Le logiciel libre profitera-t-il de la crise ?

Powderruns - CC byLe logiciel libre : on y vient pour le prix, on y reste pour la qualité, ironise Nat Torkington dans cette traduction issue de site d’O’Reilly. Sachant que nous traversons actuellement une période difficile où les investissement se font plus rares (et donc plus tâtillons), n’y a-t-il pas là comme une opportunité pour le logiciel libre ? Et d’ailleurs il faudrait peut-être aussi se mettre d’accord car il s’agit bien plus d’économie ici que de liberté. Donc je reformule la question : n’y a-t-il pas là comme une opportunité pour l’Open Source ?

C’est le sujet du jour. L’article est certes américano-centrée mais la crise l’était également au départ, ce qui ne nous a pas empêché d’être nous aussi touchés[1].

Conséquences de la crise sur les technologies

Effect of the Depression on Technology

Nat Torkington – 7 octobre 2008 – O’Reilly Radar
(Traduction Framalang : Olivier, Daria, Don Rico)

Voici comment je vois les choses : emprunter de l’argent devient coûteux et difficile, et ce n’est pas près de changer puisque la dette des États-Unis progresse au lieu de diminuer, entraînée par la guerre en Irak et par notre dépendance aux produits chinois qui n’est pas réciproque. Et tout ceci s’accumule dans une période qui est déjà difficile pour les affaires aux États-Unis depuis au moins trois ans, voire plus. En partant de ce constat, il est possible de faire une tentative de prévision de ce que nous réserve l’avenir (en gardant à l’esprit que chaque jour apporte son lot de nouvelles révélations concernant l’état inquiétant de la finance mondiale, notre boule de cristal est donc, au mieux, trouble).

En premier lieu, l’innovation profitera de la récession, parce que c’est ce qui se produit en général. Durant les périodes de forte croissance, les entreprises limitent la recherche et développement et gâchent de grands talents à n’apporter que des améliorations minimales aux produits dernier cri. Les entreprises sont douées pour s’équiper en nouveautés, mais elles sont souvent médiocres dès qu’il s’agit d’en concevoir. En temps de crise, les technologues ne sont plus payés des mille et des cents pour répliquer le travail réalisé par d’autres. L’explosion de la bulle Internet en 2001 a donné naissance à 37Signals, Flickr, del.icio.us, et l’on peut avancer sans crainte de se tromper que de nombreuses entreprises ont depuis passé six ans à suivre le mouvement.

En deuxième lieu, la crise profitera au libre et à l’Open Source à cause du manque de liquidités. La dernière crise a fait entrer les systèmes d’exploitation Open Source dans les mœurs (petite note pour les plus jeunes d’entre vous : il fut un temps où il n’était pas forcément bien vu d’utiliser Linux dans un service informatique) car ils offraient le meilleur rapport qualité/prix, et de loin. J’aime utiliser l’expression « Venez pour le prix, restez pour la qualité ». Cette crise affectera peut-être le même des logiciels (CRM, finance, etc.) hauts placés dans la chaîne. (En revanche, je ne m’avancerai pas à prédire que 2009 sera l’année du bureau Linux).

Troisièmement, les services Open Source et le cloud computing profiteront de la conjoncture économique actuelle, laquelle favorisera les dépenses de fonctionnement sur les dépenses d’investissement. Il sera presque impossible d’emprunter de l’argent pour acheter du matériel ou une licence logicielle importante. Adopter un logiciel Open Source est gratuit, et les services qui y sont associés font partie des dépenses de fonctionnement et non des dépenses d’investissement. De même, le cloud computing permet à une entreprise de payer peu pour se servir des investissements énormes effectués par quelqu’un d’autre. À en croire les rumeurs, il semblerait que Microsoft soit prêt à sortir Windows Cloud juste à temps. Ce n’est pas demain la veille que d’autres entreprises installeront de nouveaux centres de données, car les temps où des investisseurs aux fonds inépuisables couvraient ce genre de frais énormes sont révolus et ne reviendront pas avant un certain temps.

La plupart des logiciels clients auront du mal à se vendre tant que le dollar sera aussi bas et que le pays continuera de déverser tout son argent à l’étranger. Ce n’est pas une bonne chose, mais cela ne signifie pas qu’il sera impossible d’engranger des bénéfices, il suffira de proposer quelque chose qui réponde à un réel besoin des consommateurs. Des logiciels comme Wesabe trouveront un nouveau public en temps de crise (NdT : O’Reilly est un investisseur de Wesabe). L’heure n’est pas aux acquisitions spéculatives, attendez-vous à voir un retour aux sources comme on y a assisté (brièvement) après l’éclatement de la bulle Internet en 2001. Désolé, mais vos rêves de trouver acquéreur pour votre réseau social de collectionneurs de cure-dents devront patienter jusqu’en 2013 et un éventuel retour de l’argent employé à tort et à travers.

Comme le dit Phil Torrone, on aura plus de temps que d’argent, ce qui est profitable aux logiciels Open Source, mais cela favorisera aussi un nouvel intérêt pour les objets et le matériel informatique qui nous entourent, inspiré par le magazine Make. Les rencontres que nous avons créées (Ignite, hacker meetups, coworking spaces, foo/bar camps), qui ne coûtent pas grand chose mais qui ont une portée importante, vont se multiplier, alors que les grosses conférences pâtiront de cette période de vache maigre. La killer app du futur proviendra peut-être de l’un de ces bidouilleurs qui emploiera son temps libre à combler un manque.

Telle est ma vision du monde et des conséquences de la crise. Quel est votre point de vue ? Qu’est-ce qui m’échappe ? Faites-moi part de votre opinion dans les commentaires – le commentaire le plus perspicace vaudra à son auteur un aimant « Head first SQL » qu’il pourra coller sur son frigo.

Notes

[1] Crédit photo : Powderruns (Creative Commons By)




Internet libre ou Minitel 2.0 ? – La conférence culte de Benjamin Bayart

Je ne sais ce qu’il en est pour les autres auteurs de blog mais pour ma part je pense arriver à mettre en ligne à peine 20% de ce que je souhaiterais réellement mettre en ligne. C’est d’ailleurs pas de bol pour le lecteur puisque c’est dans le 80% restant que se nichent certainement mes meilleurs billets 😉

Ainsi en va-t-il de Benjamin Bayart, personnalité de la communauté haute en couleur (surtout la cravate) qui figure en bonne place dans ma liste de billets en retard. Un sacré retard même puisque je vais vous présenter une conférence datant des Rencontre mondiales du logiciel libre de juillet 2007 !

Mais il ne s’agit pas de n’importe quelle conférence, il s’agit d’une conférence qui est devenue une véritable référence, un peu comme celle d’Eben Moglen.

Désolé donc pour ceux qui l’ont déjà vue. Quant aux autres, vous avez bien de la chance parce que pour la même durée ça vous changera un peu de votre série américaine préférée qui ne vous a que trop pris de votre temps de cerveau disponible.

