Le temps de cerveau disponible des utilisateurs de Google Chrome

Elliott Brown - CC byNous nous faisons régulièrement l’écho de la concurrence entre les navigateurs Mozilla Firefox et Google Chrome, et ce au sein même de la communauté du Libre.

Faites comme vous voulez mais ce petit rappel sur les réelles motivations de Google n’est pas inutile, car on comprend alors mieux pourquoi Google fournit tant d’efforts pour développer et faire connaître son navigateur[1].

Et nous sommes tout d’un coup bien loin du Mozilla Manifesto

Le véritable intérêt de Chrome pour Google : l’utilisateur captif

Why is Chrome so important to Google? It’s a ‘locked-in user’

Larry Dignan – 14 avril 2011 – ZDNet
(Traduction Framalang : Vincent, Don Rico et Goofy)

Au départ, le navigateur Chrome n’est apparu que comme un projet secondaire de plus pour l’entreprise Google. Bien sûr, c’est un navigateur rapide. Bien sûr, Google a engrangé d’impressionnantes parts de marché en un temps record. Et bien sûr Google a donné un coup de fouet au développement des navigateurs.

Mais l’importance véritable de Chrome – qui explique pourquoi Google fait un tel battage publicitaire pour son navigateur dans le monde entier –, se résume à la valeur du capital client (NdT : customer lifetime value) de l’utilisateur de Chrome.

Au cours d’une conférence de presse sur les revenus de l’entreprise, on a demandé au directeur financier Patrick Pichette quelle était l’importance de Chrome, et sa réponse est édifiante.

En fait, Chrome a deux aspects distincts. Côté pile c’est une arme tactique, côté face c’est une arme stratégique. Chrome bouscule vraiment le Web et il offre un avantage extraordinaire : dès qu’un internaute l’adopte, il accède directement à ses requêtes Google via la barre d’adresses au lieu d’avoir à trouver la barre de recherche. D’un point de vue stratégique, il est intégré dans le système d’exploitation Chrome OS. D’un point de vue tactique, nous avons la garantie que tous les utilisateurs de Chrome restent captifs du moteur de recherche Google.

Nikesh Arora, directeur commercial chez Google, a lui aussi donné son analyse du retour sur investissement du marketing de Chrome.

Nous avons plus de 120 millions d’utilisateurs quotidiens et 40% d’entre eux sont arrivés récemment après notre campagne de publicité. L’usage de Chrome a progressé de 30% d’un trimestre à l’autre. Je pense donc que la stratégie de Chrome est la bonne. Voilà comment nous diffusons Chrome : soit les gens l’adoptent d’eux-mêmes, soit ils le font suite à nos efforts de marketing, ou bien encore nous travaillons avec des partenaires qui nous aident à le promouvoir.

Dans ce contexte, nous avons donc estimé que la campagne marketing produit finalement un retour sur investissement bien meilleur que lorsque nous devons passer des accords de partenariat. Vous verrez un jour ou l’autre que les coûts d’acquisition du trafic et celui du marketing de Chrome sont interchangeables. Quand nous investissons dans le marketing de Chrome, c’est autant que nous n’avons pas à sortir pour le coût d’acquisition du trafic. Vous pouvez donc vous attendre à ce que nous continuions à mener cette stratégie pour Chrome parce qu’il ne s’agit pas seulement pour nous d’un avantage spécifique de Chrome, mais parce que nos autres produits liés à Chrome en bénéficient. Le temps consacré à Chrome par chaque utilisateur a donc pour nous une valeur phénoménale.

Si l’on extrait l’essentiel de ces commentaires, voici ce qu’on peut retenir de Chrome :

  • Chaque utilisateur de Chrome contribue par son usage à l’amélioration de la qualité de la recherche.
  • Chaque utilisateur de Chrome utilisera Google de façon massive et presque exclusive.
  • Google peut dépenser moins en coût d’acquisition du trafic.
  • L’entreprise n’a pas besoin de dépenser autant pour la diffusion de son produit – pensez par exemple au budget consacré à la boîte de recherche dans Firefox (NdT : et qui fait vivre en grande partie Mozilla).
  • Enfin, il y a de grandes chances que l’utilisateur captif augmente encore sa consommation de produits Google à mesure que l’entreprise développe ses applications pour Chrome et les fonctionnalités sociales qui gravitent autour.

Au passage, Chrome permet aussi à Google de mieux faire respecter les standards des navigateurs, mais ce retour sur investissement semble décidément bien naïf comparé au profit que représente le temps de cerveau disponible de l’utilisateur de Chrome.

Notes

[1] Crédit photo : Elliott Brown (Creative Commons By-Sa)




Voici pourquoi j’aime et je soutiens Firefox en deux minutes vidéo

Ce n’est plus une application qui vous permet d’accéder au Web, c’est un manifeste politique et un art de vivre !

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Nous sommes assez fiers d’être un navigateur à part.

Nous n’avons pas de titres ronflants quand nous sommes cités dans la presse. Nous n’avons pas de marge bénéficiaire. Nous n’avons ni icône ni gourou à vénérer à plat ventre.

Nous ne passons pas les mêmes accords, ne signons pas les mêmes contrats, ni ne serrons les mêmes mains, que tout le monde. Et cela ne nous dérange pas.

Nous sommes une communauté d’esprits indépendants, de gens farouchement anticonformistes qui font les choses un peu différemment.

Là où d’autres sociétés pourraient donner de l’importance aux résultats, nous donnons de la valeur… à nos valeurs.

Lorsqu’un concurrent songe à rendre quelque chose propriétaire, nous nous efforçons de le libérer. Et quand de nombreux produits et technologies sont développés derrière des portes closes, les nôtres sont cultivées au grand jour, là où chacun peut les voir.

Nous n’avons de comptes à rendre à aucun actionnaire. Nous ne rendons des comptes qu’à vous.

Et nous ne fonctionnons pas ainsi pour le plaisir, même si l’on s’amuse énormément. Nous fonctionnons ainsi parce que nous pensons que c’est la chose à faire.

Nous croyons que les principes sont plus importants que le profit. Nous croyons que l’honnêteté l’emporte sur le secret, et que la communauté prévaut sur les intérêts de l’entreprise.

Nous croyons qu’il faut prendre soin du Web et non s’en emparer, que c’est plus une ressource que nous devons protéger plutôt qu’un simple bien qui peut être vendu.

Et nous croyons fermement en l’innovation qui met l’utilisateur à l’avant, au centre et fermement aux commandes.

Mais surtout nous croyons en vous.

