Le débat britannique traversera-t-il la Manche ?

Hamed Masoumi - CC byL’article que nous vous proposons aujourd’hui n’a rien d’original en soi. Il doit en exister de similaires partout dans le monde sachant qu’en plus le mouvement ne fait que commencer. Il nous a semblé pourtant intéressant de le traduire dans un contexte où la France semble prendre du retard sur le sujet.

Nous sommes en Angleterre, pays que le Framablog visite souvent en ce moment, le parti conservateur, dans l’opposition, demande aux travaillistes au pouvoir de réduire (voire plafonner) ses dépenses publiques en matière de TIC et d’envisager des solutions « Open Source » pour y arriver.

Il est bien sûr question de jeu politique et, surtout, d’économies de gros sous en période de crise. Mais la question de l’interopérabilité est évoquée (se donner un « langage commun ») ainsi que celle de l’accès des petites sociétés de services en logiciels libres aux marchés publics jusqu’ici l’apanage des grands groupes.

Pour rappel le système politique britannique actuel est fondé sur le bipartisme, avec à droite les Conservateurs (appelés aussi « Tories ») et à gauche les Travaillistes (ou « Labor Party ») actuellement au pouvoir avec Gordon Brown, successeur de Tony Blair[1].

Le parti conservateur britannique envisage de plafonner les dépenses TIC du gouvernement

Tories consider IT contract cap

27 janvier 2009 – BBC News
(Traduction Framalang : Don Rico et Goofy)

Le parti conservateur britannique envisage sérieusement d’imposer un plafond de 100 millions de livres au buget TIC du gouvernement afin d’éviter les gouffres financiers comme celui qu’a connu le système informatique du National Health Service (NdT : le système de santé public).

Au lieu de confier des contrats de longue durée à de grosses entreprises de TIC, les députés Tories souhaitent ouvrir les appels d’offres à de plus petites sociétés proposant des logiciels « Open Source ».

Un rapport rédigé à l’intention du Shadow Chancellor George Osborne (NdT : membre de l’opposition chargé des questions économiques au sein de son parti) avance que les économies potentielles pourraient atteindre 600 millions de livres.

D’après les Tories, les Travaillistes auraient dilapidé des milliards dans des projets TIC « catastrophiques ».

Le Shadow Chancellor est en train d’examiner ce rapport, que lui a remis le docteur Mark Thompson, professeur de la Judge Business School à l’université de Cambridge, dans le cadre des préparatifs détaillés du projet de gouvernement auquel travaillent les conservateurs.

« Moderniser le gouvernement »

« Le parti conservateur est tourné vers l’avenir », a déclaré Mr. Osborne. C’est nous qui avons ouvert le débat sur l’utilisation des logiciels libres au sein du gouvernement, et je me réjouis que le docteur Mark Thompson nous ait soumis ces recommandations détaillées.

« Ces propositions n’ont pas pour seul objectif la limitation des dépenses. Il est surtout question de moderniser le gouvernement, de rendre les services publics plus novateurs et de les améliorer. »

Il a déclaré vouloir recueillir les avis du public et de l’industrie des TIC sur ces propositions.

Les conservateurs accusent le gouvernement d’avoir dilapidé des milliards de livres dans des projets TIC calamiteux, comme par exemple le système de dossiers médicaux informatisé du National Health Service, dont le coût initialement prévu à 2 milliards de livres a explosé pour en atteindre 12, et qui depuis le début accumule les retards.

Le Committee on Public Accounts (NdT : équivalent de la Cour des comptes) a récemment émis des doutes quant au respect de la date butoir, fixée à 2015.

Ces dernières années, le gouvernement a revu à la baisse certains projets TIC. En 2006, il a mis au rancart un projet de plusieurs milliards de livres visant à déployer un nouveau système centralisé pour le registre national d’identité, préférant le laisser en l’état et conserver l’ensemble des renseignements sur trois bases de données séparées déjà existantes.

Mais selon les conservateurs, on pourrait économiser des millions supplémentaires en abandonnant les pratiques actuelles du gouvernement consistant à confier les projets TIC à un petit nombre de grosses entreprises.

« Ouvrir la concurrence »

Dans son rapport, le docteur Thompson plaide en faveur d’un système d’appels d’offres TIC « ouvert », où l’on consulterait un plus grand nombre d’entreprises, y compris des start-ups innovantes.

Il recommande l’adoption des formats de données ouverts et standards au sein du gouvernement, afin de créer un « langage » commun pour les systèmes TIC de l’État.

Cela aurait pour conséquence de réduire les coûts des acquisitions de licences et d’affranchir les corps gouvernementaux de contrats monopolistiques de longue durée, indique-t-on dans le rapport.

« Cela signifie que le gouvernement du Royaume-Uni n’aurait plus jamais contraint à signer un contrat pour des logiciels dépassant les 100 millions de livres. Finis les gouffres financiers informatiques », y ajoute-t-on.

D’après le docteur Thompson, son rapport « explique comment le gouvernement peut économiser des centaines de millions de livres chaque année en instaurant un processus plus ouvert de passation de marchés publics pour les TIC, ce qui impliquerait de donner leur chance aux logiciels libres. »

Et d’ajouter : « Cela n’a rien de sorcier. Il s’agit de créer un système de passations de marchés publics moderne et efficace. Partout dans le monde, des gouvernements et des entreprises utilisent des logiciels libres, et nous-même ici au Royaume-Uni pourrions faire beaucoup plus que ce que nous faisons actuellement. »

Notes

[1] Crédit photo : Hamed Masoumi (Creative Commons)




Les fondateurs de Del.icio.us et Flickr ont quitté Yahoo !

Web 2.0

Je ne pense pas me tromper en affirmant que nombreux sont les visiteurs de ce blog à posséder un compte chez Flickr et/ou Del.icio.us.

Exemples emblématiques de la réussite du web 2.0, ces deux petites startups avaient été rachetés en 2005 par Yahoo! qui avait eu l’intelligence d’intégrer les fondateurs dans la transaction et de ne pas bouleverser les fonctionnalités du service offert.

Or coup sur coup, Stewart Butterfield et Caterina Fake (fondateurs de Flickr) et Joshua Schachter (fondateur de Del.icio.us) ont choisi de démissioner. Et ce n’est pas une coïncidence puisque d’autres membres émérites de Yahoo! ont récemment également quitté le navire.

Yahoo! se retrouve fragilisé pour ne pas dire dans la tourmente. Et il y a fort à craindre que désormais ces deux services ne soit plus épargnés, logique économique oblige.

