Google et le gouvernement des États-Unis main dans la main selon Julian Assange

Qu’il est loin le temps où Google se résumait à deux étudiants dans leur garage…

Julian Assange nous expose ici les accointances fortes entre Google et le gouvernement des États-Unis, ce qui devrait faire réflechir quiconque utilise leurs services.

NSA

Google et la NSA : Qui tient le « bâton merdeux » désormais ?

Google and the NSA: Who’s holding the ‘shit-bag’ now?

Julian Assange – 24 août 2013 – The Stringer
(Traduction : gaetanm, GregR, LeCoyote, Peekmo, MalaLuna, FF255, La goule de Tentate, fbparis + anonymes)

On nous a révélé, grâce à Edward Snowden, que Google et d’autres sociétés technologiques étatsuniennes ont reçu des millions de dollars de la NSA pour leur participation au programme de surveillance de masse PRISM.

Mais quel est au juste le degré de connivence entre Google et la sécuritocratie américaine ? En 2011 j’ai rencontré Eric Schmidt, alors président exécutif de Google, qui était venu me rendre visite avec trois autres personnes alors que j’étais en résidence surveillée. On aurait pu supposer que cette visite était une indication que les grands pontes de Google étaient secrètement de notre côté, qu’ils soutenaient ce pour quoi nous nous battons chez Wikileaks : la justice, la transparence du gouvernement, et le respect de la vie privée. Mais il s’est avèré que cette supposition est infondée. Leur motivation était bien plus complexe et, comme nous l’avons découvert, intimement liée à celle du département d’État des États-Unis (NdT : l’équivalent du ministère des Affaires étrangères, que nous appellerons DoS par la suite pour Department of State). La transcription complète de notre rencontre est disponible en ligne sur le site de Wikileaks.

Le prétexte de leur visite était que Schmidt faisait alors des recherches pour un nouveau livre, un ouvrage banal qui depuis a été publié sous le titre The New Digital Age. Ma critique pour le moins glaciale de ce livre a été publiée dans le New York Times fin mai de cette année. En quatrième de couverture figure une liste de soutiens antérieure à la publication : Henry Kissinger, Bill Clinton, Madeleine Albright, Michael Hayden (ancien directeur de la CIA et de la NSA) et Tony Blair. Henry Kissinger apparaît aussi dans le livre, recevant une place de choix dans la liste des remerciements.

L’objectif du livre n’est pas de communiquer avec le public. Schmidt pèse 6.1 milliards de dollars et n’a pas besoin de vendre des livres. Ce livre est plutôt un moyen de se vendre auprès du pouvoir. Il montre à Washington que Google peut être son collaborateur, son visionnaire géopolitique, qui l’aidera à défendre les intérêts des USA. Et en s’alliant ainsi à l’État américain, Google consolide sa position, aux dépens de ses concurrents.

Deux mois après ma rencontre avec Eric Schmidt, WikiLeaks avait des documents en sa possession et un motif juridique valable de contacter Hillary Clinton. Il est intéressant de noter que si vous appelez le standard du DoS et que vous demandez Hillary Clinton, vous pouvez en fait vous en rapprocher d’assez près, et nous sommes devenus plutôt bons à ce petit jeu-là. Quiconque a vu Docteur Folamour se souviendra peut-être de la scène fantastique où Peter Sellers appelle la Maison Blanche depuis une cabine téléphonique de la base militaire et se trouve mis en attente alors que son appel gravit progressivement les échelons. Eh bien une collaboratrice de WikiLeaks, Sarah Harrison, se faisant passer pour mon assistante personnelle, m’a mis en relation avec le DoS, et comme Peter Sellers, nous avons commencé à franchir les différents niveaux pour finalement atteindre le conseiller juridique senior de Hillary Clinton qui nous a dit qu’on nous rappellerait.

Peu après, l’un des membres de notre équipe, Joseph Farrell, se fit rappeler non pas par le DoS, mais par Lisa Shields, alors petite amie d’Eric Schmidt, et qui ne travaille pas officiellement pour le DoS. Résumons donc la situation : la petite amie du président de Google servait de contact officieux de Hillary Clinton. C’est éloquent. Cela montre qu’à ce niveau de la société américaine, comme dans d’autres formes de gouvernement oligarchique, c’est un jeu de chaises musicales.

Cette visite de Google pendant ma période de résidence surveillée se révéla être en fait, comme on le comprit plus tard, une visite officieuse du DoS. Attardons-nous sur les personnes qui accompagnaient Schmidt ce jour-là : sa petite amie Lisa Shields, vice-présidente à la communication du CFR (Council on Foreign Relations) ; Scott Malcolmson, ancien conseiller sénior du DoS ; et Jared Cohen, conseiller de Hillary Clinton et de Condoleezza Rice (ministre du DoS sous le gouvernement Bush fils), sorte de Henry Kissinger de la génération Y.

Google a démarré comme un élément de la culture étudiante californienne dans la région de la baie de San Francisco. Mais en grandissant Google a découvert le grand méchant monde. Il a découvert les obstacles à son expansion que sont les réseaux politiques et les réglementations étrangères. Il a donc commencé à faire ce que font toutes les grosses méchantes sociétés américaines, de Coca Cola à Northrop Grumann. Il a commencé à se reposer lourdement sur le soutien du DoS, et, ce faisant il est entré dans le système de Washington DC. Une étude publiée récemment montre que Google dépense maintenant plus d’argent que Lockheed Martin pour payer les lobbyistes à Washington.

Jared Cohen est le co-auteur du livre d’Eric Schmidt, et son rôle en tant que lien entre Google et le DoS en dit long sur comment le « besoin intense de sécurité » des États-Unis fonctionne. Cohen travaillait directement pour le DoS et était un conseiller proche de Condolezza Rice et Hillary Clinton. Mais depuis 2010, il est le directeur de Google Ideas, son think tank interne.

Des documents publiés l’an dernier par WikiLeaks obtenus en sous-main via le sous-traitant US en renseignement Stratfor montrent qu’en 2011, Jared Cohen, alors déjà directeur de Google Ideas, partait en mission secrète en Azerbaïdjan à la frontière iranienne. Dans ces courriels internes, Fred Burton, vice-président au renseignement chez Stratfor et ancien officiel senior au DoS, décrivait Google ainsi :

« Google reçoit le soutien et la couverture médiatique de la présidence et du DoS. En réalité ils font ce que la CIA ne peut pas faire… Cohen va finir par se faire attraper ou tuer. Pour être franc, ça serait peut-être la meilleure chose qui puisse arriver pour exposer le rôle caché de Google dans l’organisation des soulèvements. Le gouvernement US peut ensuite nier toute implication et Google se retrouve à assumer le bordel tout seul. »

Dans une autre communication interne, Burton identifie par la suite ses sources sur les activités de Cohen comme étant Marty Lev, directeur de sécurité chez Google, et… Eric Schmidt.

Les câbles de WikiLeaks révèlent également que, Cohen, quand il travaillait pour le Département d’État, était en Afghanistan à essayer de convaincre les quatre principales compagnies de téléphonie mobile afghane de déplacer leurs antennes à l’intérieur des bases militaires américaines. Au Liban il a secrètement travaillé, pour le compte du DoS, à un laboratoire d’idées chiite qui soit anti-Hezbollah. Et à Londres ? Il a offert des fonds à des responsables de l’industrie cinématographique de Bollywood pour insérer du contenu anti-extrémistes dans leurs films en promettant de les introduire dans les réseaux de Hollywood. C’est ça le président de Google Ideas. Cohen est effectivement de fait le directeur de Google pour le changement de régime. Il est le bras armée du Département d’État encadrant la Silicon Valley.

Que Google reçoive de l’argent de la NSA en échange de la remise de données personnelles n’est pas une surprise. Google a rencontré le grand méchant monde et il en fait désormais partie.

Crédit photo : NSA (Domaine Public – Wikimedia Commons)




Six outils pour faire vivre les biens communs, par Pablo Servigne

Nous reproduisons ici un article paru initialement dans la revue du projet (belge) Barricade, avec l’aimable autorisation de son auteur (« bien sûr, tu peux reprendre l’article, c’est de l’éducation populaire, on reçoit des subventions pour écrire cela, et plus il y a de diffusion mieux c’est »).

Parce que le logiciel libre fait partie des biens communs. Parce que ces outils sont autant d’obstacles à lever pour une plus grande participation de tous.

Remarque : Pour une lecture plus confortable de l’article, vous pouvez lire et/ou télécharger sa version PDF jointe en bas de page.

Eneas - CC by

Six outils pour faire vivre les biens communs

URL d’origine du document

Pablo Servigne – 30 mai 2013 – Barricade 2013

Le concept de bien commun a l’air évident : est commun ce qui appartient à tous. Mais en réalité, il est loin d’être simple car il heurte nos plus profondes convictions. Qu’est-ce qu’« appartenir » ? Qui est « tous » ? Finalement qu’est-ce que le « commun » ? Voici les moyens de franchir six obstacles mentaux à l’entrée dans l’univers des biens communs.

Le concept de bien commun a pris une place importante dans le champ médiatique depuis l’attribution en 2009 du prix (de la Banque royale de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred) Nobel à la politologue étatsunienne Elinor Ostrom[1].

Cette dernière a produit une œuvre scientifique immense démontrant magistralement que de nombreux biens communs (des ressources naturelles et des ressources culturelles) peuvent être bien gérées localement par des communautés très diverses qui se fabriquent des normes ad hoc pour éviter l’effondrement de leurs ressources (autrement appelé « la tragédie des biens communs »).

