Ouvrir le code des algorithmes ? — Oui, mais… (1/2)

Voici le premier des deux articles qu’Hubert Guillaud nous fait le plaisir de partager. Sans s’arrêter à la surface de l’actualité, il aborde la transparence du code des algorithmes, qui entraîne un grand nombre de questions épineuses sur lesquelles il s’est documenté pour nous faire part de ses réflexions.


Dans le code source de l’amplification algorithmique : publier le code ne suffit pas !

par Hubert GUILLAUD

Le 31 mars, Twitter a publié une partie du code source qui alimente son fil d’actualité, comme l’a expliqué l’équipe elle-même dans un billet. Ces dizaines de milliers de lignes de code contiennent pourtant peu d’informations nouvelles. Depuis le rachat de l’oiseau bleu par Musk, Twitter a beaucoup changé et ne cesse de se modifier sous les yeux des utilisateurs. La publication du code source d’un système, même partiel, qui a longtemps été l’un des grands enjeux de la transparence, montre ses limites.

un jeune homme montre une ligne d'une explication de l'encodage des algorithmes au rétroprojecteur
« LZW encoding and decoding algorithms overlapped » par nayukim, licence CC BY 2.0.

Publier le code ne suffit pas

Dans un excellent billet de blog, le chercheur Arvind Narayanan (sa newsletter mérite également de s’y abonner) explique ce qu’il faut en retenir. Comme ailleurs, les règles ne sont pas claires. Les algorithmes de recommandation utilisent l’apprentissage automatique ce qui fait que la manière de classer les tweets n’est pas directement spécifiée dans le code, mais apprise par des modèles à partir de données de Twitter sur la manière dont les utilisateurs ont réagi aux tweets dans le passé. Twitter ne divulgue ni ces modèles ni les données d’apprentissages, ce qui signifie qu’il n’est pas possible d’exécuter ces modèles. Le code ne permet pas de comprendre pourquoi un tweet est ou n’est pas recommandé à un utilisateur, ni pourquoi certains contenus sont amplifiés ou invisibilisés. C’est toute la limite de la transparence. Ce que résume très bien le journaliste Nicolas Kayser-Bril pour AlgorithmWatch (pertinemment traduit par le framablog) : « Vous ne pouvez pas auditer un code seulement en le lisant. Il faut l’exécuter sur un ordinateur. »

« Ce que Twitter a publié, c’est le code utilisé pour entraîner les modèles, à partir de données appropriées », explique Narayanan, ce qui ne permet pas de comprendre les propagations, notamment du fait de l’absence des données. De plus, les modèles pour détecter les tweets qui violent les politiques de Twitter et qui leur donnent des notes de confiance en fonction de ces politiques sont également absentes (afin que les usagers ne puissent pas déjouer le système, comme nous le répètent trop de systèmes rétifs à l’ouverture). Or, ces classements ont des effets de rétrogradation très importants sur la visibilité de ces tweets, sans qu’on puisse savoir quels tweets sont ainsi classés, selon quelles méthodes et surtout avec quelles limites.

La chose la plus importante que Twitter a révélée en publiant son code, c’est la formule qui spécifie comment les différents types d’engagement (likes, retweets, réponses, etc.) sont pondérés les uns par rapport aux autres… Mais cette formule n’est pas vraiment dans le code. Elle est publiée séparément, notamment parce qu’elle n’est pas statique, mais qu’elle doit être modifiée fréquemment.

Sans surprise, le code révèle ainsi que les abonnés à Twitter Blue, ceux qui payent leur abonnement, bénéficient d’une augmentation de leur portée (ce qui n’est pas sans poser un problème de fond, comme le remarque pertinemment sur Twitter, Guillaume Champeau, car cette préférence pourrait mettre ces utilisateurs dans la position d’être annonceurs, puisqu’ils payent pour être mis en avant, sans que l’interface ne le signale clairement, autrement que par la pastille bleue). Reste que le code n’est pas clair sur l’ampleur de cette accélération. Les notes attribuées aux tweets des abonnés Blue sont multipliées par 2 ou 4, mais cela ne signifie pas que leur portée est pareillement multipliée. « Une fois encore, le code ne nous dit pas le genre de choses que nous voudrions savoir », explique Narayanan.

Reste que la publication de la formule d’engagement est un événement majeur. Elle permet de saisir le poids des réactions sur un tweet. On constate que la réponse à tweet est bien plus forte que le like ou que le RT. Et la re-réponse de l’utilisateur originel est prédominante, puisque c’est le signe d’une conversation forte. À l’inverse, le fait qu’un lecteur bloque, mute ou se désabonne d’un utilisateur suite à un tweet est un facteur extrêmement pénalisant pour la propagation du tweet.

Tableau du poids attribué en fonction des types d’engagement possibles sur Twitter.

Ces quelques indications permettent néanmoins d’apprendre certaines choses. Par exemple que Twitter ne semble pas utiliser de prédictions d’actions implicites (comme lorsqu’on s’arrête de faire défiler son fil), ce qui permet d’éviter l’amplification du contenu trash que les gens ne peuvent s’empêcher de regarder, même s’ils ne s’y engagent pas. La formule nous apprend que les retours négatifs ont un poids très élevé, ce qui permet d’améliorer son flux en montrant à l’algorithme ce dont vous ne voulez pas – même si les plateformes devraient permettre des contrôles plus explicites pour les utilisateurs. Enfin, ces poids ont des valeurs souvent précises, ce qui signifie que ce tableau n’est valable qu’à l’instant de la publication et qu’il ne sera utile que si Twitter le met à jour.

Les algorithmes de recommandation qui optimisent l’engagement suivent des modèles assez proches. La publication du code n’est donc pas très révélatrice. Trois éléments sont surtout importants, insiste le chercheur :

« Le premier est la manière dont les algorithmes sont configurés : les signaux utilisés comme entrée, la manière dont l’engagement est défini, etc. Ces informations doivent être considérées comme un élément essentiel de la transparence et peuvent être publiées indépendamment du code. La seconde concerne les modèles d’apprentissage automatique qui, malheureusement, ne peuvent généralement pas être divulgués pour des raisons de protection de la vie privée. Le troisième est la boucle de rétroaction entre les utilisateurs et l’algorithme ».

Autant d’éléments qui demandent des recherches, des expériences et du temps pour en comprendre les limites.

Si la transparence n’est pas une fin en soi, elle reste un moyen de construire un meilleur internet en améliorant la responsabilité envers les utilisateurs, rappelle l’ingénieur Gabriel Nicholas pour le Center for Democracy & Technology. Il souligne néanmoins que la publication d’une partie du code source de Twitter ne contrebalance pas la fermeture du Consortium de recherche sur la modération, ni celle des rapports de transparence relatives aux demandes de retraits des autorités ni celle de l’accès à son API pour chercheurs, devenue extrêmement coûteuse.

« Twitter n’a pas exactement ’ouvert son algorithme’ comme certains l’ont dit. Le code est lourdement expurgé et il manque plusieurs fichiers de configuration, ce qui signifie qu’il est pratiquement impossible pour un chercheur indépendant d’exécuter l’algorithme sur des échantillons ou de le tester d’une autre manière. Le code publié n’est en outre qu’un instantané du système de recommandation de Twitter et n’est pas réellement connecté au code en cours d’exécution sur ses serveurs. Cela signifie que Twitter peut apporter des modifications à son code de production et ne pas l’inclure dans son référentiel public, ou apporter des modifications au référentiel public qui ne sont pas reflétées dans son code de production. »

L’algorithme publié par Twitter est principalement son système de recommandation. Il se décompose en 3 parties, explique encore Nicholas :

  • Un système de génération de contenus candidats. Ici, Twitter sélectionne 1500 tweets susceptibles d’intéresser un utilisateur en prédisant la probabilité que l’utilisateur s’engage dans certaines actions pour chaque tweet (c’est-à-dire qu’il RT ou like par exemple).
  • Un système de classement. Une fois que les 1 500 tweets susceptibles d’être servis sont sélectionnés, ils sont notés en fonction de la probabilité des actions d’engagement, certaines actions étant pondérées plus fortement que d’autres. Les tweets les mieux notés apparaîtront généralement plus haut dans le fil d’actualité de l’utilisateur.
  • Un système de filtrage. Les tweets ne sont pas classés strictement en fonction de leur score. Des heuristiques et des filtres sont appliqués pour, par exemple, éviter d’afficher plusieurs tweets du même auteur ou pour déclasser les tweets d’auteurs que l’utilisateur a déjà signalés pour violation de la politique du site.

Le score final est calculé en additionnant la probabilité de chaque action multipliée par son poids (en prenant certainement en compte la rareté ou la fréquence d’action, le fait de répondre à un tweet étant moins fréquent que de lui attribuer un like). Mais Twitter n’a pas publié la probabilité de base de chacune de ces actions ce qui rend impossible de déterminer l’importance de chacune d’elles dans les recommandations qui lui sont servies.

Twitter a également révélé quelques informations sur les autres facteurs qu’il prend en compte en plus du classement total d’un tweet. Par exemple, en équilibrant les recommandations des personnes que vous suivez avec celles que vous ne suivez pas, en évitant de recommander les tweets d’un même auteur ou en donnant une forte prime aux utilisateurs payants de Twitter Blue.

Il y a aussi beaucoup de code que Twitter n’a pas partagé. Il n’a pas divulgué beaucoup d’informations sur l’algorithme de génération des tweets candidats au classement ni sur ses paramètres et ses données d’entraînement. Twitter n’a pas non plus explicitement partagé ses algorithmes de confiance et de sécurité pour détecter des éléments tels que les abus, la toxicité ou les contenus pour adultes, afin d’empêcher les gens de trouver des solutions de contournement, bien qu’il ait publié certaines des catégories de contenu qu’il signale.

 

graphe des relations entre comptes twitter, tr-s nombreux traits bleus entre minuscules avatars de comptes, le tout donne une impression d'inextricable comlexité
« 20120212-NodeXL-Twitter-socbiz network graph » par Marc_Smith; licence CC BY 2.0.

 

Pour Gabriel Nicholas, la transparence de Twitter serait plus utile si Twitter avait maintenu ouverts ses outils aux chercheurs. Ce n’est pas le cas.

Il y a plein d’autres points que l’ouverture de l’algorithme de Twitter a documentés. Par exemple, l’existence d’un Tweepcred, un score qui classe les utilisateurs et qui permet de voir ses publications boostées si votre score est bon, comme l’expliquait Numerama. Ou encore le fait que chaque compte est clustérisé dans un groupe aux profils similaires dans lequel les tweets sont d’abord diffusés avant d’être envoyés plus largement s’ils rencontrent un premier succès… De même, il semblerait qu’il y ait certaines catégories d’utilisateurs spéciaux (dont une catégorie relative à Elon Musk) mais qui servent peut-être plus certaines statistiques qu’à doper la portée de certains comptes comme on l’a entendu (même s’il semble bien y avoir une catégorie VIP sur Twitter – comme il y a sur Facebook un statut d’exception à la modération)…

Ouvrir, mais ouvrir quoi ?

