Nous sommes déjà des cyborgs mais nous pouvons reprendre le contrôle

Avec un certain sens de la formule, Aral Balkan allie la sévérité des critiques et l’audace des propositions. Selon lui nos corps « augmentés » depuis longtemps font de nous des sujets de la surveillance généralisée maintenant que nos vies sont sous l’emprise démultipliée du numérique.

Selon lui, il nous reste cependant des perspectives et des pistes pour retrouver la maîtrise de notre « soi », mais elles impliquent, comme on le devine bien, une remise en cause politique de nos rapports aux GAFAM, une tout autre stratégie d’incitation aux entreprises du numérique de la part de la Communauté européenne, le financement d’alternatives éthiques, etc.

Ce qui suit est la version française d’un article qu’a écrit Aral pour le numéro 32 du magazine de la Kulturstiftung des Bundes (Fondation pour la culture de la République fédérale d’Allemagne). Vous pouvez également lire la version allemande.

Article original en anglais : Slavery 2.0 and how to avoid it : a practical guide for cyborgs

Traduction Framalang : goofy, jums, Fifi, MO, FranBAG, Radical Mass

L’esclavage 2.0 et comment y échapper : guide pratique pour les cyborgs.

par Aral Balkan

Il est très probable que vous soyez un cyborg et que vous ne le sachiez même pas.

Vous avez un smartphone ?
Vous êtes un cyborg.
Vous utilisez un ordinateur ? Ou le Web ?
Cyborg !

En règle générale, si vous utilisez une technologie numérique et connectée aujourd’hui, vous êtes un cyborg. Pas besoin de vous faire greffer des microprocesseurs, ni de ressembler à Robocop. Vous êtes un cyborg parce qu’en utilisant des technologies vous augmentez vos capacités biologiques.

À la lecture de cette définition, vous pourriez marquer un temps d’arrêt : « Mais attendez, les êtres humains font ça depuis bien avant l’arrivée des technologies numériques ». Et vous auriez raison.

Nous étions des cyborgs bien avant que le premier bug ne vienne se glisser dans le premier tube électronique à vide du premier ordinateur central.

Galilée et sa lunette, tableau de Justus Sustermans, image via Wikimedia Commons (Public Domain]

L’homme des cavernes qui brandissait une lance et allumait un feu était le cyborg originel. Galilée contemplant les cieux avec son télescope était à la fois un homme de la Renaissance et un cyborg. Lorsque vous mettez vos lentilles de contact le matin, vous êtes un cyborg.

Tout au long de notre histoire en tant qu’espèce, la technologie a amélioré nos sens. Elle nous a permis une meilleure maîtrise et un meilleur contrôle sur nos propres vies et sur le monde qui nous entoure. Mais la technologie a tout autant été utilisée pour nous opprimer et nous exploiter, comme peut en témoigner quiconque a vu un jour de près le canon du fusil de l’oppresseur.

« La technologie », d’après la première loi de la technologie de Melvin Kranzberg, « n’est ni bonne ni mauvaise, mais elle n’est pas neutre non plus. »

Qu’est-ce qui détermine alors si la technologie améliore notre bien-être, les droits humains et la démocratie ou bien les dégrade ? Qu’est-ce qui distingue les bonnes technologies des mauvaises ? Et, tant qu’on y est, qu’est-ce qui différencie la lunette de Galilée et vos lentilles de contact Google et Facebook ? Et en quoi est-ce important de se considérer ou non comme des cyborgs ?

Nous devons tous essayer de bien appréhender les réponses à ces questions. Sinon, le prix à payer pourrait être très élevé. Il ne s’agit pas de simples questions technologiques. Il s’agit de questions cruciales sur ce que signifie être une personne à l’ère du numérique et des réseaux. La façon dont nous choisirons d’y répondre aura un impact fondamental sur notre bien-être, tant individuellement que collectivement. Les réponses que nous choisirons détermineront la nature de nos sociétés, et à long terme pourraient influencer la survie de notre espèce.

Propriété et maîtrise du « soi » à l’ère numérique et connectée

Imaginez : vous êtes dans un monde où on vous attribue dès la naissance un appareil qui vous observe, vous écoute et vous suit dès cet instant. Et qui peut aussi lire vos pensées.

Au fil des ans, cet appareil enregistre la moindre de vos réflexions, chaque mot, chaque mouvement et chaque échange. Il envoie toutes ces informations vous concernant à un puissant ordinateur central appartenant à une multinationale. À partir de là, les multiples facettes de votre personnalité sont collectionnées par des algorithmes pour créer un avatar numérique de votre personne. La multinationale utilise votre avatar comme substitut numérique pour manipuler votre comportement.

Votre avatar numérique a une valeur inestimable. C’est tout ce qui fait de vous qui vous êtes (à l’exception de votre corps de chair et d’os). La multinationale se rend compte qu’elle n’a pas besoin de disposer de votre corps pour vous posséder. Les esprits critiques appellent ce système l’Esclavage 2.0.

