L’Éclaternet ou la fin de l’Internet tel que nous le connaissons ?

Raúl A. - CC byUne fois n’est pas coutume, nous vous proposons aujourd’hui une traduction qui non seulement ne parle pas de logiciel libre mais qui en plus provient de CNN, et même pire que cela, de sa section Money !

Et pourtant il nous semble pointer du doigt une possible évolution d’Internet, celle de son éclatement sous la pression des smartphones et autres objets connectés tels ces nouvelles liseuses et tablettes dont on vante tant les futurs mérites.

Une évolution possible mais pas forcément souhaitable car c’est alors toute la neutralité du Net qui vacille puisque les trois couches qui définissent le réseau d’après Lessig se trouvent ensemble impactées.

l’iPad ou le Kindle en sont des exemples emblématiques car ce sont des ordinateurs (la couche « physique ») dont Apple et Amazon contrôlent à priori les protocoles et les applications (la couche « logique ») et peuvent filtrer à leur guise les fichiers (la couche des « contenus »).

L’article s’achève sur une note optimiste quant au HTML5 et au souci d’interopérabilité. Encore faudrait-il avoir affaire à des utilisateurs suffisamment sensibilisés sur ces questions[1].

Hier encore on nous demandait : T’es sous quel OS, Windows, Mac ou Linux ? Aujourd’hui ou tout du moins demain cela pourrait être : T’es sous quel navigateur, Firefox, Internet Explorer ou Chrome ?

Et après-demain on se retrouvera à la terrasse des cafés wi-fi, on regardera autour de nous et on constatera, peut-être un peu tard, qu’à chaque objet différent (netbook, smartphone, iPad, Kindle et leurs clones…) correspond un Internet différent !

La fin de l’Internet tel que nous le connaissons, grâce à l’iPad et aux autres

End of the Web as we know it, thanks to iPad and others

Julianne Pepitone – 3 février 2010 – CNNMoney.com
(Traduction Framalang : Martin et Goofy)

Pendant plusieurs années, l’Internet a été relativement simple : tout le monde surfait sur le même réseau.

Plus on s’avance vers 2010, plus l’idée d’un même Internet « taille unique » pour tous devient un souvenir lointain, à cause de l’arrivée de l’iPhone, du Kindle, du BlackBerry, d’Android, et bien sûr du fameux iPad.

La multiplication des gadgets mobiles allant sur Internet s’accompagne à chaque fois d’un contenu spécifique pour chaque appareil. Par exemple, l’application populaire pour mobile Tweetie permettant de se connecter à Twitter n’est disponible que pour l’iPhone, alors que l’application officielle pour Gmail ne l’est que pour Android. Et si vous achetez un e-book pour le Kindle d’Amazon, vous ne pourrez pas forcément le lire sur d’autres lecteurs électroniques.

En même temps de plus en plus de contenus en ligne sont protégés par un mot de passe, comme la plupart des comptes sur Facebok et certains articles de journaux.

C’est un Internet emmêlé qui est en train de se tisser. Simplement, le Web que nous connaissions est en train d’éclater en une multitude de fragments. C’est la fin de l’âge d’or, selon l’analyste de Forrester Research Josh Bernoff, qui a récemment formulé le terme de « éclaternet » pour décrire ce phénomène (NdT : the splinternet).

« Cela me rappelle au tout début d’Internet la bataille de fournisseurs d’accès entre AOL et CompuServe » dit Don More, du fond de capital risque Updata, une banque d’investissement conseillère dans les technologies émergentes de l’information. « Il y aura des gagnants et des perdants ».

Dans ces premiers temps du Web, les utilisateurs accédaient aux contenus en utilisant des systèmes spécifiques ; ainsi les abonnés de chez AOL ne pouvaient voir que les contenus AOL. Puis le World Wide Web est devenu une plateforme ouverte. Maintenant les appareils nomades sont à noueau en train de morceler le Web.

D’après Bernoff, « Vous ne pouvez plus recoller les morceaux, la stabilité qui a aidé le Web à prendre forme s’en est allée, et elle ne reviendra plus ».

Des angles morts

Quand les utilisateurs d’appareils mobiles choisissent d’acheter un iPhone, un Motorola avec Android, un BlackBerry ou d’autres, ils sont effectivement en train d’opter pour certains types de contenus ou au contraire d’en abandonner d’autres, puisque toutes les applications ne sont pas disponibles sur tous ces gadgets.

D’après Don More de Updata, ce phénomène est en train de mettre le contenu dans des « communautés fermés ». Les fabricants de ces appareils peuvent (et ils le font) prendre et choisir quelles applications fonctionneront avec leur machine, en rejetant celles qui pourraient être en concurrence avec leurs propre produits, ou bien celles qu’ils estiment n’être pas à la hauteur.

Par exemple, Apple a rejeté l’application Google Voice sur l’iPhone, qui aurait permis aux utilisateurs d’envoyer gratuitement des messages et d’appeler à l’étranger à faible coût.

Et les limitations ne s’arrêtent pas seulement aux applications. Une affaire d’actualité : Le nouvel iPad ne prend pas en charge le lecteur Flash d’Adobe, ce qui empêchera les utilisateurs d’accéder à de nombreux sites.

Bernoff ajoute : « bien que (cette tendance) ne soit pas nécessairement mauvaise pour les consommateurs, ils devraient prendre conscience qu’ils sont en train de faire un choix. Quoi qu’ils choisissent, certains contenus ne leur seront pas disponibles ».

Des choix difficiles

Les entreprises qui créent les applications sont maintenant confrontées à des choix difficiles. Quels appareils choisiront-elles de prendre en charge ? Combien d’argent et de temps devront-elles prendre pour que leurs contenus fonctionnent sur ces gadgets ?

Quel que soit le choix des développeurs, il leur manquera toujours une partie des consommateurs qu’ils pouvaient auparavant toucher lorsque le Web était un seul morceau.

Sam Yagan, co-fondateur du site de rencontres OKCupid.com, ajoute : « quand nous avons commencé notre projet, jamais nous avons pensé que nous aurions à faire face à un tel problème. Réécrire un programme pour un téléphone différent c’est une perte de temps, d’argent, et c’est un vrai casse-tête ».

D’après Yagan, OkCupid emploie 14 personnes, et son application pour l’iPhone a nécessité 6 mois de travail pour être développée. L’entreprise envisage de créer une application pour Android, ce qui prendra environ 2 mois.

« C’est un énorme problème de répartition des ressources, surtout pour les petites entreprises », explique Yagan, « Nous n’avons tout simplement pas assez de ressources pour mettre 5 personnes sur chaque appareil qui sort ».