En conclusion de son article, Narayanan pointe vers un très intéressant article qui dresse une liste d’options de transparence pour ceux qui produisent des systèmes de recommandation, publiée par les chercheurs Priyanjana Bengani, Jonathan Stray et Luke Thorburn. Ils rappellent que les plateformes ont mis en place des mesures de transparence, allant de publications statistiques à des interfaces de programmation, en passant par des outils et des ensembles de données protégés. Mais ces mesures, très techniques, restent insuffisantes pour comprendre les algorithmes de recommandation et leur influence sur la société. Une grande partie de cette résistance à la transparence ne tient pas tant aux risques commerciaux qui pourraient être révélés qu’à éviter l’embarras d’avoir à se justifier de choix qui ne le sont pas toujours. D’une manière très pragmatique, les trois chercheurs proposent un menu d’actions pour améliorer la transparence et l’explicabilité des systèmes.

Documenter
L’un des premiers outils, et le plus simple, reste la documentation qui consiste à expliquer en termes clairs – selon différentes échelles et niveaux, me semble-t-il – ce qui est activé par une fonction. Pour les utilisateurs, c’est le cas du bouton « Pourquoi je vois ce message » de Facebook ou du panneau « Fréquemment achetés ensemble » d’Amazon. L’idée ici est de fourbir un « compte rendu honnête ». Pour les plus évoluées de ces interfaces, elles devraient permettre non seulement d’informer et d’expliquer pourquoi on nous recommande ce contenu, mais également, permettre de rectifier et mieux contrôler son expérience en ligne, c’est-à-dire d’avoir des leviers d’actions sur la recommandation.

Une autre forme de documentation est celle sur le fonctionnement général du système et ses décisions de classement, à l’image des rapports de transparence sur les questions de sécurité et d’intégrité que doivent produire la plupart des plateformes (voir celui de Google, par exemple). Cette documentation devrait intégrer des informations sur la conception des algorithmes, ce que les plateformes priorisent, minimisent et retirent, si elles donnent des priorités et à qui, tenir le journal des modifications, des nouvelles fonctionnalités, des changements de politiques. La documentation doit apporter une information solide et loyale, mais elle reste souvent insuffisante.

Les données
Pour comprendre ce qu’il se passe sur une plateforme, il est nécessaire d’obtenir des données. Twitter ou Facebook en ont publié (accessibles sous condition de recherche, ici pour Twitter,  pour Facebook). Une autre approche consiste à ouvrir des interfaces de programmation, à l’image de CrowdTangle de Facebook ou de l’API de Twitter. Depuis le scandale Cambridge Analytica, l’accès aux données est souvent devenu plus difficile, la protection de la vie privée servant parfois d’excuse aux plateformes pour éviter d’avoir à divulguer leurs pratiques. L’accès aux données, même pour la recherche, s’est beaucoup refermé ces dernières années. Les plateformes publient moins de données et CrowdTangle propose des accès toujours plus sélectifs. Chercheurs et journalistes ont été contraints de développer leurs propres outils, comme des extensions de navigateurs permettant aux utilisateurs de faire don de leurs données (à l’image du Citizen Browser de The Markup) ou des simulations automatisées (à l’image de l’analyse robotique de TikTok produite par le Wall Street Journal), que les plateformes ont plutôt eu tendance à bloquer en déniant les résultats obtenus sous prétexte d’incomplétude – ce qui est justement le problème que l’ouverture de données cherche à adresser.

Le code
L’ouverture du code des systèmes de recommandation pourrait être utile, mais elle ne suffit pas, d’abord parce que dans les systèmes de recommandation, il n’y a pas un algorithme unique. Nous sommes face à des ensembles complexes et enchevêtrés où « différents modèles d’apprentissage automatique formés sur différents ensembles de données remplissent diverses fonctions ». Même le classement ou le modèle de valeur pour déterminer le score n’explique pas tout. Ainsi, « le poids élevé sur un contenu d’un type particulier ne signifie pas nécessairement qu’un utilisateur le verra beaucoup, car l’exposition dépend de nombreux autres facteurs, notamment la quantité de ce type de contenu produite par d’autres utilisateurs. »

Peu de plateformes offrent une grande transparence au niveau du code source. Reddit a publié en 2008 son code source, mais a cessé de le mettre à jour. En l’absence de mesures de transparence, comprendre les systèmes nécessite d’écluser le travail des journalistes, des militants et des chercheurs pour tenter d’en obtenir un aperçu toujours incomplet.

La recherche
Les plateformes mènent en permanence une multitude de projets de recherche internes voire externes et testent différentes approches pour leurs systèmes de recommandation. Certains des résultats finissent par être accessibles dans des revues ou des articles soumis à des conférences ou via des fuites d’informations. Quelques efforts de partenariats entre la recherche et les plateformes ont été faits, qui restent embryonnaires et ne visent pas la transparence, mais qui offrent la possibilité à des chercheurs de mener des expériences et donc permettent de répondre à des questions de nature causale, qui ne peuvent pas être résolues uniquement par l’accès aux données.

Enfin, les audits peuvent être considérés comme un type particulier de recherche. À l’heure actuelle, il n’existe pas de bons exemples d’audits de systèmes de recommandation menés à bien. Reste que le Digital Service Act (DSA) européen autorise les audits externes, qu’ils soient lancés par l’entreprise ou dans le cadre d’une surveillance réglementaire, avec des accès élargis par rapport à ceux autorisés pour l’instant. Le DSA exige des évaluations sur le public mineur, sur la sécurité, la santé, les processus électoraux… mais ne précise ni comment ces audits doivent être réalisés ni selon quelles normes. Des méthodes spécifiques ont été avancées pour contrôler la discrimination, la polarisation et l’amplification dans les systèmes de recommandation.

En principe, on pourrait évaluer n’importe quel préjudice par des audits. Ceux-ci visent à vérifier si « la conception et le fonctionnement d’un système de recommandation respectent les meilleures pratiques et si l’entreprise fait ce qu’elle dit qu’elle fait. S’ils sont bien réalisés, les audits pourraient offrir la plupart des avantages d’un code source ouvert et d’un accès aux données des utilisateurs, sans qu’il soit nécessaire de les rendre publics. » Reste qu’il est peu probable que les audits imposés par la surveillance réglementaire couvrent tous les domaines qui préoccupent ceux qui sont confrontés aux effets des outils de recommandations.

Autres moteurs de transparence : la gouvernance et les calculs

Les chercheurs concluent en soulignant qu’il existe donc une gamme d’outils à disposition, mais qu’elle manque de règles et de bonnes pratiques partagées. Face aux obligations de transparence et de contrôles qui arrivent (pour les plus gros acteurs d’abord, mais parions que demain, elles concerneront bien d’autres acteurs), les entreprises peinent à se mettre en ordre de marche pour proposer des outillages et des productions dans ces différents secteurs qui leur permettent à la fois de se mettre en conformité et de faire progresser leurs outils. Ainsi, par exemple, dans le domaine des données, documenter les jeux et les champs de données, à défaut de publier les jeux de données, pourrait déjà permettre un net progrès. Dans le domaine de la documentation, les cartes et les registres permettent également d’expliquer ce que les calculs opèrent (en documentant par exemple leurs marges d’erreurs).

Reste que l’approche très technique que mobilisent les chercheurs oublie quelques leviers supplémentaires. Je pense notamment aux conseils de surveillance, aux conseils éthiques, aux conseils scientifiques, en passant par les organismes de contrôle indépendants, aux comités participatifs ou consultatifs d’utilisateurs… à tous les outils institutionnels, participatifs ou militants qui permettent de remettre les parties prenantes dans le contrôle des décisions que les systèmes prennent. Dans la lutte contre l’opacité des décisions, tous les leviers de gouvernance sont bons à prendre. Et ceux-ci sont de très bons moyens pour faire pression sur la transparence, comme l’expliquait très pertinemment David Robinson dans son livre Voices in the Code.

Un autre levier me semble absent de nombre de propositions… Alors qu’on ne parle que de rendre les calculs transparents, ceux-ci sont toujours absents des discussions. Or, les règles de traitements sont souvent particulièrement efficaces pour améliorer les choses. Il me semble qu’on peut esquisser au moins deux moyens pour rendre les calculs plus transparents et responsables : la minimisation et les interdictions.

La minimisation vise à rappeler qu’un bon calcul ne démultiplie pas nécessairement les critères pris en compte. Quand on regarde les calculs, bien souvent, on est stupéfait d’y trouver des critères qui ne devraient pas être pris en compte, qui n’ont pas de fondements autres que d’être rendus possibles par le calcul. Du risque de récidive au score de risque de fraude à la CAF, en passant par l’attribution de greffes ou aux systèmes de calculs des droits sociaux, on trouve toujours des éléments qui apprécient le calcul alors qu’ils n’ont aucune justification ou pertinence autres que d’être rendu possibles par le calcul ou les données. C’est le cas par exemple du questionnaire qui alimente le calcul de risque de récidive aux Etats-Unis, qui repose sur beaucoup de questions problématiques. Ou de celui du risque de fraude à la CAF, dont les anciennes versions au moins (on ne sait pas pour la plus récente) prenaient en compte par exemple le nombre de fois où les bénéficiaires se connectaient à leur espace en ligne (sur cette question, suivez les travaux de la Quadrature et de Changer de Cap). La minimisation, c’est aussi, comme l’explique l’ex-chercheur de chez Google, El Mahdi El Mhamdi, dans une excellente interview, limiter le nombre de paramètres pris en compte par les calculs et limiter l’hétérogénéité des données.

L’interdiction, elle, vise à déterminer que certains croisements ne devraient pas être autorisés, par exemple, la prise en compte des primes dans les logiciels qui calculent les données d’agenda du personnel, comme semble le faire le logiciel Orion mis en place par la Sncf, ou Isabel, le logiciel RH que Bol.com utilise pour gérer la main-d’œuvre étrangère dans ses entrepôts de logistique néerlandais. Ou encore, comme le soulignait Narayanan, le temps passé sur les contenus sur un réseau social par exemple, ou l’analyse de l’émotion dans les systèmes de recrutement (et ailleurs, tant cette technologie pose problème). A l’heure où tous les calculs sont possibles, il va être pertinent de rappeler que selon les secteurs, certains croisements doivent rester interdits parce qu’ils sont trop à risque pour être mobilisés dans le calcul ou que certains calculs ne peuvent être autorisés.

Priyanjana Bengani, Jonathan Stray et Luke Thorburn, pour en revenir à eux, notent enfin que l’exigence de transparence reste formulée en termes très généraux par les autorités réglementaires. Dans des systèmes vastes et complexes, il est difficile de savoir ce que doit signifier réellement la transparence. Pour ma part, je milite pour une transparence “projective”, active, qui permette de se projeter dans les explications, c’est-à-dire de saisir ses effets et dépasser le simple caractère narratif d’une explication loyale, mais bien de pouvoir agir et reprendre la main sur les calculs.

