Le X de Musk n’est pas une inconnue…

L’actualité récente nous invite à republier avec son accord l’article de Kazhnuz sur son blog (il est sous licence CC BY-SA 4.0) qui souligne un point assez peu observé de la stratégie d’Elon Musk : elle n’est guère innovante et ne vise qu’à ajouter un X aux GAFAM pour capter une base utilisateur à des fins mercantiles…


Twitter vers X, la marketplacisation1 d’Internet

Photo Blue bird seen at Lake Merritt Oakland par Michael Slaten.

par Kazhnuz

L’annonce a été faite le 23 juillet, Twitter va être remplacé par X, le « rêve » de Musk de créer l’app-à-tout-faire à la WeChat en Chine. Le logo va être changé, et la marque Twitter va être abandonnée au profit de celle de X, et le domaine x.com redirige déjà vers Twitter. Le nom a déjà été utilisé jadis par Musk pour sa banque en ligne (qui après moult péripéties deviendra Paypal, justement parce que le nom est nul et pose des tonnes de soucis – ressembler à un nom de site X justement), et cette fois comme y’a personne pour lui dire « stop mec ton idée pue », il le fait.

Cependant, je pense qu’il y a quelques trucs intéressants à dire sur la situation, parce qu’au final, plus qu’une « lubie de Musk », il y a dedans quelque chose qui informe de la transformation faite de twitter, et de la façon dont Musk fait juste partie d’un mouvement fortement présent dans la Silicon Valley.

Encore un

Je pense qu’il ne faut pas voir ce changement de nom comme quelque chose de si surprenant, imprévisible, parce que c’est jouer le jeu de Musk de croire qu’il est l’électron libre qu’il prétend être. Parce que même s’il va plus loin en changeant carrément la marque du produit, Musk ne fait (encore une fois) que copier-coller un comportement déjà présent dans le milieu de la tech.

Parce qu’au final, Twitter appartenant et devenant X Corp, c’est comme Facebook qui devient Meta Plateform, ou Google qui devient Alphabet Inc. Un changement en grande partie pour tenter de forger la « hype », l’idée que le site fait partie de quelque chose de plus grand, du futur, de ce qui va former l’Internet – non la vie – de demain. Bon je pense que ça se voit que je suis un peu sarcastique de tout ça, mais y’a cette idée derrière les grandes entreprises de la tech. Elles ne sont plus dans l’idée de tourner autour de quelques produits, elles se présentent comme le « futur ». X Corp n’est qu’une tentative de créer un autre GAFAM, et fait partie des mêmes mouvements, des mêmes visions, du même aspect « techbro ».

C’est pour ça que le nom « rigolo » est moins mis en avant par rapport au nom plus « générique-mais-cool-regardez ». Meta, pour ceux qui vont au-delà et le métavers. X pour la variable inconnue. Alphabet pour aller de A à Z. Tout cela est de l’esbroufe, parce que plus que vendre un produit, ils vendent de la hype aux investisseurs.

Et le fait que Musk a voulu réutiliser ce nom dans le passé ne change pas grand-chose à tout ça. Le but, l’ego est le même. Donner l’impression qu’on est face à une grosse mégacorporation du futur. Et ce manque d’originalité n’est pas que dans le changement de nom, mais aussi au final dans son plan derrière tout ça : transformer Twitter en une marketplace.

X, une autre marketplace

Le passage de Twitter à X.com, montre le même cœur que les metaverse et crypto… et au final une grande partie des transformations qui se sont produites : tout transformer en marketplace, enrobé dans une esthétique de technofuturisme. Cela se voit encore plus dans le message de Linda Yaccarino, la CEO de Twitter :

X est l’état futur de l’interactivité illimitée – centrée sur l’audio, la vidéo, la messagerie, les paiements/les banques – créant une place de marché globale pour les idées, les biens, les services et les opportunités. Propulsé par l’IA, X va nous connecter d’une manière que nous commençons juste à imaginer.

— Linda Yaccarino, twitter

On peut remarquer deux choses dans ce message :

Le premier est qu’il n’y a rien d’original dedans. Nous y retrouvons exactement la même chose que l’on retrouvait à l’époque des crypto et des NFT : le truc qui fait tout mais surtout des trucs qui existent déjà, et basé sur la technologie du turfu. Y’a déjà 500 plateformes pour faire payer pour des services, que ce soit en crowdfunding, au format « patreon », via des commissions, etc. Des ventes de biens sur internet, y’a aussi des tonnes de moyens, etc. Tout ce qui est rajouté c’est « on va faire tous ces trucs qui existent déjà, et on a dit « IA » dedans donc c’est le futur ça va tout révolutionner tavu ». C’est le modus operandi classique, et il n’y a rien d’original dans ce que propose Twitter. D’ailleurs, le rôle que peut avoir l’IA dedans est très vague : est-ce que c’est pour modifier les algorithmes ? (cela ne sert pas à grand-chose, on les hait tous déjà). Est-ce que c’est pour pouvoir générer des produits par IA pour les vendre ? Le produit que veut proposer X Corp n’a pas besoin d’IA pour fonctionner, elle est là juste pour dire « c’est le futur », et hyper les investisseurs.

Le second est que cela transforme l’idée de base de Twitter (l’endroit où les gens parlent) en avant tout une « place de marché », comme indiqué plus haut. Twitter était le lieu de la discussion, du partage de l’idée à la con qu’on a eue sous la douche. D’où le format du microblogging. Là aussi, même cet aspect devient quelque chose de commercialisable, ce qui rappelle encore une fois le mouvement qu’il y avait eu autour de la crypto et des NFT : tout doit pouvoir devenir commercialisable, tout doit pouvoir devenir un produit. C’est aussi ce mouvement qui fait qu’on a de plus en plus de « jeux-services », qui servent avant tout à vendre des produits dématérialisés n’ayant de valeur qu’à l’intérieur du jeu (et encore). Beaucoup de jeux ne peuvent plus juste « être un jeu », ils doivent être une « marketplace ».

Conclusion

La transformation de twitter en X n’est donc pas une surprise – en plus du fait que c’était annoncé depuis longtemps. Il ne s’agit que d’un phénomène qui arrive tout le temps sur Internet. Une volonté de transformer un site populaire en une « place de marché du futur » pour hyper des investisseurs. Encore une fois.

Et au final, on sait bien ce qu’a acheté Musk quand il a acheté Twitter. Il n’a pas acheté un produit. Il a acheté une userbase (une base d’utilisateurs et utilisatrices) pour l’injecter directement dans le nouveau produit qu’il voulait faire. C’est assez ironique de voir que Twitter a fini de la même manière que certains comptes populaires : revendu pour être renommé et envoyer sa pub à des tonnes d’utilisateurs.

l'oiseau bleu de twitter sur le dos et à terre, mort avec un X qui lui ferme l'œil.




Apple bloque les pubs sur iOS… pour son bien.

Que l’on considère la publicité en ligne utile ou néfaste, qu’on l’ignore ou qu’on la bloque, il est important de se rendre compte des stratégies mises en œuvre par les géants du net (les GAFAM pour les intimes) pour contrôler cette manne et comprendre l’influence qu’a cette guerre sur le Web ouvert.

Eric Lawrence nous explique ici celle d’Apple, traduit par l’équipe de Framalang.

Dommage collatéral

Source : http://textslashplain.com/2015/06/10/collateral-damage/

Traduction : egilli, Piup, andionuma, amaha, sinma, goofy, Obny

 

iSiphonne
Modifié par Obny à partir d’une image par Kelvinsong (CC-BY).

La plupart des utilisateurs du Web tolèrent les pubs ; beaucoup la haïssent avec la passion dévorante de mille soleils. Il existe beaucoup de bonnes raisons pour lesquelles les utilisateurs n’aiment pas les pubs (elles dégradent les performances, la sécurité et la vie privée) ainsi que des reproches moins universels et plus discutables (par exemple, elles sont pénibles, la valeur des services que l’on obtient en échange est contestable, etc.).

Apple, une entreprise qui tire environ 80 % de ses revenus de produits basés sur iOS (son système d’exploitation, NdT), a annoncé récemment que iOS 9 forcera l’usage de son interface de programmation pour le filtrage des publicités dans le navigateur Safari.

De plus, et c’est probablement une pure coïncidence, le seul vrai concurrent d’Apple et iOS tire environ 90 % de ses revenus de la publicité.

Si vous trouviez déjà agaçantes les fenêtres d’invitation qui vous demandaient « Installez notre application » sur les sites web, imaginez ce qui va se passer quand seules les applications natives pourront afficher des publicités de façon fiable ! Il n’y aura probablement plus de lien « Non merci », en particulier quand le site détectera que vous utilisez un bloqueur de publicités (cf. l’article en anglais sur l’évaluation des mécanismes de blocage, NdT).

Récapitulons :

  • Les sites web se chargent (temporairement) ≃40 % plus rapidement sur iOS ? Apple et ses utilisateurs sont gagnants.
  • Les sites web sont obligés d’avoir recours à des applications natives pour être payés ? Apple est gagnant.
  • Les sites d’information sont obligés d’utiliser l’application Apple News pour être payés ? Apple est gagnant.
  • Les revenus de Google diminuent inexorablement ? Apple est gagnant.
  • Les sites financés par la publicité et qui ne peuvent se payer une application native ? Dommage collatéral.
  • Le web ouvert ? Dommage collatéral.

C’est un plan résolument brillant.

Lors de son procès pour abus de position dominante, Microsoft était accusé d’essayer d’« asphyxier Netscape ». Cet été, Apple posera négligemment sa main sur la pompe à fric de Google.

On ne peut guère prédire comment cela finira, mais des dommages collatéraux semblent inévitables.

 

Note :

Suite à de nombreuses réactions concernant l’article original, l’auteur a tenu à y répondre dans un autre article (en anglais).

 




Saviez-vous que Mozilla est en train de détourner l’Internet ? par Glyn Moody

« Les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît » disaient nos tontons.