En voici le pitch : « Internet vient du libre, comme le libre vient d’Internet. Cependant l’évolution récente du réseau, essentiellement financière et commerciale, le fait dériver vers d’autres modèles sociaux et économiques. Comment décrypter cette évolution, son origine, ses conséquences ? Comment agir pour rectifier le tir ? »

—> La vidéo au format webm

Vous trouverez sur cette page une version AVI (100 Mo) de la vidéo mais également les slides de la conférence au format PDF.

Bonne séance, mais autant vous prévenir tout de suite je n’en ai pas encore tout à fait fini avec mon Bayart en retard car il faut absolument que je consacre un billet à FDN le seul (et unique en son genre) fournisseur d’accès à internet associatif.




Il faut lire Internet & Création de Philippe Aigrain

Law Keven - CC by-saLa loi Création et Internet (Hadopi) est aujourd’hui devant le Sénat. Alors que, faute à la crise économique, de nombreux autres projets de loi ont été sagement repoussés, celle qui nous concerne ici suivra la procédure d’urgence : le texte ne sera ainsi débattu qu’une fois, au lieu de deux, par chaque assemblée.

L’urgence ne s’imposait pas, sauf à vouloir que nos élus ne se penchent pas trop dans le détail sur ce projet de loi. Mais quitte à se placer coûte que coûte en situation d’urgence, alors il y a bien quelque chose à faire : lire le nouveau livre de Philippe Aigrain Internet & Création dont le sous-titre annonce un ouvrage qui va justement se risquer à lever le point d’interrogation : « Comment reconnaître les échanges hors marché sur internet en finançant et rémunérant la création ? ».

Parce que n’en déplaisent aux défenseurs radicaux de cette loi qui ont la caricature d’autant plus facile qu’ils sentent que leurs monopoles se fissurent, Philippe Aigrain n’est pas un « anarchiste numérique ». Au contraire, prolongeant son travail quotidien à la Quadrature du Net, il tente ici de réconcilier partisans et détracteurs en exposant clairement la situation et ses enjeux et en avançant des propositions concrètes et argumentées[1].

Extrait (p.12) :

« Avec ce rapport, nous tentons une gageure : parler à presque tous, installer un cadre commun qui ne suppose pas de se mettre d’accord sur tout pour explorer ensemble les voies du possible. Lecteurs, il vous faut cependant consentir à de petits efforts. Si vous êtes sincèrement convaincus qu’un individu qui met un fichier numérique représentant une œuvre à disposition des usagers d’un réseau pair à pair est un pirate (celui qui s’empare par la violence des biens d’autrui) et que les œuvres saignent lorsqu’on les partage, nous ne vous demandons pas d’abandonner ces croyances. Acceptez cependant de lire la prose de ceux qui ont une autre vision de ces activités. Considérez leurs propositions et le soin qu’elles mettent à préserver ce à quoi vous tenez : la reconnaissance et la récompense de ceux qui contribuent à la création ; l’organisation des filières qui permettent à certaines formes d’œuvres d’exister ; l’accès de tous à la culture. Si au contraire vous pensez qu’à l’âge d’internet, la gestion collective ne sert plus à rien et qu’il suffit de laisser faire les échanges universels pour que les ressources nécessaires aux activités créatives se répartissent mieux qu’aujourd’hui, nous ne vous demandons pas de changer d’avis.Mais lisez avec soin ce qui suit, et demandez-vous si les solutions qui y sont esquissées ne garantissent pas ce qui est pour vous l’essentiel : le développement des activités propres à internet, leurs libertés constitutives, la coopération de tous à la production d’un objet commun. »

Le détail des propositions mentionnées ci-dessus est donc contenu dans ce livre. C’est assez technique parfois mais sortir de l’anathème pour changer de paradigme ne s’improvise pas !

Oui la situation actuelle est intenable et non démocratique et il convient d’en faire son deuil. Oui un mécanisme de financement mutualisé (une « licence globale » revue et corrigée pour ceux qui se souviennent de la tout aussi contestée loi DADVSI) est souhaitable et permettrait non seulement de libérer les échanges hors marché entre individus mais également d’avoir un impact positif sur l’économie générale de la création.

En voici le plan tel qu’il apparait dans l’introduction (p. 5-6) :

« L’introduction rappelle le contexte des débats actuels. Elle défend la nécessité d’envisager ensemble la liberté de certains types d’échanges sur internet et la mise en place d’une nouvelle source de financement et de rémunération de la création. Le deuxième chapitre discute des échanges hors marché entre individus sur internet, montre l’intérêt qu’il y aurait à les reconnaître comme légitimes et propose de les délimiter précisément. Le troisième chapitre discute de l’état des mécanismes de financement et de rémunération de la création. Il souligne la crise qu’ils traversent et défend l’intérêt de les compléter par une redevance payée par les usagers d’internet. Le quatrième chapitre compare différentes formes de financements mutualisés pouvant être envisagées. Sur la base de cette comparaison, il défend l’intérêt d’un mécanisme de licence accordant des droits d’usage aux individus. Le cinquième chapitre analyse les différents cadres juridiques applicables, des licences collectives étendues aux licences légales. Il analyse chacun des mécanismes du point de vue de leur compatibilité avec les traités internationaux et le droit européen. Le sixième chapitre discute les paramètres fondamentaux du mécanisme (œuvres incluses dans le mécanisme, droits et obligations des usagers, montant de la redevance, relation avec d’autres dispositifs). Le septième chapitre répond à certains arguments qui ont été avancés contre la libération des échanges hors marché entre individus sur internet ou contre la mise en place d’un financement mutualisé. Le huitième chapitre discute de la répartition du produit de la redevance entre médias, entre fonctions pour chaque média et entre contributeurs. Le neuvième chapitre analyse les modes d’observation des usages permettant une répartition juste des ressources collectées. Enfin, la conclusion esquisse quelques pistes pouvant conduire à l’introduction du mécanisme proposé. »

Merci à Philippe Aigrain pour ce document qui tombe à point nommé et apporte beaucoup au débat. Merci également d’avoir choisi l’éditeur InLibroVeritas et opté pour une licence Creative Commons (la by-nc-nd) permettant la mise à disposition dans son intégralité du format numérique du livre. Mais comme pour le projet Framabook nous vous invitons à acheter le livre (pour la modique somme de 10 €) pour soutenir la démarche et faire en sorte que de plus en plus de ressources de qualité suivent ce modèle original de diffusion.

Lire ce livre vous donnera peut-être comme moi l’étrange impression de faire partie de ces pionniers qui, à tâtons, avancent lentement mais sûrement dans le sens de l’Histoire. Une Histoire qui, nous le savons bien, a connu son lot de rendez-vous manqués. Ne prenons pas plus de retard et saisissons ici tout de suite l’occasion d’être à l’heure 😉

PS : Joli coup de projecteur, on pourra également lire l’article Internet : du piratage au partage que Libération consacre ce même jour à ce même livre en ne cachant pas sa sympathie pour les propositions contenues dans l’ouvrage !

