Point d’étape pour l’écriture à deux mains de « L’amour en Commun »

Prouver par l’exemple qu’il est possible de faire autrement, tel est souvent le moteur des projets de Framasoft. Il en va ainsi pour Des Livres en Communs, qui propose un autre modèle d’édition : une bourse aux autrices et auteurs en amont de l’écriture ainsi qu’une publication de l’ouvrage sous licence libre afin de le verser dans les Communs. Nous posons pour principe que le travail d’écriture nécessite un revenu si l’on considère que l’œuvre ainsi accompagnée bénéficie ensuite à tous (davantage sur ce projet et les valeurs qu’il porte).

C’est dans cet esprit que nous avons publié en janvier de l’année dernière notre premier Appel à projet auquel ont répondu 22 propositions «sérieuses » (qui correspondaient bien à la demande initiale). Notre petit comité de lecture a dû faire une première sélection puis trancher entre au moins trois projets de qualité que nous aurions aimé accompagner aussi… et puis c’est celui de Timothé et Margaux qui l’a emporté par son sérieux, son originalité et son caractère hybride… Voici un bref extrait de leur note d’intention :

« nous avons choisi d’interroger comment le commun de l’amour, en tant que moyen d’organisation et moteur d’engagement, permet de construire une alternative à la société capitaliste. Cela nécessite de penser l’amour hors des structures sociales préétablies (couple hétérosexuel et monogame) pour choisir nos contrats et nos croyances, d’explorer de nouvelles manières de vivre ensemble… »

C’est ainsi que s’est entamé en juin dernier le processus d’écriture pour eux et d’accompagnement éditorial pour nous : rencontre au framacamp et échanges par mail ou visio qui sont l’occasion de suggestions de lectures, références et interviews, mais aussi téléversement à mesure des travaux en cours sur notre Framacloud pour en faciliter les étapes de révision. Il est difficile aujourd’hui de préciser une date de publication mais d’après le planning établi ce devrait être vers la fin de l’année… Mais nous évitons de mettre trop de pression sur le duo, car nous savons bien qu’un temps long d’élaboration est nécessaire… c’est l’occasion de glisser ce clin d’œil d’un auteur célébré par beaucoup :

“I love deadlines. I love the whooshing noise they make as they go by.”

― Douglas Adams

(à peu près :« j’aime les dates limites, j’adore le bruissement de leur souffle quand elles s’évanouissent »)

C’est le moment de faire un point d’étape avec le duo et de remercier sincèrement les donateurs et donatrices de Framasoft qui ont permis le financement de cette expérimentation.

la lettre F de Framasoft fait se rejoindre le C et le O des Commons
Logo de DLeC

 

Bonjour Margaux et Timothé. L’équipe de DLeC a pu faire votre connaissance déjà, mais les lecteurs du Framablog ne vous connaissent pas encore, pouvez-vous vous présenter un peu ?
Photo de Margaux Lallemant, souriante, vêtement à motif floral— Je m’appelle Margaux Lallemant, je viens d’un petit village du sud de la France où la couleur du ciel alimente l’encre des stylos. J’ai baladé mes carnets de Lyon à Saint-Étienne, en passant par Paris et Kaohsiung. J’écris de la poésie, publiée dans des revues comme Point de Chute, Dissonances, par le Serveur vocal poétique ou le podcast Mange tes mots. J’anime des ateliers d’écriture pour des publics variés, et je bricole une émission de radio qui s’appelle Poésie SCHLAG*.
Et je suis une grande amoureuse. Je me soigne, je déconstruis, je lis et je discute, mais rien à faire, les martinets, les sous-bois, les bulles de bière dans un regard, les sourires francs, les chansons de Barbara et le mouvement d’un corps qui danse continuent de propager en moi des vagues d’endorphine déraisonnables.

— Je m’appelle Timothé, je suis un homme cis blanc hétéro, petit-fils de réfugiés. Mes parents font partie de la classe moyenne, ce qui leur a permis de me transmettre un capital social, culturel, de financer mes études… Je viens de la campagne corrézienne, sans m’être jamais senti rural.photo de Timothé qui met en avant un bouquet de fleurs
Pendant la majorité de ma vie, je n’ai rien fait qui ait le moindre intérêt pour ce livre. J’ai été un élève studieux dans une famille aimante, j’ai intégré les codes du patriarcat, j’ai développé une conscience politique de gauche bobo, je me suis pensé féministe. J’ai fait des études et un doctorat en physique, parce que je ne voulais pas être de nouveau au chômage. La thèse m’a mené à une crise d’adulescence, un profond mal-être et finalement à une psychothérapie. J’ai alors compris que le patriarcat avait fait de moi un « estropié émotionnel », comme le dit bell hooks. De lectures en podcasts, de l’écoute aux discussions, j’ai pris conscience du chemin qu’il me restait à parcourir pour déconstruire ces normes en moi. J’ai profité de cette expérience pour écrire un livre à destination des mecs : Masculinités, apprentissage pratique de la déconstruction, que j’auto-édite.
Quand on me demande où je me vois dans 5 ans j’ai juste envie de répondre « je ne sais pas, ça dépendra de la température », alors d’ici là autant essayer d’aimer.