Coincés dans les boucles de l’amplification

Plus récemment, les trois mêmes chercheurs, passé leur article séminal, ont continué à documenter leur réflexion. Ainsi, dans « Rendre l’amplification mesurable », ils expliquent que l’amplification est souvent bien mal définie (notamment juridiquement, ils ont consacré un article entier à la question)… mais proposent d’améliorer les propriétés permettant de la définir. Ils rappellent d’abord que l’amplification est relative, elle consiste à introduire un changement par rapport à un calcul alternatif ou précédent qui va avoir un effet sans que le comportement de l’utilisateur n’ait été, lui, modifié.

L’amplification agit d’abord sur un contenu et nécessite de répondre à la question de savoir ce qui a été amplifié. Mais même dire que les fake news sont amplifiées n’est pas si simple, à défaut d’avoir une définition précise et commune des fake news qui nécessite de comprendre les classifications opérées. Ensuite, l’amplification se mesure par rapport à un point de référence précédent qui est rarement précisé. Enfin, quand l’amplification atteint son but, elle produit un résultat qui se voit dans les résultats liés à l’engagement (le nombre de fois où le contenu a été apprécié ou partagé) mais surtout ceux liés aux impressions (le nombre de fois où le contenu a été vu). Enfin, il faut saisir ce qui relève de l’algorithme et du comportement de l’utilisateur. Si les messages d’un parti politique reçoivent un nombre relativement important d’impressions, est-ce parce que l’algorithme est biaisé en faveur du parti politique en question ou parce que les gens ont tendance à s’engager davantage avec le contenu de ce parti ? Le problème, bien sûr, est de distinguer l’un de l’autre d’une manière claire, alors qu’une modification de l’algorithme entraîne également une modification du comportement de l’utilisateur. En fait, cela ne signifie pas que c’est impossible, mais que c’est difficile, expliquent les chercheurs. Cela nécessite un système d’évaluation de l’efficacité de l’algorithme et beaucoup de tests A/B pour comparer les effets des évolutions du calcul. Enfin, estiment-ils, il faut regarder les effets à long terme, car les changements dans le calcul prennent du temps à se diffuser et impliquent en retour des réactions des utilisateurs à ces changements, qui s’adaptent et réagissent aux transformations.

Dans un autre article, ils reviennent sur la difficulté à caractériser l’effet bulle de filtre des médias sociaux, notamment du fait de conceptions élastiques du phénomène. S’il y a bien des boucles de rétroaction, leur ampleur est très discutée et dépend beaucoup du contexte. Ils en appellent là encore à des mesures plus précises des phénomènes. Certes, ce que l’on fait sur les réseaux sociaux influe sur ce qui est montré, mais il est plus difficile de démontrer que ce qui est montré affecte ce que l’on pense. Il est probable que les effets médiatiques des recommandations soient faibles pour la plupart des gens et la plupart du temps, mais beaucoup plus importants pour quelques individus ou sous-groupes relativement à certaines questions ou enjeux. De plus, il est probable que changer nos façons de penser ne résulte pas d’une exposition ponctuelle, mais d’une exposition à des récits et des thèmes récurrents, cumulatifs et à long terme. Enfin, si les gens ont tendance à s’intéresser davantage à l’information si elle est cohérente avec leur pensée existante, il reste à savoir si ce que l’on pense affecte ce à quoi l’on s’engage. Mais cela est plus difficile à mesurer car cela suppose de savoir ce que les gens pensent et pas seulement constater leurs comportements en ligne. En général, les études montrent plutôt que l’exposition sélective a peu d’effets. Il est probable cependant que là encore, l’exposition sélective soit faible en moyenne, mais plus forte pour certains sous-groupes de personnes en fonction des contextes, des types d’informations.

Bref, là encore, les effets des réseaux sociaux sont difficiles à percer.

Pour comprendre les effets de l’amplification algorithmique, peut-être faut-il aller plus avant dans la compréhension que nous avons des évolutions de celle-ci, afin de mieux saisir ce que nous voulons vraiment savoir. C’est ce que nous tenterons de faire dans la suite de cet article…




Frama, c’est aussi des outils pour s’émanciper

Des guides, des cartes à jouer, de la documentation et même un MOOC… La médiation au numérique éthique peut passer par de nombreux outils ! Nous réalisons certains d’entre eux et y contribuons, en espérant qu’ils vous servent.

« Frama, c’est pas que… »

Pour l’automne 2021, chaque semaine, nous voulons vous faire découvrir un nouveau pan des actions menées par Framasoft. Ces actions étant financées par vos dons (défiscalisables à 66 %), vous pouvez en trouver un résumé complet, sous forme de cartes à découvrir et à cliquer, sur le site Soutenir Framasoft.

➡️ Lire cette série d’articles (oct. – déc. 2021)

Nous avons eu la chance, à Framasoft, de pouvoir prendre le temps d’apprendre les mécanismes du Web, de documenter le système du capitalisme de surveillance dont les GAFAM sont un des symptômes, et d’expérimenter d’autres manières d’utiliser le numérique dans nos vies.

Partager cette compréhension, ce savoir et cette expérience est important car cela peut aider d’autres personnes à s’émanciper dans leurs usages numériques. Pourtant, transmettre tout cela est une chose complexe. Tout le monde n’a pas les mêmes attentes, les mêmes appétits, les mêmes façons de recevoir ce que nous avons à partager. Voilà pourquoi nous contribuons à et réalisons divers outils de médiation, qui correspondent à divers publics.

jeu de cartes Framasoft "des outils pour s'émanciper"

MOOC CHATONS

C’est quand même bien dommage de sortir un MOOC un mois avant le premier confinement d’une pandémie qui allait nous submerger ! Pourtant ce cours en ligne massivement ouvert se parcourt en autonomie, sans accompagnement de notre part. Il a déjà séduit 1 050 apprenant⋅es.

Carte "MOOC CHATONS" Ce cours en ligne et en autonomie est ouvert à qui veut cheminer vers une émancipation numérique mutualisée. Le 1er module « Internet, pourquoi et comment reprendre le contrôle » compile notre savoir sur l’internet, l’hégémonie toxique des GAFAM et des pistes pour en sortir.

Il faut dire que le premier parcours de ce MOOC, « Internet : pourquoi et comment reprendre le contrôle ? », est un condensé de ce que nous avons appris ces dernières années. Riche de nombreuses vidéos, ressources et références, il peut s’adresser à toute personne, sans connaissance technique particulière.

Ce MOOC permet vraiment de comprendre le fonctionnement d’Internet et du Web, d’appréhender la montée en puissance des GAFAM, géants du web, jusqu’à l’avènement du capitalisme de surveillance, pour mieux cerner enfin en quoi le libre, la décentralisation et les communs sont des pistes fiables pour reprendre le contrôle du numérique dans nos vies.

illustration CC-By David Revoy (sources)

[RÉSOLU]

Comment accompagner les organisations de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) qui souhaitent être fidèles à leurs valeurs dans leurs pratiques numériques ? Notre réponse passe forcément par le Libre, la décentralisation et donc l’adoption sereine et réfléchie d’outils pensés avec une forte éthique.

Carte "[RÉSOLU]" [RÉSOLU] est un guide composé de fiches pratiques pour aider les structures de l’économie sociale et solidaire à adopter des solutions numériques libres et éthiques. Co-construit avec le mouvement des CÉMÉA, ce guide peut être modifié, amélioré et distribué librement.

Co-conçu avec le Chaton Picasoft et la Mission Libre-Éducation Nouvelle des CEMÉA, [RÉSOLU] présente des [R]éseaux [É]thiques et [S]olutions [O]uvertes pour [L]ibérer vos [U]sages dans un guide à l’intention des acteurs et actrices de l’ESS. Il se compose d’un ensemble de fiches théoriques et pratiques, classées selon trois types d’actions collectives : collaborer, communiquer et organiser.

L’avantage de ce guide (déjà traduit en italien !), c’est que ses contenus eux aussi sont libres. Imaginez, il a servi à votre association, votre coopérative, mais il vous manquait une information, un outil essentiel que vous avez trouvé par ailleurs : vous pouvez ajouter cette trouvaille à ce guide et la partager avec les prochaines personnes qui le consulteront. Que vous utilisez le site web, le document pdf ou la version papier, vous aussi, soyez [RÉSOLU] !

illustration CC-By David Revoy (sources)

Métacartes « Numérique Éthique »

Nous vous en parlions il y a plus d’un an dans les Carnets de Contributopia… et après plus d’un an de travail (avec des parenthèses dues à une certaine pandémie, bien entendu), ça y est, les Métacartes Numérique Éthique sont enfin disponibles.

Carte "Métacartes" Les métacartes sont des jeux de cartes (physiques) où chaque carte est augmentée par des ressources (numériques). Framasoft a contribué à la production du jeu « Numérique Éthique » qui facilite la médiation vers des pratiques numériques plus saines et sereines.

Le concept des Métacartes, c’est d’augmenter la réalité d’un jeu de cartes papier (avec titre, illustration, symboles, texte court). Car chaque carte dispose aussi d’un QR code et d’un lien qui mène vers une page web où on détaille ce qu’illustre la carte. Voilà un outil concret, agréable, convivial pour partager savoirs, questionnements, expériences !

Mélanie et Lilian ont réalisé un jeu nommé « Numérique Éthique », qui aidera grandement les médiateurs, formatrices et bénévoles du monde du Libre. Ce jeu est composé de trois familles de cartes :

  • Les #critères permettent de questionner les attentes en éthique et le niveau de confiance que l’on a dans un outil numérique.
  • Les #usages permettent de découvrir les possibles que le numérique nous offre en termes de collaboration, d’échanges et d’émancipation.
  • Et les cartes MÉTHODES vous permettront de faire le point sur vos usages, découvrir des alternatives et passer à l’action.

Vous pouvez désormais vous procurer ce jeu directement sur le site des Métacartes.

illustration CC-By David Revoy (sources)

Documentations

C’est un trait d’humour amer assez révélateur, prononcé par les personnes qui, chez nous, conçoivent et rédigent la documentation :

#LesGens ne lisent pas la doc.

Carte "Documentation" De la documentation générale des services que nous hébergeons aux documentations spécifiques des logiciels que nous développons (PeerTube, Mobilizon, Yakforms)… Chaque année, Framasoft rédige, maintient et met à jour de nombreuses lignes… de texte !

