Allumons les réverbères du Libre

Dans son communiqué de presse du 07 avril 2016, la Commission des lois du Sénat français déclare approuver le projet de loi pour une République Numérique porté par la secrétaire d’État au numérique Axelle Lemaire. Néanmoins, le Sénat a tenu à renommer ce projet de loi :

La commission a adopté le projet de loi en le modifiant : sans constituer la révolution que suggérait son premier intitulé, il contient un certain nombre de dispositions utiles pour assurer une meilleure régulation de la société numérique et améliorer la protection des droits des individus. C’est pourquoi la commission a modifié le titre du projet de loi, désormais intitulé : « projet de loi pour une société numérique ».

L’argument est limpide : nul ne saurait transformer les prérogatives de la puissance publique en place. C’est à la société de se transformer (se numériser) et c’est à la République (et ses institutions) qu’il revient de réguler les usages numériques. Tel est l’ordre des choses, et il est fort compréhensible que la Commission des lois ne laisse pas passer un texte qui transformerait une République dont elle est garante de l’intégrité.

Pourtant, cette rigidité est-elle bien conforme à l’air du temps ? Cette société numérique n’est-elle pas justement en train de montrer que ces usages sont précisément ceux d’une démocratie en train de se faire, mobilisant les attentions et renouvelant les pratiques politiques y compris debout à la place de la République. Peut-être est-ce justement à cause de cela et de ce qu’il cristallise comme besoin de transparence, de démocratie et de coopération, que le logiciel libre peine tant à être compris et assimilé par les institutions.

Ce texte de Véronique Bonnet, administratrice de l’April, synthétise ces questionnements. Un peu d’espoir peut-être en usant nous-mêmes, de plus en plus, du logiciel libre pour s’émanciper enfin ?

Sympathy for the Free Software

Par Véronique Bonnet, administratrice de l’April

Indésirable, le logiciel libre (free software) ? Un amendement de la commission des lois du Sénat vient de faire disparaître, pour l’instant, avant l’examen en séance prévu fin avril, l’encouragement au logiciel libre. Certes, il s’agissait bien d’un amendement de repli, non juridiquement contraignant, que l’Assemblée avait voté comme pis-aller, vu les tirs de barrage contre la priorisation. Le simple encouragement est-il déjà tabou ? Caillou dans la chaussure ? Loup dans la bergerie ? Disons ici notre sympathie irréductible, notre attachement citoyen au logiciel libre, n’en déplaise aux frilosités qui se drapent dans des habits bien improbables.

Du diable, on dit qu’il est dans les détails.

Un détail, justement. Le projet de loi numérique a changé de nom, la semaine dernière, en cours de route. Initialement, il s’appelait « Projet de loi pour une république numérique ». Le Conseil d’État, en décembre dernier, s’était étonné du décalage entre un tel intitulé et le contenu du projet de loi.

Dans le second volet d’un article publié le 15 avril par la revue EpiNet, intitulé « Bienheureuse panne d’imprimante, encore », j’ai essayé de montrer que si on prenait au sérieux la notion de république, alors on ne pouvait pas faire l’économie d’une priorisation de l’informatique libre dans le domaine public, « dans la tâche de protéger des regards ce qui doit l’être, et celle de rendre visible et accessible ce qui doit l’être, dans une république. »

J’avais dans mon argumentaire fait état de deux axes, esquissés, mais non assumés par le texte soumis à l’examen des parlementaires. Un premier axe qui disait vouloir découvrir et laisser à découvert ce qui devait l’être, dans une république, soit les traitements algorithmiques des paramètres qui débouchent sur des décisions et influent sur les existences. Un second axe qui disait vouloir couvrir et garder couvert ce qui devait le rester dans une république, soit le contrôle des données personnelles.

La semaine dernière, le gouvernement a remplacé le terme de « république », peut être trop contraignant, par le terme de « société ». Société numérique en lieu et place de la république numérique ? En rabattre sur les exigences de fraternité, d’égalité et de liberté vers une loi a minima peu conforme aux exigences de la république, mais bien suffisante pour la société. On ne peut s’empêcher de faire le lien avec la très thatcherienne et libérale exclamation : « such a thing as society! », dans un contexte où il était demandé à cette responsable britannique de prendre au sérieux le traitement social de la pauvreté.