Qu’est-ce qui vous a décidés à soumettre votre projet initial et comment l’avez-vous conçu ?

Margaux : Avec Timothé, on s’est souvent dit que la vie amoureuse de nos ami⋅es était trépidante et qu’il faudrait prendre le temps de les interviewer pour consigner toutes les modalités de faire relation qui existaient autour de nous. C’est à peu près au même moment qu’est sorti l’appel à candidature de Framasoft pour la bourse d’auteur⋅ice. On s’est croisés un soir, vaguement éméché⋅s dans la cuisine, et on s’est dit qu’on allait proposer un projet sur l’amour.

Ensuite, en construisant le projet, nous avons voulu questionner l’articulation possible entre le fait de parler d’amour à un niveau interpersonnel et des pistes sociales de sortie du capitalisme. Nous avions envie de parler du couple, de la famille et du patriarcat, mais aussi de ZAD, de squats, d’autres rapports au vivant que celui de l’exploitation.

Plusieurs questions nous animaient avec Timothé : en quoi l’amour constitue une base de l’engagement et de la mise en commun ? Comment redéfinir l’amour pour engendrer de nouvelles manières de faire, de nous relier, pour favoriser le commun ? En quoi l’amour est-il le premier commun ? Pourquoi est-il nécessaire de sortir l’amour des phénomènes d’enclosure autour de la famille et du couple ?

D’où le titre, l’Amour en commun !

autre logo de Des livres en communs, avec le pinchot de Framasoft sur fond de livre ouvert

Comment se sont passés vos premiers contacts avec l’équipe d’édition ?

Margaux : Ces contacts ont été très porteurs pour nous. Il y a souvent des moments de découragement dans le processus d’écriture. Personnellement, j’ai été inquiète de réussir à articuler concrètement tous les thèmes dont nous voulions parler, tout en gardant un fil directeur politique. Grâce aux conseils de lectures pour articuler nos idées et aux temps d’échange avec l’équipe de Frama, nous avons toujours eu la petite impulsion nécessaire pour continuer.

Timothé : J’avoue que quand j’ai aperçu le Framacamp lors de notre rencontre à Lyon, j’ai été surpris de l’ambiance très libre et fun qui semble y régner. Pour le reste l’équipe a été super rassurante et elle a vraiment pris le temps de nous expliquer les différentes licences libres, avec leurs implications pour le livre et pour nous et je les en remercie.

Vous avez choisi de réaliser un essai sous forme hybride, pouvez-vous donner un aperçu de ses différents aspects (analyse, réflexion sur l’expérience, collecte de témoignage, atelier, poésie, …)

Timothé : Pour l’instant l’hybridation est difficile à montrer, car dans un premier temps nous nous concentrons plus sur la partie plus « essai ». Nous avons déjà réalisé plusieurs entretiens, qui donneront des podcasts, mais cette partie de la création étant chronophage, il a été convenu de la réaliser plutôt en fin d’écriture. Un pote qui a travaillé à Radio France nous a fait une formation sur l’arrangement de podcast et les enregistrements, c’est amusant ce qu’il faut apprendre pour écrire !

Margaux : Pour donner une idée, j’ai envie d’écrire une troisième partie plus SF, qui donnerait vie aux thèmes qu’on aborde dans le livre. Raconter des histoires, c’est une autre voie pour gagner la guerre des imaginaires ! Pour l’instant, j’anime des ateliers d’écriture sur le « Monde Nouveau » avec toutes sortes de publics pour m’inspirer.

Votre ouvrage, suivant le principe de DLeC, sera versé aux Communs (culturels), qu’est-ce que ça représente pour vous ?

Timothé : Ne pas avoir besoin d’aller faire la danse du ventre chez les éditeurs ! (rire). Pour ma part, en tant qu’auteur quasi inconnu et qui ne compte pas sur l’écriture pour vivre, mon premier souhait est d’être lu. En cela, le fait que le contenu soit libre augmente largement les chances de diffusion du texte. Plus largement, ayant moi-même proposé une version libre de mon essai précédent, la diffusion en libre correspond à mes valeurs.

