Parution : L’amour en commun

C’est avec grand plaisir que nous annonçons la parution du premier ouvrage de la collection Des Livres en Communs !

Premiers lauréats de l’appel à projet Des Livres en Communs (Framasoft) en 2022, accompagnés par l’équipe éditoriale, Margaux Lallemant et Timothé Bodo ont travaillé durant deux ans à l’élaboration d’un essai original et fouillé dont la lecture est très stimulante ! En attendant une interview des deux auteurs, prochainement disponible sur ce blog, voici la présentation de l’ouvrage, sous licence Creative Commons CC-By-Sa.

Couverture du livre L'amour en commun
L’amour en commun (couverture)

Comment libérer l’amour des carcans du couple et de la famille pour en faire un projet collectif ? Cet essai explore les effets du patriarcat et du capitalisme sur nos relations et montre que réinventer l’amour ne peut se faire isolément.

À travers une analyse de dynamiques interpersonnelles — amour romantique, amitié — en relation avec les structures sociales qui les façonnent — genre, soin, travail, rapport au vivant — les auteur-ices interrogent les oppressions qui traversent l’amour au sens large.

À la recherche de « contre-mondes » où l’affaiblissement du système capitaliste semble possible, iels s’intéressent à la piraterie et la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes, dans leurs mythes et leurs écueils.

Une invitation à envisager l’amour sous un jour nouveau, comme un espace d’émancipation et de création collective.

Présentation et téléchargements : L’amour en commun

Margaux Lallemant et Timothé Bodo, L’Amour en commun, Préface signée Yann Kervran (co-éditeur pour DLeC), Des Livres en Communs, oct. 2024.


Des Livres en Communs est un projet Framasoft. C’est un modèle alternatif radical (et anticapitaliste) à l’édition, basé sur l’expérience acquise avec dix ans de Framabook. Des Livres en Communs ne propose pas qu’un modèle alternatif d’édition théorique, c’est très concrètement que nous agissons pour créer des communs culturels pertinents et de qualité :

  • d’abord en accompagnant les auteur·ices tout au long du processus de création, car nous n’attendons pas que l’œuvre nous arrive toute cuite pour commencer notre travail éditorial ;
  • en mobilisant des fonds : dès le début du processus de création, les auteur·ices sont rémunérés pour leur travail, et non pas en attendant d’hypothético-faméliques émoluments basé sur un nombre de ventes (nous considérons qu’une œuvre versée dans les communs culturels n’est pas un capital rentier).

Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site DLeC.




Refuser les rapports et soutenances de stages confidentiels

Aujourd’hui, nous vous proposons de sortir un peu des sentiers (re)battus du libre et des communs pour explorer un peu plus ceux de l’éducation et du partage. Stéphane Crozat, membre de Framasoft et prof. à l’Université de Technologie de Compiègne, souhaite partager ici une réflexion autour des conditions de publication des rapports de stage. Profitons du fait que le Framablog est aussi le blog des membres de l’association Framasoft pour lui donner la parole.

Stéphane Crozat, Framasoft

Chaque semestre, une partie significative des entreprises qui accueillent des stagiaires de l’Université Technologique de Compiègne dont je suis suiveur font une demande de procédure de confidentialité concernant le rapport et/ou la soutenance de l’étudiant. Je suis opposé à cette pratique.

Récemment encore une grande société française impliquée notamment dans des activités en lien avec la défense m’a fait une telle demande.

Ce semestre, j’ai pris le temps de poser mes arguments à plat, à la suite de quoi la demande a été retirée. Le mail que j’ai reçu en réponse faisait état du bien-fondé de ces arguments. Je les partage donc afin de contribuer peut-être à rendre les demandes de confidentialité plus marginales.

Préambule : la confidentialité est un droit de l’entreprise

Je ne suis pas opposé aux besoins de confidentialité des entreprises. De nombreux contextes l’exigent. À titre personnel il est par exemple évident que les informations dont je dispose sur les étudiants ne sauraient être divulguées publiquement.

Il est à noter que :

  • le principe de confidentialité est inclus par défaut dans le droit de travail : « le contrat de travail est exécuté de bonne foi (article L1222–1 du Code du travail) » ce qui implique notamment la loyauté, la non-concurrence ou la confidentialité ;
  • le stagiaire n’est pas complètement soumis au code du travail mais le principe de confidentialité reste présent dans la logique du stage et est communément explicité par une clause de non divulgation qui peut être ajoutée au contrat de travail ou à la convention de stage.

Donc, la confidentialité est une règle qui s’applique légitimement par défaut.

Entretien d'embauche. À la question "pouvez-vous m'en dire plus sur votre stage" le candidat répond "euh, non".

Argument 1 : Le rapport de l’étudiant est un élément de son CV, s’il est confidentiel, il ne pourra pas le produire.

Si un rapport est confidentiel, alors il ne pourra pas être produit pour faire valoir le travail réalisé, lors de la recherche d’un stage ultérieur ou lors de la recherche d’un emploi.

  • Un mémoire de stage est un travail personnel significatif pour le stagiaire qui mérite de figurer au rang des choses dont il peut être fier et qu’il peut montrer. C’est le déposséder de quelque chose d’important que de lui interdire de produire le résultat de son travail.
  • À défaut, c’est minorer l’importance de ce travail de restitution, ce qui peut conduire à des rapports sans intérêt, puisqu’en fin de compte personne ne les lira (à part peut-être à des fins d’évaluation, une fois, peut-être distraitement).

Proposition 1 : faire un rapport court et public

Je propose d’écrire un rapport synthétique et de bonne facture, non confidentiel et éventuellement de lui annexer un document confidentiel (qu’il n’est pas nécessaire de diffuser hors de l’entreprise).

On aura d’emblée l’ambition que ce rapport soit public, destiné à être diffusé sur le Web typiquement.

Le stagiaire cherchera à faire valoir les actions qu’il a pu mener sans divulguer d’information sensible. On peut pour cela procéder à de l’anonymisation, ou encore à la troncature d’information, sans nuire à la bonne compréhension du propos général. C’est en soi un bon exercice. La stagiaire pourra bien entendu mentionner en préambule qu’il a rédigé son rapport sous cette contrainte (un exemple d’approche : librecours.net/module/ing/rap).

Cette proposition a également le mérite de simplifier la gestion de la confidentialité et d’éviter les entre-deux inconfortables où personne ne sait exactement ce qu’il peut faire et laisser faire :

  1. un rapport public accessible à tous tout le temps,
  2. un rapport privé accessible à l’entreprise uniquement.

Argument 2 : La soutenance est un moment de mise en commun, cela ne peut pas fonctionner si tout le monde ne joue pas le jeu.

La soutenance est un moment d’échange entre étudiants, enseignants et entreprises. Les sessions sont organisées de telle façon que chacun profite des expériences des autres. Lorsque quelqu’un demande une soutenance confidentielle, il exclut de fait les autres de ce partage, c’est donc un appauvrissement de cette phase de restitution de stage. Si tout le monde procède ainsi, l’exercice perd tout intérêt, c’est en quelque sort un cas de dilemme du prisonnier1 : si personne ne se fait confiance, alors tout le monde perd.

Les paroles de l'étudiant sont "caviardées" dans sa bulle

Pour que la situation reste équitable, les soutenances confidentielles doivent se dérouler à part, en dehors de l’espace commun partagé par les autres. Ainsi ceux qui refusent de partager leur expérience se privent de la possibilité de profiter de l’expérience des autres.

C’est donc une dégradation de la situation d’apprentissage pour le stagiaire.

Proposition 2 : sélectionner ce qui est présenté en excluant ce qui est confidentiel

Je propose une soutenance non confidentielle sans information sensible. Il est possible qu’une soutenance ne porte pas sur l’ensemble du stage, c’est même souvent le cas, on peut donc se focaliser sur quelques-unes des tâches les moins sensibles et les exposer avec soin.

Le but d’une soutenance n’est pas de rendre compte dans le détail de tout ce qui a été fait, le temps ne le permettrait pas, mais de donner à voir une partie de ce que l’on a appris, ce que l’on sait faire, et, peut être en premier lieu : de communiquer des choses intéressantes au public.

Le public de la soutenance : ses oreilles sont bouchées de gros tampons d'ouate.

Une bonne soutenance est pour moi une soutenance à l’issue de laquelle on a appris des choses que l’on ignorait grâce à la clarté de l’exposé du stagiaire.

Cela n’implique pas de révéler des secrets spécifiques, mais au contraire d’avoir été capable de monter en généralité pour présenter en dehors du contexte les compétences et connaissances acquises. C’est ce qui fait leur valeur pour le stagiaire et ses futurs collaborateurs.

Conclusion : un argument personnel complémentaire

Accepter un travail d’encadrement de stage correspond à la perspective d’instaurer un échange. On consacre un peu de temps, on fait éventuellement bénéficier un peu de son expérience lorsque c’est utile, et en échange on apprend des choses que l’on peut réinvestir dans sa propre pratique professionnelle.

Le métier d’un enseignant-chercheur consistant à publier de la connaissance au service de tous, les informations confidentielles lui sont mal utiles. Donc le bilan est négatif : on ne gagne rien et on perd un peu de ce temps si précieux pour tous.

Je refuse a priori tout engagement dans le suivi de stages comprenant des rapports ou soutenances confidentielles.




Ce qui nous pousse au Libre

Si certains logiciels libres sont réputés à la fois pour leur efficacité et leur esthétique fonctionnelle (qu’on nommera design, parce que c’est ainsi), il faut reconnaître qu’ils ne font pas la majorité.

Certains designers aimeraient apporter leur pierre à l’édifice libriste, et rendre plus attractifs et fonctionnels les logiciels libres, mais la route semble encore bien longue comme l’a récemment constaté Maiwann. Le dialogue entre développeurs de logiciels libre et designers semble cependant s’amorcer sous les meilleurs augures, d’abord en identifiant clairement les besoins mais aussi en proposant des solutions d’interactions. Dans ce billet, Marien Fressinaud apporte une réponse de développeur et identifie, à son tour, un espace de convergence. Cet article a été initialement publié sur son blog sous licence « CC BY ».

Marien, développeur et membre de Framasoft.

Il y a quelques jours, Maiwann proposait dans un article de réconcilier designers et logiciels libres. L’article ne manque pas d’intérêt, ne serait-ce que parce qu’il identifie les freins à la collaboration des designers au libre et suggère des actions concrètes pour y remédier.

Bien que je partage bon nombre des constats, je souhaitais le « compléter », cette fois en adoptant le point de vue du développeur que je suis. En effet, il est un sujet que Maiwann n’aborde quasiment pas : pourquoi faire du logiciel libre ? Pour ma part, j’aurais en effet aimé mieux comprendre ce qui motive des designers à vouloir contribuer au Libre. En guise d’effet miroir, j’essaie donc dans cet article d’envisager les raisons qui peuvent inciter un développeur à le faire, sans prétendre être exhaustif. Cette mise en perspective repose sur mes expériences personnelles concernant FreshRSS, Lessy, les actions menées au nom de Framasoft ou encore à travers les écrits que j’ai pu lire à droite à gauche.

Apprentissage

Dans l’article de Maiwann, la seule référence à une potentielle motivation se trouve au détour d’un paragraphe :

Lors de nos études, […] alors que nous cherchons à nous entraîner, sur notre temps libre ou pour des projets de fin d’année, nous nous plaignons de ne connaître aucun développeur avec qui co-créer des sites ou logiciels.