Remplacer « république » par « société », est-ce donner congé à bon compte à la juste revendication d’une interopérabilité, d’une auditabilité, soit, en un mot, de choix numériques qui garantissent une dimension publique vraiment publique et une dimension privée vraiment privée, purement et simplement ? La république oblige. La société, tout autant.

À ce moment de croisée des chemins pour le Libre, puisque c’est maintenant l’ensemble des Sénateurs qui doit examiner le projet de loi, esquissons en quelques traits de quelle liberté heureuse ce combat pour la priorité au logiciel libre est fait.

En tant que libristes, nous sommes, en quelque sorte, des allumeurs de réverbères. Une variante des lanceurs d’alerte. Un peu ce que les lucioles sont aux colibris. Nous essayons de sensibiliser sur le non auditable, le non interopérable, l’obscurantisme des verrous logiciels, des chausse-trappes, des rentes de situation. Allumeur de réverbère, c’est un beau métier.

 

allumeur de réverbère dessin de saint exupéry pour le Petit Prince
Copyright © 2016 Le Petit Prince – Eh non, l’ouvrage n’est toujours pas dans le domaine public en France.

 

Celui du Petit Prince, dans l’accélération folle de la succession des jours et des nuits, réduits chacun à une minute, suivait néanmoins la consigne : éclairer quand il le fallait, éteindre quand il le fallait. Saint-Exupéry suggère de celui-là qu’il est un peu lampiste. La consigne lui a été donnée quand le jour durait un jour, et la nuit une nuit. Mais lampiste encore au sens d’autrefois : celui qui veille à l’allumage des lampes.

Ma main au feu que la régie lumière du projet de loi « pour une république numérique », puis « pour une société numérique » soit plus proche du Prince de Machiavel, régulateur et opératoire, que de la philosophie des Lumières, émancipatrice. Le pire est de faire croire que le logiciel libre peut porter atteinte aux appels d’offre, un vilain petit canard juridique, monstre mal bâti. Démon ? Seulement au sens du démon de Socrate, cette voix intérieure qui est médiation entre les situations et les concepts. Free Software, doux démon. Loin des tentations de la Pomme et autres gaffes à âmes.

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Faut-il, pourtant, se résoudre, abjurer ? « Eppure, si muove », aurait dit, ou en tous cas pensé, Galilée. Que l’on traduit d’ordinaire par « et pourtant, elle tourne ». Il parlait de la Terre, dans la perspective de l’héliocentrisme honni par les potentats d’alors. Aller contre l’évidence de la logique des êtres parlants d’étudier, utiliser, améliorer, redistribuer, en sécurisant leurs échanges et en ayant une visibilité sur ce qu’il veulent partager ou garder pour eux ?

Ceux qui prennent les libristes pour de joyeux lampistes — pas au sens d’autrefois —, et les vessies pour les lanternes, et les enfants du bon dieu pour des canards sauvages, feraient bien de s’aviser que le bon sens finit toujours par prévaloir sur les mauvais prétextes.

Il y a quelque chose comme une raison dans l’histoire. Si ce n’est pas sous cette législature, tôt ou tard, le free software finira par s’imposer. Mais ce serait mieux maintenant.

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Devil girl by GDJ,  Public Domain

Pour ma part, c’est tout vu. Je roule en GNU/Linux. Je m’habille en Debian. Je n’ai pas encore de RoLeX pour réussir ma vie, mais je suis, j’eXisTe en LaTeX. Je priorise avec l’April. Je dégooglise avec Framasoft. Je neutralise avec LQDN. J’ai jeté aux orties mes menottes numériques. Contre les portes dérobées, je mets en garde les autres, avec d’autres. Et à toi, Free Software, je dis ma sympathie, que diable !

 




Sarkozy a un plan selon Guillaume Champeau

Judepics - CC bySi vous comptiez vous reposer un peu après l’éreintant épisode Hadopi, c’est raté.

En effet, un article important est apparu la semaine dernière dans le flux continu de mes fils RSS, Décryptage : Sarkozy et son œuvre de contrôle du net de Guillaume Champeau du site Numerama.