Ce web 2.0 là ne ressemble décidément pas au logiciel libre…




Plus qu’une simple histoire d’argent

L’un des gros challenges qui nous attend est le développement de la culture du don, qui nécessite souvent de quitter certaines habitudes héritées de la culture du gratuit (entretenues par une économie classique qui ne nous voit pas autrement qu’en simple consommateur).

Dans ce contexte cette petite histoire a peut-être valeur d’exemple pour ne pas dire de symbole. Quand l’excellent lecteur audio Amarok intègre l’excellent site musical Magnatune dans son logiciel, il le fait spontanément, parce qu’il pense que c’est un plus pour ses utilisateurs. Mais quand Magnatune s’aperçoit alors que ça leur apporte des visiteurs mais aussi des sous puisque ces visiteurs achètent des titres, alors il décide spontanément lui aussi de faire quelque chose en retour…

Une traduction LVI pour Framalang.

Copie d'écran - Magnatune

Donner de l’argent pour l’Open Source

Giving money to open source

John Buckman – 28 avril – Magnatune (blog)

Il y a un an et demi, l’excellent lecteur de musique sur GNU/Linux Amarok a ajouté un support étendu pour Magnatune. Le programmeur, Nikolaj Hald Nielsen, a fait cela de sa propre initiative, simplement parce qu’il trouvait que ce serait une chose élégante à inclure dans son lecteur de musique favori, et parce qu’il appréciait Magnatune et la philosophie derrière son business model.

J’aime vraiment Amarok, et je me suis alors engagé à offrir 10% du produit des ventes de Magnatune apportées par Amarok. J’étais aussi tellement content de la qualité du travail de Nikolaj, que je l’ai embauché, et maintenant il passe 50% de son temps pour Magnatune, et je le paie pour qu’il passe les 50% restant pour Amarok.

Je suis vraiment très heureux d’annoncer que les utilisateurs d’Amarok ont acheté une belle quantité de musique sur Magnatune. Ils peuvent écouter gratuitement la musique depuis Amarok, et les albums en streaming apparaissent dans Amarok comme si c’était de la musique en local, et ils peuvent facilement acheter la musique dans différents formats ouverts.

Jusqu’ici, Amarok a apporté 11 557 $ de ventes de musique sur Magnatune !

Ce matin, j’ai fait de bon coeur une donation de 1 155,70 $ à Amarok.

J’ai également fait la même offre à Rhythmbox, un autre bon lecteur de musique pour Linux, et je vais bientôt leur envoyer un don. Leur support intégré pour Magnatune est lui aussi excellent, et je l’ai personnellement utilisé pour écouter notre propre musique issue de Magnatune.

Rhythmnox est installé par défaut dans la toute récente et ultra-populaire Ubuntu 8.04.

Mark Shuttleworth, la force derrière Ubuntu, a récemment déclaré ceci :

« Je suis particulièrement ravi que nous supportions Magnatune, qui a imaginé un très bel avenir pour l’industrie de la musique, Le problème avec l’industrie de la musique n’est pas les musiciens ; ça n’est pas la musique ; et ce ne sont pas les téléchargements. Ce sont les compagnies de disques. Alors, avoir une compagnie de disques qui dise : Il y a une autre manière de travailler semble être quelque chose de positif que nous pouvons soutenir. Et ça, c’est super ! »

J’ai parlé au programmeur qui est derrière le support de Magnatune pour Rhythmbox, et il prévoit d’y ajouter un tas de fonctionnalités cet été. Cool !




Quand Eben Moglen nous explique le risque lié à l’accord Novell Microsoft

En novembre 2006, Novell et Microsoft signaient un accord qui fit couler beaucoup d’encre. Union libre pour Microsoft nous disait alors Libération dans la plus pure tradition de ses titres accrocheurs, avec le résumé suivant : Après avoir combattu les logiciels libres pendant des années, l’entreprise de Bill Gates pactise avec Linux.

Novell étant l’éditeur de la distribution Suse Linux, cet accord se déclinait principalement en trois volets : un volet technique (avec la création d’un centre de recherche conjoint), un volet commercial (promotion croisée entre les solutions serveurs Suse Linux de Novell et ceux Windows de Microsoft), et un volet juridique.

C’est ce dernier volet, qualifié par certains de pacte de non-agression, qui posa le plus problème à la communauté. Voici ce que l’on en dit sur le (drôle de) blog intitulé Porte25 : Open Source et Interopérabilité @ Microsoft :

Les entreprises utilisant SUSE Linux Enterprise Server sont à l’abri des conséquences judiciaires liées à l’utilisation de parties de code de Linux violant les droits de propriété intellectuelle de Microsoft : « Microsoft s’engage à ne pas faire valoir ses brevets auprès des clients ayant acheté Novell Suse Linux Enterprise ou d’autres produits de Novell. Qui a accepté de faire de même pour les clients ayant une version sous licence de Windows ou d’autres produits Microsoft ».

Dans ce contexte, il nous a semblé intéressant de vous proposer le point de vue, pour ne pas dire l’éclairage, d’Eben Moglen, l’un des plus célèbres juristes de la communauté, qui nous explique pourquoi cet accord fragilise voire menace l’écosystème du logiciel libre.

Un nouvel extrait vidéo d’une intervention donnée au Red Hat Summit 2007, dont nous avons traduit[1] la retranscription.

La vidéo au format Ogg

Eben Moglen – Red Hat Summit 2007

Veuillez m’excuser, je pensais que la question était suffisamment claire pour ne pas avoir à la répéter : « Puis-je expliquer la menace que fait planer l’accord Microsoft/Novell sur la liberté des logiciels sous GPL ? »

Je vais tâcher de m’exprimer en termes parlants, en commençant par ceci : Imaginez quelqu’un qui voudrait éliminer la liberté des logiciels libres ou du moins entraver ses développeurs de manière importante, de manière à leur ôter toute chance de rivaliser. Imaginez que ce quelqu’un possède des brevets dont la validité est douteuse, mais en grande quantité, et qu’il pourrait potentiellement utiliser pour effrayer les développeurs et les utilisateurs. Imaginez qu’une telle personne commence alors à régulièrement proférer des menaces, comme par exemple : « Hé, on a plein de brevets ! Peu importe combien, peu importe ce qu’ils protègent, peu importe leur qualité, on a plein de brevets et un jour ça va chauffer. N’utilisez pas ce logiciel. »

Imaginez que ce soit la stratégie qu’emploie la personne opposée à la liberté parce que ça vaut mieux que de faire des procès. Faire des procès coûte cher, c’est irréversible et ça peut amener à devoir expliquer de quels brevets on parle et pourquoi ils sont valables. Donc mieux vaut menacer que faire des procès, non ? Imaginez quelqu’un qui se lance dans des menaces chaque été, et ce depuis des années, un peu comme pour une tournée « Ayez très très peur », d’accord ? (NdT : « Be very afraid » tour)

Ça peut paraitre absurde, je sais.