Chris Fagan, co-fondateur de Froogloid, une société qui propose un comparateur pour le commerce électronique, dit que son entreprise a choisi de se spécialiser sur Android, car il marche avec plusieurs téléphones comme le Droid, Eris, ou G1.

Selon Fagan « les consommateurs sont en train de perdre des choix possibles, et les entreprises sont en train de souffrir de ces coûts supplémentaires ». Mais il ajoute que la popularité en plein essor des applications signifie que les entreprises continueront à en concevoir malgré leur coût.

Et après ?

Comme un Internet plus fragmenté devient chose courante, Bernoff de Forrester pense qu’il y aura un contrecoup : une avancée pour rendre le contenu sur mobile plus uniforme et interopérable.

La solution pourrait bien être la nouvelle version du langage Web qui arrive à point nommé, le HTML5, qui d’après Bernoff pourrait devenir un standard sur les appareils nomades dans quelques années. Par exemple, le HTML5 permet de faire fonctionner des animations sur les sites Web sans utiliser le Flash.

Mais l’arrivée de n’importe quelle nouvelle technologie déclenchera une lutte pour la contrôler. Don More de Updata s’attend à voir « une bataille sans merci entre les entreprises (pas seulement Apple et Google, mais aussi Comcast, Disney et tous ceux qui s’occupent des contenus). Que ce soit les applications, les publicités, les appareils… tout le monde est en train d’essayer de contrôler ces technologies émergentes ».

Évidemment, personne ne peut prévoir le futur du Web. Mais Bernoff est au moins sûr d’une chose.

« Nous ne connaissons pas ce que seront les tous nouveaux appareils en 2011. Mais ce qui est certain, c’est que l’Internet ne fonctionnera plus comme on l’a connu. »

Notes

[1] Crédit photo : Raúl A. (Creative Commons By)




Google, Apple et l’inexorable déclin de l’empire Microsoft

Seanmcgrath - CC byQuel est le dénominateur commun des récents évènements qui ont défrayé la chronique du Web ? L’absence de Microsoft.

On peut à juste titre critiquer Google, et son jeu du chat et de la souris avec nos données personnelles. Dernier exemple en date : Google Buzz.
On peut en faire de même avec Apple, qui prend un malin plaisir à enfermer les utilisateurs dans son écosystème. Dernier exemple en date : l’iPad.

Il n’empêche que ces deux géants innovent en permanence et se détachent chaque jour un peu plus d’un Microsoft visiblement trop lourd pour suivre le rythme[1].

C’est ce que nous rappelle Glyn Moody dans ce très intéressant article qui vient piocher dans la toute fraîche actualité des arguments de son édifiante conclusion.

Il note au passage que contrairement à Microsoft, Google (beaucoup) et Apple (avec parcimonie) utilisent des technologies open source. Ceci participe aussi à expliquer cela.

Il s’est passé quelque chose, mais où est passé Microsoft ?

Something Happened: Where’s Microsoft?

Glyn Moody – 15 février 2010 – ComputerWorld.uk
(Traduction Framalang : Goofy)

Vous en avez probablement entendu parler, la semaine dernière il y a eu tout un pataquès à propos de Google Buzz et de ses conséquences sur le respect de la vie privée. Et voici ce que Google a répondu :

Nous avons bien reçu votre réaction, cinq sur cinq, et depuis que nous avons lancé Google Buzz il y a quatre jours, nous avons travaillé 24h sur 24 pour dissiper les inquiétudes que vous avez exprimées. Aujourd’hui, nous voulons vous informer que nous avons fait ces derniers jours une quantité de modifications en tenant compte des réactions que nous avons reçues.

D’abord, l’ajout automatique des contact suivis. Avec Google Buzz, nous avons voulu faire en sorte que les premiers pas soient aussi rapides et aisés que possible, et donc nous ne voulions pas que vous ayez à reconstruire manuellement votre réseau social depuis zéro. Cependant, beaucoup de gens voulaient juste essayer Google Buzz pour voir en quoi il pouvait leur être utile, et ils n’ont pas été contents de voir qu’ils avaient déjà une liste de contacts suivis. Ce qui a soulevé une énorme vague de protestations et incité les gens à penser que Buzz affichait automatiquement et de façon publique ceux qu’ils suivaient, avant même d’avoir créé un profil.

Jeudi dernier, nous avons entendu dire que les gens trouvaient que la case à cocher pour choisir de ne pas afficher publiquement telle ou telle information était difficile à trouver, nous avons aussitôt rendu cette option nettement plus repérable. Mais ce n’était évidemment pas suffisant. Donc, à partir de cette semaine, au lieu d’un modèle autosuiveur, avec lequel Buzz vous donne automatiquement à suivre des gens avec lesquels vous échangez le plus sur le chat ou par email, nous nous orientons vers un modèle autosuggestif. Vous ne serez pas voué à suivre quiconque avant d’avoir parcouru les suggestions et cliqué sur « Suivez les contacts sélectionnés et commencez à utiliser Buzz ».

Le plus intéressant dans cette histoire c’est que 1. Google aurait pu prévoir un problème aussi évident et crucial et 2. ils ont réagi non pas une mais deux fois en quelques jours à peine. C’est ce qui s’appelle vivre à l’heure d’Internet, et démontre à quel point les choses ont changé depuis le « bon vieux temps » – disons il y a quelques années – où les erreurs pouvaient mariner plusieurs mois dans un logiciel avant qu’on prenne la peine de s’en occuper.

Mais ce n’est pas le seul évènement qui s’est produit la semaine dernière. Relativement masquée par l’excitation autour de Buzz, voici une autre annonce de Google :

Nous avons le projet de réaliser un réseau à large bande ultra-rapide dans quelques localités tests aux États-Unis. Nous fournirons un accès à Internet par fibre optique à 1 gigabit par seconde, soit cent fois plus rapide que ce que connaissent aujourd’hui la plupart des Américains connectés. Nous avons l’intention de procurer ce service à un prix concurrentiel à au moins 50 000 personnes, et potentiellement jusqu’à 500 000.

Notre objectif est d’expérimenter de nouvelles façons d’aider chacun à accéder à un Internet plus rapide et meilleur. Voici en particulier ce que nous avons en tête :

Les applications du futur : nous voulons voir ce que les développeurs et les utilisateurs peuvent faire avec des vitesses ultra-rapides, que ce soit des applications révolutionnaires ou des services utilisant beaucoup de bande passante, ou d’autres usages que nous ne pouvons même pas encore imaginer.