C’est un peu long (liens hypertextes inclus), mais si l’on souhaite réellement se donner les moyens de comprendre certaines choses dans le détail, il va bien falloir accepter de temps en temps d’aller plus loin que les 140 caractères des messages Twitter ! C’est également assez courageux, parce que c’est typiquement le genre d’articles qui ne vous fait pas que des amis, sauf à considérer que les RG peuvent devenir de nouveaux amis.

Guillaume Champeau en a d’ailleurs remis une couche ce week-end, chez la petite webradio associative qui monte OxyRadio, au cours de l’émission Les enfants du Web animé de sa voix suave et viril par notre ami Mathieu Pasquini (licence Creative Commons By-Sa).

À podcadster, à écouter, à faire écouter :


Télécharger : mp3 ou ogg

J’aurais aimé ne pas l’écrire mais ça ressemble beaucoup à du « nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas »[1].

Décryptage : Sarkozy et son œuvre de contrôle du net

URL d’origine du document

Guillaume Champeau – 20 mai 2009 – Numerama
Licence Creative Commons By-Nc-Nd

« Le président de la République actuel a un plan ». C’est la première phrase du livre de François Bayrou, Abus de Pouvoir, et l’on peut la vérifier au moins en ce qui concerne le contrôle du net. Depuis la loi DADVSI où il était président de l’UMP et ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy a déployé son plan pour contrôler le net. Il a commencé à l’appliquer avant-même la loi Hadopi, et prévoit de le parachever avec la Loppsi. Dans cet article exceptionnellement long, Numerama tente un décryptage du net selon Sarkozy.

Petit à petit, les pièces du puzzle s’assemblent et l’image se révèle sous nos yeux. Le projet de loi Création et Internet n’a pas encore été promulgué que déjà le morceau suivant s’apprête à faire son apparition. Projet de loi après projet de loi, décret après décret, nomination après nomination, Nicolas Sarkozy prépare méthodiquement les moyens pour le gouvernement de contrôler Internet… et les internautes.

Lundi, Le Monde a publié un excellent article sur la prochaine loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi, ou Lopsi 2), qui montre ce que prévoit le nouveau texte commandé par Nicolas Sarkozy : installation de mouchards électroniques sans vérification de leur légalité par les services de l’Etat, légalisation des chevaux de Troie comme mode d’écoute à distance, création d’un super-fichier « Périclès » regroupant de nombreuses données personnelles (numéros de carte grise, permis de conduire, numéros IMEI des téléphones mobiles, factures…), création d’un délit d’usurpation d’identité, pouvoir de géolocaliser les internautes, …

Sans cesse repoussée, la loi est attendue de pieds fermes par Nicolas Sarkozy. C’est d’ailleurs en partie elle qui a justifié l’obsession du Président à maintenir contre vents et marée la loi Hadopi. Car « le président de la République actuel a un plan ». Pour le comprendre, il nous faut accumuler les pièces à conviction. Certaines relèvent très certainement de la paranoïa, d’autres sont véritablement réfléchies par le Président.

Mises bout à bout, elles laissent peu de doute sur la volonté de Nicolas Sarkozy de contrôler le net, aussi bien dans son contenu que dans son infrastructure.

Au commencement, Nicolas Sarkozy voulu devenir Président

Très tôt dans sa carrière politique, Nicolas Sarkozy n’a eu qu’une obsession : devenir président de la République. Et une vision : pour y parvenir, il fallait contrôler les médias. Maire de Neuilly-Sur-Seine, il s’efforce de faire entrer rapidement dans son cercle d’amis proches les Martin Bouygues, Lagardère (père et fils) et autres Dassault qui le conduiront par leur amitié complice au sommet du pouvoir. C’est d’autant plus facile que ces capitaines d’industrie, propriétaires de médias, dépendent pour l’essentiel de leurs revenus des commandes de l’État. Entre amis, on sait se rendre des services…

Toute cette énergie de réseautage a été mise au service de son ambition présidentielle. En 2007, c’était la bonne. Première tentative, première victoire. Mais Nicolas Sarkozy a eu chaud. Il avait négligé Internet. A quelques points près, François Bayrou – qui a au contraire beaucoup misé sur Internet pendant la campagne – passait devant Ségolène Royal au premier tour de la Présidentielle, et c’est le leader du MoDem qui se serait retrouvé à l’Elysée.