À longueur de journée, la multinationale fait subir des tests à votre avatar. Qu’est-ce que vous aimez ? Qu’est-ce qui vous rend heureux ? Ou triste ? Qu’est-ce qui vous fait peur ? Qui aimez-vous ? Qu’allez-vous faire cet après-midi ? Elle utilise les déductions de ces tests pour vous amener à faire ce qu’elle veut. Par exemple, acheter cette nouvelle robe ou alors voter pour telle personnalité politique.

La multinationale a une politique. Elle doit continuer à survivre, croître et prospérer. Elle ne peut pas être gênée par des lois. Elle doit influencer le débat politique. Heureusement, chacun des politiciens actuels a reçu le même appareil que vous à la naissance. Ainsi, la multinationale dispose aussi de leur avatar numérique, ce qui l’aide beaucoup à parvenir à ses fins.

Ceci étant dit, la multinationale n’est pas infaillible. Elle peut toujours faire des erreurs. Elle pourrait de façon erronée déduire, d’après vos pensées, paroles et actions, que vous êtes un terroriste alors que ce n’est pas le cas. Quand la multinationale tombe juste, votre avatar numérique est un outil d’une valeur incalculable pour influencer votre comportement. Et quand elle se plante, ça peut vous valoir la prison.
Dans les deux cas, c’est vous qui perdez !

Ça ressemble à de la science-fiction cyberpunk dystopique, non ?

Remplacez « multinationale » par « Silicon Valley ». Remplacez « puissant ordinateur central » par « cloud ». Remplacez « appareil » par « votre smartphone, l’assistant de votre smart home, votre smart city et votre smart ceci-cela, etc. ».

Bienvenue sur Terre, de nos jours ou à peu près.

Le capitalisme de surveillance

Nous vivons dans un monde où une poignée de multinationales ont un accès illimité et continu aux détails les plus intimes de nos vies. Leurs appareils, qui nous observent, nous écoutent et nous pistent, que nous portons sur nous, dans nos maisons, sur le Web et (de plus en plus) sur nos trottoirs et dans nos rues. Ce ne sont pas des outils dont nous sommes maîtres. Ce sont les yeux et les oreilles d’un système socio-techno-économique que Shoshana Zuboff appelle « le capitalisme de surveillance ».

Tout comme dans notre fiction cyberpunk dystopique, les barons voleurs de la Silicon Valley ne se contentent pas de regarder et d’écouter. Par exemple, Facebook a annoncé à sa conférence de développeurs en 2017 qu’ils avaient attelé 60 ingénieurs à littéralement lire dans votre esprit1.

J’ai demandé plus haut ce qui sépare la lunette de Galilée de vos lentilles de contact produites par Facebook, Google ou d’autres capitalistes de surveillance. Comprendre la réponse à cette question est crucial pour saisir à quel point le concept même de personnalité est menacé par le capitalisme de surveillance.

Lorsque Galilée utilisait son télescope, lui seul voyait ce qu’il voyait et lui seul savait ce qu’il regardait. Il en va de même lorsque vous portez vos lentilles de contact. Si Galilée avait acheté son télescope chez Facebook, Facebook Inc. aurait enregistré tout ce qu’il voyait. De manière analogue, si vous allez achetez vos lentilles de contact chez Google, des caméras y seront intégrées et Alphabet Inc. verra tout ce que vous voyez. (Google ne fabrique pas encore de telles lentilles, mais a déposé un brevet2 pour les protéger. En attendant, si vous êtes impatient, Snapchat fait des lunettes à caméras intégrées.)

Lorsque vous rédigez votre journal intime au crayon, ni le crayon ni votre journal ne savent ce que vous avez écrit. Lorsque vous écrivez vos réflexions dans des Google Docs, Google en connaît chaque mot.

Quand vous envoyez une lettre à un ami par courrier postal, la Poste ne sait pas ce que vous avez écrit. C’est un délit pour un tiers d’ouvrir votre enveloppe. Quand vous postez un message instantané sur Facebook Messenger, Facebook en connaît chaque mot.

Si vous vous identifiez sur Google Play avec votre smartphone Android, chacun de vos mouvements et de vos échanges sera méticuleusement répertorié, envoyé à Google, enregistré pour toujours, analysé et utilisé contre vous au tribunal du capitalisme de surveillance.

On avait l’habitude de lire les journaux. Aujourd’hui, ce sont eux qui nous lisent. Quand vous regardez YouTube, YouTube vous regarde aussi.

Vous voyez l’idée.

À moins que nous (en tant qu’individus) n’ayons notre technologie sous contrôle, alors « smart » n’est qu’un euphémisme pour « surveillance ». Un smartphone est un mouchard, une maison intelligente est une salle d’interrogatoire et une ville intelligente est un dispositif panoptique.

Google, Facebook et les autres capitalistes de surveillance sont des fermes industrielles pour êtres humains. Ils gagnent des milliards en vous mettant en batterie pour vous faire pondre des données et exploitent cette connaissance de votre intimité pour vous manipuler votre comportement.

