David Revoy, un artiste face aux IA génératives

Depuis plusieurs années, Framasoft est honoré et enchanté des illustrations que lui fournit David Revoy, comme sont ravi⋅es les lectrices et lecteurs qui apprécient les aventures de Pepper et Carrot et les graphistes qui bénéficient de ses tutoriels. Ses créations graphiques sont sous licence libre (CC-BY), ce qui est un choix courageux compte tenu des « éditeurs » dépourvus de scrupules comme on peut le lire dans cet article.

Cet artiste talentueux autant que généreux explique aujourd’hui son embarras face aux IA génératives et pourquoi son éthique ainsi que son processus créatif personnel l’empêchent de les utiliser comme le font les « IArtistes »…

Article original en anglais sur le blog de David Revoy

Traduction : Goofy, révisée par l’auteur.

Intelligence artificielle : voici pourquoi je n’utiliserai pas pour mes créations artistiques de hashtag #HumanArt, #HumanMade ou #NoAI

par David REVOY

 

Pepper sur une chaise entourée de flammes, reprise d'un célèbre mème "this is fine"
Image d’illustration : « This is not fine », licence CC-BY 4.0, source en haute résolution disponible

« C’est cool, vous avez utilisé quel IA pour faire ça ? »

« Son travail est sans aucun doute de l’IA »

« C’est de l’art fait avec de l’IA et je trouve ça déprimant… »

… voilà un échantillon des commentaires que je reçois de plus en plus sur mon travail artistique.

Et ce n’est pas agréable.

Dans un monde où des légions d’IArtistes envahissent les plateformes comme celles des médias sociaux, de DeviantArt ou ArtStation, je remarque que dans l’esprit du plus grand nombre on commence à mettre l’Art-par-IA et l’art numérique dans le même panier. En tant qu’artiste numérique qui crée son œuvre comme une vraie peinture, je trouve cette situation très injuste. J’utilise une tablette graphique, des layers (couches d’images), des peintures numériques et des pinceaux numériques. J’y travaille dur des heures et des heures. Je ne me contente pas de saisir au clavier une invite et d’appuyer sur Entrée pour avoir mes images.
C’est pourquoi j’ai commencé à ajouter les hashtags #HumanArt puis #HumanMade à mes œuvres sur les réseaux sociaux pour indiquer clairement que mon art est « fait à la main » et qu’il n’utilise pas Stable Diffusion, Dall-E, Midjourney ou n’importe quel outil de génération automatique d’images disponible aujourd’hui. Je voulais clarifier cela pour ne plus recevoir le genre de commentaires que j’ai cités au début de mon intro. Mais quel est le meilleur hashtag pour cela ?

Je ne savais pas trop, alors j’ai lancé un sondage sur mon fil Mastodon

sondage sur le fil mastodon de David : Quel hashtag recommanderiez-vous à un artiste qui veut montrer que son art n'est paz créé par IA ? réponses : 55% #HumanMade 30% #Human Art 15% Autre (commentez)
Source: https://framapiaf.org/@davidrevoy/110618065523294522

Résultats

Sur 954 personnes qui ont voté (je les remercie), #HumanMade l’emporte par 55 % contre 30 % pour #HumanArt. Mais ce qui m’a fait changer d’idée c’est la diversité et la richesse des points de vue que j’ai reçus en commentaires. Bon nombre d’entre eux étaient privés et donc vous ne pouvez pas les parcourir. Mais ils m’ont vraiment fait changer d’avis sur la question. C’est pourquoi j’ai décidé de rédiger cet article pour en parler un peu.

Critiques des hashtags #HumanMade et #HumanArt

Tout d’abord, #HumanArt sonne comme une opposition au célèbre tag #FurryArt de la communauté Furry. Bien vu, ce n’est pas ce que je veux.

Et puis #HumanMade est un choix qui a été critiqué parce que l’IA aussi était une création humaine, ce qui lui faisait perdre sa pertinence. Mais la plupart des personnes pouvaient facilement comprendre ce que #HumanMade signifierait sous une création artistique. Donc 55 % des votes était un score cohérent.

J’ai aussi reçu pas mal de propositions d’alternatives comme #HandCrafted, #HandMade, #Art et autres suggestions.

Le succès de #NoAI

J’ai également reçu beaucoup de suggestions en faveur du hashtag #NoAI, ainsi que des variantes plus drôles et surtout plus crues. C’était tout à fait marrant, mais je n’ai pas l’intention de m’attaquer à toute l’intelligence artificielle. Certains de ses usages qui reposent sur des jeux de données éthiques pourraient à l’avenir s’avérer de bons outils. J’y reviendrai plus loin dans cet article.
De toutes façons, j’ai toujours essayé d’avoir un état d’esprit « favorable à » plutôt que « opposé à » quelque chose.

C’est aux artistes qui utilisent l’IA de taguer leur message

Ceci est revenu aussi très fréquemment dans les commentaires. Malheureusement, les IArtistes taguent rarement leur travail, comme on peut le voir sur les réseaux sociaux, DeviantArt ou ArtStation. Et je les comprends, vu le nombre d’avantages qu’ils ont à ne pas le faire.

Pour commencer, ils peuvent se faire passer pour des artistes sans grand effort. Ensuite, ils peuvent conférer à leur art davantage de légitimité à leurs yeux et aux yeux de leur public. Enfin, ils peuvent probablement éviter les commentaires hostiles et les signalements des artistes anti-IA des diverses plateformes.
Je n’ai donc pas l’espoir qu’ils le feront un jour. Je déteste cette situation parce qu’elle est injuste.
Mais récemment j’ai commencé à apprécier ce comportement sous un autre angle, dans la mesure où ces impostures pourraient ruiner tous les jeux de données et les modèles d’apprentissage : les IA se dévorent elles-mêmes.

Quand David propose de saboter les jeux de données… 😛 

Pas de hashtag du tout

La dernière suggestion que j’ai fréquemment reçue était de ne pas utiliser de hashtag du tout.
En effet, écrire #HumanArt, #HumanMade ou #NoAI signalerait immédiatement le message et l’œuvre comme une cible de qualité pour l’apprentissage sur les jeux de données à venir. Comme je l’ai écrit plus haut, obtenir des jeux de données réalisées par des humains est le futur défi des IA. Je ne veux surtout pas leur faciliter la tâche.
Il m’est toujours possible d’indiquer mon éthique personnelle en écrivant « Œuvre réalisée sans utilisation de générateur d’image par IA qui repose sur des jeux de données non éthiques » dans la section d’informations de mon profil de média social, ou bien d’ajouter simplement un lien vers l’article que j’écris en ce moment même.

Conclusion et considérations sur les IA

J’ai donc pris ma décision : je n’utiliserai pour ma création artistique aucun hashtag, ni #HumanArt, ni #HumanMade, ni #NoAI.
Je continuerai à publier en ligne mes œuvres numériques, comme je le fais depuis le début des années 2000.
Je continuerai à tout publier sous une licence permissive Creative Commons et avec les fichiers sources, parce que c’est ainsi que j’aime qualifier mon art : libre et gratuit.

Malheureusement, je ne serai jamais en mesure d’empêcher des entreprises dépourvues d’éthique de siphonner complètement mes collections d’œuvres. Le mal est en tout cas déjà fait : des centaines, voire des milliers de mes illustrations et cases de bandes dessinées ont été utilisées pour entraîner leurs IA. Il est facile d’en avoir la preuve (par exemple sur haveibeentrained.com  ou bien en parcourant le jeu de données d’apprentissage Laion5B).

Je ne suis pas du tout d’accord avec ça.

Quelles sont mes possibilités ? Pas grand-chose… Je ne peux pas supprimer mes créations une à une de leur jeu de données. Elles ont été copiées sur tellement de sites de fonds d’écran, de galeries, forums et autres projets. Je n’ai pas les ressources pour me lancer là-dedans. Je ne peux pas non plus exclure mes créations futures des prochaines moissons par scans. De plus, les méthodes de protection comme Glaze me paraissent une piètre solution au problème, je ne suis pas convaincu. Pas plus que par la perspective d’imposer des filigranes à mes images…

Ne vous y trompez pas : je n’ai rien contre la technologie des IA en elle-même.On la trouve partout en ce moment. Dans le smartphones pour améliorer les photos, dans les logiciels de 3D pour éliminer le « bruit » des processeurs graphiques, dans les outils de traduction [N. de T. la présente traduction a en effet été réalisée avec l’aide DeepL pour le premier jet], derrière les moteurs de recherche etc. Les techniques de réseaux neuronaux et d’apprentissage machine sur les jeux de données s’avèrent très efficaces pour certaines tâches.
Les projets FLOSS (Free Libre and Open Source Software) eux-mêmes comme GMIC développent leurs propres bibliothèques de réseaux neuronaux. Bien sûr elles reposeront sur des jeux de données éthiques. Comme d’habitude, mon problème n’est pas la technologie en elle-même. Mon problème, c’est le mode de gouvernance et l’éthique de ceux qui utilisent de telles technologies.

Pour ma part, je continuerai à ne pas utiliser d’IA génératives dans mon travail (Stable Diffusion, Dall-E, Midjourney et Cie). Je les ai expérimentées sur les médias sociaux par le passé, parfois sérieusement, parfois en étant impressionné, mais le plus souvent de façon sarcastique .

Je n’aime pas du tout le processus des IA…

Quand je crée une nouvelle œuvre, je n’exprime pas mes idées avec des mots.
Quand je crée une nouvelle œuvre, je n’envoie pas l’idée par texto à mon cerveau.

C’est un mixage complexe d’émotions, de formes, de couleurs et de textures. C’est comme saisir au vol une scène éphémère venue d’un rêve passager rendant visite à mon cerveau. Elle n’a nul besoin d’être traduite en une formulation verbale. Quand je fais cela, je partage une part intime de mon rêve intérieur. Cela va au-delà des mots pour atteindre certaines émotions, souvenirs et sensations.
Avec les IA, les IArtistes se contentent de saisir au clavier un certains nombre de mots-clés pour le thème. Ils l’agrémentent d’autres mots-clés, ciblent l’imitation d’un artiste ou d’un style. Puis ils laissent le hasard opérer pour avoir un résultat. Ensuite ils découvrent que ce résultat, bien sûr, inclut des émotions sous forme picturale, des formes, des couleurs et des textures. Mais ces émotions sont-elles les leurs ou bien un sous-produit de leur processus ? Quoi qu’il en soit, ils peuvent posséder ces émotions.

