics sur une révolution qui bien au-delà de l’informatique, touche l’ensemble de la société…

Logiciel libre et open source

Revenons aux origines. Le logiciel libre est imaginé dans les années 80 par Richard Stallman. Il affirme que les programmes informatiques doivent pouvoir être librement utilisés, et surtout étudiés et modifiés. Utopique pour certains, il amorce pourtant une véritable révolution, qui 20 ans plus tard a bousculé toute l’économie du logiciel, et bien au delà. Fin des années 90, certains préfèrent l’appellation alternative de logiciel open source pour désigner à peu près la même chose, mais en mettant en avant non pas tant la liberté, que les qualités spécifiques de ces programmes réalisés de manière collective, peu centralisée, dont le code source (le programme tel qu’il est écrit par un informaticien) est disponible et peut être modifié, utilisé pour créer de nouveaux programmes, des oeuvres dérivées.

A certains égards, l’open source est un mouvement humaniste. Il considère que le logiciel est, à la manière de la connaissance scientifique, une forme de patrimoine de l’humanité, un bien commun que nous enrichissons collectivement, pour le bien être de tous.

L’open source, disons ici plutôt le logiciel libre, porte aussi un message particulièrement d’actualité: le logiciel nous contrôle, il est vital pour nous de contrôler le logiciel. Des pans de plus en plus grands de notre vie sont sous la maîtrise de logiciels. Un logiciel détermine si votre voiture va freiner, un autre si votre pacemaker va faire battre votre coeur, et un autre peut-être déterminera pour qui vous avez voulu voter aux présidentielles. Le logiciel fait désormais plus que nous rendre service, il nous contrôle. Ce n’est pas un mal en soi, à condition seulement que le contrôlions aussi, que nous sachions ce qu’il fait exactement, et ayons le droit de le modifier si besoin. Cette exigence première du logiciel libre est plus que jamais essentielle.

Ces 20 dernières années, le logiciel libre et open source, réuni sous l’appellation FLOSS, a apporté d’incroyables bouleversements.

Dans l’informatique, une révolution aux multiples facettes

D’abord dans la manière de créer des programmes. Dans les années 90, peu après la naissance du web, c’est une révélation : les programmes les plus critiques de la toile, les programmes les plus utilisés, les programmes les plus complexes, sont des programmes open source. Même Bill Gates en prend soudain conscience, et adresse en 1998 un mémo à ses troupes, où il s’alarme de cette transformation, de ces logiciels aussi bons et parfois meilleurs, de cette nouvelle forme de concurrence.

L’open source a apporté une rupture dans l’économie du logiciel en abaissant les coûts d’une manière incroyable. Tout ce qui constitue le socle d’une plateforme informatique, d’une plateforme web, est devenu tout simplement gratuit : système d’exploitation, bases de données, logiciels serveurs, outils de développement, outils d’administration. Bien sûr, le coût total de possession n’est jamais nul : il faut du matériel, du support et de l’expertise humaine pour déployer et faire marcher tout cela. Mais pour une start-up, la barrière à l’entrée a été abaissée de manière phénoménale, stimulant et accélérant la création d’entreprises innovantes. Et pour les entreprises utilisatrices, cette nouvelle donne s’est traduite en gains de compétitivité.

Comme toutes les révolutions technologiques depuis la machine à vapeur, l’open source a amené une forme de destruction créatrice, comme l’avait décrit l’économiste Joseph Schumpeter. En produisant des alternatives quasi-gratuites à des logiciels anciennement coûteux, l’open source a fait disparaître des acteurs devenus non compétitifs, et réduit les marges de quelques autres. Mais le contexte nouveau d’un socle logiciel devenu un bien commun a permis l’émergence de milliers d’acteurs, de startups innovantes, dont certaines sont déjà grandes. Et a permis, plus largement, l’émergence du web, de ses acteurs géants, et des milliers d’acteurs plus petits mais innovants et grandissants.

Le développement logiciel a été profondément modifié lui aussi. L’approche moderne du développement consiste à assembler des composants, grands et petits, pour l’essentiel open source. Une part déterminante du développement consiste donc à sélectionner les bons composants et les intégrer, en ne développant réellement que les parties spécifiques, qui concentrent la valeur ajoutée de l’application. C’est une transformation du développement logiciel qui a apporté d’importants gains de productivité.

L’open source domine sur les serveurs et dans le cloud

L’open source a eu des succès mitigés sur le poste de travail, sur le PC ordinaire. Et pourtant, moins visible et moins connue du public, la victoire de l’open source a été écrasante du côté serveurs et Cloud. Si Windows domine sur les postes de travail, le système d’exploitation Linux a une domination plus grande encore sur les millions de serveurs des grandes plateformes du web, de Google, Facebook, Amazon, ou eBay, mais des plus petits acteurs de la même manière. Une étude récente estimait à 90 % la part de marché de Linux sur le Cloud de Amazon. Dans beaucoup de domaines, l’open source est en pointe, faisant naître les outils de demain. Citons par exemple l’émergence du Big Data, la manipulation des données à une échelle nouvelle, où les outils de bases de données anciens atteignent leurs limites, et où des technologies nouvelles sont nécessaires. Ces nouvelles bases, dites NoSql, sont pratiquement toutes des logiciels open source.

Open Innovation

L’open source a apporté aussi une nouvelle approche de la R&D. Une belle illustration est donnée par le projet open source Genivi, qui a l’initiative de BMW et PSA a réuni des grands constructeurs automobiles et équipementiers dans une démarche typique de R&D mutualisée, construisant ensemble une plateforme logicielle destinée à leurs véhicules. Pour réussir ce projet stratégique, ces grands industriels ont adopté le modèle open source tant en termes de socle, de développement, de diffusion, que de gouvernance. Et l’on pourrait citer évidemment le noyau du système Linux lui-même, auquel contribuent des dizaines d’entreprise, en faisant sans doutes le plus bel exemple de R&D mutualisée, à l’échelle mondiale. Les démarches appelées parfois « open innovation » ont montré les bénéfices d’une innovation plus ouverte sur le monde, moins cachée, fonctionnant en réseau.