Notes

[1] Crédit photo : Law Keven|http://flickr.com/photos/66164549@N00/2487291985/] (Creative Commons By-Sa)




Edvige, Hadopi, Paquet Télécom… se non è vero, è ben trovato !

Dreammaker182 - CC by-saFichier Edvige, Loi Hadopi, Paquet Télécom… Il y a une sorte de mail viral qui circule en ce moment sur le réseau français, certains allant même jusqu’à se demander si l’association « Parents pour la Société de l’Information et de la Communication » (PSICO) existe réellement (les mêmes en gros qui acceptent les valises virtuelles bourrées de dollars issues du Nigéria).

Je le recopie ici parce que comme disent mes amis italiens : « se non è vero, è ben trovato ! »

Il ne manquait plus que l’interdiction du logiciel libre comme cancer de la nouvelle économie marchande (permettant qui plus est de contourner les protections et les surveillances) et nous avions la totale 😉

Ce qui m’offre l’occasion de rappeler au passage l’existence de la Quadrature du Net, véritable balise éclairante pour moi (pour nous ?) sur tous ces sujets parfois complexes et techniques mais fondamentaux pour l’avenir de nos sociétés numériques c’est-à-dire, qu’on le veuille ou non, de nos sociétés tout court ![1].

Lettre ouverte au Président de la République Nicolas Sarkozy

Un communiqué de l’association « Parents pour la Société de l’Information et de la Communication » (PSICO)

Nous nous permettons de nous adresser à vous à la veille de l’adoption par le Parlement de la loi dite « Paquet Telecom » pour soutenir votre politique de la manière la plus vigoureuse.

Etant parents de jeunes consommateurs, nous faisons comme vous le constat que l’Internet devient une zone de non-droit et qu’il convient d’y mettre de l’ordre. Tout doit être mis en oeuvre afin que nos enfants respectent les oeuvres protégées par le droit d’auteur et ne nuisent en aucun cas aux intérêts des artistes, des industries culturelles, des opérateurs de télécommunications et des investisseurs qui sont la source même du progrès économique de notre pays.

Aussi nous soutenons les mesures promulguées par le projet de loi :

1 – Mise en place par les industriels et les opérateurs de télécommunication d’une police privée dotée de moyens de surveillance du réseau adaptés à la menace qu’ils subissent.

2 – Généralisation sur tous les ordinateurs personnels des citoyens français de logiciels d’écoute permettant à cette police de vérifier à distance la légalité des usages.

3 – Encouragement de la diffusion de dispositifs anti-copie sur tous les produits numériques et pénalisation de auteurs de logiciels qui pourraient permettre de les contourner.

4 – Rappel à l’ordre des contrevenants par un courriel d’avertissement suivi de mesures graduelles de répression par les agents de l’Etat.

5 – Pénalisation des auteurs de logiciels permettant éventuellement l’échange non sécurisé d’oeuvres soumises au droit d’auteur.

En tant que parents responsables, nous avons décidé de nous mobiliser, non seulement pour montrer à nos enfants le bienfondé de ces mesures, mais aussi pour faire tout ce qui est en notre pouvoir pour favoriser leur pleine et entière application. C’est pourquoi, notre association entend :

1 – Mettre en place une permanence téléphonique pour conseiller et venir en aide aux parents d’enfants contrevenants.

2 – Editer des manuels en ligne permettant aux parents de vérifier le bon fonctionnement des mesures de protection et d’écoute sur les ordinateurs de leurs enfants.

3 – Mobiliser nos enfants pour qu’ils fassent connaître les faits délictueux de leur camarades à notre cellule de recoupement de l’information.

4 – Transmettre les cas constatés aux services de l’Etat, en particulier au service du fichier Edvige pour les enfants de plus de 13 ans.

5 – Effectuer une veille citoyenne et un suivi sur l’application de la loi afin que, dans le respect de l’Egalité républicaine, tous les contrevenants subissent effectivement les conséquences de leurs actes délictueux.

Ainsi, nous Parents, unis avec les industriels de la culture et les services de l’Etat, nous réussirons ramener l’ordre sur le réseau et à éduquer nos enfants dans le respect de la Création, de la Culture, du Commerce et du Droit. Ainsi nous aurons contribué à ce que la Technologie reprenne la place qu’elle n’aurait jamais du quitter, celle du contrôle de l’application de nos valeurs fondamentales !

Soyez certain, Monsieur le Président de la République de notre soutien entier et inconditionnel.

Pour l’Association des Parents pour la Société de l’Information et de la Communication (PSICO), son Président, Adolf Bit-Torride

Notes

[1] Crédit photo : Dreammaker182 (Creative Commons By)




Pas si FACIL pour Microsoft au Québec

Arturo de Albornoz - CC by-saPlus de dix millions de dollars attribués sans appels d’offres à Microsoft par l’administration québécoise principalement pour cause de… passage à Vista de ses postes informatiques, c’était sans compter sur l’association FACIL qui à juste titre ne l’entend pas de cette oreille et a déclenché la procédure juridique.

Tout ceci est très bien expliqué dans cette dépêche de LinuxFr. Je me suis juste permis d’y ajouter ci-dessous le tout frais petit extrait du journal télévisé local de Radio-Canada (ne serait-ce que parce que c’est pas tous les jours qu’on peut voir notre manchot préféré apparaitre ainsi à l’écran à côté du présentateur).

Cette scandaleuse malheureuse histoire m’a fait penser aux recommandations du rapport Becta (il n’est pas conseillé de migrer vers Windows Vista, les coûts sont importants et les bénéfices incertains, idem pour MS Office 2007 qui n’est pas capable en l’état d’offrir une convaincante interopérabilité, etc.). Elles étaient certes destinées au secteur éducatif mais elles demeurent selon moi pertinentes pour l’administration publique dans son ensemble[1].

Quoiqu’il en soit nous soutenons sans réserve la FACIL dans son initiative, quand bien même je ne puis m’empêcher de penser aux administrations de tous les pays qui n’ont pas de FACIL pour leur ouvrir les yeux.

Ceci dit il faut également reconnaître qu’il n’est pas toujours évident pour le logiciel libre d’apparaitre dans ces fameux appels d’offres des marchés publics si il n’est pas soutenu par des structures (le plus souvent des sociétés de services) qui soient capables de bien communiquer dessus et de monter des projets solides qui donnent confiance aux décideurs pressés. Mais heureusement expérience, maturité et, comme ici, activisme citoyen font évoluer favorablement une situation qui ne pourra plus se permettre de l’oublier.

Dans le communiqué de presse, reproduit ci-dessous, on remarquera qu’ils prennent exemple sur la situation de l’administration française. C’est un honneur mais même chez nous il reste encore beaucoup à faire notamment dans l’éducation.

—> La vidéo au format webm

URL d’origine du communiqué de presse

Montréal, le 28 août 2008 – FACIL, association à but non lucratif, qui prône l’appropriation collective de l’informatique libre, dénonce les pratiques d’achats de logiciels nécessaires à l’administration publique sans appel d’offres de la part du Gouvernement du Québec. FACIL a déposé une requête en Cour supérieure du Québec pour faire cesser ces agissements car elle considère ces pratiques comme contraire au Règlement sur les contrats d’approvisionnement, de construction et de services des ministères et des organismes publics (R.Q. c. A-6.01, r.0.03) et à l’intérêt du Québec.