Je ne connaissais pas l’Interactive Advertising Bureau, organisation regroupant des acteurs de la publicité sur Internet, mais ce qui est sûr c’est qu’elle ne gagne rien à se ridiculiser en attaquant ainsi Mozilla (qui nous protège justement de la prolifération actuelle des cookies intrusifs).

Qu’en pensent Google, Microsoft, Orange, TF1, etc., tous membres de la branche française de l’Interactive Advertising Bureau ?

Commentaire : L’image ci-dessous est extraite de l’article de l’Interactive Advertising Bureau qui a fait bondir Glyn Moody. Ce serait donc Mozilla qui enferme ses utilisateurs, vraiment trop forts nos publicitaires !

Interactive Advertising Bureau vs Mozilla

Saviez-vous que Mozilla est en train de détourner l’Internet ?

Did You Know that Mozilla is Hijacking the Internet?

Glyn Moody – 12 août 2013 – ComputerWorld (Open Entreprise)
(Traduction Framalang : ane o’nyme, Sky, LordPhoenix, bruno, Cryptie, anneau2fer, simplementNat, Zii, greygjhart + anonymes)

Il y a quelques semaines j’ai relaté l’attaque à peine croyable de la branche européenne du « Interactive Advertising Bureau (IAB) » envers Mozilla au motif que cette dernière aurait « renoncé à ses valeurs » car elle persisterait à défendre les droits des utilisateurs à contrôler comment les cookies sont utilisés sur leur système.

Vu l’avalanche de moqueries venues de toutes part que cette énorme idiotie tactique a provoquée, on pouvait s’attendre à ce que des conseillers plus sages l’emportent et à ce que l’IAB se replie dans un petit coin tranquille, dans l’espoir que les gens arrêtent de se moquer et oublient simplement et complètement ce déplorable incident.

Mais non. au lieu de cela, l’IAB revient à la charge avec une nouvelle attaque sous la forme d’une pleine page achetée dans le magazine Advertising Age, encore plus énorme, plus forte et plus dingue (aussi disponible en ligne pour votre plus grand plaisir).

Sous le sobre titre : « Empêchez Mozilla de détourner l’internet », on peut lire :

De nos jours, il est facile de trouver le contenu qui vous intéresse sur Internet. Cela est dû au fait que les publicitaires peuvent adapter les annonces aux intérêts précis des utilisateurs grâce à l’usage responsable et transparent de cookies.

Je dois dire que je suis vraiment reconnaissant envers l’IAB de m’avoir ouvert les yeux en mettant ceci à jour parce que jusqu’à ce que je lise ce paragraphe, je nageais dans l’ignorance la plus totale et croyais naïvement que c’était les moteurs de recherches que j’utilisais, d’abord Lycos, puis Altavista, suivi de Google et désormais Startpage, qui me permettaient de trouver les choses qui m’intéressaient. Mais je réalise maintenant mon erreur : j’apprends qu’en fait c’est grâce à tous ces petits cookies si bien disséminés à mon insu dans mon système que j’ai trouvé tout ces trucs. Qui l’eût cru ?

Ces mêmes personnes de l’IAB qui ont eu l’obligeance de mentionner cela ont aussi de mauvaises nouvelles pour moi :

Mais Mozilla veux éliminer ces mêmes cookies qui permettent aux publicitaires de toucher le public, avec la bonne publicité, au bon moment.

Méchant Mozilla. Oh, mais attendez, en fait ce n’est pas ce que Mozilla fait. Il veut au contraire juste contrôler le flot de cookies qui proviennent de sites que vous n’avez pas visités et qui sont envoyés sur votre système, aussi appelés les cookies tiers. Voici une bonne explication de ce qui se passe ici :

Tous les acteurs tiers sont en marge de la transaction et peuvent ajouter de la valeur mais leur but premier diffère du bien ou du service recherché. Ces tierces parties sont plutôt comme le type qui fait le tour du parking avec ses prospectus pendant que vous faites vos courses et met des bons de réduction sur le pare-brise de tout le monde (Oh ! Jamais en panne, 169€ par mois ?). Il ne remplit pas les rayons, ni n’emballe vos courses, mais il fait quand même partie (indirectement ou marginalement) de l’opération « aller faire ses courses ».

Il ne s’agit donc pas d’une volonté de Mozilla d’éliminer les cookies en général mais simplement de donner à l’utilisateur le pouvoir de contrôler ces publicités ennuyeuses glissées sous vos essuie-glaces numériques quand vous visitez un supermarché virtuel.

Mais revenons à la fine analyse de l’IAB :

Mozilla prétend que c’est dans l’intérêt de la vie privée. En vérité nous pensons qu’il s’agit d’aider certains modèles d’affaire à prendre un avantage sur le marché et à réduire la concurrence.

Heu, parlons-nous du même Mozilla ? Vous savez le projet open source qui a certainement fait plus pour défendre les utilisateurs et le Web ouvert que personne ? Ce projet-là ? Car j’ai bien peur d’avoir du mal à imaginer ces codeurs altruistes « aider certains modèles d’affaire à prendre un avantage sur le marché et à réduire la concurrence ».

Je veux dire, Firefox a justement été spécifiquement créé pour accroître la concurrence ; le credo de Mozilla est que chacun devrait être libre d’utiliser le Web comme il l’entend, ce qui inclut toutes sortes de modèles économiques. Penser sérieusement que donner aux utilisateurs le contrôle de leur navigateur Firefox n’est pas défendre la vie privée mais une sorte complot maléfique destiné à miner l’ensemble de l’écosystème est, pour le formuler simplement, totalement cinglé. Peut être l’IAB vit-il dans univers parallèle ?

Les consommateurs ont déjà le contrôle sur les publicités ciblées qu’ils reçoivent via le programme d’auto-régulation de la Digital Advertising Alliance.

Pas de doute, l’IAB vit bien dans un univers parallèle, un univers dans lequel les gens ont réellement rencontré ce programme d’autorégulation de la Digital Advertising Alliance. Parce que je peux honnêtement dire qu’en 20 ans de promenades sur le Web, et bien trop d’heures passées en ligne chaque jour (comme mes abonnés sur Twitter, identi.ca et G+ le savent trop bien), je ne suis jamais tombé sur ce légendaire programme d’autorégulation de la Digital Advertising Alliance, et je sais encore moins comment l’utiliser pour contrôler les publicités que je reçois. Et je me retrouve, dans ce lamentable état d’ignorance, qui suggère plutôt que peu d’autres personnes utilisant l’Internet sont tombés sur le programme d’autorégulation de la Digital Advertising Alliance ou l’ont utilisé (est-ce qu’un lecteur ici est déjà tombé dessus, je me le demande).

En fait, je pense que l’IAB a commis ici un autre faux pas. En mentionnant le programme d’autorégulation de la Digital Advertising Alliance comme une « solution » existante qui rend caduques les projets de Mozilla pour maîtriser les cookies tiers, un programme qui, autant que je puisse en juger, est utilisé par très peu de gens, l’IAB a ainsi mis en évidence le fait qu’il n’y a pas vraiment d’alternative viable à Mozilla.

Je dois également souligner le fait que l’image (voir plus haut) utilisée dans l’article en question, un ordinateur portable enchainé, relève au mieux de l’ignorance, au pire constitue une insulte pour les centaines de milliers de personnes qui ont contribué au projet Mozilla au cours de ces 15 dernières années. Mozilla s’est voué à libérer le Web et ses utilisateurs d’un monopole qui menaçait de le détruire : il est difficile de penser à une image moins appropriée !

Et si l’IAB se préoccupe vraiment de qui peut faire pression sur nos ordinateurs et nous ôter notre liberté avec des centaines de fichiers minuscules qui nous épient où que l’on aille sur Internet, et s’inquiète de qui est vraiment en train de prendre en otage les incroyables ressources du Net, que Mozilla a beaucoup contribué à développer, il ferait bien de se regarder dans une glace…




Quand des partis pirates invitent l’Europe à réagir à l’affaire PRISM

Nous avons participé à la traduction d’un article co-signé par un certain nombre de partis pirates européens qui intime l’Europe à ne pas rester passive face à ce qu’il vient de se produire du côté de la NSA…

Anti PRISM

Anti PRISM

URL d’origine du document

(Traduction : Lgodard, Yoann, kenoris, zer0chain, AmarOk, Asta + anonymes)

Nous sommes consternés de découvrir une surveillance sans précédent des utilisateurs d’Internet de par le monde via PRISM et les programmes du même ordre. Des capacités de surveillance globale de telles sortes — tout particulièrement lorsqu’elles sont mises en œuvre sans accord des citoyens — sont une atteinte sérieuse aux Droits de l’Homme, à la liberté d’expression ainsi qu’à la vie privée, tous trois éléments fondateurs de nos démocraties.

Nous applaudissons Edward Snowden pour ses actions de dénonciation. Quand un gouvernement est réellement par le peuple et pour le peuple, on ne peut considérer comme un crime de diffuser des informations sur le but et l’étendue des actions que le gouvernement engage au nom de ces citoyens, dans le but revendiqué de les protéger. Un gouvernement représentatif dans une démocratie repose sur le consentement de son peuple. Cependant, un tel consentement ne peut exister lorsque les citoyens ne sont pas complètement informés.

Nous notons avec inquiétude l’absence totale de considération que le gouvernement américain montre pour les droits des citoyens européens et, plus généralement, à toute personne qui utilise les services de communication et infrastructures américains. Nous notons également l’effet négatif sur ses alliés, la souveraineté des pays concernés et la compétitivité de leurs entreprises.

L’Europe se doit de répondre à ces révélations avec la détermination nécessaire. À la lumière de ces informations, il devient nécessaire pour l’Union Européenne de ne pas rester complice de ces abus de pouvoir aux lourdes répercussions, et de s’élever au rang de pionner dans les domaines des droits numériques, de la protection de la vie privée, de la transparence gouvernementale et de la protection des lanceurs d’alertes.