Margaux : Dans le processus d’écriture d’un essai, je me rends compte qu’il n’y a jamais d’idée nouvelle, sortie du chapeau. Nous devons tellement à tous les auteur⋅ices qui ont pensé avant nous, c’est comme une grande chaîne de redevabilité qui relierait tous les écrivain⋅es ! Sauf qu’on se rend rapidement compte que l’accès à cette chaîne est payante et loin d’être accessible. Verser ce livre dans les communs, c’est participer à la vulgarisation des savoirs auxquels nous avons eu accès. Exprimer notre gratitude en rendant accessible à tous ce que les idées des autres nous ont aidé à formuler !

Entrons un peu dans le vif de la réalisation dont le lectorat du framablog est sans doute curieux : où en êtes-vous à peu près ? L‘avancée est-elle à peu près celle que vous envisagiez ? Qu’est-ce qui la ralentit ou retarde éventuellement ?

Timothé : Pour ma part ce qui la ralentit, c’est en tout premier lieu, le travail salarié (dont je ne peux malheureusement pas me passer pour remplir mon assiette). Quand j’ai écrit mon essai précédent, j’attendais les corrections de ma thèse. C’était une situation incroyablement confortable, j’étais payé et j’avais des journées entières pour écrire, faire une pause, lire, échanger et écrire de nouveau. Maintenant ce n’est plus le cas, après une journée de 7h, c’est pour moi très difficile de m’installer devant mon ordinateur pour écrire. Trouver l’espace mental, rassembler mes idées, me concentrer de nouveau et produire. Pour écrire, j’ai besoin d’avoir un temps continu et l’esprit un peu libre. Alors j’essaie autant que faire se peut d’aménager des moments les samedis ou les dimanches après-midi, mais c’est loin d’être facile et surtout c’est lent… Je m’en excuse auprès de Framasoft. Quand avec Margaux nous avons répondu à l’appel à projet, j’étais au chômage, j’avais prévu de faire une reconversion mais je n’étais pas sûr qu’elle aboutisse et je pensais que j’aurais plus de temps avant que ma formation ne commence pour écrire.

Margaux : Personnellement, j’ai fini la partie sur les relations amoureuses, je suis en train de rédiger celle sur la fin des binarismes, de la Nature au genre. J’avance à peu près au rythme prévu. Ce qui me retarde, c’est le temps de repos que nécessite chacune des parties avant de les reprendre, puis dans un second temps d’en faire le deuil pour passer à une autre. J’écris relativement vite, mais j’ai besoin de beaucoup de temps pour m’assurer que c’est bien ça que j’ai envie d’écrire, puis pour me décider sur ce que j’ai envie de raconter après !

Qu’est-ce qui vous a semblé plus facile/difficile qu’initialement envisagé ?

tête de maître Capelovici (lunettes, cravate rouge)qui le doigt sur son dico dit : "c'est de bon aloi"
Maître Capelo, image empruntée à ce site

Margaux : Articuler les différents thèmes que nous voulions traiter en gardant une ligne politique, sans que cela devienne une espèce de liste de Prévert des luttes et pensées politiques qui nous parlaient. Se battre contre le sentiment d’illégitimité aussi, j’ai toujours l’impression qu’un vieil universitaire avec des lunettes va nous taper sur les doigts en disant : c’est n’importe quoi ce qu’ils disent !

D’où l’importance pour nous de rappeler que ce n’est pas un essai scientifique. Ce livre est militant, ce livre est poétique, ce livre est témoignage, ce livre est boîte à outils, ce livre est chemins de traverses, questionnements personnels et sociétaux, ce livre est bricolé. Et c’est ce qui nous plaît : s’inspirer de la vie réelle et de témoignages d’individus sur leurs pratiques, exposer nos idées communes en retraçant le fil de nos lectures et de nos rencontres, explorer poétiquement les possibles et donner une assise imaginaire à nos tentatives de réinvention.

Au cours de votre travail, avez-vous infléchi en partie votre démarche, si oui dans quel sens ?