Ostrom montre qu’il n’y a pas de recette toute faite, mais qu’il y a bien des principes de base récurrents[2]. C’est une véritable théorie de l’auto-organisation. Elle montre surtout que la voie de la privatisation totale des ressources gérées par le marché ne fonctionne pas et, plus gênant, elle montre que les cas où la ressource est gérée par une institution centralisée unique (souvent l’Etat) mène aussi à des désastres. Cela ne veut pas dire que le marché ou l’Etat n’ont pas de rôle à jouer dans les biens communs.

Elle invite à se rendre compte des limites de ces deux approches, et à plonger dans le cas par cas, le local, les conflits, les aspérités du terrain, et l’insondable complexité des institutions et des comportements humains (par opposition aux équations et aux théories). Ce qu’il faut à tout prix éviter, c’est le simplisme, la solution unique et le prêt-à-penser.

Tentons d’entrer dans la matière à reculons. L’idée de faire une liste d’obstacles est venue bien tard, suite à de nombreuses discussions, ateliers, débats et conférences. Lâcher le terme de bien commun dans une salle fait l’effet d’une petite bombe… qui explose différemment dans la tête de chaque personne. On se retrouve systématiquement avec un débat en kaléidoscope où la seule manière de démêler les incompréhensions est d’aller voir au plus profond de nos croyances et de nos imaginaires politiques.

On se situe donc bien sur le terrain de l’imaginaire, ou de l’épistémè[3] dirait le philosophe, avec toute la subjectivité que cela implique. J’ai recensé six « obstacles » que je trouve récurrents et importants, mais ils ne sont pas classés suivant un quelconque ordre et sont loin d’être exhaustifs. Le travail d’investigation pourrait aisément continuer.

Obstacle 1 : on ne les voit pas

Comment se battre pour quelque chose dont on ignore l’existence ? L’économie dans laquelle nous avons été éduqués est celle de la rareté. Tout ce qui est rare a de la valeur. On apprend donc à prendre soin de ces ressources rares et on se désintéresse de tout ce qui est abondant. L’abondance est une évidence, puis disparaît de notre champ de vision.

On ne voit plus l’air que l’on respire. On ne voit (presque) plus l’eau, puisqu’elle tombe du ciel abondamment. On ne voit plus le silence car personne n’en parle. On ne voit plus les langues, les chiffres, les fêtes traditionnelles, le jazz, la possibilité d’observer un paysage, la sécurité, la confiance, la biodiversité ou même internet. Nous n’avons pas été éduqués à les voir, et encore moins à les « gérer ».

Les trois affluents des biens communs

Les trois affluents du fleuve des biens communs. Illustration d’après Peter Barnes[4]

Tout l’enjeu du mouvement des biens communs est donc d’abord de les rendre visibles ; de leur donner, non pas un prix, mais de la valeur à nos yeux. Montrer leur utilité, leur existence, leur fragilité et surtout notre dépendance à leur égard. Rendre visible implique d’avoir aussi un langage commun, savoir désigner les choses.

La question de la définition des biens communs est bien évidemment cruciale, mais elle passe d’abord par un tour d’horizon des cas concrets, et par un émerveillement. Les communs pourraient être une fête permanente. C’est une première étape à faire ensemble, avant toute discussion théorique.

Obstacle 2 : le marché tout puissant

Bien sûr, certaines ressources abondantes deviennent rares. On pense aux poissons, à certaines forêts, à l’air pur, à des animaux ou des plantes, à l’eau propre… On utilise alors deux types d’outils pour les « sauver » : le droit et l’économie. En général, la main gauche utilise les lois et la protection juridique, alors que la main droite leur colle un prix, les fait marchandises et utilise volontiers le marché pour réguler les stocks et les flux. Ce sont les mains gauche et droite d’une doctrine de philosophie politique appelée libéralisme et dans laquelle nous baignons depuis plus de deux siècles.

Le problème est que la main droite a pris le pouvoir durant ces dernières décennies et impose ses méthodes. La vague néolibérale des années 80 n’a pas fini de privatiser tous les domaines de la société et de la vie. Cette attaque frontale aux biens communs se passe généralement de manière silencieuse à cause justement de leur invisibilité. Sauf dans certains cas trop scandaleux (l’eau en Bolivie, les gènes dans les laboratoires pharmaceutiques, etc.) où une partie de l’opinion publique réagit ponctuellement (on pense à toutes les luttes autour de l’AMI[5] menées entre autres par l’association ATTAC dans les années 2000).

L’idéologie du marché débridé est corrosive pour les biens communs. Malheureusement, elle est bien implantée dans l’imaginaire collectif de nos sociétés, et en particulier dans la tête des élites financière, politique et médiatique, qui imposent leurs méthodes au reste du monde et contribuent à maintenir invisible les biens communs… jusqu’à ce qu’ils soient privatisés et rentables pour l’actionnaire !

Obstacle 3 : le réflexe de l’Etat

Face à cette colonisation massive et inexorable, les personnes indignées se tournent le plus souvent vers la figure de l’Etat. Un Etat protecteur et régulateur, garant de la chose publique (la res publica). Publique ? Mais ne parlait-on pas de commun ?

C’est bien là le problème. Car le public est différent du commun. La chose publique appartient et/ou est gérée par l’Etat : c’est le cas de la sécurité sociale, des infrastructures routières, de l’école, du système de santé, etc. Mais réfléchissez bien : l’Etat gère-t-il l’air, la mer, le climat, le silence, la musique, la confiance, les langues ou la biodiversité ? Oui et non. Il essaie parfois de manière partielle, tant bien que mal, face aux assauts des biens privés. Mais selon le nouveau courant de pensée des biens communs, il n’a pas vraiment vocation à le faire. En tout cas pas tout seul.

Il y a plus de 1500 ans, déjà, le Codex Justinianum de l’Empire romain proposait quatre types de propriété : « Les res nullius sont les objets sans propriétaire, dont tout le monde peut donc user à volonté. Les res privatae, par contre, réunissent les choses dont des individus ou des familles se trouvent en possession. Par le terme res publicae, on désigne toutes les choses érigées par l’Etat pour un usage public, comme les rues ou les bâtiments officiels. Les res communes comprennent les choses de la nature qui appartiennent en commun à tout le monde, comme l’air, les cours d’eau et la mer. »[6] Ainsi classées, les choses prennent une toute autre tournure !

Le problème vient du fait que les pratiques de gestion des biens communs ont disparu au fil des siècles (par un phénomène appelé les enclosures[7]) et que ce vide tente d’être comblé tant bien que mal par la seule institution qui nous reste et que nous considérons comme légitime, l’Etat.

Or, non seulement il est totalement inefficace dans certains cas (le climat par exemple), mais comme l’a observé Elinor Ostrom, une organisation centralisatrice et hiérarchique est loin d’être le meilleur outil pour gérer des systèmes complexes (ce que sont les biens communs), et il peut faire beaucoup de dégâts.

De plus, à notre époque, les Etats entretiennent des rapports de soumission aux marchés. « Dans bien des cas, les véritables ennemis des biens communs sont justement ces Etats qui devraient en être les gardiens fidèles. Ainsi l’expropriation des biens communs en faveur des intérêts privés — des multinationales, par exemple — est-elle souvent le fait de gouvernements placés dans une dépendance croissante (et donc en position de faiblesse) à l’égard des entreprises qui leur dictent des politiques de privatisation, de consommation du territoire et d’exploitation. Les situations grecque et irlandaise sont de ce point de vue particulièrement emblématiques. »[8]

Nous aurons bien sûr toujours besoin de l’instrument public, il n’est nullement question de l’ignorer ou de le remplacer, mais de l’utiliser pour enrichir les biens communs et leur gestion communautaire. L’enjeu est de recréer ces espaces et ces collectifs propices à la gestion des communs, et de construire des interactions bénéfiques entre commun et public. L’Etat comme garant du bien public et comme pépinière des biens communs.

Une vision en trois pôles est définitivement née : privé, public, commun.

Obstacle 4 : la peur du goulag

Bien plus facile à expliquer, mais bien plus tenace, il y a cette tendance chez beaucoup de personnes à considérer toute tentative d’organisation collective comme une pente (forcément glissante) vers le communisme, puis le goulag. Dans les discussions, il arrive que l’on passe rapidement un point Godwin « de gauche »[9].

L’imaginaire de la guerre froide est encore tenace, et le communisme a mauvaise réputation (à juste titre d’ailleurs). Mais il est abusivement assimilé à l’unique expérience soviétique. Or, l’important est de se rendre compte, comme invite à le faire Noam Chomsky, que l’expérience soviétique a été la plus grande entreprise de destruction du socialisme de l’histoire humaine[10]. Ça libère ! Penser et gérer les communs n’est pas synonyme de goulag, bien au contraire.

Obstacle 5 : « l’être humain est par nature égoïste »

Il est une autre croyance bien tenace et profondément ancrée dans nos esprits, celle d’un être humain naturellement égoïste et agressif. Cette croyance s’est répandue après les interminables guerres de religions que l’Europe a subie au Moyen-Age.

Las de ces conflits, les philosophes politiques de l’époque (dont Hobbes) ont alors inventé un cadre politique à l’éthique minimale qui pourrait servir à organiser les sociétés humaines. Un cadre le plus neutre possible qui permette de cohabiter sans s’entre-tuer : le libéralisme était né.

Cette doctrine s’est donc constituée sur cette double croyance que seul l’Etat pouvait nous permettre de sortir collectivement de notre état de bestialité agressive, baveuse et sanglante ; et que seul le marché (neutre et protégé par l’Etat) pouvait nous permettre de satisfaire les besoins de tous en favorisant nos instincts naturellement égoïstes[11].

