Pour un requiem libre et athée

La tradition musicale du requiem est dès l’origine inhérente à la liturgie chrétienne au point qu’il faut attendre le XVIIIe siècle pour assister à la création de requiems « de concert », donc exécutés en dehors d’une célébration funèbre à caractère religieux.

Aujourd’hui, Denis Raffin propose d’aller plus loin encore et vient de passer plusieurs années à l’élaboration d’un requiem athée, qui comme il nous l’explique, vise à rendre hommage au souvenir des disparus en exaltant plutôt… la vie, hors de toute transcendance.

Qui plus est, sa création musicale est non seulement libre de références à la divinité mais aussi libre de droits et élaborée avec des logiciels libres. De bonnes raisons pour lui donner la parole et prêter une oreille curieuse à son requiem.

Peux-tu te présenter brièvement et nous dire par quel parcours tu en arrivé à ce projet un peu surprenant ?

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Je suis un compositeur amateur, épris de musique classique depuis mon enfance. Jusqu’à présent, j’ai surtout composé de courtes pièces pour mon entourage. C’est la première fois que je me lance dans une œuvre d’une telle ampleur. J’ai composé les premières notes en 2013 (il y a 3 ans, oui oui…) et je viens enfin de terminer d’ébaucher les 5 mouvements qui constituent l’œuvre.

Justement, en prenant connaissance de ton projet, maintenant en phase finale, on ne peut s’empêcher de se dire que tu es soit très courageux soit inconscient : s’attaquer à un tel format musical demande de l’estomac, non ? et je ne parle même pas des monuments du genre (Mozart, Brahms, Berlioz, Verdi et tant d’autres… ) qui peuvent impressionner. Tu veux t’inscrire dans l’histoire de la musique à leur suite ?

J’ai toujours adoré les grandes œuvres religieuses, notamment funèbres. On y trouve une noirceur plus ou moins désespérée, mêlée à un fort besoin de consolation et de lumière (de résilience). Il y a peut-être un peu de mégalomanie dans mon projet, je ne le nie pas. Mais en réalité, il s’agit surtout de répondre à un double besoin : celui de m’obliger à dépasser le stade de compositeur du dimanche et celui d’aborder frontalement un thème qui me hante depuis mon adolescence : celui de la finitude de nos existences. J’ai voulu célébrer par une œuvre monumentale un événement très important dans ma propre existence : j’ai fini par admettre que j’allais mourir.

Brrr ce n’est pas très gai tout ça… On peut concevoir le désir de rendre hommage aux disparus, mais pourquoi célébrer la mort ?

Attention, pas de contre-sens ! Je ne célèbre pas la mort ! Mais assumer ma finitude m’a permis de comprendre des choses simples. D’abord que la vie est un bien précieux car éphémère et fragile. En ce sens, il faut savoir la respecter, la protéger, refuser de se contenter d’une vie où on se « laisse vivre ». Et surtout résister aux vols de nos existences que constituent le sur-travail, les guerres, la consommation, etc. Ensuite, nos existences si courtes prennent beaucoup plus de sens quand on les replace au sein de cycles naturels et historiques qui les dépassent. J’appelle, dans Un requiem athée, à « cultiver le grand jardin du monde ». À agir, humblement, chacun à son échelle, à construire un monde meilleur, tout en profitant au mieux de celui qui nous est offert. Il n’y a rien de morbide dans tout ça, non ?

Un requiem athée et libre, mais pas triste !
Un requiem athée et libre, mais pas triste !

 

Comme tu l’exposes en détails sur cette page tu n’es pas le premier à vouloir créer un Requiem athée. Pourquoi ajouter ta version, est-ce qu’il te semble qu’il y a ces dernières années une urgence (la question toujours vive de la laïcité ?) ou bien la naissance de ton projet correspond-elle à un cheminement plus personnel ?

La question de la laïcité, et en particulier de la cohabitation entre religieux et non-religieux, ne fait pas partie de ma démarche. Simplement, il y avait un manque dans l’histoire de la musique : il existe très peu d’œuvres athées traitant du thème de la mort.

Parler aux athées en général n’est d’ailleurs pas une mince affaire, car les athées ne constituent pas une école de pensée homogène. Le cheminement que je propose dans le texte est nécessairement très personnel. Par exemple dans sa dénonciation de l’immanence ou dans son appel non voilé à la rébellion (« La colère de l’Homme »). Cela dit, je n’ai pas hésité à réécrire le 2e mouvement de mon requiem (« Non credo ») lorsque ceux qui ont suivi sa composition l’ont accusé d’un trop grand dogmatisme. J’espère sincèrement que mon texte ne constitue pas un obstacle à l’appréciation de la musique, quels que soient les points de désaccord que puissent avoir mes auditeurs avec mes idées.