Nouvelles techniques de déploiement : nous testerons de nouvelles façons de construire des réseaux de fibre optique, et pour aider à l’information et au support de déploiement partout ailleurs, nous partagerons avec le monde entier les leçons que nous en aurons tirées.

Le choix et l’ouverture : nous allons organiser un réseau en « accès ouvert », qui donnera aux usagers le choix parmi de multiples prestataires de services. Et en cohérence avec nos engagements passés, nous allons gérer notre réseau d’une façon ouverte, non-discriminatoire et transparente.

Google a démarré, souvenez-vous, comme un projet expérimental sur la recherche : en arriver à déployer chez un-demi million d’utilisateurs finaux des connexions par fibre optique à 1 gigabit, voilà qui en dit long sur le chemin parcouru par Google. Tout aussi impressionnante dans le même genre, l’irruption de Google dans monde des mobiles avec Android. Là encore, le lien avec le moteur de recherche n’est peut-être pas évident à première vue, mais tout cela revient à essayer de prédire le futur en l’inventant : Google veut s’assurer que quel que soit le chemin que prendra le développement d’Internet, il sera bien placé pour en bénéficier, que ce soit par la fibre à débit ultrarapide ou par des objets intelligents et communicants que l’on glisse dans sa poche.

Google n’est pas la seule entreprise qui se réinvente elle-même en permanence. C’est peut-être Apple qui en donne l’exemple le plus frappant, c’était pourtant loin d’être prévisible il y a quelques années. Mais au lieu de disparaître, l’entreprise Apple a colonisé la niche lucrative des produits informatiques sophistiqués, en particulier les portables, et a fini par remodeler non seulement elle-même mais aussi deux marchés tout entiers.

Le premier a été celui de la musique numérique, qui se développait bien mollement sous les attaques répétées d’une industrie du disque à courte vue, qui pensait pouvoir conserver le rôle qu’elle jouait dans le monde de l’analogique, celui d’intermédiaire obligé entre les artistes et leur public. En utilisant ses pouvoirs quasi hypnotiques, Steve Jobs s’est arrangé pour faire avaler à l’industrie du disque le lot iTunes + iPod, et la musique numérique a décollé comme jamais auparavant pour toucher l’ensemble de la population.

Tout aussi significative a été la décision de Jobs d’entrer dans le monde des téléphones portables. Le iPhone a redéfini ce que devait être un smartphone aujourd’hui, et a accéléré la convergence croissante entre l’ordinateur et le téléphone. Beaucoup pensent qu’avec son iPad Apple est sur le point de transformer la publication numérique aussi radicalement qu’il a déjà bouleversé la musique numérique.

Quoi que vous pensiez de ces récents évènements, une chose est parfaitement claire : pas un seul des événements les plus excitants du monde de l’informatique – Buzz, le réseau par fibre à 1 gigabit, le iPad, Android et tout le reste – n’est venu de chez Microsoft. La façon dont Google et Apple ont complètement masqué les nouveautés de Microsoft pendant des mois est sans précédent, et je pense, représente un tournant décisif.

Parce que nous assistons à la fin du règne de Microsoft en tant que roi de l’informatique – sans fracas, mais avec un petit gémissement. Bien sûr, Microsoft ne va pas disparaître – je m’attends vraiment à ce qu’il soit là encore pour des décennies, et qu’il distribue de jolis dividendes à ses actionnaires – mais Microsoft sera tout simplement dépourvu d’intérêt dans tous les domaines-clés.

Ils se sont plantés en beauté sur le marché de la recherche en ligne ; mais, d’une façon plus générale, je ne connais pas un seul service en ligne lancé par Microsoft qui ait eu un impact quelconque. Et ça n’est pas mieux côté mobile : bien que Windows Mobile ait encore des parts de marché pour des raisons historiques, je pense que personne, nulle part, ne se lève le matin en se disant « Aujourd’hui il faut que je m’achète un Windows Mobile », comme le font manifestement les gens qui ont envie d’un iPhone d’Apple ou d’un des derniers modèles sous Android comme Droid de Motorola ou Hero de HTC (même moi j’ai acheté ce dernier modèle il y a quelques mois).

Quant au marché de la musique numérique, le Zune de Microsoft est pratiquement devenu le nom générique de la confusion électronique, tant le système est mauvais et mal-aimé. Et même dans le secteur où la part de marché de Microsoft est davantage respectable – celui des consoles de jeu – le problème de l’infâmant « cercle rouge de la mort » menace là encore de ternir sa réputation.

Tout cela nous laisse l’informatique grand public comme dernier bastion de Microsoft. Malgré des tentatives constamment renouvelées de la part des experts (dont votre serviteur) pour proclamer « l’année des ordinateurs GNU/Linux », Windows donne peu de signes qu’il lâche prise sur ce segment. Mais ce qui est devenu de plus en plus flagrant, c’est que les tâches informatisées seront menées soit à travers le navigateur (porte d’accès à l’informatique dans les nuages) soit à travers les smartphones tels que que le iPhone ou les mobiles sous Android. Les uns comme les autres rendent indifférent le choix du système d’exploitation de l’ordinateur de bureau (d’autant que Firefox tend de plus en plus à faire jeu égal avec Internet Explorer sur beaucoup de marchés nationaux), donc savoir si l’on trouve Windows ou GNU/Linux à la base de tout ça est une question vraiment sans intérêt.

Mais vous n’êtes pas obligés de me croire. Dick Brass est bien mieux placé que moi pour en parler, il a été vice-président de Microsoft de 1997 à 2004. Voici ce qu’il a écrit récemment dans le New York Times :

Microsoft est devenu empoté et peu compétitif dans l’innovation. Ses produits sont décriés, souvent injustement mais quelquefois à juste titre. Son image ne s’est jamais remise du procès pour abus de position dominante des années 90. Sa stratégie marketing est inepte depuis des années ; vous vous souvenez de 2008 quand Bill Gates s’est laissé persuader qu’il devait littéralement se trémousser face à la caméra ?

Pendant qu’Apple continue à gagner des parts de marché sur de nombreux produits, Microsoft en perd sur le navigateur Web, le micro portable haut de gamme et les smartphones. Malgré les milliards investis, sa gamme de Xbox fait au mieux jeu égal avec ses concurrents du marché des consoles de jeu. Du côté des baladeurs musicaux, ils ont d’abord ignoré le marché puis échoué à s’y implanter, jusqu’à ce qu’Apple le verrouille.