Timothé : Sur la partie qui m’occupe le plus depuis le début, c’est-à-dire « La famille », j’ai complètement infléchi ma pensée au fur et à mesure de la recherche et de l’écriture. J’étais parti à lire sur les habitats partagés, sur l’histoire de la famille, avec comme idée principale de broder autour de la possibilité de faire des colocations familiales… Finalement, je me dirige plus sur la proposition de la « parenté » qui me semble un concept bien plus ouvert que la famille, une réponse à l’extrême-droite et une possibilité d’ajuster nos besoins et nos envies de vie collective. Avec Margaux, nous nous sommes lancé⋅es dans l’inconnu avec ce livre. Nous avions des bases sur certains sujets que nous voulions traiter, mais pas sur tous. En plus, regarder un sujet et se demander « Où est l’amour là-dedans ? », ce n’est pas une démarche habituelle, ni pour nous et encore moins pour les auteurices qui nous ont précédé⋅es. Il m’a fallu vraiment du temps pour trouver une direction, car les textes que j’ai lus n’abordaient pas du tout le sujet des familles par le prisme de l’amour (peut être ai-je raté certaines références). L’inflexion vient à la fois du processus de recherche et de celui d’écriture qui oblige à clarifier des idées.

Margaux : J’ai l’impression d’avoir affiné ma pensée au fil de mes lectures et de l’écriture de ce livre. Cela m’a donné envie d’appréhender ces sujets autrement. La partie sur le genre n’était pas prévue au départ. Mais elle s’est imposée à un moment comme une nécessité pour approfondir la critique du système hétérosexuel et la manière dont il sert le capitalisme. Au contraire, j’ai eu beaucoup de mal à entrer dans l’écriture de la partie sur les relations au vivant, par peur de me lancer dans quelque chose de naïf et de désincarné après tout ça. L’angle d’attaque du binarisme m’a permis de me lancer, quitte à laisser de côté pour l’instant l’aspect de la spiritualité que je pensais aborder.

Nous sommes aussi curieux et curieuses de comprendre comment vous travaillez à « quatre mains » ou plutôt deux claviers.
Timothé : Pour l’instant nous avons avancé chacun.e de notre côté. D’abord parce que nous n’avons pas le même volume horaire à consacrer à l’écriture. Margaux peut passer plusieurs jours de la même semaine à écrire, moi non. Si nous écrivions sur les mêmes parties, il se créerait des disparités d’avancement qui retarderaient l’écriture. Dans une autre situation, nous aurions sûrement essayé d’écrire le plus souvent à quatre mains, mais dans la configuration actuelle il nous a semblé plus sage d’avancer chacun⋅e sur des parties différentes. Nous avons prévu d’écrire à quatre mains le chapitre sur les ZADs, car il sera en partie le résultat de notre expérience partagée de ce terrain.

énorme canard en plastique jaune flottant dans le port de Hong Kong
« Hong Kong Giant Rubber Duck » par IQRemix, licence CC BY-SA 2.0.

Pour ce qui est de l’équipe, il faut que je me lâche et j’accepte d’essayer ce concept du « canard en plastique », en envoyant ma partie alors qu’elle n’est pas encore dans un état où je me dis « allez c’est bon, c’est propre, je peux la faire lire ». Je n’ai jamais essayé cette méthode et c’est un peu impressionnant.

Margaux : Pour ma part les retours de l’équipe sont très précieux parce qu’ils me permettent d’affiner ma pensée, de la rendre plus précise et d’éviter les non-sens. Il y a aussi les yeux de lynx pour les fautes, les coquilles, les niveaux de langage non adéquats. Entre le brouillon et la version finale, il y a des commentaires et de nombreuses relectures. Merci pour ça !

L’attribution d’une bourse de création par DLeC est une tentative modeste de montrer que le travail initial d’écriture devrait dans un monde idéal être rémunéré en amont. Quel est l’apport de cette bourse dans votre travail ? Aurait-il existé ? Aurait-il eu la même forme ? Selon vous, en fonction de votre expérience, quel devrait être le statut « idéal » d’auteur-autrice ?
Timothé : C’est à la fois super chouette car cela permet de décharger en partie l’auteurice de la nécessité de faire une œuvre commerciale, mais c’est aussi une très grosse pression. Être contractuellement engagés à écrire, cela veut dire que nous devons réussir. C’est moteur, cela pousse à ne pas lâcher le morceau, mais pour moi c’est aussi une pression car l’échec est toujours possible. Néanmoins, décharger les auteurices, surtout professionnel⋅les de la précarité durant la phrase d’écriture est une magnifique ambition qui ne peut qu’être encouragée.

sur l'herbe au bord de l'eau, les outils offerts par une main engageante à qui veut écrire : machine à écrire (mécanique, d'autrefois), coussin rouge, théière, brioche, cookies, rame de papier
Illustration CC BY David Revoy (sources)