Ce sont des scanners d’être humains. Ils ont pour vocation de vous numériser, de conserver cette copie numérique et de l’utiliser comme avatar pour gagner encore plus en taille et en puissance.

Nous devons comprendre que ces multinationales ne sont pas des anomalies. Elles sont la norme. Elles sont le courant dominant. Le courant dominant de la technologie aujourd’hui est un débordement toxique du capitalisme américain de connivence qui menace d’engloutir toute la planète. Nous ne sommes pas vraiment à l’abri de ses retombées ici en Europe.

Nos politiciens se laissent facilement envoûter par les millions dépensés par ces multinationales pour abreuver les lobbies de Bruxelles. Ils sont charmés par la sagesse de la Singularity University (qui n’est pas une université). Et pendant ce temps-là, nos écoles entassent des Chromebooks pour nos enfants. On baisse nos taxes, pour ne pas handicaper indûment les capitalistes de surveillance, au cas où ils voudraient se commander une autre Guinness. Et les penseurs de nos politiques, institutionnellement corrompus, sont trop occupés à organiser des conférences sur la protection des données – dont les allocutions sont rédigées par Google et Facebook – pour protéger nos intérêts. Je le sais car j’ai participé à l’une d’elles l’an passé. L’orateur de Facebook quittait tout juste son boulot à la CNIL, la commission française chargée de la protection des données, réputée pour la beauté et l’efficacité de ses chaises musicales.

Il faut que ça change.

Je suis de plus en plus convaincu que si un changement doit venir, il viendra de l’Europe.

La Silicon Valley ne va pas résoudre le problème qu’elle a créé. Principalement parce que des entreprises comme Google ou Facebook ne voient pas leurs milliards de bénéfices comme un problème. Le capitalisme de surveillance n’est pas déstabilisé par ses propres critères de succès. Ça va comme sur des roulettes pour les entreprises comme Google et Facebook. Elles se marrent bien en allant à la banque, riant au visage des législateurs, dont les amendes cocasses excèdent à peine un jour ou deux de leur revenu. D’aucuns diraient que « passible d’amende » signifie « légal pour les riches ». C’est peu de le dire lorsqu’il s’agit de réglementer des multinationales qui brassent des milliers de milliards de dollars.

De manière analogue, le capital-risque ne va pas investir dans des solutions qui mettraient à mal le business immensément lucratif qu’il a contribué à financer.

Alors quand vous voyez passer des projets comme le soi-disant Center for Humane Technology, avec des investisseurs-risques et des ex-employés de Google aux commandes, posez-vous quelques questions. Et gardez-en quelques-unes pour les organisations qui prétendent créer des alternatives éthiques alors qu’elles sont financées par les acteurs du capitalisme de surveillance. Mozilla, par exemple, accepte chaque année des centaines de millions de dollars de Google3. Au total, elle les a délestés de plus d’un milliard de dollars. Vous êtes content de lui confier la réalisation d’alternatives éthiques ?

Si nous voulons tracer une autre voie en Europe, il faut financer et bâtir notre technologie autrement. Ayons le courage de nous éloigner de nos amis d’outre-Atlantique. Ayons l’aplomb de dire à la Silicon Valley et à ses lobbyistes que nous n’achetons pas ce qu’ils vendent.

Et nous devons asseoir tout ceci sur de solides fondations légales en matière de droits de l’homme. J’ai dit « droits de l’homme » ? Je voulais dire droits des cyborgs.

Les droits des cyborgs sont des droits de l’homme

La crise juridique des droits de l’homme que nous rencontrons nous ramène au fond à ce que nous appelons « humain ».

Traditionnellement, on trace les limites de la personne humaine à nos frontières biologiques. En outre, notre système légal et judiciaire tend à protéger l’intégrité de ces frontières et, par là, la dignité de la personne. Nous appelons ce système le droit international des droits de l’Homme.

Malheureusement, la définition de la personne n’est plus adaptée pour nous protéger complètement à l’ère du numérique et des réseaux.

Dans cette nouvelle ère, nous étendons nos capacités biologiques par des technologies numériques et en réseau. Nous prolongeons nos intellects et nos personnes par la technologie moderne. C’est pour ça que nous devons étendre notre concept des limites de la personne jusqu’à inclure les technologies qui nous prolongent. En étendant la définition de la personne, on s’assure que les droits de l’homme couvrent et donc protègent la personne dans son ensemble à l’ère du numérique et des réseaux.

« Cyborg-gal-avi » par Pandora Popstar/Lainy Voom, licence CC BY-NC-SA 2.0

En tant que cyborgs, nous sommes des êtres fragmentaires. Des parties de nous vivent dans nos téléphones, d’autres quelque part sur un serveur, d’autres dans un PC portable. C’est la somme totale de tous ces fragments qui compose l’intégralité de la personne à l’ère du numérique et des réseaux.