Nous croyons que le meilleur navigateur du monde est rendu possible par des ingénieurs, des programmeurs, des designers, et des gens comme vous, qui donnent de leur temps, leur talent, leur énergie et leur appui à la cause.

Et nous croyons qu’ensemble, en gardant cette cause en tête, nous pouvons innover au bénéfice de l’individu, et à l’amélioration du Web. Afin que toujours et à jamais il serve le bien commun.

Nous sommes tous Mozilla Firefox.

Nous ne sommes pas qu’une sorte différente de navigateur. Nous sommes un navigateur qui fait la différence.




Qui veut être complice d’un concours à la con lancé par Microsoft à l’école ?

Alex Proimos - CC byLorsqu’un lecteur m’a signalé ce drôle de concours j’ai d’abord cru à un fake pour discréditer Microsoft tant cela me semblait gros. Et pourtant non, après vérification, ce projet existe bel et bien et le naïf c’est moi !

De quoi s’agit-il exactement ?

Le plus simple est d’en recopier ci-dessous les modalités qui se suffisent à elles-mêmes[1].

« Tout le monde connaît un enseignant. Allez à la rencontre de l’un d’entre eux. Vivez une expérience extraordinaire en classe, grâce à Microsoft.

Aujourd’hui nous proposons à notre communauté un nouvel appel à création très original pour Microsoft, qui vous lance un nouveau type de challenge, avec plus de 50 prix à gagner ! Une opportunité extraordinaire d’être mis en avant et de gagner une belle dotation grâce à eYeka !

Faites équipe avec un enseignant pour utiliser les Produits Microsoft dans sa classe et partagez votre histoire à travers un mini-documentaire vidéo (jusqu’à 3 mn de long), un montage de photos ou un PowerPoint en 3 parties : Découverte, Défi & résultats, Évaluation. »

La dotation globale est de 15 000 dollars dont 5 000 dollars pour la meilleure production.

eYeka est une société spécialisée dans le « marketing participatif ». Elle met « en relation » les marques avec les internautes « créateurs », en invitant ces derniers, avec promesses de rémunération à la clé, à faire des vidéos virales à la gloire de la marque dans le but de créer le buzz en faisant tourner ces vidéos dans les réseaux sociaux.

Au tout début de YouTube & co ces vidéos virales étaient spontanées et évidemment non rémunérées. Il en va tout autrement aujourd’hui, la fraîcheur a quasiment disparu et a laissé la place à un business florissant. Un business qui tente de continuer à faire croire que ces vidéos demeurent fraîches et spontanées parce que cela a plus d’impact sur un consommateur croyant encore souvent ne pas être en face d’une publicité classique.

Et c’est tout bénéfice pour la marque qui se retrouve en possession de vidéos produites par les autres pour un prix totalement dérisoire (ici 15 000 dollars) comparé au budget d’une publicité traditionnelle. Il y a bien possession parce qu’il va sans dire qu’en participant à de tels concours, vous cédez tous vos droits sur l’utilisation ultérieure de vos créations (en tout petit en bas du contrat). Et pas la peine de relever les prix, la crise mais surtout la culture actuelle de la surreprésentation du moi sur Internet faisant le reste.

Si l’on est un peu malin et que l’on jouit d’une situation favorable, on peut même proposer cela gratuitement aux internautes. J’en veux pour seul exemple cette spectaculaire vidéo Google à la gloire de Gmail.

Bon, ici, Microsoft ne possède ni la force du réseau Google ni son image positive. Elle a parfaitement conscience que rares seront les enseignants qui accepteront de se faire VRP Microsoft rien que pour ses beaux yeux. Alors elle doit s’y prendre autrement si elle veut pouvoir montrer qu’on utilise ses produits à l’école dans la joie et dans la bonne humeur, en passant donc par les services d’eYeka.

Bon courage ceci dit pour ce qui concerne les établissements scolaires publics français. Parce que l’on n’entre encore pas si facilement que cela dans les salles de classes, encore moins pour y filmer quelque chose, et encore encore moins si l’on se permet d’y filmer des élèves.

En tout cas, rendez-vous fin février pour la clôture du concours. Je suis bien curieux de voir si des collègues se seront effectivement livrés à cette mascarade commerciale sur un lieu de travail naguère associé à un sanctuaire.

Un exemple de plus qui révèle les difficultés croissantes de Microsoft à l’école. Un exemple de plus qui témoigne d’une époque en crise.

Ici comme ailleurs, un autre monde est possible. Celui du logiciel libre par exemple 😉

Source eYeka : l’annonce sur le blog et la page du concours.

Notes

[1] Crédit photo : Alex Proimos (Creative Commons By)




L’April lance une campagne éducation par voie d’affichage

April - Campagne educationNous nous associons à l’April et son dynamique groupe éducation pour vous proposer de participer ensemble à une campagne par voie d’affichage afin de toujours mieux faire connaître les logiciels libres.

Ce n’est pas du luxe car il suffit de discuter un peu avec profs et élèves pour s’apercevoir que, dans la plupart des cas, soit ils ne les connaissent pas, soit ils en ont une conception erronée où la gratuité a tendance à occulter la liberté. Du coup voici un beau prétexte pour engager de fructueuses conversations.

J’ajoute, quand bien même ce soit toujours subjectif, que cette affiche est fort belle et n’a rien à envier au monde professionnel. Comme quoi on peut aussi y arriver en mode collaboratif et bénévole 😉

Campagne éducation « les logiciels libres : à partager sans compter ! »

Le groupe de travail éducation de l’April lance la campagne « les logiciels libres : à partager sans compter ! ».

Nous appelons l’ensemble des acteurs du système éducatif à diffuser le plus largement possible l’affiche ainsi que la carte postale téléchargeables ci-dessous. Salle des professeurs, casiers, salles de réunion, panneaux d’affichage divers, CDI, salles de cours… Faisons ensemble de cette campagne le succès qu’elle mérite !

Nous remercions vivement Antoine Bardelli pour l’idée initiale et la réalisation graphique ainsi que l’ensemble des contributeurs au groupe de travail Éducation de l’April.

Rejoignez la liste de diffusion du groupe de travail éducation de l’April.

Toutes les versions du poster

Une paire de ciseaux et du scotch et tous les formats sont à votre portée :




Seabird : Un concept communautaire de téléphone portable

Mozilla CC-byEt si, en se regroupant pour partager nos rêves, nous tentions de faire émerger de cette tornade d’idées un nouveau concept de téléphone ? C’est l’expérience quelque peu décalée et pour le moins surprenante qu’a tentée Mozilla [1], au travers de ses Mozilla Labs.