Les énormes bénéfices de Microsoft – 6,7 milliards de dollars au trimestre dernier – viennent presque entièrement de Windows et de la suite Office qui ont été développés il y a des décennies (NdT : cf ce graphique révélateur). Comme General Motors avec ses camions et ses SUV, Microsoft ne peut pas compter sur ces vénérables produits pour se maintenir à flot éternellement. Le pire de tout ça d’ailleurs, c’est que Microsoft n’est plus considéré comme une entreprise attractive pour aller y travailler. Les meilleurs et les plus brillants la quittent régulièrement.

Que s’est-il passé ? À la différence d’autres entreprises, Microsoft n’a jamais développé un authentique processus d’innovation. Certains de mes anciens collègues prétendent même qu’elle a développé en fait un processus de frein à l’innovation. Bien qu’elle dispose des laboratoires les plus vastes et les meilleurs du monde, et qu’elle se paie le luxe d’avoir non pas un mais trois directeurs de recherches technologiques, l’entreprise s’arrange habituellement pour réduire à néant les efforts de ses concepteurs les plus visionnaires.

Il y a quelque chose de profondément ironique dans cet échec à innover, parce que Microsoft n’a pas cessé d’invoquer l’innovation comme argument principal pour n’être pas frappé par la loi anti-trust aux États-Unis comme en Europe, et pour justifier notre « besoin » de brevets logiciels. La déconfiture de cette argumentation est maintenant rendue cruellement flagrante par l’échec de l’entreprise à innover dans quelque secteur que ce soit.

Je dirais que le plus grand échec à ce titre a été de refuser de reconnaître que la manière la plus rapide et la plus facile d’innover c’est de commencer à partir du travail des autres en utilisant du code open source. Le succès de Google est presque entièrement dû à son développement de logiciels libres à tous les niveaux. Ce qui a permis à l’entreprise d’innover en plongeant dans l’immense océan du code librement disponible pour l’adapter à des applications spécifiques, que ce soit pour les gigantesques datacenters épaulant la recherche, ou pour la conception d’Android pour les mobiles – dans les deux cas à partir de Linux.

Même Apple, le champion du contrôle total du produit par l’entreprise, a reconnu qu’il était cohérent d’utiliser des éléments open source – par exemple, FreeBSD et WebKit – et s’en servir comme fondation pour innover frénétiquement au dernier étage. Refuser de le reconnaître aujourd’hui est aussi aberrant que refuser d’utiliser le protocole TCP/IP pour les réseaux.

Quelque chose s’est passé – pas juste cette semaine, ni la semaine dernière, ni même durant les derniers mois, mais au cours de ces dix dernières années. Le logiciel libre s’est développé au point de devenir une puissance considérable qui influe sur tout ce qui est excitant et innovateur en informatique ; et Microsoft, l’entreprise qui a reconnu le moins volontiers son ascendant, en a payé le prix ultime qui est son déclin.

Notes

[1] Crédit photo : Seanmcgrath (Creative Commons By)




iPad et éducation sont des mots qui ne vont pas bien ensemble

Rego - CC by-saLe site OpenSource.com étant soutenu par Red Hat qui soutient également le projet OLPC, il n’est guère étonnant de les voir réagir lorsque l’on se permet d’affirmer que l’iPad pourrait être meilleur que le petit ordinateur vert pour enfants pour lutter contre la fracture numérique.

Difficile de leur donner tort.

Il faut dire que d’un côté on a un produit pensé pour les enfants (cf cet extrait vidéo de Télématin et l’interface pédagogiquement révolutionnaire Sugar) et de l’autre un énième produit Apple aussi beau dehors que totalement vérrouillé dedans[1].

L’éducation et l’architecture de contrôle de l’iPad

Education and the iPad’s architecture of control

Gunnar Hellekson – 4 février 2010 – OpenSource.com
(Traduction Framalang : Poupoul2 et Daria)

Comme la plupart des travaux de Jonathan Ive, l’iPad est beau. Comme la plupart des réalisations d’Apple, cet appareil me met également mal à l’aise. Je m’apprêtais à rédiger quelque chose à propos de ce sentiment d’inconfort, lorsque j’ai découvert avec plaisir que Timothy B. Lee et d’autres avaient déjà fait cela pour moi. Dans « Pourquoi les Geeks détestent l’iPad, « Le Crépuscule des bidouilleurs et « Rien de créatif, nous sommes entraînés dans une analyse minutieuse de ce que nous sacrifions lorsqu’Apple nous contraint à échanger flexibilité et liberté contre une nouvelle machine qui brille. Je crois qu’on peut appliquer la même analyse à l’iPhone, l’iTouch, ainsi qu’à toute l’électronique grand public qui trône sur les étagères d’Apple.

En d’autres termes, l’iPad et ses frères ne sont pas des ordinateurs personnels. Ce sont les ordinateurs d’Apple. Le matériel lui-même est hermétiquement fermé, décourageant ainsi quiconque souhaitant l’améliorer ou savoir comment il fonctionne. La plateforme logicielle est largement propriétaire. Le si vanté AppStore, qui a apporté à l’informatique grand public la même simplicité d’installation et de gestion des applications que celle dont bénéficie les utilisateurs de logiciel libre depuis des années, est strictement contrôlé au profit des intérêts d’Apple. Posez la question à Google !

Pour autant, cela ne fait pas d’Apple le diable. Ils ont bien sûr le droit de produire autant d’appareils beaux et verrouillés qu’ils le souhaitent. Il est pourtant important de comprendre ce que vous abandonnez en adoptant l’architecture de contrôle douillette d’Apple. Dans ce contexte, Andrea Di Maio, du Gartner Group, nous propose une argumentation étrange : « l’iPad d’Apple pourrait faire plus pour les gouvernements que l’OLPC ». Je pardonne à DiMaio son enthousiasme pour l’iPad (il a certes un joli look), mais sa suggestion que l’iPad est supérieur à l’OLPC en matière d’éducation démontre une très sérieuse méconnaissance du projet OLPC.

En bref, son argument est le suivant : « Il est bon marché, et suffisamment simple d’utilisation; les gouvernements pourraient donc l’utiliser pour vaincre la fracture numérique dans l’éducation.»

L’OLPC a été conçu dans le but de fournir aux étudiants une plateforme créative, pas uniquement un ordinateur portable bon marché. Il ne s’agit pas de proposer aux étudiants une copie bon marché de Microsoft Office et un portable à 100$. L’OLPC est passionnant parce que les principes de bidouillabilité et de partage sont au cœur du projet. Le portable lui-même a été conçu avec du logiciel libre, garantissant que la collaboration et l’innovation pouvaient s’étendre au plus profond de ses tripes. L’innovant réseau maillé a supprimé le besoin d’une infrastructure centralisée ; les étudiants sont automatiquement connectés les uns aux autres, et si un étudiant dispose d’une connexion à Internet, tous en bénéficient. Les connexions sont ad hoc, le partage est disponible par défaut, et les applications fournies par l’OLPC ont été réalisées collaborativement. Exception faite de la viabilité commerciale, je crois qu’il s’agit là d’une expérience pédagogique passionnante. Les fruits de cette expérience sont visibles au Brésil sur cette vidéo.