Il serait faux toutefois de prétendre que Nicolas Sarkozy, qui s’était assuré le soutien du blogueur Loïc Le Meur (à l’époque le plus influent), s’est aperçu trop tard du pouvoir du net. Fraîchement élu, le président Sarkozy n’avait pas tardé à demander « l’avènement d’un internet civilisé », prônant une « campagne de civilisation des nouveaux réseaux ». Le coup de Trafalgar du refus de la Constitution européenne par les Français avait montré pour la première fois au monde politique les limites des médias traditionnels face à Internet, où l’opposition au texte européen fut virulente. Les amis de Nicolas Sarkozy dans les grands médias et l’industrie culturelle l’ont très vite convaincu qu’il fallait faire quelque chose. Lui pour conserver le pouvoir, eux pour limiter cette concurrence gênante. C’est Renaud Donnedieu de Vabres (RDDV) qui s’est chargé des basses oeuvres, sous l’oeil attentif de son président de l’UMP et ministre de l’intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy.

DADVSI et HADOPI : les premières pierres vers le filtrage

Derrière les apparences d’une première loi contre le piratage sur Internet, comme l’avait prédit le journaliste américain Dan Gillmor, c’est une alliance à trois qui s’est formée entre le pouvoir politique, le pouvoir médiatique et l’industrie culturelle. A peine la riposte graduée (déjà) adoptée, RDDV avait prévenu que la loi DADVSI « n’est que le premier d’une longue série d’adaptations de notre droit à l’ère numérique », et qu’il comptait bien s’attaquer « un jour au problème de la presse et de l’Internet ». C’était en 2006.

Affaibli par la débâcle de DADVSI, le ministre de la Culture n’a pas eu le temps de mettre son projet en application. Mais l’idée d’accorder un label à la presse professionnelle en ligne et de doter les sites de presse d’un statut particulier opposé aux blogs était née. Nicolas Sarkozy l’a mise en application cette année. Le tout en permettant à la vieille presse papier de bénéficier par ailleurs de substantielles aides de l’État, contraires à la libre concurrence, pour investir le net.

Avec la loi Hadopi, qu’il a maintenu jusqu’à mettre en péril la cohésion du groupe UMP, le chef de l’État a réussi à imposer à tous les foyers français l’installation d’un « logiciel de sécurisation », qui, sous la forme d’un mouchard, aura pour but de filtrer les sites internet et certains logiciels. Soit de manière franche, en bloquant l’accès à des contenus ou des protocoles. Soit de manière plus sournoise, en mettant en place un système qui met en avant les sites labellisés par l’Hadopi ou par les ministères compétents, pour mieux discréditer les autres. Les sites de presse professionnels feront bien sûr partis un jour des sites labellisés, tandis que la multitude de blogs ou de sites édités par des journalistes non professionnels verront leur crédibilité mise en doute. Pour le moment on ne sait rien du périmètre des caractéristiques imposées par l’Etat aux logiciels de sécurisation, et c’est bien là sujet d’inquiétudes. Il suffira d’étendre par décret la liste des fonctionnalités exigées pour que la censure se fasse de plus en plus large et précise, hors du contrôle du législateur ou du juge.

LOPPSI : le filtrage imposé aux FAI

Si elle prévoit la création de ce logiciel de sécurisation, et suggère fortement son installation, la loi Hadopi ne fait cependant pas de son installation une obligation. Le risque d’inconstitutionnalité serait trop fort. Il faut donc compléter le tableau, en organisant un filtrage au niveau de l’infrastructure du réseau. C’est le rôle de la loi Loppsi, chapeautée par Michèle Alliot-Marie.

Entre autres choses, la Loppsi va imposer aux FAI une obligation de filtrage de résultat. Ils auront le devoir de bloquer l’accès à des sites dont la liste sera déterminée par l’administration, sous le secret. Ce qui n’est pas sans poser d’énormes problèmes dans les quelques pays qui ont déjà mis en place cette idée. Là aussi, une fois mis le pied dans la porte, sous prétexte de lutter contre la pédophilie (une tentation du pathos contre laquelle il faut résister), il suffira d’étendre la liste des exceptions qui donnent droit au filtrage. Ici pour les maisons de disques victimes de piratage, là pour les sites de presse suspectés de diffamation, ou pour les sites de jeux d’argent qui ne payent pas leurs impôts en France. La liste n’aura de limites que l’imagination et l’audace des gouvernants.