Open Art

Certains ont présenté l’open source comme antagoniste à la propriété intellectuelle. C’est tout le contraire, puisque l’open source se définit par ses licences d’utilisation, qui s’appuient elles-mêmes sur le droit d’auteur. L’auteur, titulaire des droits, donne à l’utilisateur des droits étendus, et quelques devoirs. Ce principe par lequel l’auteur d’une oeuvre reste parfaitement identifié, conserve ses droits, mais autorise différentes utilisations et la redistribution de son oeuvre a été étendue à de nombreux domaines, bien au delà du logiciel.

L’open source se décline dans l’art également. Les licences Creative Commons ont permis de diffuser des oeuvres de toutes natures en donnant des droits étendus, en particulier une libre rediffusion, avec ou sans le droit de modifier l’oeuvre originale. Ainsi, la fondation Blender, qui développe l’un des meilleurs programmes d’animation 3D du monde, un programme open source, réalise des open movies, des films d’animation dont tous les fichiers source, qui permettent de générer le film, sont rendus disponibles et peuvent être modifiés. Comme un roman dont on pourrait réécrire la fin.

Open hardware

L’open source a gagné le matériel également, sous l’appellation de « open hardware ». Il s’agit ici de partager les plans de circuits et d’équipements entiers. Un bel exemple d’open hardware, le projet Arduino est un microcontrôleur programmable totalement open source, matériel et logiciel, qui peut être adapté pour toutes formes de traitement du signal, ou de contrôle de process. Il peut être programmé pour réagir aux signaux de capteurs externes, les traiter, et commander des actions. Depuis 2005 il s’enrichit d’année en année, et plus de 300 000 unités ont été fabriquées. La diffusion de l’open hardware est encore modeste, mais souvenons-nous que c’était le cas aussi de l’open source logiciel à ses débuts : un « truc de geek ». Mais ces trucs de geeks font tourner les plateformes du web aujourd’hui.

Le mot clé derrière ces projets, ces démarches, est celui de réappropriation de la technologie. La technologie n’est pas le domaine réservé d’une élite minuscule, du fond de la Silicon Valley. Nous pouvons la maîtriser, et particulièrement si nous réunissons nos forces. C’est le principe des FabLabs. Nous ne sommes pas que des consommateurs idiots qui s’endettent pour acheter le dernier smartphone, dont on n’aura pas le droit même de changer la batterie. Avec quelques amis, avec un peu d’aide, avec des plans et des logiciels open source, nous pouvons construire des choses extraordinaires, dans notre garage. Pas tout à fait le dernier smartphone, mais pas très loin. Les imprimantes 3D ouvrent de nouvelles frontières pour ces démarches. Après avoir pris le contrôle des logiciels, il sera possible de reprendre le contrôle sur le matériel. On rêve déjà de pouvoir télécharger, sous licence libre, les plans d’une pièce de rechange pour sa cafetière, d’imprimer chez soi sa pièce en 3D. Et un peu plus tard, d’imprimer la cafetière open source elle-même ! Utopique ?

Mais justement, c’est la plus grande révolution de l’open source, de montrer que l’utopie gagne, parfois.

Open médecine ?

Les systèmes open source ne sont pas que pour les bricoleurs du dimanche. Ils gagnent par exemple la recherche en médecine. Merveilleux exemple de matériel et de logiciel open source associé à une démarche de recherche : des chercheurs ont développé Raven, un robot chirurgien open source, mis à disposition des équipes de recherche du monde entier afin de faire progresser les logiciels et technologies de chirurgie assistée. D’autres chercheurs travaillent à une machine combinant scanneur et radiothérapie, dont les plans, le code source, et les instructions de fabrication seront open source. Il est intéressant de remarquer que certains de ces projets de médecine open source ont reçu le soutien de la FDA, qui est un peu l’équivalent de l’AFSSAPS, avec l’espoir en particulier que le logiciel open source améliore la qualité, jugée insuffisante, des équipements propriétaires.

Fédérer les énergies citoyennes

L’open source a montré aussi que l’on pouvait fédérer et organiser les efforts d’un grand nombre de personnes sur un projet commun. Il était précurseur de ce qu’on a appelé plus tard le crowdsourcing, ces projets qui impliquent un grand nombre de contributeurs bénévoles, dont la réussite emblématique est celle de Wikipedia, mais qui a aussi donné OpenStreetMap. Avec un double crédo : d’une part la connaissance est un bien commun qui doit être accessible à tous sans barrière économique, d’autre part les citoyens peuvent gérer eux-mêmes ce patrimoine, dans le cadre d’une organisation décentralisée, et d’une gouvernanceouverte.

Parmi les déclinaisons de l’open source, on peut citer aussi le mouvement de l’open data, la mise à disposition des données publiques, mais aussi des données de certaines entreprises. Une démarche citoyenne et démocratique d’une part, mais aussi le socle de nombreuses initiatives et modèles économiques nouveaux appuyés sur ces données.

L’open source a fédéré des combats citoyens fondamentaux. Les militants de l’open source ont une force particulière : ils réfléchissent aux tendances sociétales, mais sont aussi au coeur des technologies nouvelles et parfois de leurs rouages économiques. Ils ont compris par exemple l’importance de standards réellement ouverts, dont la spécification soit librement accessible, dont la gouvernance soit ouverte, dont l’utilisation soit gratuite. Ils se battent pour la neutralité du Net, ce principe fondateur de non-discrimination des flux sur le réseau mondial, qui a permis l’émergence de toute une industrie du web et qui est menacée aujourd’hui. Ils tentent d’expliquer aux politiques pourquoi les brevets ne sont pas applicables au monde du logiciel, où la seule protection du copyright est amplement suffisante. Dans le monde du logiciel, les brevets sont contre-productifs, ils découragent l’innovation, ils sont l’arme d’un oligopole de géants et d’entités mafieuses appelées patent trolls. Pour les premiers il s’agit d’effrayer les petits concurrents plus innovants. Pour les seconds, d’extorquer une rente sur l’innovation des autres.

Une industrie florissante

L’open source n’est pas à l’écart de l’économie, au contraire. Les développeurs qui construisent les programmes open source ne sont pas toujours des bénévoles : la plupart sont payés par des entreprises qui voient un intérêt bien analysé dans leurs participations à ces travaux : elles bénéficient de logiciels performants dont elles n’ont eu à financer qu’une fraction de la R&D, elles ont une parfaite maîtrise de ces technologies qui deviennent des standards, elles ont un rôle dans la gouvernance de ces projets.