Imaginez un moment l’iPad comme plateforme pour l’éducation. Comment les enfants peuvent-ils collaborer sur une telle plateforme ? Comment peuvent-ils, comme M. Lee, triturer ses entrailles ? Comment les étudiants peuvent-ils construire leurs propres applications ? Les étudiants ne peuvent rien faire de tel sans autorisation d’Apple. C’est inquiétant.

De la même manière, l’exploitation par les fournisseurs de services et de contenus est aussi un motif d’inquiétude sur une plateforme aussi fermée que l’iPad. Une plateforme fermée simplifie la mise en place de contrôles rigides sur le type de contenu proposé aux étudiants. Pensez simplement à la mainmise d’AT&T sur le service iPhone, et étendez cela aux livres de toute une académie. Ce contrôle monopolistique est déjà un problème pour les consommateurs de technologies aisés et raffinés. C’est un désastre pour les moins nantis et c’est catatrophique pour les pays en voie de développement. Livrer 100 iPad à un village de l’Ouest africain ou à une école qui essaie d’émerger dans l’académie du Mississippi, ce n’est pas de la charité, c’est une paire de menottes.

Alors, lorsque M. Di Maio suggère que l’iPad est supérieur à l’OLPC pour l’éducation, je m’interroge ! Qu’espère-t-il d’un programme de formation certifiée Apple tel que One to One ? L’objectif est-il de mettre un appareil connecté dans les mains de chaque étudiant, quel qu’en soit le prix pour la liberté de l’école et de l’étudiant, ou devrions-nous plutôt fournir des outils qui encouragent les étudiants à apprendre les uns des autres, à partager leurs succès, et à permettre de créer un environnement dans lequel ils peuvent résoudre eux-mêmes leurs propres problèmes ? Je crois que l’éducation, c’est de la créativité, de l’ingéniosité et du partage ; toutes ces caractéristiques étant bien plus puissantes qu’un navigateur Web portable, aussi joli soit-il.

Notes

[1] Crédit photo : Rego (Creative Commons By-Sa)




iPad is iBad for freedom

iPad is iBad for freedomLa présentation de l’iPad par Steve Jobs le 27 janvier dernier à San Fransisco a fait grand bruit dans la presse.

Personne n’a évoqué les quelques hurluberlus du groupe Defective by Design qui sont venus, pancartes à la main, sur le perron de la conférence pour tenter, non pas de perturber la grand-messe, mais d’alerter les invités sur les dangers du modèle Apple.

C’était peine perdue mais c’était courageux. En cliquant sur l’image ci-contre vous aurez un agrandissement de cette pancarte.

« Vous entrez dans une zone restreinte contrôlée par Apple où le logiciel libre, le partage et l’installation libre d’applications depuis Internet n’existent pas, sachant de plus qu’Apple peut à tout moment décider de modifier ou supprimer le contenu de votre appareil. Votre ordinateur est notre ordinateur. »

Tel était en substance le message.

Un message corroboré par ce communiqué de la Free Software Foundation que nous vous proposons traduit ci-dessous et dont on peut retenir la citation suivante : « C’est un énorme pas en arrière dans l’histoire de l’informatique ».

iPad’libertés pour les utilisateurs

iPad is iBad for freedom

John Sullivan – 27 janvier 2010 – Communiqué de la FSF
(Traduction Framalang : Olivier)

Avec sa nouvelle tablette tactile, Apple profite de la sortie d’un nouveau type d’appareil pour verrouiller plus que jamais un ordinateur grand public.

iPad is iBad for freedomAu moment où Steve Jobs et Apple s’apprêtaient à présenter leur tablette, des activistes opposés aux Mesures Techniques de Privations (MTP)[1] du groupe Defective by Design tentaient eux d’attirer l’attention des médias sur les restrictions toujours plus contraignantes qu’Apple impose sur ses produits grand public. Le groupe avait mis en place des « Périmètres de restriction Apple » sur le chemin menant au Yerba Buena Center for Arts à San Francisco, informant les journalistes, sur le point de pénétrer dans la salle de conférence, des concessions qu’ils devaient accepter au nom d’Apple.

Apple utilise les MTP pour restreindre les libertés des utilisateurs de diverses manières. Ainsi, pour ne citer que deux exemples, il est impossible d’installer un logiciel ne provenant pas de l’App Store officiel et l’usage que vous faites des films achetés sur iTunes est surveillé. Et, qui plus est, Apple affirme que le contournement de ces restrictions est un acte criminel, même à des fins légales au regard du droit d’auteur.

Organisateur de la manifestation, John Sullivan, responsable des opérations à la Free Software Foundation (FSF) déclarait : « Notre campagne Defective by Design n’en est pas à son coup d’essai contre Apple et elle a déjà porté ses fruits. Nous avons déjà organisé des actions à l’extérieur des Apple Stores pour protester contre les MTP limitant la musique sur iTunes et sous la pression Steve Jobs a abandonné les MTP sur la musique. Aujourd’hui, nous sommes présents pour répéter le même message concernant les autres restrictions qu’Apple impose sur les logiciels, les livres électroniques et les films. Si créativité, liberté et individualité signifient quelque chose pour Jobs et Apple, ils devraient le prouver en abandonnant les restrictions qui rendent la créativité et la liberté illégales.»

Le groupe fait signer une pétition aux citoyens pour pousser Steve Jobs a retirer les MTP des appareils Apple.
Vous pouvez trouver cette pétition à l’adresse http://www.defectivebydesign.org/ipad.

Myuibe - CC by« Notre société est de plus en plus dépendante de son infrastructure informatique, nous nous devons d’être vigilant. Par le passé, nous avons vu comment des défenseurs des Droits de l’Homme et de la démocratie se sont fait piéger par les sociétés qui fournissent les biens et les services dont ils dépendent. Vous seul devriez avoir le contrôle de votre ordinateur. Avec ces restrictions, Steve Jobs établit un précédent dangereux pour notre liberté au nom de ses profits.» poursuit Peter Brown, directeur exécutif de la FSF[2].