Et qu’ont-ils inventés tous ensemble, un téléphone à glissière qui claque comme dans Matrix ? Un frigo satellitaire à antenne comme dans les séries américaines ? Un netbook avec clé 3G, webcam et Ekiga pour la voix sur IP ? Un N900 qui téléphone ? Un autre iPhone dépassé qui emprisonne ?

Quel serait le mieux que l’on puisse produire aujourd’hui ? Quelque chose à la fois contemporain dans sa plausibilité technique et avant-gardiste dans les fonctionnalités qu’il offre…

Et bien si l’OPLC a révolutionné le marché des ordinateurs portables en provocant la déferlante des netbooks, il nous reste à espérer que le Mozilla Seabird fera autant de vagues dans le secteur des téléphones mobiles !

À n’en pas douter, lire des livres libres sur cette incroyable (mais crédible) machine serait un plaisir, partageable !

C’est pourquoi, en tant que technophile, je n’ai pu résister au plaisir de partager avec vous mon enthousiasme pour ce petit concentré de bonnes idées, qui a suscité plus d’un millier de commentaires (au moment de la rédaction de ce billet) sur le blog original, et fut salué par plus de 25 journaux et sites en langue anglaise spécialisés dans les hautes technologies [2].

Concept Series : Seabird – Un concept communautaire de téléphone portable

Concept Series: Seabird – A Community-driven Mobile Phone Concept

Pascal Finette – 23 septembre 2010 – MozillaLabs.com
Traduction Framalang : Cheval_Boiteux, DonRico, @PierreTravers, Goofy, Siltaar et Zitor

Depuis que les Mozilla Labs ont lancé les Concept Series avec un appel à participation, des milliers de personnes nous ont rejoints, ont partagé leurs idées et développé des concepts autour de Firefox, des projets Mozilla et du Web ouvert dans son ensemble.

En réponse à notre appel ouvert du début 2009, Billy May a produit un concept de « Téléphone conçu pour le Web ouvert ». En travaillant directement à partir des retours de la communauté, Billy a depuis terminé son exploration avec son concept « Seabird ».

Le compte rendu suivant a été rédigé par Billy May et explore ce à quoi un téléphone Web ouvert pourrait ressembler :

Description générale

Le Mozilla Seabird, qui fait partie des Concept Series des Mozilla Labs, est une expérimentation portant sur les manières dont les utilisateurs pourraient interagir avec les contenus de leur téléphone mobile à mesure que les appareils et la technologie gagnent en performances. S’appuyant sur des idées fournies par la communauté Mozilla via le blog du projet, l’accent a rapidement été mis sur les limitations des interactions physiques. Alors que la connectivité, la puissance des processeurs mobiles et le développement des plateformes rattrapent ceux des ordinateurs de bureau, le manque de moyens disponibles pour saisir efficacement du contenu se fait de plus en plus sentir.

Mozilla CC-by

Interaction

Le Seabird présente donc quelques façons dont l’interaction utilisateur/appareil pourrait évoluer grâce aux innovations que connaît le secteur, conduites par les avancées en matière de projecteurs et de capture de mouvements. Premièrement, le Seabird montre comment une clé (un dongle) à usage multiple pourrait améliorer l’interface tactile encombrée en offrant plus de précision et une manipulation directe du contenu dans un espace en 3D.

Mozilla CC-by

Pico Projecteur

Avec des fabricants de téléphones portables comme Samsung, LG et Motorola qui se dirigent vers des applications d’affichage conçues pour les projecteurs, la technologie laisse le champ libre à l’extension de la surface offerte à l’utilisateur pour l’interaction et la saisie. Sur une surface plane, le Seabird permet une interaction d’une qualité équivalente à celle d’un netbook, en utilisant la distortion angulaire du projecteur pour fournir une interface plutôt que du contenu. Avec une station d’accueil, chaque projecteur peut travailler indépendamment et fournir ainsi un confort d’utilisation égal à celui d’un ordinateur portable.

Mozilla CC-by

Design

La conception de l’aspect visuel s’appuie sur des formes aérodynamiques, aviaires et résolument féminines. En position debout, le Seabird renvoie une impression d’équilibre, tandis que sa façon d’épouser les courbes de la main rend celui-ci compatible avec le désir qu’a l’utilisateur de maîtriser l’objet numérique. La courbure du dos joue également un rôle fonctionnel, car elle surélève les éléments de la lentille du projecteur quand le Seabird est posé à plat.

Mozilla CC-by

Seabird est une expérimentation gérée par la communauté et ne signifie pas que Mozilla envisage la production d’un système d’exploitation ou de matériel.

Mozilla CC-by

FAQ

Qui est à l’origine du projet ?

Seabird a été créé par Billy May, un membre de la communauté Mozilla Labs qui, au début de l’année 2009, a jeté une première ébauche de ce à quoi pourrait ressembler un téléphone mobile pour le Web Ouvert. Seabird est la suite du projet initial de Billy, auquel il a intégré les retours de la communauté étendue. Pour en apprendre plus sur Billy May, visitez sa page personnelle.

En quoi cela est-il lié à Mozilla et Mozilla Labs ?

Billy est un membre de la communauté Mozilla Labs et a créé Seabird sur son temps libre. Seabird n’est pas un projet de Mozilla Labs mais appartient aux Concept Series de Mozilla Labs. Les Concept Series fournissent à la communauté un espace pour créer et collaborer à des projets qui repoussent les frontières du Web et du navigateur.

La société Mozilla a-t-elle le projet de produire un téléphone portable ?

Non. Mozilla produit Firefox Mobile, le célèbre navigateur pour les systèmes de téléphonie mobile comme Nokia Maemo et Android. Vous pouvez en apprendre davantage sur Mozilla Firefox Mobile à cette adresse [3].

Notes

[1] Crédit photo : Mozilla Creative Commons Paternité

[2] En attendant que nous maîtrisions Universal Subtitles, je vous encourage également à visionner la vidéo en anglais présente sur le blog d’origine, elle sera très bien agrémentée par les textes traduits ici même.

[3] Le lien d’origine sans version française : http://www.mozilla.com/en-US/mobile/




Logiciel libre et développement durable, même combat ?