Les IArtistes sont juste des mineurs qui forent dans les œuvres d’art générées artificiellement, c’est le nouveau Readymade numérique de notre temps. Cette technologie recherche la productivité au moindre coût et au moindre effort. Je pense que c’est très cohérent avec notre époque. Cela fournit à beaucoup d’écrivains des illustrations médiocres pour les couvertures de leurs livres, aux rédacteurs pour leurs articles, aux musiciens pour leurs albums et aux IArtistes pour leurs portfolios…

Je comprends bien qu’on ne peut pas revenir en arrière, ce public se sent comme empuissanté par les IA. Il peut finalement avoir des illustrations vite et pas cher. Et il va traiter de luddites tous les artistes qui luttent contre ça…

Mais je vais persister ici à déclarer que personnellement je n’aime pas cette forme d’art, parce qu’elle ne dit rien de ses créateurs. Ce qu’ils pensent, quel est leur goût esthétique, ce qu’ils ont en eux-mêmes pour tracer une ligne ou donner tel coup de pinceau, quelle lumière brille en eux, comment ils masquent leurs imperfections, leurs délicieuses inexactitudes en les maquillant… Je veux voir tout cela et suivre la vie des personnes, œuvre après œuvre.

J’espère que vous continuerez à suivre et soutenir mon travail artistique, les épisodes de mes bandes dessinées, mes articles et tutoriels, pour les mêmes raisons.


Vous pouvez soutenir la travail de David Revoy en devenant un mécène ou en parcourant sa boutique.




Les femmes du Bauhaus, punks avant l’heure ? – Open Culture (2)

Poursuivons aujourd’hui cette mini-série de l’été consacrée à la culture ouverte avec une facette souvent ignorée ou oubliée du mouvement artistique Bauhaus : l’importance des femmes artistes qui y figuraient. Ce nouvel article traduit du site openculture.com leur rend justice à travers quelques photographies…

Article original : The Women of the Bauhaus: See Hip, Avant-Garde Photographs of Female Students & Instructors at the Famous Art School

Traduction : Goofy

Les femmes du Bauhaus : découvrez les photographies avant-gardistes et branchées des étudiantes et professeures de la célèbre école d’art

par Josh Jones

Regardez les photos de Bush Tetras, un groupe de No Wave/Post-Punk composé de trois filles et d’un garçon, au début des années 1980, dans le centre de Manhattan.

 

Et maintenant, regardez la photographie ci-dessus, intitulée « Marcel Breuer et son harem », prise vers 1927 par le photographe du Bauhaus Erich Consemüller. Si l’on excepte le fait que Breuer ressemble plus à Ron Mael des Sparks sans moustache qu’au batteur Dee Pop, on pourrait confondre cette photo avec celle du groupe punk.

Cela soulève quelques questions : les étudiantes en art des Bush Tetras ont-elles regardé du côté des femmes du Bauhaus pour trouver leur style ? Ou bien les femmes du Bauhaus se sont-elles tournées vers l’avenir et ont-elles présagé le punk ? Le second scénario semble plus probable puisque les femmes du Bauhaus n’ont pas été terriblement connues, jusqu’à une époque récente.

Je me sens personnellement lésé, après avoir étudié l’art et l’histoire de l’art à l’université il y a de nombreuses années, qu’on ne me parle que maintenant de plusieurs artistes majeures de cette école allemande d’art radical fondée par Walter Gropius. Tous ses célèbres représentants et stars de l’art sont des hommes, mais il semble que le ratio hommes-femmes du Bauhaus ait été plus proche de celui de la population générale (comme l’était, dans de nombreux cas, celui des premières scènes punk et post-punk).

Mais nous avons tendance à ne pas retenir leurs noms ni à voir les œuvres de ces artistes et, dans certains cas, leurs œuvres ont même été attribuées à titre posthume à leurs collègues masculins. Nous ne connaissons pas non plus le style progressiste de chacune, qui compte pourtant dans l’approche globale du Bauhaus visant à révolutionner les arts, y compris la mode, comme moyen de libérer l’humanité des dogmes du passé.

Il est regrettable que la mémoire du Bauhaus, comme celle du punk, ait reproduit les mêmes vieilles règles que ses artistes ont brisées. L’égalité des sexes au sein de l’école était radicale, d’où le titre satirique de la photographie, qui « exprime le contraire exact de ce que la photo elle-même montre », note le site Bauhaus Kooperation :

« la modernité, l’émancipation, l’égalité, voire la supériorité, des femmes qui y figurent ». Le « Maître junior » de l’atelier de menuiserie, Breuer regarde les trois artistes à sa gauche « d’un air sceptique, les bras croisés », comme pour dire : « Ce sont vraiment « mes » femmes ? ! ». Les artistes du « harem », de gauche à droite, sont Martha Erps, la femme de Breuer, Katt Both, et la femme du photographe, Ruth Hollós, qui « semble réprimer le rire en regardant le photographe (son mari) ».

Erich Consemüller, qui enseignait l’architecture au Bauhaus, avait été chargé par Gropius de documenter l’école et sa vie. Gropius l’a associé à la photographe Lucia Moholy, épouse de László Moholy-Nagy (voir la photo d’elle ci-dessus, prise par son mari entre 1924 et 1928). Moholy prenait surtout des photos d’extérieur, comme la photo qu’elle a prise plus haut d’Erps et Hollós sur le toit de l’Atelierhaus à Dessau au milieu des années 1920.

Consemüller s’est principalement concentré sur les intérieurs dans son travail, avec des exceptions expérimentales comme la série « Fantaisie mécanique » que l’on voit ici, qui utilise les vêtements, les poses et les doubles expositions pour souligner visuellement une sorte d’uniformité d’objectif, en plaçant et en joignant les artistes masculins et féminins du Bauhaus dans des arrangements presque typographiques.

En effet, presque tous les artistes du Bauhaus – comme le voulait la pratique de l’école – se sont essayés à la photographie, et beaucoup ont utilisé ce médium pour documenter, de manière à la fois occasionnelle et délibérée, l’engagement du Bauhaus en faveur de l’égalité des sexes et de la pleine inclusion des femmes artistes dans ses programmes, une déclaration que le peintre et photographe T. Lux Feininger semble souligner dans la photographie de groupe ci-dessous des tisserands de l’école sur les marches du nouveau bâtiment du Bauhaus en 1927. (Artistes présents sur la photo : Léna Bergner, Gunta Stölzl, Ljuba Monastirsky, Otti Berger, Lis Beyer, Elisabeth Mueller, Rosa Berger, Ruth Hollós et Lisbeth Oestreicher).

Les artistes du Bauhaus, hommes et femmes, ressemblaient beaucoup, à certains égards, aux premiers punks, inventant de nouvelles façons de secouer l’establishment et de sortir des rôles prescrits. Mais au lieu de proposer une alternative anodine au statu quo, ils offraient une recette pour sa transformation totale par l’art. Qui peut dire jusqu’où ce mouvement aurait progressé s’il n’avait pas été brisé par les nazis. « Ensemble, écrivait Gropius, appelons de nos vœux, concevons et créons la construction de l’avenir, comprenant tout sous une seule forme, l’architecture, la sculpture et la peinture »… et presque tout le reste de l’environnement bâti et visuel, aurait-il pu ajouter.

Photo via Barbara Hershey

Pour aller plus loin (articles en anglais)

Les pionnières du mouvement artistique du Bauhaus : Découvrez Gertrud Arndt, Marianne Brandt, Anni Albers et d’autres innovatrices oubliées.

La politique et la philosophie du mouvement de design Bauhaus : Une brève introduction

Bauhaus World, un documentaire gratuit qui célèbre le 100e anniversaire de la légendaire école allemande d’art, d’architecture et de design.

L’auteur de cet article est Josh Jones, écrivain et musicien de Durham, NC. Pour suivre son compte twitter :  @jdmagness.

 


Si cet article vous a plu et que vous découvrez l’intérêt du site openculture.com, vous pouvez contribuer par une petite donation sur cette page https://www.openculture.com/help-fund-open-culture (via Paypal, Patreon et même cryptomonnaie…)





Comment se faire 10 000 boules sur le dos d’un artiste libre

Oui, ce titre sent le piège à clics bas de plancher, mais si on vous dit que la réponse est –roulements de tambours– « avec de la blockchain », vous admettrez que le titre est bien moins vulgaire que l’abus que vous allez lire ici.

David Revoy est un artiste de la culture libre, connu pour son webcomic Pepper&Carrot, pour ses innombrables contributions au libre (de ses tutoriels pour le logiciel libre de dessin Krita, aux illustrations de notre Contributopia).

Hier, il a publié sur son blog un article en anglais expliquant comment un cupide malotru vient de se faire plus de dix mille euros en parasitant son travail, grâce à de la blockchain. L’histoire est tellement injuste et minable que nous avons vite répondu à David que s’il voulait qu’on traduise et diffuse son histoire, il n’avait qu’un mot à dire (et il l’a dit ^^).

Les personnes qui gloseront sur la « bonne » ou la « mauvaise » licence pour le protéger d’une telle mésaventure risquent de passer à côté d’un élément central de ce témoignage : ceci n’est pas un dilemme légal, mais un dilemme artistique. Que cette spéculation soit légale ou non, ne change rien au fait que ce soit immoral. Ouvrir une partie de ses droits au public (par le biais d’une licence libre), ce n’est pas s’interdire de gueuler lorsqu’on trouve qu’un usage de son œuvre est nul, moche, qu’il salit nos valeurs.

Ce n’est pas un problème légal, mais artistique. David Revoy réagit comme le fait un·e artiste, en s’exprimant.

Nous vous proposons donc de l’écouter.