Voilà une raison qui devrait parler à bon nombre d’étudiants et d’étudiantes ! Appliquer ce que l’on a pu apprendre en cours et donc, par extension, apprendre par la pratique est souvent moteur chez les développeurs. J’ai moi-même développé un certain nombre de programmes avec cette simple motivation. Par exemple, Minz fut ma tentative de comprendre le fonctionnement interne des frameworks web. FreshRSS a été l’occasion de travailler véritablement en communauté, et donc en équipe collaborant à distance et de façon asynchrone. Sur Lessy, j’ai pu consolider tout un paquet de connaissances que j’ai ensuite pu proposer et appliquer au boulot. Le logiciel libre est une formidable source d’apprentissage que je recommande fortement à toutes et tous.

Cela étant dit, considérer l’apprentissage comme seul moteur dans le développement d’un logiciel libre est bien entendu extrêmement réducteur et j’aurais tendance à dire que ce n’est pas la raison majeure (bien qu’il s’agisse probablement de la porte d’entrée principale pour bon nombre d’entre nous). Cherchons donc ailleurs d’autres raisons qui nous poussent, nous développeurs et développeuses, à produire du logiciel libre.

Plaisir, apprentissage et logiciel libre : le Serious Gaming (et Framinetest) en sont un bon exemple.

Plaisir

Dans le prologue du bouquin L’Éthique hacker, Linus Torvalds explique les motivations des hackers derrière le système d’exploitation Linux :

La raison pour laquelle les hackers derrière Linux se lancent dans quelque chose, c’est qu’ils trouvent ça très intéressant et qu’ils veulent le partager avec d’autres. Tout d’un coup, vous avez le plaisir parce que vous faites quelque chose d’intéressant et vous avez aussi le pendant social.

Il nous dit plusieurs choses ici. Tout d’abord, le développement d’un tel système relève avant tout du plaisir. Et il est vrai qu’on peut se demander ce qui pousse des milliers de développeurs à partager leurs savoirs et leur temps, généralement de façon gratuite, si ce n’est le plaisir de le faire ? D’ailleurs Pekka Himanen (l’auteur du bouquin) cite un peu plus loin Éric Raymond, à l’origine de la popularisation du terme « open source » (j’aurai l’occasion de revenir sur ce terme plus tard) :

La conception de logiciel et sa mise en œuvre devraient être un art jubilatoire, et une sorte de jeu haut de gamme. Si cette attitude te paraît absurde ou quelque peu embarrassante, arrête et réfléchis un peu. Demande-toi ce que tu as pu oublier. Pourquoi développes-tu un logiciel au lieu de faire autre chose pour gagner de l’argent ou passer le temps ?

On y retrouve la notion de plaisir à travers le « jeu haut de gamme ». Je prends souvent l’exemple du Sudoku ou de la grille de mots-croisés : il n’y a, à priori, aucune raison de remplir ces cases de chiffres ou de lettres, si ce n’est le plaisir de résoudre un problème, parfois complexe. Je trouve personnellement que le développement de logiciel peut amener à un état de satisfaction similaire lorsqu’on se trouve face à un problème et qu’on arrive finalement à le résoudre après plusieurs heures jours semaines de recherche.

D’un point de vue personnel, j’ai toujours été attiré par les domaines de « création ». J’ai immédiatement accroché au développement lorsque j’ai découvert que créer un site web était aussi simple que créer un fichier texte avec quelques mots dedans. Les balises HTML ? – Un simple jeu de Lego®. Les CSS ? – Quelques directives de base à connaître et on arrive rapidement à quelque chose de totalement différent. Un serveur web ? – Un ordinateur avec un logiciel spécifique qui tourne dessus. Un bug ? – Une « chasse » durant laquelle on déroule le programme qui nous semblait si logique au moment de l’écrire (mais qui l’est maintenant beaucoup moins !). Pour moi, la beauté de l’informatique réside dans sa simplicité et sa logique : il y a un véritable plaisir à comprendre comment toutes ces petites boîtes s’agencent entre elles et que tout devient plus clair.

L’espace Logiciels Libres, Hackers, Fablab de la fête de l’Huma 2016.

Partage

Si l’on s’en tient aux notions d’apprentissage et de plaisir, il n’y a rien qui distingue le logiciel libre du logiciel propriétaire. Vous pouvez très bien apprendre et éprouver du plaisir en développant du code fermé. Il nous faut revenir à la citation de Torvalds pour commencer à percevoir ce qui les différencie :

[…] ils veulent le partager avec d’autres.

Le partage : on a là une valeur fondamentale du logiciel libre qui ne trouve pas véritablement son pendant du côté du logiciel propriétaire. Bien que j’aie plus de mal à identifier clairement ce qui peut motiver l’être humain à partager ses savoirs, c’est quelque chose que je ressens effectivement. Cet aspect coopératif — Torvalds parle d’un « pendant social » — peut créer ou renforcer des liens avec d’autres personnes ce qui rend cette activité profondément humaine.

Partager, c’est donc transmettre. Transmettre à une communauté, donner les clés pour que celle-ci soit indépendante. Partager ses savoirs qui permettront peut-être à d’autres de bâtir autre chose par-dessus. Cela permet aussi de créer du lien humain, rencontrer des personnes et ouvrir ses perspectives en créant son propre réseau. C’est aussi s’offrir un coin de canapé quand on voyage. Je me suis rendu compte assez récemment de ce que m’offrait aujourd’hui cette décision en IUT de partager les petits programmes que je pouvais développer sur mon temps libre. La liberté n’est pas que celle du code.

Il y a certainement une forme de fierté à avoir exploré un domaine le premier, ou développé une application que d’autres vont utiliser (« Quoi ? Ce que j’ai fabriqué de mes propres mains t’est aussi utile ? »). Si cette fierté est par essence un peu narcissique (je suis toujours un peu pénible lorsque je suis cité chez NextInpact ou chez Korben 😇), elle est aussi bénéfique car elle encourage à rendre son travail public et donc… partager encore.

Loin du cliché des hackers à capuche, l’édition 2018 du Toulouse HackerSpace Factory utilise Langue des Signes et police Open-Dyslexie dans son imagerie.

Éthique

On retrouve aussi cette notion de partage dans les écrits de Richard Stallman lorsqu’il nous parle des quatre libertés du logiciel :

Elles sont essentielles, pas uniquement pour les enjeux individuels des utilisateurs, mais parce qu’elles favorisent le partage et la coopération qui fondent la solidarité sociale.

Ces mots, pris du point de vue de Stallman, sont bien évidemment à interpréter sous la dimension éthique (et donc politique) du logiciel libre, ce qui n’est pas forcément le cas de Torvalds (je ne saurais néanmoins l’affirmer). Puisque Stallman est à l’origine du mouvement du logiciel libre, on ne peut évidemment pas enlever l’éthique de son équation ou alors vous obtenez de l’open source (comme il l’explique dans l’article cité plus haut). On peut toutefois raisonnablement penser que les partisans du logiciel libre sont moins nombreux que ceux de l’open source, ce que j’explique par une peur ou un désintérêt envers cet objet politisé.

Je trouve toutefois dommage de ne pas plus s’y intéresser. En effet, la dimension éthique aide à répondre à une question que beaucoup de personnes peuvent se poser : « ce que je fais au quotidien a-t-il du sens ? ». Stallman y répond par la défense et le respect des utilisateurs et utilisatrices :

Le mouvement du logiciel libre fait campagne pour la liberté des utilisateurs de l’informatique depuis 1983.

Ou encore :

Pour qu’on puisse dire d’un logiciel qu’il sert ses utilisateurs, il doit respecter leur liberté. Que dire s’il est conçu pour les enchaîner ?

Si je souhaitais conclure par cet argument, c’est parce qu’il aide à boucler la boucle avec l’article de Maiwann. En effet, en tant qu’UX designer, elle va avoir à cœur de répondre aux besoins de ses utilisateurs et donc d’imaginer des mécanismes pour rendre l’outil le plus utilisable et accessible possible. Aujourd’hui il me semble percevoir dans cette communauté un mouvement de prise de conscience que ces mécanismes doivent respecter (on y revient !) les personnes utilisant le logiciel. Cela est superbement bien illustré par la vidéo « Temps de cerveau disponible » (de la série « (Tr)oppressé » que je recommande vivement) dans laquelle un ancien employé de Google, expert en éthique, témoigne :

Le but est de capter et d’exploiter au maximum l’attention.

Il l’illustre ensuite par le lancement automatique de l’épisode suivant sur Netflix et par le défilement infini sur Facebook ou Twitter (incitant de ce fait à parcourir son fil d’actualité dans son ensemble) ; ces petits riens qui font que nous revenons sans cesse à ces applications et que nous en devenons dépendant⋅e⋅s alors qu’elles n’ont d’intérêt que de nous divertir.

L’un des problèmes que j’identifie aujourd’hui est que le logiciel libre copie beaucoup (trop) ce qui se fait dans le propriétaire, et en particulier chez GAFAM et consorts… jusque dans leurs mécanismes nocifs. On peut ici reprendre l’exemple du mécanisme de défilement infini que l’on retrouve chez Mastodon ou Diaspora (et même sur FreshRSS !). Une certaine forme de dépendance peut donc s’installer au sein même de logiciels libres.

Convergence des buts ?

Les designers peuvent aujourd’hui nous aider, développeurs et développeuses, à repenser l’éthique de nos logiciels en replaçant les usages au centre de nos préoccupations et en imaginant et proposant des mécanismes permettant « d’endiguer » ce flux permanent d’informations qu’il nous faut ingurgiter.

Elles et ils peuvent aussi nous aider à atteindre véritablement nos utilisateurs et utilisatrices en rendant nos outils utilisables et… utilisés. Car un logiciel non utilisable peut-il véritablement être considéré comme Libre ? Je ne peux m’empêcher de faire ici le parallèle avec l’association Liberté 0 qui a pour objet de « sensibiliser et de promouvoir le numérique libre et accessible à toutes et tous ». Dans leur charte, il est explicité :

Les membres du groupe « Liberté 0 » considèrent que la liberté d’exécuter un programme n’a de sens que si celui-ci est utilisable effectivement.

L’association est donc dans cette même démarche de promouvoir l’« utilisabilité » des logiciels, au même titre que les UX designers (mais sous le prisme de l’accessibilité).

N’y aurait-il pas ici une convergence des buts ? N’existe-t-il pas un lieu où nous pourrions nous regrouper tous ensemble pour imaginer des outils autres que ceux issus du « capitalisme de surveillance » ?


Merci à Maiwann pour sa relecture attentive !




La face cachée du web, de la vie, de l’univers, du reste

Nous sommes bombardés presque chaque semaine d’alertes à la catastrophe numérique ou de pseudo-enquêtes au cœur du Dark Web, censé receler des dangers et des malfaisants, quand il ne s’agit pas d’une conspiration pour diriger le monde.

Une fois retombé le coup de trouille, on se remet à regarder des photos de chatons sur le ouèbe. Mais un éclair de lucidité, parfois, troue le brouillard : comment je sais ce qu’il y a de vrai là-dedans ? Entre la fantasque théorie du complot et les authentiques agissements de personnages obscurs, comment trier ?
Il n’est pas facile d’accéder à une information fiable : les spécialistes sont peu nombreux, plutôt discrets (nous avons par exemple vainement essayé pendant deux ans d’obtenir une interview d’une « pointure »), voire peu enclins à communiquer au-delà des anathèmes volcaniques qu’ils déversent de loin en loin sur les mauvaises pratiques, ce qui n’aide pas trop le commun des mortels.