Nous savons aujourd’hui que ces croyances ne sont pas basées sur des faits. L’être humain possède bien évidemment des instincts égoïstes, mais également coopératifs, voire altruistes. Il développe très tôt dans l’enfance et tout au long de sa vie des capacités à coopérer avec des inconnu-es, à faire confiance spontanément, à aider au péril de sa vie, à favoriser les comportements égalitaires, à rejeter les injustices, à punir les tricheurs, à récompenser les coopérateurs, etc.

Tous ces comportements ont été découverts par des expériences et des observations simultanément dans les champs de l’économie, la psychologie, la sociologie, la biologie, l’éthologie, l’anthropologie, et les sciences politiques.

En économie, par exemple, presque tous les modèles sont basés sur l’hypothèse d’un humain calculateur, égoïste et rationnel, l’Homo oeconomicus. Or, sur le terrain, les recherches anthropologiques se sont avérées infructueuses : il n’existe pas. Les peuples, partout dans le monde, coopèrent bien plus que ne le prédisent les modèles économiques. Les faits et les observations accumulées depuis plusieurs décennies sont peu connues mais incontestables[12].

Nous avons désormais les moyens de savoir que l’humain est l’espèce la plus coopérative du monde vivant, mais … disposons-nous des moyens d’y croire ? Ce sera pourtant la condition nécessaire (mais pas suffisante) à la construction d’une nouvelle épistémè favorable à l’auto-organisation, la création et la préservation des biens communs.

Obstacle 6 : se reposer sur les institutions

Il est inutile d’insister sur le fait que l’école ne nous enseigne pas à cultiver l’esprit démocratique et nous maintient dans une état d’inculture politique grave. L’école n’est pas la seule fautive, presque toutes les institutions publiques et privées que nous côtoyons tout au long de notre vie ne stimulent guère notre imagination politique.

En fait, quand il s’agit de s’organiser, nous avons tendance à nous reposer sur des institutions déjà en place (gouvernement, lois, cours de justice, commissariat de police, etc.) dont les règles sont (presque) incontournables. Ces institutions existent en tant qu’entités indépendantes de nous-mêmes, elles nous surplombent et imposent des normes sociales difficilement discutables par le citoyen lambda, et dont seule une minorité tente de les faire évoluer.

La facilité incite à « se laisser vivre » passivement sous leur tutelle, sans trop les discuter, en étant certains qu’elles nous survivront. Nous avons pris l’habitude de nous reposer sur les institutions existantes, à les considérer comme stables et acquises d’avance.

Pour les biens communs, c’est précisément l’inverse. Il nous faudra sortir de cette facilité. Leur gestion est une affaire d’effort démocratique et de citoyens émancipés et actifs. Les biens communs sont des pratiques qui naissent de la confrontation d’une communauté avec des problèmes locaux et particuliers.

Les « parties prenantes » (les différents acteurs concernés) doivent se forger eux-mêmes des normes (récompenses, quotas, sanctions, etc.) dans un processus créatif et sans cesse renouvelé. La gestion des biens communs ne se décrète pas, elle se pratique. Ce n’est pas un statut, c’est un processus dynamique.

Si les acteurs arrêtent de « pratiquer leur bien commun », alors il s’éteint, car il n’y a pas (ou peu) d’institution qui le soutienne. Les anglais ont inventé un verbe pour cela, commoning. C’est en marchant que le bien commun se crée, il suffit de s’arrêter pour qu’il disparaisse. Cela nécessite un engagement et un devoir constant.

Mais comme disait Thucydide[13], « il faut choisir : se reposer ou être libre ».

Pour aller plus loin
  • Elinor Ostrom, Gouvernance des biens communs. Pour une nouvelle approche des ressources naturelles, Etopia/DeBoeck, 2010.
    • Un livre-clé mais assez difficile d’accès, très touffu et à la prose scientifique. De plus, il date de 1990, et depuis, Ostrom a écrit de nombreux livres et articles, non encore traduits en français. Indispensable… pour curieux motivés.
  • Silke Helfrich, Rainer Kuhlen, Wolfgang Sachs et Christian Siefkes. Biens communs – La prospérité par le partage. Rapport de la Fondation Heinrich Böll, 2009. Disponible gratuitement ici.
    • Cette brochure, pédagogique et originale, est une très bonne introduction aux biens communs. Bien plus digeste que le livre d’Ostrom. Vivement recommandée !
  • Collectif. Les biens communs, comment (co)gérer ce qui est à tous ? Actes du colloque Etopia du 9 mars 2012, Bruxelles. Disponible en pdf.
    • Tour d’horizon rapide et complet (mais pas ennuyeux) de la galaxie des biens communs. A lire d’urgence car il est complémentaire du rapport de la fondation Heinrich Böll.

Crédit photo : Eneas (Creative Commons By)

Notes

[1] Pour aller plus loin : L’entretien d’Alice Le Roy avec Elinor Ostrom, prix de la Banque royale de Suède en 2009 pour son travail sur les biens communs.

[2] Pour une introduction à l’oeuvre d’Elinor Ostrom, lire l’article « La gouvernance des biens communs », Barricade, 2010. Disponible sur www.barricade.be

[3] Ensemble des connaissances scientifiques, du savoir d’une époque et ses présupposés.

[4] Silke Helfrich, Rainer Kuhlen, Wolfgang Sachs et Christian Siefkes. Biens communs – La prospérité par le partage. Rapport de la Fondation Heinrich Böll, 2009.

[5] Accord Multilatéral sur les Investissements. L’AMI est un accord économique international négocié dans le plus grand secret à partir de 1995 sous l’égide de l’OCDE. Il donnait beaucoup de pouvoir aux multinationales (contre les Etats) et ouvrait le champ de la privatisation de tous les domaines du vivant et de la culture. Suite aux protestations mondiales, l’AMI fut abandonné en octobre 1998.

[6] Silke Helfrich et al., ibidem.

[7] Enclosures (anglicisme) fait référence à l’action de cloisonner un espace commun par des barrières ou des haies. Le terme fait surtout référence à un vaste mouvement qui a eu lieu en Grande-Bretagne au début de l’ère industrielle, imposé par le gouvernement pour mettre fin à la gestion communautaire des biens communs naturels (forêts, pâtures, etc.) au bénéfice de grands propriétaires terriens privés. Cela s’est fait par la violence et a permis l’essor de l’agriculture industrielle capitaliste.

[8] Ugo Mattei, “Rendre inaliénables les biens communs”, Le Monde Diplomatique, décembre 2011.

[9] Normalement, le point Godwin est l’instant d’une conversation où les esprits sont assez échauffés pour qu’une référence au nazisme intervienne (Wiktionnaire, mai 2013). Dans notre cas, la référence au goulag joue le même rôle.

[10] Noam Chomsky. The Soviet Union Versus Socialism. Our Generation, Spring/Summer, 1986. Disponible

[11] Pour une histoire critique du libéralisme, voir les formidables livres de Jean-Claude Michéa. En particulier Impasse Adam Smith. Brèves remarques sur l’impossibilité de dépasser le capitalisme sur sa gauche, Climats, 2002. Réédition Champs-Flammarion, 2006 ; L’Empire du moindre mal : essai sur la civilisation libérale, Climats, 2007. Réédition Champs-Flammarion, 2010 ; et La double pensée. Retour sur la question libérale, Champs-Flammarion, 2008.

[12] Nous n’avons pas la place de le montrer ici, et il manque encore un ouvrage qui en fasse la synthèse. Cependant, le lecteur curieux pourra trouver quelques réponses dans Frans De Waal. L’Age de l’empathie. Leçons de nature pour une société plus solidaire (Les liens qui libèrent, 2010). Ou encore Jacques Lecomte. La bonté humaine. Altruisme, empathie, générosité (Odile Jacob, 2012).

[13] Homme politique grec qui vécut au IVième siècle av. J.-C.




Comment le Bitcoin peut faire tomber les États-Unis d’Amérique

Un peu d’économie sur le Framablog aujourd’hui, avec le pirate Rick Falkvinge qui voit dans la monnaie Bitcoin une alternative à la fictive toute-puissance du dollar.

Zcopley - CC by-sa

Comment le Bitcoin peut faire tomber les États-Unis d’Amérique

How Bitcoin can bring down the United States of America

Rick Falkvinge – 4 juin 2013 – Site personnel
(Traduction : Slystone, nhrx, letchesco, Asta, Gatitac, rou + anonymes)

Le Bitcoin représente une menace importante pour la domination monétaire des États-Unis, la seule chose qui conforte encore leur statut de superpuissance mondiale. Suite aux défauts de paiement des États-Unis sur leurs emprunts internationaux le 15 août 1971, la balance commerciale américaine avait été maintenue grâce aux menaces militaires et en incitant les gens à acheter des dollars pour financer la consommation permanente des États-Unis. Alors que d’autres devises n’ont pas réussi à dépasser le dollar américain, et donc ce mécanisme qui maintient la dominance économique de la nation, le Bitcoin pourrait bien y parvenir.