Imaginez à présent que cette tournée annuelle « Ayez très très peur » commence à générer un retour de bâton, parce que certains, notamment les PDG des plus grandes banques et institutions financières, se rebiffent et déclarent : « Vous osez nous menacer, nous ? Nous, les plus influents, les plus riches et les plus puissants du capitalisme, nous qui déterminons la valeur de vos actions ? Vous feriez mieux de vous calmer. »

Voilà ce qui arrive quand on dit « Ayez très très peur » à ceux qui ont énormément argent, davantage encore de pouvoir, et qui contrôlent la valeur de vos actions : ils se rebiffent. Le modèle économique qui consiste à menacer d’attaquer quelqu’un en justice fonctionne si l’on s’en prend à des enfants de douze ans. Ça n’est guère efficace s’il s’agit des piliers du capitalisme financier. Par conséquent, en tant que personne engagée dans des tournées annuelles « Ayez très très peur », vous allez voir se mobiliser les clients d’entreprises qui vous rétorqueront « Vous osez nous menacer ? »

Que se passerait-il alors si l’on faisait en sorte qu’ils aient moins l’impression d’être ceux que l’on intimide ? Que se passerait-il si l’on pouvait leur donner une certaine tranquilité d’esprit — en engrangeant quelques profits au passage —, afin que les seuls qui tremblent encore après votre tournée annuelle « Ayez très très peur » soient les développeurs eux-mêmes ? On parviendrait alors à se faire bien voir, sans cesser d’agiter des brevets et de menacer de ruer dans les brancards.

Les accords pour la sûreté des brevets rend possible ce risque pour mes clients : la communauté des développeurs. Si les entreprises pensent pouvoir acheter le logiciel que mes clients produisent à un tiers qui leur assure la tranquillité vis à vis de l’adversaire en leur vendant une licence, alors les entreprises pourraient penser qu’elles ont obtenu une paix séparée et que, si un jour en ouvrant leur journal à la rubrique « Économie » elles voient « L’adversaire s’attaque aux logiciels libres », elles pourront se dire « C’est pas mon problème, j’ai acheté telle distribution et je ne crains rien. » Le problème que présente ces accords, c’est qu’ils cherchent à isoler les clients d’entreprises, qui pourraient mettre un terme aux menaces en insistant sur leurs droits, des développeurs qui, au fond, sont les plus menacés.

Il faudrait donc conseiller à ces gens de ne pas s’accorder une paix séparée aux dépends de la communauté. De ne pas essayer de mettre ses clients à l’abri si cela revient à éliminer les affluents d’où proviennent vos biens. Nous fonctionnons comme un écosystème. Si l’on sape les défenses de la communauté, on sape tout l’écosystème, et agir ainsi pour le bien de vos clients au détriment de vos fournisseurs n’est pas une bonne manière de faire du business. Tel est le problème fondamental créé par de tels accords.

Notes

[1] Merci à Olivier, Yostral et Don Rico pour la traduction commune estampillée Framalang quality label.




La startup à but non lucratif est-elle un oxymore ?

Un court et récent billet de Tristan Nitot intitulé Serve your users well: be a non-profit a récemment retenu mon attention.

L’auteur, Paul Graham (qui n’est pas un inconnu sur le Framablog), constate, avec une sorte de fausse candeur, que faire le bien comme pourrait le faire une association à but non lucratif apporte de nombreux avantages à une startup, comme par exemple celui de devenir à terme rentable.

Je ne suis pas forcément en phase avec l’auteur mais je pense que de nombreux arguments sont matière à débat, surtout si on garde à l’esprit la spécificité de l‘écosystème des logiciels libres dont de nombreux (gros) projets sont à mi-chemin entre le monde de l’entreprise (telle qu’il est décrit ici) et l’association à but non lucratif.

Remarques : Nous avons ajouté des liens vers les sites référencés car ils ne parlent pas forcément à un public francophone. Nous avons également choisi de traduire[1] littéralement le titre en Soyez bon même si cela a parfois une petite connotation péjorative chez nous. Titres alternatifs : Soyez charitable, Soyez généreux, Soyez altruiste, Faites le bien

Copie d'écran - Paul Graham - Be Good

Soyez Bon

Be Good

Paul Graham – Avril 2008

(Cet article est issu d’une présentation à la conférence Startup School 2008)

Environ un mois après avoir lancé notre société Y Combinator, nous avons trouvé la formule qui est devenue notre slogan : « Faites quelque chose que les gens veulent. » Nous avons depuis beaucoup appris, mais si je devais de nouveau en choisir un, je garderai le même.

Un autre conseil que nous donnons aux créateurs d’entreprise est de ne pas trop se préoccuper du business model, en tout cas pas au début. Non pas parce que gagner de l’argent n’est pas important, mais parce que c’est beaucoup plus facile que de bâtir un projet ambitieux.

Il y a quelques semaines, je me suis rendu compte que si l’on assemble les deux idées, on obtient un résultat surprenant. Faites quelque chose que les gens désirent. Ne vous préoccupez pas trop de faire de l’argent. Ce qu’on obtient alors correspond à la description d’une œuvre de bienfaisance.

Lorsqu’on obtient un résultat inattendu comme celui-ci, il s’agit soit d’un bug, soit d’une nouvelle découverte. Aucune entreprise commerciale n’est censée agir comme une œuvre de bienfaisance, et nous avons prouvé grâce à un raisonnement par l’absurde que l’un des énoncés desquels nous sommes partis – ou les deux – est faux. Ou alors nous tenons une nouvelle idée.

Il s’agit à mon sens de la deuxième solution, car dès que ces pensées me sont apparues, tout un tas d’autres choses s’est mis en place.

Quelques exemples

Prenons par exemple Craigslist. Il ne s’agit pas d’une œuvre de bienfaisance, mais le site fonctionne comme s’il en s’agissait d’une. Et ses dirigeants réussissent étonnamment bien. Lorsque vous parcourez la liste des sites Web les plus populaires, il semble y avoir une erreur d’impression dans le nombre d’employés à Craigslist. Leurs revenus ne sont pas aussi élevés que ce qu’ils pourraient être, mais beaucoup de startups seraient heureuses d’échanger leur place avec eux.