Les droits des cyborgs sont donc les droits de l’homme tels qu’appliqués à la personne cybernétique. Ce dont nous n’avons pas besoin, c’est d’un ensemble de « droits numériques » – probablement revus à la baisse. C’est pourquoi, la Déclaration universelle des droits cybernétiques n’est pas un document autonome, mais un addendum à la Déclaration universelle des droits de l’Homme.

La protection constitutionnelle des droits cybernétiques étant un but à long terme, il ne faut pas attendre un changement constitutionnel pour agir. Nous pouvons et devons commencer à nous protéger en créant des alternatives éthiques aux technologies grand public.

Pour des technologies éthiques

Une technologie éthique est un outil que vous possédez et que vous contrôlez. C’est un outil conçu pour vous rendre la vie plus facile et plus clémente. C’est un outil qui renforce vos capacités et améliore votre vie. C’est un outil qui agit dans votre intérêt – et jamais à votre détriment.

Une technologie non éthique est au contraire un outil aux mains de multinationales et de gouvernements. Elle sert leurs intérêts aux dépens des vôtres. C’est un miroir aux alouettes conçu pour capter votre attention, vous rendre dépendant, pister chacun de vos mouvements et vous profiler. C’est une ferme industrielle déguisée en parc récréatif.

La technologie non éthique est nuisible pour les êtres humains, le bien-être et la démocratie.

Semer de meilleures graines

La technologie éthique ne pousse pas sur des arbres, il faut la financer. La façon de la financer a de l’importance.
La technologie non éthique est financée par le capital risque. Le capital risque n’investit pas dans une entreprise, il investit dans la vente de l’entreprise. Il investit aussi dans des affaires très risquées. Un investisseur risque de la Silicon Valley va investir, disons, 5 millions de dollars dans 10 start-ups différentes, en sachant que 9 d’entre elles vont capoter. Alors il (c’est habituellement un « lui/il ») a besoin que la 10e soit une licorne à un milliard de dollars pour que ça lui rapporte 5 à 10 fois l’argent investi (Ce n’est même pas son argent, mais celui de ses clients.). Le seul modèle d’affaires que nous connaissions dans les nouvelles technologies qui atteigne une croissance pareille est la mise en batterie des gens. L’esclavage a bien payé.
L’esclavage 2.0 paie bien aussi.

Pas étonnant qu’un système qui attache autant de valeur à un mode de croissance de type prolifération cancéreuse ait engendré des tumeurs telles que Google et Facebook. Ce qui est stupéfiant, c’est que nous semblions célébrer ces tumeurs au lieu de soigner le patient. Et plus déconcertant encore, nous nous montrons obstinément déterminés à nous inoculer la même maladie ici en Europe.

Changeons de direction.

Finançons des alternatives éthiques

À partir des biens communs

Pour le bien commun.

Oui, cela signifie avec nos impôts. C’est en quelque sorte ce pour quoi ils existent (pour mettre en place des infrastructures partagées et destinées au bien commun qui font progresser le bien-être de nos populations et nos sociétés). Si le mot « impôt » vous effraie ou sonne trop vieux jeu, remplacez-le simplement par « financement participatif obligatoire » ou « philanthropie démocratisée ».

Financer une technologie éthique à partir des biens communs ne signifie pas que nous laissions aux gouvernements le pouvoir de concevoir, posséder ou contrôler nos technologies. Pas plus que de nationaliser des entreprises comme Google et Facebook. Démantelons-les ! Bien sûr. Régulons-les ! Évidemment. Mettons en œuvre absolument tout ce qui est susceptible de limiter autant que possible leurs abus.

Ne remplaçons pas un Big Brother par un autre.

À l’inverse, investissons dans de nombreuses et petites organisations, indépendantes et sans but lucratif, et chargeons-les de concevoir les alternatives éthiques. Dans le même temps, mettons-les en compétition les unes avec les autres. Prenons ce que nous savons qui fonctionne dans la Silicon Valley (de petites organisations travaillant de manière itérative, entrant en compétition, et qui échouent rapidement) et retirons ce qui y est toxique : le capital risque, la croissance exponentielle, et les sorties de capitaux.

À la place des startups, lançons des entreprises durables, des stayups en Europe.

À la place de sociétés qui n’ont comme possibilités que d’échouer vite ou devenir des tumeurs malignes, finançons des organisations qui ne pourront qu’échouer vite ou devenir des fournisseurs durables de bien social.

Lorsque j’ai fait part de ce projet au Parlement européen, il y a plusieurs années, celui-ci a fait la sourde oreille. Il n’est pas encore trop tard pour s’y mettre. Mais à chaque fois que nous repoussons l’échéance, le capitalisme de surveillance s’enchevêtre plus profondément encore dans le tissu de nos vies.

Nous devons surmonter ce manque d’imagination et fonder notre infrastructure technologique sur les meilleurs principes que l’humanité ait établis : les droits de l’homme, la justice sociale et la démocratie.