Pour comprendre ce scénario, il faut saisir à quel point les États-Unis sont en faillite. Pour certaines raisons, la plupart des feux de l’actualité sont actuellement braqués sur l’échec de l’Euro ; ceci probablement à cause du fait que le dollar américain a échoué depuis longtemps, et qu’il est maintenu sous perfusion en faisant éclater non sans mal une bulle spéculative par jour. Une version ELI5 est disponible ici (NdT : ELI5 : « explain it like I’m five », expliquez-le-moi comme si j’avais 5 ans), mais en un mot, les États-Unis sont en défaut de remboursement de leurs emprunts internationaux suite à la guerre du Viêtnam, et depuis ont dû emprunter de plus en plus pour financer leur consommation extravagante. Depuis bien longtemps ils empruntent toujours plus, pour simplement rembourser les intérets des emprunts antérieurs. L’an dernier, le déficit du budget des États-Unis a atteint le niveau astronomique de 50 % — pour chaque dollar de recette, deux ont été dépensés. Étrangement, peu de monde en parle — j’imagine que si c’était le cas, la capacité des États-Unis à rembourser leurs emprunts serait remise en question, ce qui provoquerait l’écroulement du château de cartes comme si une tonne de briques était déversée dessus, alors personne n’a intêret à faire des vagues. Après tout, tout le monde est assis sur des réserves de dollars qui deviendraient sans valeur du jour au lendemain si ceci devait arriver.

Les États-Unis ont relancé leurs planches à billets le 15 août 1971 et ne les ont pas arrêtées depuis. Rien que pour l’année 2011, 16 mille milliards (un 16 suivi de douze zéros) de dollars ont été imprimés pour maintenir l’économie américaine. Pour se faire une idée, c’est un peu plus que le produit intérieur brut des États-Unis. Pour chaque dollar produit à partir de la valeur (ajoutée), un dollar supplémentaire a été imprimé à partir de rien, dans l’espoir que quelqu’un voudrait bien l’acheter. Et les gens l’achètent ! C’est un fait, il y a ici un mécanisme clé qui force les gens à continuer à acheter des dollars américains.

Les États-Unis sont maintenus en vie en tant que nation par le fait que si quelqu’un souhaite acheter des produits à une autre nation comme la Chine, il doit d’abord acheter des dollars américains puis les échanger contre la marchandise qu’il désire en Chine. Cela conduit tous les pays à acheter des tas de dollars américains pour remplir leurs réserves monétaires.

Le fait que les gens soient obligés de continuer d’acheter des dollars américains pour obtenir ce qu’ils veulent de n’importe qui d’autre dans le monde est le mécanisme qui maintient l’ensemble de l’économie américaine et, plus important encore, alimente son armée qui applique à son tour ce mécanisme (voir en Irak, Libye, Iran, etc.). C’est un cycle de domination économique imposé par la force.

(À noter que l’on peut se demander dans quelle mesure la classe moyenne américaine profite encore de ce système. Il y a dix ans, cette boucle auto-alimentée faisait que le niveau de vie moyen aux États-Unis était sensiblement supérieur à celui du reste du monde occidental. De nos jours, les États-Unis arrivent souvent derniers des indicateurs de niveau de vie.)

Puisque les articles sur « la fin du monde » sont d’habitude rejetés comme relevant d’illuminés conspirationnistes, je voulais commencer cet article en présentant des faits économiques reconnus. Les États-Unis sont en faillite et la seule béquille pour les maintenir debout est leur armée, ainsi que le fait que tout le monde a de lourds investissements dans le pays, si bien que personne ne veut les voir faire faillite. Donc les emprunts et les dépenses excessives continuent une journée de plus… jusqu’à ce que cela ne soit plus possible.

Que se passerait-il si les États-Unis étaient un jour incapables de poursuivre leurs dépenses démesurées ? On assisterait à un crash gigantesque de l’économie mondiale, mais plus important, les États-Unis s’effondreraient à la mode soviétique, mais plus gravement encore, en raison de différences structurelles. (Pour comprendre ces différences, réfléchissez au fait que les transports publics ont continué de fonctionner pendant l’effondrement soviétique et que la plupart des familles étaient déjà bien préparées pour faire face à la pénurie de nourriture. Aux États-Unis vous verriez à la place des gens isolés dans des banlieues sans carburant, sans nourriture ni médicaments, avec seulement plein d’armes et de munitions. Consultez l’étude d’Orlov sur l’écart entre les effondrements et le retard d’effondrement pour plus d’informations sur cette différence structurelle).

Arrivent les Bitcoins, qui peuvent briser le cercle vicieux des emprunts et des dépenses excessives.

Comme nous l’avons vu, la raison pour laquelle les gens sont obligés d’acheter du dollar américain, c’est qu’il est la base du système d’échange de valeur. Si vous voulez un gadget fabriqué en Chine ou en Inde, vous devez d’abord acheter des dollars américains, pour ensuite échanger ces dollars contre le gadget. Mais nous l’avons observé, le Bitcoin dépasse de loin le dollar sous tous ses aspects en tant que gage de valeur pour le commerce international. Utiliser des Bitcoins c’est moins cher, plus facile et bien plus rapide que les actuels transferts de valeur internationaux.

Pratiquement toutes les personnes impliquées dans le commerce international à qui j’ai parlé passeraient à un système semblable à Bitcoin si elles en avaient la possibilité, évacuant des années de frustrations héritées du système bancaire actuel (qui utilise le dollar américain). Si cela arrivait, les États-Unis ne seraient plus en mesure de trouver des acheteurs pour leurs dollars fraîchement imprimés qui maintiennent leur économie (et financent leur armée).

Si ce cycle de monopole et dépendance commerciale du dollar prend fin, les États-Unis d’Amérique s’écrouleront. Lourdement. Cela semble inévitable désormais, et le Bitcoin est peut-être le système qui rompra ce cycle.

Crédit photo : Zcopley (Creative Commons By-Sa)




Quand l’industrie culturelle US veut attaquer les « pirates » à l’artillerie lourde !

Une nouvelle traduction de Cory Doctorow

L’industrie américaine du divertissement au Congrès : autorisez-nous légalement à déployer des rootkits, des mouchards, des logiciels rançonneurs et des chevaux de Troie pour attaquer les pirates !

US entertainment industry to Congress: make it legal for us to deploy rootkits, spyware, ransomware and trojans to attack pirates!

Cory Doctorow – 26 mai 2013 – BoingBoing.net
(Traduction : Mowee, ehsavoie, audionuma, Asta)

La « Commission sur le Vol de la Propriété Intellectuelle Américaine », qui porte bien comiquement son nom, a finalement rendu son rapport de 84 pages complètement folles. Mais dans toute cette folie, il y a une part qui l’est encore plus que le reste : une proposition pour légaliser l’usage des logiciels malveillants afin de punir les personnes soupçonnées de copies illégales. Le rapport propose en effet que ce logiciel soit chargé sur les ordinateurs et qu’il détermine si vous êtes un pirate ou non. S’il soupçonne que c’est le cas, il verrouillera votre ordinateur et prendra toutes vos données en otage jusqu’à ce que vous appeliez la police pour confesser vos crimes. C’est ce mécanisme qu’utilisent les escrocs lorsqu’ils déploient des logiciels rançonneurs (NdT : ransomware).

Voilà une preuve supplémentaire que les stratégies en terme de réseau des défenseurs du copyright sont les mêmes que celles utilisées par les dictateurs et les criminels. En 2011, la MPAA (Motion Picture Association of America) a dit au Congrès qu’ils souhaitaient l’adoption de la loi SOPA (Stop Online Piracy Act). Selon eux, cela ne pouvait que fonctionner vu que la même tactique est utilisée par les gouvernements en « Chine, Iran, Émirats Arabes Unis, Arménie, Éthiopie, Arabie Saoudite, Yémen, Bahreïn, Birmanie, Syrie, Turkménistan, Ouzbékistan et Vietnam. » Ils exigent désormais du Congrès que soit légalisé un outil d’extorsion inventé par le crime organisé.

De plus, un logiciel peut être écrit de manière à ce que seuls des utilisateurs autorisés puissent ouvrir des fichiers contenant des informations intéressantes. Si une personne non autorisée accède à l’information, un ensemble d’actions peuvent alors être mises en œuvre. Par exemple, le fichier pourrait être rendu inaccessible et l’ordinateur de la personne non autorisée verrouillé, avec des instructions indiquant comment prendre contact avec les autorités pour obtenir le mot de passe permettant le déverrouillage du compte. Ces mesures ne violent pas les lois existantes sur l’usage d’Internet, elles servent cependant à atténuer les attaques et à stabiliser un cyber-incident, pour fournir à la fois du temps et des preuves, afin que les autorités puissent être impliquées.

De mieux en mieux :

Alors que la loi américaine interdit actuellement ces pratiques, il y a de plus en plus de demandes pour la création d’un environnement légal de défense des systèmes d’informations beaucoup plus permissif. Cela permettrait aux entreprises de non seulement stabiliser la situation, mais aussi de prendre des mesures radicales, comme retrouver par elles-mêmes les informations volées pouvant aller jusqu’à altérer voire détruire ces dernières dans un réseau dans lequel elles n’ont pourtant aucun droit. Certaines mesures envisagées vont encore plus loin : photographier le hacker avec sa propre webcam, infecter son réseau en y implantant un logiciel malveillant ou même désactiver voire détériorer physiquement le matériel utilisé pour commettre les infractions (comme son ordinateur).

Source : La Commission sur le Vol de la Propriété Intellectuelle Américaine recommande les malwares !




Éducation : priorité au logiciel libre ou respect de la « neutralité technologique » ?

On commence à connaître la chanson et elle est emblématique de l’époque actuelle : le privé qui s’alarme et demande au public de le soutenir sur le dos des biens communs.

Ici nous sommes dans le secteur sensible de l’éducation et pour refuser la priorité aux logiciels libres on est prêt à tout, comme sortir du chapeau la notion pour le moins vague et floue de « neutralité technologique » (sans oublier le FUD sur l’innovation, la croissance, la destruction d’emplois, toussa…)

Le Sénat a en effet examiné cette semaine le projet de loi sur la refondation de l’école de la République. Parmi les dispositions introduites par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, on trouve une modification apportée à l’article 101 qui donne la priorité au logiciel libre et aux formats ouverts dans le futur service public du numérique éducatif.