Nous demandons :

1. Asile et Protection aux lanceurs d’alertes

Le gouvernement des USA a démontré – dans le cas de Bradley Manning et d’autres – que son traitement des lanceurs d’alertes est une cause de préoccupation grave. L’étiquetage public d’Edward Snowden qui apparaît comme un “traître” pour les différents responsables et les médias a créé un climat dans lequel il ne peut avoir droit à procès équitable. Il pourrait être le sujet de persécutions pour sa politique de gouvernement transparent, et sera certainement en danger de recevoir des peines ou des traitements inhumains ou dégradants, y compris la menace de la peine de mort.

Nous demandons à tous les gouvernements d’Europe de traiter avec bienveillance les demandes d’asile politique ou le statut de protection subsidiaires de M. Edward Snowden et d’autres lanceurs d’alertes, en faisant avancer rapidement d’éventuelles demandes de ce type.

2. Découvrir les faits

Il est inacceptable que des programmes secrets de surveillance contournent toute procédure démocratique et empêchent l’engagement critique et rationnel nécessaire à une démocratie pour déterminer si une action est justifiée ou non.

Nous appelons le Parlement Européen à constituer un comité d’investigation, en accord avec l’article 185 de ses règles de procédure. Les faits à établir et publier sont :

  • Quelles sont les véritables capacités de PRISM ?
  • Quels sont les flux de données et les sources qu’il utilise ?
  • Quels corps administratifs de l’UE et ses états membres ont eu connaissance ou accès à PRISM et aux programmes similaires, ou à des données issues de ces derniers ?
  • À quel point la Charte des Droits Fondamentaux, la Directive 95/46/CE sur la protection des données personnelles, la Directive du 12 juillet 2002 sur la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, ou d’autres lois européennes ont-elles été violées ?

Nous adressons cet appel à tous les parlements nationaux – afin de déterminer si les constitutions nationales, les lois de protection des données et les lois d’espionnage ont été violées.

3. Forte protection des données européennes

La proposition de loi General Data Protection Regulation en cours d’examen doit être renforcé afin d’assurer une protection plus large et plus profonde des données privées et professionnelles. Aux efforts de lobbying opposés il faut résister.

En particulier, les données des citoyens européens ne doivent pas être sciemment remises aux services d’espionnage des États-Unis d’Amérique. L’article 42 issu de la première fuite de proposition de loi, qui portait sur les mesures de protection des lois extra territoriales de pays tiers comme le Patriot Act ou encore le Foreign Intelligence Surveillance Act des USA en posant des barrières aux autorités étrangères lors de l’accès aux données européennes, doit être réintroduit. Les méta données ainsi que les pseudonymes doivent également être protégés.

D’après les principes de la “Sphère de sécurité” relatifs à la protection de la vie privée, les entreprises américaines doivent informer leurs clients lorsqu’elles permettent à des tiers d’accéder à leurs données. Il semble que les entreprises associées au programme PRISM ont violé ces dispositions. En conséquence, l’UE doit révoquer son accord à ces principes (décision n°2000/520/EC de la Commission), de telle sorte que les entreprises concernées soient soumises à la justice européenne si elles ne cessent pas ces pratiques immédiatement. La “Sphère de sécurité” doit soit être renégociée en intégrant des mesures de protection plus efficaces et plus de moyens de recours, soit être remplacée par un nouvel accord international sur la protection des données, par exemple basé sur la proposition de loi “General Data Protection Regulation”.

4. Traité international sur la Liberté sur Internet

Pour assurer qu’Internet reste une force d’autonomisation et de démocratisation plutôt que continuer d’être utilisé comme un outil limitant et réduisant la démocratie et la liberté individuelle, l’Union Européenne devrait être le fer de lance d’un traité international sur la Liberté sur Internet. Un tel traité devrait protéger fortement la confidentialité des communications, la liberté d’expression et l’accès à l’information (en particulier ce qui touche à l’Internet) ainsi que la neutralité du net.

5. Financement de logiciels respectueux de la vie privée

Afin de constituer une nouvelle ligne de défense de la vie privée, les utilisateurs doivent pouvoir choisir des logiciels et services qui respectent vraiment leur vie privée. De tels logiciels devraient garantir l’anonymat de leurs utilisateurs, offrir un système fort de chiffrement de bout-en-bout, des architectures pair-à-pair, la possibilté d’héberger soi-même ses données, un code source visible de tous, etc.

Nous nous réjouissons de voir que « protéger la vie privée et la liberté des internautes » fait partie des propositions soumises en ce moment au programme Horizon 2020. Nous demandons à l’Union Européenne, d’une part d’allouer une part bien plus significative des fonds de recherche à la diversification de l’offre logicielle qu’aux projets ayant le but contraire, par exemple le développement des outils de surveillance et d’exploration des données, et d’autre part de rejeter fermement des propositions dont le but explicite est la surveillance généralisée ne se basant sur aucune suspicion fondée.

6. Prévention contre un PRISM européen

Nous proposons des moyens législatifs visant à renforcer la défense contre les organismes similaires à travers toute l’Europe.

Les écoutes directes des agences gouvernementales des communications au cœur du réseau Internet — comme celles ayant été reportées comme installées par la NSA dans le cadre du programme BLARNEY — doivent être explicitement déclarées hors-la-loi. De telles écoutes autorisent le stockage et l’analyse de données de toutes les communications ayant lieu sur Internet, outrepassant toutes les procédures et contrôles existants, mettant ainsi en péril la confidentialité de toutes données et la vie privée de chacun. Porter atteinte à l’intégrité du réseau d’une manière aussi révoltante empêche tout un chacun de lui faire confiance, et nous prive de tous les points positifs que l’on peut y trouver.

Nous renouvelons donc notre appel pour la révocation de la directive sur la conservation des données. Les juridictions constitutionnelles tchèque, serbe et roumaine ont explicitement conclu que la collecte à grande échelle et sans suspicions de données personnelles est une violation fondamentale des droits de l’homme. Par la collecte généralisée de grandes quantités de données sans l’accord d’un tribunal, les programmes de conservation de données permettent au pouvoir exécutif d’outrepasser ses attributions au travers de plate-formes telles que PRISM, menaçant du même coup la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire, qui est le fondement de nos démocraties.




Savoir vendre un projet (Libres conseils 33/42)

Chaque jeudi à 21h, rendez-vous sur le framapad de traduction, le travail collaboratif sera ensuite publié ici même.

Traduction Framalang :Julius22, Sphinx, fubik, peupleLà, okram, goofy, merlin8282, Munrek, Texmix, Asta, Jej, gregseth, lamessen

Qui êtes-vous, qu’avez-vous à vendre et en quoi ça pourrait m’intéresser ?

Sally Khudairi

Active sur le Web depuis 1993, Sally Khudairi est la publicitaire en embuscade derrière certaines des organisations et des standards les plus importants de cette industrie. Ancienne adjointe de Sir Tim Berners-Lee et championne toutes catégories de l’innovation collaborative, elle a aidé au lancement de The Apache Software Foundation en 1999 et en fut la première femme et membre non-technique élue. Sally est vice-présidente du marketing et de la publicité pour The Apache Software Foundation et directrice générale de HALO Worldwide, une société de conseil en communication pour des marques de luxe.

Tout le monde est vendeur. Du PDG à la star des commerciaux, en passant par le gars qui répartit le courrier, chacun est un représentant de votre entreprise. Les technologies et les stratégies ont changé au fil des années mais une bonne communication reste primordiale. Au bout du compte, tout le monde vend quelque chose, et c’est un équilibre intéressant à trouver dans la publicité ; qui vous êtes, ce que vous faites et ce que vous vendez sont souvent étroitement imbriqués. Quand les gens me disent qu’ils ne savent pas qui je suis, je leur demande s’ils ont entendu parler du W3C, d’Apache ou des Creative Commons.

La réponse habituelle est « bien sûr ! », ce qui me confirme que je fais bien mon boulot. Si vous savez qui ils sont et ce qu’ils font, tout va bien. Après tout, c’est le produit qui compte, pas le publicitaire. Je n’ai jamais cherché à être là : me faire les dents dans la communication à la naissance du Web n’était pas facile, mais grâce au ciel j’ai pu observer les autres et esquiver un certain nombre de torpilles. Après une forte montée en puissance et quelques projets très en vue, quel conseil pourrais-je partager avec un chargé de relations publiques en herbe, avec un porte-parole chevronné rompu à la pratique des médias, ou un technologue qui ose enfourcher le cheval ombrageux de la promotion, malgré ses ruades ?

N’oubliez jamais de vous manifester

Quand vous vendez votre histoire à la presse, souvenez-vous que les médias, eux aussi, ont quelque chose à vendre. Bien sûr, au plus haut niveau, le rôle d’un journaliste est de raconter une histoire irrésistible et convaincante — qu’elle soit vraie ou non, que les faits soient exacts ou non —, qu’elle réponde ou non à une éthique, c’est une autre question. Qu’il s’agisse d’attirer le lectorat, de fidéliser les abonnés ou de promouvoir les espaces publicitaires, eux aussi sont en train de vendre quelque chose. Votre boulot, c’est de les aider à faire le leur. À dire vrai, il est possible que certaines personnes n’aient jamais entendu parler de vous, même si vous êtes dans le métier depuis déjà pas mal de temps. Même si ce n’est pas le cas, ils peuvent ne pas savoir exactement qui vous êtes. Soyez clair sur ce que vous avez à offrir. Quelle est l’accroche pour la presse — quelle est la nouvelle ? Assurez-vous qu’elle est vraiment nouvelle. Soyez direct et venez-en rapidement au fait. Vous devez être prêt à répondre aux questions suivantes : « et alors ? », « En quoi ça pourrait m’intéresser ? » et « Qu’est-ce qu’il y a là-dedans pour moi ? ». Cela veut dire que vous devez vous poser des questions sur vous-même et sur votre produit. Les gens achètent des idées, pas des produits. Faire la promotion des avantages de ce que vous lancez vous aidera à améliorer vos chances d’obtenir une couverture médiatique. Faites un pas de côté : qu’êtes-vous vraiment en train de vendre ?