Pourtant, si vous saviez les ressources que l’on met à votre disposition ! Chez Framasoft, nous maintenons :

  • Une Foire aux Questions sur tout ce que nous proposons et nous sommes, conçue à partir des questions que vous nous posez le plus souvent ;
  • La documentation générale de nos services, avec des guides pratiques, des exemples simples à comprendre, et des captures d’écrans à foison pour vous aider à mieux utiliser les Frama-services ;
  • La documentation de PeerTube, très riche en ce qui concerne l’administration d’une instance, mais dans laquelle on veut encore améliorer la partie utilisation ;
  • La documentation de Mobilizon, pour mieux comprendre comment installer, administrer ou utiliser cette alternative aux événements, pages et groupes Facebook ;
  • La documentation de Yakforms, le logiciel qui propulse le service de formulaires libres Framaforms, parce que nous espérons que la communauté va s’emparer du code et que des organisations vont l’installer sur leurs serveurs.

Loin de nous l’idée de rejeter les demandes d’aide et de support d’un méprisant « RTFM » (« Read The Fucking Manual », une expression bien peu glorieuse, quand on sait qu’elle se traduit par « lis le foutu mode d’emploi ! »). Cependant, nous avons l’impression de travailler à rédiger et tenir à jour un véritable trésor de connaissances, d’astuces… À vous de voir comment ce trésor peut vous enrichir.

illustration CC-By David Revoy (sources)

Découvrez tout ce qu’est Frama !

Voilà qui conclut le focus de cette semaine. Vous pourrez retrouver tous les articles de cette série en cliquant sur ce lien.

Sur la page Soutenir Framasoft, vous pourrez découvrir un magnifique jeu de cartes représentant tout ce que Framasoft a fait ces derniers mois. Vous pourrez ainsi donner des couleurs à l’ensemble des activités que vous financez lorsque vous nous faites un don. Nous espérons que ces beaux visuels (merci à David Revoy !) vous donneront envie de partager la page Soutenir Framasoft tout autour de vous !

En effet, le budget de Framasoft est financé quasi-intégralement par vos dons (pour rappel, un don à Framasoft de 100 € ne vous coûtera que 34 € après défiscalisation). Comme chaque année, si ce que nous faisons vous plaît et si vous le pouvez, merci de soutenir Framasoft.

Frama, c'est pas que Framagenda ! C'est aussi des outils de médiation qui facilitent l'adoption de pratiques numériques saines et sereines. Nos actions sont financées par vos dons, alors découvrez l'ensemble du travail de Framasoft sur Soutenir Framasoft
Cliquez pour découvrir toutes les cartes et soutenir Framasoft

Pour aller plus loin




Docs.Framasoft.org : un site pour apprendre à utiliser tous nos services !

Mine de rien, entre les services Dégooglisons Internet et les projets Framasoft, nous maintenons près d’une cinquantaine de sites/projets ouverts au public.

C’est bien joli, mais si on n’accompagne pas ces sites des savoir-faire et outils pour mieux vous aider à vous en emparer… c’est triste, non ?

Un peu de cathédrale dans notre joli bazar…

Depuis près de trois ans que nous Dégooglisons Internet, nous n’aurions rien pu faire sans votre aide. Nous savons que proposer des outils c’est bien, et que cela ne suffit pas. Il faut aussi les présenter, donner des tutoriels, des outils pour les comprendre et les prendre en main.

Bien entendu, ces logiciels sont déjà souvent soutenus par leurs propres communautés, qui proposent leur propre documentation dont chacun·e peut bénéficier. Il nous fallait, néanmoins, un endroit où rassembler tout cela.

Et depuis trois ans, nombre d’entre nous (contributeurs et contributrices, bénévoles et salarié·e·s…) ont apporté leur petite pierre à l’édifice. Il fallait nous voir, à chaque nouvelle contribution, nous émerveiller :

« Chouette ! Arpinux a fait une vidéo de prise en main de Framapic, pour mieux héberger ses images ! »

« Ah ! je me suis bien marré devant la présentation de Framapack que Pyves vient de nous proposer. J’espère que de plus en plus de windowsiens l’utiliseront pour télécharger des logiciels libres… »

« Attend, en plus de coder des fonctionnalités à Nexcloud pour ouvrir Framagenda, Tcit il s’est fadé d’écrire une jolie documentation pour synchroniser ses rendez-vous et ses contacts… GG ! »

« Sérieusement, le groupe Framalang s’est encore surpassé en traduisant la doc de Mattermost… Ça va bien aider à ce que les gens s’emparent de Framateam pour abandonner leurs groupes Facebook. »

« Oh, tu as vu la vidéo de SVTux pour découvrir Framapad ? En deux minutes, on voit que le libre peut faire aussi bien que GoogleDocs. »

« Pouhiou a encore trippé sur sa présentation de Framanotes. J’espère que Turtl aura autant de succès qu’Evernotes… »

« Franchement, les tutos de Cartocité pour utiliser Umap et Framacartes sont excellents… Si ça pouvait libérer les gens de Google Maps… »

(L’est-y pas belle, la vidéo Framalistes de Nicolas Geiger pour le site Colecti.cc ?)

 

Au départ, nous avons essayé de mettre les liens vers ces outils de documentation dans chaque page d’accueil de chacun de nos projets, afin que vous ayez tout sous la main dès que vous commencez à vous y intéresser… Mais souvent, une fois que vous êtes dans le service, vous n’allez plus voir la page d’accueil. On le sait, parce que nous, on fait pareil.

Alors nous avons lancé le défi à JosephK de mettre un peu de cathédrale dans ce merveilleux bazar, et de rassembler nos documentations en un seul et même endroit. N’écoutant que les clapotis de son clavier, ce dernier a décidé de collecter, d’organiser et de présenter tout cela sous la forme d’un gitbook, afin d’avoir un outil que l’on puisse modifier, amender et mettre à jour de façon collaborative (et pas trop ardue).

Demandez la doc !

Le principe est simple : vous cherchez comment utiliser un de nos services ? Pourquoi choisir tel Frama-bidule ? À quoi sert tel Framachin ? rendez-vous sur docs.framasoft.org.

Vous y serez accueillies par un choix de langue (parce qu’un jour, peut-être, on pourrait avoir des versions en anglais, breton ou espéranto).

C’est sommaire, mais éloquent.

Puis sur la page d’accueil, vous verrez une barre latérale qui vous permet de vous guider dans l’ensemble de notre documentation (elle s’adapte selon la rubrique dans laquelle vous vous trouvez). C’est dans la colonne principale, à droite, que se trouvent l’accès aux informations. Tout en haut, vous y trouverez des guides pratiques.

Les deux premiers guides disponibles à ce jour.

Ce sont des guides à destination du grand public, regorgeant d’informations aussi pratiques qu’indispensables. Pour l’instant, nous y avons inclus :

(si vous voulez nous proposer le vôtre, rendez-vous dans la prochaine partie de cet article)

Ensuite, toujours sur cette page, vous y trouverez une liste des services Framasoft.

Tous les services n’y sont pas (encore) présents… alors proposez vos contributions !

Ce sont l’ensemble des services Dégooglisons Internet sur lesquels nous avons une documentation en Français et (plus ou moins ^^) à jour à proposer.

Il vous suffit de cliquer sur le service qui vous intéresse pour découvrir les outils que nous avons pu récolter à son sujet.

Bien entendu, si vous ne trouvez pas votre service préféré et/ou que vous souhaitez proposer un élément de documentation, nous sommes preneurs (voir plus bas).

Enfin, toujours sur cette page, vous y verrez une rubrique « Culture et Logiciels Libres »

Les premiers Frama-Projets à bénéficier de leur documentation !

Ici, vous aurez des savoirs et savoir-faire sur les projets Framasoft qui ne sont pas des services Dégooglisons, qui tendent à promouvoir le logiciel libre et sa culture.

Libre à vous de cliquer et de consulter ce que bon vous semble, et de faire passer les liens à vos ami·e·s, collaborateurs et collaboratrices !

Une documentation qui n’attend que vous

Bien entendu, l’ensemble de ces documents sont libres. Par défaut, la licence utilisée pour les productions Framasoft est la CC-BY-SA, mais prenez soin de vérifier pour chaque outil de documentation, car leurs auteurs et autrices peuvent tout à fait les avoir placé sous une autre licence libre ^^ !

C’est néanmoins une des grandes forces du Libre : n’importe qui peut y participer.

Vous cherchez à soutenir le (logiciel) libre sans forcément savoir coder ? Présentez votre service ou projet favori avec une petite vidéo, une présentation animée, un texte avec captures d’images… Nous vous l’assurons, cela aidera énormément de monde à passer le pas et à adopter du libre dans ses habitudes numériques.

Pour participer, deux cas de figure :

  • Vous connaissez le git, les push et pull request ne vous font pas peur ? : rendez-vous sur la forge de notre gitbook pour proposer vos commits afin que l’on merge tout cela ensemble.
  • Vous n’avez rien compris à la phrase ci dessus ? (ne vous inquiétez pas, celui qui l’a écrite est comme vous !) Rendez-vous sur notre forum des bénévoles, partie tutoriels, pour proposer vos tutos, vidéos, et autres trucs en -os !

Enfin, une manière toute simple de participer, c’est simplement d’aller lire ces petits bouts de savoirs qui aident à mieux se dégoogliser… et de les partager avec son entourage !




Livre à prix libre : Vim pour les humains, de Vincent Jousse

Connaissez-vous et surtout utilisez-vous l’éditeur de texte libre Vim ?

Non ? C’est parce que vous n’avez pas encore lu l’interview ci-dessous et surtout n’avez pas encore parcouru le livre d’initiation « Vim pour les humains » mis librement à notre disposition par Vincent Jousse 😉

Un livre électronique vendu à prix libre dont l’auteur a décidé d’en redistribuer 20% à Framasoft, merci à lui.

Vincent Jousse - Vim pour les humains - Couverture

Bonjour Vincent, peux-tu te présenter succinctement à nos lecteurs ?

Vincent Jousse, 33 ans, libre et heureux ! J’écris régulièrement sur http://viserlalune.com au sujet de la vie en général et de tout ce qui peut la rendre encore plus sympathique. Je suis développeur informatique de formation et actuellement enseignant-chercheur à mi-temps à l’Université du Maine où je travaille sur la reconnaissance de la parole. Je suis aussi gérant d’une entreprise dans le domaine : http://voxolab.com.

Je suis contributeur open source depuis pas mal d’années, d’abord en PHP (Symfony) et puis maintenant en Python. Je publie de temps en temps des articles un peu plus techniques sur http://vincent.jousse.org/.

Tous mes écrits sont placés sous licence CC, mon code source étant généralement publié sous licence MIT.

Alors le projet « Vim pour les humains » c’est quoi exactement ?

C’est tout d’abord l’envie d’essayer « autre chose ». À l’époque (déjà 2 ans !), j’avais envie de faire autre chose que passer mes journées à programmer. Comme j’aimais bien écrire, j’ai cherché un sujet sur lequel je pourrais apporter de la valeur. Je n’étais pas une star de Vim (et ne le suis toujours pas), mais je me rappelais de la difficulté que j’avais eue à franchir le premier pas, tout ça à cause d’une documentation réservée aux initiés.