 

Margaux : Je suis d’accord, ce projet ne se serait jamais concrétisé sans cette bourse. Personnellement, je ne pense pas que j’aurais écrit d’essai. C’est vraiment une chance incroyable d’affiner ma pensée politique, de prendre le temps de lire des essais, de me demander « qu’est-ce que je pense à ce sujet ? » … et de créer des liens, comme une toile d’araignée, entre mes lectures, mes discussions, des idées politiques qui a priori ne réclament pas de filiations les unes avec les autres…
Dans l’idéal, je pense que le statut d’artiste-auteur⋅ice devrait rejoindre le régime d’intermittent.e. En vérité, la frontière est très fine. De nombreux auteur⋅ices réalisent des lectures, des performances, des masterclass, des ateliers qui sont très similaires au travail d’un⋅e comédien⋅ne. De la même manière qu’iels ont besoin de temps pour écrire et monter leur pièce de théâtre, les auteur⋅ices ont besoin de temps rémunéré pour créer une œuvre et la faire vivre dans le monde.

gros plan sur une main de petite fille qui écrit avec un crayon sur une page blanche
« Get Ready, Get Set, Write » par MellieRene, licence CC BY-NC 2.0

Même question pour le rapport avec l’éditeur ?
Timothé : Sans un éditeur qui nous pousse à écrire, ce travail serait juste resté dans nos têtes ! Nous aurions sûrement refait le passé autour d’un verre en nous demandant si nous aurions changé ou pas le monde avec « L’amour en Commun ». Personnellement, je n’avais pas prévu d’écrire un autre livre, si « L’amour en Commun » existe dans le futur, ce sera entièrement sous l’impulsion de Framasoft, des Livres en Commun et aussi un peu de Margaux qui a entendu parler de l’appel à écriture et m’a poussé à répondre avec elle.
D’un point de vue plus applicatif, c’est pour moi la première fois que j’ai un éditeur à qui je suis redevable de ce que j’écris. C’est super de pouvoir être confirmé et conseillé mais comme tout ce qui inclut plus d’une personne, cela va nous obliger à nous entendre.

Margaux : Je n’ai encore jamais été éditée, mis à part en revue. Mais les revues que je préfère sont celles qui m’ont demandé de modifier mon texte et avec lesquelles nous avons eu de vrais échanges à ce sujet ! Pour moi, un⋅e éditeur⋅ice, ce n’est pas seulement quelqu’un qui tamponne le sceau « publiable » sur notre manuscrit, ou le met en vente. Cela devrait être une véritable relation de soutien, de regard critique, d’échange et d’accompagnement pour amener ledit manuscrit vers la forme finie du livre. Je tiens beaucoup à cet espace collectif du retravail. Je crois qu’il est très important pour passer de l’intime à l’objet « livre », indépendant de l’auteur⋅ice. Vous êtes très bons là-dessus Frama, merci beaucoup pour votre soutien et votre patience !

Merci Margaux et Timothé, à bientôt !

 




Le poivre, la carotte et la sorcière : une interview de David Revoy

Trouver des auteurs de logiciels libres, c’est relativement simple. Il n’y a qu’à se pencher sur un paquet Debian pour en trouver. Trouver des artistes qui mettent leurs productions sous licence libre, c’est déjà un peu plus rare.

Connaissez-vous David Revoy ? Non ? Et pourtant, vous avez sans doute déjà vu des projets auxquels il a contribué. Il a en effet travaillé (entre autres) à plusieurs projets de la fondation Blender : Sintel, Tears of Steel

Mais c’est plutôt son webcomic Pepper & Carrot qui nous a poussés à l’interviewer. D’une rare qualité, les aventures de cette jeune sorcière et de son chat nous ont séduits, tant par les dessins magnifiques que par son humour.

Un auteur Open-Source

Bonjour David. Tu peux te présenter un peu ? Ton parcours, ton travail, tes projets…

Bonjour, j’ai 34 ans et je suis un Montalbanais passionné de dessin et d’informatique depuis l’enfance. Au cours de ces quinze dernières années, j’ai eu un parcours de freelance passant par l’illustration (couverture de livre et jeu de société), par le concept-art (décors/engins et persos dans les jeux vidéos) et parfois par la direction artistique de projets.
L’an dernier, j’ai créé Pepper&Carrot, un projet de webcomic libre et open-source financé grâces au mécénat des lecteurs. Peu après et grâce au succès de la série, j’ai décidé d’arrêter le freelance pour me consacrer à plein temps à la création de nouveaux épisodes et aux extras (traductions, tutoriaux, wiki, téléchargements gratuits…).