  • Article original sur le blog de l’auteur : Dream Cats NFT: don’t buy them
  • Traduction Framalang : Cpm, Bullcheat, retrodev, Pouhiou, Julien / Sphinx, mo, et les anonymes

10 000 euros de NFT avec mes œuvres, CC-by David Revoy

N’achetez pas les NFT « Dream Cats »

— par David Revoy

Voici une autre histoire de NFT (et il ne s’agit pas de la suite de la dernière en date, en mars dernier, après que quelqu’un a publié mon « Yin and Yang of world hunger » sur OpenSea…). Aujourd’hui, il s’agit de la publication officielle du catalogue « Dream Cat » sur OpenSea par ROPLAK, une variante de mon générateur CatAvatar de 2016 sous licence Creative Commons Attribution. Cela a été annoncé hier dans ce tweet, [edit : iel a effacé son tweet et en a fait un nouveau) et la page de catalogue OpenSea compte déjà 10 000 éléments et en a déjà vendu pour une valeur de 4,2 ETH (NdT : l’Etherneum est une crypto-monnaie), soit environ 10 000 euros en deux jours…

NFT… (Kesako ? )

Si le principe de NFT ne vous est pas familier, voyez-le comme un unique « jeton » (par exemple, un identifiant numérique) écrit dans la base de données décentralisée d’une crypto-monnaie, dans notre cas Ethereum. Ce jeton peut être attaché à n’importe quoi – souvent à une image artistique, mais cela peut être à un service, un document, une arme dans un jeu vidéo, etc. ; vous pouvez vendre cet identifiant unique sur une place de marché NFT, comme OpenSea dans notre cas. Cet identifiant peut donc avoir un propriétaire, peut prendre de la valeur avec le temps, valoir de plus en plus cher, par exemple.

Si vous préférez, c’est un peu comme le commerce des cartes rares de Magic, de Pokémon ou de Base-ball, tout cela étant payé avec de la crypto-monnaie. Les investisseurs peuvent en acheter de nouvelles, prédire celles qui seront plébiscitées, qui prendront de la valeur, pour ensuite avec celles-ci transformer leur argent en… encore plus d’argent. Nous avons ici le pur produit du capitalisme et de la spéculation, mêlé à une technologie produisant de l’ « unicité » et qui n’est pas connue pour être éco-responsable.

Pour faire court, un mélange de concepts que je hais.

C’est bon, pourquoi tant de haine ?

Je suis né dans les années 1980 et j’ai grandi dans un monde où l’accès à l’information était limité – librairies, bibliothèques, télévision. Puis, quand Internet est apparu dans ma vie, j’ai cru que cela allait ouvrir un âge d’or, parce que l’information pouvait être répliquée sur des millions de terminaux pour un coût très faible. J’ai créé un portfolio, rencontré d’autres artistes, réalisé des films sous licence libre, travaillé pour de grandes entreprises et je poursuis, en ce moment même, la création d’une série de webcomics, Pepper&Carrot, suivie par des millions de personnes. J’ai adopté la licence Creative Commons afin que d’autres puissent réutiliser mes créations graphiques sans demander d’autorisation et sans avoir à payer.

Le CatAvatar est né d’un projet personnel, développé sur mon temps libre afin de supprimer tous les CDN (NdT : réseaux de distribution de contenu) de mon site web. Comme je l’expliquais dans un billet de blog publié en 2016, je souhaitais me débarrasser du service Gravatar dans mon système de commentaires, et ce simple objectif m’a coûté plusieurs jours de travail. Il était inspiré par un désir de liberté, un désir d’offrir une alternative belle et choupi sur Internet. J’ai décidé de partager les sources et les illustrations de Catavatar gratuitement, sous la licence Créative Commons Attribution, très permissive.

À l’opposé, un système tel que NFT est une tentative d’attribuer un identifiant à chaque fichier, chaque création, pour créer une unicité artificielle afin que tout puisse être acheté. C’est un fantasme capitaliste : faire de chaque chose une propriété unique, afin que tout puisse être vendu. Vous comprenez maintenant la raison pour laquelle je déteste voir Catavatar utilisé comme NFT ? Cela va à l’encontre de la raison même pour laquelle mes créations se sont retrouvées là initialement.

Déclaration personnelle à propos des NFT :

Voir mes créations utilisées pour des NFT va à l’encontre de mon droit moral (NdT : l’auteur fait ici référence au respect de l’intégrité de l’œuvre, composante du droit moral dans le droit d’auteur français). Je vais donc être clair :

N’achetez pas de NFT fait avec mes créations.

Ne faites pas de NFT avec mon travail artistique disponible sous Creative Commons.

Si vous respectez mon œuvre, souvenez-vous de ces recommandations et appliquez-les.

Revenons maintenant au sujet du jour : le catalogue de NFT « Dream Cats ».

L’affaire des NFT « Dream Cats »

capture d'écran du catalogue Dream Cats sur OpenSea
capture d’écran du catalogue Dream Cats sur OpenSea

Tout d’abord, je ne fais aucune marge ni aucun profit sur le catalogue DreamCats d’OpenSea. Je sais que mon nom est sur chaque produit, je sais que mon nom est dans le titre du catalogue, etc. Je reçois déjà des emails à ce propos. Et, pour être clair, ce n’est pas un problème d’argent : je ne veux pas toucher le moindre pourcentage d’une vente de NFT. L’auteur, ici ROPLAK, est le seul à bénéficier des ventes, déjà 4,2 ETH, soit environ 10 000 euros, en deux jours. Il ne s’agit pas d’une poignée de dollars, c’est un marché réellement rentable, dans lequel mon nom est écrit sur chaque produit.

Les Catavatars ne sont pas utilisés tels qu’ils ont été dessinés : l’auteur a ajouté à mes dessins originaux une distorsion, un filtre généré par l’algorithme DeepDream. Cela sert à déformer les chats, mais surtout à s’assurer que chaque pixel de l’image soit modifié, permettant à l’auteur ROPLAK de revendiquer légalement cette œuvre en tant qu’œuvre dérivée.

Mais je vous laisse juger ici de la qualité artistique de « l’amélioration » de cette œuvre dérivée. DeepDream n’est pas difficile à installer, si vous savez comment exécuter un script Python ; vous pouvez vous amuser avec sur un système Ubuntu en moins de 15 minutes. Je m’y étais essayé en 2015.

L'effet DeepDream est juste un filtre. Moi aussi, je peux le faire…
L’effet DeepDream est juste un filtre. Moi aussi, je peux le faire…

Voilà, c’est tout. La valeur ajoutée que nous avons ici est celle d’un filtre apposé sur un travail que j’ai passé des heures à concevoir avec soin, à dessiner, à affiner, pour l’offrir sur le web. ROPLAK a probablement créé un script et automatisé la génération de 10 000 de ses chats de cette manière. En possédant un DreamCat, tout ce que vous possédez c’est un avatar de chat généré aléatoirement, avec un filtre par dessus.

Dream Cats et droit d’auteur

Du point de vue légal, les Dream Cats sont légitimes, car j’ai publié la bibliothèque d’images Catavatar selon les termes de la licence Creative Commons Attribution.

  • L’usage commercial est autorisé (donc pas de problème pour les vendre).
  • Les œuvres dérivées sont autorisées (donc pas de problème pour ajouter un filtre).
  • L’attribution est respectée (car correctement mentionnée).

Une seule chose n’est pas correcte : il s’agit d’une infraction à mon droit moral.

Pour moi, les NFT représentent le point culminant du capitalisme et de la spéculation. Et cette idéologie ne me convient pas. J’invoquerais probablement le respect de mon « droit moral » si mon œuvre était utilisée pour de la propagande raciste ou pour faire du mal à quiconque.

Les « droits moraux » ne sont pas transférés par une licence Creative Commons Attribution.

Je demande donc ici à ROPLAK et OpenSea, en vertu de mon droit moral, de retirer les DreamCats dès aujourd’hui. Gardez l’argent que vous avez généré avec ça, je n’en ai rien à loutre. Je refuse simplement que mon nom soit associé à quelque fraction que ce soit de l’empire NFT.

Infraction au droit moral ! Youpi ! Loi ! Tribunal !

Hummm… Non… Rien.

Je ne vais pas lancer de mots inutiles ici ou proférer de vaines menaces : je n’attaquerai ni ROPLAK ni OpenSea au tribunal.

Même si je peux prouver que les DreamCats ou n’importe quel NFT enfreignent mon droit moral. Même si, en théorie, la loi est « de mon côté ». Je n’ai pas les moyens, en temps ou en argent, d’obtenir justice.

Consulter un avocat coûterait des centaines d’euros par visite et l’étude de cette affaire demanderait beaucoup de temps. Je ne peux pas me le permettre et, pour être honnête, je n’ai pas envie de vivre cela. La vie est courte, tôt ou tard je serai mort. Je ne veux pas utiliser ainsi le temps précieux qui me reste. J’ai des dessins à partager, j’ai des histoires à écrire, je dois être là pour ma famille, mes amis et pour les projets que j’aime.

Conclusion

En France, nous avons le proverbe : Bien mal acquis ne profite jamais. C’est ce que je souhaite à toutes les personnes ayant participé à ce NFT. Je leur souhaite également de lire cet article.

Voilà, c’est tout. Ce matin, je voulais faire un tutoriel vidéo sous licence Creative Commons, pour partager des astuces et aider d’autres artistes sur le dessin et le line-art. Mais maintenant, je vais devoir méditer pour me calmer, parce que chaque fois que je retrouve cette histoire sur mon chemin, cela m’affecte et m’entrave dans la création de tutoriels, d’histoires joyeuses et d’univers colorés… Certains matins, c’est vraiment difficile d’être un artiste Libre.

Liens :




Grise Bouille, tome 2 : lisez des BD moches !

Simon Giraudot nous les brise menu. Quand on a son talent, on arrête de faire le modeste, de prétendre à l’autodérision, de se faire tout petit face aux grands maîtres qu’on a adulés depuis tout petit (« Ahhh Gotlib, quel génie ! », etc.).

Mais c’est plus fort que lui : cette année encore le voilà qui récidive avec son pourtant génial Grise Bouille. Tiens, rien qu’avec un nom pareil, le gars se tire une roquette dans le pied. Passons. Et en plus c’est le même titre que le premier, juste « Grise Bouille 2 », même pas un effort pour le vendre, genre : « Grise Bouille revient, il va vous en coller plein la tronche », « Grise Bouille, l’alarme absolue contre la connerie » ou quelque autre slogan un peu chatouilleur.

Et les textes.