Aujourd’hui, l’UE se comporte comme un département de recherche et développement bénévole pour la Silicon Valley. Nous finançons des startups qui, si elles sont performantes, seront vendues à des sociétés de la Silicon Valley. Si elles échouent, le contribuable européen réglera la note. C’est de la folie.

La Communauté Européenne doit mettre fin au financement des startups et au contraire investir dans les stayups. Qu’elle investisse 5 millions d’euros dans dix entreprises durables pour chaque secteur où nous voulons des alternatives éthiques. À la différence des startups, lorsque les entreprises durables sont performantes, elles ne nous échappent pas. Elles ne peuvent être achetées par Google ou Facebook. Elles restent des entités non lucratives, soutenables, européennes, œuvrant à produire de la technologie en tant que bien social.

En outre, le financement d’une entreprise durable doit être soumis à une spécification stricte sur la nature de la technologie qu’elle va concevoir. Les biens produits grâce aux financements publics doivent être des biens publics. La Free Software Foundation Europe sensibilise actuellement l’opinion sur ces problématiques à travers sa campagne « argent public, code public ». Cependant, nous devons aller au-delà de  l’open source pour stipuler que la technologie créée par des entreprises durables doit être non seulement dans le domaine public, mais également qu’elle ne peut en être retirée. Dans le cas des logiciels et du matériel, cela signifie l’utilisation de licences copyleft. Une licence copyleft implique que si vous créez à partir d’une technologie publique, vous avez l’obligation de la partager à l’identique. Les licences share-alike, de partage à l’identique, sont essentielles pour que nos efforts ne soient pas récupérés pour enjoliver la privatisation et pour éviter une tragédie des communs. Des corporations aux poches sans fond ne devraient jamais avoir la possibilité de prendre ce que nous créons avec des deniers publics, habiller tout ça de quelques millions d’investissement et ne plus partager le résultat amélioré.

En fin de compte, il faut préciser que les technologies produites par des entreprises stayups sont des technologies pair-à-pair. Vos données doivent rester sur des appareils que vous possédez et contrôlez. Et lorsque vous communiquez, vous devez le faire en direct (sans intervention d’un « homme du milieu », comme Google ou Facebook). Là où ce n’est techniquement pas possible, toute donnée privée sous le contrôle d’une tierce partie (par exemple un hébergeur web) doit être chiffrée de bout à bout et vous seul devriez en détenir la clé d’accès.

Même sans le moindre investissement significatif dans la technologie éthique, de petits groupes travaillent déjà à des alternatives. Mastodon, une alternative à Twitter fédérée et éthique, a été créée par une seule personne d’à peine vingt ans. Quelques personnes ont collaboré pour créer un projet du nom de Dat qui pourrait être la base d’un web décentralisé. Depuis plus de dix ans, des bénévoles font tourner un système de nom de domaine alternatif non commercial appelé OpenNIC4 qui pourrait permettre à chacun d’avoir sa propre place sur le Web…

Si ces graines germent sans la moindre assistance, imaginez ce qui serait à notre portée si on commençait réellement à les arroser et à en planter de nouvelles. En investissant dans des stayups, nous pouvons entamer un virage fondamental vers la technologie éthique en Europe.

Nous pouvons construire un pont de là où nous sommes vers là où nous voulons aller.

D’un monde où les multinationales nous possèdent par procuration à un monde où nous n’appartenons qu’à nous-mêmes.

D’un monde où nous finissons toujours par être la propriété d’autrui à un monde où nous demeurons des personnes en tant que telles.

Du capitalisme de surveillance à la pairocratie.




Facebook n’est pas un réseau social, c’est un scanner qui nous numérise

Aral Balkan est dans le monde de l’informatique une voix singulière, peut-être signe d’un changement de mentalités au sein de cette nébuleuse généralement plus préoccupée de technologie que de la marche du monde.

C’est en effet sur le terrain politique et même idéologique (ça y est, en deux mots on a déjà perdu les startupers !) qu’il place son travail, dans une perspective militante.

Contempteur sans concession du « capitalisme de surveillance » ( voir ce que nous avons publié sur cette question), il se place ici en rupture totale avec le discours à visée hégémonique que vient de tenir Mark Zuckerberg.

Pour Aral Balkan, tous les objets numériques qui nous prolongent sont autant d’émanations fragmentaires de notre personnalité, nous devrions donc en reconquérir la souveraineté et en défendre les droits battus en brèche par les Léviathans qui les captent et les monétisent.

il nous faut selon lui travailler à créer un autre monde (eh oui, carrément) où nous aurions retrouvé la maîtrise de toutes les facettes de nos personnalités numériques, il indique même quelques pistes dont certaines sont « déjà là » : les biens communs, les licences libres, le pair à pair…

Certains ne manqueront pas de traiter sa vision d’utopie avec un haussement d’épaules, avant de se résigner à un statu quo qui mutile notre humanité.

Découvrez plutôt sans préjugés un discours disruptif qui peut-être porte en germe une flexion décisive dans notre rapport au numérique.