Comment définirais-tu ta musique ? On dit souvent que la musique contemporaine est difficile d’accès pour les oreilles non-initiées, est-ce le cas pour ton requiem ?

Pour les connaisseurs, il s’agit d’une écriture qui s’autorise tous les langages : tonal, modal, chromatique et atonal. Pour ceux qui ne sont pas habitués à écouter de la musique classique, disons que c’est une œuvre globalement facile à suivre, mais avec des passages assez ouvertement dissonants. La durée totale est raisonnable pour le néophyte (environ 45 minutes), tout en laissant le temps de s’imprégner d’un univers musical que je souhaite assez riche.

Pourquoi faire le choix de logiciels libres et placer ton œuvre en gestation dans le domaine public ?

Faire-part de liberté sur le site du projet
Faire-part de liberté sur le site du projet

La principale raison du choix de la licence CC-0 est philanthropique : c’est un cadeau que je souhaite faire à l’humanité. Par ailleurs, je suis intimement convaincu que le modèle actuel des droits d’auteur freine la création au lieu de la protéger. Il y a une excellente conférence de Pouhiou sur ce thème.

D’ailleurs, c’est un peu grâce à Pouhiou que je me suis décidé à créer un blog pour présenter ma composition en cours de réalisation. Dans son premier tome du cycle des Noénautes, il expose les interactions qu’il a pu avoir avec ses lecteurs sur son blog tout au long de l’écriture du roman et je me suis dit : et pourquoi pas utiliser ce dispositif pour mon requiem aussi ? Pour ceux que ça intéresse, j’ai exposé ma position dans cet article : vive la musique libre, à bas les droits d’auteur !

Pour ce qui est du choix des logiciels libres pour composer, il s’est imposé de lui-même : j’ai toujours milité pour la diffusion des logiciels libres (y compris dans l’Éducation Nationale à l’époque où j’y ai travaillé) et ça n’aurait pas été cohérent d’utiliser des logiciels privateurs pour réaliser une telle œuvre, non ? J’utilise essentiellement Musescore. même si les fonctionnalités sont un peu limitées par rapport aux gros logiciels payants du commerce. J’envisage d’utiliser Lilypond pour les dernières étapes de la composition (orchestration, cadences non mesurées, mise en page, etc.).

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Tu as une formation musicale (on s’en doutait) et tu as donc été un temps professeur dans l’Éducation Nationale, mais en ce moment de quoi vis-tu, car on imagine bien que créer un requiem n’est pas une activité très lucrative ?

J’ai été successivement ingénieur du son, professeur de physique-chimie en collège et grand voyageur. Je suis actuellement ouvrier agricole (dans le maraîchage bio). Je compose sur mes temps libres, soir et week-end. Au début du projet, je m’étais mis à temps partiel pour trouver le temps de composer. Clairement, j’aimerais consacrer plus de temps à la composition dans les années qui viennent. Pour une raison simple : si je ne prends pas le temps de composer mes œuvres, qui le fera à ma place ?

De quoi as-tu besoin maintenant pour mener ton projet vers sa phase finale : de contributions techniques, musicales, d’interprètes, d’argent… ? C’est le moment de lancer un appel…

L’étape la plus importante est terminée : toute l’œuvre est ébauchée. On peut d’ailleurs écouter des exports (avec des sons synthétiques) sur le site du projet. Il reste deux étapes avant de pouvoir entendre l’œuvre pour de bon.

D’abord, il faut que j’écrive l’orchestration de l’œuvre. Je n’ai encore jamais eu à faire ça et c’est assez technique. J’apprécierai une aide pour cette étape : j’ai besoin de quelqu’un d’un peu expérimenté pour me relire, me corriger, me faire des suggestions, etc. Je pense m’adresser aux classes d’orchestration des conservatoires pour trouver ce genre de profils.
Ensuite, il faudra réunir des interprètes. Et là, les choses se compliquent… Car il faudra trouver de l’argent pour rémunérer tout ce monde (un orchestre, un chœur et 4 solistes). J’ai plus de questions que de réponses : mon œuvre pourrait-elle intéresser une institution ? Aurais-je un public suffisamment motivé pour réussir un crowdfunding ? J’avoue que ça me soulagerait grandement si quelqu’un de plus compétent que moi pouvait prendre en charge cette partie-là du travail !

Allez on s’écoute le « Non credo » ? Les autres mouvements sont disponibles sur le site de Denis.

Que nos lecteurs mélomanes et musiciens se manifestent et fassent passer le mot : ce projet original et libre mérite d’aboutir à des interprétations publiques et pourquoi pas des enregistrements. À vous de jouer ♫ !