Vous vous rendez compte des textes ? Ce mec écrit avec une acuité et une verve dont nous sommes tous jaloux et il insère ça un peu au hasard dans des bulles et des sortes d’éditoriaux entre les dessins au lieu de chroniquer l’actu dans Fakir ou Rue89. Franchement, Simon, faut que t’arrêtes de pas te la péter.

Bon mais à quoi ça sert qu’on lui dise ça ? il est trop buté l’animal, nous on n’y arrive plus.

À moins que vous peut-être…

Vous qui allez télécharger et/ou acheter ce nouveau volume depuis sa page Framabook, vous, qui suivez ses petits chefs-d’œuvres depuis des années et vous qui peut-être allez au contraire les découvrir (tous ses albums sont disponibles chez Framabook), vous avez un rôle à jouer : lisez, diffusez, détournez ses albums, faites-les connaître et apprécier, inondez ses comptes twitter, mastodon et framasphère de compliments dithyrambiques, érigez à sa gloire un monument d’éloges, bref traitez-le comme il le mérite !

Nous, on sait plus quoi lui dire à part lui poser des questions…

Hello Gee !

Tu présentes le tome 2 de ton blog, qui rassemble les articles de l’année 2016… alors ce 2016, c’est un bon cru ?

Le tome 2, c’est moins d’articles mais plus de pages que le tome 1 : des articles souvent plus longs, plus étayés, qui prennent leur temps pour poser les choses. Je pense que c’est aussi une BD qui « se cherche » moins que pendant la première année. Il y a un côté plus affirmé, plus assuré. Quant à savoir si c’est un bon cru… c’est au lecteur de juger, non ?

À chaque bilan/rétrospective d’une année, on a envie de se dire « ouais, ça peut pas être pire, l’an prochain ça ira mieux… » Ce coup-là aussi ?

C’est plus compliqué que ça. D’un côté, faut pas se leurrer, c’est la merde intégrale, entre l’urgence sociale et environnementale que personne ne semble prendre en compte sérieusement (t’as qu’à voir les résultats du 1er tour de la présidentielle) et cet espèce de fatalisme qui s’insinue chez tout le monde. Et en même temps, il reste ce mouvement de fond, diffus, de gens qui s’informent et qui en s’informant se font de moins en moins avoir ; de gens qui essaient de construire, de faire des choses différemment ; de gens qui essaient d’insuffler un peu d’espoir dans cette société et, au passage, d’en retrouver pour eux-mêmes.

Et perso, le cynisme de convenance, j’ai donné, merci. Je préfère me concentrer sur ce qu’on va pouvoir faire, nous les gens, ensemble, ça me permet au moins de me lever le matin sans avoir envie de me recoucher immédiatement. Ça ne m’empêchera pas de gueuler sur les politiciens, hein, mais c’est pas mon mètre-étalon de ce qui est important dans notre société (sinon, t’imagines dans quelle merde on serait). Bref, pendant que les dominants encouragent un monde qui court à sa perte, nous on continue d’essayer autre chose. Et le pire, c’est que si ça trouve, on va y arriver.

Mais bon, Grise Bouille ne parle pas que d’actualité, c’est même une petite part de ton blog… D’ailleurs qu’est-ce que tu préfères préparer : un article de vulgarisation informatique ou un article fun et fan sur Star Wars ou Harry Potter ?

Je vais te dire, ce que je préfère, ce sont les articles complètement débiles comme « Le grand cerf et le lapin » ou encore « Dragon & fine aigrette ». Parce qu’en fait, quand je commence à écrire un truc comme ça, y’a une espèce de liberté, je sais que je peux partir dans les délires les plus idiots et pousser le concept à fond. Peu importe, l’idée c’est qu’on se marre un peu plus à chaque case. Et c’est vachement jouissif d’écrire des trucs comme ça : c’est typiquement le genre d’article où je me marre moi-même en relisant (ouais je sais, faut pas dire ça normalement, ça fait mec content de lui, mais j’assume).

Le revers de la médaille, c’est que trouver un sujet qui me permette de partir dans des délires du genre, c’est pas si simple, du coup il y a assez peu d’articles comme ça. En général je fais comme Gotlib, je prends une histoire de la culture populaire / traditionnelle et je la triture dans tous les sens.

Note que ce sont aussi des articles qui sont en général moyennement lus / partagés (beaucoup moins que les articles politiques et scientifiques), donc peut-être que ça ne fait marrer que moi.

Euh l’autre ! Pourquoi tu fais des efforts pour qu’on te prenne pas au sérieux alors que tu dis des choses importantes ? Tu veux nous faire croire que tu fais seulement des petits mickeys ?

Attends, Mickey c’était un gros rebelle, au début !

Enfin bon, j’ai jamais bien compris cette espèce de loi que certains voudraient mettre en place et qui dit qu’un dessin enfantin ne peut porter qu’un discours enfantin. Vous avez déjà regardé South Park ? Le dessin, sur mes blogs, ça a toujours été un support pour porter un discours : les deux traits tracés à l’arrache sur une tablette graphique minuscule, ça veut juste dire que je suis pressé de dire ce que j’ai à dire. Je pense que si je n’avais pas su dessiner du tout, j’aurais juste fait un blog avec du texte. D’ailleurs ça m’arrive de me passer des dessins.

Les dessins, l’avantage, c’est que ça apporte aussi une distance : Grise Bouille, c’est pas un type qui a la science infuse qui vous déverse la vérité absolue, ce sont des petits personnages qui taillent le bout de gras et à vous de voir ce que vous voulez en retirer. Oui je sais, ça sonne un peu comme « amis lecteurs, démerdez-vous », mais après tout c’est libre, ni repris ni échangé, et sans garantie.

Y’a une vraie évolution dans ton blog, on sent que tu as une envie de plus en plus appuyée que ton lectorat se détende ET réfléchisse… L’un va avec l’autre ?

Je pense que c’est dans la continuité du précédent. L’un ne va pas nécessairement avec l’autre, mais ça peut aider : tu retiens toujours mieux les paroles d’une chanson que tu aimes bien que les intégrales et dérivées usuelles… alors si ta chanson peut parler de maths, quelque part, ça peut t’aider à les retenir. Après, dans le blog, l’un va parfois sans l’autre aussi : les articles politiques de cette année sont parfois assez peu humoristiques tellement ils témoignent d’un sentiment d’écœurement ; à l’opposé, certains articles purement humoristiques n’ont pas franchement de valeur de réflexion (encore que 😉 ).

Cliquez-y la face si vous voulez atterrir sur son blog !

Dis donc, tu te fous de la gueule de tout le monde, finalement ! Tu serais pas un peu anarchisse ?

Ah parce que l’anarchisme, tu résumes à ça à se foutre de la gueule de tout le monde ? C’est vachement réducteur, non ? Disons que l’humour me semble avoir plus de sens et de poids lorsqu’il est dirigé contre les dominants et les puissants. De ce point de vue, il y a effectivement un aspect de refus de l’autorité (ou des autorités, voire même des figures d’autorité). Je vais pas jouer au chevalier blanc, moi aussi j’me suis marré devant les Deschiens et les Bidochons, mais j’ai de plus en plus de mal avec ça : y’a un vrai côté mépris de classe dans la moquerie du plus pauvre, du moins cultivé, du plus beauf, du plus prolo (rayez les mentions inutiles) qui, à mon sens, joue dans le sens du système qui a tout intérêt à monter les gens les uns contre les autres en bas de l’échelle.

Alors que c’est tellement plus amusant de se foutre de la gueule de la tripotée de branquignols qui ont les clefs du dit système, les Macron, les Hollande, les Sarko, les Arnault, les Bettencourt, etc. Se moquer d’un con, c’est bien, se moquer d’un con qui a du pouvoir, c’est mieux. Après, on va pas péter plus haut que nos culs (de peur d’avoir du caca derrière les oreilles), c’est pas avec mes gribouillages et mes jeux de mots pourris qu’on va faire la révolution, m’enfin si ça peut en donner l’ambiance (festive, cela va de soi), c’est déjà ça.

Non franchement, il est bien ton bouquin, là… mais c’est un peu mal dessiné, quand même, hein ? Genre bâclé, quoi.

J’suis bien d’accord, heureusement que la version numérique est gratos, sinon t’imagines le scandale ? D’ailleurs heureusement que Pouhiou a fait la préface, c’est ma caution intellectuelle pour arriver à vendre cette connerie. (Note de Pouhiou : « Eh ben on a pas le cul sorti des ronces. Pourtant mon cul… »)

Bon, après, même le titre dissimule à peine le fait que ce sont des gribouillages, alors faites pas comme si vous étiez pas prévenus. Pis au moins, vous souffrirez pas du syndrome d’infériorité en lisant mes bouquins, y’a un côté « dédramatisons le dessin ». Moi par exemple, j’ai arrêté de regarder les BD de David Revoy, attends, c’était trop joli, ça me déprimait en me renvoyant à ma propre médiocrité.

Bref, soyez décomplexé⋅e⋅s, lisez des BD moches !

Pour aller plus loin :




Julie et le droit de copie

Julie Guillot est une artiste graphique (son book en ligne) qui vient d’entamer le récit de son cheminement vers le partage libre de ses œuvres. Elle y témoigne de façon amusante et réfléchie de ses doutes et ignorances, puis de sa découverte progressive des libertés de création et de copie…

C’est avec plaisir que nous republions ici cette trajectoire magnifiquement illustrée.

Droit de copie #1

Une chronique de Julie Guillot publiée d’abord sur son blog

Quand j’ai créé ce blog il y a 2 ans, puis le second sur les violences scolaires, mes proches m’ont encouragée et soutenue. Mais beaucoup (parfois les mêmes) m’ont aussi mise en garde, voire se sont sérieusement inquiétés.

Julie_Guillot_dessins

Ces peurs étaient très liées à Internet, à l’idée d’un espace immense, obscur, peu ou pas réglementé, ainsi qu’à la notion de gratuité qui en fait partie. Y publier ses images et ses productions reviendrait à les jeter par la fenêtre.

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Mais la crainte était, au-delà d’Internet et du support blog, une crainte (vraiment forte) du pillage, de l’expropriation et de la copie.