Tu expliques sur ton site pourquoi tu as choisi l’Open Source. Tu peux nous faire un petit résumé pour nos lecteurs qui ne maîtrisent pas la langue de Shakespeare ?

Je vais essayer de résumer ça mais tout d’abord je tenais à vous remercier, car j’ai abordé le libre entre 2003 et 2005 grâce au portail de Framasoft d’il y a dix ans. A l’époque j’utilisais Windows XP et cela m’a permis d’adopter Blender, Inkscape, Firefox, LibreOffice et FileZilla. Mon abandon total des logiciels propriétaires s’est fait peu de temps après. Je venais d’acheter un nouveau PC livré avec ‘Windows Vista’ pré-installé. J’avais une licence ‘XP pro’ en boîte et je comptais réinstaller ce système car tous mes logiciels dépendaient de ce système. Malheureusement pour moi, la carte mère du PC Vista n’avais pas de pilote pour XP disponible et mes licences logicielles professionnelles (Photoshop, Painter, Manga Studio; plusieurs milliers d’euros) était toutes instables avec Windows Vista. Mettre tout à jour était très coûteux et n’apportait aucunes nouvelles fonctionnalités.

Cette stratégie de mise à jour forcée me paraissait injuste. Je ne voulais pas alimenter les créateurs d’un tel système avec mon argent. C’est donc cet événement qui m’a poussé vers le 100% GNU/Linux. Voici une vidéo d’époque :

Cliquez sur l'image pour accéder à la vidéo (Viméo)
Cliquez sur l’image pour regarder la vidéo (Viméo)

Tu as travaillé sur pas mal de jeux vidéos. Pourquoi faire une BD ? C’était quelque chose qui te trottait dans la tête ou ça t’est arrivé comme ça ?

J’aime beaucoup les jeux vidéos et le cinéma d’animation, mais être auteur de bande-dessinée c’est mon rêve d’enfance. C’est la passion que j’ai toujours essayé de préserver. La BD, c’est l’art qui me touche le plus et celui dans lequel je m’exprime avec le plus de liberté. Pour la création de Pepper&Carrot, c’est vrai que c’est arrivé un peu « comme ça ». Tout a commencé un dimanche soir d’avril 2014 particulièrement calme, j’ai fait un speedpainting (une peinture numérique à la tablette graphique). J’ai enregistré ce qui ce passait à l’écran par coïncidence ce jour-là :

Cliquez sur l'image pour accéder à la vidéo (youtube)
Cliquez sur l’image pour voir la vidéo (Youtube)

J’avais là une petite sorcière, un chat, une scène… La semaine qui a suivi j’ai ajouté d’autres cases et cela a formé une petite histoire. L’épisode 1 est né ainsi.

Ce petit projet personnel a eu beaucoup de succès, alors j’ai décidé de faire un épisode 2. Puis 3, puis 4… Ce mois-ci, je fais l’épisode 14. L’audience me porte par son enthousiasme. C’est ainsi qu’est né et continue de grandir Pepper&Carrot; un pas devant l’autre, très connecté au présent.

Tu utilises des logiciels libres ou open-source, mais lesquels ? Et qu’est-ce qui t’as décidé à libérer tes œuvres ?

J’utilise essentiellement Krita sur Linux Mint. Mes outils secondaires sont Inkscape, Blender, Gimp, Mypaint, G’Mic et Imagemagick.

J’ai commencé à libérer mes œuvres à la Blender Foundation quand je travaillais sur la direction artistique du court-métrage Sintel. C’était dans le cahier des charges de mettre tous les dessins préparatoires en Creative Commons Attribution. J’ai pu donc faire l’expérience directe de travailler avec cette licence très ouverte au sein d’une grande audience. L’expérience fût très positive. C’est ainsi que j’ai appris à connaître, et ensuite adopté les licence Creatives Commons.

Tes projets sont sous licence CC-BY, CC-BY-SA, CC-BY-NC-ND, copyright classique… Qu’est-ce qui détermine la licence que tu utilises ?

C’est déterminé par des préoccupations juridiques. D’abord il y a les dessins qui sont tellement « copyrightés » par mes clients que je ne peux ni en parler et ni même les montrer. Ce sont les contrats de jeux-vidéos, de cinémas sous NDA (Non Disclosure Agreement : accord de non-divulgation) que j’ai remplis durant mes années freelance. Les dessins « copyrightés » simplement sont ceux où je reçois l’autorisation d’afficher le dessin en basse résolution sur mon site.