Jamais le vendredi

Le pire des jours pour lancer un nouveau site web, diffuser un communiqué de presse ou informer les médias, c’est le vendredi. La probabilité qu’il se passe quelque chose et que personne ne soit disponible pour gérer les retombées est plus importante que vous ne pouvez l’imaginer. J’en ai eu une cuisante expérience dès le début de ma carrière. J’avais lancé la nouvelle page d’accueil du W3C un vendredi soir puis quitté le bureau et embarqué dans un avion pour Paris. Comme je venais du monde de la publication commerciale sur Internet, utiliser un tag propriétaire ne me posait aucun problème à partir du moment où il faisait le travail. Faire de même sur le site internet d’une organisation vouée à l’interopérabilité, en revanche, n’était pas une bonne idée. En quelques minutes, des douzaines de messages arrivèrent, demandant comment la <balise-aujourd’hui-dépréciée> était arrivée sur notre site. Et non, ça n’était pas <blink>…

N’imaginez jamais que cela n’a aucune importance

La crédibilité est essentielle. Même si vous êtes surchargé de travail, dévoué corps et âme ou partout à la fois, vous ne pouvez pas empêcher l’heure de sonner. Essayez de produire autant que vos capacités vous le permettent et demandez de l’aide si vous le pouvez. Certaines échéances doivent être négociées, et beaucoup d’éditeurs peuvent s’accommoder d’un retard dans le calendrier mais cela n’aura probablement pas (autant) d’importance une fois l’urgence passée si vous n’êtes pas capable de finir le travail. Tout comme pour l’art, le développement de standards et la relecture-correction, le processus peut se poursuivre et recommencer ad nauseam. Tandis que la créativité ne peut pas être gérée par le temps, des dates butoir strictes obligent à tracer une limite à un moment donné. Mais vous devez vous soucier des détails. Arrêtez-vous. Révisez tout et testez tous les liens. Assurez-vous que cela correspond parfaitement à la stratégie de la campagne ou de la marque. Les cycles de répétition font partie des grands principes structurants de la communication et le travail continuera à s’accumuler. Organisez-le et protégez votre réputation.

Allez-y seul

Il est important d’avoir confiance en vos instincts, spécialement lorsque vous sortez des sentiers battus. Aux premiers jours du Web supercool et ultramoderne, tout le monde semblait s’en remettre aux stratégies habituelles des marques/relations publiques/marketing qui consistaient à faire des sites vitrines. Puis tout le monde « suivait le meneur » (le meneur est « le premier à l’avoir fait », dans de nombreux cas). Les tendances sont une chose, les attentes et les besoins de l’industrie en sont une autre : « c’est comme ça que tout le monde fait » ne veut pas dire que c’est bien pour vous, votre projet ou votre communauté. Ma carrière dans la communication a commencé lorsque j’ai renvoyé le sous-traitant que nous avions choisi et tout ramené en interne.

Nous avons été parmi les premières organisations à mettre une adresse URL sur notre plaquette commerciale, et nous avons été les premiers à utiliser une URL comme source d’un communiqué de presse alors que les agences de presse nous disaient que cela n’était pas conforme et contraire aux règles. Faites confiance à vos connaissances. Allez à contre-courant et bousculez les règles de manière responsable. Sachez vous différencier. Il est permis d’être un dissident tant que vous pouvez soutenir vos idées.

Offrez vraiment des perspectives

Bon nombre des technologies dans lesquelles je suis impliquée finissent en produits au bout de trois à cinq ans. Ceci signifie que, dans bien des cas, il est difficile d’établir une quelconque relation à un produit comparable. Il est crucial que vous expliquiez clairement votre position en utilisant le moins de jargon possible. La plupart des journalistes et analystes non-développeurs avec lesquels je suis en contact ne suivent pas les activités d’une certaine communauté au quotidien et ne savent pourquoi telle fonctionnalité est meilleure qu’une autre, même si c’est une évidence pour vous.

Dire qu’on va « privilégier la forme plutôt que le fond » est plus pertinent aujourd’hui que jamais. Forme. Fond. Je marque toujours une séparation à ce sujet lorsque je fais de la formation aux médias : présentez trop le fond ou trop la forme et votre campagne risque d’échouer. La perception est fondamentale et la cause de bien des conflits. Tout sur la forme = « branché + hyperbole » = « Ah, ces marketeux ! ». Tout sur le fond = « des zéros et des uns » = « Ah, ces geeks ! ».

Il vous faut comprendre et pouvoir expliquer clairement quel est le problème que résout votre produit. En sachant mieux présenter le problème, vous pourrez mieux en expliquer la solution. Les détails accessoires, les anecdotes et les succès, voilà ce qui donne à la presse un moyen d’attirer l’attention de son lectorat. Vous devez savoir répondre à la question « Qu’y a-t-il pour moi là-dedans ? », parce que c’est ce qui incite les journalistes à fouiller un peu plus dans votre histoire, qui, en retour, permet aux lecteurs d’en savoir plus sur vous. La forme répond à la question « Qu’y a-t-il pour moi là-dedans ? », c’est donc l’hameçon. Le fond est le comment on y parvient.

Ayez des porte-parole sur la brèche

Ayez toujours quelqu’un de disponible pour parler à la presse. Oui, ça peut être vous, mais sachez qu’il y aura un moment où, même si vous avez une histoire bien planifiée à raconter, vous pourriez ne pas être disponible. Avec qui d’autre travaillez-vous ? Qui vous connaît ? Qui vous soutient ? Définir ces personnes et distribuer les rôles pour clarifier qui dit quoi contribue beaucoup à diminuer les maux de tête potentiels. J’agis habituellement en tant que porte-parole d’arrière-plan afin de pouvoir passer du temps avec un journaliste pour trouver ce qu’il recherche spécifiquement et comment nous pouvons lui donner les informations pertinentes du mieux possible.

J’explique comment les choses fonctionnent, principalement sur les processus ; cela met mes « vrais » porte-parole en meilleure position pour dire quels sont leurs besoins et minimise le risque de perdre leur participation en chemin. Préparer les bonnes personnes est aussi important que de les rendre disponibles. Pendant mes cours de formation aux médias, je mets quelques diapositives « surprenantes » qui soulignent les leçons particulièrement intéressantes apprises au fil des ans.

Nous avons par exemple connu une pagaille de représentants dans les premiers jours de l’incubateur Apache, où 15 personnes ont répondu à une demande de la presse en 48 heures… beaucoup d’opinions, mais qui était la « bonne » personne à citer ? Ne laissez pas la presse en décider ! Un autre scénario suprenant comprenait une fête de lancement globale avec des centaines d’invités, des représentants de la presse partout, des DJ, de la musique à fond, des cocktails à flot, et tout ça durerait jusqu’à très tard dans la nuit avec des rumeurs de soirées en after.

Très tôt le matin suivant, la presse a débarqué (oui, bien sûr, j’accepte les appels du Financial Times à quatre heures du matin !). J’ai accepté avec excitation. Cependant, il s’avéra que nous n’avions pas de représentant disponible : le président était dans un avion à destination du Japon, le téléphone portable du directeur était éteint (avec une bonne raison, apparemment) ; les membres du conseil d’administration indisponibles, l’équipe non préparée. Des dizaines d’occasions manquées. Rappelez-vous : quand le communiqué de presse est diffusé, le travail commence tout juste.

Ne soyez pas surpris de le voir affluer de partout

Ils ont tous un avis. Et ils vont probablement vous le donner.

Ne compliquez pas les choses à outrance

Si vous pensez que vous avez trop de choses à dire, c’est probablement le cas. Les facultés d’attention ne sont plus ce qu’elles étaient ; la distraction/l’échec est à portée de clic. Rappelez-vous que vous pouvez toujours travailler par étapes. Décomposez votre histoire si nécessaire. Coupez un long communiqué de presse et utilisez des supports documentaires comme des fiches de description technique et des pages de témoignages à la place. Le principe de segmentation (« cinq plus ou moins deux ») est quelque chose que j’utilise encore et encore. Créez votre propre cycle de publication pour vos messages et renforcez régulièrement votre présence. Créez une FAQ ; si une question mérite d’être posée et n’y est pas, trouvez le moyen de compléter votre message. La répétion engendre la familiarité. Le renforcement progressif de votre appel à l’action est une bonne chose.

N’y touchez plus pendant 24 heures

Parfois, vous avez besoin de prendre du champ. Vous éloigner d’un projet, d’un raisonnement, du travail en général. Accordez-vous une pause et essayez de garder un certain rythme. Prenez une journée pour laisser décanter et vous permettre de souffler. Bien que ce ne soit pas possible dans une entreprise gouvernée par les dates butoir, c’est un but à viser. La course effrénée, les courriels incessants et les tweets en continu déclenchent souvent des réactions à des urgences qui n’existent pas. Laissez le projet de côté, videz-vous la tête et revenez avec des idées claires. Faites un pas de côté et reprenez votre vie en main.

Visez haut

Placez haut la barre et soyez conscient de votre valeur.




S’intégrer au projet par l’action, sans attendre (Libres Conseils 31/42)

Chaque jeudi à 21h, rendez-vous sur le framapad de traduction, le travail collaboratif sera ensuite publié ici même.

Traduction Framalang : merlin8282, goofy, Corentin, lerouge, Asta, peupleLà, Alpha, lamessen, Julius22

Trouver ses marques dans une équipe de promotion

Stuart Jarvis

Stuart Jarvis a commencé à travailler avec l’équipe de promotion de KDE en 2008 en écrivant des articles pour le site web d’actualités de KDE. Il a appris à la dure comment faire bouger les choses dans une communauté du logiciel libre et participe davantage aux activités de l’équipe de promotion en écrivant les annonces des nouvelles versions de KDE et en rédigeant des articles sur les logiciels KDE dans la presse Linux. Il siège maintenant dans le groupe de travail marketing de KDE, contribue à définir la ligne de conduite pour la promotion de KDE et les activités marketing et aide les nouveaux contributeurs à trouver leurs marques. Il fait maintenant aussi partie de l’équipe éditoriale de KDE.News, là où il a commencé à participer.