Pour ceux (comme l’April ou l’Aful) qui se battent depuis des années, voire des décennies, pour qu’il en soit ainsi, c’est déjà un grand pas en avant.

Un pas en avant clairement non partagé par le Syntec Numérique et l’AFINEF (Association Française des Industriels du Numérique dans l’Education et la Formation) qui ont publié dans la foulée un communiqué de presse que nous avons reproduit ci-dessous.

Dans la mesure où les communiqués de l’April, de l’Aful et du Syntec ne proposent pas d’espace de discussion sous article, nous invitons toutes celles et ceux que le sujet intéresse à intervenir dans les commentaires.

PS : Rappelons à l’occasion l’article de Richard Stallman : Pourquoi les écoles devraient utiliser le logiciel libre et l’enseigner.

Sashomasho - CC by-sa

Numérique éducatif et pédagogique : les professionnels du numérique interpellent le Gouvernement sur le respect de la neutralité technologique

CP du Syntec Numérique et l’AFINEF (22 mai 2013)

URL d’origine du document

Syntec Numérique et l’AFINEF interpellent le Gouvernement sur la mention favorisant de manière prioritaire l’utilisation de logiciels libres pour le service public du numérique éducatif, dans le projet de loi en débat ce mercredi 22 mai au Sénat sur la Refondation de l’Ecole de la République. Syntec Numérique, le syndicat professionnel des industries et métiers du numérique, et l’Association Française des Industriels de l’Education et de la Formation (AFINEF) interpellent le Gouvernement sur les dispositions modifiées du Projet de Loi de Refondation de l’Ecole de la République issues du travail en commission au Sénat, donnant la priorité à l’utilisation de logiciels libres pour le service public du numérique éducatif.

Malgré un avis défavorable du Gouvernement en commission, la rédaction retenue à l’alinéa 7 de l’article 10, « Ce service public utilise en priorité des logiciels libres et des formats ouverts de documents », porte atteinte au principe de neutralité technologique qui est la règle notamment pour la commande et l’achat publics.

Par ailleurs, le rapport annexé à la Loi à l’article 1er, définissant les moyens et les orientations de la refondation de l’école de la République mentionne que « L’incitation au développement de ressources numériques se fera notamment en faveur de contenus et de services numériques dits « libres » ».

Les professionnels du numérique regrettent que ces deux dispositions contredisent la circulaire du premier ministre du 19 septembre 2012 sur les modalités de l’utilisation des logiciels libres dans l’administration tout en portant atteinte au pluralisme des ressources informatiques.

En effet, au moment où le Gouvernement engage une politique d’aide à la création d’une filière d’acteurs français du numérique éducatif et pédagogique, ces dispositions, si elles sont définitivement adoptées, handicaperont gravement les efforts de développement de la plupart des entreprises déjà présentes sur cette filière qui n’a pas encore trouvé sa consolidation et dissuaderont de nouveaux acteurs innovants de s’y engager.

Pour les acteurs du numérique, le pluralisme et la neutralité technologique, adossés à l’interopérabilité, sont les conditions sine qua none afin de s’engager dans le développement des produits et supports technologiques pour répondre à l’enjeu essentiel de la modernisation du service public éducatif et à l’accompagnement des enseignants dans leur investissement pédagogique.

Ils souhaitent par ailleurs alerter les pouvoirs publics sur les conséquences que ces dispositions auraient sur la lisibilité de l’offre e-éducative française à l’international, notamment en direction de continents où le pluralisme et la neutralité technologique conditionnent la pénétration des marchés.

Ils soulignent enfin que ces dispositions évidement inconstitutionnelles, augmenteront le risque de recours contentieux entre les opérateurs privés du secteur et les administrations. En effet, ces dispositions rentrent en contradiction avec les principes d’égalité de traitement et de liberté d’accès à la commande publique, rappelés à l’article 1er du Code des marchés publics et qui ont acquis valeur constitutionnelle (Cons. Const. 26 juin 2003) : « Les marchés publics et les accords-cadres soumis au présent code respectent les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Ces principes permettent d’assurer l’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics. Ces obligations sont mises en œuvre conformément aux règles fixées par le présent code ».

Force est de constater que ces dispositions vont en effet à l’encontre du principe de neutralité du droit des marchés publics, qui ne permet aucunement de favoriser des opérateurs économiques au détriment d’autres. Au contraire, les règles de la commande publique ont pour objet de permettre au pouvoir adjudicateur de sélectionner l’offre économiquement la plus avantageuse, correspondant à ses besoins, après une mise en concurrence. Ainsi, écarter la fourniture de certaines solutions, en imposant un type de logiciels, violerait les principes fondamentaux de la commande publique consacrés tant au niveau français qu’européen et jamais démentis.

Syntec Numérique et l’AFINEV en appellent ainsi à la sagesse de la Haute Assemblée et au respect de la feuille de route numérique du Gouvernement, afin de soutenir une filière qui a besoin d’être stimulée par un environnement législatif et juridique stable, et non par des mesures discriminatoires infondées, pour donner la mesure de tout son potentiel, en termes d’innovation, de croissance et de création d’emplois.

Crédit photo : Sashomasho (Creative Commons By-Sa)




J’ai violé ma propre vie privée et je la vends moi-même sur Internet !

Federico Zannier est un étudiant d’origine italienne vivant à New York. Il a décidé de collecter toutes ses données personnelles et de les vendre sur le site de crowdfunding KickStarter !

Si Facebook ou Google se font de l’argent sur notre compte sans que cela ne me rapporte rien, pourquoi ne pas vendre directement sa vie privée aux entreprises intéressées ?

Une initiative pour le moins originale, à mi-chemin entre la performance artistique conceptuelle et l’acte politique qui vise à faire prendre conscience de la situation.

A bite of Me - Federico Zannier

A bite of Me

A bite of Me

Federico Zannier – Mai 2013 – KickStarter
(Traduction : P3ter, Axl, lgodard, Tuxmax + anonymes)

J’ai collecté automatiquement les données me concernant. J’ai violé ma vie privée. Maintenant je vends le tout. Mais combien cela vaut-il ?

Je passe des heures chaque jour à surfer sur Internet. Pendant ce temps, des compagnies comme Facebook et Google utilisent mes informations de navigation (les sites internet que je visite, les amis que j’ai, les vidéos que je regarde) pour leur propre bénéfice.

En 2012, les revenus de la publicité aux États-Unis étaient aux alentours des 30 milliards de dollars. La même année, je tirais exactement 0$ des mes propres données. Et si je traçais tout moi-même ? Pourrais-je tirer quelques dollars en retour ?

J’ai commencé à regarder les conditions générales des sites web que j’utilise souvent. Dans leurs politiques de confidentialité, j’ai trouvé des phrases telles que « Vous accordez une autorisation mondiale, non-exclusive, gratuite pour l’utilisation, la copie, la reproduction, le traitement, l’adaptation, la modification, la publication, la transmission, l’affichage et la distribution de ce contenu dans tout media et suivant toute méthode de distribution (connue à ce jour ou développée ultérieurement). » J’ai tout simplement accepté de donner un droit à vie, international, re-licenciable d’utiliser mes données personnelles.

Quelqu’un m’a dit que nous vivons dans l’âge des données, que l’âge du silicium est déjà terminé. « Dans cette nouvelle économie », ont-ils dit, « les données c’est le pétrole ».

Bien, voilà ce que je peux y faire.

Depuis février, j’ai enregistré toutes mes activités en ligne (les pages que j’ai visitées, la position du pointeur de la souris, des captures d’écran de ce que je regardais, des clichés webcam de moi regardant l’écran, ma position GPS et un journal des applications que j’utilisais). Vous trouverez quelques illustrations sur myprivacy.info.

Le paquet de données contient :

  • Pages webs (un répertoire avec le texte de toutes les pages visitées)
  • websiteViewsLog.csv (une liste qui lie le pages visitées au texte)
  • ScreenCaptures (un répertoire des captures d’écrans)
  • screenCaptures.csv (une liste des captures d’écrans datées)
  • WebcamPhotos (un répertoire avec des photos de webcam prises toutes les 30 secondes)
  • webcamPhotos.csv (une liste de photos datées)
  • applicationLog.csv (heure d’ouverture et de fermeture des applications utilisées)
  • applicationUsage.csv (un résumé du fichier journal des applications)
  • browserTabs.csv (heure d’ouverture et de fermeture de chaque onglet dans chrome, avec leur contenu)
  • browserWindows.csv (dates et heures d’ouverture de mon navigateur web chrome)
  • geolocation.csv (ma latitude et ma longitude)
  • mouseLog.csv (une liste des cordonnées de la souris)
  • websiteOfTheDay.csv (les sites web les plus populaires)
  • wordsOfTheDay.csv (les recherches les plus courantes)

La suite d’outils contient:

  • des routines de nettoyage de données
  • des utilitaires de conversion et d’analyse
  • des outils de statistiques basiques

Je vend ces données 2$ par jour. Si plus de personne font de même, je pense que les marketeux pourraient juste nous payer directement pour nos données. Ça parait fou, mais offrir toutes nos données sans contrepartie l’est tout autant.

Thanks! Merci !

Federico




Marques déposées : le bon, la brute et le truand, par Cory Doctorow (+ Calimaq)

Deux excellents articles pour le prix d’un : du Cory Doctorow introduit par Calimaq.

Parmi les droits de « propriété » intellectuelle, le droit des marques n’est pas celui qui soulève habituellement le plus de contestations. Pourtant avec son article « Trademarks : the Good, The Bad and The Ugly », Cory Doctorow tire la sonnette d’alarme à propos d’une dérive inquiétante : le glissement progressif vers une forme d’appropriation des mots du langage. Au rythme où vont les choses, prévient-il, le droit des marques pourrait bien finir par nous “enlever les mots de la bouche”.