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Personnellement, je ne pensais pas d’emblée à ces « risques ». J’avais envie et besoin de montrer mon travail, donc de le partager. Mais devant ces alertes, et voyant que tout le monde semblait partager le sentiment du danger et le besoin de s’en protéger, j’ai apposé un copyright en bas de mon blog, avec la mention « tous droits réservés », et j’ai supprimé le clic droit.

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En fait je n’avais pas du tout réfléchi à cette question. Je ne savais pas grand chose du droit d’auteur et du copyright.

Mais dès le début je ressentais une forme de malaise. Je savais que supprimer le clic droit n’empêcherait personne de récupérer une image. Et j’avais vaguement entendu que cette mention de copyright ne servait pas à grand-chose non plus.

Était-ce une saine prudence… ou une forme de paranoïa ?

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Et puis, j’ai commencé à recevoir des demandes de personnes qui souhaitaient utiliser mes images. Pour une expo, un travail de recherche, une conférence, un cours…. Spontanément, je disais toujours oui. Parce que je ne voyais aucune raison de refuser. Non seulement je trouvais cela flatteur, mais en plus cela m’apparaissait comme une évolution logique et saine de mon travail : à quoi sert-il s’il ne peut être diffusé, partagé, utile aux autres ?

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Petit à petit cela m’a fait réfléchir. Des gens venaient me demander mon autorisation simplement pour citer mon blog quelque part (ce qui n’est pas interdit par le droit d’auteur… !). Je ne pouvais pas le leur reprocher : après tout, j’avais apposé une mention « touts droits réservés ». Mais l’absurdité de la situation commençait à me parvenir.

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Un jour, j’ai reçu une demande d’ordre plus « commercial » : quelqu’un qui souhaitait utiliser mes images pour une campagne de financement d’une épicerie végane.

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Spontanément, j’ai hésité. Ne devais-je pas lui demander de l’argent ?
J’ai exprimé des conditions : je voulais être informée des images qu’il utiliserait, à quel endroit, des textes qu’il allait modifier, etc. Ce qu’il a accepté.
Mais très vite je me suis demandé pourquoi j’avais posé de telles conditions. Parce qu’en réalité, ça m’était égal.

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Finalement, il n’a pas utilisé mes images. Mais il m’a permis de réaliser que je n’avais pas de position claire sur la manière dont je voulais partager ou non mon travail, que je ne connaissais rien à la législation, aux licences d’utilisation et à de possibles alternatives.

 

J’ai donc commencé à m’intéresser de plus près à ces questions de copyright, de droit d’auteur, de culture libre et de licences.

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Ce qui m’a amenée à réfléchir à me conception de l’art, de la créativité, et même, plus largement, du travail.

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Gwenn Seemel explique très bien que le droit d’auteur n’est pas uniquement un système juridique, mais un paradigme :

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Nous envisageons l’art, la production de la pensée, comme des productions inaliénables ; nous assimilons la copie à du vol ; nous considérons l’imitation comme un acte malhonnête, une paresse, quelque chose de forcément blâmable. Il va de soi que nous devons demander l’utilisation à quelqu’unE pour utiliser ses écrits, ses images, sa musique, afin de créer quelque chose avec. Et nous ne remettons quasiment jamais ce paradigme en question.

Nous avons tous grandi avec l’idée que copier était (très) (très) mal. Et punissable.

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Quand j’étais à la fac, certainEs étudiantEs refusaient de dire quel était leur sujet de mémoire ou de thèse…de peur qu’on leur « pique » leur(s) idée(s). J’étais naïve…et consternée.

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C’était pour moi incompatible avec la conception que j’avais de la recherche et du travail intellectuel.

Bien sûr, ces comportements sont le résultat de la compétition qui structure notre société et une grande partie de nos relations. Toute production est considérée comme strictement individuelle, personnelle, comme si nous étions capables de créer à partir de rien.

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Je me suis sentie profondément enthousiaste de découvrir des artistes qui rendent leurs oeuvres publiques, c’est à dire qui en permettent la libre diffusion, la copie, l’utilisation, la modification, des gens qui réfléchissent à ces questions et militent pour une culture différente.

Comme Nina Paley, par exemple :

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J’étais convaincue, au fond, par la pertinence d’une culture sans copyright et je me sentais soulagée à l’idée de franchir le pas, moi aussi.

Je n’ai jamais ressenti un sentiment fort de propriété vis-à-vis de mes dessins.

J’ai toujours aimé copier, je m’inspire du travail des autres (comme tout le monde), et je trouve a priori naturel que mes productions puissent circuler, servir à d’autres, être utilisées et même transformées.

L’idée de pouvoir utiliser les œuvres des autres, comme me dessiner habillée en Gwenn Seemel, est tout aussi enthousiasmante.

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Cet élan spontané cohabitait en moi avec la persistance de craintes et de méfiances :

et si on se faisait de l’argent « sur mon dos » ? Et si je le regrettais ? Ne suis-je pas responsable de tout ce que je produis, et donc de tout ce que deviennent mes productions ? Ne devrais-je pas demander de l’argent pour toute utilisation de ce que j’ai fait ? Est-ce que je ne fais donc rien d’original et de personnel ? Et si cela m’empêchait de gagner de l’argent avec mon travail artistique ? Et comment faire dans une société où le principe du droit d’auteur est la règle ?

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J’avais besoin d’en savoir plus sur les aspects juridiques de la question, même si ça me semblait au départ rébarbatif.

Alors je me suis penchée sur le sujet. Comme dit Gwenn Seemel, personne ne va se brosser les dents à votre place.

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(mais il y a des gens qui fournissent le dentifrice, et ça c’est sympa).

[À suivre…]

Gwenn Seemel m’a beaucoup aidée à avancer dans ma réflexion sur le droit d’auteur, la culture libre, la pratique de l’art en général. Ses vidéos et ses articles ont répondu à beaucoup de mes questions (puisqu’elle s’était posé les mêmes que moi, logiquement). Je vous conseille la lecture de son blog, et de son livre sur le copyright.

Le blog de S.I.lex est aussi une mine d’informations sur le sujet.




Bon tant pis♫, le revoici !

Il revient et il en a gros

folie

Avertissement :

Si vous ne pouvez pas répondre un OUI franc et massif à au moins quatre des questions ci-dessous, la lecture de cet article est ajournée pour vous. Revenez pour la session de septembre.

Oui maintenant que nous sommes entre nous, je vous le confirme : le bon docteur Giraudot, aka Gee, aka Ptilouk,… revient, sans d’ailleurs être jamais parti, nous soigner par le rire la dépression post-adolescente avec la parution aujourd’hui du premier tome de Grise Bouille, et un tournant dans ce qu’on peut appeler une œuvre au sens plein du terme. Les fidèles de Simon ont suivi impavides et fébriles les épisodes successifs depuis un peu plus d’un an, voici l’heure de la publication de l’album, chez Framabook bien sûr (what else?)

Avant de déguster l’opus par le menu, profitons d’un instant ou il délaisse sa guitare électrique pour lui poser quelques questions.


Ce qui fait le prix de tes textes et dessins satiriques ce n’est pas seulement leur acidité corrosive, certes bien présente, mais la dérision et même souvent l’autodérision. Pourquoi, tu as peur qu’on te prenne au sérieux ?

photo3Il y a le fond et il y a la forme. Sur la forme, mes BD restent à peu près toujours sur le thème de la déconne, mais sur le fond, il y a parfois quelque chose de plus sérieux, un message, une opinion… L’autodérision permet aussi d’apporter un recul par rapport à ça, de montrer que même si je suis d’accord avec telle ou telle idée, je sais qu’elle est critiquable et que ce n’est pas la vérité absolue. Effectivement, je ne voudrais pas qu’on me prenne trop au sérieux. Je suis un mec qui gribouille des bêtises derrière son écran : si je dis parfois des choses intéressantes, ce sont ces choses qu’il faut prendre au sérieux, pas moi.

Quand tu étais petit (autrefois, au siècle dernier), quels sont les auteurs de BD qui t’ont donné envie de les égaler ? Will Eisner, Crumb, Kurzman, Gotlib, Giotto, Reiser… ?

HeyLookshuddup
Un dessin d’Harvey Kurzman, sur le site de Sherm Cohen

Au siècle dernier comme tu dis, j’avoue que j’étais très très classique sur mes lectures. J’adorais Spirou et Fantasio (surtout la période Tome & Janry) avec ce côté « grandes aventures » mais qui ne se prenait jamais trop au sérieux. On achetait pas mal le Journal de Spirou avec ma grande sœur, du coup je suis surtout familier de ce qui y était publié à l’époque : Kid Paddle, les Psys, le Petit Spirou, Passe-moi l’ciel, etc. Bien sûr, je lisais aussi les autres classiques franco-belges (Astérix, Lucky Luke). J’ai toujours été hermétique aux mangas et je n’ai jamais trop eu l’occasion de me mettre aux comics US, alors je suis resté sur ça.

Après, là où j’ai vraiment trouvé mon maître à penser, Gotlib, c’était plutôt à l’adolescence (et sans vouloir faire mon jeunot, c’était déjà le XXIe siècle :p). J’ai dévoré toutes les Rubriques-à-Brac de long en large. C’est sans aucun conteste mon auteur préféré, il a un ton tellement unique, avec ses propres codes et son propre vocabulaire, un peu comme l’a fait Alexandre Astier avec Kaamelott (dans un style bien différent, c’est sûr).

Pourquoi Grise Bouille ? Une référence au personnage de la Comtesse de Ségur dont la sœur a hanté tes premiers émois ? La tentation de te saouler la gueule en parcourant l’actualité ? Encore de l’autodérision pour nous faire croire que tes petits chefs-d’œuvre ne sont à tes yeux que des gribouillis de potache ?