« C’est celui qui code qui décide » est le mantra du développement dans le logiciel libre. Mais que faire quand il n’y a pas de code ?

Rejoindre l’équipe de promotion et de marketing de votre projet de logiciel libre préféré représente un défi particulier. Pour les nouveaux codeurs, la plupart des projets ont des systèmes de révision du code, des mainteneurs et des pré-versions du logiciel qui les aident à mettre en évidence les erreurs dans le code, ce qui rend moins effrayante la contribution à leur premier correctif.

La promotion peut nécessiter que votre travail soit visible par le public, après une relecture minimale, parfois immédiatement. La nature non-hiérarchisée des communautés de logiciel libre implique qu’il y a rarement une unique personne vers qui vous pouvez vous tourner et qui pourra vous dire si vos idées sont bonnes et prendre des responsabilités à votre place.

Obtenir un consensus versus obtenir des résultats

J’ai d’abord commencé à contribuer à KDE en écrivant des articles pour le site d’actus officiel, KDE.News. J’avais déjà écrit pour des organes de presse, mais j’avais toujours affaire à une personne bien identifiée à qui j’envoyais un brouillon pour avoir un retour et faire les corrections demandées. Dans l’équipe de promotion de KDE, il n’y avait pas une seule personne ou un seul groupe de personnes pour assumer cette tâche. Je devais essayer, juger aux réponses que j’avais sur les brouillons d’articles et décider si j’avais tous les retours dont j’avais besoin et si l’article était prêt pour une publication.

Avec les conseils de contributeurs plus expérimentés, j’ai finalement appris à proposer quelque chose et à le publier en quelques jours s’il n’y avait pas d’objection majeure. Cette approche peut être utilisée par n’importe quel contributeur d’une équipe de promotion de logiciel libre, qu’il soit nouveau ou ancien.

Tout d’abord, travaillez sur la façon dont vous feriez quelque chose, que ce soit écrire un article, changer le texte d’un site web ou donner une conférence dans votre école locale. Planifiez, écrivez l’article ou le nouveau texte. Envoyez vos idées, pour relecture, sur la liste de diffusion de l’équipe de promotion de votre organisation. Surtout, ne demandez pas aux gens ce qu’ils en pensent — vous pourriez attendre des jours ou des semaines sans obtenir de réponse définitive. Signalez plutôt que vous allez publier ou soumettre votre texte, ou mettre en œuvre votre programme à telle date précise, en attendant les objections d’ici là.

Lorsque vous soumettez une date limite, pensez au temps nécessaire à chaque membre actif de l’équipe pour lire ses messages et évaluer votre proposition. Vingt-quatre heures est un minimum absolu pour un simple oui ou non en réponse à une question fermée. Lorsqu’il s’agit de quelque chose nécessitant une lecture ou une recherche, vous devriez envisager un délai de réponse de plusieurs jours.

Si la date limite que vous fixez ne rencontre pas une forte opposition, vous pouvez avancer. S’il existe de gros problèmes par rapport à votre projet, quelqu’un vous le dira. Les choses se font, en réalité. Vous ne serez pas frustré par un manque de progrès et vous aurez la réputation de mener à bien les tâches.

Finalement, c’est vous qui décidez

Les communautés du logiciel libre peuvent facilement devenir des groupes de discussion. Tout le monde a son opinion. Si vous n’êtes pas prudent, les discussions peuvent s’éterniser, s’évanouir au fur et à mesure que les personnes s’en désintéressent et finir sans conclusion convaincante. Cela peut paraître assez difficile à gérer lorsque vous faites partie de la communauté depuis quelque temps : vous avez l’habitude de prendre vos propres décisions et d’avoir votre propre idée sur ceux dont les avis vous importent. Quand vous débutez, cela peut être très déroutant.

Si vous voulez que votre propre travail aboutisse, vous allez probablement devoir faire des choix entre des points de vue opposés. Vous pouvez mettre un terme au débat en donnant un résumé des points principaux et en donnant votre opinion sur ces points. Essayez de ne pas laisser de questions ouvertes en suspens, à moins que vous ne souhaitiez un débat plus long — donnez simplement vos conclusions et dites ce que vous allez faire. Dès lors que vous êtes correct, les autres personnes respecteront probablement votre avis, même si elles ne sont pas d’accord.

Soyez proactif – n’attendez pas qu’on vous demande

Le premier contact avec l’équipe de promotion que vous voulez rejoindre peut très bien être l’envoi d’un courriel sur leur liste de diffusion leur offrant vos compétences. Je pensais pouvoir énumérer mes points forts et espérer que les gens me suggéreraient des choses à faire. En pratique, ça ne fonctionne pas tout à fait comme ça.

La plupart des communautés manquent de volontaires et ont vraiment besoin de vos compétences. Mais comme elles manquent de volontaires, elles peuvent aussi manquer de temps pour donner de bons conseils et encadrer. Si vous voulez travailler sur une partie spécifique du projet, dites-le. Il est beaucoup plus facile pour quelqu’un du projet de dire simplement « Vas-y ! » plutôt que d’essayer d’arriver avec un projet qui correspond à vos compétences.

Même quand vous avez travaillé sur quelques projets et prouvé vos compétences, il y a peu de chances que vous soyez contacté directement pour une tâche. Ceux qui coordonnent l’équipe marketing ne connaîtront pas votre situation personnelle et peuvent donc être mal à l’aise à l’idée de vous demander quelque chose de particulier sur votre temps libre, gratuitement. Une communauté idéale va poster régulièrement — que ce soit sur une liste de diffusion ou une page web — les tâches que des volontaires peuvent prendre en charge. Si ce n’est pas le cas, trouvez vous-même des choses à faire et prévenez la liste de diffusion que vous êtes en train de les faire. Les gens vont le remarquer et cela augmente les chances que vous soyez directement contacté dans le futur.

Si vous êtes proactif, vous pouvez rapidement vous rendre compte que vous êtes l’une des personnes expérimentées de la communauté vers qui les nouveaux venus se tourneront pour avoir des conseils ou du travail à réaliser. Essayez de vous souvenir comment c’était quand vous avez commencé et faites en sorte de faciliter au maximum leur vie de nouveau contributeur.




Librologie 7 : Le logos de Jamendos

Bien le bonjour, fidèles lecteurs et lectrices du Framablog !

Avec l’épisode d’aujourd’hui, ces chroniques Librologiques adoptent temporairement un format un peu plus développé que précédemment, ainsi qu’une démarche davantage documentaire… sans renoncer à notre regard critique habituel, comme l’article d’aujourd’hui vous le confirmera.

Cette semaine, les Librologies et moi-même vous invitent à (re)visiter une contrée exemplaire de la culture (censément) Libre, où nous découvrirons ensemble certains aspects pittoresques du parler entrepreneurial : bienvenue chez Jamendo™ !

V. Villenave

Librologie 7 : Le logos de Jamendos

Les zones d’intersection entre le mouvement Libre et le monde capitaliste sont nombreuses dans le domaine informatique. Pas une semaine ne se passe sans que je ne découvre de nouvelles entreprises, plus ou moins volumineuses, un peu partout en France ; au niveau international, le succès de grosses entreprises telles que Redhat n’est plus à démontrer et les plus colossaux succès de la décennie précédente (et même plus tôt) ne sauraient s’expliquer sans le logiciel Libre.

La situation est sensiblement différente en ce qui concerne les œuvres culturelles sous licences Libres : l’on aurait du mal à trouver des équivalents aux exemples ci-dessus, en termes de quantité ou d’envergure. (Nous avons d’ailleurs présenté, dans la chronique précédente, quelques facteurs d’explication : un retard d’environ quinze ans du mouvement Libre dans le domaine culturel par rapport à l’informatique, un relatif désintérêt de la communauté Libriste par rapport à ce qui sort du champ de la culture de consommation, et l’opinion répandue que, de façon générale, l’art est d’une moindre utilité que les logiciels.) Et pourtant, quelques entreprises se font jour dans le domaine culturel, qui tentent de transposer, à une échelle réduite, certains business models de l’informatique Libre.

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Un exemple parlant, sur lequel je voudrais m’attarder aujourd’hui, est à trouver auprès du site jamendo.com, dont nous tout d’abord allons voir comment il se présente sur sa page Wikipédia au moment où je rédige cette chronique :

Jamendo est un site Web qui propose des albums de musique en téléchargement gratuit. Les artistes, qui autorisent cette gratuité pour les internautes grâce aux licences ouvertes, peuvent, s’il le souhaitent, être rémunérés grâce aux dons des utilisateurs, au partage de 50 % des revenus publicitaires de Jamendo, ou encore grâce à la vente de licences d’utilisation commerciales de leur musique.

Le site Internet Jamendo est l’un des principaux acteurs du mouvement des musiques libres en France, avec un positionnement annoncé comme « le Red Hat de la musique libre ». Jamendo est une start-up, basée au Luxembourg. Elle a été financée fin août 2006 par Mangrove Capital Partners, les investisseurs de Skype. Fin 2008, Jamendo est entré en concurrence avec la SACEM et les éditeurs traditionnels en créant Jamendo Pro, un site annexe basé sur le principe de CC Plus qui propose des licences pour l’utilisation commerciale de la musique à des prix compétitifs.

Pour approximative et maladroite qu’elle soit, cette description — qui a d’ailleurs peut-être été mise à jour depuis que je l’ai relevée — n’en mérite pas moins d’être citée et commentée avec soin.

Jamendo est un site Web qui propose des albums de musique en téléchargement gratuit.

Notons que nulle part dans cette phrase, pas plus que dans la suivante, n’apparaît le mot « Libre ». On parle de gratuité, terme très différent et éventuellement orienté (j’y reviens). Je remarque par ailleurs, ce qui pourrait sembler évident mais ne l’est pas nécessairement, que sur Jamendo l’unité de mesure de la musique est l’album.