C’est pourquoi la parution récente du livre de Rayna Stamboliyska « La face cachée d’Internet » nous apparaît comme une excellente nouvelle : son livre est celui d’une spécialiste qui s’efforce de mettre à notre portée des éléments parfois épineux à comprendre. Quand on a comme elle fait une thèse en génétique et bio-informatique et un master spécialisé en « défense, sécurité et gestion de crise », on n’a pas forcément l’envie et le talent de s’adresser à tous comme elle fait fort bien.

Merci donc à Rayna pour cet effort d’éducation populaire et pour avoir accepté de répondre à quelques questions pour le Framablog, parce qu’elle ne mâche pas ses mots et franchement ça fait plaisir.

 

Salut Rayna, peux-tu te présenter ?

— Je trolle, donc je suis ?

Ce qui m’intéresse, c’est la gestion de l’incertitude et comment les organisations y font face. Du coup, j’ai tendance à saouler tout le monde quand je parle de sextoys connectés par exemple, parce que ça tourne notamment autour des modèles de menaces et des façons de les pwn (i.e., les compromettre techniquement).

Au cours de mes études, ma thématique a toujours été l’impact de la technique et des données (qu’elles soient ouvertes ou non) sur nous, avec un focus qui a graduellement évolué pour passer de la recherche vers les situations de conflits/post-conflits (armés, j’entends), vers l’évaluation de risques et la gouvernance de projets techniques en lien avec les données.

Avoir un nom d’espionne russe, c’est cool pour parler de surveillance de masse ?

Mmmm, je suis plus parapluie bulgare que tchaï au polonium russe, mais admettons. Quant à la surveillance de masse… faut-il une nationalité particulière pour s’en émouvoir et vouloir s’y opposer ?

Ce que mes origines apportent en réalité, c’est une compréhension intime d’enjeux plus globaux et de mécanismes de gouvernance et d’influence très différents auxquels les pays occidentaux dont la France n’ont pas été franchement confrontés. Ainsi, les oppositions que je peux formuler ne sont pas motivées par une position partisane en faveur de telle asso ou telle autre, mais par des observations de comment ça marche (#oupas) une fois implémenté.

C’est sûr, la Stasi et les régimes communistes totalitaires de l’Est n’appelaient pas ça big data ; mais l’idée était la même et l’implémentation tout aussi bancale, inutile et inefficace. La grosse différence est probablement que ces régimes disposaient de cerveaux humains pour analyser les informations recueillies, chose qui manque cruellement à l’approche actuelle uniquement centrée sur la collecte de données (oui, je sais, il y a des algorithmes, on a de la puissance de calcul, toussa. Certes, mais les algos, c’est la décision de quelqu’un d’autre).

Au risque de vous spoiler la fin de mon bouquin, il faut bien comprendre ce qui se joue et y agir avec finesse et pédagogie. La recherche du sentiment de sécurité nous est inhérente et, rappelons-le, est très souvent indépendante de la réalité. Autrement dit, on peut très bien se sentir protégé⋅e alors que les conditions matérielles ne sont pas réunies pour qu’on le soit. Mais parfois, le sentiment de sécurité, même s’il n’est pas fondé, suffit pour prévenir de vrais problèmes. Il y a donc un équilibre vraiment difficile à trouver : c’est le moment de sortir le cliché des 50 nuances de sécu et d’en rajouter une couche sur la finesse et la pédagogie des approches. Si nous sommes les sachant⋅e⋅s d’un domaine, alors comportons-nous en adultes responsables et faisons les choses correctement.

Dans le cas de la surveillance généralisée, ces efforts sont d’autant plus indispensables qu’on est face à une situation très complexe où des questions techniques, politiques et de sécurité des populations se mélangent. Il ne faut pas oublier qu’on n’est pas outillés pour comprendre comment fonctionne le renseignement uniquement parce qu’on est un⋅e adminsys qui tue des bébés phoques à coup de Konsole (oui, je suis une fière fan de KDE).

Et Malicia Rogue, elle va bien ? Pourquoi cette double identité en ligne ?

Nous allons bien, merci 🙂 La double identité date d’il y a très longtemps (2005, par là) et elle était à l’origine motivée par le fait que la science et la politique ne font pas bon ménage. En effet, dans une précédente vie, je faisais de la recherche (génétique évolutive, maladies infectieuses, bio-informatique) ; dans ce monde-là, la prise de position politique est souvent perçue comme une tare. Du coup, il était important de tenir les deux identités séparées, de la façon la plus étanche possible de préférence.

Est-ce que tu es une Anonymousse (au chocolat) ?

Oui, mais chocolat noir seulement, et merci de me passer la cuillère aussi.

Nous, on sait que tu es légitime pour parler de sécurité informatique, mais on a vu que dans un milieu souvent très masculin tu t’es heurtée à des personnes qui doutaient à priori de tes compétences. Et ne parlons pas des premiers à réagir qui n’ont rien lu mais tout compris  ! Pas de problème de ce côté avec ton éditeur ?

Alors, plusieurs choses ici. Je sais que ça va susciter l’ire de plein de gens, mais il faut dire les choses clairement : il y a un sexisme quotidien dans les milieux tech et science. Je suis sûre que ça existe ailleurs aussi, hein, mais disons que ce qui nous préoccupe ici, c’est le milieu tech.

C’est un grand mystère, d’ailleurs. Je viens de l’Est, où malgré toutes les mauvaises choses, les organes génitaux de naissance n’ont pas vraiment été un critère de compétence. On m’a éduquée à faire des choses réfléchies et à savoir argumenter et structurer mes opinions : ce sont les actions qui parlent. La pire discrimination à laquelle j’ai eue à faire face, a été de faire de la bio (une « sous-science » pour mes profs de maths à la fac et ma mère, prof de maths sup’ aussi).

Du coup, débarquer en Europe de l’Ouest et dans le pays des droits humains pour me heurter à la perception qu’avoir des ovaires fait de quelqu’un un sous-humain a été un choc. Et c’est encore pire quand on y pense : les stéréotypes sexistes, c’est bidirectionnel, ils font pareillement mal à toutes les personnes qui les subissent. J’ai décidé de continuer à faire comme d’habitude : construire des trucs. Si je commets des erreurs, je corrige, et si on m’embête inutilement, je mords poliment. 🙂

C’est harassant à la longue, hein. Je pense qu’il faut réguler ce genre de réactions, ensemble. C’est très simple : si l’on vous fait vous sentir que vous êtes malvenu⋅e, la plupart du temps la réaction est la fuite. Si on me fait me sentir malvenue, je pars, je serai bien accueillie ailleurs et les projets passionnants avec des gens adorables ne manquent pas. Alors, c’est dommage pour les projets, certes intéressants, mais portés par ceux et celles qui s’imaginent qu’être rustre à longueur de journée, c’est avoir un caractère fort et assumé.

Quant à mon éditeur… On a passé plus de 4 heures à discuter lors de notre première rencontre, il fallait cadrer le sujet et le calendrier. La question de genre ne s’est jamais posée. J’avais face à moi des gens intéressés et passionnés, j’ai fait de mon mieux pour répondre à la demande et … c’est tout. 🙂

Tu es proche des assos du libre ou farouchement indépendante ?

Les deux, mon capitaine. Même si j’apprécie mon statut d’électron libre.

Ton bouquin parle du darkweb. Mais alors ça existe vraiment ?

Beh oui. C’est l’ensemble des pages web dont la CSS contient :

body {
    background: #000 !important;
}

Ton ouvrage est particulièrement bienvenu parce qu’il vise à démystifier, justement, ce fameux darkweb qui est surtout une sorte de réservoir à fantasmes divers.

Une petite critique tout de même : la couverture fait un peu appel au sensationnalisme, non ?

C’est ton choix ou celui de l’éditeur ?

Alors… il y a eu plusieurs versions de couverture sur lesquelles j’ai eu un pouvoir limité. La v.1 était la pire : il y avait un masque Anonymous dessus et du code Visual Basic en arrière-plan. J’ai proposé de fournir des bouts de vrai code de vrais malwares en expliquant que ça nuirait sensiblement à la crédibilité du livre si le sujet était associé pour la postérité à une disquette. Par la suite, le masque Anonymous a été abandonné, j’aime à penser suite à mes suggestions de faire quelque chose de plus sobre. On est donc resté sur des bouts du botnet Mirai et du noir et rouge.

Outre le fait que ce sont mes couleurs préférées et qu’elles correspondent bien aux idées anarchistes qui se manifestent en filigrane ci et là, je l’aime bien, la couv’. Elle correspond bien à l’idée que j’ai tenté de développer brièvement dans l’intro : beaucoup de choses liées au numérique sont cachées et il est infiniment prétentieux de se croire expert ès tout, juste parce qu’on tape plus vite sur son bépo que le collègue sur son qwerty. Plus largement, il y a une vraie viralité de la peur à l’heure du numérique : c’est lorsque le moyen infecte le message que les histoires menaçantes opèrent le mieux, qu’elles aient ou non un fondement matériel. Dans notre cas, on est en plein dans la configuration où, si on pousse un peu, « Internet parle de lui-même ».

Enfin, les goûts et les couleurs… Ce qui me fait le plus halluciner, c’est de voir le conditionnement chez de nombreuses personnes qui se veulent éduquées et critiques et qui m’interpellent de façon désobligeante et misogyne sur les réseaux sociaux en m’expliquant qu’ils sont sûrs que ce que je raconte est totalement débile et naze parce que la couverture ne leur plaît pas. Je continue à maintenir que ce qui compte, c’est le contenu, et si d’aucuns s’arrêtent aux détails tels que le choix de couleurs, c’est dommage pour eux.

Élection de Trump, révélations de Snowden, DieselGate, Anonymous, wannaCry, tous ces mots à la mode, c’est pour vendre du papier ou il faut vraiment avoir peur ?

Da.

Plus sérieusement, ça ne sert à rien d’avoir peur. La peur tétanise. Or, nous, ce qu’on est et ce qu’on veut être, c’est des citoyens libres ET connectés. C’est comprendre et agir sur le monde qu’il faut, pas se recroqueviller et attendre que ça se passe. J’en profite d’ailleurs pour rappeler qu’on va nous hacher menu si on ne se bouge pas : revoyons nos priorités, les modèles de menaces législatifs (au hasard, le projet de loi anti-terrorisme), soutenons La Quadrature, des Exégètes, etc. et mobilisons-nous à leurs côtés.

Est-ce que tu regrettes qu’il n’y ait pas davantage d’implication militante-politique chez la plupart des gens qui bossent dans le numérique ?

Oui. Du coup, c’est digital partout, numérique nulle part. J’ai vraiment l’impression d’être projetée dans les années où je devais prévoir deux identités distinctes pour parler science et pour parler politique. Aujourd’hui, ce non-engagement des scientifiques leur vaut des politiques publiques de recherche totalement désastreuses, des gens qui nient le changement climatique à la tête du ministère de la recherche aux USA, etc. Le souci est là, désolée si je radote, mais : si on n’est pas acteur, on est spectateur et faut pas venir couiner après.

Quel est le lectorat que vise ton livre : le grand public, les journalistes, la communauté de la sécurité informatique… ? Est-ce que je vais tout comprendre ?

Il y a un bout pour chacun. Bon, le grand public est une illusion, au même titre que la sempiternelle Mme Michu ou que sais-je. Cette catégorie a autant d’existence que « la ménagère de moins de 50 ans » dans le ciblage publicitaire de TF1. J’ai aussi gardé mon style : je parle comme j’écris et j’écris comme je parle, je crois que ça rend la lecture moins pénible, enfin j’espère.