Dans les romans de Patrick O’Brian, ses capitaines essaient toujours d’être sous le vent de leurs adversaires. Si vous êtes sous le vent, c’est vous qui décidez quand attaquer l’autre navire. Craigslist est réellement sous le vent de revenus énormes. Ils feraient face à un certain nombre de défis s’ils voulaient en engranger davantage, mais pas ceux que l’on affronte lorsqu’on louvoie sous le vent, en essayant d’obliger des utilisateurs hésitants à utiliser un mauvais produit, en dépensant dix fois plus dans le marketing que dans le développement.[2]

Mon propos n’est pas que les startups doivent toutes viser à finir comme Craigslist, qui est le produit de circonstances inhabituelles. Mais ce site est un bon modèle pour les premières étapes.

À ses débuts, Google ressemblait fort à une œuvre de bienfaisance. Ils n’ont pas affiché de pubs pendant plus d’un an. À l’an 1, on ne pouvait différencier Google d’un organisme à but non lucratif. Si un tel organisme ou une organisation gouvernementale avait commencé un projet pour indexer le Web, Google à l’an 1 constituerait la limite de ce qu’ils auraient produit.

À l’époque où je travaillais sur les filtres anti-spam, je trouvais bonne l’idée de proposer un client e-mail en ligne pourvu d’un filtrage des spams efficace. Je ne le concevais pas comme une entreprise à part entière. Je voulais protéger les internautes du spam. Mais à mesure que je réfléchissais à ce projet, je me suis rendu compte qu’il faudrait probablement que ce soit une entreprise. Un tel projet coûterait de l’argent, et il aurait été difficile de le financer avec des subventions et des dons.

Ce fut une prise de conscience surprenante. Les entreprises affirment souvent œuvrer pour le bien commun, mais je m’étonnai de constater que certains projets visant uniquement à ce bien commun devaient pour fonctionner se présenter sous la forme d’une entreprise.

Ne voulant pas monter une nouvelle entreprise, je ne l’ai pas fait. Mais si quelqu’un l’avait fait, il serait sans doute assez riche, à l’heure qu’il est. Pendant une période d’environ deux ans, le spam a augmenté rapidement alors que tous les grands services de mail n’offraient que des filtres de piètre efficacité. Si quelqu’un avait lancé un nouveau service de mail sans spam, les utilisateurs se seraient rués dessus.

Voyez-vous le schéma qui se profile ici ? Quelle que soit la direction d’où l’on vient, on arrive au même point. Si l’on part de startups qui ont du succès, on se rend compte qu’elles agissent souvent comme des associations à but non lucratif. Et si l’on part d’idées pour des associations à but non lucratif, on constate qu’elles font souvent de bonnes startups.

Le pouvoir

Quel est la taille de ce domaine ? Toutes les associations à but non lucratif feraient-elles de bonnes entreprises ? Pas forcément. Ce qui rend Google si précieux, c’est que ses utilisateurs ont de l’argent. Si l’on se fait apprécier de ceux qui ont de l’argent, on pourra probablement en récolter un peu. Mais une startup peut-elle réussir en se basant sur le principe d’agir comme une association à but non lucratif, pour des personnes qui n’ont pas d’argent ? Peut-on par exemple développer une startup à partir d’un remède contre une maladie qui ne fait pas les gros titres mais qui reste mortelle, comme la malaria ?

Je n’en suis pas sûr, mais à mon sens, si l’on creuse cette idée, il est surprenant de constater jusqu’où l’on peut pousser le raisonnement. Par exemple, ceux qui postulent auprès de Y Combinator n’ont généralement pas beaucoup d’argent, et pourtant l’on peut tirer bénéfice à les aider, parce qu’avec de l’aide, elles pourront peut-être gagner de l’argent. La situation est peut-être similaire dans le cas de la malaria. Une organisation qui aiderait un pays à se débarrasser de ce fardeau pourrait bénéficier de la croissance qui en résulterait.

Il ne s’agit pas là d’une suggestion sérieuse. Je ne connais rien à la malaria, mais je manipule les idées depuis assez longtemps pour savoir reconnaître celles qui ont un puissant potentiel.

Une bonne façon de découvrir jusqu’où peut aller une idée est de se demander à partir de quelle cote parieriez-vous contre. Envisager de parier contre la bienveillance est effarant de la même façon qu’affirmer qu’un projet est techniquement impossible. Cela revient à chercher à se couvrir de ridicule, car nous sommes en présence de forces d’une puissance exceptionnelle.[3]

Par exemple, je pensais au départ que ce principe ne s’appliquait peut-être qu’aux startups Internet. À l’évidence, cela a fonctionné pour Google, mais qu’en est-il de Microsoft ? Microsoft n’est certainement pas dans une démarche bienveillante. Mais à leurs débuts, c’était le cas. Comparé à IBM, ils ressemblaient à Robin des Bois. Lorsque IBM a lancé le PC, ils pensaient qu’ils allaient gagner de l’argent en vendant du matériel à prix élevé. Mais en obtenant le contrôle du standard PC, Microsoft a ouvert le marché à n’importe quel fabricant. Les prix du matériel se sont effondrés, et beaucoup de personnes qui sans cela n’auraient pu s’en offrir, ont voulu acquérir un ordinateur. Voilà le genre de changements que l’on attend de Google.

Microsoft n’est plus dans une telle démarche. À présent, lorsque l’on pense à la façon dont Microsoft traite ses utilisateurs, seules viennent à l’esprit des verbes d’un registre assez vulgaire. [4] Et cela ne semble plus payer. Le prix de leurs actions stagnent depuis des années. Lorsqu’ils étaient encore des Robin des Bois, le prix de leurs actions montait en flèche comme celles de Google. Pourrait-il y avoir un lien ?

Il est aisé d’en voir un. Lorsqu’on est une petite startup, on ne peut brutaliser ses clients, et il faut donc les séduire. Mais quand on est une grosse entreprise, on peut les maltraiter à volonté, et l’on ne s’en prive pas, car c’est plus facile que de les satisfaire. On se développe en étant bon, mais pour rester gros il ne faut pas être tendre.

On s’en tire à bon compte jusqu’à ce que l’environnement change, et alors toutes les victimes s’échappent. Donc, inventer le précepte "Ne fais pas le mal" (NdT : Don’t be evil) est la meilleure chose que Paul Buchheit ait accompli pour Google, car il pourrait se révéler un élixir de jouvence pour l’entreprise. Je suis sûr qu’il s’agit pour eux d’une contrainte, mais cela pourrait leur sauver la mise en leur évitant de sombrer dans la paresse fatale qui a affligé Microsoft et IBM.