416style - CC-byAu détour d’une conférence sur les tendances 2010 de l’Open Source à l’OpenWorldForum, j’ai assisté à la présentation, captivante, des enjeux croisés de l’écologie et du logiciel libre, résumé en « FreenIT » par un duo peu ordinaire. En effet, l’un s’annonce comme journaliste et passionné d’environnement et l’autre (respectivement) comme ingénieur expert en « innovation ouverte et logiciel libre ». Leur présentation s’attachait à mettre en valeur les avantages intrinsèques des logiciels libres dans la quête d’une informatique écologiquement responsable vers laquelle l’industrie et les grandes entreprises se tournent enfin [1].

Enthousiasmé par leur démonstration, je pris contact avec eux à l’issue de la présentation, pour évoquer la possibilité de faire passer leur message jusqu’à vous chers lecteurs, dans la droite lignée de nos explorations de la société, à la recherche des applications de la culture du libre. Après les « AMAP », qui mettent de l’écologie dans les assiettes de collectifs qui s’auto-organisent pour échapper aux injonctions des grandes surfaces, voici donc le « Green IT » qui met de l’écologie derrière nos écrans.

On retrouve, dans ce texte de synthèse rédigé pour le Framablog, les notions clés du succès en matière de développement durable, tel que le fameux « penser global, agir local », que l’on retrouve dans le logiciel libre sous la forme d’un « bidouiller dans son coin, et penser aux autres », ou encore une évocation du « leadership par l’exemple » qui prévalut dès le début en matière politique sur Internet, cet espèce de laisser-faire, un peu utopique, sans laisser-aller. Enfin, je citerai encore la notion d’énergie grise, qui vient malheureusement contrebalancer les discours commerciaux des fabriquants en matière de décroissance de la consommation énergétique des nouvelles générations de composants informatiques.

Logiciel libre et Green IT : même combat ?

Frédéric Bordage et François Letellier – GreenIT.fr

Les connaissances des communautés open source et les principales caractéristiques des logiciels libres sont particulièrement bien adaptées à la profondeur et à l’urgence des enjeux du développement durable. Démonstration.

L’humanité fait face à trois problèmes environnementaux majeurs : le dérèglement climatique, l’écroulement de la biodiversité et l’épuisement des stocks de ressources non renouvelables. La prise de conscience a été (trop) longue, et l’urgence aujourd’hui est réelle : nous n’avons qu’une génération pour trouver et mettre en œuvre les solutions à ces défis. Quel rapport entre ce constat, iconifié par des personnages tels que le Commandant Cousteau, Al Gore ou Nicolas Hulot, et notre quotidien d’informaticiens ? Que peuvent les geeks face à ces enjeux planétaires ?

Toujours poussés plus loin vers les mondes virtuels, nous avons tendance à oublier qu’octets et instructions consomment substrats et énergie. Une consommation qui se traduit par des nuisances que notre écosystème ne peut pas absorber indéfiniment. Les informaticiens peuvent, s’ils le souhaitent, réduire rapidement l’empreinte de l’informatique sur l’environnement. Mais plus encore, la communauté du logiciel libre détient des savoirs transversaux qui font défaut aux acteurs du développement durable. Explication.

Freen IT as in Free & Green IT

Le courant de pensée du « Green IT » cherche à réduire l’empreinte écologique des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC). Pour réduire l’empreinte des TIC, il faut se concentrer sur l’essentiel. Contrairement au discours marketing des éditeurs et des constructeurs, les phases de fabrication et de fin de vie d’un ordinateur consomment plus d’énergie et génèrent nettement plus de nuisances environnementales que la phase d’utilisation. En clair : si vous décidez de remiser tous vos serveurs et postes de travail, encore fonctionnels, pour les remplacer par d’autres nettement moins énergivores… vous faites fausse route. Les constructeurs vous remercieront, pas la planète. En effet, l’énergie grise liée aux équipements informatique ne cesse de croître, quand leur consommation en fonctionnement s’affiche à la baisse.

Les deux grands défis du « Green IT » consistent à :

  • prolonger la durée d’utilisation des matériels existants;
  • et à réduire les besoins, en termes d’énergie et de ressources, sur la phase d’utilisation.

Ce qui signifie mettre le holà à la gloutonnerie des logiciels. Microsoft Office 2010 sous Windows Vista nécessite par exemple 70 fois plus de ressources qu’Office 97 sous Windows 98… Les documents produits sont-ils 70 fois plus percutants ou créés 70 fois plus vite ? Non. La gabegie logicielle est indéfendable.

Le logiciel libre à la rescousse

C’est la couche logicielle qui pilote les besoins en ressources matérielles d’un ordinateur. Or, d’un point de vue technique, les logiciels libres sont architecturés autour d’un noyau qui répond à 80% des besoins essentiels. Autour de ce noyau viennent se connecter des extensions qui répondent aux besoins moins répandus. Cet écosystème évolue. Si une fonction devient incontournable, elle est intégrée au noyau. Cette architecture modulaire et évolutive minimise les ressources matérielles (puissance processeur, mémoire vive, etc.) nécessaires. On obtient donc des logiciels performants même sur des matériels modestes ou anciens, ce qui permet d’allonger la durée d’utilisation du matériel… ou de redonner une seconde vie à un matériel d’occasion.

Généralement alliée à une gratuité d’accès, la parcimonie des logiciels libres (systèmes d’exploitation en tête) rend viable la filière du reconditionnement des équipements d’occasion. Le « Libre » apporte une réponse pragmatique, ici et maintenant, aux deux premiers défis du « Green IT » : faire durer le matériel, économiser les ressources. En outre, le découplage entre logiciel et support technique (qui peut être fourni par différents acteurs de la communauté) évite l’obsolescence programmée imposée par des éditeurs propriétaires et monopolistiques. En raccourcissant la durée de leur support technique, ces derniers poussent en effet à la consommation de nouvelles versions de logiciels plus gourmands, et donc de matériels plus puissants pour les faire tourner.

Au delà des aspects techniques, les communautés du libre reposent sur une organisation pyramidale dont les processus sont transparents. Ces deux propriétés garantissent un travail rapide et efficace qui pousse les chefs de projet et les développeurs à bien faire leur travail (un code efficace par exemple) et à prendre leurs responsabilités. Le pouvoir du créateur du logiciel est contrecarré par le pouvoir des utilisateurs. Les utilisateurs peuvent « forker » un projet du jour au lendemain. On ne peut donc pas verrouiller les utilisateurs et leur imposer un rythme de mise à jour.

D’autre part, le modèle économique du libre est quantitatif. Seule l’adhésion du plus grand nombre garantit au créateur du logiciel des revenus confortables et pérennes. Les communautés open source ont dissocié les revenus liés au service d’une part, de ceux potentiels liés à la vente de copies du logiciel d’autre part. Ainsi distribué gratuitement, et facilement localisé, les logiciels open-source peuvent toucher rapidement le plus grand nombre. Ouverture et gratuité facilitent une adoption large et rapide.