Au Québec, l’accès aux marchés publics est la règle alors que l’attribution de contrat sans appel d’offres est l’exception. En principe, un marché doit être ouvert à tous, de manière transparente et équitable. Les solutions et les propositions déposées doivent être évaluées objectivement à partir de critères reconnus et acceptés de tous. De plus, la loi impose que les marchés publics doivent favoriser le développement économique local et les technologies québécoises.

FACIL a constaté que des contrats d’achats de logiciels qui totalisent plus de 25 millions de dollars durant la période de février à juin 2008, ont été obtenus par de grandes multinationales par avis d’attribution sans passer par le processus normal d’appel d’offres. Ces achats se font au détriment de l’industrie du service en logiciel basée sur le logiciel libre au Québec et sont un obstacle au développement des entreprises québécoises dans le secteur des technologies de l’information. FACIL dénonce cette façon de procéder qu’elle considère intolérable, illégale et contraire à l’intérêt de la société québécoise.

Une politique rigoureuse et déterminée d’utilisation de logiciels libres dans les administrations publiques permettrait la création de très nombreux emplois durables, ainsi que des économies substantielles en licences de logiciels et inutiles mises à jour. Cependant, trop souvent l’administration québécoise refuse d’envisager et même d’évaluer l’option du logiciel libre.

Alors que la plupart des pays industrialisés ont débuté, depuis plusieurs années, la migration de leurs infrastructures technologiques en utilisant des logiciels libres, l’administration publique québécoise accuse déjà un retard prononcé. Parmi de nombreux exemples, en France, des centaines de milliers de postes de travail de fonctionnaires migrent vers des logiciels libres et, au Pays-Bas, l’administration publique, l’une des plus modernes du monde, a décidé d’interdire l’utilisation de logiciels propriétaires dans le secteur public.

Malgré de nombreuses initiatives, et devant le refus de dialogue et de concertation des responsables de l’administration publique, FACIL a décidé d’en appeler à la justice afin d’exiger que la loi sur les marchés publics soit respectée par le Gouvernement.

Notes

[1] Crédit photo : Arturo de Albornoz (Creative Commons By-Sa)




Plus qu’une simple histoire d’argent

L’un des gros challenges qui nous attend est le développement de la culture du don, qui nécessite souvent de quitter certaines habitudes héritées de la culture du gratuit (entretenues par une économie classique qui ne nous voit pas autrement qu’en simple consommateur).

Dans ce contexte cette petite histoire a peut-être valeur d’exemple pour ne pas dire de symbole. Quand l’excellent lecteur audio Amarok intègre l’excellent site musical Magnatune dans son logiciel, il le fait spontanément, parce qu’il pense que c’est un plus pour ses utilisateurs. Mais quand Magnatune s’aperçoit alors que ça leur apporte des visiteurs mais aussi des sous puisque ces visiteurs achètent des titres, alors il décide spontanément lui aussi de faire quelque chose en retour…

Une traduction LVI pour Framalang.

Copie d'écran - Magnatune

Donner de l’argent pour l’Open Source

Giving money to open source

John Buckman – 28 avril – Magnatune (blog)

Il y a un an et demi, l’excellent lecteur de musique sur GNU/Linux Amarok a ajouté un support étendu pour Magnatune. Le programmeur, Nikolaj Hald Nielsen, a fait cela de sa propre initiative, simplement parce qu’il trouvait que ce serait une chose élégante à inclure dans son lecteur de musique favori, et parce qu’il appréciait Magnatune et la philosophie derrière son business model.

J’aime vraiment Amarok, et je me suis alors engagé à offrir 10% du produit des ventes de Magnatune apportées par Amarok. J’étais aussi tellement content de la qualité du travail de Nikolaj, que je l’ai embauché, et maintenant il passe 50% de son temps pour Magnatune, et je le paie pour qu’il passe les 50% restant pour Amarok.

Je suis vraiment très heureux d’annoncer que les utilisateurs d’Amarok ont acheté une belle quantité de musique sur Magnatune. Ils peuvent écouter gratuitement la musique depuis Amarok, et les albums en streaming apparaissent dans Amarok comme si c’était de la musique en local, et ils peuvent facilement acheter la musique dans différents formats ouverts.

Jusqu’ici, Amarok a apporté 11 557 $ de ventes de musique sur Magnatune !

Ce matin, j’ai fait de bon coeur une donation de 1 155,70 $ à Amarok.

J’ai également fait la même offre à Rhythmbox, un autre bon lecteur de musique pour Linux, et je vais bientôt leur envoyer un don. Leur support intégré pour Magnatune est lui aussi excellent, et je l’ai personnellement utilisé pour écouter notre propre musique issue de Magnatune.

Rhythmnox est installé par défaut dans la toute récente et ultra-populaire Ubuntu 8.04.

Mark Shuttleworth, la force derrière Ubuntu, a récemment déclaré ceci :

« Je suis particulièrement ravi que nous supportions Magnatune, qui a imaginé un très bel avenir pour l’industrie de la musique, Le problème avec l’industrie de la musique n’est pas les musiciens ; ça n’est pas la musique ; et ce ne sont pas les téléchargements. Ce sont les compagnies de disques. Alors, avoir une compagnie de disques qui dise : Il y a une autre manière de travailler semble être quelque chose de positif que nous pouvons soutenir. Et ça, c’est super ! »

J’ai parlé au programmeur qui est derrière le support de Magnatune pour Rhythmbox, et il prévoit d’y ajouter un tas de fonctionnalités cet été. Cool !




Quand Eben Moglen nous explique le risque lié à l’accord Novell Microsoft

En novembre 2006, Novell et Microsoft signaient un accord qui fit couler beaucoup d’encre. Union libre pour Microsoft nous disait alors Libération dans la plus pure tradition de ses titres accrocheurs, avec le résumé suivant : Après avoir combattu les logiciels libres pendant des années, l’entreprise de Bill Gates pactise avec Linux.

Novell étant l’éditeur de la distribution Suse Linux, cet accord se déclinait principalement en trois volets : un volet technique (avec la création d’un centre de recherche conjoint), un volet commercial (promotion croisée entre les solutions serveurs Suse Linux de Novell et ceux Windows de Microsoft), et un volet juridique.

C’est ce dernier volet, qualifié par certains de pacte de non-agression, qui posa le plus problème à la communauté. Voici ce que l’on en dit sur le (drôle de) blog intitulé Porte25 : Open Source et Interopérabilité @ Microsoft :

Les entreprises utilisant SUSE Linux Enterprise Server sont à l’abri des conséquences judiciaires liées à l’utilisation de parties de code de Linux violant les droits de propriété intellectuelle de Microsoft : « Microsoft s’engage à ne pas faire valoir ses brevets auprès des clients ayant acheté Novell Suse Linux Enterprise ou d’autres produits de Novell. Qui a accepté de faire de même pour les clients ayant une version sous licence de Windows ou d’autres produits Microsoft ».