Je trouvais ça dommage que, après des décennies d’existence, apprendre Vim (et surtout comprendre son intérêt) soit toujours aussi compliqué. L’objectif du projet est donc d’aider les utilisateurs à aller plus loin que la sempiternelle question : « mais comment on fait pour quitter cette m*** ?! ».

On peut lire ceci en ouverture du site : « Apprendre Vim est le meilleur investissement que j’aie jamais fait. Que ce soit en tant qu’écrivain, professeur ou programmeur : on l’apprend une fois, il nous suit partout, et pour toujours. » Ah oui, quand même !

Ça fait rêver non ? 😉 Le pire, c’est que c’est vrai. Tout ce que je produis l’est toujours à partir d’un fichier au format texte : ma thèse en LaTeX, mes présentations en Markdown (via http://bartaz.github.io/impress.js/#/bored ), mes articles de blog en Markdown, mon code source en Python, le livre « Vim pour les humains » en reStructuredText via Sphinx, j’en passe et des meilleurs.

Vim est le seul outil que j’utilise à longueur de journée, partout, tout le temps. Même les réponses de cette interview ont été écrites dans Vim.

Ton livre, c’est pour que Vim ne soit pas uniquement l’apanage des geeks barbus ?

C’est exactement ça. C’est peut-être mon côté utopiste, mais j’aime à croire que beaucoup de choses dans le monde du libre seraient plus accessibles si on prenait le temps de les expliquer et si on adoptait un état d’esprit plus pragmatique. Par exemple, tout le monde ne peut pas perdre un mois de productivité en se mettant à Vim. J’ai donc pris le parti de commencer mon livre en expliquant comment rendre Vim utilisable comme un éditeur classique.

Ça a fait grincer quelques dents du style : « c’est pas la bonne manière d’apprendre Vim », « faire croire que Vim est facile est une mauvaise idée », … Foutaises. Mon avis est que si les personnes l’utilisent encore une semaine après avoir commencé à l’apprendre, c’est gagné. Et pour ça, il faut leur faciliter la transition avec leur ancien éditeur.

Question troll : Alors, c’est sûr vi est meilleur qu’Emacs ?

Ahah, c’est même plus du troll à ce niveau là. Disons qu’avant « Vim pour les humains » ils étaient à égalité, maintenant Vim a clairement pris le dessus 😉

Vi, Emacs, TeX… comment expliques-tu que ces éditeurs, conçus dans les années 1970, soient toujours utilisés aujourd’hui ?

C’est malheureux à dire mais, en ce qui concerne Vim et Emacs, on n’a pas encore fait mieux. Ce sont des environnements qui ont été pensés avant l’arrivée de la souris et des interfaces graphiques. La majorité des efforts a donc porté sur la maximisation de l’efficacité au clavier, et il faut dire que Vim et Emacs sont redoutables dans ce domaine (c’est d’ailleurs ce qui les rend compliqués à apprendre à l’ère actuelle des clickodromes et autres interfaces graphiques).

Quand on édite du texte à longueur de journée (que ça soit du code ou autre chose), on cherche à être le plus rapide possible. Quitter les mains du clavier pour bouger la souris et retourner au clavier est aussi inefficace que mauvais pour vos mains (http://fr.wikipedia.org/wiki/Troubles_musculosquelettiques). À part Vim ou Emacs, aucune alternative sérieuse n’existe à ma connaissance pour l’instant.

En ce qui concerne Tex, c’est un peu pareil. Si l’on veut éditer un document en se focalisant sur le contenu et non la présentation, les langages de balises comme (La)Tex, Markdown, rst sont super adaptés. Si en plus on veut écrire un document avec une belle biblio générée automatiquement et des formules mathématiques avec un rendu impeccable c’est simple : LaTeX est la seule solution.

Ok, c’est pas libre, mais que penses-tu du succès actuel d’un éditeur comme Sublime Text ? Fait-il de l’ombre et du tort à Vim ?

En fait, peu importe qu’il fasse du tort ou de l’ombre à Vim, s’il répond à un besoin et que les personnes en sont contentes, parfait !

Je serai très content que Vim puisse être remplacé par quelque chose qui tire entièrement parti des spécificités des environnements graphiques et je pense qu’en effet, Sublime Text est un bon pas dans cette direction.

Mais même si Sublime Text venait à être utilisé partout et par tout le monde, il resterait toujours un problème à résoudre : comment faire lorsque l’on n’a pas d’interface graphique ? « Je connais un truc sympa si tu veux, ça prend rien en ressources, tu peux l’utiliser en ligne de commande, Vim que ça s’appelle » 😉

Pourquoi avoir opté pour la très libre licence CC-By ?

Parce que je fais une réaction épidermique à la connerie ambiante qui consiste à se « défendre des autres » coûte que coûte. Quelqu’un a une meilleure idée que moi pour valoriser ce travail ? Mais qu’il fasse donc, au contraire !

Je me suis basé sur Vim et sur toutes les contributions de la communauté open source pour écrire ce livre. Ce livre ne m’appartient pas, il appartient au bien commun, comme toutes les sources d’inspirations qui m’ont permis de l’écrire.

Le choix du « prix libre », c’est symbolique ou tu crois au devenir de ce modèle économique ? (et que penses-tu des « passagers clandestins » qui vont payer 0 euro pour télécharger le livre ?)

Non ce n’est pas symbolique, j’ai envie d’y croire. Le livre était tout d’abord téléchargeable au prix fixe de 9,99€. En 1 an et demi, j’en ai vendu 90 environ, pas si mal. Mais en faisant ça, j’allais contre mes valeurs, je limitais l’accès à la connaissance à cause de ce prix fixe.

J’ai donc décidé de le mettre sous un « prix libre », au risque en effet de ne plus rien gagner. Je suis prêt à prendre ce risque car, utopiste ou non, je pense que tout est dans l’art de demander. Faire la différence entre « gratuit » et « payant mais sous un prix libre » est important pour moi.

Les personnes qui payent 0 euro pour télécharger le livre et ne donnent rien en échange (même pas un petit mail) le feront en leur âme et conscience. J’ai ma conscience pour moi 🙂

Pourquoi uniquement une version électronique du livre ? C’est pour ne pas tuer d’arbres ?

Du tout, c’est juste par méconnaissance du monde du livre papier, tout simplement. Ça pourrait d’ailleurs être une bonne idée de monétisation. Des amateurs ?

Une dernière question qui nous flatte et nous t’en remercions, pourquoi avoir choisi de redistribuer 20% des gains à Framasoft ?

Pour être honnête, j’ai fais ça au feeling. Je ne vous connais pas très très bien, mais j’ai tendance à vous voir un peu partout autour des projets et personnes que j’apprécie : Ploum, Wallabag, Geektionnerd, … J’aime les personnes qui aident à faire bouger les choses et vous en faites partie, alors merci ! « La route est longue mais la voie est libre… »




Framapad : 3 tutoriels vidéos en situation d’éducation

Il y a un peu moins d’un an nous faisions le constat que Framapad était de plus en plus souvent utilisé dans l’éducation. En illustrant cela avec, entre autres, un billet sur l’expérience de Frédéric Véron, professeur de SVT dans l’Académie de Créteil.

Il nous propose ici, merci à lui, 3 tutoriels vidéos récemment mis en ligne.

Découverte et utilisation de Framapad (pads publics)

Comparaison et avantages de la création d’un compte (pads privés)

Attention : La création de compte risque d’être bientôt suspendue parce que non maintenue, nous vous invitons plutôt à utiliser les pads publics.

Exemple de travail collaboratif avec des élèves de Sixième




13 points que les gens détestent sur la documentation de votre projet libre

Qu’il s’agisse de son code ou de son utilisation, la faiblesse de la documentation d’un logiciel libre est souvent montrée du doigt.

Voici, selon Andy Lester, 13 défauts ou lacunes communément rencontrés, qui sont autant d’écueils que l’on peut contourner avec un minimum d’efforts aujourd’hui pour gagner demain un temps précieux.

Rosalux Stiftung - CC by

13 choses que les gens détestent sur vos documentations open source

13 Things People Hate about Your Open Source Docs

Andy Lester – 10 janvier 2013 – SmartBear Blog
(Traduction : Lamessen, calou, Shanx, sinma, Asta + anonymes)

La plupart des développeurs open source aiment penser à la qualité du logiciel qu’ils développent, mais la qualité de la documentation est souvent laissée de côté. Il est rare de voir vanter la documentation d’un projet, et pourtant elle a un impact direct sur sa réussite. Sans une bonne documentation, les utilisateurs n’utiliseront pas votre projet, ou ils n’y prendront pas de plaisir. Les utilisateurs comblés sont ceux qui diffusent des infos à propos de votre projet – ce qu’ils ne font qu’après avoir compris comment il fonctionne. Et ils apprennent cela à partir de la documentation du projet.

Malgré tout, de trop nombreux projets ont une documentation décevante. Et cela peut être décevant de plusieurs manières.

Les exemples que je donne ci-dessous sont purement arbitraires, je ne veux pas cibler un projet en particulier. Ce sont seulement ceux que j’ai utilisés récemment, cela ne veut pas dire qu’ils représentent les pires atrocités. Chaque projet a commis au moins quelques-uns de ces péchés. Que vous soyez utilisateur ou développeur, à vous d’évaluer à quel point votre logiciel préféré est ou non coupable, et comment vous pouvez aider à y remédier le cas échéant.

1. Le manque d’une bonne introduction ou d’un README/LISEZ-MOI

Le README/LISEZ-MOI est la première impression que les utilisateurs potentiels ont de votre projet. Si le projet est sur GitHub, le README/LISEZ-MOI est automatiquement affiché sur la page d’accueil du projet. Si vous l’avez mal rédigé, ils peuvent ne jamais revenir.

Vous voulez capter l’attention du lecteur et l’encourager à continuer la découverte de votre projet ? Le README/LISEZ-MOI devrait alors au moins expliquer :

  • ce que le projet fait
  • pour qui il est fait
  • sur quel matériel ou plateforme il tourne
  • toutes les dépendances majeures, comme « Requiert Python 2.6 et libxml »
  • comment l’installer, ou un accompagnement de chaque étape à la suivante.

Tout cela doit pouvoir être compris par quelqu’un qui n’a jamais entendu parler de votre projet, et peut-être même jamais imaginé un projet pouvant s’en rapprocher. Si le projet possède un module calculant la distance de Levenshtein, ne partez pas du principe que n’importe qui lisant votre README/LISEZ-MOI sait ce que c’est. Expliquez que la distance de Levenshtein est utilisée pour comparer deux chaînes de caractères, et ajoutez quelques renvois vers des explications plus poussées pour celui qui aimerait approfondir le sujet.

Ne décrivez pas votre projet par rapport à un autre projet, comme « NumberDoodle est comme BongoCalc, mais meilleur ! » Ça n’est d’aucune aide pour quelqu’un qui n’a jamais entendu parlé de BongoCalc.