On pourrait croire qu’il s’agit d’un fantasme, mais les dérapages en série des Trademark Bullies, ces firmes qui utilisent le droit des marques comme moyen d’intimidation, montrent qu’il n’en est rien : Facebook cherche ainsi à s’approprier les mots Face, Book, Wall et Mur ; Apple attaque une épicerie en ligne polonaise qui avait le malheur de s’appeler “a.pl” ; Lucasfilm fait la chasse aux applications Androïd dont le nom comporte le terme “Droïd”, déposé comme marque après Star Wars…

On pourrait citer encore de nombreux exemples, parfois terriblement cyniques, comme lorsqu’il y a quelques jours “Boston Strong”, le cri de ralliement des habitants de la ville de Boston, a fait l’objet de plusieurs dépôts de marques par des fabricants de bière ou de T-shirts juste après les attentats ayant frappé la ville ! On ne recule devant rien pour “l’or des mots”…

Ces dérives prêteraient presque à rire si elles ne nous faisaient glisser peu à peu dans un monde passablement dystopique. Ainsi lors des Jeux Olympiques à Londres en 2012, les médias qui n’avaient pas acheté les droits pour couvrir les épreuves ont préféré dire “The O-word” plutôt que de risquer des poursuites en justice de la part du CIO, lequel n’a pas hésité  à invoquer le droit des marques pour museler des opposants. Nous voilà presque dans Harry Potter, avec des marques-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom !

Ces dérives ne sont hélas pas confinées aux pays anglo-saxons et on peut déjà déceler en France les signes d’une montée en puissance de la police du langage par les marques. La semaine dernière, Findus se plaignait devant le CSA que les médias avaient fait un usage abusif de sa marque durant l’affaire des lasagnes à la viande de cheval. L’an passé, une institutrice avait été contrainte par le journal Le Figaro de changer le titre de son blog, “la classe de Mme Figaro”, alors qu’il s’agissait de son propre nom ! Et le village de Laguiole en Aveyron s’est  “débaptisé” symboliquement en 2012, pour protester contre un troll local ayant déposé “Laguiole” dans toutes les classes au point de privatiser ce terme en empêchant les autres commerçants de l’utiliser…

Face à ces dérapages inquiétants, l’article de Cory Doctorow a l’immense mérite de rappeler que le droit des marques est avant tout un droit instauré au bénéfice du public, pour le protéger de la fraude. Il ne devrait pas être interprété comme conférant aux firmes une “propriété” sur les termes du langage et on rejoint là une critique que Richard Stallman et bien d’autres après lui adressent à la notion même de “propriété intellectuelle”. Le droit des marques devrait être considéré non comme un droit de propriété mais comme un droit du public et les mots du langage devraient rester des biens communs, insusceptibles d’appropriation privative. Pourtant après les expressions et les mots, on trouve des cas où des firmes essaient de contrôler l’emploi de simples lettres de l’alphabet ! Audi veut s’approprier la lettre “Q, Apple le “I” et Topps, un fabricant de cartes à collectionner, s’attaque à présent à la lettre V !

Le glissement vers une conception “propriétaire” du langage risque bien de s’accentuer encore, car le numérique s’articule de plus en plus autour d’un “capitalisme linguistique”, dont les moteurs de recherche et leurs adwords nous ont déjà donné un avant-goût. Cory Doctorow est un auteur de science-fiction, dont certains romans, comme Pirate Cinema, critiquent les excès de la “propriété” intellectuelle. Mais c’est un auteur français qui est sans doute allé le plus loin dans l’anticipation des conséquences de l’appropriation du langage.

Dans sa nouvelle “Les Hauts® Parleurs®, Alain Damasio imagine que dans un futur proche, les États finissent par vendre leurs dictionnaires à des firmes qui s’arrogent ainsi un monopole sur l’usage public des mots. Il faut désormais payer une licence à ces propriétaires du langage pour publier un livre ou prononcer un discours, mais une fraction de la population entre en résistance pour récupérer les droits sur certains mots et en inventer d’autres, qu’ils s’efforcent de mettre à nouveau en partage en les plaçant sous copyleft. Mais le système n’hésite pas à réprimer férocement ces idéalistes…

En arriverons-nous un jour à de telles extrémités ? L’avenir nous le dira, mais Lewis Carroll, autre grand visionnaire, nous avait déjà averti en 1871 qu’il existe un rapport profond entre la propriété sur les mots et le pouvoir. Extrait d’un dialogue figurant dans “De l’Autre côté du miroir” entre Alice et un personnage en forme d’oeuf appelé Humtpy Dumpty :

-Humpty Dumpty : “C’est de la gloire pour toi !”

-“Je ne comprends pas ce que tu veux dire par gloire”, répondit Alice.

Humpty Dumpty sourit d’un air dédaigneux, -“Naturellement que tu ne le sais pas tant que je ne te le dis pas. Je voulais dire : c’est un argument décisif pour toi !”

-“Mais gloire ne signifie pas argument décisif”, objecta Alice.

-“Lorsque j’utilise un mot”, déclara Humpty Dumpty avec gravité, ” il signifie exactement ce que j’ai décidé qu’il signifierait – ni plus ni moins “.

-“Mais le problème” dit Alice, “c’est de savoir si tu peux faire en sorte que les mots signifient des choses différentes”.

-“Le problème”, dit Humpty Dumpty, “est de savoir qui commande, c’est tout ” !

Marques déposées : les bons, les brutes et les truands

Article original par Cory Doctorow

traduction Framalang : Elektro121, Sphinx, Jtanguy, Patrick, goofy, peupleLà, Ilphrin, Asta, Calou + 2 anonymes

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Il est temps que nous arrêtions de donner aux tyrans des marques un blanc-seing sur le sens de nos propres mots. Il est temps que nous les libérions.

Les marques déposées sont plutôt étranges. Dans le meilleur des cas, elles sont très bien et incitent intelligemment les entreprises à consacrer une partie de leurs bénéfices financiers à autre chose que la lutte contre la fraude et les manœuvres malhonnêtes. Dans le pire des cas toutefois, elles sont horribles et permettent aux entreprises d’exercer une intimidation légale pour nous voler les mots de la bouche.

Pour commencer, regardons l’effet positif des marques. Les marques déposées telles que nous les connaissons aujourd’hui proviennent d’affaires de protection des consommateurs dans lesquelles une entreprise a engagé des poursuites judiciaires contre une autre entreprise pour des pratiques commerciales mensongères. Dans ces affaires, le problème provenait de l’idée qu’une entreprise A avait associé un design, un mot ou une marque et les produits ou services que cette entreprise fournissait. Ensuite, une entreprise B arrivait et habillait ses produits et services concurrents des traits distinctifs que le public associait à l’entreprise A.

Ici le public en payait le prix : des consommateurs peu méfiants achetaient des produits de l’entreprise B en pensant à tort que ceux-ci étaient des produits de l’entreprise A. C’est injuste. Quand vous allongez la monnaie vous devriez avoir ce que vous pensez avoir acheté et non pas quelque chose d’autre, sous un emballage clairement conçu pour vous tromper.

La plupart du temps, seule la victime d’une fraude est qualifiée pour poursuivre en justice en réparation du préjudice. Si quelqu’un est victime d’une fraude et que vous n’en êtes que le témoin, vous ne pouvez pas poursuivre le fraudeur : vous n’avez pas été lésé. Autrement dit, vous devez vous-même avoir été victime pour demander réparation.

Pourtant là où règne l’utilisation trompeuse des marques, tout le monde en subit les effets négatifs. Si vous avez dépensé quelques pièces pour un stylo, une bouteille de jus de fruit ou un paquet de mouchoirs, il est peu probable que vous engagiez, à vos frais, un avocat pour traîner le fraudeur en justice. Si nous limitons l’application du respect des marques à l’unique protection des victimes de fraudes, bien des fraudeurs opéreront en bénéficiant d’une impunité perpétuelle.

Les marques déposées contournent ce problème en donnant à l’entreprise A – entreprise avec laquelle vous pensiez avoir affaire – le droit d’intenter un procès en votre nom, et au nom de tous les clients passés et futurs qui auraient été amenés à acheter les produits de l’entreprise B, abusés par une présentation et un marketing trompeurs. Bien souvent, les entreprises veulent pouvoir exercer ce droit car la fraude détourne les clients et les bénéfices de leurs produits au profit de leurs concurrents.

Donc, quand vous donnez autorité à une entreprise pour poursuivre ce genre de malversations en justice au nom de ses clients, vous créez un système dans lequel les sociétés couvrent volontairement les dépenses de ce qui correspond à un besoin de l’entreprise (la protection contre la fraude) et vous vous évitez la peine de devoir convaincre quelqu’un à qui on a vendu une boîte douteuse de pastilles à la menthe d’aller au tribunal pour que le contrevenant soit puni. Vous évitez aussi les frais qui rendraient les inspecteurs gouvernementaux responsables de la régulation de ce mal de société.

À première vue, c’est une bonne affaire pour tout le monde. Au cours du siècle dernier, la codification des marques est allée croissant dans la règlementation. On a établi des organismes de dépôt officiel des marques qui aident les entreprises à identifier les marques en vigueur afin d’éviter de reprendre par inadvertance la marque de quelqu’un d’autre.