D’autres opposants des MTP ont soutenu qu’Apple n’est pas seul responsable, que ce sont les éditeurs qui imposent ces restrictions. Pourtant, sur son iPhone et sur sa nouvelle tablette, Apple n’offre pas aux éditeurs le choix d’appliquer ou non ces restrictions, idem pour les auteurs de logiciels libres ou de culture libre qui auraient désiré donner la permission légale aux utilisateurs de partager leurs travaux.

« C’est un énorme pas en arrière dans l’histoire de l’informatique » conclut Holmes Wilson, de la FSF. « Si les premiers ordinateurs personnels avaient dépendu de l’autorisation du constructeur pour chaque nouveau programme ou chaque nouvelle fonctionnalité, l’histoire de l’informatique serait aussi lamentablement totalitaire que l’image qu’en renvoyait la célèbre publicité[3] Apple du Superbowl ».

Notes

[1] NdT : Les fameux DRM qui de Digital Rights Management deviennent les Digital Restrictions Management.

[2] Crédit photo : Myuibe (Creative Commons By)

[3] NdT : Pour mémoire, la vidéo en question sur YouTube.




Geektionnerd : L’iPad’quoi fouetter un chat

En écho à notre tout récent billet sur l’iPad, voici le Geektionnerd de la semaine.

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




De la contradiction d’avoir un iPhone

Mat Honan - CC byL’été dernier, me voici attablé à la terrasse d’un café, place de la Bastille, en compagnie de quelques membres influents de la blogosphère française. L’occasion d’évoquer Hadopi. Il allait de soit qu’ils étaient tous contre.

Un petit détail m’a frappé : ils étaient tous accompagnés de leur iPhone, qui d’ailleurs ne leur laissait que rarement plus de cinq minutes de répit. iPhone qui vers la fin de notre entretien est carrément devenu le sujet principal de conversation, lorsque le possesseur de je ne sais plus quelle toute nouvelle application issue de l’App Store a voulu en faire la démonstration aux autres[1].

Peut-on être un pourfendeur d’Hadopi et plus généralement un chaud défenseur des libertés numériques tout en possédant un iPhone ? Certes oui. Sauf que, comme vient nous le rappeler Bruno Kerouanton dans ce court et percutant article, nous sommes peut-être en situation de compromis, voire de compromission, avec quelques uns de nos idéaux, fussent-ils numériques[2].

Le paradoxe du citoyen consommateur

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Bruno Kerouanton – 14 septembre 2009 – Le Club des Vigilants
Licence Creative Commons By-Nc

Apple est loin d’être seule en cause mais le succès phénoménal de son iPhone illustre, à bien des égards, le paradoxe du citoyen consommateur contemporain.

D’un côté, il se dit écolo. De l’autre, il se jette sur un appareil dont la batterie est intégrée au téléphone, faisant de l’objet un produit jetable complexe à recycler.

D’un côté, il prône la liberté de téléchargement sur Internet, et le droit de dupliquer à l’infini films et œuvres musicales au grand dam des auteurs et de leurs ayants droit. De l’autre, il se précipite sur l’une des plateformes informatiques les plus verrouillées en termes de mesures anticopie.

D’un côté, il se méfie des monopoles. De l’autre, il utilise la plateforme de téléchargement AppStore qui centralise de manière obligatoire toute application disponible, préalablement soumise à la censure de l’éditeur californien.

D’un côté, il défend les logiciels libres et leur gratuité. De l’autre, il n’a jamais autant acheté de logiciels depuis la mise en place de l’AppStore.

D’un côté, il aime l’anonymat et le respect de la vie privée. De l’autre, il se rue sur l’iPhone qui est l’une des plateformes les plus intrusives, en termes de géolocalisation, mais également de suivi des habitudes d’utilisation et de consommation.

Le succès d’Apple tient à la technologie et à l’innovation. En offrant à ses clients un produit très en avance sur ses concurrents, en termes d’ergonomie et de fonctionnalités, ceux-ci sont prêts à en oublier les inconvénients, voire carrément à en occulter l’existence.

Ce comportement paradoxal doit être pris en compte dans le cadre de nouveaux enjeux sociétaux relatifs aux nouvelles technologies. Risques liés aux réseaux sociaux, difficulté de mise en application de réglementations de type Hadopi et bien d’autres thèmes d’actualité devraient être revus en tenant compte de cette surprenante tendance.

Notes

[1] Crédit photo : Mat Honan (Creative Commons By)

[2] Sur le même sujet on pourra aussi lire cet autre article du Framablog : iPhone 3G : tout ce qui brille n’est pas or.




Des bienfaits en tout point positif de la concurrence d’Apple et Microsoft à l’école

La Classe - Spécial IUFM - Avril 2009 - Page 16Petit cours d’économie libérale sur les vertus de la compétition.

Plusieurs sociétés se font concurrence sur le même marché. L’offre se multiplie, les prix baissent, et c’est le consommateur ravi qui en profite. La mécanique est bien huilée, et ce ne sont pas les quelques crises conjoncturelles et situations de monopole qui apparaissent de temps en temps qui doivent nous faire douter du bien fondé du modèle. Le discours dominant n’a de cesse de nous le rappeler, accompagnant toute critique d’une réponse ferme et définitive : il n’y a pas d’alternative.

Que se passe-t-il lorsque le marché se trouve être l’éducation ? On prend certes un peu plus de précautions, mais la logique est rigoureusement la même puisque, on vous l’a déjà dit, il n’y a pas d’alternative.

Et c’est ainsi que l’on peut tranquillement mettre entre les mains des jeunes enseignants (en l’occurrence des professeurs des écoles stagiaires à l’IUFM), des articles sans nuances comme celui que nous allons vous présenter et commenter aujourd’hui.

Paru en avril 2009, il est issu d’un hors-série « gratuit » spécial IUFM du journal La Classe dont l’éditeur, le groupe Martin Media, se présente comme un « professionnel de l’enseignement primaire ». Vous pouvez le télécharger à cette adresse du site (l’article en question se trouvant en page 16-17).

Tout de suite, on annonce la couleur :

Titre : Des bienfaits de la concurrence

Sous-titre : Apple et Microsoft s’immiscent dans l’éducation… Et c’est en tout point positif !

On eût aimé un peu plus de retenue mais il n’y a pas d’altern…

L’idée c’est donc de vous raconter comment l’activisme éducatif de ces deux géants bénéficie à l’école. Ce qui n’interdit pas quelques éclairs de lucidité (bien vite balayés d’un revers de plume) :

J’entends d’ici les mauvaises langues : sensibiliser les élèves permet de toucher les enseignants ainsi que les parents. Personne ne contredira cette vérité économique. Cependant, cette pénétration s’accompagne d’actions innovantes.