Ce qui est curieux, c’est que cet élixir est disponible gratuitement pour n’importe quelle autre entreprise. N’importe qui peut adopter "Ne fais pas le mal." Le problème, c’est qu’il faut s’y tenir. Alors ce n’est pas demain la veille qu’on verra les maisons de disques ou les fabricants de tabac souscrire à ce nouveau précepte.

Le Moral

Il y a beaucoup de preuves extérieures que la bienveillance fonctionne. Mais comme cela fonctionne-t-il ? Un des avantages d’investir dans de nombreuses startups est le fait que vous obtenez beaucoup de données sur la façon dont elles fonctionnent. De ce que nous avons vu, être bon semble aider les startups de trois façons : cela améliore leur moral, cela donne envie à d’autres personnes de les aider, et avant tout, cela les aide à prendre des décisions.

Le moral est extrêmement important pour une startup, si important que le moral seul est presque suffisant pour déterminer le succès. Les startups sont souvent décrites comme des montagnes russes émotionnelles. Une minute, vous êtes sur le point de dominer le monde, l’instant suivant vous êtes condamné. Le problème avec le sentiment d’être condamné n’est pas uniquement que cela vous rend malheureux, cela vous amène aussi à arrêter de travailler. Les descentes de la montagne russe sont donc davantage une prophétie auto-réalisatrice que les montées. Si sentir que vous allez réussir vous fait travailler davantage, cela augmente probablement vos chances de réussir, mais si sentir que vous allez échouer vous fait arrêter de travailler, cela vous garantit quasiment d’échouer.

C’est ici que la bienveillance entre en scène. Si vous sentez que vous aidez réellement les gens, vous allez continuer de travailler, même s’il semble que votre startup soit condamnée. La plupart d’entre nous avons une certaine quantité de bienveillance naturelle. Le simple fait que des personnes aient besoin de vous, vous donne envie de les aider. Donc, si vous démarrez le type de startup où les utilisateurs reviennent chaque jour, vous vous êtes en gros construit un tamagotchi géant. Vous avez créé quelque chose dont vous devez prendre soin.

Blogger est un exemple célèbre de startup qui a traversé des bas vraiment bas et qui a survécu. A un moment, ils sont tombés à court d’argent,et tout le monde est parti. Evan Williams est revenu travailler le lendemain, et il n’y avait plus personne sauf lui. Qu’est-ce qui l’a fait continué ? En partie le fait que les utilisateurs avaient besoin de lui. Il hébergeait les blogs de milliers de personnes. Il ne pouvait tout simplement pas laisser le site mourir.

Il y a beaucoup d’avantages à démarrer rapidement, mais le plus important est peut-être que lorsque vous avez des utilisateurs, l’effet tamagotchi fait son effet. Une fois que vous avez des utilisateurs dont vous devez en prendre soin, vous êtes obligé de découvrir ce qui pourrait les rendre heureux, ce sont vraiment des informations très précieuses.

La confiance supplémentaire qui vient du fait d’essayer d’aider les gens peut également vous aider avec les investisseurs. L’un des fondateurs de Chatterous m’a dit récemment que lui et son co-fondateur avaient décidé que ce service était quelque chose dont le monde avait besoin, ils continueraient donc à travailler dessus peu importe les problèmes, même s’ils devaient retourner au Canada et vivre dans le sous-sol de leurs parents.

Une fois qu’ils eurent réalisé cela, ils ont arrêté de trop s’inquiéter de ce que les investisseurs pensaient d’eux. Ils continuèrent à les rencontrer, mais ils n’allaient pas mourir s’ils n’obtenaient pas leur argent. Et vous savez quoi ? Les investisseurs sont devenus beaucoup plus intéressés. Ils pouvaient sentir que les Chatterous allaient faire cette startup, avec ou sans eux.

Si vous êtes réellement motivé et que votre startup ne coûte pas cher à faire tourner, vous serez très difficile à tuer. Et pratiquement toutes les startups, même celles qui ont le mieux réussi, se sont approchées de la mort à un moment. Donc, si faire le bien fait de vous un missionnaire, cela vous rendra plus difficile à tuer, cela seul fera plus que compenser tout ce que vous pourriez avoir perdu en ne choisissant pas un projet plus égoïste.

L’aide

Une autre avantage de faire le bien est que cela donne envie aux gens de vous aider. Cela aussi semble être un trait inné des êtres humains.

L’une des startups que nous avons financées, Octopart, est en ce moment bloquée dans une bataille classique du bien contre le mal. Il s’agit d’un site pour rechercher des composants industriels. Beaucoup de personnes ont besoin de chercher des composants, et avant Octopart, il n’existait pas de bon moyen pour faire cela. Il s’est avéré que ce n’était pas une coïncidence.

Octopart a créé la bonne façon de chercher des composants. Les utilisateurs aiment cela, et ils ont augmenté rapidement. Et pourtant, durant la plus grande partie de la vie de Octopart, le plus gros distributeur, Digi-Key, a essayé de les forcer à retirer les prix de leur site. Octopart leur envoie des clients gratuitement, et pourtant Digi-Key essaie d’arrêter cette venue. Pourquoi ? Parce que leur business model actuel se base sur le fait de faire sur-payer les gens qui ont des informations incomplètes sur les prix. Ils ne veulent pas que les recherches fonctionnent.

Les gens d’Octopart sont les gars les plus sympas du monde. Ils ont laissé tomber leur doctorat en physique à Berkeley pour faire cela. Ils voulaient juste régler un problème qu’ils ont rencontré durant leurs recherches. Imaginez le temps que vous pourriez faire gagner aux ingénieurs du monde entier s’ils pouvaient faire des recherche en ligne. C’est pourquoi lorsque j’ai entendu qu’une grande méchante entreprise essayait de les arrêter pour pouvoir continuer à ne pas avoir ce genre de recherches, cela m’a réellement donné envie de les aider. Cela m’a fait investir plus de temps dans Octopart que dans la plupart des startups que nous avons financées. Cela m’a justement poussé à vous parler d’eux pendant plusieurs minutes pour vous dire à quel point ils sont biens. Pourquoi ? Parce que ce sont des gars biens, et qu’ils essaient d’aider le monde.