Dans ce contexte, il nous a semblé intéressant de vous proposer le point de vue, pour ne pas dire l’éclairage, d’Eben Moglen, l’un des plus célèbres juristes de la communauté, qui nous explique pourquoi cet accord fragilise voire menace l’écosystème du logiciel libre.

Un nouvel extrait vidéo d’une intervention donnée au Red Hat Summit 2007, dont nous avons traduit[1] la retranscription.

La vidéo au format Ogg

Eben Moglen – Red Hat Summit 2007

Veuillez m’excuser, je pensais que la question était suffisamment claire pour ne pas avoir à la répéter : « Puis-je expliquer la menace que fait planer l’accord Microsoft/Novell sur la liberté des logiciels sous GPL ? »

Je vais tâcher de m’exprimer en termes parlants, en commençant par ceci : Imaginez quelqu’un qui voudrait éliminer la liberté des logiciels libres ou du moins entraver ses développeurs de manière importante, de manière à leur ôter toute chance de rivaliser. Imaginez que ce quelqu’un possède des brevets dont la validité est douteuse, mais en grande quantité, et qu’il pourrait potentiellement utiliser pour effrayer les développeurs et les utilisateurs. Imaginez qu’une telle personne commence alors à régulièrement proférer des menaces, comme par exemple : « Hé, on a plein de brevets ! Peu importe combien, peu importe ce qu’ils protègent, peu importe leur qualité, on a plein de brevets et un jour ça va chauffer. N’utilisez pas ce logiciel. »

Imaginez que ce soit la stratégie qu’emploie la personne opposée à la liberté parce que ça vaut mieux que de faire des procès. Faire des procès coûte cher, c’est irréversible et ça peut amener à devoir expliquer de quels brevets on parle et pourquoi ils sont valables. Donc mieux vaut menacer que faire des procès, non ? Imaginez quelqu’un qui se lance dans des menaces chaque été, et ce depuis des années, un peu comme pour une tournée « Ayez très très peur », d’accord ? (NdT : « Be very afraid » tour)

Ça peut paraitre absurde, je sais.

Imaginez à présent que cette tournée annuelle « Ayez très très peur » commence à générer un retour de bâton, parce que certains, notamment les PDG des plus grandes banques et institutions financières, se rebiffent et déclarent : « Vous osez nous menacer, nous ? Nous, les plus influents, les plus riches et les plus puissants du capitalisme, nous qui déterminons la valeur de vos actions ? Vous feriez mieux de vous calmer. »

Voilà ce qui arrive quand on dit « Ayez très très peur » à ceux qui ont énormément argent, davantage encore de pouvoir, et qui contrôlent la valeur de vos actions : ils se rebiffent. Le modèle économique qui consiste à menacer d’attaquer quelqu’un en justice fonctionne si l’on s’en prend à des enfants de douze ans. Ça n’est guère efficace s’il s’agit des piliers du capitalisme financier. Par conséquent, en tant que personne engagée dans des tournées annuelles « Ayez très très peur », vous allez voir se mobiliser les clients d’entreprises qui vous rétorqueront « Vous osez nous menacer ? »

Que se passerait-il alors si l’on faisait en sorte qu’ils aient moins l’impression d’être ceux que l’on intimide ? Que se passerait-il si l’on pouvait leur donner une certaine tranquilité d’esprit — en engrangeant quelques profits au passage —, afin que les seuls qui tremblent encore après votre tournée annuelle « Ayez très très peur » soient les développeurs eux-mêmes ? On parviendrait alors à se faire bien voir, sans cesser d’agiter des brevets et de menacer de ruer dans les brancards.

Les accords pour la sûreté des brevets rend possible ce risque pour mes clients : la communauté des développeurs. Si les entreprises pensent pouvoir acheter le logiciel que mes clients produisent à un tiers qui leur assure la tranquillité vis à vis de l’adversaire en leur vendant une licence, alors les entreprises pourraient penser qu’elles ont obtenu une paix séparée et que, si un jour en ouvrant leur journal à la rubrique « Économie » elles voient « L’adversaire s’attaque aux logiciels libres », elles pourront se dire « C’est pas mon problème, j’ai acheté telle distribution et je ne crains rien. » Le problème que présente ces accords, c’est qu’ils cherchent à isoler les clients d’entreprises, qui pourraient mettre un terme aux menaces en insistant sur leurs droits, des développeurs qui, au fond, sont les plus menacés.

Il faudrait donc conseiller à ces gens de ne pas s’accorder une paix séparée aux dépends de la communauté. De ne pas essayer de mettre ses clients à l’abri si cela revient à éliminer les affluents d’où proviennent vos biens. Nous fonctionnons comme un écosystème. Si l’on sape les défenses de la communauté, on sape tout l’écosystème, et agir ainsi pour le bien de vos clients au détriment de vos fournisseurs n’est pas une bonne manière de faire du business. Tel est le problème fondamental créé par de tels accords.

Notes

[1] Merci à Olivier, Yostral et Don Rico pour la traduction commune estampillée Framalang quality label.




La startup à but non lucratif est-elle un oxymore ?

Un court et récent billet de Tristan Nitot intitulé Serve your users well: be a non-profit a récemment retenu mon attention.

L’auteur, Paul Graham (qui n’est pas un inconnu sur le Framablog), constate, avec une sorte de fausse candeur, que faire le bien comme pourrait le faire une association à but non lucratif apporte de nombreux avantages à une startup, comme par exemple celui de devenir à terme rentable.

Je ne suis pas forcément en phase avec l’auteur mais je pense que de nombreux arguments sont matière à débat, surtout si on garde à l’esprit la spécificité de l‘écosystème des logiciels libres dont de nombreux (gros) projets sont à mi-chemin entre le monde de l’entreprise (telle qu’il est décrit ici) et l’association à but non lucratif.

Remarques : Nous avons ajouté des liens vers les sites référencés car ils ne parlent pas forcément à un public francophone. Nous avons également choisi de traduire[1] littéralement le titre en Soyez bon même si cela a parfois une petite connotation péjorative chez nous. Titres alternatifs : Soyez charitable, Soyez généreux, Soyez altruiste, Faites le bien

Copie d'écran - Paul Graham - Be Good

Soyez Bon

Be Good

Paul Graham – Avril 2008

(Cet article est issu d’une présentation à la conférence Startup School 2008)

Environ un mois après avoir lancé notre société Y Combinator, nous avons trouvé la formule qui est devenue notre slogan : « Faites quelque chose que les gens veulent. » Nous avons depuis beaucoup appris, mais si je devais de nouveau en choisir un, je garderai le même.

Un autre conseil que nous donnons aux créateurs d’entreprise est de ne pas trop se préoccuper du business model, en tout cas pas au début. Non pas parce que gagner de l’argent n’est pas important, mais parce que c’est beaucoup plus facile que de bâtir un projet ambitieux.