Encore faut-il que ces idées de contrôle du net puissent se mettre en place sur le terrain, ce qui nécessite des hommes et des femmes peu regardants. C’est dans cet art que Nicolas Sarkozy excelle le plus.

Le choix des hommes, le triomphe des idées

Dès 2006, Nicolas Sarkozy a compris qu’il aura besoin de verrouiller son gouvernement et les télécoms pour mettre en place son plan de contrôle d’internet. Christine Boutin, qui avait été une farouche et convaincante opposante à la loi DADVSI fin 2005 (au point de faire basculer le vote de certains députés UMP pour la licence globale), et qui avait défendu l’idée d’un internet libre, s’est ensuite mue dans un silence confondant à la reprise des débats en mars 2006. En échange, et entre temps, elle a reçu la promesse de Nicolas Sarkozy d’entrer au gouvernement après les élections présidentielles si elle mettait sa langue dans sa poche. Les deux ont tenu parole.

Président de la République, Nicolas Sarkozy a ainsi composé son gouvernement de manière à accomplir son oeuvre sans opposition interne. Nadine Morano à la Famille, et Michèle Alliot-Marie à l’Intérieur, n’ont pas eu besoin de forcer leur nature pour prêcher la censure de certains sites Internet ou le filtrage des sites pédophiles ou terroristes. Porte-parole de l’UMP, pilotée par l’Elysée, le lobbyiste Frédéric Lefebvre ne passe plus une semaine sans se confondre en invectives contre Internet, et réclamer le filtrage. En plaçant l’ex-socialiste Eric Besson au numérique, Sarkozy pensait peut-être aussi paralyser les critiques à la fois de son propre camp et de l’opposition, tout en s’assurant le soutien d’un homme qui a troqué ses convictions pour son ambition. En le remplaçant par Nathalie Kosciusko-Morizet, plus rebelle, Sarkozy a pris un risque. Mais il fait aussi un pari. Celui que son frère Pierre Kosciusko-Morizet, président des deux plus gros lobbys français du numérique hostiles au filtrage, serait moins audible dans son opposition si sa soeur est systématiquement suspectée de collusion lorsqu’elle défend le même point de vue. Ce qui n’a pas manqué lorsque PKM a prêché, dans le vide, un moratoire sur la loi Hadopi.

Il a fallu aussi convaincre dans les télécoms. Free, à la nature frondeuse, reste le plus difficile à manipuler pour Nicolas Sarkozy. Il a toutefois trouvé une arme : la quatrième licence 3G. L’opérateur sait qu’elle va être rapidement indispensable pour continuer à concurrencer Bouygues, SFR et Orange, qui peuvent tous proposer des offres regroupant ADSL et mobile. Mais elle est dépendante de la volonté du gouvernement. Très rapidement, Christine Albanel a fait comprendre à Free qu’il devrait être obéissant pour espérer accéder à la fameuse licence. Depuis, le dossier ne cesse d’être repoussé sous des prétextes fumeux, et Free a mis de l’eau dans son vin contre Hadopi et contre le filtrage, dans l’espoir de ne pas hypothéquer ses chances d’avoir accès à la téléphonie mobile.

Pis, Nicolas Sarkozy a fait nommer numéro deux de France Telecom Stéphane Richard, le directeur de cabinet de Christine Lagarde, qui ne compte « que des amis » dans la commission qui déterminera le prix de la quatrième licence 3G. L’homme aura également pour mission de mettre en oeuvre le filtrage chez Orange, qu’il dirigera d’ici deux ans.