Si vous êtes bienveillant, les gens se rallieront à vous: des investisseurs, des clients, d’autres entreprises, et des employés potentiels. Sur le long terme, les employés potentiels sont peut-être le plus important. Je pense que tout le monde sait que les bons hackers sont bien meilleurs que ceux qui sont moyens. Si vous arrivez à attirer les meilleurs hackers et à les faire travailler pour vous, vous avez un avantage important. Et les hackers les plus brillants ont tendance à être idéaliste. Ils ne recherchent pas un travail à n’importe quel prix. Ils peuvent travailler où ils veulent. La plupart veulent donc travailler sur des choses qui rendent le monde meilleur.

La boussole

Mais l’avantage le plus important à être bon est que cela agit comme une boussole. Un des aspects les plus difficiles lorsque l’on démarre une startup est que vous devez faire beaucoup de choix. Vous devez n’en choisir que deux ou trois, alors qu’il y a des milliers de choses que vous pourriez faire. Comment pouvez vous trancher ?

Voici la réponse: faites ce qui est le mieux pour vos utilisateurs. Vous pouvez vous y accrocher comme à une corde dans un ouragan, et si quelque chose peut vous sauver, ce sera cela. Suivez ce principe, et il vous permettra de traverser tout ce à quoi vous aurez à faire face.

C’est même la réponse à des questions qui semblent sans lien, comme la façon de convaincre des investisseurs de vous donner de l’argent. Si vous êtes un bon vendeur, vous pouvez simplement essayer de les baratiner. Mais la route la plus sûre est de les convaincre grâce à vos utilisateurs: si vous faites quelque chose que les utilisateurs aiment suffisamment pour en parler à leurs amis, vous grandirez de façon exponentielle, et cela convaincra n’importe quel investisseur.

Etre bon est une stratégie particulièrement utile pour prendre des décisions dans des situations complexes, parce qu’elle ne défend aucune chapelle. C’est comme dire la vérité. Le problème avec le mensonge est que vous devez vous rappeler tout ce que vous avez dit dans le passé pour être sûr de ne pas vous contredire. Si vous dites la vérité, vous n’avez pas à tout vous rappeler, et c’est un aspect vraiment utile dans des domaines où les choses arrivent très rapidement.

Par exemple, Y Combinator a investi à l’heure actuelle dans 80 startups, 57 sont encore en vie. (Les autres sont mortes, ou ont fusionné, ou ont été rachetées.) Lorsque vous essayez de conseiller 57 startups, il s’avère que vous devez avoir un algorithme sans esprit partisan. Vous ne pouvez pas avoir de motifs cachés lorsque vous avez 57 choses qui avancent en même temps, car vous ne pouvez pas vous souvenir de toutes. Notre règle est donc de faire ce qui est le mieux pour les créateurs des startups. Non parce que nous sommes spécialement bienveillants, mais parce que c’est le seul algorithme qui fonctionne à cette échelle.

Lorsque vous écrivez quelque chose préconisant aux gens d’être bon, vous donnez l’impression de prétendre que vous êtes bons vous-mêmes. Je veux donc dire explicitement que je ne suis pas spécialement une bonne personne. Quand j’étais enfant, j’étais clairement du côté des méchants. A la façon dont les adultes utilisaient le mot ‘bon’, cela me semblait synonyme de calme, j’ai donc grandi en étant très méfiant vis-à-vis de la bonté.

Vous savez qu’il y a certaines personnes dont le nom apparaît dans une conversation et tout le monde dit "C’est vraiment un gars épatant" ? Les gens ne disent jamais cela de moi. Le mieux que j’ai eu a été "Il a de bonnes intentions". Je n’affirme pas que je suis bon. Au mieux, être bon est pour moins une seconde langue.

Je ne vous conseille donc pas d’être bon dans le sens moralisateur habituel. Je vous suggère cela parce que cela fonctionne. Cela ne fonctionnera pas uniquement comme une déclaration de valeurs, mais également comme un fil directeur pour la stratégie, et même pour définir les spécifications pour un logiciel. Ne vous contentez pas de ne pas faire le mal. Soyez bon.

Notes

[1] Traduction : Penguin – Relecture : Daria – Validation : Don Rico.

[2] Il y a 50 ans, il aurait semblé choquant pour une entreprise publique de ne pas payer de dividendes. A l’heure actuelle, beaucoup de compagnies de technologie ne le font pas. Les marchés semblent avoir compris comment valoriser des dividendes potentiels. Peut-être qu’il s’agit de la dernière étape dans cette évolution. Peut-être que les marchés vont finalement être à l’aise avec les gains potentiels. (le capital-risque l’a déjà compris, au moins certains gagnent systématiquement de l’argent.). Je me rends compte que cela ressemble aux trucs qu’on avait l’habitude d’entendre à propos de la nouvelle économie durant la bulle Internet. Croyez-moi, je n’ai jamais vraiment adhéré à ces idées à cette époque. Mais je suis convaincu qu’il y avait quelques bonnes idées enterrées dans les raisonnements de l’époque de la bulle Internet. Par exemple, il est correct de se concentrer sur la croissance plutôt que sur les profits, mais uniquement si la croissance est véritable.Vous ne pouvez pas acheter les utilisateurs; cela ressemble à de la vente pyramidale. Mais une entreprise avec une croissance rapide et véritable a de la valeur, et au bout du compte, les marchés apprennent à apprécier les choses qui ont de la valeur.

[3] L’idée de démarrer une entreprise avec des buts bienveillants est actuellement sous-évaluée, parce que à l’heure actuelle le type de personnes qui font cela de manière explicite ne font en général pas un bon boulot.C’est l’une des carrières classiques des trustafarians que de démarrer une affaire vaguement bienveillante. (NdT : tel un rebelle du dimanche, un trustafarian est un terme péjoratif pour les jeunes gens de la classe supérieure adoptant un pseudo-mode de vie hippie) Le problème avec la plupart d’entre eux est que soit ils ont une mauvaise feuille de route, soit ils sont mal réalisés. Les ancêtres des trustafarians ne sont pas devenus riche en préservant leur culture traditionnelle; peut-être que les gens en Bolivie ne le veulent pas non plus. Et démarrer une ferme bio, même si cela est véridiquement bienveillant, cela n’aide pas les gens à la même échelle que ce que fait Google. La plupart des projets explicitement bienveillants ne sont pas suffisamment responsables. Ils agissent comme si le fait d’avoir de bonnes intentions suffisait à garantir de bons résultats.