Les non-sachants de la technique ne sont pas des sous-humains. Si on veut travailler pour le bien de tous, il faut arrêter de vouloir que tout le monde voie et vive le monde comme on veut. Vous préférez que votre voisin utilise Ubuntu/Debian/Fedora en ayant la moitié de sa domotique braillant sur Internet et en risquant un choc anaphylactique face au premier script kiddie qui pwn son frigo connecté pour déconner, ou bien que les personnes utilisent des outils de façon plus sensible et en connaissance des risques ? Perso, à choisir, je préfère la 2e option, elle m’a l’air plus durable et contribue – je crois – à réduire la quantité globale d’âneries techniques qui nous guettent. Parce que la sécurité du réseau est celle de son maillon le plus faible. Et on est un réseau, en fait.

Je pense que chacun y trouvera des choses à se mettre sous la dent : une lecture moins anxiogène et plus détaillée de certains événements, une vision plus analytique, des contextualisations et une piqûre de rappel que les clicodromes et les certifs ne sont pas l’alpha et l’oméga de la sécurité, etc. Les retours que je commence à avoir, de la part de gens très techniques aussi, me confortent dans cette idée.

Tu rejoins la position d’Aeris qui a fait un peu de bruit en disant : « On brandit en permanence le logiciel libre à bout de bras comme étant THE solution(…). Alors que cette propriété n’apporte en réalité plus aucune protection. » ?

Je l’ai même référencé, c’est dire 🙂

Plus largement, j’ai été très vite très frustrée par le fait que les libertés fournies par le logiciel libre ignorent totalement … ben tout le reste. Il a fallu attendre des années pour que le discours autour du logiciel englobe aussi les données, les contenus éducatifs, les publications scientifiques, etc. Il n’y a pas de synthèse et les voix qui appellent à une vision plus systémique, donc à des approches moins techno-solutionnistes, sont très rares. La réflexion d’Aeris est une tentative appréciable et nécessaire de coup de pied dans la fourmilière, ne la laissons pas péricliter.

Qu’est-ce qui est le plus énervant pour toi : les journalistes qui débitent des approximations, voire des bêtises, ou bien les responsables de la sécu en entreprise qui sont parfois peu compétents ?

Les deux. Mais je pense que de nombreux journalistes prennent conscience d’ignorer des choses et viennent demander de l’aide. C’est encourageant 🙂 Quant aux RSSI… il y a de très gros problèmes dans les politiques de recrutement pour ces postes, mais gardons ce troll cette discussion pour une prochaine fois.

L’un de tes titres est un poil pessimiste : « on n’est pas sorti de l’auberge ». C’est foutu, « ils » ont gagné ?

« Ils » gagneront tant qu’on continue à s’acharner à perdre.

Je suis un utilisateur ordinaire d’Internet (chez Framasoft, on dit : un DuMo pour faire référence à la famille Dupuis-Morizeau), est-ce que j’ai un intérêt quelconque à aller sur le darkweb ? Et si j’y vais, qu’est-ce que je risque ?

Je ne sais pas. Je suis une utilisatrice ordinaire des transports en commun, est-ce que j’ai un intérêt quelconque à aller en banlieue ? L’analogie m’est soufflée par cet excellent article.

Mais bon, j’ai assez spoilé, alors je ne dirai qu’une chose : GOTO chapitre 3 de mon livre, il ne parle que de ça. 😉

On a noté un clin d’œil à Framasoft dans ton livre, merci. Tu nous kiffes ?

Grave. 🙂

Mais alors pourquoi tu n’as pas publié ton bouquin chez Framabook ?

Parce que ce n’est pas à « nous » que je m’adresse . La famille Michu, la famille DuMo, bref, « les gens » quoi, ont des canaux d’information parallèles, voire orthogonaux à ceux que nous avons. Je ne veux pas prêcher des convaincus, même si je sais très bien que les sachants de la technique apprendront beaucoup de choses en me lisant. Ce n’est pas de la vantardise, ce sont des retours de personnes qui m’ont lue avant la publication, qui ont fait la relecture ou qui ont déjà fini le bouquin. Pour parler à autrui, il faut le rencontrer. Donc, sortir de chez nous !

D’ailleurs, j’en profite pour râler sur ces appellations ignares auxquelles je cède parfois aussi : Mme/la famille Michu, la famille DuMo ou, pire, le déshumanisant et préféré de nombreux libristes qu’est « les gens ». Ce sont d’autres humains et on ne peut pas se plaindre qu’ils ne veulent pas s’intéresser à nos sujets super-méga-trop-bien en les traitant d’imbéciles. On est toujours les gens de quelqu’un (dixit Goofy que je cite en l’état parce qu’il a raison).

Tu déclares dans un Pouet(*) récent : « …à chaque fois que le sujet revient sur le tapis, je me pose la même question : devrait-on continuer à décentraliser (== multiplier de très nombreuses structures petites, agiles *et* potentiellement fragiles) ou clusteriser davantage pour faire contrepoids ? Je n’ai pas de réponse pour l’instant… » Est-ce que tu es sceptique sur une initiative comme celle des CHATONS, qui vise justement à décentraliser ?

Ce n’est pas une question de scepticisme à l’égard de [insérer nom de techno/asso/initiative chérie ici].

Prenons un exemple annexe : l’anarchisme comme mode d’organisation politique. Fondamentalement, c’est le système le plus sain, le plus participatif, le moins infantilisant et le plus porteur de libertés qui soit (attention, je parle en ayant en tête les écrits des théoriciens de l’anarchisme, pas les interprétations de pacotille de pseudo-philosophes de comptoir qu’on nous sert à longueur de journée et qui font qu’on a envie de se pendre tellement ça pue l’ignorance crasse).

Il y a cependant différents problèmes qui ont cristallisé depuis que ce type d’organisation a été théorisé. Et celui qui m’apparaît comme le plus significatif et le moins abordé est la démographie. Faire une organisation collégiale, avec des délégués tournants, ça va quand on est 100, 10 000 ou même 1 million. Quand on est 7 milliards, ça commence à être très délicat. Les inégalités n’ont pas disparu, bien au contraire, et continuent à se transmettre aux générations. Les faibles et vulnérables le demeurent, au mieux.

Résultat des courses : il y a une vision élitiste – et que je trouve extrêmement méprisante – qui consiste à dire qu’il faut d’abord éduquer « les gens » avant de les laisser s’impliquer. Le problème avec la morale, c’est que c’est toujours celle des autres. Alors, le coup de « je décide ce qui constitue une personne civiquement acceptable d’après mon propre système de valeurs qui est le plus mieux bien de l’univers du monde » est constitutif du problème, pas une solution. Passer outre ou, pire, occulter les questions de gouvernance collective est dangereux : c’est, sous prétexte que machin n’est pas assez bien pour nous, créer d’autres fossés.

Pour revenir à la question de départ donc, je suis une grande fan de la décentralisation en ce qu’elle permet des fonctionnements plus sains et responsabilisants. Ce qui me manque est une organisation rigoureuse, une stratégie. Ou probablement il y en a une, mais elle n’est pas clairement définie. Ou probablement, notre détestation du « management » et de la « communication » font qu’on s’imagine faire du bazaar durable ? Le souci est que, de ce que j’ai vu par ex. au CCC, pour que le bazaar marche, y a une p*tain de cathédrale derrière (rappel : « L’anarchie est la plus haute expression de l’ordre. »). La rigueur d’une organisation n’est pas un gros mot. Est-on prêt-es à s’y astreindre ? Je ne sais pas.

Après, j’ai une propension non-négligeable à me faire des nœuds au cerveau et à aimer ça. Ptet que je m’en fais inutilement ici… mais sans débat régulier et des échanges plus ouverts, comment savoir ?

Le dernier mot est pour toi, comme d’hab sur le Framablog…

Le tact dans l’audace, c’est savoir jusqu’où on peut aller trop loin. Beaucoup sont passionné⋅e⋅s par les questions et les enjeux du numérique, tellement passionné⋅e⋅s que leurs comportements peuvent devenir pénibles. Je pense aux micro-agressions quotidiennes, aux vacheries envoyées à la tronche de certain⋅e⋅s et au sexisme ordinaire. Beaucoup sont épuisés de ces attitudes-là. Il ne s’agit pas de se vivre en Bisounours, mais de faire preuve de tact et de respect. Celles et ceux qui s’échinent à porter une bonne et raisonnable parole publiquement ont déjà assez à faire avec toutes les incivilités et l’hostilité ambiantes, ils n’ont pas besoin de votre mauvaise humeur et manque de tact.

Pensez-y au prochain pouet/tweet/mail/commentaire IRC.

 

Pour en savoir plus : http://www.face-cachee-internet.fr/
Pour rencontrer Rayna à la librairie de Bookynette

(*)Pour retrouver les Pouets de Malicia Rogue sur le réseau social libre et fédéré Mastodon

 

 

 

 




Le « gouvernement ouvert » à la française : un leurre ?

Alors que la France s’apprête à accueillir le Sommet mondial du Partenariat pour un Gouvernement Ouvert, plusieurs associations pointent les contradictions du gouvernement. Certaines ne s’y rendront pas.

Bilan du gouvernement ouvert à la française (9 pages), co-signé par les associations et collectifs suivants : April, BLOOM, DemocracyOS France, Fais ta loi, Framasoft, La Quadrature du Net, Ligue des Droits de l’Homme, Regards Citoyens, République citoyenne, SavoirsCom1.

Derrière un apparent « dialogue avec la société civile », la France est loin d’être une démocratie exemplaire

Le « gouvernement ouvert » est une nouvelle manière de collaborer entre les acteurs publics et la société civile, pour trouver des solutions conjointes aux grands défis auxquels les démocraties font face : les droits humains, la préservation de l’environnement, la lutte contre la corruption, l’accès pour tous à la connaissance, etc.

Soixante-dix pays se sont engagés dans cette démarche en adhérant au Partenariat pour un Gouvernement Ouvert (PGO), qui exige de chaque État la conception et la mise en œuvre d’un Plan d’action national, en collaboration étroite avec la société civile.

La France a adhéré au Partenariat pour un Gouvernement Ouvert en avril 2014, et publié son premier Plan d’action national en juillet 2015. Depuis octobre 2016, le gouvernement français co-préside le PGO, avec l’association américaine WRI (World Resource Institute) et la France accueille le Sommet mondial du PGO à Paris, du 7 au 9 décembre 2016, présenté comme la « COP 21 de la démocratie ».

En tant que « pays des droits de l’Homme », nation co-présidente et hôte du Sommet mondial du PGO, on pourrait attendre de la France qu’elle donne l’exemple en matière de gouvernement ouvert.

Hélas, à ce jour, les actes n’ont pas été à la hauteur des annonces, y compris dans les trois domaines que la France elle-même considère prioritaires (1. Climat et développement durable ; 2. Transparence, intégrité et lutte contre la corruption ; 3. Construction de biens communs numériques) et ce, malgré l’autosatisfaction affichée du gouvernement. Pire, certaines décisions et pratiques, à rebours du progrès démocratique promu par le Partenariat pour un gouvernement ouvert, font régresser la France et la conduisent sur un chemin dangereux.

Les associations signataires de ce communiqué dressent un bilan critique et demandent au gouvernement et aux parlementaires de revoir certains choix qui s’avèrent radicalement incompatibles avec l’intérêt général et l’esprit du PGO, et de mettre enfin en cohérence leurs paroles et leurs actes.

Lire le bilan complet (9 pages).