En France, l’économie du logiciel libre représente plus de 300 PME et ETI, éditeurs de logiciels ou sociétés de services, dédiées au logiciel libre. Elles sont souvent réunies en associations régionales, elles-mêmes fédérées au sein du CNLL, le Conseil National du Logiciel Libre. Elles représentent ensemble plus de 3000 salariés, et connaissent une croissance annuelle de près de 30 %. Si on comptabilise également les emplois liés au logiciel libre dans les sociétés de services généralistes, l’industrie (notamment aéronautique) et les télécommunications, le chiffre d’affaires global lié à l’open source est estimé à 2.5 milliards d’euros, soit 6% du marché des logiciels et des services informatiques, et plus de 30.000 emplois, en croissance annuelle de 30%. Source : Pierre Audoin Consultants.

On le voit, les déclinaisons de l’open source sont nombreuses, les impacts de l’open source vont bien au-delà du logiciel, des nouvelles technologies, ils s’étendent à d’autres industries, à l’ensemble de la société, à nos conceptions de la citoyenneté, de la démocratie. Toutes ces facettes de l’open source, à l’articulation de la technologie et du sociétal, sont représentées à l’Open World Forum. Ceci est une révolution, comme le dit une célèbre marque technologique…




À la rencontre des « bots » qui veillent eux aussi sur Wikipédia

Connaissiez-vous les « bots » de Wikipédia ?

Le mieux est de commencer tout d’abord par demander à Wikipédia :

« Les bots sont des agents automatiques ou semi-automatiques qui interagissent avec Wikipédia comme le fait un utilisateur, mais pour des tâches répétitives et fastidieuses pour un humain. Les bots peuvent être utilisés pour créer des articles. D’autres peuvent être utilisés pour éditer ou même détruire des articles. Certains bots sont spécialisés dans la gestion des liens d’interlangue, la résolution des homonymies, les annulations de certains vandalismes ou encore les opérations sur les catégories. Des bots bien conçus peuvent apporter un bénéfice concret à Wikipédia. Cependant, parce que le système n’a pas été conçu pour supporter des bots, même un bon bot peut avoir des effets secondaires non souhaitables. »

C’est donc de ces satanés bots dont il est question dans la traduction ci-dessous. Bien moins pour glorifier l’intelligence artificielle que pour rendre hommage à ceux bien humains qui les programment dans les coulisses.

Remarque : Les wikipédiens francophones ont quant à eux souvent à faire avec le bot Salebot (Attention, bot méchant ! nous prévient-on sur sa page « Utilisateur »), un article spécialement dédié lui avait été consacré par Camille Gévaudan sur le site Écrans en août 2008.

Kristina Alexanderson - CC by-sa

Meet the ‘bots’ that edit Wikipedia

Daniel Nasaw – 25 juillet 2012 – BBC News
(Traduction : elfabixx, Pwetosaurus, Gatitac, Jose, ProgVal, Kaya, fck)

Rencontrez les « bots » qui éditent Wikipédia

Wikipedia est écrit et maintenu par des dizaines de milliers de volontaires bénévoles dans le monde, qui sont eux-mêmes assistés par des centaines de « bots » — des programmes informatiques autonomes — qui aident à garder l’encyclopédie fonctionnelle.

« Le pénis est l’organe mâle de copulation et de miction chez les mammifères. » dit la page Wikipédia en question.

Cette affirmation est indéniablement vraie, et donc mérite d’être dans Wikipédia, mais elle n’a assurément rien à faire dans l’article du site consacré à la Cour suprême !

C’est un facétieux lecteur anonyme de Wikipédia vivant en Caroline du Sud a proposé cette contribution à l’encyclopédie mondiale en ligne la semaine dernière, et il a suffi de quelques secondes pour que cette erreur soit détectée et supprimée.

Ce vandalisme n’a pas été trouvé par un autre contributeur, mais simplement par un programme d’intelligence artificielle appelé « bot », qui est une aphérèse de « robot ».

Virtuellement invisible

ClueBot NG, car tel est son nom, réside dans un ordinateur à partir duquel il intervient sur la vaste encyclopédie pour détecter et nettoyer le vandalisme, quasiment dès que celui-ci apparaît.

Il fait partie des quelques centaines de bots qui patrouillent sur Wikipedia à tout moment. Son rôle dans la restauration immédiate de l’article sur la Cour suprême illustre comment les bots sont devenus une partie indispensable — même si virtuellement invisible — du projet Wikipédia.

« Wikipedia serait une belle pagaille sans les bots », écrivait dans un courriel un administrateur de Wikipédia, connu sur le site sous le nom de Herfold.

À elle seule, la version anglaise de Wikipedia dépasse les quatre millions d’articles ce mois-ci. Elle contient autour de 2.5 milliards de mots, équivalent à des millions de pages, et est 50 fois plus grosse que l’Encyclopædia Britannica.

Wikipedia est maintenue dans toutes les langues par des dizaines de milliers de contributeurs — dont environ 77 000 font plus de cinq éditions par mois.

Le projet est devenu avec le temps tellement vaste et sa maintenance un tel travail intensif que cela défie les capacités de ses administrateurs et simples contributeurs humains de le maintenir en ordre.

Intervenir contre les vandales

C’est là que les (ro)bots interviennent.

« On s’amuse à penser au jour où les robots se mettront en grève juste pour que tout monde se rende compte de la quantité de travail qu’ils abattent », dit Chris Grant un étudiant de 19 ans à Perth en Australie, qui fait partie du comité de Wikipédia qui supervise les robots.

« Le site demanderait beaucoup plus de travail de notre part et épuiserait davantage les contributeurs ».

Les bots effectuent ainsi de nombreuses tâches éditoriales et administratives qui sont fastidieuses, répétitives et chronophages mais néanmoins vitales.

Ils suppriment le vandalisme et les grossièretés, organisent et cataloguent les entrées, et gèrent les coulisses de l’encyclopédie, ce qui lui permet de fonctionner efficacement et de garder son apparence soignée et uniforme dans le style.