Les mauvaises langues n’ont rien à dire puisque fleurissent les actions innovantes. Pour rappel le mot « innovation » (et toutes ses déclinaisons) a été annexé par Microsoft et son partenaire le Café Pédagogique.

Mais point de procès d’intention. Regardons un peu les « actions innovantes » exposées. Il y a du podcasting chez Apple, de l’ENT et la suite MS Office 2007 offerte « sans frais » aux enseignants chez Microsoft. Et c’est tout. Autrement dit rien qui n’augure de la qualité pédagogiquement innovante de ces actions.

Microsoft organise, entre autres, des conférences sur ce thème, présentant ainsi aux enseignants la manière d’utiliser efficacement ces plateformes dans le monde scolaire. (…) En effet l’une comme l’autre propose des ressources TICE à télécharger en ligne ainsi que des formations à l’intention des enseignants du primaire et du secondaire.

Conférences, formations et ressources TICE proposées directement par Microsoft et Apple. Nous ne disposons certainement d’aucune compétence interne pour devoir ainsi nous reposer sur les épaules ces deux géants américains.

Les enseignants peuvent ainsi juger de l’impact de l’informatique sur les apprentissages, et inviter leur collectivité à investir dans un parc Apple (avec une remise de 8%).

Nous ne sommes pas chez Auchan mais c’était tout de même important de préciser le montant de la remise. VRP Apple pour votre collectivité, ça vous dirait ? Ce n’est pas rémunéré mais à vous la gloire d’avoir fait économiser 8% à votre commune !

Quant aux offres de types AbulÉdu – Ryxeo, évidemment nous ne saurons rien.

Ces actions démontrent les intérêts tout à la fois pédagogique et commercial de ces entreprises. Mais, elles font aussi évoluer l’utilisation des technologies dans le domaine de l’enseignement.

Il y a certes évolution, mais est-elle nécessairement positive ? Quant au « pédagogique », il est peut-être de trop.

Et pour finir, la caution d’un drôle de témoignage d’un formateur IUFM :

« Apple travaille depuis un certain temps avec l’Éducation nationale (…) Pour Microsoft, cette volonté est plus récente, mais il tend à développer cette relation (…) Cela dynamise fortement l’intégration des TICE dans la pratique pédagogique des professeurs, et aboutit aussi à une multiplication des logiciels libres. »

Les deux derniers mots de l’article seront donc, ô surprise, pour les logiciels libres. Mais quel étrange contexte pour leur apparition ! Les agissements des uns aboutiraient donc à la multiplication des autres ? J’eus été l’auteur, je serais allé au bout de ma démarche en concluant ainsi : « cela dynamise fortement l’intégration des TICE dans la pratique pédagogique des professeurs, et aboutit aussi à freiner la multiplication des logiciels libres ».

Il n’empêche qu’ils sont cités. Et c’est le petit grain de sable dans la machine parce que peut-être, finalement, qu’il existe quand même des alternatives (des alternatives bien moins compétitives que coopératives). En les ignorant nous avons un article en apparence factuel et objectif. En les prenant en considération, nous sommes alors face à un texte bien moins neutre qu’il n’y parait. Manipulation et propagande ne sont plus très loin…

Cher nouveaux collègues, abonnez-vous à « La Classe » si bon vous semble mais n’oubliez pas d’élargir votre horizon TICE avec d’autres sources d’information (pourquoi pas le Framablog par exemple, l’abonnement est plus que gratuit, il est libre).

Vous y lirez alors que lorsque Apple ou Microsoft s’immiscent dans l’éducation (sans oublier Google), ce n’est pas forcément « en tout point positif », cette intrusion, pas toujours désirée, impactant non seulement les logiciels libres mais, aussi et surtout, les mentalités.

Histoire de ne pas payer cet article gratuit au prix fort…




Je pense avoir acheté mon dernier Mac

Procsilas - CC byFramasoft en général et le Framablog en particulier vous ont souvent raconté des histoires de migration du système d’exploitation Microsoft Windows vers GNU/Linux (de préférence des histoires qui se finissent bien).

Pour changer un peu, il nous a semble original et intéressant de vous proposer le témoignage d’un « vieux fidèle » du Mac qui a lui aussi décidé de « briser ses chaînes » (et Dieu sait si avec Apple elle sont nombreuses) pour s’en aller le cœur léger aborder le pays des manchots, en l’occurrence le manchot sud-africain Ubuntu.

Que les geeks qui ne cessent de vanter les mérites de Linux mais dont l’ordinateur principal tourne sous Mac[1] (si, si, j’en connais, au moins autant que ceux qui restent sous Windows), n’hésitent pas à apporter leur pierre dans les commentaires 😉

Migration

Switching

Ian Betteridge – 11 janvier 2009 – Technovia
(Traduction Framalang : Balzane)

Comme vous avez pu le déduire de mes billets récents, j’ai changé de système d’exploitation. Mon ordinateur principal est maintenant un portable Dell tournant sur Ubuntu 8.10.

J’avais utilisé des Mac depuis 1986, et j’en avais pratiquement toujours possédé un depuis 1989. Le Mac Plus, le LC 475, le PowerBook Duo, l’iBook et le MacBook Pro figurent parmi les machines qui subirent mon utilisation quotidienne. J’ai gagné ma vie en écrivant sur les Macs et je ne compte plus les Macworld Expos auxquelles j’ai assisté.

Mais, sauf évolution de la politique d’Apple et lancement de machines résolument différentes, je pense avoir acheté mon dernier Mac.

Les causes d’une migration de Mac OS X vers Linux sont diverses. La première était simple : le prix. Indéniablement, les toutes dernières générations de machines Apple sont surpuissantes. Malheureusement, leur prix est tout aussi surpuissant. C’est simple, je n’étais pas prêt à dépenser 200 £ (NdT : environ 230 €) de plus que pour mon dernier MacBook Pro.

Bien sûr, j’aurais pu me rabattre sur un MacBook standard. Il aurait été assez puissant pour mon usage. Mais il ne dispose que d’un écran 13 pouces et, après avoir travaillé des années sur un 15 pouces, 13 pouces c’était vraiment trop petit.

À l’inverse de beaucoup de constructeurs, Apple ne comptait pas de portables 15 pouces moins puissants que le MacBook Pro dans sa gamme. On comprendra que, pour des raisons de logistique et de simplicité de ses produits, Apple limite le nombre de variantes sur ses chaînes de production. Du coup, Apple ne proposait pas de machine qui corresponde à mes besoins.