Les artistes, qui autorisent cette gratuité pour les internautes grâce aux licences ouvertes, peuvent, s’il le souhaitent, être rémunérés grâce aux dons des utilisateurs, au partage de 50 % des revenus publicitaires de Jamendo, ou encore grâce à la vente de licences d’utilisation commerciales de leur musique.

Avec la gratuité, la « rémunération » : un vrai catalogue des mots interdits de Richard Stallman. Je tique quant à moi sur le terme « artistes », qui est le terme employé à l’envi par une certaine propagande gouvernementale. Comme je l’ai déjà exposé, être « artiste » est un statut social, pas une profession : les termes « musiciens », « auteurs », « interprètes » auraient ici été plus précis et moins orientés.

Le mot « Libre » est encore une fois absent, remplacé par des « licences ouvertes », traduction peu élégante (sinon impropre), du terme open dans l’expression open-source ; en fait, la tournure de cette proposition est tellement maladroite et révélatrice que je vous propose de la lire à nouveau :

Les artistes autorisent cette gratuité pour les internautes grâce aux licences ouvertes.

Nous y sommes : en un mouchoir de poche sont mis en rapport la gratuité et les « internautes » (implicitement désignés comme seuls détenteurs d’une supposée « idéologie du tout-gratuit » que j’ai déjà amplement pourfendue), et la « licence » n’est plus que le moyen qui permet d’autoriser cette mise en rapport.

Sur 62 mots dans ces deux premières phrases, plus de 40 ont été consacrés exclusivement à des aspects monétaires (gratuité et rémunération). Ce champ lexical économique/entrepreneurial se poursuit dans le second paragraphe, avec des termes tels que « positionnement », « start-up », « investisseurs », « concurrence avec la SACEM » (sic !!), « utilisation commerciale à des prix compétitifs ».

funny-pictures-concerto-cat.jpgBref, Jamendo est une entreprise sérieuse et veut que cela se sache. L’influence du modèle Red Hat est revendiquée et effectivement perceptible… Mais peut-être faudrait-il précisément étudier de plus près l’image même dont bénéficie cette dernière société auprès des communautés Libristes. En effet, l’enthousiasme et la confiance du monde Libre vis-à-vis de Red Hat me semble s’expliquer moins par son succès en tant qu’entreprise, que par ses contributions actives au monde du logiciel Libre : Red Hat figure parmi les plus gros contributeurs au noyau Linux, développe une distribution GNU/Linux et quelques outils précieux, et surtout emploie quelques-unes des personnalités prééminentes du logiciel Libre : Lennart Poettering, Adam Jackson, David Airlie, Tom Calloway, Richard Fontana ou Adam Williamson, pour n’en citer que quelques-uns… Avant de qualifier Jamendo de « Red Hat de la musique Libre », il conviendrait donc de chercher d’abord où se trouvent ses contributions au mouvement Libre en général.

C’est ce que nous allons tenter de faire ici, avec une chronique sensiblement plus longue que d’habitude (oui, tout ce qui précède n’était que l’entrée en matière !). Avant d’aller plus loin, je me dois de préciser céans que je n’ai jamais été impliqué dans aucune polémique concernant Jamendo ; je n’ai eu qu’une seule occasion de rencontrer l’un de ses dirigeants, je n’ai contribué qu’à un seul album et n’ai posté qu’un seul message sur le forum — quant à mes propres pratiques musicales, elles se situent à peu près aux antipodes de tout ce que Jamendo peut connaître. Je ne suis pas proche de bloggueurs anti-jamendistes, et j’ai moi-même eu l’occasion de promouvoir des « artistes Jamendo » notamment dans le cadre de mon engagement au Parti Pirate jusqu’en 2010. Comme dans toutes ces chroniques, je ne cherche ici qu’à relater méthodiquement de quelle façon Jamendo m’apparaît aujourd’hui et pourquoi je parviens à ce point de vue.

La figure publique du site est le jeune français Sylvain Zimmer, nommé Jeune Entrepreneur de l’année 2009 au Luxembourg pour le succès de Jamendo. Derrière lui se trouvent les (moins jeunes) entrepreneurs luxembourgeois Pierre Gérard et Laurent Kratz, déjà associés auparavant dans plusieurs start-ups sans aucun rapport — pour autant que je puisse en juger — avec la musique ou les licences alternatives.

S’il ne brille pas par sa transparence, le montage financier derrière Jamendo peut être reconstitué au prix d’une recherche dans le Mémorial C du Grand-Duché. Fondée en novembre 2004, la société éditrice du site se nomme originellement Peermajor, au capital de 12.500€ dont seulement 500€ détenus par M. Zimmer, le reste étant investi par la société N4O, fondée le même jour par MM. Gérard et Kratz, au capital de 50.000€ (laquelle, si je comprends bien, sert également de parapluie pour leurs autres entreprises Neofacto ou Neonline — qu’ils vendront par la suite à New Media Lux). En 2007, M. Zimmer constitue sa propre entreprise, (judicieusement) nommée BestCaseScenario, et rachète un tiers des parts. Quelques semaines plus tard, Peermajor suscite l’intérêt de l’investisseur capital-risque (venture capitals) Mangrove, lequel porte capital de l’entreprise à 21.600€ (dont 1.100€ investis par Bryan Garnier Holdings). Fin 2007 est créée la société Jamendo S.A., au capital de 31.000€ (qui sera porté en 2009 à 38.600€, toujours par Mangrove). L’affaire s’avérant moins rentable qu’espéré, Jamendo est au bord du dépôt de bilan au printemps 2010… lorsqu’elle trouve en la société MusicMatic un investisseur motivé qui, avec 500.000€ euros supplémentaires (sur deux millions initialement demandés !), en prend le contrôle total.

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De tout cela, il me semble ressortir plusieurs choses. La première est que M. Zimmer, s’il est la figure publique la plus visible et celui dont la success story est mise en avant, n’a en réalité jamais eu de véritable pouvoir dans le projet. La deuxième est que dès son origine, Jamendo a pour finalité d’être, au moins à moyen terme, financièrement rentable ; et la troisième enfin, que cet objectif n’a cessé, au fil des ans et des investissements, de se faire plus pressant. Cette évolution n’a pas été sans être perçue par les contributeurs au site (chanteurs et musiciens), particulièrement ceux des premiers temps qui avaient initialement cru trouver en Jamendo un projet essentiellement communautaire et en adéquation avec leur éthique.

Ainsi des tentatives de « monétisation » du site, sous des formes plus ou moins voyantes : l’arrivée d’encarts publicitaires sur les pages du site, par exemple, souleva en 2006 des parodies mordantes et critiques enflammées mais non dépourvues de fondement. D’un point de vue juridique tout d’abord, comment concilier cette démarche avec la présence sur Jamendo de nombreuses œuvres sous licences interdisant les usages commerciaux ? Mais la véritable question était d’ordre éthique : difficile pour des contributeurs ayant fait le choix (difficile et ingrat, nous y reviendrons) des licences alternatives, de voir leur travail servir de revenu monétaire à une entreprise en laquelle ils se reconnaissaient de moins en moins. Cette dimension éthique (aussi bien que les subtilités juridiques, d’ailleurs) sembla échapper aux dirigeants : pour citer M. Zimmer dans le texte (ce n’est pas moi qui souligne), « il faut savoir aller jusqu’au bout de ses idées. « libre » ca veut dire que demain SFR prend le CD et le met dans une de ses pubs sans demander l’autorisation. » Euh, pardon ?

En fin de compte, la seule réponse de l’entreprise fut d’ordre ni éthique ni juridique, mais financier : en offrant aux contributeurs la possibilité (sic) de toucher la moitié des revenus publicitaires, Jamendo acheva de montrer quelle était son optique… Tout en s’achetant — littéralement — l’image d’une entreprise agissant « pour les artistes ». (Ce qui n’est d’ailleurs que partiellement vrai, dans la mesure où Jamendo ne redistribue de pourcentage des dons et recettes que lorsque ceux-ci atteignent un certain plafond, excluant donc de fait une large part des contributeurs.)

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Bannière apposée en 2006 sur certaines jaquettes
La bannière en question fut enlevée par les administrateurs. Bien joué.

C’est peu dire qu’il existe, dans le milieu Libriste, plusieurs voix de dissension vis-à-vis de Jamendo. Certaines, autant le dire, ne sont pas toujours très élaborées, ou se contentent parfois d’une posture anti-capitaliste, voire d’un brin de nationalisme lorsque l’on suggère qu’il n’est pas innocent que Jamendo ait choisi son pays de résidence hors des frontières de la France natale de M. Zimmer. Je passerai très vite sur cette critique de fort mauvais goût : n’ayant jamais eu le bonheur de m’y rendre, je ne peux douter que le Luxembourg soit une contrée très agréable dont les appas ne sauraient se résumer à son régime fiscal et bancaire notoirement paradisiaque — par une touchante et merveilleuse coïncidence, c’est également ce pays qu’a choisi la firme Apple (dont on connaît trop peu la sensibilité aux charmes des grand-duchés d’Europe), pour y implanter son service iTunes un an avant Jamendo.

D’autres encore se sont concentrés sur le rejet de la publicité, les violations de licences (notamment non-commerciales). Ou encore, la désinvolture des administrateurs vis-à-vis du droit d’auteur, qui n’hésitent pas à modifier la licence d’œuvres sans même en informer leurs auteurs, ou à tenter de censurer des opinions peu favorables à la société (outre l’exemple ci-dessus, nous en verrons un autre plus bas).

D’autres enfin dénoncent, à juste titre, le manque d’information de nombreux « artistes » qui choisissent des licences non-Libres, ou encore s’inscrivent à la fois à la SACEM et sur Jamendo, montrant par là qu’ils voient en ce site comme une simple plateforme de diffusion comme une autre, branchée et « sociale » — quand de fait, tout les y invite. Enfin certaines critiques de Jamendo me semblent mériter une attention particulière, qu’elles se concentrent sur le vocabulaire employé par le site à des fins promotionnelles (comme nous le ferons ici-même) ou fassent feu de tout bois de façon caustique.