Des principes valables pour le développement durable ?

A-t-on intérêt à appliquer ces principes – architecture modulaire, méritocratie éclairée par le contre-pouvoir des utilisateurs, standardisation, découplage des revenus directs du produit, etc. – aux problématiques du développement durable ? Tout porte à le croire.

D’une part, nous n’avons qu’une génération pour diviser notre empreinte écologique par un facteur 4 [2]. Jamais l’humanité n’a fait face à un défi d’une telle ampleur. Pour tenir ce pari, nous devons aller plus vite que jamais auparavant dans l’histoire humaine. Le modèle d’adoption – très rapide – des logiciels libres doit donc être une source d’inspiration pour les acteurs du développement durable.

Que nous apprennent les communautés open source ? Sans standard, point de salut. La (presque) totalité des logiciels libres s’appuient sur des standards reconnus (qu’ils ont contribué à faire émerger et / ou à forger) pour s’assurer de la pérennité des développements. On touche ici au caractère « durable » des développements. Pour s’imposer dans le temps, les solutions du développement durable devront s’appuyer sur la même approche de standards ouverts. Et ce d’autant plus que les problématiques sont mondiales. Par exemple, pour être efficaces (c’est à dire économiser de l’énergie), les compteurs électriques intelligents devront tous parler le même protocole. Or, seul un protocole normalisé et ouvert sera adopté rapidement.

D’autre part, pour aboutir rapidement, ces standards devront être forgés par une méritocratie éclairée. L’échec de Copenhague l’a démontré, la recherche d’un consensus mondial est impossible en l’état. En revanche, rien n’empêche un ensemble de pays de proposer une solution pertinente, dont l’évolution sera dictée par toutes les parties prenantes.

Enfin, d’un point de vue plus philosophique, l’architecture technique d’un logiciel libre montre que ses créateurs sont « près de leurs ressources ». Ces « décroissants du logiciel » montrent à leur façon qu’une débauche de moyens n’est pas toujours nécessaire pour atteindre un objectif. En d’autres termes, le développement ne sera réellement durable que s’il ponctionne le strict minimum des ressources disponibles. Cette ascèse est déjà une règle fondamentale d’un grand nombre de projets open source.

Pour conclure, il nous semble évident que :

  • les logiciels libres constituent une réponse pertinente pour réduire l’empreinte environnementale des TIC;
  • que les modes d’organisations des communautés correspondent bien aux enjeux mondiaux du développement durable;
  • et que les principes fondamentaux des projets open source garantissent une adoption rapide et durable des solutions, un point clé des enjeux du développement durable.

Votre avis ?

Frédéric Bordage et François Letellier contribuent au blog collectif GreenIT.fr qui fédère la communauté francophone des acteurs du Green IT.

Notes

[1] Crédit photo : 416style – Creative Commons Paternité

[2] Voir « Facteur 4 » dans le glossaire pointé.




Avec Uniflow, Canon invente la photocopieuse qui espionne, refuse et dénonce

Timshell - CC-by-nd En l’absence de l’habituel maître des lieux
Les lutins du Framablog font bien de leur mieux
Écumant le web, en quête de sujets sérieux
Ils espérent que ces billets vous rendront joyeux
À défaut de nous aider à ouvrir les yeux
Sur des technologies qui derrière un vœu pieu
Menacent nos libertés et nos échanges précieux

« On arrête pas le progrès » aimait à répéter mon grand père, mais aujourd’hui, je me demande ce qu’il aurait pensé des dernières inventions de Canon…

En effet, si l’esprit du hacker est de bidouiller une technologie pour en trouver de nouveaux usages, les grandes firmes s’ingénient elles bien souvent à limiter les possibilités de leurs produits, pour créer une illusion de contrôle.

Dans notre cas, Canon a créé des photocopieuses qui inspectent au plus près les documents qu’on leur donne à reproduire, et s’y refusent si ces derniers contiennent l’un des mots de la liste noire située sur le serveur central des installations Uniflow.

Tout d’abord, ces photocopieuses illustrent exactement la menace qui plane sur la neutralité d’Internet. Imaginez qu’il ne soit plus possible de se parler qu’à l’aide de textes envoyés d’une photocopieuse à une autre et vous aurez un bon aperçu de comment fonctionne Internet. En effet, chaque message y circule, par petits bonds, d’un ordinateur à un autre entre votre machine et celle à laquelle vous tentez d’accéder de l’autre côté du réseau. Chaque machine rencontrée photocopie simplement les messages qu’elle reçoit vers la sortie qui les rapprochera de leur destination. Pour l’instant, les routeurs de l’Internet transportent les messages de manière aussi neutre qu’une simple photocopieuse, sans le moindre soupçon d’analyse de contenu. Mais Canon vient donc de briser la neutralité des photocopieuses, en créant un système de « deep photocopy inspection » bien sûr associés à un système centralisé de censure.

Ensuite, comme le remarquait Benoit Sibaud sur Identi.ca, nous nous trouvons là devant un cas concret d’informatique déloyale, telle que définie par l’April, où des utilisateurs se trouvent confrontés à des systèmes soit-disant « de confiance », et qui sous prétexte de sécurité ne remplissent tout simplement plus la tâche pour laquelle ils sont conçu si les conditions arbitraires d’une entité tierce de contrôle ne sont pas réunies.

Je parlais d’une illusion du contrôle, car comme toujours le moyen mis en œuvre pour « sécuriser l’usage » est aisément contournable, les documents n’étant (pour l’instant) analysés qu’à l’aide d’un logiciel OCR, incapable donc de percevoir les notes manuscrites, ou les mots (volontairement) mal orthographiés.

Alors à quoi bon mettre en place des systèmes aux performances finalement ridicules au regard du niveau stratégique de l’objectif ? Et quel peut être l’objectif d’imprimantes allergiques à certains mots ?

Tout d’abord, déployer un système à l’efficacité embryonnaire c’est toujours faire un premier pas, ça finance la génération suivante et ça piège les non avertis… [1] Ensuite dans le cas présent, on peut pallier les manques du système en contraignant le reste de l’environnement, et si on trouve une application admise par les contrôleurs et les contrôlés ça pourrait même rendre service.