Ah, le titre du blog… c’est ce que j’ai trouvé en dernier quand j’ai commencé à travailler dessus, et ça a été très dur. Comment tu veux nommer un truc qui n’a pas de ligne éditoriale ? Sans tomber dans le banal comme « Les dessins de Gee » ou le contraire, le truc pompeux à mort. J’ai fini par me dire que ce qui caractérisait le plus mes dessins, c’était le côté gribouillage (ce n’est pas de la fausse modestie hein, c’est objectivement le cas : quand tu vois par exemple ce que font des types comme David Revoy, on ne joue juste pas dans la même cour). Et puis j’aimais bien l’effet désuet du mot « bouille » et le fait qu’on puisse prendre « grise » à la fois comme la couleur et comme le verbe « griser » (le blog qui vous grise la bouille). Assez représentatif de la dichotomie entre l’actu déprimante exposée sur le blog et le côté déconne…

Dans les titres auxquels vous avez échappé (je ressors mon brouillon qui contient une groooosse liste d’idées de titres), il y avait : « La fourche et la plume » (déjà pris), « Sang d’encre », « Barouf Malade », « Joyeux Boxon », « Zone Libre » (quand je te parlais de titre pompeux…), « La plume et le pavé » (pour être fiché par les RG directement), « Libre entre les lignes » (ça c’était bien pourri), « Le lapin déchaîné », « Le lapin libéré », « Le lapin de semaines » (oui, j’aime bien les lapins – ça aurait été la mascotte du blog) ou encore « Figure de stylet ».

geeBlog

Depuis que tu as entamé Grise Bouille tes propos sont beaucoup plus radicaux et politiques, tu consacres autant de textes que d’images à démonter les ignominies étatiques et au passage, on se rend compte que quand tu es bien énervé, ton style est carrément bon. Ce n’est plus trop l’actualité du Libre que tu brocardes c’est plutôt l’actualité des conneries sécuritaires et liberticides que tu attaques à la scie circulaire. C’est toi qui as changé ou bien c’est l’urgence des événements qui te stimule ?

Il y a toujours eu un petit côté politique même sur le Geektionnerd. Mais la forme était très contraignante, trop de texte pour des cases trop petites avec des dessins qui se retrouvaient écrasés. Grise Bouille, c’est aussi le résultat de 5 ans d’expérience Geektionnerd : j’assume beaucoup plus l’aspect politique (qui est d’ailleurs carrément affirmé par l’entête de la catégorie « La fourche ») et je le maîtrise sans doute beaucoup mieux. Le truc, c’est que plus tu t’intéresses à l’actualité, au fonctionnement de

la Marianne de Gee n'est pas contente
la Marianne de Gee n’est pas contente

l’économie, de la politique française, etc., plus tu t’étonnes que ça ne gueule pas plus, que ça continue à fonctionner sans (trop de) heurts. C’est un peu en train de craquer avec la Loi travail, mais quand tu vois l’accumulation de trucs qu’on nous fait avaler année après année (et ça ne date pas de Hollande hein, ni même de Sarkozy), tu te dis qu’il y a quand même une sacrée grande force à l’œuvre pour maintenir tout le monde dans l’anesthésie. Et je ne suis pas complotiste, je pense que quand les différents pouvoirs (politique, médiatique, financier…) ont des intérêts communs, ils n’ont pas besoin de « comploter » pour maintenir la barque dans le même cap. Juste de se renvoyer la balle régulièrement…

Dis tonton Simon, raconte-nous la belle histoire de ton engagement dans le Libre. Tu es tombé dedans quand tu étais petit ou bien ça t’est venu tout d’un coup en buvant une chope de potion magique ?
Là, j’ai un parcours assez classique… On commence par en avoir marre de Windows XP, on voit Vista arriver avec une réputation catastrophique, on a un copain qui nous parle d’un truc bizarre appelé Ubuntu, on l’installe et voilà. La pente fatale. Après on galère un peu, on se dit que c’est cool, on s’intéresse un peu à ce qu’il y a derrière, on voit qu’il y a aussi des idées. Puis on se rend compte qu’elles s’appliquent aussi à l’art, que ça fourmille vachement de ce côté-là.

En fait, quand tu viens d’un monde hyper-cynique comme le nôtre, où on met en permanence les gens en compétition et en opposition, où tout le monde se méfie de tout le monde, où il y a une arnaque derrière chaque bon plan, où « si c’est gratuit, c’est toi le produit »… bah tu découvres le monde du Libre et t’as l’impression de revivre, tu retrouves de l’espoir, tu te dis qu’il y a des solutions pour s’en sortir ensemble, tu éteints BFM TV et tu arrêtes de croire qu’on est tous foutus et que le monde va s’écrouler. Ce n’est pas de l’optimisme béat, bien sûr que c’est globalement la merde, mais partout tu as des initiatives comme le Libre qui se mettent doucement en place et tu vois juste que, quand on sollicite ce qu’il y a de bien chez les gens (l’entraide, la solidarité), il y a une énergie et une volonté d’améliorer les choses qui sont complètement ignorées par le système actuel basé sur la compétition à tous les étages.

À chaque fois que tu publies, tu le fais en licence libre. Laquelle et pourquoi ? Allez, à nous tu peux le dire, tu ne regrettes pas un peu ? Tu ne crois pas que tu as raté ta carrière de dessinateur adulé des foules et partageant le saladier de coke avec des jeunes femmes compréhensives ?

Je publie en CC By Sa parce que c’est Libre et que ça peut potentiellement emmerder les gens qui voudraient l’utiliser pour faire du non-Libre (double rainbow donc). Pas de regret non. C’était quoi l’alternative ? Faire un truc à l’encontre de mes convictions puis me la jouer Ministre issue d’EELV qui va t’expliquer qu’elle ne s’est absolument pas corrompue et n’a pas du tout baissé son froc pour une place au soleil ? Même quand tu fais du non-Libre, la probabilité de devenir riche en gribouillant des bêtises est proche de zéro, et même si c’était le cas… au bout d’un moment c’est libérateur d’arrêter de lier la réussite financière à l’accomplissement personnel. Je n’en vis pas, mais personne n’en vit, ou presque. Arrêtons de blâmer les gens qui téléchargent et partagent des œuvres alors que c’est juste le système entier de rémunération des auteurs (et, au-delà de ça, de répartition des richesses en général) qui est moisi. Dirigeons notre colère vers ceux qui ont les clefs du système, par vers ceux qui sont juste un peu plus ou un peu moins lotis que nous.

Et ça rapporte, Tipeee ?

Doucement oui. J’en suis à une trentaine d’euros par mois. Je pense que je pourrais faire bien plus si je m’investissais vraiment là-dedans (en proposant des contreparties, en faisant régulièrement des appels à participer), mais je n’en ai pas la motivation. J’ai un boulot qui paie bien et je n’ai pas « besoin » de plus : Tipeee, Flattr, tout ça, c’est surtout pour montrer une alternative, pour donner l’occasion à ceux qui le veulent de soutenir un auteur qui publie du Libre. Si un jour je décide que je veux en vivre (mais rien ne dit que je puisse le faire, c’est sûr), ce sera une bonne piste à explorer, parce que c’est bien plus stable et plus efficace que Flattr à mon sens (même si l’initiative est louable également).

Au plan graphique tu as pas mal de cordes à ton ukulélé, on voit d’ailleurs dans cet album quelques aquarelles, mais qu’est-ce qui te fais revenir un peu au format du comic strip et au dessin dynamique après d’autres tentatives comme celle de Superflu ?

Ce blog, comme je l’ai dit, c’est une sorte de Geektionnerd débarrassé de ce qui me gonflait dans le Geektionnerd (la forme trop restrictive). Avant, je devais caler ce que je voulais dire/écrire dans le format Geektionnerd (tiens, Thierry Stoehr a bien raison de dire que tout part du format). Maintenant, j’écris et je dessine comme je pense, c’est le format qui s’adapte à ce que je veux faire.

Et puis, l’avantage du strip, c’est l’immédiateté du truc : avec Superflu (qui a été mis entre parenthèses récemment mais ça ne va pas durer), je dessine aujourd’hui des blagues que j’ai écrites il y a 2 ans… Avec Grise Bouille, je peux avoir une idée à midi, écrire le scénario à 17h, boucler le dessin dans la soirée et publier le lendemain. La plupart du temps, c’est un peu plus étendu (sur quelques jours) mais c’est l’idée.

Dis-donc on t’aime bien mais c’est un peu confus sur le site de Grise Bouille : tu as un tas de rubriques, comment on fait pour tout suivre ? Moi qui suis fan j’ai du mal à ne rater aucune de tes productions, ça serait pas plus simple de mettre tout dans l’ordre chronologique avec des tags de catégories et voilà ?

C’est comme ça que c’est rangé sur la page principale : tous les articles dans l’ordre chronologique (enfin, anti-chronologique pour être exact). Les catégories sont là pour préciser ce que le lecteur va voir et, pourquoi pas, sélectionner. Par exemple, quelqu’un qui aime mon humour mais pas mes opinions politiques peut zapper la catégorie « La fourche ». J’écris aussi des nouvelles dans « La plume » et je fais de la musique dans « Jukebox » : ceux qui s’en foutent peuvent les ignorer.
Tu vois, je ne suis vraiment pas dans le plan de carrière de dessinateur : j’aide carrément mes lecteurs à lire moins de trucs sur mon blog !

Bon, et cet album de Grise Bouille, c’est le premier d’une longue série ou c’est un one shot ?

À priori, on part sur un livre par an, pour résumer l’année précédente (celui-ci se concentre donc sur 2015). Ce ne sont pas à proprement parler des « intégrales » parce qu’il y a des articles non-inclus (ceux sur l’actualité du blog par exemple, sans parler des nouvelles et de la musique bien sûr), mais on n’en est vraiment pas loin. On verra aussi combien de temps dure le blog, s’il y a toujours matière à faire des bouquins et si le comité éditorial de Framabook est toujours d’accord, mais ça me semble plutôt bien parti.

Merci Docteur Gee pour cette consultation !

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Puisque vous avez lu jusqu’ici, vous méritez bien de vous régaler en allant déguster le tome 1 de Grise Bouille !




Le poivre, la carotte et la sorcière : une interview de David Revoy

Trouver des auteurs de logiciels libres, c’est relativement simple. Il n’y a qu’à se pencher sur un paquet Debian pour en trouver. Trouver des artistes qui mettent leurs productions sous licence libre, c’est déjà un peu plus rare.

Connaissez-vous David Revoy ? Non ? Et pourtant, vous avez sans doute déjà vu des projets auxquels il a contribué. Il a en effet travaillé (entre autres) à plusieurs projets de la fondation Blender : Sintel, Tears of Steel

Mais c’est plutôt son webcomic Pepper & Carrot qui nous a poussés à l’interviewer. D’une rare qualité, les aventures de cette jeune sorcière et de son chat nous ont séduits, tant par les dessins magnifiques que par son humour.