En des termes plus concrets, les bots sont comme des étudiants qui veillent sur les livres, déplacent des piles d’un étage à un autre, corrigent les codes-barres au dos des livres, et effectuent d’autres tâches ingrates, qui permettent aux bibliothécaires qualifiés de se concentrer sur les acquisitions et la politique du lieu.

Les bots peuvent-ils écrire ?

« Wikipédia s’est tellement développée que je ne sais pas comment les gens pourraient bien la gérer si tous les bots s’en allaient » nous dit Brad Jorsch, un programmeur informatique en Caroline du Nord qui gère un bot qui traque les bandeaux rappelant aux rédacteurs d’ajouter des sources aux articles.

Les bots sont présents depuis presque aussi longtemps que Wikipédia elle-même.

Le site a été fondé en 2001 et l’année suivante, un bot appelé Rambot a créé environ 30 000 articles — à un rythme du millier par jour — sur les villes individuelles des États-Unis. Le bot a puisé ses données directement à partir de tabeaux de recensement américain. Et les articles se lisaient bien comme s’ils avaient été écrit par un robot. Ils étaient courts et convenus, et contenaient à peine plus que des séries de statistiques démographiques.

Mais, une fois qu’ils avaient été créés, des rédacteurs humains prenaient le relais et remplissaient les entrées avec des détails historiques, des informations sur la politique locale et les sites touristiques.

En 2008, un autre bot a créé des milliers de courts articles sur des astéroïdes, renseignants quelques lignes de données pour chacun à partir des bases de données de la NASA.

Aujourd’hui, la communauté Wikipédia demeure divisée quant à l’apport des bots aux articles. Certains administrateurs trouvent que de petits articles composés de quelques données n’ont que peu de valeur, d’autres trouvent que tout nouveau contenu est bon à prendre.

La peur des bots malicieux

Le résultat du débat a été que les bots ne sont désormais plus autorisés à écrire des articles entiers. Cependant, leur capacité à effectuer le plus gros de la maintenance libère les vrais contributeurs humains qui disposent alors de plus de temps pour effectuer une recherche, créer ou modifier un article et vérifier l’exactitude du travail des autres.

« Je ne pense pas que les gens réalisent quelle quantité de maintenance et de travail annexe sont nécessaires sur Wikipédia » dit Grant.

Certains administrateurs craignent les dégâts qu’un bot renégat pourrait un jour occasionner à l’encyclopédie. Pensez à Skynet dans les films Terminator.


Ces peurs sont infondées, d’après Grant.

Déjà, un robot n’est pas comme une automobile : si une partie d’une opération échoue, il s’arrêtera plutôt que de se fracasser quelque part.

« Il faudrait déjà que quelqu’un demande à un programmeur de rendre le bot fou et qu’il efface tout », dit Grant.

« Les bots avec les droits de supprimer des pages, bloquer des éditeurs, et prendre d’autres décisions drastiques ne peuvent être utilisés que par des contributeurs de confiance disposant de hauts privilèges administratifs », dit Grant.

Cependant, les bots aussi font des erreurs lorsqu’ils font face à des situations pour lesquelles ils n’ont pas été conçus. ClueBot NG, le bot anti-vandlisme, a cependant un très faible taux de faux positifs (lorsqu’il confond des articles légitimes avec du vandalisme). Étant donné que Wikipédia garde une trace des éditions, les erreurs peuvent être réparées presque aussi vite qu’elles surgissent, disent les administrateurs.

Les contributeurs humains ne craignent pas d’être un jour remplacés par les bots, disent les maîtres de bots. « Ecrire un article, citer ses sources, ou encore améliorer sa grammaire et son orthographe nécessiteront toujours le concours d’une personne », conclut Jorsch.

Crédit photo : Kristina Alexanderson (Creative Commons By-Sa)




Rebootons la civilisation avec Marcin Jakubowski d’Open Source Ecology

Marcin Jakubowski est le fondateur d’Open Source Ecology (évoqué la première fois ici sur notre blog)

C’est l’un des projets les plus enthousiasmants qui soit : disposer d’un kit de machines pour bâtir en toute autonomie les bases d’un village, d’une communauté ou d’une… civilisation ! Et là où tout ceci devient passionnant c’est que ces machines sont libres, permettant à tout un chacun de reprendre les plans pour s’en aller poser la première pierre de sa propre future communauté.

Si vous ne connaissez pas bien, nous vous suggérons de commencer par cette conférence TED de Marcin sous-titrée en français. Et pour aller plus loin, nous vous proposons ci-dessous la traduction d’un récent entretien donné par Marcin Jakubowski au blog du site TED.

Remarque : il y a également ces autres très instructives vidéos qui donnent plus de détails sur les différentes machines.

Marcin Jakubowksi - TED

Le rédémarrage de la civilisation – Entretien avec Marcin Jakubowski

Civilization reboot: Fellows Friday with Marcin Jakubowski

Karen Eng – 27 juillet 2012 – TED’s Blog
(Traduction : boubou, kamui57, steeve bois, xtof, maxlath, Lou, Slystone, KarmaSama, lorenzo11)

Le fondateur du mouvement Open Source Ecology, Marcin Jakubowski, est en train de jeter les bases libres d’une future civilisation, en commençant avec le Kit de Construction du Village Mondial (Global Village Construction Set). Ce kit de 50 machines à bas coût permettra à quiconque de bâtir toute l’infrastructure dont une communauté a besoin (Factor e Farm).

Le Kit de Construction du Village Mondial est une idée extrêmement ambitieuse. Quelle a été votre approche ?

Depuis mon enfance je suis passionné par la technologie. Mon père est un scientifique et ma mère est une enseignante, et très tôt j’ai pressenti que la science était une invention humaine incroyable qui pouvait nous permettre de rendre la vie meilleure. C’est ce qui explique pourquoi j’ai toujours voulu faire quelque chose d’extraordinaire avec la technologie.