2. La documentation non disponible en ligne

Bien que je n’ai pas lu d’études à ce sujet, je serais prêt à parier que 90% des recherches de documentation sont faites avec Google et un navigateur sur Internet. La documentation de votre projet doit être en ligne, et disponible. Partant de là, il serait embarrassant que la documentation de mon propre projet, ack, ne soit pas disponible à l’endroit où la majorité des gens vont la chercher. Mon hypothèse est basée sur ma propre expérience, à savoir que si je veux connaître le fonctionnement d’un outil en ligne de commande, je vais vérifier sa page man.

Comment je m’en suis aperçu ? Les utilisateurs m’écrivaient pour me poser des questions dont les réponses se trouvaient dans la FAQ. Ce qui m’a ennuyé : ils ne lisaient pas ma FAQ. Il se trouve qu’ils avaient cherché sur le site internet, mais je n’avais pas mis la FAQ à cet endroit. C’est une erreur facile à faire. Je suis proche du projet et je n’ai jamais eu besoin d’utiliser moi-même la FAQ, je n’avais donc pas remarqué qu’elle n’était pas présente en ligne. Beaucoup de problèmes sont dus à ce piège : les auteurs ne se mettent pas à la place des utilisateurs.

3. La documentation disponible uniquement en ligne

Le revers de ce problème est d’avoir la documentation disponible uniquement en ligne. Certains projets ne distribuent pas la documentation avec les livrables du projet, ou incluent une version médiocre de la documentation.

Le moteur de recherche Solr, par exemple, a un excellent wiki qui sert à la documentation du projet. Malheureusement, la documentation liée au téléchargement comporte 2200 pages de Javadoc d’API auto-générées. Au final, la seule documentation pour l’utilisateur est une unique page de tutoriel.

Le langage PHP n’est distribué avec aucune documentation. Si vous voulez la documentation, vous devez aller sur une page séparée pour les obtenir. Pire, seule la documentation du cœur est disponible au téléchargement, sans les annotations utiles des utilisateurs (voir « Ne pas accepter les remarques des utilisateurs » plus bas), et ce n’est pas le même format facile à parcourir que celui qui est disponible en ligne.

Les projets open source ne peuvent pas supposer que les utilisateurs ont accès à Internet quand ils ont besoin de la documentation. Le mode avion existe toujours. De toute façon, vous ne souhaitez pas que l’utilisateur dépende uniquement du fait que votre site web est disponible ou non. Au moins à deux reprises durant les derniers mois, le wiki de Solr était indisponible au beau milieu de ma journée de travail alors que je recherchais des informations sur un problème de configuration épineux.

Un projet qui fait les choses bien est Perl et son dépôt de module CPAN. La documentation pour chaque module est disponible soit à search.cpan.org ou metacpan.org dans un format hypertexte facile à lire. Pour la consultation hors-ligne, la documentation de chaque module est intégrée dans le code lui-même, et quand le module est installé sur le système d’un utilisateur, la documentation locale est créée sous forme de pages man. Les utilisateurs peuvent aussi utiliser « perldoc Module::Name » pour obtenir la documentation depuis le shell. En ligne ou hors-ligne : c’est votre choix.

4. La documentation non installée avec le paquet

Ce problème est généralement une erreur des paquageurs, pas des auteurs du projet. Par exemple, sur Ubuntu Linux, la documentation du langage Perl est séparée, ce sont des paquets optionnels pour le langage lui-même. L’utilisateur doit savoir qu’il doit explicitement installer la documentation de la même façon que le langage principal ou il n’y aura pas accès quand il en aura besoin. Ce compromis de quelques mégabites d’espace disque au détriment de la documentation à portée de main de l’utilisateur dessert tout le monde.

5. Le manque de captures d’écran

Il n’y a pas de meilleur moyen d’obtenir l’attention potentielle d’un utilisateur, ou d’illustrer un usage correct, qu’avec des captures d’écran judicieuses. Une image vaut mieux qu’un long discours, c’est encore plus important sur Internet parce que vous ne pouvez obtenir d’un lecteur de lire plus de quelques centaines de mots en tout.

Les captures d’écran accompagnant le texte sont inestimables pour guider l’utilisateur voulant faire les choses au mieux. Une capture d’écran lui permet de comparer visuellement ses résultats à ceux de la documentation et va le rassurer d’avoir exécutée la tâche correctement ou l’aidera à trouver facilement ce qui ne va pas.

Il est de plus en plus commun de trouver des vidéos sur le site internet d’un projet pour en donner un aperçu, et c’est génial. Tout autant que le fait d’avoir une vidéo pour chaque étape d’un processus complexe. Le projet Plone, par exemple, a un site entier dédié aux tutoriels vidéos. Cependant, les vidéos ne peuvent pas remplacer les captures d’écran. Un utilisateur veut voir rapidement l’allure des captures d’écran sans s’arrêter devant une vidéo. Les vidéos n’apparaissent également pas dans une recherche Google Image, à l’inverse des captures d’écran.

6. Le manque d’exemples réalistes

Pour les projets basés sur du code, l’analogue des captures d’écran sont de bons et solides exemples du code en action. Ces exemples ne devraient pas être abstraits, mais directement issus du monde réel. Ne créez pas d’exemples bateaux plein de « nom de la démo ici » et lorem ipsum. Prenez le temps de créer des exemples signifiants avec une histoire d’utilisateur qui représente la façon dont votre logiciel résout un problème.

Il y a de bonnes raisons de vous embêter avec des problèmes de maths en classe. Ils permettent d’appliquer ce que vous avez appris.

Disons que j’ai écrit un module d’un robot Web, et que j’explique la méthode follow_link. Je pourrais montrer la définition de la méthode ainsi :

$mech->follow_link( text_regex => $regex_object, n => $link_index );

Mais admirez à quel point cela devient évident en ajoutant de la réalité dans l’exemple.

# Suit le 2e lien où la chaîne de caractères « download » apparait
$mech->follow_link( text_regex => qr/download/, n => 2 );

Les noms des variables $regex_object et $link_index sont maintenant compréhensibles par le lecteur.

Bien entendu, vos exemples ne doivent pas être aussi brefs. Comme Rich Bowen du projet Apache le souligne, « Un exemple correct, fonctionnel, testé et commenté l’emporte sur une page de prose, à chaque fois. »

Montrez autant que possible. L’espace n’est pas cher. Créez une section dédiée aux exemples dans la documentation, ou même un livre de cuisine. Demandez aux utilisateurs d’envoyer du code qui fonctionne, et publiez leurs meilleurs exemples.

7. Liens et références inadéquats

Vous avez les hyperliens. Utilisez-les.

Ne pensez pas, parce que quelque chose est expliquée dans une certaine partie de la documentation, que le lecteur a déjà lu cette partie, ou bien qu’il sait où elle se trouve. Ne vous contentez pas de signaler que cette partie du code manipule des objets frobbitz. Expliquez brièvement lors du premier usage de ce terme ce qu’est un objet frobbitz, ou donnez le lien vers la section du manuel l’expliquant. Encore mieux, faites les deux !

8. Oublier les nouveaux utilisateurs

Il arrive trop souvent que l’écriture de la documentation soit rédigée à partir du point de vue de son auteur, alors que es nouveaux utilisateurs ont besoin de documentation d’introduction pour les aider.

L’introduction devrait être une page séparée de la documentation, idéalement avec des exemples qui permettent à l’utilisateur de réussir quelques manipulations avec le logiciel. Pensez à l’excitation que vous ressentez quand vous commencez à jouer avec un nouveau logiciel et qu’il vous permet de faire quelque chose de cool. Faites que ça arrive aux nouveaux utilisateurs également.

Par exemple, un package graphique pourrait présenter une série de captures d’écran qui montrent comment ajouter des données dans un fichier, comment faire intervenir le grapheur, et ensuite montrer les graphes obtenus. Une bibliothèque de codes pourrait montrer quelques exemples d’appels à la bibliothèque, et montrer le résultat obtenu. Pensez simplicité. Offrez une victoire facile. Le texte devrait introduire les termes aux endroits appropriés, avec des liens vers une documentation plus détaillée sur le long terme.

Un document de démarrage séparé donne à l’utilisateur une compréhension rapide du logiciel. Il garde aussi les explications d’introduction en dehors de la partie principale de votre documentation.

9. Ne pas écouter les utilisateurs

Les développeurs doivent écouter les utilisateurs de la documentation. La chose évidente est d’écouter les suggestions et requêtes des personne qui utilisent activement votre logiciel. Quand un utilisateur prend le temps d’écrire un mail ou de poster quelque chose comme « ça aurait pu m’aider à mieux installer le programme s’il y avait eu une explication ou des liens au sujet des pilotes de la base de données », prenez ce message au sérieux. Pour chaque utilisateur vous envoyant un mail pour un problème, vous devez vous attendre à ce que dix utilisateurs silencieux aient le même problème.

Il est important d’écouter les problèmes des utilisateurs et d’en chercher les causes. S’ils ont souvent des problèmes pour effectuer des mises à jour groupées de bases de données, la première chose à faire est d’ajouter une question à la FAQ (vous avez bien une FAQ, n’est-ce pas ?) qui traite de ces questions-là. Cependant, la question peut aussi indiquer que la section traitant des mises à jour de base de données n’est pas assez claire. Ou peut-être qu’il n’y a pas de référence à cette section depuis la vue d’ensemble introductive du document, avec pour conséquence que vos utilisateurs ne pensent jamais à lire le reste du manuel.

En plus d’aider plus de gens à découvrir à quel point votre projet est utile, ça diminuera aussi la frustration de la communauté déjà existante. Si votre liste de diffusion, forum ou canal IRC est remplie de personnes qui posent toutes les mêmes questions idiotes (ou pas si idiotes) au point que tout le monde devient lassé d’y répondre, sachez reconnaître que ce sont des questions récurrents pour la FAQ, et mettre les réponses à un endroit facile à trouver aidera tout le monde à se concentrer sur des choses plus amusantes.

Gardez aussi un œil sur les questions des forums externes. Consultez les sites comme StackOverflow régulièrement, et placez une Google Alert sur votre nom de projet pour être maintenu au courant des discussions concernant votre projet sur Internet.

10. Ne pas accepter les entrées des utilisateurs

Si votre projet a une base d’utilisateur assez grande, il peut être judicieux d’incorporer les commentaires des utilisateurs directement dans la documentation. Le meilleur exemple que j’ai pu voir est celui donné par PHP. Chaque page de la documentation permet aux utilisateurs authentifiés d’ajouter des commentaires sur la page, aidant ainsi à clarifier certains points ou ajoutant des exemples qui ne sont pas dans la documentation principale. L’équipe PHP laisse aussi le choix au lecteur de lire la doc avec ou sans les commentaires des autres utilisateurs.