Ceci constitue d’ailleurs un élément de réponse à la lancinante question : « Un Mac est-il un bon investissement ? » Par rapport à un PC aux performances identiques, c’est parfois le cas. Cependant, il arrive que l’utilisateur n’ait pas forcément besoin des fonctionnalités supplémentaires ou de la puissance du Mac. À moins qu’elles ne soient gratuites ou bon marché, acheter une machine aux fonctionnalités superflues n’est pas un bon investissement. Dans mon cas, payer 1400 £ (NdT : environ 1600 €) simplement pour bénéficier d’un écran 15 pouces alors que je n’ai pas l’usage d’un bus système cadencé à 1 GHz ou de deux cartes graphiques n’est pas un investissement intéressant.

Il y avait aussi une autre raison de migrer, mise en évidence par Mark Pilgrim lors de son passage sous Linux. Apple est une société particulièrement privatrice, elle ne documente pas ses formats de fichiers et a tendance à plus ou moins subtilement enfermer ses clients.

L’exemple le plus évident est l’iPhone. Comme un Mac, un iPhone possède un design exceptionnel. C’est aussi un écosystème très fermé. Les développeurs qui refusent de jouer le jeu d’Apple ne peuvent pas distribuer officiellement leurs applications. Ils ne peuvent que compter sur d’autres pour contourner les limitations du système d’exploitation du téléphone. Si vous voulez que vos applications tournent sur la majorité des iPhones, vous devez accepter les règles fixées par Apple. Et ces règles sont, semble-t-il, pour le moins arbitraires.

Je connais les justifications à ces règles. Ce sont exactement les mêmes arguments que ceux qu’utilisait IBM à l’époque où il ne voulait pas que vous exécutiez d’autres programmes que les leurs sur votre mainframe IBM. Certes, faire partie d’un écosystème fermé et rigoureusement contrôlé assure votre sécurité. C’est aussi hypothéquer votre capacité à disposer d’un Personal Computer réellement personnel.

Je fais une prédiction : pour des raisons similaires, l’écosystème de développement Mac va progressivement ressembler à celui du iPhone. D’optionnel, le recours à des binaires signés va finalement devenir « aucune possibilité d’exécution de code non signé ». Apple deviendra un distributeur d’applications, et fixera des règles du jeu similaires à celles appliquées à l’iPhone. Le raisonnement fait pour l’iPhone peut être transposé au Mac. Je ne pense pas que cela se produira dans les cinq prochaines années, mais je suppose que ça arrivera tôt ou tard. (Mise à jour : si vous êtes arrivé sur ce billet par le billet de Giles qui souligne cette prédiction, la lecture de Why Apple will have a Mac App Store peut vous intéresser.)

Après tout, Apple est une société qui se base sur le DMCA (NdT : Digital Millennium Copyright Act, pendant américain à DADVSI) pour empêcher la rétro-ingénierie sur les fichiers de base de données d’un iPod, élément essentiel à l’interopérabilité d’un iPod avec d’autres plates-formes que Windows ou Mac. Une société qui déploie sans avertissement la technologie anti-copie HDCP, de façon à bloquer jusqu’à la lecture même de contenus qui ne sont pas en haute définition sur des matériels non homologués.

Heureusement il existe une autre possibilité, une possibilité qui n’implique pas de faire confiance à une unique société commerciale pour prendre en compte l’ensemble de nos besoins informatiques. Alors je n’ai ni acheté un MacBook ni un MacBook Pro, mais un Dell XPS1530 flambant neuf, qui maintenant tourne avec bonheur sous Ubuntu 8.10. Il n’est pas aussi puissant qu’un MacBook Pro, mais la configuration matérielle correspond exactement à mes besoins, et son système d’exploitation n’est pas la propriété d’une multinationale monolithique.

Comment s’est passé l’essai jusqu’ici ? Le Mac ne m’a pas manqué une seule minute. Tout a bien fonctionné.

Je garde encore une partition Windows sur la machine, mais elle ne sert vraiment plus qu’en cas d’urgence. WoW tourne à la perfection sous Wine, et la fréquence de rafraîchissement fait passer mon vieux Mac Book Pro pour un Apple II. Le jour est proche où je n’aurai plus besoin d’un Windows « au cas où » et récupérerai les 80 Gb de la partition pour un meilleur usage. De toutes les façons ce Dell est équipé d’un disque de 400 Gb, ce qui me laisse le temps de voir venir.

ITunes ? Je n’en ai pas besoin, Amarok est meilleur, de loin. Pour tous mes documents, j’utilise OpenOffice.org et j’accède ainsi à un format de fichier dont l’existence n’est pas soumise au bon vouloir d’une société, à l’inverse de Pages (NdT : traitement de texte sur Mac).

La configuration d’Ubuntu a été un plaisir. Je pense vraiment que c’est à la portée de tous, et si vous avez la malchance de rencontrer le moindre problème, une rapide recherche Google devrait vous retourner une réponse de l’étonnante communauté Ubuntu. Avec mon Dell, j’ai rencontré une difficulté avec le trackpad, problème que j’ai pu résoudre en dix minutes grâces à Google et à la communauté Ubuntu. Si vous savez installer un Windows, vous saurez sans aucun doute installer et utiliser Ubuntu

Certains aspects du boulot effectué sont particulièrement impressionnants. Le modem 3G intégré, dont mon Dell est équipé, n’a pas juste été reconnu pas Ubuntu, il était aussi fonctionnel en quelques minutes. Un clic sur l’assistant qui m’a demandé quel réseau mobile utiliser, et ça marchait. Ce fut la même chose pour mon imprimante, une HP Deskjet vieille de moins d’un an. Alors que Windows Vista ne voulait pas en entendre parler, Ubuntu l’a reconnue dès son branchement et elle a fonctionné du premier coup.

Devriez-vous en faire de même ? Si vous êtes sensibilisés aux logiciels libres et aux formats ouverts, si vous refusez d’être captifs d’un matériel ou d’un unique système d’exploitation, alors la réponse est oui. Si vous vous préoccupez davantage de la simplicité d’utilisation de votre ordinateur et êtes satisfait de ce que vous impose Apple, alors non. De tous les systèmes d’exploitation existants, la distribution Ubuntu est la plus proche d’un système d’exploitation pour tous publics, mais il n’est pas pour tout le monde.

C’est une bonne chose, parce que la monoculture est nuisible. Je souhaite que Mac OS X s’améliore et prospère, tout comme que je souhaite que Microsoft perfectionne Windows. L’émulation est positive, et une concurrence entre trois plates-formes qui adoptent chacune une approche différente est très saine.

Notes

[1] Crédit photo : Procsilas (Creative Commons By)