Mais pourquoi empêcher d’imprimer ? Pour pallier, d’une certaine manière, au « trou analogique ». Le trou analogique c’est le nom donné à un phénomène simple : aussi sophistiqué que puisse être le système de protection d’un fichier (chiffrement, DRM), pour qu’il soit lu il faut bien à un moment le rendre présentable pour un humain. Et à partir de là, il est toujours possible de renumériser les données… Un MP3, même plombé par un DRM, quand il finit par être lu, rien ne m’empêche de l’enregistrer avec un dictaphone, si j’ai peur de ne pas m’en souvenir tout seul. Dans notre cas, l’intérêt est donc de combler en partie le trou analogique, en évitant que des copies papiers de documents identifiés comme « secrets » ne soient créées.

Toutefois, ça peut vite devenir comique, si une entreprise empêche l’impression de documents contenant le nom de ses clients par exemple, espérons qu’ils ne traitent pas avec Apple, Orange ou même Canon, sinon ils vont vite finir par ne plus pouvoir imprimer grand chose.

Néanmoins, après les imprimantes qui mentent sur leur niveau d’encre et les imprimantes qui laissent des micro-traces pour s’identifier sur toutes leurs copies, Canon invente aujourd’hui les imprimantes qui choisissent ce qu’elles impriment… [2]

Canon promet une sécurisation à base de mots-clés pour ses scanners et imprimantes

Canon promises keyword-based document scanning and printing security

Alan Lu – 12 octobre 2010 – ITPro.co.uk
Traduction Framalang : Siltaar, Julien R., KooToX, Daria

Canon a fait une démonstration d’Uniflow 5, la dernière version de son système de gestion de documents, capable d’empêcher les utilisateurs d’imprimer ou de copier des documents contenant certains mots, grâce à un système de sécurité intelligent basé sur des mots-clés.

Uniflow est un système de gestion de documents qui permet, depuis longtemps, de contrôler imprimantes, scanners et photocopieurs de manière centralisée. Cela permet de conserver le compte des impressions de chaque utilisateur à des fins de facturation. C’est indispensable dans les professions qui facturent les clients à l’heure ou à la quantité de travail, comme les avocats et les architectes. Le système requiert à la fois un serveur Uniflow sur votre réseau et des périphériques d’imagerie Canon, compatibles Uniflow.

La dernière version d’Uniflow possède un système de sécurité intelligent, basé sur des mots-clés. Une fois configuré par un administrateur, le système peut empêcher un utilisateur d’imprimer, scanner, copier ou faxer un document contenant un des mots-clés prohibés, tel que le nom d’un client ou le nom de code d’un projet.

Le serveur enverra alors par courriel à l’administrateur une copie PDF du document en question, au cas où un utilisateur s’y essaie. Le système peut aussi optionnellement informer l’utilisateur par courriel que sa tentative a été bloquée, mais sans identifier le mot-clé responsable, maintenant ainsi la sécurité du système.

La détection des mot-clés d’Uniflow 5 se base sur un système de reconnaissance optique de caractères (OCR), dont la licence est détenue par la firme belge Iris. Cette technologie est plus communément utilisé pour retranscrire des documents scannés en textes éditable sur ordinateur. Canon Angleterre a confirmé qu’un utilisateur éclairé et déterminé ayant repéré un des mots-clés peut contourner le système en remplaçant une lettre par une autre ou un chiffre ressemblant comme avec « z00 » au lieu de « zoo ».

Néanmoins, l’intérêt de cette fonctionnalité est immédiatement perceptible pour les secteurs traitant des documents sensibles, que se soit pour des raisons légales, concurrentielles ou commerciales. Les représentants de Canon n’ont pu avancer de date quant à la commercialisation des produits Uniflow 5.

Notes

[1] Toute ressemblance avec une loi visant à contrôler les usages sur Internet serait fortuite.

[2] Crédit photo : Timshell (Creative Commons Attribution NoDerivs).




L’échec des DRM illustré par les « Livres numériques » de Fnac.com

Cher Framablog,
En raison de l’absence du maître de céans,
Les lutins qui veillent à ton bon fonctionnement,
Ont œuvré pour publier le billet suivant,
Par votre serviteur, introduit longuement.

Témoignage d’un lecteur loin d’être débutant,
Il retrace un épique parcours du combattant,
Pour un livre « gratuit » en téléchargement,
Que sur son site web, la Fnac, propose au chaland.[1]

xverges - CC by Récemment[2] sur rue89.com, on pouvait lire : « Nothomb, Despentes : la rentrée littéraire se numérise un peu ». Et pour un fan de technologie comme je suis, ce titre résonnait plutôt comme « la rentrée littéraire se modernise un peu ». En effet, des livres numériques il en existait déjà au siècle dernier…

Côté libre, il faut avouer qu’on est plutôt bien servi. Citons par exemple cette excellente trilogie de Florent (Warly) Villard « le Patriarche » débutée en 2002, à l’occasion de son « pourcentage de temps réservé aux projets libres personnels » chez MandrakeSoft à l’époque. Citons encore la collection Framabook et ses 7 ouvrages[3], citons aussi la forge littéraire en-ligne InLibroVeritas.net et ses 13500 œuvres sous licence libre[4], ou encore le projet Gutenberg et ses 33 000 œuvres élevées au domaine public, Wikisource.org et ses 90 000 œuvres réparties sur plus de 10 langues et pour finir le portail Gallica de la BnF donnant accès à plus d’1,2 millions d’œuvres numérisées[5]… Ces livres, on peut les télécharger en un clic depuis son navigateur, les transférer dans son téléphone portable[6] en un glissé-déposé, et les lire tranquillement dans le métro, même là où ça ne capte pas[7].

Dans ces conditions, que demander de plus que de faire sa rentrée littéraire sur un écran d’ordinateur ? Pourtant, ces conditions, elles ne sont pas évidentes à rassembler. Évacuons tout de suite la question du matériel. Alors que la plupart des téléphones de dernière génération sont dotés d’un navigateur web, tous ne sont pas utilisables comme de simple clé USB, et y transférer des fichiers peut s’avérer impossible pour certains ! Je n’insisterai pas non plus sur les autres équipements proposés spécifiquement pour cet usage, et qui se révèlent le plus souvent considérablement limités. Après tout, n’importe quel ordinateur devrait pouvoir faire l’affaire.