Mais plus j’ai progressé dans le système éducatif, moins je me suis senti utile. Pendant ma deuxième année de préparation à mon doctorat sur l’énergie de fusion nucléaire, je ne me suis plus senti en phase avec le travail que je faisais : je pensais toujours que la fusion nucléaire était l’une des solutions aux problèmes énergétiques humains, mais plus je m’y intéressais, plus je réalisais que ce n’était pas la réponse. Cette technologie a beaucoup de problèmes, dont la radioactivité et le fait qu’il s’agisse d’une autre technologie de centralisation. Je sentais que cela ne contribuerait pas à une solution honnête pour une base technologique saine pour les Hommes. Donc j’ai commencé à réfléchir. « Et bien, alors, qu’est-ce qu’une base technologique saine ? Et comment peut-on se développer avec les technologies extraordinaires que nous possédons actuellement ? »

C’est comme cela que le Kit de Construction du Village Mondial a commencé. Et si on recommençait à partir de zéro ? Est-ce que l’on peut créer des communautés qui soient vraiment des témoins du développement humain et qui ne finissent pas empêtrées dans des problèmes géopolitiques et de mauvais compromis que l’on connaît dans les sociétés d’aujourd’hui ?

Comment et pourquoi avez-vous décidé de rendre le projet open source ?

Pendant que je travaillais sur mon doctorat, j’ai remarqué que je ne pouvais pas parler librement à d’autres groupes car nous avions des éléments sensibles et confidentiels. Donc je me suis dit : « Bigre ! Je suis à l’université et je ne peux pas travailler en collaboration de manière transparente ! » J’ai senti que ces limites étaient simplement un frein pour ma capacité à apprendre – quelle opportunité manquée ! Le concept d’Ecologie Open Source est issu de la tentative de répondre à la simple question suivante : « Qu’est-ce qui se passe lorsque l’on décide de travailler véritablement ensemble avec les autres ? » Ce principe s’applique à tous les secteurs de la société, de l’économie, à tout le reste. Pour le moment, la plupart des personnes ne travaillent pas ensemble. Chaque entreprise a son propre service d’ingénierie propriétaire. Il y a beaucoup de personnes qui réinventent la roue. Je pense que si on collaborait simplement, on pourrait accélérer le progrès par un facteur dix ou cent.

C’est cela l’essence de l’open source : nous essayons de bâtir sur ce qui existe déjà, et après on contribue en retour et on laisse tout le monde en profiter, en opposition au profit de quelques-uns seulement. C’est donc un changement complet d’état d’esprit, on passe d’un jeu à somme nulle à une société de post-pénurie.

Quelles sont les machines produites et envisagées, et pourquoi sont-elles les éléments clés d’une civilisation ?

L’ensemble de machines que je conçois englobe l’agriculture, l’énergie, les transports, la production… En gros tous les éléments d’infrastructure humaine sur lesquels on se repose pour fournir un standard de vie moderne. Est-ce que vous mangez ? Oui vous mangez. Donc vous avez besoin d’équipements agricoles pour nourrir les gens de manière optimale, depuis le tracteur jusqu’au four à pain. De quels outils pourriez-vous avoir besoin ? Une machine pour faire des circuits, des robots industriels, des équipements pour les énergies renouvelables, des machines pour construire, des machines pour fabriquer. Pour les transports, une voiture qui consomme 2 litres au 100 et qui fonctionne grâce à de l’énergie renouvelable avec un moteur moderne à vapeur, de la biomasse en granules pour le carburant. Les algues pourraient potentiellement marcher aussi. Pour l’énergie renouvelable, nous travaillons sur un concentrateur solaire à plusieurs miroirs, mais sur une échelle de 5 à 50 kilowatts. Ils sont réglables et modulables, donc nous pouvons en fabriquer plusieurs pour produire beaucoup d’énergie.

Toutes nos conceptions sont modulables. Par exemple, vous pouvez enlever les roues d’un tracteur en actionnant un levier, en retirant un boulon, pour l’utiliser sur une autre machine comme un mini tracteur ou un bulldozer, en maximisant la flexibilité de l’ensemble.

Avec la fabrication assistée par ordinateur comme les table de découpe contrôlées par ordinateur, les machines de précisions, les perceuses de circuits et les imprimantes 3D, les produits peuvent être conçus comme des Legos. Nous nous concentrons sur des designs modulaires, à assembler ensemble. En principe, c’est ce que nous visons. Une fois que nous auront optimisé la conception, je dirais qu’en un mois et avec, disons, quatre personnes, vous pourrez tout produire en utilisant des machines de fabrication avancée : tracteurs, voitures, bulldozers, pelleteuse, moissonneuse-batteuses, bétonnières, machines des puits de forages – à peu près 30 appareils mécaniques différents, en un mois, avec une production hyper-efficace. Nous insistons sur le fait que nous n’en sommes pas encore là – mais les témoignages que nous avons recueuillis jusqu’à maintenant indiquent la réalité future d’une production efficiente, distribuée et open source.

Où trouvez-vous les matières premières pour toutes ces machines ?

Pour le moment, nous achetons les matériaux en magasin. Mais dans le Kit de Construction il y a un four à induction et les procédures de roulage à chaud du métal. Donc vous pouvez prendre de l’acier de récupération, le fondre et en sortir de l’acier neuf. Ce qui fait que chaque décharge de métal est par essence un endroit où l’on peut reconstruire une civilisation.

Wow ! C’est en gros un kit pour l’Apocalypse.

C’est ce que disent certaines personnes. Je le vois plutôt comme un moyen de faciliter la mise en production. Je voudrais qu’on l’utilise pour construire une véritable communauté. C’est pourquoi la Factor e Farm existe. Nous avons 12 hectares dans le Missouri, et nous avons réuni une équipe solide où nous avons simultanément développé et utilisé des outils pour construire une communauté. À l’heure actuelle nous avons 14 personnes vivant à la ferme. D’ici à la fin de l’année nous voulons pousser ce groupe à 24. Le challenge étant de trouver les bonnes personnes.

Vous avez aussi besoin d’autres ressources pour commencer, comme des graines.

Oui, nous avons besoin de quelques graines. Si vous voulez une agriculture pérenne, vous devez générer tout votre stock génétique et le propager en utilisant une nurserie. Si vous avez besoin de verre, vous avez du sable. Si vous avez du sable, vous avez de la silice, ce qu’est l’âge digital. Si vous avez de l’argile, vous avez des aluminosilicates, ou aluminium, ce qui est une part de la civilisation moderne, les métaux. Pour le moment, l’extracteur d’aluminium est l’un des outils les plus avancé du kit.

Est-ce que la Factor e Farm vise l’auto-suffisance ?