Il y a quelques semaines, je me suis rendu compte que si l’on assemble les deux idées, on obtient un résultat surprenant. Faites quelque chose que les gens désirent. Ne vous préoccupez pas trop de faire de l’argent. Ce qu’on obtient alors correspond à la description d’une œuvre de bienfaisance.

Lorsqu’on obtient un résultat inattendu comme celui-ci, il s’agit soit d’un bug, soit d’une nouvelle découverte. Aucune entreprise commerciale n’est censée agir comme une œuvre de bienfaisance, et nous avons prouvé grâce à un raisonnement par l’absurde que l’un des énoncés desquels nous sommes partis – ou les deux – est faux. Ou alors nous tenons une nouvelle idée.

Il s’agit à mon sens de la deuxième solution, car dès que ces pensées me sont apparues, tout un tas d’autres choses s’est mis en place.

Quelques exemples

Prenons par exemple Craigslist. Il ne s’agit pas d’une œuvre de bienfaisance, mais le site fonctionne comme s’il en s’agissait d’une. Et ses dirigeants réussissent étonnamment bien. Lorsque vous parcourez la liste des sites Web les plus populaires, il semble y avoir une erreur d’impression dans le nombre d’employés à Craigslist. Leurs revenus ne sont pas aussi élevés que ce qu’ils pourraient être, mais beaucoup de startups seraient heureuses d’échanger leur place avec eux.

Dans les romans de Patrick O’Brian, ses capitaines essaient toujours d’être sous le vent de leurs adversaires. Si vous êtes sous le vent, c’est vous qui décidez quand attaquer l’autre navire. Craigslist est réellement sous le vent de revenus énormes. Ils feraient face à un certain nombre de défis s’ils voulaient en engranger davantage, mais pas ceux que l’on affronte lorsqu’on louvoie sous le vent, en essayant d’obliger des utilisateurs hésitants à utiliser un mauvais produit, en dépensant dix fois plus dans le marketing que dans le développement.[2]

Mon propos n’est pas que les startups doivent toutes viser à finir comme Craigslist, qui est le produit de circonstances inhabituelles. Mais ce site est un bon modèle pour les premières étapes.

À ses débuts, Google ressemblait fort à une œuvre de bienfaisance. Ils n’ont pas affiché de pubs pendant plus d’un an. À l’an 1, on ne pouvait différencier Google d’un organisme à but non lucratif. Si un tel organisme ou une organisation gouvernementale avait commencé un projet pour indexer le Web, Google à l’an 1 constituerait la limite de ce qu’ils auraient produit.

À l’époque où je travaillais sur les filtres anti-spam, je trouvais bonne l’idée de proposer un client e-mail en ligne pourvu d’un filtrage des spams efficace. Je ne le concevais pas comme une entreprise à part entière. Je voulais protéger les internautes du spam. Mais à mesure que je réfléchissais à ce projet, je me suis rendu compte qu’il faudrait probablement que ce soit une entreprise. Un tel projet coûterait de l’argent, et il aurait été difficile de le financer avec des subventions et des dons.

Ce fut une prise de conscience surprenante. Les entreprises affirment souvent œuvrer pour le bien commun, mais je m’étonnai de constater que certains projets visant uniquement à ce bien commun devaient pour fonctionner se présenter sous la forme d’une entreprise.

Ne voulant pas monter une nouvelle entreprise, je ne l’ai pas fait. Mais si quelqu’un l’avait fait, il serait sans doute assez riche, à l’heure qu’il est. Pendant une période d’environ deux ans, le spam a augmenté rapidement alors que tous les grands services de mail n’offraient que des filtres de piètre efficacité. Si quelqu’un avait lancé un nouveau service de mail sans spam, les utilisateurs se seraient rués dessus.

Voyez-vous le schéma qui se profile ici ? Quelle que soit la direction d’où l’on vient, on arrive au même point. Si l’on part de startups qui ont du succès, on se rend compte qu’elles agissent souvent comme des associations à but non lucratif. Et si l’on part d’idées pour des associations à but non lucratif, on constate qu’elles font souvent de bonnes startups.

Le pouvoir

Quel est la taille de ce domaine ? Toutes les associations à but non lucratif feraient-elles de bonnes entreprises ? Pas forcément. Ce qui rend Google si précieux, c’est que ses utilisateurs ont de l’argent. Si l’on se fait apprécier de ceux qui ont de l’argent, on pourra probablement en récolter un peu. Mais une startup peut-elle réussir en se basant sur le principe d’agir comme une association à but non lucratif, pour des personnes qui n’ont pas d’argent ? Peut-on par exemple développer une startup à partir d’un remède contre une maladie qui ne fait pas les gros titres mais qui reste mortelle, comme la malaria ?

Je n’en suis pas sûr, mais à mon sens, si l’on creuse cette idée, il est surprenant de constater jusqu’où l’on peut pousser le raisonnement. Par exemple, ceux qui postulent auprès de Y Combinator n’ont généralement pas beaucoup d’argent, et pourtant l’on peut tirer bénéfice à les aider, parce qu’avec de l’aide, elles pourront peut-être gagner de l’argent. La situation est peut-être similaire dans le cas de la malaria. Une organisation qui aiderait un pays à se débarrasser de ce fardeau pourrait bénéficier de la croissance qui en résulterait.

Il ne s’agit pas là d’une suggestion sérieuse. Je ne connais rien à la malaria, mais je manipule les idées depuis assez longtemps pour savoir reconnaître celles qui ont un puissant potentiel.

Une bonne façon de découvrir jusqu’où peut aller une idée est de se demander à partir de quelle cote parieriez-vous contre. Envisager de parier contre la bienveillance est effarant de la même façon qu’affirmer qu’un projet est techniquement impossible. Cela revient à chercher à se couvrir de ridicule, car nous sommes en présence de forces d’une puissance exceptionnelle.[3]

Par exemple, je pensais au départ que ce principe ne s’appliquait peut-être qu’aux startups Internet. À l’évidence, cela a fonctionné pour Google, mais qu’en est-il de Microsoft ? Microsoft n’est certainement pas dans une démarche bienveillante. Mais à leurs débuts, c’était le cas. Comparé à IBM, ils ressemblaient à Robin des Bois. Lorsque IBM a lancé le PC, ils pensaient qu’ils allaient gagner de l’argent en vendant du matériel à prix élevé. Mais en obtenant le contrôle du standard PC, Microsoft a ouvert le marché à n’importe quel fabricant. Les prix du matériel se sont effondrés, et beaucoup de personnes qui sans cela n’auraient pu s’en offrir, ont voulu acquérir un ordinateur. Voilà le genre de changements que l’on attend de Google.

Microsoft n’est plus dans une telle démarche. À présent, lorsque l’on pense à la façon dont Microsoft traite ses utilisateurs, seules viennent à l’esprit des verbes d’un registre assez vulgaire. [4] Et cela ne semble plus payer. Le prix de leurs actions stagnent depuis des années. Lorsqu’ils étaient encore des Robin des Bois, le prix de leurs actions montait en flèche comme celles de Google. Pourrait-il y avoir un lien ?