Mais concernant l’œuvre elle même, il faut qu’elle soit libre, ou librement téléchargeable, ou au moins librement « lisible » pour que ça marche. Et pour le coup, on s’attaque à une pelote de laine particulièrement épineuse à dérouler. Avant qu’on les propose sous forme numérique, pour lire les livres d’Amélie Nothomb il fallait en acheter une copie papier, un objet physique qui coûte à produire, transporter, stocker et présenter dans des rayons. Il fallait donc payer pour obtenir un feuilleté de cellulose, qui s’use, se perd, se brûle… et se prête aussi. Et de cette somme d’argent, après avoir largement rémunéré les intermédiaires, une petite portion était finalement reversée à l’auteur. Et ça, la rémunération de l’auteur, c’est le petit détail qui manque au tableau dépeint quelques paragraphes plus haut. Si je lis « Le Prince » de Nicolas Machiavel, mort en 1527 à Florence, l’ouvrage s’est élevé au domaine public depuis fort longtemps maintenant, et la question ne se pose pas. L’auteur n’aurait plus l’usage d’une rémunération aujourd’hui. Par contre, après avoir lu « Le Patriarche » de Florent Villard, j’ai tellement aimé le bouquin que j’ai spontanément envoyé un chèque à l’auteur, pour l’encourager à écrire la suite[8]. Mais dans le cas d’Amélie malheureusement, sa maison d’édition n’a pas voulu parier sur la philanthropie des futurs lecteurs.

Les autres maisons d’éditions non plus d’ailleurs, et cette question de la rémunération des auteurs, elle se pose en France et partout dans le monde depuis des années, depuis l’arrivée du numérique. Il y a eu des hauts et débats (selon la formule consacrée) pour y répondre, mais il y a malheureusement aussi eu des bas, comme les lois DADVSI et HADOPI 1 et 2…

Les lois HADOPI, on peut les évacuer rapidement : pas une ligne de leur texte ne porte sur la rémunération des auteurs, contrairement à ce qui a pu être clamé. Avec cette initiative législative, les représentant des ayants droit et de la distribution tentèrent juste une fois de plus de plier l’économie numérique de l’abondance aux lois qui régissent l’économie des biens physiques, basée sur le contrôle matériel de l’accès aux œuvres. Au lieu de s’adapter à un marché qui évolue, les moines copistes de DVD[9] tentent encore et toujours de retenir le progrès des technologies de diffusion pour rester rentiers.

Manu_le_manu - CC by nc sa

La loi DADVSI était elle encore plus simple à comprendre. Elle avait déjà pour objectif, 4 ans plus tôt, d’essayer d’imposer une forme de contrôle à la distribution d’œuvres sur Internet, via l’utilisation de verrous numériques aussi nommés DRM. Un procédé saugrenu, consistant à couper les ailes de l’innovation, en tentant de limiter les possibilités des ordinateurs et l’usage de certains fichiers, de telle sorte qu’on ait à considérer ces fichiers comme autant d’objets unitaires et non comme une simple suite d’octets duplicables plusieurs millions de fois par secondes, d’un bout à l’autre de la planète[10], ce qu’ils sont pourtant. En permettant à chaque distributeur de restreindre le nombre de copies possibles pour un fichier, on nous promettait le décollage des offres légales de contenus numériques. Ce fut un échec assez cuisant, rien n’a décollé et encore moins côté bouquin. C’est pourtant pas faute d’avoir expliqué, déjà à l’époque, que mettre des bâtons dans les roues de ses clients n’est pas un plan d’affaires viable.[11]

Ce fut un échec mémorable, chaque distributeur ayant adopté son propre système de « complication d’usage », tenu secret et dont l’étude était punie d’emprisonnement[12], et donc bien évidement incompatible avec ceux des autres distributeurs. Des systèmes à la fois contournables en s’en donnant la peine, et compliqués à mettre en œuvre dans le cadre d’une « consommation » courante… Microsoft à même réussi la prouesse de commercialiser à l’époque des lecteurs incompatibles avec son propre système de verrous numériques[13].

Du côté « pas libre » donc, la situation des livres numériques a souffert d’une orientation stratégique contraire à l’intérêt général, d’une mise en œuvre partielle et désorganisée et globalement d’une incompréhension des technologies numériques. Des caractéristiques qui ne sont pas sans rappeler le fiasco des porte-monnaie Monéo, lancés en 1999. Vous vous souvenez sûrement de ce nouveau moyen de paiement qui devait permettre aux banques de gérer votre monnaie en plus de votre épargne (au lieu de la laisser dormir dans un fourre tout près de la porte d’entrée), et qui fut conçu de manière à coûter moins cher aux banques qu’une carte de crédit classique. Il n’était donc pas sécurisé (pas de code à taper), mais surtout, il rendait l’argent de votre compte en banque « physique », dans la carte. Si elle tombait dans une flaque d’eau, vous perdiez le montant de son rechargement. Sans parler du fait que la carte se mettait dès lors à intéresser des voleurs potentiels, attirés par les 100€ que son porte monnaie intégré (de gré ou de force) pouvait contenir. Évidemment, ce système n’a pas, non plus, rencontré le succès escompté par ses créateurs.

Et pourtant, ces deux fantômes du début de la décennie, DRM et Monéo, reviennent hanter notre univers dématérialisé ces jours-ci. Le premier dans les offres de livres numériques de cette rentrée littéraire, le second imposé dans les restaurants universitaires. Et il ne serait pas étonnant de voir bientôt à la Fnac des bornes de distribution de livres numériques infestés de DRM, et imposant (comme dans les restaurants universitaires) les paiements par Monéo.

Aujourd’hui, alors que des systèmes alternatifs et innovant se mettent en place pour permettre la rémunération des auteurs dans une économie numérique, nous avons testé pour vous l’enfer dans lequel s’entêtent les entreprises « majeures » de la distribution de culture.

Livre numérique sur Fnac.com : le parcours du vieux con battant

D’après l’expérience de Fredchat – 13 septembre 2010

J’ai testé pour vous (avec un succès modéré) le service « Livres numériques » de la Fnac.

Cherchant sur le site de cet important distributeur français un livre de Maupassant, je suis tombé sur une annonce pour un « ebook » en téléchargement gratuit. L’offre a l’air honnête et puis c’est le livre que je cherchais, alors je me dis :

« Essayons voir ce service épatant que tout le monde marketing nous pousse à consommer : le livre électronique. »

Aussi simple que télécharger un fichier ?

Je me lance donc dans l’aventure et il faut, pour commencer, valider une commande sur le site Fnac.com, pour débloquer le téléchargement d’un fichier gratuit. Ça commence donc bien, il faut avoir un compte à la Fnac. Bon, ce n’est plus vraiment gratuit, mais c’est presque de bonne guerre.