Aussi pratique cela soit-il, cela nécessite de la maintenance. Les commentaires doivent être éliminés de temps en temps pour éviter la prolifération. Par exemple, la page de la documentation PHP sur comment lancer PHP depuis la ligne de commande inclut 43 commentaires d’utilisateurs qui remontent à 2001. Les commentaires écrasent la documentation principale. Les commentaires devraient être archivés ou supprimés, tout en incluant les points les plus importants dans la documentation principale.

Un wiki est également une bonne approche. Cependant, si votre wiki ne permet pas à l’utilisateur de télécharger toutes les pages en une seule grosse archive (cs. point n°3 ci-dessus), alors vos utilisateurs sont à la merci de votre connexion internet et du serveur hébergeant le projet.

11. Impossibilité de voir ce que fait le logiciel sans l’installer

Au minimum, chaque projet de logiciel nécessite une liste de fonctionnalités et une page de captures d’écran pour permettre au potentiel utilisateur intéressé de savoir pourquoi il devrait l’essayer. Aidez l’utilisateur, comparant les différents paquets à utiliser, à voir pourquoi cela vaut la peine de prendre le temps de le télécharger et de l’installer.

Les images sont un bon moyen de faire cela. Votre projet devrait avoir une page « Captures d’écran » qui montre des exemples de l’outil en action (cf. point n°5 ci-dessus). Si votre projet se résume uniquement à du code, comme une librairie, alors il devrait y avoir une page d’exemples montrant ce code utilisant le projet.

12. S’appuyer sur la technologie pour votre rédaction

Trop souvent, les auteurs de logiciels utilisent des systèmes de documentation automatisés pour faire leur travail. Ce système automatisé rend les choses plus facile à maintenir, mais il ne supprime pas la nécessité d’un travail d’écriture humain.

Le pire des cas concerne le changelog, qui n’est rien de plus qu’un dump des messages de commit du système de gestion de version, mais sans un résumé qui l’explique. Un changelog devrait lister les nouvelles fonctionnalités, les problèmes résolus et les incompatibilités potentielles. Sa cible est l’utilisateur final. Un log de commit est pratique et simple à générer pour les personnes travaillant sur le projet, mais ce n’est pas ce dont l’utilisateur a besoin.

Jetez un œil à cette page de la documentation de Solarium, une interface PHP pour le moteur de recherche Solr. Tout d’abord, l’avertisemment prend la moitié supérieure de l’écran, ne donnant aucune information au lecteur. Ensuite, il n’y a vraiment rien de véritablement descriptif sur la page que la liste des noms de fonctions. Il n’y a aucune explication sur les différentes méthodes, ni de liens indiquant où trouver l’explication. Les pages générées automatiquement sont jolies, et elles pourraient ressembler à de la documentation, mais elles n’en sont pas.

13. Arrogance et hostilité vis-à-vis de l’utilisateur

L’attitude du type RTFM (Read The Freaking Manual) est mauvaise pour votre projet et votre documentation.

C’est le summum de l’arrogance que de croire que tous les problèmes qui ont trait au fait que quelqu’un ne sache pas utiliser votre logiciel sont de la faute de l’utilisateur.

Même s’il est probablement vrai que les utilisateurs peuvent trouver leurs réponses dans votre documentation mais ne le font pas, il est stupide de penser que c’est la faute de l’utilisateur. Peut-être votre documentation est-elle mal écrite, ou difficile à lire, ou présente mal à l’écran. Peut-être avez-vous besoin d’améliorer la section « Mise en route » (lien #8 ci-dessus) qui explique ce que le logiciel a pour but de faire. Peut-être que certaines parties d’information nécessitent d’être répétées à de multiples endroits de la documentation.

N’oubliez pas que les nouveaux utilisateurs de votre logiciel peuvent arriver sur votre projet sans rien n’en savoir. Votre documentation doit faire de son mieux pour s’assurer que cette ignorance soit facilement résolue.

Synthèse

Je suis sûr que vous avez déjà eu affaire à quelques-uns de ces problèmes listés ci-dessous, et peut-être que pour d’autres vous n’y avez pas pensé. Faites-nous connaître les problèmes que vous avez rencontrés dans les commentaires ci-dessous, sachant qu’il ne s’agit pas de pointer du doigt certains projets en particulier.

Surtout, j’espère que si vous reconnaissez un problème dans la documentation de vos projets, vous prendrez la peine d’améliorer la situation. Heureusement, améliorer la documentation est une manière idéale de faire participer les nouveaux arrivants dans votre projet. On me demande souvent : « Comment puis-je commencer dans l’open source », et je recommande des améliorations dans la documentation comme une bonne manière de commencer.

Faites-en sorte que ce soit aussi facile que possible, pour les novices comme les plus anciens, de savoir où il est nécessaire de travailler la documentation. Créez une liste des tâches, par exemple dans votre système de suivi des bogues, qui explique ce qui a besoin d’être amélioré. Soyez précis dans ce que sont vos besoins. Ne vous contentez pas de dire que vous avez besoin d’exemples, sans plus de précision. Créez des tâches spécifiques, comme « ajoutez un code d’exemple sur le fonctionnement de la tâche X », « ajouter une capture d’écran du générateur de rapports » ou « ajouter des informations de dépendances au fichier README/LISEZ-MOI ». Les contributeurs souhaitent aider mais trop souvent ils ne savent pas par où commencer.

La documentation n’est pas la partie la plus glamour d’un projet open source, et pour la plupart d’entre nous ce n’est pas amusant. Mais sans une bonne documentation, les utilisateurs ne sont pas servis comme ils pourraient l’être, et votre projet en souffrira sur le long terme.

Crédit photo : Rosalux Stiftung (Creative Commons By)




Apprendre à déléguer (Libres conseils 19/42)

Chaque jeudi à 21h, rendez-vous sur le framapad de traduction, le travail collaboratif sera ensuite publié ici même.

Traduction Framalang : Nyx, lamessen, Sphinx, peupleLà, lerouge, Sky, Julius22, Astalaseven, Alpha, HgO, michel, Sputnik, goofy, HanX, KoS

Ne vous inquiétez pas, faites confiance

Shaun McCance

Shaun McCance est impliqué dans la documentation de GNOME depuis 2003 en tant que rédacteur, chef de la communauté et développeur d’outils. Il a passé la plupart de ce temps à se demander comment inciter davantage de personnes à écrire une documentation de meilleure qualité, avec un certain succès à long terme. Il propose son expérience de la documentation communautaire à travers sa société de conseil, Syllogist.

Alors que je m’apprêtais à écrire cet article, il s’est passé quelque chose d’énorme : GNOME 3 est sorti. C’était la première version majeure de GNOME depuis neuf ans. Tout était différent et toute la documentation existante devait être réécrite. Au même moment, nous changions notre façon de l’écrire. Nous avions jeté nos vieux manuels et étions repartis sur une nouvelle base, avec un système d’aide dynamique par sujet, en utilisant Mallard.

Quelques semaines avant la sortie, une partie d’entre nous s’est réunie pour élaborer la documentation. Nous passions nos journées à travailler, à planifier, à écrire et à réviser. Nous avons écrit des centaines de pages malgré les changements incessants liés aux ultimes modifications du logiciel. Nous avions des contributeurs en ligne qui proposaient de nouvelles pages et corrigeaient ce qui existait déjà. Je n’avais jamais vu notre équipe de documentation aussi productive.

À quoi avons-nous finalement abouti ? Beaucoup de facteurs sont entrés en jeu, et je pourrais écrire un livre entier sur les nuances de la documentation open source. Mais ce que j’ai fait de plus important a été de m’effacer et de laisser les autres faire le travail. J’ai appris à déléguer ; et à déléguer dans les règles de l’art.

Revenons huit ans en arrière. J’ai commencé à m’impliquer dans la documentation de GNOME en 2003. Je n’avais pas vraiment d’expérience en tant que rédacteur technique à cette époque. Mon emploi m’amenait à travailler sur des outils de publication et j’ai commencé à travailler sur les outils et sur le visualiseur d’aide utilisés par la documentation de GNOME. Peu de temps après, je me suis retrouvé à la rédaction de la documentation.

En ce temps-là, la majeure partie de notre documentation était entre les mains de rédacteurs techniques professionnels de chez Sun. Ils s’occupaient d’un manuel, l’écrivaient, le relisaient et l’envoyaient sur notre dépôt CVS. Après quoi nous pouvions tous le regarder, y apprendre quelque chose et lui apporter des corrections. Mais il n’existait pas d’efforts concertés pour impliquer les gens dans le processus d’écriture.

Ce n’est pas que les rédacteurs de Sun essayaient de protéger ou de cacher quoi que ce soit. Ils étaient avant tout rédacteurs techniques. Ils connaissaient leur travail et le faisaient bien. D’autres personnes auraient pu les remplacer pour d’autres manuels mais ils auraient écrit leurs travaux d’une manière habituelle. Utiliser un groupe de collaborateurs novices, aussi enthousiastes soient-ils, pour chaque page, revient à perdre un temps inimaginable sur des détails. C’est tout simplement contre-productif.

De manière inévitable, le vent a tourné chez Sun et leurs rédacteurs techniques ont été affectés à d’autres projets. Cela nous a laissés sans nos rédacteurs les plus prolifiques, ceux qui disposaient des meilleures connaissances. Pire que cela, nous étions laissés sans communauté et personne n’était là pour ramasser les morceaux.

Il y a des idées et des processus standards dans le monde de l’entreprise. J’ai travaillé dans le monde de l’entreprise. Je ne crois pas que quiconque remette ces idées en cause. Les gens font leur travail. Ils choisissent des missions et les terminent. Ils demandent aux autres de faire une relecture, mais ils n’ouvrent pas leur travail aux nouveaux venus et aux rédacteurs moins expérimentés. Les meilleurs rédacteurs écriront sans doute le plus.

Ces idées sont d’une plate évidence, mais elles échouent lamentablement dans un projet communautaire. Vous ne développerez jamais une communauté de contributeurs si vous faites tout vous-même. Dans un projet de logiciel, vous pouvez avoir des contributeurs compétents et suffisamment impliqués pour contribuer régulièrement. Dans la documentation, cela n’arrive presque jamais.

La plupart des gens qui s’essayent à la documentation ne le font pas parce qu’ils veulent être rédacteur technique ni même parce qu’ils aiment écrire. Ils le font parce qu’ils veulent contribuer. Et la documentation est la seule manière qu’ils trouvent accessible. Ils ne savent pas coder. Ils ne sont artistiquement pas doués. Ils ne maîtrisent pas assez une autre langue pour faire de la traduction. Mais ils savent écrire.

C’est là que les rédacteurs professionnels lèvent les yeux au ciel. Le fait que vous soyez instruit ne signifie pas que vous puissiez écrire une bonne documentation pour l’utilisateur. Il ne s’agit pas simplement de poser des mots sur le papier. Vous devez comprendre vos utilisateurs, ce qu’ils savent, ce qu’ils veulent, les endroits où ils cherchent. Vous avez besoin de savoir comment présenter l’information de façon compréhensible et savoir où la mettre pour qu’ils puissent la trouver.