Les co-signataires

L’April est la principale association de promotion et de défense du logiciel libre dans l’espace francophone. La mobilisation de ses bénévoles et de son équipe de permanents lui permet de mener des actions nombreuses et variées en faveur des libertés informatiques.

BLOOM, Fondée en 2005 par Claire Nouvian, BLOOM est entièrement dévouée aux océans et à ceux qui en vivent. Sa mission est d’œuvrer pour le bien commun en mettant en œuvre un pacte durable entre l’homme et la mer.

DemocracyOS France est une association qui promeut l’usage d’une plateforme web open source permettant de prendre des décisions de manière transparente et collective.

Fais Ta Loi est un collectif qui a pour but d’aider les publics les plus éloignés du débat démocratique à faire entendre leur voix au Parlement.

Framasoft est un réseau dédié à la promotion du « libre » en général et du logiciel libre en particulier.

Ligue des Droits de l’Homme : agit pour la défense des droits et libertés, de toutes et de tous. Elle s’intéresse à la citoyenneté sociale et propose des mesures pour une démocratie forte et vivante, en France et en Europe.

La Quadrature du Net : La Quadrature du Net est une association de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet.

Regards Citoyens est un collectif transpartisan né en 2009 qui promeut la transparence démocratique et l’ouverture des données publiques pour alimenter le débat politique. Il est a l’initiative d’une douzaine d’initiatives dont NosDeputés.fr et LaFabriqueDeLaLoi.fr.

République citoyenne est une association, créée en 2013, qui a pour but de stimuler l’esprit critique des citoyens sur les questions démocratiques et notamment sur le gouvernement ouvert.

SavoirsCom1 est un collectif dédié à la défense de politiques publiques en faveur des Communs de la connaissance.

 

Crédit image : Marie-Lan Nguyen (CC BY 2.0)




Accord Microsoft-Éducation nationale : le Libre offre déjà des alternatives.

Mise à jour 3 décembre 2015 : Framasoft co-signe, avec de nombreuses associations et syndicats, un communiqué de presse dénonçant un partenariat indigne des valeurs affichées par l’Education Nationale.

C’est depuis les années 1970-1971 que le gouvernement français élabore et met en œuvre des plans informatiques (« numériques » dit-on aujourd’hui) pour l’Éducation Nationale. L’année la plus marquante, qui a fini par introduire vraiment des ordinateurs entre les murs de nos écoles, ce fut 1985 avec le lancement du plan Informatique Pour Tous (IPT) par L. Fabius.

La firme Microsoft a petit à petit avancé ses pions au cœur de l’Éducation nationale et, depuis lors, nous assistons à des accords réguliers entre le ministère et Microsoft, chiffrant l’usage de ses produits à plusieurs millions d’euros à chaque fois… avec un succès pour le moins mitigé. À tel point que les citoyens se sont récemment mobilisés autour de cette question en plébiscitant l’usage de logiciels libres dans les services publics lors de la consultation numérique initiée par la ministre Axelle Lemaire.

Et pourtant, comme un pied de nez à cette consultation, la ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem a signé pas plus tard qu’hier un énième accord avec Microsoft. 13 millions d’euros pour s’assurer que les collégiens et collégiennes utilisent quotidiennement des logiciels et comptes Microsoft (quitte à fournir les tablettes). Cet argent servira donc à épier le comportement des élèves (pour leur fournir un « service personnalisé ») ainsi qu’à la formation de leurs enseignant-e-s à ces logiciels privateurs.

Tweet (im)pertinent et parodique de JcFrog en réaction à cette annonce
Tweet (im)pertinent et parodique de JcFrog en réaction à cette annonce
https://twitter.com/jcfrog/status/671394109974814720

En somme, un pas supplémentaire est donc effectué par Microsoft dans le monopole de l’informatique à l’école, jusqu’à saturer les élèves et les enseignants de solutions exclusives, centralisant et analysant les données des élèves selon des algorithmes dont le ministère n’a pas réclamé les clés (pas d’engagement à l’interopérabilité, ni à l’ouverture du code source).

Or, les enseignants ne manquent pas pour expérimenter et mettre en œuvre des solutions basées sur des logiciels libres. Des solutions plus ouvertes, plus malléables, et plus efficaces pour atteindre les objectifs d’un réel apprentissage de l’informatique par les élèves et une appropriation des outils dans leurs diversités et leurs logiques. Par exemple, les tablettes Tabulédu sont une solution pensée pour les classes de primaire dans le respect des données et des libertés des élèves.

Tabulédu en image.
Tabulédu en image.

Pour le collège, c’est en Espagne qu’on peut trouver de l’inspiration. En Mai 2014, le Framablog publiait Fin du support XP, un collège espagnol migre vers Ubuntu. Ce samedi 24 novembre 2015, Fernando Lanero, l’enseignant à l’origine de cette migration était invité à l’Ubuntu party parisienne pour y donner une conférence, interprétée dans sa version Francophone par Framasoft en la personne de Genma.

Dans son discours, Fernando nous montre que la migration n’est pas une question technique (une personne ayant les compétences et le temps peut le faire), mais bel et bien un enjeu d’éducation. Quel modèle d’éducation voulons-nous pour les enfants? Quelles valeurs souhaitons nous leurs transmettre? Les valeurs du logiciel propriétaire et privateur, pour lequel copier c’est voler, comprendre c’est tricher ? Ou bien celles du logiciel libre, celle du partage et de l’appropriation des connaissances ?

Le texte ci-dessous est une synthèse de son discours, reprenant les principales idées.

Ubuntu pour libérer les écoles – Linux pour l’éducation

Utiliser Ubuntu au sein d’une école augmente grandement les ressources éducatives et emmène les élèves au sein d’une nouvelle dimension éducative.

Capture du 2015-12-01 21:03:28

Pourquoi choisir le logiciel libre ?

Le logiciel libre, c’est non seulement une question technique ; mais il s’agit avant tout d’une question d’éthique, sociale, et politique. Ces aspects-là sont beaucoup plus importants que l’aspect technique.

Pour des raisons techniques :

  • auditable : toute personne qui en a les connaissances peut lire le code source du logiciel libre;
  • résistant aux malwares : en optant pour Linux, les virus informatiques, la dégradation du système et de nombreux problèmes techniques divers ont disparu instantanément;
  • sain et sécurisé : parfait pour un usage par des enfants;
  • il permet de réutiliser du matériel. Ubuntu est en général bien plus performant que Windows sur du vieux matériel, nous n’avons pas de nécessité à être constamment en train d’acheter du nouveau matériel;
  • un grand support via sa communauté.

Ce changement permet également à l’école économiser de l’argent. Ne pas avoir à acheter des licences pour les systèmes d’exploitation propriétaires, les suites bureautiques et des outils anti-virus a déjà permis à l’école d’économiser environ 35 000 euros dans l’année 2014-2015.

« Évidemment, il est beaucoup plus intéressant d’investir cet argent dans l’éducation. »

Pour des raisons non-techniques :

  • augmentation de la dimension éducative de l’Informatique;
  • la liberté du logiciel joue un rôle fondamental dans l’éducation ; le logiciel libre diffuse la connaissance humaine;
  • le logiciel libre soutient l’éducation, le logiciel propriétaire au contraire l’interdit;
  • il y a transmission d’un esprit de collaboration et de coopération;
  • le code source et les méthodes du logiciel libre font partie de la connaissance humaine. Au contraire, le logiciel propriétaire est secret, la connaissance restreinte, ce qui est à l’opposé de la mission des établissements d’enseignement;
  • pour plus de cohérence avec les valeurs de l’école. Le choix du logiciel libre est non seulement une question technique ; il est également une question d’éthique, sociale et politique.

« La liberté et la coopération sont des valeurs essentielles du logiciel libre. Le système GNU implémente la valeur du partage ; le partage étant bon et bénéfique au progrès humain. »

Avec quoi ?

  • les logiciels libres permettent de comprendre notre environnement technique quotidien;
  • les logiciels libres sont une forme d’éducation en eux-mêmes, d’une certaine façon;
  • Ubuntu offre une large gamme de logiciels éducatifs et de matériels certifiés;
  • Ubuntu fournit un accès sécurisé et accessible aux étudiants, enseignants et administrateurs scolaires.

Quand changer ?

Maintenant.

  • Windows XP est un système propriétaire et obsolète;
  • la majorité des problèmes rencontrés avant la migration étaient liées à la transmission des virus via les clefs USB utilisées pour les documents.

« Pourquoi amener Ubuntu à l’école? Parce que les enfants sont l’avenir d’une société. S’ils savent ce qu’est Ubuntu, ils seront plus « ouverts » et plus « libres » quand ils deviendront adultes. »

Pour qui ?

  • pour les élèves les enfants sont naturellement curieux, ils ne sont pas du tout réticents au changement car ils cherchent la nouveauté et le changement;
  • pour les enseignants et professeurs

« Quand un professeur enseigne avec une application propriétaire, il est face à un véritable choix. Il oblige les élèves à acheter des logiciels ou à les copier illégalement. Avec les logiciels libres, les professeurs ont le contrôle de la situation et ils peuvent alors se concentrer sur l’éducation. »

Capture du 2015-12-01 21:03:53

Comment migrer ?

  • impliquer au sein du projet les personnes qui croient dans ce modèle d’éducation globale;
  • solliciter la communauté du logiciel libre;
  • utiliser toutes les ressources disponibles.

Quelles étapes ?

  • prendre une grande inspiration : une migration ce n’est pas facile et vous trouverez face à beaucoup plus de problèmes que vous n’imaginiez au début ;
  • évaluer les besoins, les coûts, les économies ;
  • commencer les migrations doucement, très doucement. Commencer en remplaçant programmes propriétaires sur Windows par du logiciel libre. Le changement pour Ubuntu se fera de façon naturelle ;
  • former les enseignants à l’utilisation d’Ubuntu et des nouvelles applications ;
  • faire de la pub (beaucoup) Vous devez expliquer ce que vous faites et pourquoi c’est une bonne chose.

Construire ?

Choisir la bonne option pour les besoins de votre école n’est pas facile, mais la mettre en œuvre est encore plus difficile :

  • évaluer les machines que vous allez migrer et la prise en charge du matériel ;
  • choisir la bonne version d’Ubuntu (envisager par exemple l’usage de la version dédiée à l’éducation, Edubuntu) ;
  • utiliser la même interface graphique sur chaque ordinateur ; l’interface utilisateur doit être homogène ;
  • il faut adapter la distribution aux besoins scolaires et toujours garder à l’esprit les besoins de l’école. Le plus important est l’expérience de l’utilisateur final ;
  • il faut toujours garder en tête que les utilisateurs finaux, ce sont les élèves. Ce qui compte vraiment, c’est leur éducation. Les changements doivent donc se concentrer sur eux. Le passage au logiciel libre doit permettre d’améliorer leur éducation.

Rappelez-vous, nous ne nous battons pas contre Microsoft. Nous nous battons contre une mauvaise expérience éducative. Notre mission est de diffuser la connaissance humaine et de préparer les élèves à être de bons membres de leur communauté.

Résultats de cette migration

Ce sont :

  • plus de 120 ordinateurs migrés durant 2014-2015;
  • plus de 1 200 étudiants ayant un contact avec Ubuntu par an;
  • autour de 35 000€ qui ont pu être investis dans l’éducation, et non plus dans des licences Microsoft ;
  • des ordinateurs plus fiables et donc cela laisse plus de temps pour faire de l’éducatif.