C’est l’autonomie. Nous la cherchons comme but de notre entreprise sociale. Nous créons des outils qui permettent aux gens de produire à peu près n’importe quoi. Pour le moment, nous développons les outils, mais notre but ultime est de former les gens à être des entrepreneurs sociaux qui soient capables de tout créer, d’un Fab Lab open source à une ferme bio en passant par un centre de recherche.

Combien de machines avez-vous déjà finies ?

Nous avons sorti quatre machines en version bêta – un tracteur, une presse à brique, un pulvérisateur agricole et une pompe hydraulique. Le tout cumulé, nous avons un peu moins de 15 prototypes dont la fraiseuse commandée par ordinateur, la torche de découpe commandée par ordinateur, le mini-tracteur, la bétonnière, le tour en 3 dimensions, le marteau-pilon, l’échangeur de chaleur. Nous travaillons actuellement sur une machine à vapeur moderne.

Toutes nos machines sont open source (tout le monde peut télécharger les plans et les budgets). Mais nous vendons aussi nos machines prêtes à l’emloi. Nous travaillons à l’optimisation de la production avec l’objectif de vendre des presses à briques en terre et engranger 20 000$ par mois, ce qui nous permettrait de financer notre projet. Nous rationalisons la production de telle sorte que 8 personnes puissent produire une presse en un jour de travail collaboratif. Cela nous coûte 4 000$ de matériaux et nous vendons les presses 9 000$, soit une marge de presque 5000$ par machine. Nous prévoyons de lancer 4 cycles de production par mois, et le reste du temps nous le passons à developper le Kit et la communauté. Les gens n’arrêtent pas de me contacter pour obtenir des presses, nous avons un marché. La plupart du temps je suis obligé de leur dire « Hey, téléchargez les plans, récupérez votre chaîne de production, nous sommes débordés pour le moment ! ».

Qu’en est-il de la communauté de la Factor e Farm ?

Nous cherchons de gens qui souhaitent nous rejoindre. Notre but est d’arriver à 24 membres avant la fin 2013. Nous avons maintenant un responsable agricole sur site, nous commençons à pouvoir produire de notre sol toute notre nourriture. Nous visons à construire des habitations en blocs compressés (de 28 m²) en une semaine, presse et pose comprises. Nous venons de construire une unité de vie pour 10 personnes de 370 m² (double mur de brique séparés par une isolation à la paille). Nous ne sommes pas raccordés mais nous avons des toilettes à chasse d’eau et l’électricité. Nous avons aussi des toilettes à compost, soit différentes options pour différentes personnes.

Il y a un léger manque de parité. Nous avons une seule femme sur le site ! Nous encourageons donc les femmes à nous rejoindre. Et nous construisons la communauté. Et c’est là où nous en sommes pour le moment. Plus tard, nous déciderons d’une stratégie et d’un business plan, parce qu’il existe de nombreuses directions où l’on pourrait aller.

Quel type de personnes cherchez-vous ?

Nous cherchons des personnes qui sont par nature motivées, qui veulent lancer des opérations similaires et qui soient partie prenante du projet. La personne qui dirige la ferme voudrait à terme devenir agricultrice, et elle apprend en ce moment les techniques et l’utilisation des outils nécessaires. Notre directeur de production veut installer un nouveau centre une fois que le premier sera opérationnel. Nous cherchons donc des personnes qui soient réellement prêtes à utiliser les outils par eux-mêmes. Nous rémunérons les participants en fournissant un accès aux connaissances et aux technologies qui nécessiterait sinon d’être payé. C’est le modèle de ceux qui font de l’investissement personnel un mode de vie, avec des gens qui sont vraiment intéressés, qui ont donc la motivation et la bonne volonté de travailler dur pour faire de ce but une réalité. Nous pouvons aussi rémunérer directement les personnes pour le talent qu’ils ont et que nous ne pourrions pas obtenir autrement.

Psychologiquement parlant, c’est une expérience intéressante.

C’est la partie la plus intéressante. Ceci est, en fait, en train de devenir le plus gros challenge. La technologie est simple. Cela n’a pas une âme en soi. Mais avec les autres, nous remarquons que lorsque nous avançons dans l’expérience, nous devons aussi former les participants à une bonne santé psychique et mentale. Vous devenez une personne plus mature. Votre esprit doit évoluer d’un jeu à somme nulle vers l’après-rareté. C’est vraiment un développement personnel. C’est énorme, c’est tout simplement arriver à l’évolution d’une personne en tant qu’être humain.

Je pense beaucoup en termes d’équilibre de vie et en particulier d’équilibre travail/détente. Pourquoi les gens ne travaillent pas vraiment ou ne font pas de leur vie leur passion et leur travail ? Nous, ce que nous faisons, c’est notre passion. Ce niveau d’équilibre est le réel bénéfice de l’opération. C’est presque philosophique, et cela se vérifie très bien sur moi. Je vis cela en ce moment et je poursuis ma passion. Et j’ai environnement à bas-prix qui rend cela possible de façon responsable.

Jusqu’à quel point pouvez-vous allez ? En regardant plus loin dans le temps vous allez avoir besoin d’un système de santé, d’éducation…

Absolument. Pour le moment nous commençons simplement avec des infrastructures simples. Viendra ensuite l’éducation, la santé, un système financier, une gouvernance. Le matériel médical sera probablement le plus dur à obtenir. Viendront ensuite des choses comme la fabrication de semi-conduteurs. Notre but est de montrer qu’avec 12 hectares et 30 personnes, on peut créer ou recréer un standard de vie moderne saine, jusqu’à avoir des semi-conducteurs et du métal, le tout à partir des ressources du site. Jusqu’où un petit groupe de gens peuvent aller pour créer ensemble une référence de prospérité.

Comment la communauté TED a changé votre manière de travailler ?

Avant le TED 2011, nous disposions d’un budget mensuel de dons de près de 1 500 $. Du coup je suis assez vite arrivé à court d’argent. Depuis que nous avons rejoint la communauté, nous avons eu près d’un million de visites sur le site de la vidéo de ma conférence TED et 500 000 $ de financement. Tout cet argent et la plupart de l’équipe sur site est arrivé essentiellement après avoir vu cette conférence.