Article original d’Aral Balkan sur son blog : Encouraging individual sovereignty and a healthy commons

Traduction Framalang : mo, panique, jaaf, valvin, goofy, jeromecc

Encourager la maîtrise de chacun et la bonne santé des biens communs

Dans son manifeste récent Mark Zuckerberg mettait en valeur sa vision d’une colonie mondiale centralisée dont les règles seraient dictées par l’oligarchie de la Silicon Valley.

J’affirme que nous devons faire exactement l’inverse et œuvrer à un monde fondé sur la souveraineté individuelle et un patrimoine commun sain.

Nous sommes des êtres fragmentés. Construisons un monde où nous détenons et contrôlons toutes les facettes de notre personnalité.

 

Mark Zuckerberg a publié un manifeste intitulé « Construisons une communauté mondiale » dans lequel il détaille comment lui, un des 8 plus riches milliardaires au monde) et son empire entrepreneurial américain/multinational, Facebook Inc., vont résoudre tous les maux du monde.

Dans sa vision grandiose pour l’humanité, Mark revient sur la façon dont fondamentalement, Facebook « nous rapproche » en « connectant nos amis et nos familles ». Ce que Mark oublie de dire c’est que Facebook ne connecte pas les gens entre eux ; Facebook connecte les gens à Facebook Inc.

Facebook : Le mythe. Mark souhaite que vous pensiez que Facebook vous connecte les uns aux autres.

Facebook : la réalité. Facebook vous connecte à Facebook Inc.

Le modèle économique de Facebook c’est d’être « l’homme du milieu » : il consiste à pister tous vos comportements, votre famille, vos amis, à stocker indéfiniment des informations et les analyser en permanence pour vous connaître, vous exploiter en vous manipulant afin d’en tirer un bénéfice financier ou politique.

Facebook n’est pas un réseau social, c’est un scanner qui numérise les êtres humains. C’est, pour ainsi dire, une caméra qui capte votre âme.
Le business de Facebook consiste à créer un double de vous-même, à s’emparer de ce double et à le contrôler, pour vous posséder et vous contrôler.

Quand Mark vous demande de lui faire confiance pour être un roi bienveillant, je réponds que nous bâtirons un monde sans roi.

Le modèle économique de Facebook, Google et de la cohorte des startups financées par le capital-risque de la Silicon Valley, j’appelle ça de l’élevage d’être humains. Facebook est une ferme industrielle pour les êtres humains. Et le manifeste de Mark n’est rien d’autre que la dernière tentative d’un milliardaire paniqué pour enjoliver un modèle d’affaires répugnant fondé sur la violation des droits humains avec l’objectif faussement moral de se débarrasser de la réglementation et de justifier un désir décomplexé de créer une seigneurie à l’échelle planétaire, en connectant chacun d’entre nous à Facebook, Inc.

Refusons une colonie globale

Le manifeste de Mark ne vise pas à construire une communauté globale, il vise à construire une colonie globale – dont il serait le roi et dont son entreprise et l’oligarchie de la Silicon Valley seraient la cour.

Facebook veut nous faire croire qu’il s’agit d’un parc de loisirs alors qu’il s’agit d’un centre commercial.

Ce n’est pas le rôle d’une entreprise de « développer l’infrastructure sociale d’une communauté » comme Mark veut le faire. L’infrastructure sociale doit faire partie des biens communs, et non pas appartenir aux entreprises monopolistiques géantes comme Facebook. La raison pour laquelle nous nous retrouvons dans un tel bazar avec une surveillance omniprésente, des bulles de filtres et des informations mensongères (de la propagande) c’est que, précisément, la sphère publique a été totalement détruite par un oligopole d’infrastructures privées qui se présente comme un espace public.

Facebook veut nous faire croire qu’il s’agit d’un parc alors qu’il s’agit d’un centre commercial. La dernière chose dont nous ayons besoin c’est d’une infrastructure numérique encore plus centralisée et détenue par des intérêts privés pour résoudre les problèmes créés par une concentration sans précédent de puissance, de richesse et de contrôle entre les mains de quelques-uns. Il est grand temps que nous commencions à financer et à construire l’équivalent numérique de parcs à l’ère du numérique au lieu de construire des centres commerciaux de plus en plus grands.

D’autres ont critiqué en détail le manifeste de Mark. Je ne vais pas répéter ici ce qu’ils ont dit. Je voudrais plutôt me concentrer sur la manière dont nous pouvons construire un univers radicalement différent de celui de la vision de Mark. Un monde dans lequel, nous, individus, au lieu des entreprises, aurons la maîtrise et le contrôle de notre être. En d’autres termes, un monde dans lequel nous aurons la souveraineté individuelle.

Là où Mark vous demande de lui faire confiance en tant que roi bienveillant, je réponds : construisons un monde sans roi. Là où la vision de Mark s’enracine dans le colonialisme et la perpétuation d’un pouvoir et d’un contrôle centralisés, la mienne est fondée sur la souveraineté individuelle et avec des biens communs en bonne santé et distribués.