Tant la règlementation que la jurisprudence considèrent les marques déposées comme un droit de protection du public et non comme une propriété. Quand vous avez pu déposer une marque, le gouvernement ne vous dit pas : « Félicitations, ce mot vous appartient désormais ! ». Il dit : « Félicitations, vous avez maintenant autorité pour poursuivre en justice les fraudeurs qui utiliseraient ce mot de sorte à tromper le public. ». C’est ce qui distingue Bruce Wayne, propriétaire d’un bien comme le Manoir Wayne, et Batman, justicier dont le devoir est de protéger les citoyens de Gotham. (C’est pourquoi mentionner ici Bruce Wayne et Batman ne viole pas les droits de Warner sur ses marques, qui les autorise à des réclamations ridicules sur le terme « super-héros », droits que partagent conjointement Marvel/Disney.)

Les marques déposées sont faites pour protéger le public afin qu’il ne soit pas trompé. Elles sont des « appellations d’origine ». Si vous achetez une canette de soda avec le mot Pepsi sur le côté, vous êtes en droit de vous attendre à une canette de Pepsi et non à une canette d’acide de batterie. Nous connaissons tous la signification du mot Pepsi, l’entreprise Pepsi a dépensé des milliards pour inciter les gens à associer ce mot et ses produits. Dans toutes les situations ou presque, quelqu’un d’autre que Pepsi qui vendrait quelque chose avec le mot Pepsi dessus serait accusé de fraude parce que dans presque tous les cas, cette vente serait faite à des personnes croyant acheter un produit Pepsi.

L’association à une marque

Le respect des marques déposées repose sur le commerce immatériel de l’« association ».

Le droit des marques à poursuivre en justice repose fondamentalement sur la pénétration du subconscient du public, sur la façon dont le public pense à quelque chose. Si le public percevait votre marque sans l’associer avec vos produits ou services, vendre quelque chose d’autre sous la même marque ne constituerait pas une tromperie du public. S’il n’y a pas confusion, la législation sur les marques n’offre que peu de protection même si cela coûte de l’argent à une entreprise.

Et c’est là l’origine du problème. Inévitablement, les détenteurs d’une marque déposée se considèrent comme les propriétaires de cette marque. Ils ne font pas respecter leur droit pour protéger le public, ils le font pour protéger leurs profits, qui sont leur projet. Les marques partent du principe que le public associe un produit et un service, sous prétexte que c’est la base du commerce. Par exemple, si je vois Gillette sur un rasoir jetable, c’est parce que Gillette est l’entreprise qui a pensé à mettre le mot « Gillette » sur une gamme de produits : leur créativité et une stratégie de marque rusée ont ancré cette association dans l’esprit du public.

Si Gillette devient un synonyme générique pour « rasoir », un concurrent qui utiliserait le mot « gillette » pour décrire ses produits pourrait s’en tirer. Après tout, rien ne me dit que votre frigo est un Frigidaire, que le kleenex avec lequel vous vous mouchez est un Kleenex, ou que vous googlez quelqu’un sur Google. C’est la rançon de la gloire est : votre marque est alors associée à l’ensemble d’une catégorie de biens. Les juristes spécialisés en droit des marques ont un terme pour cela : « généricide » – quand une marque devient trop générique et que de fait elle n’est plus associée à une entreprise en particulier. À ce stade, la marque que vous avez protégée pendant des années est en libre-service et chacun peut l’utiliser.

Cependant, le généricide est rare. Microsoft ne fait pas de publicité du style « Googlez avec Bing ! » et Miele ne vend pas une gamme de « frigidaires » 

Le généricide est surtout un épouvantail, et comme tous les épouvantails il sert à quelque chose.

À quoi ? À créer le plein emploi pour les avocats spécialisés en droit des marques.

Les avocats spécialisés en droit des marques ont convaincu leurs clients qu’ils doivent payer afin d’envoyer une mise en garde menaçante à toute personne qui utiliserait une marque sans autorisation, même dans le cas où il n’y aurait pas de confusion possible. Ils envoient des cargaisons de lettres aux journalistes, responsables de sites web, fabricants de panneaux, éditeurs de dictionnaires (quiconque pourrait utiliser leur marque de façon à affaiblir l’association mentale que fait le public). Pourtant, l’affaiblissement d’une association automatique n’est pas illégal, quoi qu’en disent les doctrines, de plus en plus nombreuses, telles que la « dilution » ou la « licence nue ».

Lorsqu’on les interpelle sur le fait qu’ils régulent notre langue, les détenteurs de marques et leurs avocats haussent généralement les épaules en disant : « Rien à voir avec nous.

La loi nous enjoint de vous menacer de poursuites, sinon nous perdons cette association, et donc notre marque. » Comprendre les marques déposées de cette manière est très pervers.

L’intérêt public

La loi existe pour protéger l’intérêt public, et l’intérêt public n’est pas compromis par la faiblesse ou la force de l’association de telle ou telle entreprise et de tel ou tel nom ou marque déposée. L’interêt public s’étend à la prévention de la fraude, et les marques déposées s’appuient sur la motivation des entreprises à protéger leurs profits pour les inciter à respecter l’intérêt public.

Les intérêts des entreprises ne sont pas les intérêts publics, c’est tout juste s’ils coïncident… parfois.

Les marques déposées n’ont pas été inventées pour créer des associations. Les marques déposées sont un outil pour protéger ces associations. Mais au cours des dernières décennies, elles ont été perverties en un moyen de voler des mots du langage courant pour les utiliser comme une propriété.

Prenons Games Workshop, une entreprise qui a la réputation méritée d’utiliser agressivement les lois sur les marques déposées. Cette entreprise affirme détenir une marque déposée sur l’expression « space marine » qui décrit les figurines de jeux de plateau stratégiques sur lesquels l’entreprise a fondé ses produits. Pourtant, « space marine » est un très vieux terme, qui a largement été employé dans la science-fiction au cours du siècle dernier. Il est également très descriptif, ce qui est absolument interdit pour un dépôt de marque. Il est bien plus simple de démontrer que votre marque est exclusivement associée avec votre produit quand il n’y a pas de raison flagrante pour qu’elle soit employée dans un sens générique par quelqu’un d’autre. (« Pierrafeu » est ainsi une marque plus forte que « La Librairie »). À mon avis, les organismes de protection des marques n’auraient jamais dû autoriser le dépôt de la marque « space marine » car il y a très peu de risques qu’un client quelconque associe ces mots exclusivement avec les produits de Games Workshop plutôt qu’avec les romans de Robert A. Heinlein.

Pourant, c’est là que les choses deviennent vraiment moches. Il y a deux manières de rendre une marque tellement célèbre qu’elle sera exclusivement associée à une seule entreprise. La première est la manière respectable : vous créez un produit qui devient tellement populaire que chacun pense à vous quand il pense à celle-ci.

L’autre manière est la voie du mal: vous menacez publiquement de poursuites juridiques et lancez des intimidations sans fondement contre quiconque userait de votre marque, peu importe le contexte, même si il n’y a aucune possibilité de tromperie ou de confusion. Si vous faites suffisamment la Une en jouant les gros-bras, alors vous pouvez créer une autre sorte de notoriété, le genre de notoriété qui parvient à créer l’association suivante : « Hmmm, cet écrivain a utilisé le terme ‘space marines’ dans son livre, et je sais que Games Workshop sont d’immenses connards qui transforment votre vie en véritable enfer si vous avez le malheur de respirer les mots ‘space marines’, donc ça doit être quelqu’un associé à Games Workshop. »

Si le détenteur d’une marque déposée s’inquiète en toute légitimité de ce que l’usage fortuit des marques peut contribuer au généricide, il lui suffit d’accorder un droit rétroactif à quiconque utiliserait la marque d’une manière qui les inquiète. « Chers Monsieur ou Madame X, nous avons le plaisir de vous autoriser à utiliser notre marque sur votre site web. Nous vous prions d’ajouter une mention à cet effet. » protège légalement d’une dilution ou d’une généralisation d’un terme avec autant d’efficacité qu’une menace de poursuite judiciaire.

La différence entre une menace et une autorisation est que la première vous permet de rassembler le vocabulaire du public dans votre propre chasse gardée. Il est temps d’arrêter de donner aux tyrans des marques déposées un blanc-seing sur le sens de nos propres mots. Il est temps de reprendre possession des marques déposées.

Une manière simple et faisable de procéder est de repérer les endroits où l’on peut utiliser les mots « space marine » dans des supports imprimés qui ne mentionnent pas les produits de Games Workshop. Il faut ausi résister à toute tentative illégitime de surveiller notre langage en utilisant des termes génériques quand bien même une entreprise désapprouve.

Entin, s’il vous plaît, signalez toutes les menaces de poursuites liées aux marques déposées que vous recevez sur ChillingEffects.org, un bureau d’information qui accumule les preuves sur les tendances aux mesures coercitives en ligne et qui apporte un fondement factuel aux efforts de réforme.

L’auteur souhaite exprimer toute sa reconnaissance à Wendy Seltzer du projet ChillingEffects pour l’aide apportée à l’écriture de cet article.

Crédit illustration : Christopher Dombres (Creative Commons By)




L’exemplaire et très instructive aventure libre d’un éditeur indien pour enfants

Un employé de l’éditeur Pratham Books nous raconte ici une bien jolie histoire : celle de la mise à disposition de livres sous licence Creative Commons, en commençant par la (controversée) CC BY-NC-SA pour finalement adopter la plus libre CC BY.

L’histoire ne s’arrête pas là puisque parmi ces livres seule la moitié a été mise en libre disposition sur Internet. Et quelle moitié s’est finalement mieux vendue ? Vous devinerez aisément la réponse, puisque vous êtes un fidèle lecteur du Framablog 😉

On se gardera de toute généralisation hâtive et par trop enthousiaste. C’est en Inde avec de la littérature pour enfants et un faible échantillon analysé. Il n’empêche que cela va à l’encontre de certaines (fausses) idées reçues et que cela fait plaisir à lire, à fortiori quand on a fait le choix d’un modèle similaire avec notre propre maison d’édition Framabook.