« L’open source est une puissante alternative aux logiciels propriétaires. La preuve en est que de nombreuses municipalités, de gouvernements et d’entreprises sont en train d’adopter les solutions open source. Il est donc temps que les écoles et les universités fassent de même. »

Capture du 2015-12-01 21:07:10

Merci à Fernando Loreno pour son partage d’expérience,

Et à Genma pour la traduction.

Chère Éducation nationale…

Via son fil Twitter, le ministère incite le monde du Libre à proposer des solutions… en feignant d’oublier que cela fait des années que les acteurs du Libre s’échinent à se faire entendre des décideurs politiques.

Cher ministère… mais surtout chères académies, rectorats, enseignant-e-s et personnel encadrant : ces solutions existent déjà et vous êtes à l’origine de nombre d’entre elles. Nous nous permettrons simplement d’en énumérer quelques unes avec ces liens :

Cette liste est loin d’être exhaustive.

Il faut changer de paradigme

« Il faut changer de logiciel », dirait-on dans la novlangue actuelle. Au-delà de la question – importante – de l’usage des logiciels libres à l’école, et des coûts de migration, l’Éducation Nationale doit se poser la question de son rôle : former de futurs citoyens éclairés libres de leurs opinions et de leurs choix, ou de futurs travailleurs-consommateurs ? Sous-traiter à Microsoft (ou Apple, ou Google) le champ du numérique éducatif, c’est refuser aux élèves la capacité d’être acteurs du numérique de demain, en leur proposant uniquement une place de figurants.

L’enjeu central se porte aujourd’hui sur les valeurs que l’école souhaite porter : le Ministère de l’Éducation Nationale est il prêt à encourager réellement le développement des ressources libres à l’école ? En accompagnant les enseignants à publier sous licence Creative Commons, en travaillant avec les communautés pour améliorer les logiciels existants ou en créer de nouveaux, en se positionnant clairement du côté du bien commun et du partage de la connaissance, etc.

Ou préfère-t-elle laisser la place à des acteurs – spécialistes de « l’optimisation fiscale » – dont l’objectif n’est pas l’émancipation des élèves et enseignants, mais au contraire leur enfermement dans des usages et des formats leur permettant de faire perdurer une économie de la rente ?




Solitude(s), un site libre et collaboratif

Une interview menée par Pouhiou

Dany Caligula est un youtubeur qui — littéralement — donne à réfléchir. C’est en voyant sa vidéo sur « le Sens de la Vie » (dont le son a été depuis coupé par YouTube) que je suis tombé sous le charme de son personnage de prof pédant au pull rouge. Bon sang, à grands coups de références ciné, philo et jeux vidéos, ce mec parlait de ce moment qui a changé ma vie et m’a mené à écrire ma première pièce de théâtre ! Quand j’ai appris qu’il est toulousain, je me suis dit qu’il fallait qu’on se rencontre… C’est chose faite, et cela nous a mené à de belles collaborations

Un épisode de Doxa, feat. Pouhiou. Cliquez sur l’image pour voir la vidéo sur YouTube.

Lorsqu’il m’a demandé de participer à la nouvelle version de son site, Solitude(s), je savais qu’il serait sous licence libre… Mais j’ai été ravi de conseiller la fine équipe de ce site sur leur choix de licence (libre et non de libre diffusion ^^) ainsi que de signer l’article fondateur « Pourquoi Solitude(s) passe au libre ? » On a là un projet qui n’émane pas de la communauté libriste, mais s’en inspire et s’empare de ses outils et idées pour les transmettre vers un public nouveau qui ne demande qu’à être convaincu… Forcément, ça méritait bien une petite interview pour le FramaBlog !

pouhiou plus petit— Salut Dany. Tu t’es fait un pseudo en ligne en proposant la chaine Doxa sur YouTube … Comment tu présentes ces vidéos à quelqu’un qui ne les connaît pas ?

caligula en nounours— Salut. Doxa c’est une chronique mensuelle, des vidéos de quinze minutes environ sur des questions de société relativement larges (comme le travail, la sexualité, l’art) dont la finalité est de vulgariser la philosophie et les sciences humaines pour les néophytes et les plus jeunes. C’est pour cela qu’on a fait le choix de mettre ces vidéos sur YouTube, parce que la plateforme concentre un maximum d’attention, notamment auprès des 15-30 ans. Avec Ovis Solo (le co-auteur de l’émission) le partage des savoirs et l’apprentissage de la sagesse nous semblent des notions essentielles à transmettre. On a eu le bonheur de voir que la démarche a été suivie et qu’on a désormais un public fidèle qui commente les vidéos et débat véritablement sur les sujets proposés.

— En réalité, ton projet initial n’était pas Doxa mais bien le site Solitude(s), dont la V2 est sortie il y a quelques jours…

— Oui, à l’origine Doxa n’est qu’une « production » de Solitude(s). J’ai créé Solitude(s) avec quelques amis parce que nous étions lassé des médias traditionnels (dits « verticaux »), et qu’au lieu d’en rester à la simple critique, nous souhaitions apporter notre petite pierre à l’édifice en proposant une plateforme sur laquelle on pourrait partager nos opinions et inviter d’autres solitudes à s’exprimer.

— La suite de l’histoire, tu la racontes dans la vidéo de lancement de la V2 de Solitude(s)… Vous n’êtes pas connus et avez peu de moyens, donc le site vivote mais vous permet de faire de belles rencontres (interview de Pierre Carles) et de vous lancer dans la production des Doxa… Mais alors, pourquoi ressortir Solitude(s) des cartons maintenant ?

— Le succès de Doxa nous a ouvert de nouvelles perspectives. Déjà, il était important pour nous de savoir comment nous allions utiliser cette notoriété grandissante et quel rapport nous allions entretenir avec notre public. Nous aurions pu simplement nous en contenter et surfer sur la vague en enchaînant les émissions. Mais très vite, nous avons décidé d’aller plus loin, et nous nous sommes interrogés sur comment et avec quels outils nous allions pouvoir poursuivre la démarche et discuter des alternatives que nous évoquons dans nos épisodes. C’est ce qui nous a d’abord poussé à faire des lives où l’on peut échanger et approfondir les sujets avec le public. Puis on s’est mis à repenser à Solitude(s), dont toutes ces choses étaient les objectifs initiaux. Simplement, comme cette fois-ci nous avions avec nous une communauté grandissante, un peu d’argent grâce aux dons, et que nous avons eu la chance de rencontrer Anthony Alexandre, un webmaster qui partageait nos envies et nos valeurs, le site allait enfin pouvoir se doter des moyens de ses ambitions.

— Donc, concrètement, qu’est-ce que l’on trouve sur Solitude(s) ?

— On y trouve d’abord des chroniques et des articles qui donnent à réfléchir tout en restant compréhensibles par tous. Bien sûr, il y a les Doxa, mais aussi Bastards Inc, que les lecteurs du Framablog connaissent normalement déjà… Il y a aussi des articles qui proposent un regard sur les médias, l’actualité, tel film, tel jeu, ou parfois simplement des aphorismes. Après, on est encore en train de migrer le contenu sur notre nouveau Joomla, mais le plus important c’est que n’importe qui puisse proposer ses chroniques ou ses articles sur un site qui se veut entièrement collaboratif.

— Clairement, il y a une volonté de faire un site participatif, où l’internaute n’est pas un simple consommateur pantoufles&zapette, mais peut proposer, débattre, réagir…

— Oui, on a tout particulièrement veillé à proposer un ensemble d’outils pour que tout le monde puisse contribuer au site. Outre le module qui permet à tous de proposer ses articles, on a un forum qui est lié directement aux commentaires des articles, et qui est centré autour de la culture et des débats. On aussi un chat, on est en train d’installer un mumble et la communauté vient de nous demander d’ajouter carrément un wiki dédié. L’important pour nous étant vraiment de retrouver une horizontalité dans l’échange afin que n’importe quel internaute puisse participer à ce site en lisant, en proposant ses idées, en corrigeant les articles, en modérant… etc.

— T’es pas libriste à l’origine. Pourtant, dès que j’ai évoqué l’idée de placer Solitude(s) sous CC-BY-SA, t’as été enthousiaste… Comment tu t’es intéressé au libre et pourquoi tu as décidé de sauter le pas ?

— Pour moi, ce n’était pas vraiment « sauter le pas », mais plutôt trouver chaussure à mon pied. Quasiment tout ce que je sais, toutes mes lectures, mes découvertes cinématographiques et vidéoludiques ne proviennent pas de mon éducation, des écoles, ou de tout ce que j’ai acheté à la FNAC ou sur Amazon… Au contraire, si je m’en étais limité à ça, je ne serais pas celui que je suis aujourd’hui. Par contre, les initiatives populaires, les bibliothèques, les internets et surtout le téléchargement m’ont permis de me construire intellectuellement. Vraiment, pour moi le libre était quelque chose d’inné, j’ai toujours trouvé que les choses et la culture étaient libres, d’autant plus avec internet, où quels que soient tes verrous on va te hacker. C’est pourquoi je me permets de télécharger et d’utiliser des extraits d’œuvres (films, musiques, etc.) dans mes émissions.

— Ce qui ne t’a pas forcément réussi, puisque tu t’es fait épingler à plusieurs reprises par le fameux « Content ID » de YouTube… Tu as d’ailleurs fait une vidéo, à l’époque, quand les youtubeurs ont cessé d’être protégés par leurs Networks…

— Justement, il y a eu un vrai concours de circonstances autour de cette vidéo. J’étais en train de réfléchir depuis quelque temps à un format pour parler des internets, du téléchargement, et de la culture du remix. J’ignorais encore si j’allais en faire le sujet d’un Doxa ou d’une toute nouvelle émission. Et paf, c’est là qu’arrive ce durcissement des règles de Google. Je fais cette vidéo à chaud, un peu sous la colère, et elle fait plus de 400 000 vues. Elle a donc suscité un vrai débat, et c’est en lisant les commentaires, et en voyant les réactions positives comme antagonistes que je me suis dis qu’il fallait vraiment que je consacre toute une émission à ces problématiques. C’est là que j’ai pris réellement conscience de la portée symbolique et politique de l’utilisation des licences libres et de la terminologie qui les accompagne.

C’est pourquoi mes vidéos sont désormais sous CC-BY et que Solitude(s) est sous CC-BY-SA parce que même si je crois que tout est intrinsèquement libre il est important d’afficher cette intention et d’encourager la sérendipité, les remixes et tout ce qui peut en découler.

— En définitive, Google avec son serrage de vis t’as directement inspiré cette idée de nouvelle émission ?

— Ironiquement, oui. En fait, c’est surtout les réactions des gens par rapport à cette vidéo. La grande majorité des commentaires allaient globalement dans le même sens : « Mais vous avez rien pour vous protéger juridiquement ? » « Internet c’est libre, je ne comprends pas, vous devriez avoir le droit de faire ça », « Est-ce que c’est à cause d’ACTA et des méchants lobbys d’ayants droits que Google est en train de se corrompre ? »…. En lisant tout cela, je me suis rendu compte qu’il fallait intervenir, tellement il y a encore de fausses-vérités et des incompréhensions dans les esprits par rapport à ces questions-là. Visiblement, la grande majorité des internautes soutiennent l’idée d’un internet libre, mais n’ont que peu de connaissances par rapport à ce qu’il se passe. Une nouvelle émission qui pourrait vulgariser ces problématiques et apporter des sources réelles me semble nécessaire, et dans la même lignée de ce que j’ai déjà entrepris avec Doxa.

— Pour finir, revenons sur Solitude(s)… Juste pour le plaisir, tu nous expliques le nom ?