La licence CC-By-NC-ND encourage le partage Internet mais empêche les travaux dérivés, les modifications et l’utilisation commerciale. J’ai longtemps utilisé ceci pour mes travaux personnels plus activistes comme pour le « Yin-Yang de la faim dans le monde ». Des groupements politiques m’ont déjà démarché pour détourner ou s’approprier ce dessin. Leur donner l’autorisation d’office serait trop dangereux.

La licence CC-By-Sa, c’est celle qui offre tout, mais demande la mise à disposition des sources de l’œuvre sur une licence également libre. Une façon de forcer l’évolution du libre à rester libre.

La licence CC-By, c’est quand je décide de tout partager, et de ne garder que le crédit participatif à l’élaboration du dessin. C’est la licence que je trouve la plus libre et aussi la licence que j’ai choisie pour tout Pepper & Carrot.

Pepper & Carrot Holiday special

Il y a des personnes qui ne connaissent pas (encore) Pepper&Carrot… Comment tu les présenterais ?

Je les présenterais en BD, tel qu’ils le sont mais si je devais le faire avec que du texte, je passerais la main à ce petit texte issu de l’article de LinuxFr, par l’auteur Eingousef (édité par ZeroHeure, Yvan Munoz, BAud, M5oul, Benoît Sibaud et palm123 et modéré par ZeroHeure / Licence CC by-sa) :

Des personnages mignons, des chats, une influence manga/anime, de l’héroic-fantasy, des clins d’œil au logiciel libre, de l’humour décalé et de la poésie dans un univers épique, des licences libres et des sources complètes, des contributions à des logiciels libres et jeux libres… David Revoy a tout pour plaire aux geeks. Ce dessinateur aux multiples talents, qui s’est fait connaître dans la communauté du libre surtout par son impressionnant travail de concept artist sur les trois derniers Open Movies de la Blender Foundation (Sintel, Tears of Steel et le projet Gooseberry), s’est lancé l’année dernière dans la réalisation d’un webcomic libre, « Pepper & Carrot ». Celui-ci met en scène les aventures décalées de Pepper, une petite sorcière courageuse et casse-cou, mais qui a tendance à sous-estimer ses capacités, et de Carrot, son chat à l’intelligence quasi-humaine, mais éternel esclave de ses instincts, dans l’univers féerique du Royaume d’Hereva, avec ses villes volantes, ses fées, ses phénix, ses dragons-vaches, ses canards-drakes et ses sorcières rivales…

Le mode de financement de Pepper & Carrot est basé sur l’économie participative (Tipeee, Patreon, les dons…). Comment y es-tu venu ? Ça marche bien ?

J’y suis venu car je ne voulais pas proposer Pepper&Carrot aux éditeurs papier. L’édition est un milieu en crise que je connais assez bien grâce à mes années de travail dans l’illustration. Un univers ou la loi du marché prime sur tout. Pepper&Carrot aurait été sans doute dénaturé, standardisé, aseptisé et réduit au bon vouloir des commerciaux, des distributeurs, des actionnaires… du pognon pour le pognon. Quand on élimine la voie de l’édition classique, il ne reste plus grand chose pour exercer la BD à plein temps. Je ne suis ni riche ni « fils de » pour vivre de la BD sans en demander une contrepartie financière. J’ai un loyer mensuel à payer, un corps à nourrir, un matériel informatique à entretenir, donc solliciter le mécénat des lecteurs était ma seule possibilité.
De nos jours, ça marche grâce à la générosité des lecteurs. Financièrement, je suis loin de mes années freelance. Je gagne un petit SMIC pour autant d’heures de travail par semaine qu’il en est humainement supportable (sans congé, sans arrêts maladies, sans retraite). Mon projet en 2016 : arriver à maîtriser la production des épisodes et réduire les heures pour retrouver une vie personnelle en dehors de Pepper&Carrot (une coquetterie que je me suis refusée au cours des 15 derniers mois).

Tu as plein de rêves pour Pepper&Carrot… Comment t’es venue l’idée d’afficher ces douces ambitions ? Cette liste avance bien ?

Pour l’idée, je me suis dit que d’afficher clairement mes rêves et mes motivations aiderait les visiteurs du site à me connaître.