Pratham Books

C’est publication « ouverte » chez Pratham Books !

Pratham Books is “Open” for Publishing

John Gautam – 7 mars 2013 – Pratham Books (Blog)
(Traduction : Framartin, RyDroid, Peekmo, lordgun, AXL, Garburst, goofy, lamessen + anonymes)

J’ai rejoint Pantham Books en septembre 2007 pour un stage de six mois et il est vite devenu évident que j’allais y rester bien plus longtemps. Leur objectif « Un livre pour chaque enfant », les personnes et l’organisation étaient géniaux. J’ai donc fini par y travailler pendant cinq ans. En ce moment, je suis conseiller chez Pantham Books.

Au cours de ma première année, j’ai été fasciné par la mission et les moyens qu’on pouvait mettre en œuvre pour atteindre le niveau nécessaire, sans forcément que l’organisation s’accroisse en proportion. Nous avons rejoint par de multiples canaux et réseaux, des organisations partenaires potentielles qui pouvaient utiliser nos contenus, ainsi que la branche népalaise du projet One Laptop Per Child et l’Open Learning Exchange. Les Népalais ont été les premiers à nous écrire pour nous demander si nous pouvions fournir du contenu pour leur projet sous de multiples formes : pour leurs ordis à bas coût diffusés pour l’usage des enfants, pour leur bibliothèque d’eBooks, et traduit en népalais pour l’usage local.

Il y avait de multiples possibilités très intéressantes. Mais rapidement nous avons pris conscience des limitations des lois traditionnelles du « copyright » et les complexités administratives nécessaires aux négociations bi/multilatérales pour utiliser ou réutiliser du contenu sous licence. Nous n’avions ni l’envergure ni les ressources nécessaires pour nous engager dans ce type de négociations. Les licences Creative Commons nous apparurent comme un moyen de contourner ce problème et en novembre 2008 nous avons fait le grand saut et passé 6 livres sous licence Creative Common, la CC BY-NC-SA India 2.5 (ceci est le billet du blog annonçant le saut).

Notre idée était de tâter le terrain et de voir ce qu’il adviendrait de ce contenu sous licence ouverte. One Laptop Per Child project, the Open Learning Exchange et le Népal ont été les partenaires les plus enthousiastes et ont distribué notre contenu à des enfants qui n’auraient jamais eu accès à nos livres dans des langues qu’on ne publie pas autrement. Notre incursion novatrice dans les licences ouvertes fut un petit succès.

Cependant, alors que c’était un grand saut pour nous en tant qu’éditeur, il y a eu une résistance d’une grande partie de la communauté comme les commentaires de Philipp Schmidt le démontrent : « … l’option non commerciale rend les choses compliquées de façon inutile, mais je suppose que la peur de l’inconnu de la maison-mère pesa sur le choix de cette clause particulière des licences Creative Commons ».

Simultanément, je me rendis compte que, grâce à la puissance d’Internet, les licences ouvertes devenaient une tendance importante. Elles ouvrent les communautés et permettent de nouvelles plateformes et usages. Il était évident qu’une révision fondamentale des modèles existants de publication était possible et même nécessaire depuis longtemps. J’étais aussi curieux de la nature du modèle social de publication qui pourrait être construit en connectant des communautés collaborant autour d’un contenu sous licence ouverte.

Pendant l’année 2009, nous avons débattu en interne de l’idée d’utiliser les plus libres des licences Creative Commons et le conseil de Pratham Books a largement encouragé l’idée de licencier une sous-partie de notre catalogue sous la licence Creative Commons Attribution (CC BY). Nous avons décidé de placer sous cette licence environ 400 livres, de les rendre disponibles sur le site Scribd, et de placer les illustrations chez Flickr ; le téléversement a commencé en octobre 2009. Toutefois, pour diverses raisons, nous n’avons réussi qu’à téléverser environ 173 de ces livres, tandis que les 227 restants n’ont jamais été mis sur Scribd et Flickr ; c’est une procédure que nous n’avons reprise que récemment.

Comme nous l’avons écrit dans notre étude de cas, le modèle de mise sous licence Creative Commons est celui qui a permis à Pratham Books d’atteindre plusieurs de ses objectifs de flexibilité et d’évolutivité ainsi que sa mission de mettre un livre dans les mains de chaque enfant. Nous avons été capables de puiser dans un modèle de valeurs communes de partage et d’ouverture avec une croissante communauté d’utilisateurs. Cela a augmenté l’échelle et la portée de nos efforts. Nous avons aussi été capables de publier le contenu de multiples organisations et particuliers, à la fois connus et inconnus, par un effort unique de parution sous licence Creative Commons, à l’opposé d’un modèle traditionnel de publication qui implique du temps pour négocier et discuter avec chaque organisme ou particulier connu qui voudrait utiliser notre matériel.

Cela a constitué une base solide pour notre modèle social de publication.

Nous avons été encouragés de voir des communautés créer des œuvres dérivées aussi différentes que des applications iPad et iPhone, un portage de ces applications vers des ordinateurs OLPC (« One laptop Per Child »), jusqu’à la création de livres entièrement nouveaux à partir des illustrations existantes[1], ou des versions de leurs livres pour les personnes en difficulté face à la lecture — des livres audio au format DAISY ou en braille, jusqu’à des livres en audio enrichi — de sorte que nous sommes maintenant près d’accomplir notre mission d’atteindre chaque enfant.

Nous continuons à suivre ces efforts et sommes toujours épatés de ce que les communautés peuvent créer, et nous avons été abasourdis par l’expansion que certaines ont atteinte. Par exemple, nos livres sur Scribd ont été lus près d’un million de fois, nous avons été vus plus d’un demi-million de fois sur la bibliothèque internationale numérique pour les enfants, et ils ont été téléchargés sur les différentes applications plus de 250 000 fois. Au Népal, où tout a commencé, nos livres ont été déposés sur les serveurs de 77 écoles et environ 20 000 enfants ont accès à ces livres. Nous sommes aussi tout à fait certains qu’ils ont été utilisés ailleurs et de diverses manières (par exemple, téléchargés, imprimés et distribués — nous l’avons vu faire mais nous n’avons aucun moyen de tracer de tels usages).

Le modèle Creative Commons a étendu la mission Pratham Books d’une manière que nous n’aurions jamais pu imaginer. Une question se posait cependant : savoir si mettre nos livres sous licence CC BY en ligne avait un impact négatif sur les ventes. Alors que nous pensions empiriquement que cela n’avait que peu d’impacts sur les ventes, nous manquions jusqu’à maintenant de données pour confirmer ou infirmer cette hypothèse.

Étant donné que nous avions un ensemble d’environ 400 livres sous licence CC BY, parmi lesquels la moitié environ avait été téléversée, et que la sélection de ceux qui l’étaient ou pas s’était faite par hasard, nous avons pensé qu’il était opportun de comparer les chiffres de vente pour les livres sous licence CC BY disponibles sur Scribd et ceux qui n’y étaient pas.

Ventes de chaque livre, en ligne par opposition hors ligne, par mois :

Pratham Books - Stats

Nous avons d’abord regardé au niveau des livres individuels pour voir les modèles de vente à travers le temps, et il semblerait que les livres sur Scribd se vendent mieux que ceux qui n’y sont pas, mais il était difficile d’en déduire une marge de différence significative entre les deux lorsque l’on regarde uniquement au niveau des livres individuels.

Ventes de tous les livres en ligne contre tous ceux hors ligne, par mois :

Pratham Books - Stats

Nous avons ensuite regardé les ventes cumulées des livres qui sont, et qui ne sont pas sur Scribd au fil du temps, et il est clair que les livres sur Scribd semblaient mieux se vendre que les livres qui n’y étaient pas.

Ventes cumulées de livres, en ligne vs hors ligne :

Pratham Books - Stats

Finalement, quand nous avons étudié les données des ventes cumulées pour les livres sous licence CC BY qui étaient disponibles sur Scribd par rapport à ceux qui ne l’étaient pas, nous avons été ébahis de voir que les premiers se vendaient bien mieux que les seconds, dans un rapport extraordinaire de presque 3 contre 1. Même si nous hésiterions à dire, étant donné les aspects spécifiques de notre marché et de notre modèle, que mettre les livres sous licence libre et disponibles en ligne augmente les ventes, nous pouvons affirmer que cela ne semble pas faire baisser leurs ventes. Et savoir cela est en soi une leçon importante pour nous, comme ce devrait l’être pour le reste de l’industrie de l’édition.

À défaut d’autre chose, rendre une partie de votre catalogue disponible en ligne est une façon puissante de construire votre communauté, votre marque et d’attirer des visiteurs, parce que le contenu est en lui-même un argument promotionnel. Nous avons eu la chance que cela nous aide aussi à nous rapprocher de notre souhait de mettre un livre dans les mains de chaque enfant, et cela nous étonne encore. Les manifestations de la Journée internationale de l’alphabétisation de l’an dernier en sont un bon exemple.

Nous espérons que notre expérience et son résultat encourageront d’autres éditeurs à mettre leur contenu à disposition en ligne, totalement, et même à considérer de choisir une licence libre pour tout ou partie de leur catalogue.

Notes

[1] Nous avons nous aussi repris des illustrations de chez Pratham sous licence CC BY : le dessin des deux enfants Angie and Upesh qui apparaissent sur la couverture de notre FramaDVD école 😉