S’ils se trompent certainement en considérant que Jamendo a « mal tourné » (nous avons vu que la recherche de profit était inscrite dès le début, comme dirait son PDG actuel, dans l’ADN de Jamendo), il est compréhensible que ces commentateurs aient été frappés par la façon dont le site a évolué au cours des ans :

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Jamendo en 2005

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Jamendo en 2006

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Jamendo en 2008

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Jamendo en 2009

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Jamendo en 2011

Coins arrondis, dégradés, gros boutons, évolution des couleurs et du logo : le design se modernise et surtout, pour reprendre le langage des sites d’entreprise, se professionnalise. Ce qui frappe également, c’est la conquête de l’image : les photos, dans un premier temps, se multiplient, puis s’agrandissent. Elles changent également de nature, des jaquettes d’« albums » soumises par les utilisateurs, on passe à quelques jaquettes sélectionnées, puis aujourd’hui à des photos illustratives « de stock » entièrement choisies par les responsables du site. Cependant, pour révélateur qu’il soit, l’habillage importe peu ; le logo de Jamendo m’intéresse moins que son logos, c’est-à-dire le message qu’il propage, volontairement ou non, à travers ses choix terminologiques.

À l’heure où j’écris ces lignes, la première information visible (et mise en avant) sur le site, est le nombre de pistes sonores disponibles : il s’agit là du vertige des grands nombres que nous évoquions récemment, et de cette manie de la quantification des contenus culturels. Le slogan, après cinq ans de Ouvrez grand vos oreilles, a été remplacé par Le meilleur de la musique libre, dans une formulation inspirée par les radios commerciales et les hits-parade en tous genres.

Mais qu’entend-on ici par « libre » ? Comme l’admet volontiers M. Zimmer lui-même, parler de « musique libre » comme l’on parle de « logiciel Libre » n’a « pas beaucoup de sens » à ses yeux : « c’est un débat valide, dit-il — ce qui n’est pas mon avis —, mais peu intéressant. » Est-ce à dire que le site-phare du Libre… se soucie peu de savoir s’il l’est ? Nous y reviendrons dans un instant.

Comme toute entreprise moderne, Jamendo se doit de faire oublier qu’elle est une entreprise : merveilles du branding, l’on ne dira plus (comme dans une interview de M. Zimmer en 2005) « les artistes de Jamendo », « les artistes qui sont sur Jamendo » ou « les artistes présents sur Jamendo »… Mais l’on dira : « les artistes Jamendo », « l’expérience Jamendo », « de la musique Jamendo » et, il fallait s’y attendre, « du contenu Jamendo ». Oubliez l’entreprise : Jamendo est une marque (dépôts 948744 et 4425021 à l’INPI).

Nous avons établi clairement, à ce stade, que Jamendo™ se définit — dès ses origines même — par sa démarche entrepreneuriale, au détriment d’une (re)connaissance des licences Libres et du mouvement qui les sous-tend. Dans l’interview de 2005 déjà mentionnée, M. Zimmer avance les arguments « culturels » classiques (« la musique, c’est avant tout une passion avant d’être une histoire de thunes »), et laisse échapper quelques idéologèmes révélateurs : « La propriété intellectuelle, ça existe. (…) les sanctions (pour téléchargement illégal) ne devraient pas dépasser l’amende pour vol d’un CD à l’étalage » — mais pourquoi diable ? — ou encore « La moitié de l’équipe de Jamendo bosse sous Mac ! iTunes c’est bien, sinon ça ne marcherait pas autant », et enfin l’immanquable « un balayeur est un balayeur, mais un artiste local n’est pas inconnu »euh, comment dire…

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En admettant que la recherche du profit n’est pas une idéologie en soi (voire !), il me semble qu’on est amené, lorsque l’on voit Jamendo™ comparé par M. Kratz à un « Wikipédia de la musique », à se demander si ses dirigeants ont véritablement compris les tenants et aboutissants du mouvement Libre. M. Gérard est plus décomplexé sur son blog (où l’on appréciera par ailleurs le jargon entrepreneurial : « deal », « fourniture », « le shop » et j’en passe) : « L’objectif principal pour nous est bien sûr le développement commercial, notre ambition est de mettre en place de meilleurs canaux commerciaux et aussi des flux musicaux d’encore meilleure qualité. Car avant tout ne l’oublions pas, Jamendo c’est de la musique et souvent de la bonne musique en libre téléchargement gratuit et légal pour le grand public ! ».

« Libre téléchargement » étant bien sûr à prendre ici au sens de « libre de droits », expression abusive sur laquelle nous reviendrons. Quant à l’expression « téléchargement gratuit et légal » (adjectifs auxquels s’adjoindra à l’occasion « illimité », voir ci-dessous), elle est simplement calquée sur les argumentaires publicitaires de fournisseurs d’accès ou de sites commerciaux.

Jamendo™ se définit lui-même comme fournisseur de musique (ainsi l’on ne parlera ni de « répertoire » ni de « catalogue », mais d’« offre »), et son « cœur de cible » est moins à chercher parmi les mélomanes que parmi les échoppes et salons de coiffure, où la musique se diffuse au kilomètre et se vend au poids : « des milliers d’heures de musique sans interruption » (ce n’est pas moi qui souligne). On comprend mieux, dès lors, l’intérêt de MusicMatic pour Jamendo™ :

MusicMatic gère et diffuse des flux musicaux et vidéo pour les réseaux de points de ventes (et leur offre) une réelle solution innovante de diffusion de musique et de contenu.(…)

Aujourd’hui la maturité des technologies de transmission de données, un hardware performant et une suite de logiciels propriétaires (sic) ont permis à MusicMatic de concevoir une plateforme unique qui crée, diffuse et gère en temps réel des centaines de programmes.

Revoilà donc l’idéologie du contenu, sur laquelle nous avons déjà dit tout ce qu’il y avait à dire : Jamendo™ est, en définitive, un exemple parmi d’autres de la marchandisation de l’User-Generated Content que nous décrivions il y a peu.

Je dis ici « parmi d’autres » de façon très littérale ; si je devais placer ici une référence à Roland Barthes, je parlerais du motif de l’identification qui consiste à dire qu’après tout, les autres civilisations sont « comme nous ». Étant établi que « iTunes c’est bien », alors de Jamendo™ à Deezer il n’y aura qu’un pas, et l’on essayera même très, très, très, très fort de s’intégrer à Facebook™ :

Vivez à fond l’expérience Jamendo sur Facebook !

Installez l’application Jamendo sur votre profil Facebook et profitez de Jamendo dans un environnement Facebook ! (…)

En outre, vous disposerez d’un onglet Jamendo sur votre profil Facebook sur lequel s’afficheront vos albums favoris. Quoi de mieux pour afficher les perles rares que vous avez découvertes sur Jamendo !

N’attendez plus, installez l’application Jamendo pour Facebook dès aujourd’hui !

(Petit jeu : à votre tour Jamendo™, maîtrisez le branding Facebook™ et apprenez à faire de la publicité Jamendo™ ! En toute simplicité Facebook™, il vous suffit de faire des phrases Jamendo™ normales puis d’adjoindre derrière chaque substantif Facebook™, tantôt le mot Jamendo™, tantôt le mot Facebook™. Étonnant, non ?)

Ce qui me frappe le plus, c’est à quel point cette terminologie est en fait, au mot près, celle du système traditionnel, des majors du disque (auquel M. Zimmer se réfère explicitement, comme en témoigne le nom de sa société Peermajor ou cette charmante expression de « concurrence avec la SACEM » sur la page Wikipédia) au gouvernement en passant par la SACEM et la HADŒPI. Nous avons déjà évoqué le substantif « artistes », l’expression « propriété intellectuelle » ou le « contenu », le jargon publicitaire et entrepreneurial stéréotypé, les procédés de branding et l’emphase constante sur les aspects monétaires et quantifiables ; nous avons vu également que ce logos n’était pas dû à l’évolution du site, mais présent dès son origine.

(Autre petit jeu : parmi les réclames suivantes — bourrées de prénoms — se cachent deux publicités datant de janvier 2005. L’une concerne un site (censément) Libriste, l’autre une action de propagande gouvernementale anti-« piratage ». Saurez-vous trouver lesquelles ?)

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De fait, Jamendo™ semble entretenir avec la législation un rapport complexe, voire borderline. Au moment de l’élaboration de la loi dite dadvsi en 2006, si de nombreux contributeurs voient naturellement en Jamendo™ un allié « Libre » contre le gouvernement, le site (d’ailleurs de droit luxembourgeois et non français) se montre en fait d’une discrétion remarquable. En 2009, Jamendo™semble vouloir corriger le tir en se « positionnant » contre la loi dite hadopi, qualifiée d’« idiote » (suivant en cela le positionnement d’autres entreprises censément Libres, telle ILV à qui une large part du présent article pourrait d’ailleurs également s’appliquer). Les deux initiatives successivement lancées à cette occasion auront en commun de parodier des actions du gouvernement, et d’aborder la problématique, de nouveau, sous un aspect exclusivement économique.

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Pendant ce temps, le même Jamendo™ s’emploie en fait à cultiver de bonnes relations avec le gouvernement français et la SACEM : par exemple, en 2011 le site se précipitera pour demander une accréditation officielle. S’il n’est pas le seul à entreprendre cette démarche, sa justification quelque peu embarrassée et à teneur enrichie en idéologèmes, vaut le détour :

Nous avons critiqué la loi Hadopi qui, pour nous, est une mauvaise réponse à un vrai problème.

Lequel « vrai problème » n’est pas, comme nous l’aurions naïvement cru, la volonté des puissants d’assujettir les citoyens-internautes, mais… le comportement des « nouvelles générations » ; comportement qu’il n’est d’ailleurs pas dangereux (ou dommageable à la démocratie) de vouloir réprimer, mais simplement « illusoire » :

Il est, à notre sens, illusoire de vouloir imposer aux nouvelles générations des règles de comportements complètement dépassées. De nombreux artistes, des labels et des plate-formes Internet ont également critiqué cette loi et surtout son aspect répressif. L’avenir nous permettra de juger.