[4] Les utilisateurs détestent tellement leur nouveau système d’exploitation qu’ils ont lancé des pétitions pour sauver l’ancien système. Et l’ancien n’avait rien de spécial. Les hackers travaillant chez Microsoft doivent savoir au fond de leur cœur que si l’entreprise se préoccupait réellement des utilisateurs, ils leur auraient conseiller de passer à OSX.




And the winner is…

Coup sur coup, Red Hat et Novell viennent de faire des déclarations qui, entre les lignes, laisse à penser que leur version desktop communautaire de GNU/Linux, Fedora pour le premier et OpenSuse pour le second, n’est pas (ou plus) stratégique et donc prioritaire dans leur développement. Les deux sociétés préfèrent se concentrer sur les serveurs et le service aux entreprises dont la rentabilité est assurée.

Extrait de l’article What’s Going On With Red Hat Desktop Systems? An Update chez RedHatNews : An explanation: as a public, for-profit company, Red Hat must create products and technologies with an eye on the bottom line, and with desktops this is much harder to do than with servers. The desktop market suffers from having one dominant vendor, and some people still perceive that today’s Linux desktops simply don’t provide a practical alternative. Of course, a growing number of technically savvy users and companies have discovered that today’s Linux desktop is indeed a practical alternative. Nevertheless, building a sustainable business around the Linux desktop is tough, and history is littered with example efforts that have either failed outright, are stalled or are run as charities.

Extrait de Novell: The Stand-alone OS is Dead sur InternetNews : The basic concept here is that the standalone operating system is dead, The days in which people buy operating systems on their own and then build a stack from there… will look like home-built automobiles in the future, people aren’t going to do this anymore.

Si on fait le compte des distributions GNU/Linux pour le grand public, il ne reste plus guère que Mandriva et Ubuntu (voire peut-être d’autres, à vous de me dire, comme PCLinuxOS, Mint ou encore Freespire).

Mandriva vient de sortir sa version de printemps. Souhaitons-lui bonne chance… Il n’empêche que c’est clairement Ubuntu qui a le vent en poupe alors même que sa prochaine version, Hardy Heron, va éclore dans quelques jours et en rajouter une couche.

Classements des distributions sur DistroWatch pour les trois derniers mois :

DistroWatch

Comparatif de fréquence de recherches sur Google Trends (cliquer ici pour mieux voir) :

Google Trends - Ubuntu Fedora Suse Mandriva

Vous en tirerez vos propres conclusions. Et tant qu’à rester sur Google Trends voici un autre comparatif donnant un argument de plus à mon billet Le vocable Ubuntu va-t-il se substituer à Linux auprès du grand public ? :

Google Trends - Linux Ubuntu

Ce qui m’amène à poser les quelques questions suivantes aux lecteurs qui passent :

  • Une société peut-elle gagner de l’argent avec une distribution GNU/Linux grand public ?[1]
  • Ubuntu a-t-il définitivement gagné la bataille des distributions GNU/Linux grand public ?[2]
  • Si oui, n’est-ce pas paradoxal que, quand bien même les communautés du libre soient parées de toutes les vertus, ce soit un un milliardaire (aussi sympathique et philantropique soit-il) qui ait raflé la mise ?
  • Si oui, est-ce que cette grande clarification est un facteur favorable pour la migration grand public de Windows vers Linux ?

Notes

[1] D’autant que Mark Shuttleworth lui-même (fondateur d’Ubuntu) ne le pense pas non plus : I don’t think there is money to be made in selling desktop Linux.

[2] Question subsidiaire : Et que devient Debian dans tout ça ?




Ma petite entreprise… ou comment économiser cent mille dollars avec les logiciels libres

Contando Dinheiro - Jeff Belmonte - CC-BY

La communauté n’apprécie généralement pas que l’on insiste avant tout sur l’argument du prix[1] lorsque l’on évoque le logiciel libre. Reconnaissons pourtant que c’est un argument de poids lorsqu’il s’agit d’évoquer le logiciel libre et le monde pragmatique de l’entreprise.

100.000 dollars (un peu moins en euros) d’économie grâce aux logiciels libres, voilà un titre qui fera tout de suite son petit effet chez le décideur pressé.

Mais ce qui pourra aussi faire son petit effet, avec la liste détaillée ci-dessous, c’est de constater qu’aujourd’hui le logiciel libre est capable de répondre à tous les besoins informatiques d’une petite (et moins petite) entreprise.

Nous espérons donc, avec cette courte traduction témoignage[2], être utile et donner des idées aux entrepreneurs et futurs entrepreneurs, aux PME, PMI, etc.

Avec le bémol suivant (outre la précision du chiffre avancé sujette à caution). On peut, comme nous en invite les auteurs en fin d’article, se demander nous aussi combien le logiciel libre nous aura fait épargner. Ce qui se résume à se demander combien le logiciel libre nous aura apporté.

Mais on peut également se demander ce que nous-même avons apporté au logiciel libre. Parce que c’est bien gentil de s’extasier sur les économies conséquentes réalisées. Mais si l’on ne donne rien en retour (temps et/ou argent) alors quelque part on rompt le cercle vertueux.

Screenshot - ChaseSagum site

L’Open Source m’a fait économiser 100 000 $

Open Source Saved Me $100,000

01 février 2008 – ChaseSagum.com

Ma femme et moi avons créé une société de développement internet en juin 2007. Ce faisant, nous avons cherché dès le début du coté des applications open source pour nous aider à gérer notre entreprise dans l’optique d’économiser de l’argent. L’utilisation de logiciels libres plutôt que de logiciels propriétaires devait nous permettre de garder aussi bas que possible nos frais généraux. En cherchant les alternatives aux logiciels open source (c’est-à-dire des logiciels achetés), qui pourraient être réellement bénéfiques pour notre activité et pour ce que nous réalisons, il a été étonnant de voir combien d’argent nous aurions pu y laisser. Je ne vais pas perdre de temps à vous décrire les logiciels payants que nous aurions pu acheter. Je vais plutôt partager avec vous la liste des applications open source que nous avons pu utiliser à la place, nous permettant ainsi une économie estimée au bas mot à environ 100 000 $. Je dis au bas mot, parce que malheureusement, la plupart des logiciels payants trouvent le moyen de sortir dans une nouvelle version chaque année vous obligeant souvent à repasser à la caisse.

Voici à quoi ressemble cette liste :

La dernière chose que nous avons inclus dans nos coûts a été l’hébergement de notre site web. Parce qu’utilisant des logiciels open source, notre compte Bluehost ne nous coûte que 6,95$ par mois pour 1,5 Go d’espace disque et 15 To de transfert. Rien que cela, le fait que nous soyons une entreprise internet, nous a fait économiser un paquet d’argent !