Un auteur Open-Source

Bonjour David. Tu peux te présenter un peu ? Ton parcours, ton travail, tes projets…

Bonjour, j’ai 34 ans et je suis un Montalbanais passionné de dessin et d’informatique depuis l’enfance. Au cours de ces quinze dernières années, j’ai eu un parcours de freelance passant par l’illustration (couverture de livre et jeu de société), par le concept-art (décors/engins et persos dans les jeux vidéos) et parfois par la direction artistique de projets.
L’an dernier, j’ai créé Pepper&Carrot, un projet de webcomic libre et open-source financé grâces au mécénat des lecteurs. Peu après et grâce au succès de la série, j’ai décidé d’arrêter le freelance pour me consacrer à plein temps à la création de nouveaux épisodes et aux extras (traductions, tutoriaux, wiki, téléchargements gratuits…).

Tu expliques sur ton site pourquoi tu as choisi l’Open Source. Tu peux nous faire un petit résumé pour nos lecteurs qui ne maîtrisent pas la langue de Shakespeare ?

Je vais essayer de résumer ça mais tout d’abord je tenais à vous remercier, car j’ai abordé le libre entre 2003 et 2005 grâce au portail de Framasoft d’il y a dix ans. A l’époque j’utilisais Windows XP et cela m’a permis d’adopter Blender, Inkscape, Firefox, LibreOffice et FileZilla. Mon abandon total des logiciels propriétaires s’est fait peu de temps après. Je venais d’acheter un nouveau PC livré avec ‘Windows Vista’ pré-installé. J’avais une licence ‘XP pro’ en boîte et je comptais réinstaller ce système car tous mes logiciels dépendaient de ce système. Malheureusement pour moi, la carte mère du PC Vista n’avais pas de pilote pour XP disponible et mes licences logicielles professionnelles (Photoshop, Painter, Manga Studio; plusieurs milliers d’euros) était toutes instables avec Windows Vista. Mettre tout à jour était très coûteux et n’apportait aucunes nouvelles fonctionnalités.

Cette stratégie de mise à jour forcée me paraissait injuste. Je ne voulais pas alimenter les créateurs d’un tel système avec mon argent. C’est donc cet événement qui m’a poussé vers le 100% GNU/Linux. Voici une vidéo d’époque :

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Tu as travaillé sur pas mal de jeux vidéos. Pourquoi faire une BD ? C’était quelque chose qui te trottait dans la tête ou ça t’est arrivé comme ça ?

J’aime beaucoup les jeux vidéos et le cinéma d’animation, mais être auteur de bande-dessinée c’est mon rêve d’enfance. C’est la passion que j’ai toujours essayé de préserver. La BD, c’est l’art qui me touche le plus et celui dans lequel je m’exprime avec le plus de liberté. Pour la création de Pepper&Carrot, c’est vrai que c’est arrivé un peu « comme ça ». Tout a commencé un dimanche soir d’avril 2014 particulièrement calme, j’ai fait un speedpainting (une peinture numérique à la tablette graphique). J’ai enregistré ce qui ce passait à l’écran par coïncidence ce jour-là :

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J’avais là une petite sorcière, un chat, une scène… La semaine qui a suivi j’ai ajouté d’autres cases et cela a formé une petite histoire. L’épisode 1 est né ainsi.

Ce petit projet personnel a eu beaucoup de succès, alors j’ai décidé de faire un épisode 2. Puis 3, puis 4… Ce mois-ci, je fais l’épisode 14. L’audience me porte par son enthousiasme. C’est ainsi qu’est né et continue de grandir Pepper&Carrot; un pas devant l’autre, très connecté au présent.

Tu utilises des logiciels libres ou open-source, mais lesquels ? Et qu’est-ce qui t’as décidé à libérer tes œuvres ?

J’utilise essentiellement Krita sur Linux Mint. Mes outils secondaires sont Inkscape, Blender, Gimp, Mypaint, G’Mic et Imagemagick.

J’ai commencé à libérer mes œuvres à la Blender Foundation quand je travaillais sur la direction artistique du court-métrage Sintel. C’était dans le cahier des charges de mettre tous les dessins préparatoires en Creative Commons Attribution. J’ai pu donc faire l’expérience directe de travailler avec cette licence très ouverte au sein d’une grande audience. L’expérience fût très positive. C’est ainsi que j’ai appris à connaître, et ensuite adopté les licence Creatives Commons.

Tes projets sont sous licence CC-BY, CC-BY-SA, CC-BY-NC-ND, copyright classique… Qu’est-ce qui détermine la licence que tu utilises ?

C’est déterminé par des préoccupations juridiques. D’abord il y a les dessins qui sont tellement « copyrightés » par mes clients que je ne peux ni en parler et ni même les montrer. Ce sont les contrats de jeux-vidéos, de cinémas sous NDA (Non Disclosure Agreement : accord de non-divulgation) que j’ai remplis durant mes années freelance. Les dessins « copyrightés » simplement sont ceux où je reçois l’autorisation d’afficher le dessin en basse résolution sur mon site.

La licence CC-By-NC-ND encourage le partage Internet mais empêche les travaux dérivés, les modifications et l’utilisation commerciale. J’ai longtemps utilisé ceci pour mes travaux personnels plus activistes comme pour le « Yin-Yang de la faim dans le monde ». Des groupements politiques m’ont déjà démarché pour détourner ou s’approprier ce dessin. Leur donner l’autorisation d’office serait trop dangereux.

La licence CC-By-Sa, c’est celle qui offre tout, mais demande la mise à disposition des sources de l’œuvre sur une licence également libre. Une façon de forcer l’évolution du libre à rester libre.

La licence CC-By, c’est quand je décide de tout partager, et de ne garder que le crédit participatif à l’élaboration du dessin. C’est la licence que je trouve la plus libre et aussi la licence que j’ai choisie pour tout Pepper & Carrot.

Pepper & Carrot Holiday special

Il y a des personnes qui ne connaissent pas (encore) Pepper&Carrot… Comment tu les présenterais ?

Je les présenterais en BD, tel qu’ils le sont mais si je devais le faire avec que du texte, je passerais la main à ce petit texte issu de l’article de LinuxFr, par l’auteur Eingousef (édité par ZeroHeure, Yvan Munoz, BAud, M5oul, Benoît Sibaud et palm123 et modéré par ZeroHeure / Licence CC by-sa) :

Des personnages mignons, des chats, une influence manga/anime, de l’héroic-fantasy, des clins d’œil au logiciel libre, de l’humour décalé et de la poésie dans un univers épique, des licences libres et des sources complètes, des contributions à des logiciels libres et jeux libres… David Revoy a tout pour plaire aux geeks. Ce dessinateur aux multiples talents, qui s’est fait connaître dans la communauté du libre surtout par son impressionnant travail de concept artist sur les trois derniers Open Movies de la Blender Foundation (Sintel, Tears of Steel et le projet Gooseberry), s’est lancé l’année dernière dans la réalisation d’un webcomic libre, « Pepper & Carrot ». Celui-ci met en scène les aventures décalées de Pepper, une petite sorcière courageuse et casse-cou, mais qui a tendance à sous-estimer ses capacités, et de Carrot, son chat à l’intelligence quasi-humaine, mais éternel esclave de ses instincts, dans l’univers féerique du Royaume d’Hereva, avec ses villes volantes, ses fées, ses phénix, ses dragons-vaches, ses canards-drakes et ses sorcières rivales…

Le mode de financement de Pepper & Carrot est basé sur l’économie participative (Tipeee, Patreon, les dons…). Comment y es-tu venu ? Ça marche bien ?

J’y suis venu car je ne voulais pas proposer Pepper&Carrot aux éditeurs papier. L’édition est un milieu en crise que je connais assez bien grâce à mes années de travail dans l’illustration. Un univers ou la loi du marché prime sur tout. Pepper&Carrot aurait été sans doute dénaturé, standardisé, aseptisé et réduit au bon vouloir des commerciaux, des distributeurs, des actionnaires… du pognon pour le pognon. Quand on élimine la voie de l’édition classique, il ne reste plus grand chose pour exercer la BD à plein temps. Je ne suis ni riche ni « fils de » pour vivre de la BD sans en demander une contrepartie financière. J’ai un loyer mensuel à payer, un corps à nourrir, un matériel informatique à entretenir, donc solliciter le mécénat des lecteurs était ma seule possibilité.
De nos jours, ça marche grâce à la générosité des lecteurs. Financièrement, je suis loin de mes années freelance. Je gagne un petit SMIC pour autant d’heures de travail par semaine qu’il en est humainement supportable (sans congé, sans arrêts maladies, sans retraite). Mon projet en 2016 : arriver à maîtriser la production des épisodes et réduire les heures pour retrouver une vie personnelle en dehors de Pepper&Carrot (une coquetterie que je me suis refusée au cours des 15 derniers mois).

Tu as plein de rêves pour Pepper&Carrot… Comment t’es venue l’idée d’afficher ces douces ambitions ? Cette liste avance bien ?

Pour l’idée, je me suis dit que d’afficher clairement mes rêves et mes motivations aiderait les visiteurs du site à me connaître.

Est ce que ça avance ? Difficile à évaluer pour certain rêves. Par exemple pour le rêve numéro 1 : « Donner une conférence au Japon dans une convention Manga à propos de Pepper&Carrot » c’est super difficile à quantifier l’avancement de ce rêve. Mais j’ai déjà une piste ; j’ai reçu un email d’un lecteur Japonais avec les coordonnées d’un événement Manga qu’il connaît. Je vais donc bientôt constituer un beau dossier pdf pour essayer de démarcher cet événement. Quand au rêve « Atteindre l’épisode 100 ! », ce rêve est très quantifiable et avec la publication le mois dernier de l’épisode 13, j’en suis exactement à 13% !

Un petit mot de la fin ? Ou un dessin ? 😀

Un dessin bien sûr ! Merci pour l’interview !