La répression n’est donc pas le but de cette loi, mais — comme le gouvernement nous l’a doctement expliqué — seulement un « aspect » ; d’ailleurs pourquoi s’en faire, puisque cette loi ne fonce pas droit dans le mur, mais ouvre un « avenir » — que rien n’empêche d’être radieux… Admirons maintenant la figure de gymnastique rhétorique par laquelle le locuteur aboutit à une conclusion qu’il présente (à ses propres yeux ?) comme logique :

Demander le label Hadopi n’est donc (sic !) pas pour Jamendo un revirement de position. Si nous obtenons ce label cela permettra aux artistes diffusant leur musique sur notre site et aux internautes qui les écoutent, de savoir que cette offre est totalement légale. (…) Être présent aux côtés des plus grands acteurs de la musique comme les Majors et des start-ups les plus dynamiques ne peut que valoriser notre démarche et garantir la diversité de l’offre musicale.

« Diversité » : encore un terme idéologiquement très chargé, emprunté directement au logos gouvernemental. Quant à la « valorisation » évoquée, il faut bien évidemment l’entendre au sens de valeur monétaire et c’est bien là, on est prêt à le croire, la motivation de l’entreprise.

Lorsque l’on ne peut décemment expliquer que tout le monde est en fait d’accord depuis toujours — ce serait un peu gros —, la solution de rechange est ce procédé rhétorique de fausse concession que Barthes décrit sous le nom de « vaccine » (notamment dans son analyse des publicités pour la margarine Astra). En l’occurrence, cela revient à dire aux internautes : « certes, nous avons eu nos divergences par le passé ; mais elles étaient finalement inessentielles, et de toute façon tout cela est derrière nous aujourd’hui. » C’est ainsi que les Assises du piratage proposées par le gouvernement français en janvier 2009, avec les bons soins de l’agence publicitaire Aromates, se sont transformées en assises… de la Réconciliation ! Assises au demeurant sponsorisées par…

(Un dernier petit jeu : parmi les sponsors de ces « assises », se cache une entreprise censément Libre. Saurez-vous trouver où ?)

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La présente chronique, si longue soit-elle, ne prétend pas à l’exhaustivité. Cependant elle serait certainement incomplète si je n’abordais pas ici le point saillant terminologique qui m’a à l’origine, disons, vivement incité à l’écrire : j’aimerais comprendre ce que PRO veut dire.

Début 2009, alors même que M. Kratz explique doctement que « (son) métier, c’est la désintermédiation d’artistes autoproduits », Jamendo™ lance une nouvelle opération commerciale intitulée (ou brandée) Jamendo Pro. L’activité de cette subdivision, si je comprends bien, se nomme licensing et consiste à vendre des exceptions de licence, réinventant d’ailleurs une pratique du milieu informatique Libre : moyennant finance, le client s’exonère des clauses de la licence de l’œuvre (Libre ou non-Libre, copyleft ou non, non-commerciale ou pas). En d’autres termes, nous ne sommes plus dans le Libre mais dans le libre de droits et c’est d’ailleurs comme cela que le site se présente initialement :

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Ce qui soulève plusieurs questions. Tout d’abord, les artistes sont-ils pleinement informés et conscients de l’exploitation qui sera faite de leur travail ? Pour certains, la réponse est non et la démarche de Jamendo™ confine à l’escroquerie. Une pétition sera même lancée, un mouvement de contestation se fait jour avec le mot d’ordre « No Pro », que Jamendo™tentera, à nouveau, de censurer. D’un point de vue juridique ensuite, rendre une œuvre « libre de tous droits » étant absolument impossible en droit français, il n’est possible de s’en approcher que moyennant un contrat très précis entre le récipiendaire et l’ayant-droit principal (l’auteur, auquel Jamendo™ se substitue ici). Par ailleurs, je reste particulièrement dubitatif quant à la valeur juridique de ces « certificats » de Non-Sacemité que prétend délivrer Jamendo™ : outre qu’ils n’exonèrent pas, par exemple, des redevances dites de rémunération dite « équitable », ils s’ajoutent de façon parfaitement superflue aux licences alternatives déjà appliquées aux œuvres. Certes, nous avons pu voir qu’en matière de licences Libres Jamendo™ n’en est pas à une approximation près…

Enfin d’un point de vue éthique : l’idéologie du mouvement Libre (que j’ai amplement décrite ailleurs) vise à rendre aux auteurs le contrôle et la place dont tout un système d’intermédiaires les avait dépossédés, et ce que fait ici Jamendo™ est… très exactement l’inverse. Cependant, il me semble que toutes ces critiques, si méritées soient-elles, laissent de côté le plus ahurissant, qui à mon sens se trouve dans l’intitulé même : Jamendo Pro.

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La première lecture que j’en fais (au-delà de l’aversion que m’inspire la dichotomie arbitraire amateur/professionnel) est tout simplement que, pour un « artiste », la seule façon d’être « pro » est de renoncer à sa licence Libre. La propagande du gouvernement, des industriels et de la SACEM ne dit pas autre chose : « nous ne reconnaissons pas l’existence de licences alternatives, car nous nous adressons aux vrais professionnels » — je ne compte plus les fois où des interlocuteurs me l’ont affirmé en face.

Deuxième lecture possible, ce vocable « Pro » ne qualifierait pas les auteurs et musiciens eux-même, mais la clientèle potentielle de Jamendo™ : commerçants, restaurateurs, salons de coiffure. En y réfléchissant bien, c’est peut-être encore pire : cela reviendrait à diviser la société en deux. D’un côté, les « professionnels » : ceux qui coiffent, ceux qui tiennent boutique, en un mot ceux qui vendent. Et de l’autre… eh bien de l’autre les « artistes » : comme je l’expliquais au début même de cet article, ce mot-idéologème désigne un statut social, et non une profession.

Enfin, la dernière lecture possible — si elle ne rend guère hommage à l’intelligence et l’intégrité des tenanciers de Jamendo™ — est peut-être la moins dégradante et la plus probable : il s’agirait tout simplement d’une marque, d’un slogan destiné à appâter le chaland de même que l’on ne compte plus les entreprises qui proposent des produits « pro » sans nécessairement définir ce qu’elles entendent par là.

Admettons donc, comme nous l’avons fait depuis le début de cet article, que Jamendo™ n’est qu’une entreprise parmi d’autres, qui tente de survivre et se développer dans l’écosystème capitaliste moderne. De fait, son existence même n’est pas sans présenter quelqu’intérêt : success story édifiante (dont on ne peut que souhaiter qu’elle se perpétue), tentative de définir un modèle alternatif (même si ledit modèle s’avère fortement similaire au système antérieur)… Le site même de Jamendo™, dont nous avons souligné — peu innocemment — l’aspect professionnel, offre à de nombreux musiciens et auteurs, Libristes ou non, un espace prêt-à-l’emploi, d’allure sympathique et à forte visibilité — ce qui constitue d’ailleurs l’argument principal et le moins contestable, pour le meilleur et pour le pire, du projet Jamendo™. Comme je le disais plus haut, il m’est moi-même arrivé d’en faire usage et de le recommander ; si certaines de ses initiatives me laissent indifférent, j’en trouve d’autres originales et brillantes, telle cette page qui permet aux mélomanes de trouver des alternatives « Libres » aux musiciens les plus célèbres, exactement comme il en existe du côté des logiciels (je ne suis pas choqué par l’idée de ne pas considérer les œuvres d’art différemment des logiciels).

Cependant, je suis saisi (comme d’autres avant moi) par l’ambigüité du choix de Jamendo™, ou plutôt de son refus de choisir explicitement, entre « faire des affaires » (comme le père de Prévert), et se faire l’avocat des licences Libres. (Tout particulièrement lorsque ce dernier domaine semble ici si mal maîtrisé.) Cette posture de « Libriste malgré soi », Jamendo™ l’a plus ou moins assumée à ses débuts, porté par un élan de sympathie de la communauté Libriste qu’il n’a ni su, ni voulu, rejeter ; aujourd’hui encore il ne se passe pas un trimestre sans que Jamendo™ soit cité en exemple, par exemple dans le récent dépliant publicitaire de la fondation Creative Commons The Power Of Open (du reste entièrement financé par Google®), ou encore dans des colloques ou salons. J’ai moi-même eu l’occasion de me retrouver à un débat public, seul représentant — légitime ou non — du mouvement Libre dans un traquenard pseudo-« indé » organisé à la gloire de la S.A.C.E.M. et des industries culturelles, au côté de M. Gérard qui faisait ici office d’alibi « alternatif » alors qu’il n’était venu que dans l’espoir très modeste de promouvoir ses produits…

Serait-ce à dire que, délibérément ou non, Jamendo™ jette le discrédit sur la « culture Libre » toute entière ? Ce risque, s’il me semble réel, ne m’inquiète pas outre mesure : l’histoire nous a montré que l’évolution de l’art et de la culture appartient aux auteurs davantage qu’aux intermédiaires. À mon sens, le principal intérêt du site jamendo.com est l’espace de côtoiement qu’il constitue, fortuitement, entre différents modes de pensée et de consommation culturelle, et qui nous a ici permis d’examiner de nombreux points de frictions et de divergences.

Le — relatif — succès commercial et entrepreneurial que représente aujourd’hui Jamendo™ n’est ni une victoire, ni une défaite du Libre : ce sont deux phénomènes indépendants. Quelque sentiment d’agacement l’on puisse ressentir devant le discours de ses responsables (propos inélégants, imprécisions conceptuelles ou terminologies orientées), Jamendo™ ne me semble mériter d’autre antagonisme que celui de ses concurrents, et d’autre enthousiasme que celui de ses actionnaires ; quant à son attitude envers le mouvement Libre, elle témoigne moins d’un mépris que d’une méconnaissance profonde. L’éthique Libre n’est pas indésirable chez Jamendo™ : elle lui demeure seulement, ontologiquement et irréductiblement, étrangère.




Geektionnerd : e-G8

Le e-G8 vient de s’achever et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il a laissé un sentiment mitigé.

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)