Il est aisé d’en voir un. Lorsqu’on est une petite startup, on ne peut brutaliser ses clients, et il faut donc les séduire. Mais quand on est une grosse entreprise, on peut les maltraiter à volonté, et l’on ne s’en prive pas, car c’est plus facile que de les satisfaire. On se développe en étant bon, mais pour rester gros il ne faut pas être tendre.

On s’en tire à bon compte jusqu’à ce que l’environnement change, et alors toutes les victimes s’échappent. Donc, inventer le précepte "Ne fais pas le mal" (NdT : Don’t be evil) est la meilleure chose que Paul Buchheit ait accompli pour Google, car il pourrait se révéler un élixir de jouvence pour l’entreprise. Je suis sûr qu’il s’agit pour eux d’une contrainte, mais cela pourrait leur sauver la mise en leur évitant de sombrer dans la paresse fatale qui a affligé Microsoft et IBM.

Ce qui est curieux, c’est que cet élixir est disponible gratuitement pour n’importe quelle autre entreprise. N’importe qui peut adopter "Ne fais pas le mal." Le problème, c’est qu’il faut s’y tenir. Alors ce n’est pas demain la veille qu’on verra les maisons de disques ou les fabricants de tabac souscrire à ce nouveau précepte.

Le Moral

Il y a beaucoup de preuves extérieures que la bienveillance fonctionne. Mais comme cela fonctionne-t-il ? Un des avantages d’investir dans de nombreuses startups est le fait que vous obtenez beaucoup de données sur la façon dont elles fonctionnent. De ce que nous avons vu, être bon semble aider les startups de trois façons : cela améliore leur moral, cela donne envie à d’autres personnes de les aider, et avant tout, cela les aide à prendre des décisions.

Le moral est extrêmement important pour une startup, si important que le moral seul est presque suffisant pour déterminer le succès. Les startups sont souvent décrites comme des montagnes russes émotionnelles. Une minute, vous êtes sur le point de dominer le monde, l’instant suivant vous êtes condamné. Le problème avec le sentiment d’être condamné n’est pas uniquement que cela vous rend malheureux, cela vous amène aussi à arrêter de travailler. Les descentes de la montagne russe sont donc davantage une prophétie auto-réalisatrice que les montées. Si sentir que vous allez réussir vous fait travailler davantage, cela augmente probablement vos chances de réussir, mais si sentir que vous allez échouer vous fait arrêter de travailler, cela vous garantit quasiment d’échouer.

C’est ici que la bienveillance entre en scène. Si vous sentez que vous aidez réellement les gens, vous allez continuer de travailler, même s’il semble que votre startup soit condamnée. La plupart d’entre nous avons une certaine quantité de bienveillance naturelle. Le simple fait que des personnes aient besoin de vous, vous donne envie de les aider. Donc, si vous démarrez le type de startup où les utilisateurs reviennent chaque jour, vous vous êtes en gros construit un tamagotchi géant. Vous avez créé quelque chose dont vous devez prendre soin.

Blogger est un exemple célèbre de startup qui a traversé des bas vraiment bas et qui a survécu. A un moment, ils sont tombés à court d’argent,et tout le monde est parti. Evan Williams est revenu travailler le lendemain, et il n’y avait plus personne sauf lui. Qu’est-ce qui l’a fait continué ? En partie le fait que les utilisateurs avaient besoin de lui. Il hébergeait les blogs de milliers de personnes. Il ne pouvait tout simplement pas laisser le site mourir.

Il y a beaucoup d’avantages à démarrer rapidement, mais le plus important est peut-être que lorsque vous avez des utilisateurs, l’effet tamagotchi fait son effet. Une fois que vous avez des utilisateurs dont vous devez en prendre soin, vous êtes obligé de découvrir ce qui pourrait les rendre heureux, ce sont vraiment des informations très précieuses.

La confiance supplémentaire qui vient du fait d’essayer d’aider les gens peut également vous aider avec les investisseurs. L’un des fondateurs de Chatterous m’a dit récemment que lui et son co-fondateur avaient décidé que ce service était quelque chose dont le monde avait besoin, ils continueraient donc à travailler dessus peu importe les problèmes, même s’ils devaient retourner au Canada et vivre dans le sous-sol de leurs parents.

Une fois qu’ils eurent réalisé cela, ils ont arrêté de trop s’inquiéter de ce que les investisseurs pensaient d’eux. Ils continuèrent à les rencontrer, mais ils n’allaient pas mourir s’ils n’obtenaient pas leur argent. Et vous savez quoi ? Les investisseurs sont devenus beaucoup plus intéressés. Ils pouvaient sentir que les Chatterous allaient faire cette startup, avec ou sans eux.

Si vous êtes réellement motivé et que votre startup ne coûte pas cher à faire tourner, vous serez très difficile à tuer. Et pratiquement toutes les startups, même celles qui ont le mieux réussi, se sont approchées de la mort à un moment. Donc, si faire le bien fait de vous un missionnaire, cela vous rendra plus difficile à tuer, cela seul fera plus que compenser tout ce que vous pourriez avoir perdu en ne choisissant pas un projet plus égoïste.

L’aide

Une autre avantage de faire le bien est que cela donne envie aux gens de vous aider. Cela aussi semble être un trait inné des êtres humains.

L’une des startups que nous avons financées, Octopart, est en ce moment bloquée dans une bataille classique du bien contre le mal. Il s’agit d’un site pour rechercher des composants industriels. Beaucoup de personnes ont besoin de chercher des composants, et avant Octopart, il n’existait pas de bon moyen pour faire cela. Il s’est avéré que ce n’était pas une coïncidence.

Octopart a créé la bonne façon de chercher des composants. Les utilisateurs aiment cela, et ils ont augmenté rapidement. Et pourtant, durant la plus grande partie de la vie de Octopart, le plus gros distributeur, Digi-Key, a essayé de les forcer à retirer les prix de leur site. Octopart leur envoie des clients gratuitement, et pourtant Digi-Key essaie d’arrêter cette venue. Pourquoi ? Parce que leur business model actuel se base sur le fait de faire sur-payer les gens qui ont des informations incomplètes sur les prix. Ils ne veulent pas que les recherches fonctionnent.

Les gens d’Octopart sont les gars les plus sympas du monde. Ils ont laissé tomber leur doctorat en physique à Berkeley pour faire cela. Ils voulaient juste régler un problème qu’ils ont rencontré durant leurs recherches. Imaginez le temps que vous pourriez faire gagner aux ingénieurs du monde entier s’ils pouvaient faire des recherche en ligne. C’est pourquoi lorsque j’ai entendu qu’une grande méchante entreprise essayait de les arrêter pour pouvoir continuer à ne pas avoir ce genre de recherches, cela m’a réellement donné envie de les aider. Cela m’a fait investir plus de temps dans Octopart que dans la plupart des startups que nous avons financées. Cela m’a justement poussé à vous parler d’eux pendant plusieurs minutes pour vous dire à quel point ils sont biens. Pourquoi ? Parce que ce sont des gars biens, et qu’ils essaient d’aider le monde.