Les rédacteurs techniques vous diront que la rédaction technique n’est pas à la portée de tous. Ils ont raison. Et c’est exactement pourquoi la chose la plus importante que les rédacteurs professionnels puissent faire pour la communauté est de ne pas écrire.

La clé pour construire une communauté efficace autour de la documentation, c’est de laisser les autres prendre les décisions, faire le travail et en récolter eux-mêmes les fruits. Il ne suffit pas de leur donner du travail en continu. La seule solution pour qu’ils s’intéressent suffisamment et s’accrochent au projet, c’est qu’ils se sentent investis personnellement. Le sentiment de faire partie intégrante d’un projet est une source puissante de motivation.

Mais si vous ne travaillez qu’avec des rédacteurs débutants et que vous leur donnez tout le travail à faire, comment pouvez-vous avoir l’assurance que la documentation ainsi créée sera de qualité ? Une participation massive mais incontrôlée n’aboutit pas à de bons résultats. Le rôle d’un rédacteur expérimenté au sein de la communauté est d’être un professeur et un mentor. Vous devez leur apprendre comment rédiger.

Commencez par impliquer les gens tôt dans le planning. Planifiez toujours du bas vers le haut. La planification du haut vers le bas n’incite pas à la collaboration. Il est difficile d’impliquer les gens dans la réalisation d’une vue d’ensemble de haut niveau si tous n’ont pas la même perception de cette vue d’ensemble. Mais les gens sont capables de travailler sur des segments. Ils peuvent réfléchir à des sujets particuliers d’écriture, à des tâches que les gens réalisent, à des questions que les gens peuvent se poser. Ils peuvent regarder les forums de discussion et les listes de diffusion afin de voir ce que les utilisateurs demandent.

Écrivez vous-même quelques pages. Cela donne un exemple à imiter. Il faut ensuite répartir tout le reste du travail. Laissez à d’autres la responsabilité de rubriques ou de chapitres entiers. Précisez-leur clairement quelles informations ils doivent fournir, mais laissez-les écrire. C’est en forgeant qu’on devient forgeron.

Soyez constamment disponible pour les aider ou répondre aux questions. Au moins la moitié de mon temps consacré à la documentation est passée à répondre à des questions afin que les autres puissent effectuer leur travail. Quand des brouillons sont soumis, relisez-les et discutez des critiques et des corrections avec leurs auteurs. Ne vous contentez pas de corriger vous-même.

Cela vous laisse tout de même le gros du travail à faire. Les gens complètent les pièces du puzzle, mais c’est toujours vous qui les assemblez. Au fur et à mesure qu’ils acquièrent de l’expérience, les gens s’occuperont de pièces de plus en plus grandes. Encouragez-les à s’impliquer davantage. Donnez-leur davantage de travail. Faites en sorte qu’ils vous aident à aider plus de rédacteurs. La communauté fonctionnera toute seule.

Huit ans plus tard, GNOME a réussi à créer une équipe de documentation qui se gère elle-même, résout les problèmes, prend des décisions, produit une bonne documentation et accueille constamment de nouveaux contributeurs. N’importe qui peut la rejoindre et y jouer un rôle. Telle est la clé du succès pour une communauté open source.




Documenter c’est s’enrichir (Libres conseils 18/42)

Chaque jeudi à 21h, rendez-vous sur le framapad de traduction, le travail collaboratif sera ensuite publié ici même.

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La documentation et moi, avant et après

Anne Gentle

Anne Gentle est une rédactrice technique acharnée et la coordinatrice de la documentation communautaire à Rackspace pour OpenStack, un projet open source d’informatique dans le nuage. Avant de rejoindre OpenStack, Anne travaillait en tant que consultante de publication communautaire, en donnant une direction stratégique aux rédacteurs professionnels qui veulent produire du contenu en ligne sur des wikis contenant des pages et des commentaires générés par les utilisateurs. Sa passion pour les méthodes communautaires de documentation l’a amenée à écrire un livre sur les techniques de publication collaborative pour la documentation technique intitulé Conversation et communauté : la documentation dans le web social. Elle s’occupe aussi bénévolement de la maintenance de la documentation pour les manuels FLOSS qui proposent de la documentation open source pour les projets open source.

Voilà une prémisse bien étrange : vider mes tripes sur ce que j’aurais voulu savoir de l’open source et de la documentation. Plutôt que de vous dire ce que je veux que vous sachiez sur l’open source et la documentation, je dois vous dire ce que j’aurais aimé que mon moi antérieur sache. Cette demande suscite un sentiment de nostalgie ou de remords voire cette horrible énigme : « à quoi pouvais-je bien penser ? ».

En ce qui me concerne, avec juste cinq ans de moins, mon moi antérieur était une trentenaire bien installée dans sa vie professionnelle. D’autres, au contraire, se souviennent qu’ils n’étaient qu’adolescents lors de leurs premières expériences open source. Jono Bacon dans son livre L’art de la Communauté, raconte comment il s’est tenu devant la porte d’un appartement, le cœur battant, alors qu’il était sur le point de rencontrer quelqu’un à qui il n’avait jamais parlé que sur le réseau, par le biais d’une communauté open source. J’ai moi aussi fait cette expérience de la première rencontre physique de gens que j’avais découverts en ligne, mais ma première incursion dans le monde de la documentation open source s’est produite lorsque j’ai répondu à une demande d’aide par courriel.

Le courriel provenait d’un ancien collègue qui me demandait de l’aide pour la documentation de l’ordinateur portable XO, le projet fondateur de l’organisation One Laptop Per Child (un portable pour chaque enfant). J’ai réfléchi à ce que je pensais être une proposition intéressante, j’en ai parlé à mes amis et à mon époux en me demandant si ce n’était pas une bonne occasion d’expérimenter de nouvelles techniques de documentation et d’essayer une chose que je n’avais jamais faite auparavant : une documentation basée sur un wiki. Depuis cette première expérience, j’ai rejoint OpenStack, un projet open source sur une solution d’informatique dans le nuage, et je travaille à plein temps sur la documentation et le support communautaires.

Je pense immédiatement aux nombreuses contradictions que j’ai rencontrées tout au long de la route. J’ai découvert que pour chaque observation il existe des champs et contre-champs surprenants. Par exemple, la documentation est absolument indispensable pour l’aide aux utilisateurs, l’éducation, la possibilité de choisir ou bien la documentation promotionnelle qui amène à adopter un logiciel. Pourtant, une communauté open source pourra continuer d’avancer malgré le manque de documentation ou de la doc complètement défectueuse. Voici une autre collision apparente de valeurs : la documentation pourrait être une très bonne tâche pour démarrer, un point de départ pour les nouveaux volontaires, pourtant les nouveaux membres de la communauté savent si peu de choses qu’il ne leur est pas possible d’écrire ni même d’éditer de manière efficace. En outre les petits nouveaux ne sont pas bien familiers des différents publics auxquels doit servir la documentation.

Ces derniers temps on entend dire un peu partout : « les développeurs devraient écrire la doc de développement » parce qu’ils connaissent bien ce public et par conséquent cela lui serait aussi utile qu’à eux-mêmes. D’après mon expérience, un regard frais et neuf est toujours le bienvenu sur un projet et certaines personnes ont la capacité d’écrire et de partager avec d’autres ce regard frais et empathique. Mais vous n’allez sûrement pas vous mettre à créer une culture « réservée aux novices » autour de la doc parce qu’il est important que des membres essentiels de la communauté technique apportent leur contribution aux efforts de documentation, et qu’ils encouragent aussi les autres à y participer.

Une partie du vilain petit secret sur la documentation des projets open source est qu’il n’existe qu’une frontière pour le moins floue entre leur documentation officielle et leur documentation officieuse. Si seulement j’avais su que les efforts de documentation devraient être sans cesse renouvelés et que de nouveaux sites web pourraient apparaître là où il n’y en avait pas… Une documentation extensive n’est pas le moyen le plus efficace pour s’initier à des projets ou des logiciels mais un parcours sinueux dans les méandres de la documentation sur le Web peut s’avérer plus instructif pour ceux qui veulent lire entre les lignes et avoir ainsi une idée de ce qui se passe dans la communauté grâce à la documentation. Avoir beaucoup de forks(1) et des publics variés peut indiquer que le produit est complexe et qu’il est très suivi. Cela peut aussi signifier que la communauté n’a mis en place aucune pratique quant à la documentation de référence ou que les efforts désorganisés sont la norme.

À mes débuts, j’aurais aimé avoir la capacité de ressentir la « température conviviale » d’une communauté en ligne. Quand vous entrez dans un restaurant rempli de tables nappées de blanc, de couples qui dînent et de conversations feutrées, l’information visuelle et auditive que vous recevez détermine l’ambiance et vous donne quelques indices sur ce que vous vous apprêtez à vivre lors de votre repas. Vous pouvez tout à fait transposer ce concept de température conviviale à une communauté en ligne.

Une communauté open source vous donne quelques indices dans ses listes de discussion, par exemple. Une page de présentation de la liste qui commence par de nombreuses règles et conventions sur la manière de poster indique une gouvernance très stricte. Une liste de discussion qui contient de nombreuses publications mettant l’accent sur le fait qu’il « n’y a pas de question bête » est plus accueillante pour de nouveaux rédacteurs de documentation.

J’aurais aussi aimé connaître un moyen de faire non seulement de l’audit de contenu, c’est-à-dire lister le contenu à disposition pour le projet open source, mais aussi de l’audit de communauté, donc lister les membres influents de la communauté open source, qu’il s’agisse ou non de contributeurs.

Pour terminer, une observation à propos de l’open source et de la documentation que j’ai pu vérifier avec plaisir, c’est l’idée que la rédaction de la documentation peut s’effectuer via des « sprints » — grâce à des de brusques dépenses d’énergie avec un public ciblé et un but précis, pour aboutir à un ensemble documentaire de référence.

J’ai été très contente d’entendre lors d’une conférence à SXSW Interactive que les sprints sont tout à fait acceptables pour la collaboration en ligne, qu’il faut s’attendre à des fluctuations du niveau d’énergie de chacun et que c’est OK. La documentation des logiciels est souvent faite à l’arrache dans les moments d’accalmie d’un cycle de release(2) et ça ne pose aucun problème dans la documentation open source qui est basée sur la communauté. Vous pouvez adopter une approche stratégique et coordonnée et continuer tout de même de proposer des évènements de grande intensité autour de la documentation. Ce sont des moments exaltants dans l’open source et mon ancien moi les a pleinement ressentis. C’est une bonne chose que vous continuiez à passer de votre moi antérieur à votre moi actuel avec un paquet de conseils en poche.

(1) Un fork est un nouveau logiciel créé à partir du code source d’un logiciel existant.

(2) La release est la publication d’un logiciel.