Donc en gros, depuis 2011, on a explosé et on essaye en ce moment même de gérer ces problèmes de croissance. C’est assez génial ce qui se passe en fait actuellement !

Comment les gens accueillent-ils l’idée ?

Il y a essentiellement deux camps. Les uns disent « Waou, l’idée va se répandre partout et cela vaut le coup de la soutenir ». Beaucoup sont intéressés par le principe.

Puis il y a ceux qui disent, « Si vous êtes open source, vous ne pourrez pas passer à grande échelle. Quel est votre business model ? Comment allez-vous vous développer et diffuser ? » Et c’est une question difficile. Pour moi la réponse est claire, il faut que nous reproduisions des objets très courants que tout le monde utilise. Si nous pouvons les produire à un coût plus bas – disons 5 à 10 fois moins cher – alors nous pouvons être dans le coup. Nous sommes en train d’optimiser le design de nos produits vers la simplicité, la durée de vie, la modularité, l’interchangeabilité des pièces. Nous essayons d’apprivoiser la technologie. Je pense que c’est une base solide.

Et alors les gens disent, « Bon, et comment vous générez votre revenu ?  » Nous cherchons à montrer qu’une installation de 400 m², une installation flexible et informatisée qui fait partie de notre boîte à outils – peut générer 80 000 $ par mois. Notre but est de faire la démonstration d’une production rentable et efficace, qui servira à amorcer notre trésorerie puis enseigner aux autres comment devenir une entreprise. Donc c’est un modèle entre production et formation que nous répliquerons en partageant les connaissances acquises avec d’autres personnes. Ils pourront alors soit commencer une installation du même type, soit mettre en place un centre de recherche, ou n’importe quelle sorte d’installation agricole. Ces outils peuvent avoir des usages allant de la reconstruction de villages, au lancement d’écoles, de fermes bio, d’unités de production, toutes sortes de choses. Il y a donc un grand potentiel en nous positionnant en tant que pépinière distributive de telles entreprises. Nous apporterons simplement des produits efficaces, bon marché et qui donnent envie partout dans le monde.

Cela passe à côté de l’objectif, non ? Parce que le but n’est pas de générer des revenus massifs, le but est de créer un monde auto-suffisant. Le but est de pouvoir vivre comme on le souhaite.

Absolument, c’est exactement ça. Une de nos critiques économiques courantes est que le marché devient efficace avant de faire faillite. Nous pouvons profiter de notre avantage concurrentiel seulement pour un laps de temps court pour un projet open source, avant que d’autres n’entrent dans la compétition et ne fassent baisser les prix. Mais c’est en fait un indicateur de notre succès : les gens adoptent une production à faible coût, distribuée de telle sorte que le monde en général atteint un état de post-pénurie matérielle (un stade dans lequel la pénurie matérielle devient impossible).

Alors, comment survivre à long terme ? En tant que pionniers, nous jouissons d’une primauté économique et d’un capital social initial – jusqu’à ce que nous soyons en mesure de financer un développement futur. Nous passons ensuite au développement de nouvelles machines. Notre modèle est effectivement fragile parce que nous sommes open source. Mais si c’est effectivement le cas (et si nous réussissons à faire cela pour un ensemble d’outils qui peuvent engendrer une économie complète) alors nous avons effectivement réussi à inventer un modèle évolutif pour créer des communautés économiquement autonomes. Pour moi, cela implique un monde meilleur où la pénurie matérielle ne serait plus une force motrice sous-jacente de la plupart des dynamiques de la civilisation. Ainsi, les gens pourront poursuivre de plus grands objectifs, une intégration entre la vie et le travail, et un standard de vie moderne qui ne nous ramène pas à l’âge de pierre.

Personnellement, je pense que c’est possible avec une infrastructure technologique vraiment appropriée à la civilisation. Nous pouvons créer un standard de vie moderne avec moins de deux heures de travail par jour, en utilisant d’abondantes ressources locales. Après cela, que faisons-nous de notre temps libre ? Nous nous concentrons sur des choses qui sont vraiment importantes pour nous. Cela nécessite un retournement complet de la façon de penser. J’ai l’espoir que nous allons évoluer à ce niveau en tant qu’être humain en moins d’une génération.




La troisième révolution industrielle est en marche et nous pouvons tous y participer

La « troisième révolution industrielle » est une expression popularisée par un récent essai de Jeremy Rifkin. Mais s’il se penche attentivement sur la question de l’énergie, qu’il envisage durable et distribuée, il se montre moins prolixe sur la question de la production.

Or là aussi de profonds bouleversements nous attendent…

Je casse une assiette aujourd’hui. Je prends ma voiture pour aller chez Ikea en acheter une autre (construit en Chine). Je casse une assiette demain. Je vais chercher sur Internet le fichier numérique « assiette », puis je demande à mon imprimante 3D de m’en créer une nouvelle sous mes yeux ébahis.

Et là où ça devient encore plus intéressant c’est quand l’imprimante tout comme le fichier sont libres, m’assurant alors que j’aurais une grande variétés de fichiers « assiette » à télécharger et que je pourrais même les modifier à ma guise avant de les imprimer 🙂

Pasukaru76 - CC by

La Troisième Révolution industrielle

The third industrial revolution

The Economist – Avril 2012
(Traduction : Louson, Lolo le 13, angezanetti, Fe-lor, GPif, xaccrocheur, @poulpita, fck, Coyau)

La numérisation de la fabrication modifiera la manière de fabriquer les biens ainsi que la notion même de travail.

La première révolution industrielle commença à la fin du XVIIIe siècle, avec la mécanisation de l’industrie du textile. Les tâches qui avant étaient exécutées laborieusement à la main par des centaines de petites industries de tisserand ont été réunies en une seule fabrique, et l’usine était née. la seconde révolution industrielle arriva au début du XXe siècle quand Henry Ford maîtrisa l’évolution des lignes d’assemblage et conduit à l’âge de la production de masse. Les deux premières révolutions rendirent les gens plus riches et plus urbains. Maintenant une troisième révolution est en cours. La fabrication devient numérique. Elle risque pas de ne changer que les affaires, mais bien plus de choses encore.