Si vous êtes bienveillant, les gens se rallieront à vous: des investisseurs, des clients, d’autres entreprises, et des employés potentiels. Sur le long terme, les employés potentiels sont peut-être le plus important. Je pense que tout le monde sait que les bons hackers sont bien meilleurs que ceux qui sont moyens. Si vous arrivez à attirer les meilleurs hackers et à les faire travailler pour vous, vous avez un avantage important. Et les hackers les plus brillants ont tendance à être idéaliste. Ils ne recherchent pas un travail à n’importe quel prix. Ils peuvent travailler où ils veulent. La plupart veulent donc travailler sur des choses qui rendent le monde meilleur.

La boussole

Mais l’avantage le plus important à être bon est que cela agit comme une boussole. Un des aspects les plus difficiles lorsque l’on démarre une startup est que vous devez faire beaucoup de choix. Vous devez n’en choisir que deux ou trois, alors qu’il y a des milliers de choses que vous pourriez faire. Comment pouvez vous trancher ?

Voici la réponse: faites ce qui est le mieux pour vos utilisateurs. Vous pouvez vous y accrocher comme à une corde dans un ouragan, et si quelque chose peut vous sauver, ce sera cela. Suivez ce principe, et il vous permettra de traverser tout ce à quoi vous aurez à faire face.

C’est même la réponse à des questions qui semblent sans lien, comme la façon de convaincre des investisseurs de vous donner de l’argent. Si vous êtes un bon vendeur, vous pouvez simplement essayer de les baratiner. Mais la route la plus sûre est de les convaincre grâce à vos utilisateurs: si vous faites quelque chose que les utilisateurs aiment suffisamment pour en parler à leurs amis, vous grandirez de façon exponentielle, et cela convaincra n’importe quel investisseur.

Etre bon est une stratégie particulièrement utile pour prendre des décisions dans des situations complexes, parce qu’elle ne défend aucune chapelle. C’est comme dire la vérité. Le problème avec le mensonge est que vous devez vous rappeler tout ce que vous avez dit dans le passé pour être sûr de ne pas vous contredire. Si vous dites la vérité, vous n’avez pas à tout vous rappeler, et c’est un aspect vraiment utile dans des domaines où les choses arrivent très rapidement.

Par exemple, Y Combinator a investi à l’heure actuelle dans 80 startups, 57 sont encore en vie. (Les autres sont mortes, ou ont fusionné, ou ont été rachetées.) Lorsque vous essayez de conseiller 57 startups, il s’avère que vous devez avoir un algorithme sans esprit partisan. Vous ne pouvez pas avoir de motifs cachés lorsque vous avez 57 choses qui avancent en même temps, car vous ne pouvez pas vous souvenir de toutes. Notre règle est donc de faire ce qui est le mieux pour les créateurs des startups. Non parce que nous sommes spécialement bienveillants, mais parce que c’est le seul algorithme qui fonctionne à cette échelle.

Lorsque vous écrivez quelque chose préconisant aux gens d’être bon, vous donnez l’impression de prétendre que vous êtes bons vous-mêmes. Je veux donc dire explicitement que je ne suis pas spécialement une bonne personne. Quand j’étais enfant, j’étais clairement du côté des méchants. A la façon dont les adultes utilisaient le mot ‘bon’, cela me semblait synonyme de calme, j’ai donc grandi en étant très méfiant vis-à-vis de la bonté.

Vous savez qu’il y a certaines personnes dont le nom apparaît dans une conversation et tout le monde dit "C’est vraiment un gars épatant" ? Les gens ne disent jamais cela de moi. Le mieux que j’ai eu a été "Il a de bonnes intentions". Je n’affirme pas que je suis bon. Au mieux, être bon est pour moins une seconde langue.

Je ne vous conseille donc pas d’être bon dans le sens moralisateur habituel. Je vous suggère cela parce que cela fonctionne. Cela ne fonctionnera pas uniquement comme une déclaration de valeurs, mais également comme un fil directeur pour la stratégie, et même pour définir les spécifications pour un logiciel. Ne vous contentez pas de ne pas faire le mal. Soyez bon.

Notes

[1] Traduction : Penguin – Relecture : Daria – Validation : Don Rico.

[2] Il y a 50 ans, il aurait semblé choquant pour une entreprise publique de ne pas payer de dividendes. A l’heure actuelle, beaucoup de compagnies de technologie ne le font pas. Les marchés semblent avoir compris comment valoriser des dividendes potentiels. Peut-être qu’il s’agit de la dernière étape dans cette évolution. Peut-être que les marchés vont finalement être à l’aise avec les gains potentiels. (le capital-risque l’a déjà compris, au moins certains gagnent systématiquement de l’argent.). Je me rends compte que cela ressemble aux trucs qu’on avait l’habitude d’entendre à propos de la nouvelle économie durant la bulle Internet. Croyez-moi, je n’ai jamais vraiment adhéré à ces idées à cette époque. Mais je suis convaincu qu’il y avait quelques bonnes idées enterrées dans les raisonnements de l’époque de la bulle Internet. Par exemple, il est correct de se concentrer sur la croissance plutôt que sur les profits, mais uniquement si la croissance est véritable.Vous ne pouvez pas acheter les utilisateurs; cela ressemble à de la vente pyramidale. Mais une entreprise avec une croissance rapide et véritable a de la valeur, et au bout du compte, les marchés apprennent à apprécier les choses qui ont de la valeur.

[3] L’idée de démarrer une entreprise avec des buts bienveillants est actuellement sous-évaluée, parce que à l’heure actuelle le type de personnes qui font cela de manière explicite ne font en général pas un bon boulot.C’est l’une des carrières classiques des trustafarians que de démarrer une affaire vaguement bienveillante. (NdT : tel un rebelle du dimanche, un trustafarian est un terme péjoratif pour les jeunes gens de la classe supérieure adoptant un pseudo-mode de vie hippie) Le problème avec la plupart d’entre eux est que soit ils ont une mauvaise feuille de route, soit ils sont mal réalisés. Les ancêtres des trustafarians ne sont pas devenus riche en préservant leur culture traditionnelle; peut-être que les gens en Bolivie ne le veulent pas non plus. Et démarrer une ferme bio, même si cela est véridiquement bienveillant, cela n’aide pas les gens à la même échelle que ce que fait Google. La plupart des projets explicitement bienveillants ne sont pas suffisamment responsables. Ils agissent comme si le fait d’avoir de bonnes intentions suffisait à garantir de bons résultats.

[4] Les utilisateurs détestent tellement leur nouveau système d’exploitation qu’ils ont lancé des pétitions pour sauver l’ancien système. Et l’ancien n’avait rien de spécial. Les hackers travaillant chez Microsoft doivent savoir au fond de leur cœur que si l’entreprise se préoccupait réellement des utilisateurs, ils leur auraient conseiller de passer à OSX.