Le contrôle des institutions ayant leur mot à dire sur le filtrage

Enfin, Nicolas Sarkozy s’est également assuré de contrôler les institutions qui pourraient lui faire de l’ombre. La CNIL, qui s’est opposée à l’Hadopi, n’aura pas le droit de siéger au sein de la haute autorité. Les amendements le proposant ont été refusés. Elle n’a pas non plus eu le droit de publier son avis contre la loi Hadopi, et les deux députés commissaires de la CNIL, tous les deux membres de l’UMP, ont voté pour la loi. L’un des deux, Philippe Gosselin, a même été un farouche défenseur de la loi à l’Assemblée, et sans doute au sein de l’institution. Dans son dernier rapport annuel, la CNIL a dénoncé l’omerta imposée par le gouvernement, et son manque d’indépendance, notamment financière.

Plus directement, Nicolas Sarkozy a également évincé l’autorité de régulation des télécommunications (Arcep) des études sur le filtrage, auquel elle était hostile. Redoutant que l’autorité ne reste trop à l’écoute des professionnels des télécoms et des internautes, le président de la République a récemment mis à la tête de l’Arcep Jean-Ludovic Silicani, l’ancien président du Conseil de la propriété littéraire et artistique (CSPLA). Un homme notoirement favorable au filtrage et à la lutte contre le P2P. Le CSPLA, rattaché au ministère de la Culture, compte par ailleurs parmi ses membres le Professeur Sirenelli, à qui le gouvernement confie quasiment toutes les missions juridiques liées au filtrage depuis quatre ans, avec un résultat certain.

Finalement, c’est au niveau européen que Nicolas Sarkozy compte ses plus forts adversaires. Il a entamé un bras de fer avec le Parlement Européen sur l’amendement Bono, et exerce un lobbying intense sur les États membres pour qu’ils refusent de marquer dans le marbre le principe du respect de la neutralité du net, contraire au filtrage. Il peut compter sur le soutien de Silvio Berlusconi, propriétaire de médias, qui met en place exactement le même plan en Italie. Mais il redoute l’opposition des députés européens.

D’où l’importance des élections européennes du 7 juin prochain. De leur résultat dépendra peut-être la réussite ou l’échec du plan mis en place par Nicolas Sarkozy.

Notes

[1] Crédit photo : Judepics (Creative Commons By)




Partenariat Free Framasoft autour des logiciels libres

Copie d'écran - Portail Free - Logiciels Libres - Logo

Framasoft a pour principal objectif de « faire connaître et diffuser le logiciel libre au plus large public ». C’est pourquoi lorsque le fournisseur d’accès à Internet Free nous a contacté en juin dernier pour nous inviter à nous occuper gracieusement de la partie logicielle de leur nouveau portail en train d’être mis en place, nous avons étudié la proposition avec beaucoup d’attention.

On s’est d’abord demandé si un tel partenariat était effectivement susceptible d’élargir l’audience potentielle du logiciel libre francophone. Quand bien même ses trois millions d’abonnés et des brouettes (autrement appelés « freenautes », les abonnés pas les brouettes) ne visitent pas forcément le portail, la réponse était évidente. On s’est ensuite posé la question de « l’image » de Free, cette fameuse image qui peut faire ou défaire la réputation des sociétés (partenaires inclus !). Là réponse était toujours affirmative mais moins unanime. FDN mis à part, nous savons que certains abonnés entretiennent parfois des relations conflictuelles avec leur FAI et Free n’échappe pas à la règle, de plus l’épisode de la freebox a joué en sa défaveur au sein de ladite « communauté du libre ». Il n’en demeure pas moins qu’il nous a semblé que Free, indissociable de l’avènement d’internet en France et qui a maintes fois affirmé son attachement aux logiciels libres, conservait globalement l’estime des internautes, à commencer par la nôtre.

Mais ce qui nous a surtout convaincu de nous engager avec Free, ce sont les conditions mêmes de ce partenariat (non, non, aucune espèce sonnante et trébuchante dans la transaction, voir ci-après). Ils nous ont dit qu’ils souhaitaient, via leur nouveau portail en construction, offrir un réel « service logiciel » aux « freenautes » et qu’ils avaient pensé à nous pour ce faire. Flattés nous fûmes mais pragmatiques et, espérons-le, cohérents nous sommes. C’est ainsi que contrairement à la proposition initiale, nous avons insisté pour que ce service porte le doux et évocateur titre de « logiciels libres » avec toutes les conséquences que cela implique (parti-pris assumé conjointement par Free, absence d’informations sur les logiciels propriétaires, etc.). D’accord, nous ont-ils rétorqué, et c’est même pour cela que l’on a fait appel à vous. A partir de là, banco, le partenariat s’annonçait sous les meilleures auspices parce que je ne sais pas vous mais nous ça nous fait quelque chose de voir apparaitre par deux fois « logiciels libres » dès la page d’accueil du nouveau portail de Free fraichement mis en ligne il y a deux jours de cela.