La souveraineté individuelle et le moi cybernétique.

Nous ne pouvons plus nous offrir le luxe de ne pas comprendre la nature du « moi » à l’âge numérique. L’existence même de nos libertés et de la démocratie en dépend.
Nous sommes (et nous le sommes depuis un moment maintenant) des organismes cybernétiques.
Nous devons résister de toutes nos forces à toute tentative de réduire les personnes à des propriétés.

En cela, je ne veux pas faire référence à la représentation stéréotypée des cyborgs qui prévaut en science-fiction et dans laquelle la technologie se mélange aux tissus humains. Je propose plutôt une définition plus générale dans laquelle le terme s’applique à toute extension de notre esprit et de notre moi biologique par la technologie. Bien que les implants technologiques soient certainement réalisables, possibles et avérés, le principal moyen par lequel nous amplifions aujourd’hui notre moi avec la technologie, ce n’est pas par des implants mais par des explants.

Nous sommes des êtres fragmentés ; la somme de nos différents aspects tels que contenus dans nos êtres biologiques aussi bien que dans la myriade de technologies que nous utilisons pour étendre nos capacités biologiques.

Nous devons protéger par voie constitutionnelle la dignité et le caractère sacro-saint du moi étendu.

 

Une fois que nous avons compris cela, il s’ensuit que nous devons étendre les protections du moi au-delà de nos limites biologiques pour y inclure toutes ces technologies qui servent à nous prolonger. Par conséquent, toute tentative par des tierces parties de posséder, contrôler et utiliser ces technologies comme une marchandise est une tentative de posséder, contrôler et monétiser les éléments constitutionnels des individus comme des marchandises. Pour faire court, c’est une tentative de posséder, contrôler et utiliser les êtres humains comme des marchandises.

Inutile de dire que nous devons résister avec la plus grande vigueur à toute tentative de réduire les êtres humains à de la marchandise. Car ne pas le faire, c’est donner notre consentement tacite à une nouvelle servitude : une servitude qui ne fait pas commerce des aspects biologiques des êtres humains mais de leurs paramètres numériques. Les deux, bien sûr, n’existent pas séparément et ne sont pas réellement séparables lorsque la manipulation de l’un affecte nécessairement l’autre.

Au-delà du capitalisme de surveillance

À partir du moment où nous comprenons que notre relation à la technologie n’est pas une relation maître/esclave mais une relation organisme cybernétique/organe ; à partir du moment où nous comprenons que nous étendons notre moi par la technologie et que notre technologie et nos données font partie des limites de notre moi, alors nous devons nous battre pour que légalement les protections constitutionnelles du moi que nous avons gravées dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et mises en application dans la myriade des législations nationales soient étendues à la protection du moi en tant qu’être cybernétique.

Il s’ensuit également que toute tentative de violation des limites de ce moi doit être considérée comme une attaque du moi cybernétique. C’est précisément cette violation qui constitue aujourd’hui le modèle économique quotidien de Facebook, Google et des majors de la technologie de la Sillicon Valley. Dans ce modèle, que Shoshana Zuboff appelle le capitalisme de surveillance, ce que nous avons perdu, c’est notre souveraineté individuelle. Les personnes sont à nouveau redevenues des possessions, bien que sous forme numérique et non biologique.

Pour contrer cela, nous devons construire une nouvelle infrastructure pour permettre aux personnes de regagner cette souveraineté individuelle. Ces aspects de l’infrastructure qui concernent le monde qui nous entoure doivent appartenir aux biens communs et les aspects qui concernent les gens – qui constituent les organes de notre être cybernétique – doivent être détenus et contrôlés par les individus eux-mêmes.

Ainsi, par exemple, l’architecture d’une ville intelligente et les données sur le monde qui nous entoure (les données sur notre environnement) doivent appartenir aux biens communs, tandis que votre voiture intelligente, votre smartphone, votre montre connectée, votre peluche intelligente, etc. et les données qu’ils collectent (les données sur les individus) doivent rester votre propriété.

Pour un Internet des individus

Imaginez un monde où chacun possède son propre espace sur Internet, fondé sur les biens communs. Cela représente un espace privé (un organe de notre être cybernétique) auquel nos appareils dits intelligents (qui sont aussi des organes), peuvent se connecter.

Au lieu d’envisager cet espace comme un nuage personnel, nous devons le considérer comme un nœud particulier, permanent, dans une infrastructure de pair à pair dans laquelle nos appareils divers (nos organes) se connectent les uns aux autres. En pratique, ce nœud permanent est utilisé pour garantir la possibilité de trouver la localisation (à l’origine en utilisant des noms de domaine) et la disponibilité (car il est hébergé/toujours en service) tandis que nous passerons de l’architecture client/serveur du Web actuel à l’architecture de pair à pair de la prochaine génération d’Internet.

Chacun a son propre espace sur Internet, auquel tous ses objets se connectent.