De nombreuses technologies innovantes convergent : logiciels, nouveaux matériaux, robots plus habiles, nouveaux procédés (en particulier l’impression 3D) et une large variété de services web. L’usine du passé reposait sur la production en masse de produits identiques : Ford disait que les acheteurs de voiture pouvaient avoir la couleur qu’ils voulaient, tant que c’était noir. Mais le coût de production de lots plus petits, d’une plus grande variété, où chaque produit est fait précisément sur mesure selon le vœu de chaque client, est en train de chuter. L’usine du futur se concentrera sur la personnalisation de masse et ressemblera bien davantage à de toutes petites industries qu’à la ligne de montage de Ford.

Vers une troisième dimension

Autrefois, pour faire des choses, on vissait et on soudait. Maintenant un produit peut être conçu sur un ordinateur et « imprimé » sur une imprimante 3D, qui crée un objet en volume en accumulant des couches successives de matière. La conception numérique peut être ajustée en quelques coups de souris. L’imprimante 3D peut fonctionner sans surveillance et peut faire des objets trop complexes pour être produits dans une usine traditionnelle. Un jour, ces machines étonnantes pourront faire presque tout, partout, dans votre garage ou dans un village en Afrique.

Les applications d’impression 3D sont particulièrement époustouflantes. Déjà, les prothèses auditives, et les parties haute technologie des avions militaires sont imprimées avec des formes adaptées. Un ingénieur travaillant au milieu du désert, à qui il manquerait un certain outil n’a plus besoin de se le faire livrer dans la ville la plus proche. Il peut simplement télécharger le design et l’imprimer. Les jours où les projets sont arrêtés pour cause de pièce manquante, ou encore, lorsque les clients se plaignent de ne plus pouvoir trouver les pièces de rechange de ce qu’ils avaient achetés, seront bientôt de lointains souvenirs.

Les autres changements sont presque aussi capitaux. Les nouveaux matériaux sont plus légers, plus résistants et ont une durée de vie plus longue que les anciens. Les fibres de carbone remplacent l’acier et l’aluminium pour des produits allant du VTT aux avions de ligne. Les nouvelles techniques permettent aux ingénieurs de réduire la taille des objets. Les nanotechnologies donnent de nouvelles fonctions aux produits comme les bandages qui guérissent les coupures, les moteurs avec un rendement supérieur ou de la vaisselle qui se nettoie plus facilement. Les virus crées génétiquement sont développés pour être utilisés comme batteries. Et, avec Internet qui permet aux designers de collaborer sur les nouveaux produits, les barrières d’entrées sont en train de s’effondrer. Ford avait besoin d’un gros tas de capital pour construire sa colossale usine River Rouge; son équivalent moderne peut commencer avec trois fois rien dont un ordinateur portable connecté et la soif d’inventer.

Comme toutes les révolutions, celle-ci sera fortement perturbatrice. La technologie numérique a déjà renversé les média et la vente au détail, comme les filatures de coton ont écrasé les métiers à tisser manuels et la Ford T a mis les maréchaux-ferrants au chômage. Les gens seront extrêmement surpris devant les usines du futur. Elle ne seront pas pleines de machines crasseuses commandées par des hommes en blouse graisseuse. Beaucoup seront d’une propreté irréprochable et quasi-désertes. Certains fabricants de voitures produisent le double de véhicules par employé qu’il y a dix ans. La plupart des emplois ne sera plus dans les usines mais dans les bureaux non loin, qui seront pleins de designers, d’ingénieurs, d’informaticiens, d’experts en logistique, de commerciaux et d’autre professions. Les emplois manufacturiers du futur demanderont d’avantage de compétences. De nombreuses taches répétitives et ennuyeuses deviendront obsolètes : on n’a pas besoin de riveteur quand un produit n’a plus de rivets.

La révolution n’affectera pas seulement la façon dont les choses sont faites, mais aussi le lieu où elles sont produites. Avant les usines se délocalisaient dans des pays à bas salaires pour diminuer le coût du travail. Mais le coût du travail est de moins en moins important : un iPad de première génération à 499 $ comprend aujourd’hui seulement 33 $ de travail manufacturé sur lequel l’assemblage final en Chine ne représente que 8 $. La production aujourd’hui offshore va de plus en plus souvent revenir dans les pays riches, bien moins à cause d’une hausse des salaires chinois que parce que les compagnies veulent désormais être plus proches de leurs clients de façon à pouvoir répondre plus rapidement à leurs demandes de modifications. Et certains produits sont si sophistiqués qu’il est pratique d’avoir les personnes qui les ont conçus et celles qui les ont fabriqués au même endroit. Le Boston Consulting Group estime que dans des domaines comme les transports, les ordinateurs, la fabrication de produits métalliques et la machinerie, 10 à 30 % des biens que les américains importent actuellement de Chine pourraient être fabriqués à domicile d’ici 2020, stimulant l’exportation américaine de 20 à 55 milliards de dollars par an.

Le choc de la nouveauté

Les consommateurs auront peu de difficultés à s’adapter à cette nouvelle ère de meilleurs produits rapidement livrés et créés près de chez eux. Les gouvernements pourraient toutefois commencer par résister au mouvement. Leur instinct est de protéger les industries et les entreprises qui existent déjà plutôt que de promouvoir les nouvelles qui les détruiront. Ils attirent les anciennes usines avec des subventions et stigmatisent les patrons qui voudraient délocaliser. Ils dépensent des milliards dans de nouvelles technologies qui, à leur avis, prévaudront dans l’avenir. Et ils s’accrochent à la croyance romantique que la fabrication est supérieure aux services, sans prendre en compte la finance.

Rien de ceci n’a de sens. Les frontières entre la manufacture et les services deviennent floues. Rolls-Royce ne vend plus de réacteurs, elle vend les heures pendant lesquelles chaque moteur propulse un avion dans le ciel. Les gouvernements ont rarement choisi les vainqueurs, et ils vont probablement mettre du temps à voir ces légions d’entrepreneurs et de bricoleurs qui s’échangent des plans en ligne, les transforment en produits chez eux et les vendent à l’échelle mondiale depuis un garage.

Pendant que la révolution gronde, les gouvernements devraient en rester aux bases : de meilleures écoles pour une main d’œuvre qualifiée, des règles claires et équitables pour les entreprises de toutes sortes. Laissez le reste aux révolutionnaires.

Crédit photo : Pasukaru76 (Creative Commons By)