Copie d'écran - Portail Free

Plus concrètement, il est donc proposé aux « freenautes » une entrée « logiciels libres » qui pointe sur une rubrique dédiée déjà bien étoffée dont nous avons la responsabilité éditoriale (et que nous gérons techniquement avec Free à l’aide de flux XML issus de notre propre réseau ou bien spécialement créés pour l’occasion). Nous vous demandons patience et indulgence pour ce premier jet car cela s’est fait un peu à l’aveugle en plein été et nous sommes conscients qu’il reste un bon paquet de petites choses à améliorer dans tous les coins (comme par exemple la mention explicite des licences libres des contenus, là encore avalisée par Free).

Nous en profitons d’ailleurs pour lancer un fébrile mais vibrant appel à venir nous rejoindre sur ce projet car nous manquons de ressources humaines. Le but sera justement de commencer par améliorer l’existant dans son ensemble et nous organiser pour assurer régulièrement une mise à jour pertinente du portail. Ajoutons que ce faisant c’est le contenu même du réseau Framasoft que nous serons amené à bonifier puisque l’un est souvent lié à l’autre. Ajoutons enfin que c’est potentiellement un véritable et passionnant petit travail de veille francophone sur le libre qui est ici proposé. Si vous adhérez à ce projet et souhaitez en être, merci d’écrire à projet-free AT framasoft.net et… merci tout court !

Quant à la question financière évoquée plus haut, elle est vite réglée puisqu’il n’y en a pas. C’est ainsi que la chose nous a été présentée et c’est ainsi que nous l’avons acceptée en toute connaissance de cause. Doit-on néanmoins crier « haro sur le baudet » puisque nous offrons ainsi à Free l’occasion de (re)dorer son blason avec du contenu obtenu à moindre frais (qui plus est souvent encadré par des bannières publicitaires) ? Nous avons conscience de cette éventuelle interprétation. Tout partenariat est une convergence mais aussi un compromis. Mais dans la balance il y a le fait que derrière Free il y a tout plein de « freenautes ». Il y a la certitude de sensibiliser aux logiciels libres une audience différente et d’une autre amplitude que celle de notre propre réseau, tout en contribuant au passage, et ce qui ne gâte rien, à nous faire mieux connaître. Il y a enfin la très concrète prise de position de Free en faveur de la promotion des logiciels libres (qui nous fait dire en interne et « en potache » que Free porte ainsi mieux encore son nom). Parce qu’accepter d’accoler en toutes lettres l’adjectif « libre » aux logiciels, ça n’est pas rien. Parce que nous faire confiance et nous laisser a priori entière latitude éditoriale au sein même de leur propre site ça n’est pas rien non plus. Vous en connaissez beaucoup vous des gros portails qui hébergent des articles comme Lorsque vous démarrez votre ordinateur vous vous engagez politiquement ?

Doit-on cependant en conclure, ouvrons rapidement la parenthèse pour mieux la refermer, que Framasoft n’a pas besoin de sous ? Malheureusement non (et nous aurons l’occasion d’y revenir très prochainement). Mais ce n’est tout simplement pas avec ce partenariat que nous comptons remplir les caisses d’un projet dont la présence de permanents est désormais devenue indispensable de part la dimension prise par notre réseau.

Toujours est-il que nous remercions déjà sincèrement Free pour leur confiance, leur écoute et leur flexibilité. Et nous souhaitons longue vie à ce portail Free des « logiciels libres » qui, espérons-le, apportera une réelle et originale valeur ajoutée aux visiteurs en général et à la communauté des « freenautes » en particulier. Communauté que nous saluons par la présente et avec qui nous sommes ravis de collaborer.

Copie d'écran - Portail Free - Logiciels Libres