Un Internet des individus

L’infrastructure que nous construirons doit être fondée sur les biens communs, appartenir aux biens communs et être interopérable. Les services eux-mêmes doivent être construits et hébergés par une pléthore d’organisations individuelles, non par des gouvernements ou par des entreprises gigantesques, travaillant avec des protocoles interopérables et en concurrence pour apporter à ceux qu’elles servent le meilleur service possible. Ce n’est pas un hasard : ce champ sévèrement limité du pouvoir des entreprises résume l’intégralité de leur rôle dans une démocratie telle que je la conçois.

L’unique but d’une entreprise devrait être de rivaliser avec d’autres organisations pour fournir aux personnes qu’elles servent le meilleur service possible. Cela contraste radicalement avec les énormes dispositifs que les entreprises utilisent aujourd’hui pour attirer les individus (qu’ils appellent des « utilisateurs ») sous de faux prétextes (des services gratuits à l’intérieur desquels ils deviennent les produits destinés à la vente) dans le seul but de les rendre dépendants, de les piéger et de les enfermer dans des technologies propriétaires, en faire l’élevage, manipuler leur comportement et les exploiter pour en tirer un bénéfice financier et politique.

Dans l’entreprenocratie d’aujourd’hui, nous – les individus – sommes au service des entreprises. Dans la démocratie de demain, les entreprises devront être à notre service.

Les fournisseurs de services doivent, naturellement, être libres d’étendre les fonctionnalités du système tant qu’ils partagent les améliorations en les remettant dans les biens communs (« partage à l’identique »), évitant ainsi le verrouillage. Afin de fournir des services au-dessus et au-delà des services de base fondés sur les biens communs, les organisations individuelles doivent leur attribuer un prix et faire payer les services selon leur valeur ajoutée. De cette manière, nous pouvons construire une économie saine basée sur la compétition reposant sur un socle éthiquement sain à la place du système de monopoles que nous rencontrons aujourd’hui reposant sur une base éthiquement pourrie. Nous devons le faire sans compliquer le système tout entier dans une bureaucratie gouvernementale compliquée qui étoufferait l’expérimentation, la compétition et l’évolution décentralisée et organique du système.

Une économie saine fondée sur un base éthique

 

Interopérabilité, technologies libres avec des licences « partage à l’identique », architecture de pair à pair (par opposition à une architecture client/serveur), et un cœur fondé sur les biens communs : tels sont les garde-fous fondamentaux pour empêcher le nouveau système de se dégrader en une nouvelle version du Web de surveillance monopolistique, tel que nous connaissons aujourd’hui. C’est notre manière d’éviter les économies d’échelle et de rompre la boucle de rétroaction entre l’accumulation d’informations et la richesse qui est le moteur principal du capitalisme de la surveillance.

Pour être tout à fait clair, nous ne parlons pas d’un système qui peut s’épanouir sous le diktat du dernier round d’un capitalisme de surveillance. C’est un système néanmoins, qui peut être construit dans les conditions actuelles pour agir comme un pont entre le statu quo et un monde post-capitaliste durable.

Construire le monde dans lequel vous voulez vivre

Dans un discours que j’ai tenu récemment lors d’un événement de la Commission européenne à Rome, je disais aux auditeurs que nous devions « construire le monde dans lequel nous voulons vivre ». Pour moi, ce n’est pas un monde détenu et contrôlé par une poignée d’oligarques de la Silicon Valley. C’est un monde avec des biens communs sains, dans lequel – en tant que communauté – nous possédons et contrôlons collectivement ces aspects de notre existence qui nous appartiennent à tous, et dans lequel aussi — en tant qu’individus — nous sommes maîtres et avons le contrôle des aspects de notre existence qui n’appartiennent qu’à nous.

Imaginez un monde où vous et ceux que vous aimez disposeraient d’une capacité d’action démocratique ; un monde où nous bénéficierions tous d’un bien-être de base, de droits et de libertés favorables à notre dignité d’êtres cybernétiques. Imaginez un monde durable libéré de l’avidité destructrice et à court terme du capitalisme et dans lequel nous ne récompenserions plus les sociopathes lorsqu’ils trouvent des moyens encore plus impitoyables et destructeurs d’accumuler les richesses et la puissance aux dépens des autres. Imaginez un monde libre, soustrait (non plus soumis) à la boucle de rétroaction de la peur fabriquée et de la surveillance omniprésente qui nous entraîne de plus en plus profondément dans un nouveau vortex du fascisme. Imaginez un monde dans lequel nous nous octroierions la grâce d’une existence intellectuellement riche où nous serions libres d’explorer le potentiel de notre espèce parmi les étoiles.
Tel est le monde pour lequel je me lève chaque jour afin d’y travailler. Non par charité. Non pas parce que je suis un philanthrope. En fait sans aucune autre raison que celle-ci : c’est le monde dans lequel je veux vivre.

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Aral Balkan est un militant, concepteur et développeur. Il détient 1/3 de Ind.ie, une petite entreprise sociale qui travaille pour la justice sociale à l’ère du numérique.