Dessin de David Revoy pour Framasoft

Toutes les illustrations de l’article sont bien évidemment de David Revoy, en CC-BY 🙂




Menaces sur les œuvres du domaine public

La numérisation des collections patrimoniales des musées devrait constituer une chance pour la diffusion de la culture. Trop souvent hélas, ce n’est pas le cas, à cause du copyfraud auquel se livrent les institutions. Comme l’a dit très justement Pier-Carl Langlais, le copyfraud est l’inverse du piratage : une revendication abusive de droits sur le domaine public pour en restreindre la réutilisation.

Les exemples de copyfraud ne manquaient déjà pas, mais le Reiss Engelhorn Museum de Mannheim en Allemagne a franchi cette semaine une ligne rouge en la matière. L’établissement a en effet décidé d’attaquer en justice la Wikimedia Foundation et Wikimedia Deuschland, pour la diffusion de 17 images d’œuvres du domaine public sur Wikimedia Commons. Depuis 2008, la Wikimedia Foundation a défini une position très claire à propos du copyfraud, en indiquant qu’elle ne reconnaissait pas la légitimité des restrictions rajoutées sur la réutilisation d’images en deux dimensions d’œuvres du domaine public. L’année suivante, une alerte sérieuse s’était produite lorsque le wikimédien Derrick Coetzee avait téléversé sur Wikimedia Commons plusieurs milliers d’images extraites du site de la National Portrait Gallery de Londres. Son geste dénonçait le fait qu’elle portait un copyright alors qu’elles correspondaient à des œuvres du domaine public . La National Portait Gallery avait alors agité la menace d’un procès, sans la mettre à exécution à la différence cette fois du musée Reiss Engelhorn.

Si l’on peut déplorer un tel comportement de la part d’une institution patrimoniale, ce sera peut-être aussi l’occasion pour un tribunal de se prononcer sur la légalité des pratiques de copyfraud. Comme le dit la fondation Wikimedia dans sa réponse au musée, la reproduction fidèle de tableaux ne crée pas une « nouvelle œuvre » et il est improbable que ces photographies satisfassent au critère de l’originalité, impliquant que le créateur imprime « l’empreinte de sa personnalité » dans son œuvre pour bénéficier d’une protection.

En France également, nombreux sont les établissements culturels se livrant à des pratiques de copyfraud. Le site Images d’art, lancé récemment par la Réunion des Musées Nationaux, comporte plus de 500 000 œuvres numérisées provenant de nombreux musées français. Mais toutes ces images portent le copyright du photographe les ayant réalisées, ce qui en interdit la réutilisation. Quelques institutions choisissent pourtant au contraire de diffuser librement leurs images et certaines comme le Musée des Augustins à Toulouse ou le Musée des Beaux Arts de Lyon ont engagé des partenariats avec Wikimedia France pour diffuser leurs images sur Wikipédia . Mais elles restent encore minoritaires.

Le plus inquiétant, c’est que la loi française risque bientôt d’évoluer pour légaliser les pratiques de copyfraud. Le recours au droit d’auteur par le musée Reiss Engelhorn reste juridiquement très fragile et la fondation Wikimédia peut encore affronter un procès avec des chances sérieuses de l’emporter. Mais la loi Valter, actuellement en cours d’adoption, s’apprête à consacrer la possibilité pour les établissements culturels de fixer des redevances de réutilisation sur les reproductions d’œuvres qu’elles produisent — y compris à partir des œuvres du domaine public —  en les assimilant à des données publiques.

Là où devant la justice allemande, on peut encore revendiquer le droit de réutiliser le domaine public librement, ce ne sera peut-être bientôt plus possible en France.

Lionel Maurel (Calimaq)

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Wikimedia Foundation et Wikimedia Deutschland invitent instamment le musée Reiss Engelhorn à abandonner ses poursuites concernant des œuvres d’art du domaine public.

source : cet article du blog de Wikimedia
Traduction Framalang : KoS, goofy, Bromind, sebastien, r0u

Le 28 octobre, le musée Reiss Engelhorn de Mannheim, en Allemagne, a intenté un procès à la Wikimedia Foundation et ensuite à Wikimedia Deutschland, la branche allemande du mouvement international Wikimedia. L’objet en est une plainte pour copyright concernant 17 images d’œuvres d’art du musée qui relèvent du domaine public et qui ont été mises en ligne sur Wikimedia Commons. Wikimedia Foundation et Wikimedia Deutschland examinent la plainte et feront une réponse commune avant l’échéance fixée en décembre.

La Wikimedia Foundation et Wikimedia Deutschland maintiennent fermement leur engagement à rendre les œuvres publiques gratuites et libres d’accès. Les institutions publiques telles que les galeries et musées ont la même mission, et ont été des alliées historiques pour rendre accessibles à tous les connaissances du monde entier. Avec ce procès, le musée Reiss Engelhorn limite l’accès public à d’importantes œuvres culturelles qui seraient inaccessibles autrement pour le reste du monde.

Les peintures, portraits et autres œuvres d’art concernés par ce procès sont exposés au sein du musée Reiss Engelhorn, mais sont déjà présents dans le domaine public. Quoi qu’il en soit, la loi allemande sur le droit d’auteur peut s’appliquer aux photographies des œuvres qui appartiennent au domaine public, selon différents critères incluant l’artiste créateur de l’œuvre lui-même, la compétence et les efforts qui ont été mis dans la photographie, la créativité et l’originalité, et enfin l’art en tant que tel. Le musée Reiss Engelhorn prétend que ces images sont soumises au droit d’auteur car le musée a rémunéré le photographe qui a pris certaines d’entre elles, ce qui lui a demandé du temps, de la compétence et des efforts pour les prendre. Le Musée Reiss Engelhorn affirme encore que, à  cause de ce droit d’auteur, les images des œuvres d’art ne peuvent pas être partagées au travers des Wikimedia Commons.

635px-Hendrick_Goltzius_Cadmus_Statens_Museum_for_Kunst_1183Les œuvres du domaine public affrontant l’hydre du droit d’auteur (allégorie)

(Hendrick Goltzius, Cadmus (Statens Museum for Kunst). Licence Domaine public via Commons)

La Wikimedia Foundation et Wikimedia Deutschland estiment que le point de vue du musée Reiss Engelhorn est erroné. Les lois sur le droit d’auteur ne doivent pas être utilisées à mauvais escient dans le but de contrôler la dissémination d’œuvres d’art appartenant au domaine public depuis longtemps, telles que les peintures exposées au musée Reiss Engelhorn. Le but du droit d’auteur est de récompenser la créativité et l’originalité, et non de créer de nouveaux droits limitant le partage en ligne d’images d’œuvres du domaine public. De plus, même si la loi allemande accorde quelques droits sur ces images, nous pensons qu’utiliser ces droits dans le but d’empêcher le partage des travaux du domaine public va à l’encontre de la mission du musée Reiss Engelhorn et de la ville de Mannheim et appauvrit l’héritage culturel mondial.

De nombreuses institutions se sont donné pour mission de rendre leurs collections le plus accessible possible pour le monde entier. En octobre, le musée des Arts et Métiers d’Hambourg, en Allemagne, a rendu sa collection accessible librement en ligne. Le Rijksmuseum d’Amsterdam a fourni un accès en ligne à toutes ses peintures, y compris la possibilité de les télécharger et d’utiliser les reproductions sous licence domaine public CC0. Au Danemark, SMK (Statens Museum for Kunst, la Galerie Nationale du Danemark) a rendu publiques ses images et vidéos numériques sous la licence CC-BY. La British Library [N.d.T : Bibliothèque de Grande-Bretagne, équivalent de la BNF] et le Japan Center for Asian Historical Records [N.d.T : le Centre japonais d’archives historiques asiatiques] ont conjointement libéré plus de 200 gravures japonaises et chinoises dans le domaine public.
Ces institutions culturelles conservent les valeurs du domaine public et protègent le droit de prendre part à notre héritage culturel. La tentative du musée Reiss Engelhorn de créer un nouveau copyright dans le domaine public va à l’encontre des principes européens sur le domaine public.

soldatsFrançaisL’armée française part en campagne contre le copyfraud

(image issue du catalogue en ligne de The British Library, aucune restriction de droit d’auteur connue – Voir tous les détails)

Dans un communiqué du 11 août 2008, la Commission européenne a écrit : « il faut souligner qu’il est essentiel que les œuvres qui sont dans le domaine public restent accessibles après un changement de format. En d’autres termes, les œuvres qui sont dans le domaine public devraient y rester une fois numérisées et être rendues accessibles par Internet ». Cela a été renforcé par la charte d’Europeana de 2010 qui stipule : « Aucun autre droit sur la propriété intellectuelle ne doit être utilisé pour rétablir une exclusivité sur des matériaux du domaine public. Le domaine public fait partie intégrante de l’équilibre interne du système de droit d’auteur. Cet équilibre interne ne doit pas être rompu par des tentatives pour obtenir ou rétablir un contrôle exclusif via des règles extérieures au droit d’auteur. »

Ces dernières années, le mouvement Wikimédia a bénéficié de partenariats fructueux avec des musées et des galeries à travers le monde grâce à l’initiative GLAM-Wiki, qui aide des institutions culturelles à partager leurs ressources avec le monde entier par le biais de projets de collaboration avec des éditeurs expérimentés de Wikipédia. Ces partenariats ont permis à des millions de personnes de découvrir et d’apprécier des collections situées dans des endroits qu’ils ne pourront jamais visiter. Wikimédia Deutschland, seule, a travaillé avec plus de 30 musées en Allemagne pour rendre leurs collections accessibles gratuitement à n’importe qui n’importe où, au travers des projets Wikimédia. Ces partenariats font partie d’un effort indispensable qui permet aux institutions culturelles et à Wikimédia d’accomplir leur mission de libération de la connaissance et de partage de la culture.

Partout dans le monde des gens utilisent Wikipédia pour découvrir et comprendre le monde qui les entoure. Grâce à Internet, de nombreux obstacles traditionnels à la connaissance et à l’apprentissage ont disparu. Refuser l’accès en ligne à des images du domaine public empêche les gens d’explorer et de partager notre patrimoine culturel mondial. Nous exhortons le musée Reiss Engelhorn à reconsidérer sa position et à travailler avec la communauté Wikimédia pour rendre encore plus accessibles leurs œuvres élevées dans le domaine public.

Michelle Paulson, Legal Director
Geoff Brigham, General Counsel
Wikimedia Foundation