— J’ai emprunté le terme à Rainer Maria Rilke, un poète allemand du début du XXe siècle. Alors qu’aujourd’hui la solitude est souvent perçue négativement et méprisée, Rilke nous invite non seulement à la développer comme source de richesses mais surtout à la dépasser en allant à la rencontre de nouvelles Solitude(s) : « Il sera cet amour que nous préparons, en luttant durement : deux solitudes se protégeant, se complétant, se limitant, et s’inclinant l’une devant l’autre. » C’est un nom rêvé pour un site internet participatif où de nombreuses solitudes seront amenées à échanger.




Pourquoi les jeux vidéos devraient entrer dans le domaine public plus tôt

Une traduction initialement publiée sur Romaine Lubrique, le projet soutenu par Framasoft dédié au domaine public.

Nous nous sommes permis d’en modifier le titre original pour plus de clarté.

Pourquoi les jeux devraient entrer dans le domaine public

Why Games Should Enter The Public Domain

John Walker – 3 février 2014 – Rock Paper Shotgun
(Traduction : Lamessen, Penguin, Laurent, RemyG, Isammoc, Asta, Diin, Gnujeremie, Scailyna, Goofy, Mecrof, KoS, sinma + anonymes)

Il y a quelques jours, j’ai provoqué sans le vouloir une polémique en m’exprimant sur les ventes de l’opération GOG Time Machine (NdT, GOG est un site spécialisé dans les vieux jeux vidéos, Good Old Games). J’ai évoqué à ce sujet le plaisir de sauver ainsi d’anciens jeux de l’oubli et mon souhait de les voir rejoindre le domaine public. Cela a entraîné une discussion enflammée dans les commentaires, et a poussé un développeur renommé à carrément en appeler à mon licenciement sur Twitter.

J’ai voulu ici développer plus avant mon propos plutôt que de le laisser en état de courtes et désinvoltes réflexions. Mais je tiens à préciser qu’il s’agit de mon avis personnel et non celui de RPS (NdT, Rock Paper Shotgun, le site original de publication de l’article). Ce n’est pas un manifeste ou une pétition, juste un approfondissement de mon avis sur le sujet. Gardons cela à l’esprit lorsque nous déciderons si je dois ou non me mettre à la porte.

J’ai dit, en ouverture de l’article en question, que cela me frustrait que les jeux vieux de plus de deux décennies ne soient pas dans le domaine public. Vingt ans est un nombre tout à fait arbitraire, bien qu’il semble avoir du sens dans le contexte de la durée de vie d’un jeu vidéo, mais cela peut tout autant être vingt-cinq ou trente ans. Ce n’est pas le sujet de ce texte. Mon idée était, et est toujours, que je souhaite que les créations artistiques entrent plus rapidement dans le domaine public, après une période de temps pendant laquelle le créateur peut engranger du profit.

Réaction de l’illustre George Broussard (des studios 3D Realms), un homme directement impliqué dans l’histoire de Duke Nukem Forever : cet article « débute avec la phrase la plus stupide que j’ai jamais lue ».

« Celui qui s’est permis de publier cela devrait être viré », a poursuivi George.

Cela peut sembler une réaction excessive. Mais d’autres ont surenchéri. Ainsi Cliff Bleszinski (NdT, autre célèbre concepteur de jeux vidéos) a retweeté en précisant : « Je ne me ferai jamais à cette culture qui ne comprend pas que les développeurs ont besoin de manger, qu’ils ont des crédits, et que développer un jeu coûte de l’argent. »

Zut alors !

Avant de rentrer dans les détails des différents points de vue, mettons une chose au clair : exprimer le souhait qu’un jeu entre dans le domaine public, disons vingt ans après publication, ne suggère en aucun cas que les développeurs ne soient pas payés pour leur travail. Et je n’apprécie pas avoir à préciser cela. C’est un peu comme si vous vous retrouviez à devoir dire que vous êtes contre l’idée d’affamer des enfants, juste parce vous avez émis l’idée qu’ils ne devraient pas manger exclusivement chez McDonald’s. Voici ce que je dis en fait : « les développeurs devraient être payés pour leur travail, et ensuite continuer à être payés pour ce même travail, encore et encore, sur les vingt années qui suivent, même s’ils ont arrêté tout travail lié à ce projet d’il y a plusieurs années. ». Comment y a-t-il pu y avoir ici raccourci et confusion ? Ce n’est pas très clair.

Je vous taquine parce qu’en vérité c’est bien clair. Les deux sont volontairement confondus par un groupe qui considère la possibilité même que des artéfacts culturels retournent à la culture dont ils sont nés comme une idée repoussante. Une idée si repoussante qu’ils doivent éliminer tout ce qui s’approche de près ou de loin à remettre en question ce qu’ils perçoivent comme des droits perpétuels sur leurs vieux projets. (Et soyons francs ici ? des créateurs comme le tumescent Phil Collins ou notre très cher Broussard argumentent ici en faveur du copyright perpétuel, ce qui est bien au-delà de ce que prévoit la loi elle-même.)

« N’importe quoi. Les créateurs ont le droit d’être payés de manière illimitée pour leur travail tant que leur marché existe. Point. »

Je pense que la meilleure approche est de répondre calmement aux questions les plus fréquemment posées.

Les gens ont besoin d’une motivation financière pour créer. Si vous l’enlevez, ça menacera la créativité.

Cet argument est si astronomiquement faux que mon chapeau m’en tombe de la tête. Une telle vision si misérable des être humains, extraordinaires créatures créatives, me donne envie de pleurer. Que la créativité soit possible uniquement s’il y a une récompense financière à la clé est une idée fausse qui a été démontrées à de nombreuses reprises. Que quelqu’un puisse gagner sa vie grâce à des œuvres créatives, oui. Mais la créativité n’implique pas nécessairement qu’on en fasse son gagne-pain. Il est crucial de s’en souvenir. Et si l’on se restreint à ceux qui cherchent à gagner leur vie avec, le fait de conserver l’exploitation exclusive de son œuvre pendant un temps non pas infini mais borné ne va empêcher personne de devenir multi-millionnaire grâce au fruit son travail. Une transition éventuelle dans le domaine public n’entrave pas la motivation financière.

Non seulement un argumentaire en faveur d’une durée moins longue du copyright que les monstruosités actuelles telles que « pour la vie + 70 ans » n’empêche pas quelqu’un de gagner sa vie, mais cela ne signifie même pas qu’ils ne puisse continuer à le faire grâce à leurs œuvres après que le copyright ait expiré. C’est la magie du domaine public ! Ils partagent juste l’opportunité de faire des profits avec les autres. J’aurai l’occasion d’y revenir.

Alors certes, cela pourrait éventuellement empêcher Cliff Richard de changer tous les lustres dans ses manoirs grâce aux droits sur une chanson enregistrée il y a soixante ans. Mais, je me répète, l’entrée potentielle dans le domaine public ne va appauvrir personne. (Je pense d’ailleurs qu’au moment où il enregistrait ladite chanson, il aurait été d’accord pour qu’elle soit dans le domaine public aujourd’hui.)

Mais pourquoi, les individus ne seraient-ils pas propriétaires de leurs propres idées ? Ce sont eux qui les ont créées après tout.

C’est ici que les choses deviennent quelque peu philosophico-métaphysiques. Cela revient à accepter qu’il existe (littéralement) une différence entre un jeu et une table, une chanson et une voiture. L’un existe physiquement. L’autre non. L’un est une chose, l’autre est une idée. Et tout se rapporte aux idées ici.

Tout le monde a eu l’expérience de ces diverses industries du copyright qui nous hurlent au visage « MAIS VOUS NE VOLERIEZ PAS UNE VOITURE ! »[1], lorsque, assis dans une salle de cinéma, on nous explique que c’est de notre faute si personne ne va plus au cinéma pour regarder un film (ou le regarder avec un DVD acheté légalement). Cette comparaison est fausse. Et c’est une fausse comparaison qui sert les intérêts des compagnies en rendant volontairement les choses confuses. Non, je ne volerais pas plus une voiture que je n’accepterais qu’une entreprise m’explique qu’elle détient les droits exclusifs sur l’idée des voitures elle-même. Toutefois, je suis heureux de « voler » certaines choses, telles que la connaissance, l’inspiration ou les bonnes idées. Et jusqu’à récemment, la littérature et la musique faisaient partie de cette connaissance, cette inspiration et ces bonnes idées.

La guerre des idées menée par les industries du copyright pendant les cent dernières années a été tellement efficace qu’aujourd’hui, la seule suggestion que les idées ne sont pas comparables aux objets physiques rencontre immédiatement une violente colère de leur part. Dans un monde où les lois sont faites par Disney, il n’est guère surprenant qu’un tel avis soit repoussé avec violence. Ce qui a été perçu à une époque comme un sérieux abus est aujourd’hui défendu par ceux-là mêmes qui en ont été les victimes.

Un changement brusque a eu lieu au tournant du siècle dernier, lorsque les idées qui étaient partagées de bouche à oreille, ou effectivement sur des textes recopiés, ont été confinées dans des morceaux de plastique. Quelques générations plus tard, ces emprisonnements ont été acceptés comme l’unique possibilité. Puis, l’ubiquité relativement récente d’Internet a soudainement révélé la nature transitoire et éthérée que les idées ont toujours eue. Mais, dans l’intervalle, de vastes industries ont été bâties autour de cet emprisonnement temporaire des idées, et elles n’ont aucune envie de voir leur règne arriver naturellement à sa fin.

Le copyright est revenu à ses origines. Créé au XVIIe siècle dans une ambiance de censure, volonté de la monarchie d’empêcher la presse émergente de répandre trop facilement des informations libres, il a pourtant évolué, deux siècles durant, en quelque chose de globalement utile. Il servait alors à défendre le droit d’un auteur à jouir de ses créations pendant une période de temps limitée, avant qu’elles entrent à nouveau dans le domaine public. Basé sur l’idée qu’une création n’est pas uniquement l’œuvre d’une seule personne, mais plutôt le résultat d’un partage et maillage massif d’idées culturelles pendant plusieurs millénaires, il paraissait alors logique que les créations retournent dans le domaine public après une certaine durée. Ceux qui ont trouvé un marché pour leurs créations, quand ils ont utilisé cette culture partagée dans leurs propres projets, se voyaient donc recevoir une récompense, soit par patronage soit par rétribution sur leurs ventes ou leurs représentations. Et ils pouvaient (et peuvent encore) continuer à faire cela ad vitam æternam. À ceci près qu’à la fin de cette période convenue (de différente longueur selon les pays), ils n’ont plus l’exclusivité des droits sur cette idée.

Mais aujourd’hui le copyright sert à protéger les individus, non les idées. En fait, son but est de limiter le flux libre des idées, d’empêcher l’échange culturel, au profit d’une minorité. Le copyright en lui-même est une menace pour la créativité future car il essaie de réduire la plus humaine des actions : partager nos idées. Il est revenu à ses origines et correspond à une forme de censure. Pas une censure reconnue par beaucoup en tant que telle, tellement le lavage de cerveaux des industries du copyright est réussi et contagieux, mais une censure des idées tout de même.

Pourquoi donc ne pas acheter et devenir propriétaire d’une idée comme on est propriétaire d’une table ? Parce qu’on ne possède pas une idée. Elles sont nées de la masse culturelle de l’humanité et vous ne pouvez pas poser une tasse de café sur une idée.

Mais pourquoi est-ce qu’une personne ne pourrait pas tirer profit de son idée tant qu’elle est en vie ?