Une fois passé ce premier écueil, et une fois la commande validée, le site me donne un lien vers une page de téléchargement. À ce point-là, moi qui aime faire les choses simplement quand c’est possible, je découvre avec désarroi que ce n’est pas le livre qu’on me propose de télécharger sur cette page. Point de fichier PDF, ePub ou d’un quelqu’autre format standard et reconnaissable (voire normalisé), comme les petites icônes vantaient dans les rayons du site. Au lieu de cela, on me propose un tout petit fichier, affublé de l’extension exotique .amsc et qui se révèle ne contenir que quelques lignes de XML. Ce fichier ne contient en fait pas grand chose de plus que l’URL d’un autre fichier à télécharger, un PDF cette fois. J’ai alors l’impression d’avancer vers le but, même si je m’embête rarement autant, dans la vie, pour télécharger un simple fichier, gratuit qui plus est. Seulement voilà, on ne peut pas le télécharger directement ce PDF ! Ils sont très forts à la Fnac, leur fichier gratuit m’a déjà coûté plus de vingt minutes… et je suis toujours bredouille.

Je me renseigne plus avant sur la procédure à suivre, et au cours de cette petite séance de lecture j’apprend qu’il faut obligatoirement passer par un logiciel Adobe, lui-même tout aussi gratuit mais uniquement disponible sous Microsoft Windows et Mac OS X… Linuxiens passez votre chemin.

Mais ce n’est pas tout…

Le logiciel Adobe en question interprète le XML, détecte les informations qui vont bien et, alors que le suspens est à son comble et que l’on croit toucher au but, surprise, le texte qui apparaît enfin n’est pas celui du livre. À la place, on tombe sur un charabia composé d’explications toutes aussi surprenantes que liberticides, avec un bouton « Accepter » en bas de l’écran. Pour un téléchargement gratuit, je me retrouve donc à vendre une deuxième fois mon âme au diable.

En substance, on m’explique que pour avoir accès au livre il me faut en autoriser la lecture sur l’ordinateur en cours d’utilisation, et pour cela, je dois obligatoirement avoir un identifiant Adobe. Cet identifiant, on l’ obtient en s’inscrivant à un « club » géré par l’éditeur du logiciel et qui requiert pour son inscription toute une bordée d’informations personnelles que l’on ne m’a jamais demandées pour acheter un livre… (qui devait être gratuit, excusez-moi d’insister).

Cela fait maintenant près de 40 minutes que je m’acharne sur ma commande Fnac.com d’un livre gratuit et à ce stade, je me surprends moi-même d’avoir trouvé à franchir tous les obstacles. Mais ça y est, je le vois le livre et il commence à en avoir de la valeur à mes yeux ce fichier PDF vu le temps que j’y ai consacré. Toutefois, téléchargeable et lisible uniquement via un logiciel propriétaire Adobe, ce n’est plus vraiment un fichier PDF…

D’ailleurs, alors que je m’apprête à copier ledit fichier vers un périphérique plus adéquat à sa lecture, une petite voix me prévient que je ne peux en autoriser la lecture, via le logiciel propriétaire, que sur un maximum de 6 périphériques, et qu’il faut donc que je m’assure de vouloir vraiment le copier quelque part et entamer le décompte. Je ne suis plus à ça près.

Conclusion

Résultat des courses, je suis fiché chez deux grandes entreprises (avec les dérives d’exploitation de mes données personnelles que cela permet), je ne peux pas lire le livre sous Linux. J’ai perdu mon après-midi et je ne peux pas partager le fichier gratuit, d’une œuvre libre de droits, avec mes amis pour leur épargner l’improbable et complexe procédure de téléchargement que j’ai subie. C’est sûr, avec Fnac.com on comprend vraiment la différence entre gratuit, et libre.

Toutefois, si vous êtes séduit, vous pourrez bientôt acheter le Petit Prince dans cet alléchant format, pour la modique somme de 18€…

Épilogue

Finalement, je crois que je vais rester un vieux con et garder mes livres papier. Au moins, dans ce format je peux les lire où je veux (dans un fauteuil, dans mon lit, sur les toilettes, au bord d’une piscine, etc.), quand je veux, que je sois en-ligne ou pas, et les prêter à mes amis.

Sinon, quand je serai remis de cette mésaventure, j’irai jeter un œil sur Wikisource ou sur le projet Gutenberg, il paraît qu’on y trouve des livres numériques libres, téléchargeables en un clic et dans des formats ouverts et normalisés…

Notes

[1] Crédit photo : xverges (Creative Commons By)

[2] Introduction rédigée le 23 septembre 2010.

[3] Attention, ce qui suit dévoile des moments clés de l’intrigue : bientôt 10 😉

[4] Libres à divers degrés suivant les variations permises par les licences Creative Commons, rendant l’œuvre modifiable ou non et commercialisable ou non.

[5] Pour la plupart du domaine public, librement lisibles, mais pas librement réutilisables. Il faut en effet s’acquitter d’une licence auprès de la Bibliothèque nationale de France pour pouvoir faire un usage commercial des fichiers obtenus depuis le portail. Ça fait quand même une sacrée bibliothèque… Merci à Christophe de l’avoir rappelé dans les commentaires.

[6] Par exemple sous la forme de pages webs, débitées en tranches de 450ko, sinon le téléphone en question sature sa mémoire vive s’il s’agit d’un N95…

[7] Ou encore, en réponse anticipée à un bout de la conclusion du texte présenté, partout où un chargeur solaire parviendra à maintenir l’engin allumé…

[8] Pour la petite histoire, j’ai même envoyés deux chèques, un après la lecture du 1er tome, et un autre à la fin de la 1ère trilogie (c’est prévu pour être une longue histoire). Or, l’auteur se sentant coupable de délaisser son ouvrage n’a encaissé que le 1er chèque, et c’était il y a plus d’un an maintenant. Toutefois, de récentes mises à jour sur le site du livre laissent espérer que la suite pourrait venir sous peu.

[9] Pour reprendre l’expression de Nicolas Dupont-Aignan.

[10] Oui, je sais qu’une sphère n’a pas à proprement parler de bouts, mais elle n’a pas non plus de côtés, et … revenons à nos moutons.

[11] Crédit photo : Manu_le_manu (Creative Commons By NC SA)

[12] Peine disproportionnée que les juges n’appliquèrent pas, et qui fut limitée par le Conseil d’État deux ans plus tard, interrogé par l’April sur le sujet

[13] Comme l’analysaient Formats-Ouverts.org, PCINpact.com, Clubic.com, Numerama.com