Est ce que ça avance ? Difficile à évaluer pour certain rêves. Par exemple pour le rêve numéro 1 : « Donner une conférence au Japon dans une convention Manga à propos de Pepper&Carrot » c’est super difficile à quantifier l’avancement de ce rêve. Mais j’ai déjà une piste ; j’ai reçu un email d’un lecteur Japonais avec les coordonnées d’un événement Manga qu’il connaît. Je vais donc bientôt constituer un beau dossier pdf pour essayer de démarcher cet événement. Quand au rêve « Atteindre l’épisode 100 ! », ce rêve est très quantifiable et avec la publication le mois dernier de l’épisode 13, j’en suis exactement à 13% !

Un petit mot de la fin ? Ou un dessin ? 😀

Un dessin bien sûr ! Merci pour l’interview !

Dessin de David Revoy pour Framasoft

Toutes les illustrations de l’article sont bien évidemment de David Revoy, en CC-BY 🙂




Culture wants to be free !

Timcowlishaw - CC by-saUne traduction un peu datée mais ô combien actuelle en France à l’heure où Monsieur Sarkozy souhaite simultanément démocratiser la culture et sauver l’industrie musicale (ce qui peut devenir antinomique si l’on s’y prend mal !).

Il s’agit d’un communiqué du Parti Libéral norvégien (que certains classent dans la gauche libérale et qui pesait 6% aux dernières élections locales)[1].

La culture veut être libre !

Culture wants to be free!

The Liberal Party – 16 avril 2007
(Traduction Framalang : VLI, Daria et Yostral)

Congrès du Parti Libéral, 14 avril 2007 : Le Congrès du Parti Libéral (Venstre) a déclaré que les cadres légaux actuels sur les droits d’auteurs ne sont pas adaptés à une société moderne. Les nouvelles technologies donnent aux artistes et aux consommateurs de vastes opportunités, mais créent aussi des défis. L’équilibre entre les demandes des consommateurs, le besoin de la société à l’ouverture et à l’accès à la culture, et le droit des artistes aux revenus et à l’attribution des oeuvres, doit s’améliorer.

La loi sur les droits d’auteurs est dépassée. Une société dans laquelle la culture et la connaissance sont libres et accessibles à tous en termes identiques est un bien commun. Les grands distributeurs et les détenteurs de droits d’auteurs détournent systématiquement et à grande échelle les copyrights, et de ce fait bloquent le développement artistique et l’innovation. Par conséquent, le Parti Libéral veut réintroduire l’équilibre dans la loi sur les droits d’auteurs avec différentes modifications :

Liberté du partage de fichiers : Le développement des techniques a permis la diffusion de la culture, qu’elle soit populaire ou de niche, au travers du globe, avec un coût minime. Nous avons besoin de nouvelles façons de dédommager les artistes et les détenteurs des droits d’auteur, pour rendre le partage de fichiers possible. Les lois et régulations, tant nationales qu’internationales, doivent être modifiées pour réguler uniquement les limitations d’utilisation et de distribution dans un contexte commercial.

Liberté d’échantillonage / reproduction : L’opinion du Parti Libéral est que les lois restrictives actuelles concernant les droits d’auteurs créent une situation difficile pour les musiciens, les producteurs de films, les écrivains et d’autres artistes lorsqu’ils veulent recréer ou retravailler d’anciennes oeuvres ou productions. En principe, ceci est illégal sans le consentement de tous les détenteurs des droits des oeuvres originales. Le Parti Libéral veut simplifier cette situation. La recréation d’anciennes oeuvres devrait être régulée comme un usage juste, et les lois existantes sur le plagiat sont plus que suffisantes pour protéger les droits des détenteurs des copyrights.

Durée de vie des droits d’auteurs plus courte : Actuellement, les droits d’auteurs en Norvège restent valides 70 ans après le décès du détenteur original des droits. Ceci est excessif ; les termes des droits d’auteur doivent être à un niveau qui équilibre mieux l’innovation et la diffusion de la culture. Le Parti Libéral voudrait une durée de vie plus courte sur les droits d’auteur.

Interdiction des DRM : Le Parti Libéral déclare que quiconque a acheté le droit d’utiliser un produit a besoin d’un moyen technologiquement neutre de l’utiliser. Ceci signifie que les distributeurs ne peuvent contrôler comment les citoyens peuvent jouer la musique numérique qu’ils ont légalement achetée. Le Parti Libéral veut prohiber les limitations techniques sur les droits légaux des consommateurs à utiliser librement et distribuer l’information et la culture, connues sous le nom de DRM. Au cas où une interdiction sur les DRM sortirait de la juridiction norvégienne, les produits qui utilisent des technologies de DRM devraient clairement mentionner le périmètre de leur utilisation avant d’être vendus.

Notes

[1] Crédit photo : Timcowlishaw (Creative Commons By-Sa)