En mettant de côté le fait qu’adhérer au domaine public n’empêche nullement de gagner de l’argent de son idée, ma réponse à cette question est : pourquoi le devrait-elle ?

Ce qui me semble intéressant avec cette question est que personne n’y a jamais vraiment répondu. Soit on me demande de me justifier de remettre ceci en cause. soit on me répond de manière lapidaire que c’est ainsi et pas autrement. J’ai remarqué un total manque de volonté de la part des gens de seulement prendre le temps de réfléchir à cette question. Pourquoi donc une personne aurait-elle le droit de gagner de l’argent sur une chose réalisée il y a plus de cinquante ans ? Dans quels autres domaines considère-t-on ce ce même principe comme acquis ? Si un policier demandait à continuer d’être payé pour avoir capturé un certain criminel notoire il y a trente-cinq ans, on lui demanderait de sortir de la salle et d’arrêter de faire l’idiot. « Mais le prisonnier est toujours en prison ! » pleurnicherait-il, en sortant du commissariat, les poches vides de n’avoir rien fait d’autre comme travail au cours de ces trente-cinq dernières années, et se demandant pourquoi il ne vit toujours pas dans un château en Espagne pour ce fait de gloire.

Et que dire de l’électricien qui a installé l’éclairage dans votre maison. Il va alors vous demander une taxe à chaque fois que vous allumez la lumière. C’est normal, c’est comme ça. Vous devez la payer, parce qu’il en a toujours été ainsi, aussi loin que vous vous en souvenez. Vous ne voulez tout de même pas qu’il passe sa vie à installer des lumières dans d’autres maisons ? Et les redevances du chirurgien sur ce cœur qu’il a opéré ? Le système est fait ainsi. Pourquoi est-ce qu’il ne serait pas payé à chaque fois que vous l’utilisez ?

Alors, pourquoi est-ce qu’un chanteur a le droit de tirer profit d’un enregistrement effectué il y a plus de trente-cinq ans ? La réponse sibylline « parce que c’est sa chanson » ne suffit pas. « Mais créer cette chanson a pu prendre des années ! » non plus. En effet notre policier a perdu des années à enquêter sur les crimes avant qu’il n’attrape ce sale criminel ! L’électricien doit étudier pendant des années afin de devenir assez compétent pour installer l’éclairage. Le médecin a perdu sept années dans une faculté… Imaginez si ce conditionnement des industries culturelles que nous acceptons tous était accepté ailleurs, le chaos qui en résulterait serait extraordinaire. Prenons la revendication de Broussard, cité plus haut, qui stipule que « les créateurs ont le droit d’être rémunérées indéfiniment pour leur travail » et changez « créateurs » par n’importe quel autre métier : dentistes, professeurs, bibliothécaires, paléontologues… Ça commence à sembler assez ridicule.

« Parce que c’est normal » ne répond simplement pas à la question. Cette réponse instinctive est née de la capture de la culture par l’industrie, instillée en nous depuis la naissance. Y mettre fin, s’en débarrasser, et approcher à nouveau la question, nécessite un effort considérable. Mais une fois que table rase est faite, la lumière se met soudainement à briller.

Pourquoi, en tant que personnes qui gagnent de l’argent en travaillant régulièrement et qui sommes payés pour le temps qu’ils passent à le faire, défendons-nous si vigoureusement ce modèle étrange qui est l’antithèse de notre existence ?

Je ne peux pas croire que vous puissiez dire que les développeurs ne devraient pas tirer profit de leurs propres jeux.

Ma pauvre tête. Mais oui, appliquons cela aux jeux vidéo. Les jeux sont différents des chansons et des films, n’est-ce pas ? Ils sont modernes. Ils n’étaient même pas un concept lorsque le copyright les a si grotesquement transformés en leur forme actuelle. L’industrie du jeu vidéo est née dans un monde où les créateurs prétendaient déjà à une possession à vie de leur manipulation personnelle d’une culture héritée pourtant d’autres personnes. Plus encore que pour les films, la musique ou la littérature, c’est une industrie qui a grandi en contradiction avec la notion de domaine public. (Ce que toute personne de plus de 30 ans verra comme une sinistre ironie, en se rappelant des jours où les jeux étaient dans le domaine public au début des années 90.)

Et, contrairement à la musique, aux productions théâtrales ou aux histoires, ils n’ont jamais pré-existé dans une forme matérielle gratuite. (On peut évidement évoquer des jeux comme « la Marelle » et « Chat perché » mais par souci de simplicité, nous ne le ferons pas, nous bornant aux jeux vidéos) Je concède alors que cela peut être un gros décalage culturel que d’accepter que des explosions et autres graphiques ultramodernes, qui ne sont après tout que des 0 et des 1 correctement agencés, se rangent dans ces catégories culturelles. Mais bien qu’on le ne ressente pas instinctivement ainsi, cela n’en demeure pas moins vrai.

Mais surtout les jeux, contrairement à d’autres activités créatives, sont souvent développés par d’importantes équipes de personnes. C’est une véritable entreprise non comparable à l’unique auteur d’un livre. Les gens sont payés pour faire leur travail, c’est-à-dire concevoir le jeu. Les droits du jeu, la propriété, revient à l’éditeur qui le finance et pas aux auteurs qui l’ont créé. Quand un jeu de 20 ou 30 ans fait toujours de l’argent, pas une seule personne impliquée dans sa création ne reçoit de dîme.

Dans certains cas oui, cela peut ressembler aux livres, avec un développeur indépendant et ses projets auto-publiés. Et il peut alors espérer toucher quelque chose. Mais alors nous retournons à mon plus significatif argument : après des décennies à être payés pour cela, il est temps que son jeu entre dans la culture commune.

Mais les gens qui travaillent méritent un salaire.

Je suis aussi patient que possible. Et c’est ici que des lois raisonnables de copyright protégeant les activités créatives peuvent intervenir. Car contrairement à ce que veulent bien croire certaines personnes, je n’ai rien contre l’idée, communément admise, de rémunérer le créateur pour ses créations. J’ADORE voir des personnes créatives être payées.

J’adore même l’idée que des personnes soient payées pour leur travail après que leur copyright ait expiré. Je crois ainsi qu’il est juste et équitable que quiconque fasse en sorte de mettre à ma disposition ses ressources du domaine public sous une forme pratique soit rétribué pour le faire. À ceux qui interprètent mon article précédent comme revendiquant que le site GOG ne devrait pas me faire payer son catalogue de vieux jeux, ce n’est absolument pas le cas. Je voudrais juste que mon argent aille entièrement à GOG pour le service qu’il me propose et non aux sociétés qui détiennent les licences de jeux dont ils n’ont rien à voir avec leur création.

Tu es hypocrite, toi-même, le journaliste, car l’écriture est une industrie créative, et tu ne donnes pas tes écrits gratuitement, et tu es payé, et tu es moche.

Il est poli de se demander en quoi cette personne est hypocrite avant de l’injurier ainsi. Bien qu’il y ait peu de demandes pour des articles sur les jeux vidéos écrits il y a vingt ans, et donc c’est quelque chose à laquelle je ne fais pas souvent face, je considère que mon ancien travail est dans le domaine public. J’ai écrit pour Future Publishing pendant environ dix ans, où mon contrat spécifiait qu’ils avaient les droits exclusifs des travaux pour six mois, et qu’après nous partagions les droits. J’ai toujours renoncé à ces droits mais je garde celui d’être reconnu comme étant le créateur dudit travail, et je suis ravi que quiconque qui me crédite utilise ce travail comme bon lui semble. Si cette personne veux me payer pour le faire, vous m’en voyez d’autant plus ravi. Et je suis on ne peut plus sincère lorsque j’affirme cela.

Bon, que voulez-vous voir modifié alors, excepté que les développeurs ne soient pas payés pour leur travail ?

Il y a vraiment très peu de cas de développeurs gagnant leur pain avec des jeux créés il y a 20 ans. Le jeu vidéo, en tant que média culturel, a une date d’expiration beaucoup plus rapide que la musique, les films ou n’importe quelle autre activité créative. Malgré la mode rétro et tous ces projets d’émulateurs dédiés, faire en sorte qu’un vieux jeu fonctionne sur nos périphériques d’aujourd’hui peut devenir un véritable supplice. Les sites comme GOG font un travail admirable en préservant et diffusant ces vieux jeux mais cela ne se traduit pas directement en ventes trébuchantes qui garantiront au développeur original sa Jaguar remplie de caviar pour le reste de ses jours. En fait, il y a extrêmement peu de chance qu’un seul penny de la plupart des ventes atteignent le créateur du jeu. D’autres sites, qui tentent de donner une seconde vie à des jeux oubliés, connus sous le nom d’abandonwares, sont violemment menacés de fermeture et effectivement fermés non par les créateurs qui ont conçu les jeux, mais par les sociétés qui ont acheté la société qui a été fusionnée avec la société qui avait les droits originaux. Et si vous n’aimez pas 20 ans, parce qu’on arrive à la moitié des années 90 et que cela semble dangereusement proche, alors mettez la barre à 30 ans. Déterminez une durée qui assure aux développeurs d’être richement récompensés de leurs efforts, et ensuite, remettez le tout dans la culture populaire. Ce sera alors au tour des personnes qui partagent, copient, remixent, ajoutent à leur catalogue des projets rétros, font un réel travail pour les rendre jouables, de toucher quelque chose sans demander autorisation ou avoir peur d’un procès.

Et non, bien sûr, je ne crois pas que le jeu doive être traité différemment des autres médias. Je crois que les autres médias devraient être rapidement régis par les mêmes normes, avant de voir les sources culturelles se tarir et disparaître.

Mais, hey, voilà un truc : je n’ai aucun pouvoir. Mes dires, mes croyances et mon souhait d’un retour plus de la créativité à ses origines, n’obligent personne à s’y contraindre. Autre stupéfiante révélation, je n’ai pas l’illusion que mes modestes réflexions vont déclencher une révolution mondiale dans les lois du copyright. Mais ce que j’espère, c’est que certaines personnes, même une infime minorité, puissent, d’une manière ou d’une autre, se sentir connectées et concernées, et fassent en sorte de laisser leurs jeux entrer dans le domaine public. Ou qu’elles publient leur jeux avec la promesse de le faire après un certain temps (et qu’elles le fassent réellement). Ou encore qu’elles choisissent de publier leurs jeux sous une licence Creative Commons, dans le but de maintenir tous les droits légaux et de protections dont elles ont besoin, sans étouffer le monde culturel dans lequel elles ont si abondamment puisé.

Je suis un romantique.

Répétons-nous s’il en était besoin : j’adore voir des personnes talentueuses justement récompensées pourr leur excellent travail créatif. Des histoires comme celles de Garry Newman ou Marcus Persson, devenus fantastiquement riches suite à leurs brillantes créations, m’apportent de la joie au cœur. Rien ne me fait autant sourire dans une banale journée de travail que de lire le témoignage d’un développeur indépendant qui constate que les ventes de son jeu lui permettent dorénavant de quitter son boulot pour se tourner vers ce qu’il aime réellement faire à plein temps.

Enfin, j’aimerais vraiment voir émerger une situation de réels financements créatifs de la part de mécènes et de communautés de joueurs offrant de l’argent pour que les auteurs puissent produire des jeux vraiment géniaux sans avoir besoin d’un énorme succès commercial.

Je veux voir l’argent arriver massivement vers ceux dont le talent le mérite. Je veux que les développeurs soient payés.

Notes

[1] Je me demande du reste s’il ne s’agit pas de la campagne la plus efficace contre le vol de voitures.