Sur le plan des coûts en terme de logiciels, et aussi des coûts de développement pour créer certains de ces outils, nous avons estimé que notre société a pu ainsi économiser 100000$ grâce à ces applications libres. Vous pouvez dire waouh ! Et je ne parle même pas de que ces applications nous ont apporté jusqu’ici. Ce serait une toute autre discussion. Ici, il ne s’agit que de l’argent économisé. C’est tout.

Comment est-ce possible? Grâce à toutes les personnes qui croient que l’open source doit exister. Ce qui ne cessera de me surprendre, c’est que beaucoup d’entreprises continuent à vivre en ignorant ces merveilleux outils. J’aimerais savoir combien d’argent vous avez économisé grâce à l’open source ! Alors s’il vous plaît laissez un commentaire et partagez vos chiffres avec nous. Merci.

Notes

[1] Illustration : Contando Dinheiro par Jeff Belmonte et sous licence Creative Commons BY.

[2] Traduction GaeliX (et relecture Mben) pour Framalang. Nous avons choisi de conserver l’expression open source en lieu et place logiciel libre parce qu’il nous a semblé qu’elle était ici plus proche de l’esprit des auteurs (et de leur culture américaine).




Open source ? Logiciel libre ? Les deux mon capitaine ?

Gianca - CC by-saNous reproduisons ici un article de la FSF de Stallman expliquant pourquoi de son point de vue il est plus que préférable, sémantiquement parlant, d’utiliser l’expression « logiciel libre » plutôt que « Open Source ».

Chez les francophones le débat est atténué parce que « libre » ne peux également signifier « gratuit » mais aussi parce que le monde de l’entreprise semble avoir adopté « logiciel libre » dans sa grande majorité.

Il n’empêche que cette polémique interne, de celles qu’affectionnent tant la communauté, est loin d’être stérile dans la mesure où elle permet à tout un chacun de mieux se positionner par rapport à sa propre définition d’un logiciel libre ainsi qu’au mouvement qui lui est associé[1].

Par exemple c’est toute l’approche pragmatique Windows de Framasoft qui se trouve interpellée par cette citation de Stallman extraite d’un autre billet blog : « Si vous n’avez pas la liberté pour principe, vous trouverez toujours une bonne raison de faire une exception. Il y aura toujours des moments où, pour une raison ou pour une autre, il y a un avantage pratique à faire une exception. »

Bonne lecture…

Pourquoi l’« Open Source » passe à coté du problème que soulève le logiciel libre

Why Open Source misses the point of Free Software

Richard Stallman – dernière mise à jour : 19 juin 2007
(Traduction : Mathieu Stumpf)

Quand on dit qu’un logiciel est « libre », on entend par là qu’il respecte les libertés essentielles de l’utilisateur : la liberté de l’utiliser, de l’étudier et de le modifier, et de redistribuer des copies avec ou sans modification. C’est une question de liberté, pas de prix, pensez donc à « liberté d’expression » (ndt : « free speech » en anglais), et pas à « bière gratuite » (ndt : « free beer » en anglais).

Ces libertés sont d’une importance vitale. Elles sont essentielles, pas juste pour les enjeux individuels des utilisateurs, mais parce qu’elles promeuvent la solidarité sociale, que sont le partage et la coopération. Elles deviennent encore plus importantes à mesure que de plus en plus notre culture et les activités quotidiennes sont numérisés. Dans un monde de sons, d’images et de mots numériques, le logiciel libre devient de plus en plus nécessaire pour la liberté en général.

Des dizaines de millions de personnes à travers le monde utilisent maintenant le logiciel libre ; les écoles des régions de l’Inde et de l’Espagne enseignent maintenant à tous les étudiants à utiliser le système d’exploitation libre GNU/Linux. Mais la plupart des utilisateurs n’ont jamais entendu parler des raisons éthiques pour lesquelles nous avons développé ce système et bâti la communauté du logiciel libre, parce qu’aujourd’hui ce système et la communauté sont plus souvent décrits comme « open source » (ndt : à code source ouvert) et attribués à une philosophie différente dans laquelle ces libertés sont à peine mentionnées.

Le mouvement du logiciel libre a fait campagne pour la liberté des utilisateurs d’ordinateur depuis 1983. En 1984 nous avons lancé le développement du système d’exploitation libre GNU, pour pouvoir ainsi éviter d’utiliser un système qui refuse la liberté à ses utilisateurs. Durant les années 80, nous avons développé la majeure partie des composants essentiels d’un tel système, tout autant que la GNU General Public License, une licence conçue spécifiquement pour protéger la liberté pour tous les utilisateurs d’un programme.

Cependant, tous les utilisateurs et les développeurs de logiciel libre n’étaient pas en accord avec les buts du mouvement du logiciel libre. En 1998, une partie de la communauté du logiciel libre s’est mise à part et a commencé à faire campagne au nom de l’« open source ». Le terme fut originellement proposé pour éviter une possible incompréhension du terme « logiciel libre » (ndt : « free software ») mais il fut bientôt associé avec des points de vue philosophique complètement différents de ceux du mouvement du logiciel libre.

Certains des partisans de l’« open source » considéraient cela comme « une campagne marketing pour le logiciel libre » qui plairait aux cadres des entreprises en citant les avantages pratiques, tout en évitant les idées de bien ou de mal qu’ils pourraient ne pas aimer entendre. D’autres partisans rejetèrent catégoriquement les valeurs morales et sociales du mouvement du logiciel libre. Quel que fut leur point de vue, pendant leur campagne sur l’« open source » ils ne mentionnèrent ou ne préconisèrent pas ces valeurs. Le terme « open source » devint rapidement associé avec la pratique de ne citer que les valeurs pratiques, tel que faire des logiciels puissants et fiables. La plupart des défenseurs de l’« open source » se sont ralliés à celui-ci depuis, et cette pratique est celle dont ils se servent.

Pratiquement tous les logiciels « open source » sont des logiciels libres ; les deux termes décrivent pratiquement la même catégorie de logiciel. Mais ils représentent des vues basées sur des valeurs fondamentalement différentes. L’« open source » est une méthodologie de développement ; le logiciel libre est un mouvement social. Pour le mouvement du logiciel libre, le logiciel libre est un impératif éthique, parce que seul le logiciel libre respecte la liberté de l’utilisateur. En revanche, la philosophie de l’« open source » considère uniquement les questions pratiques en termes de performance. Cela signifie que les logiciels non-libres sont des solutions sous-optimales. Pour le mouvement du logiciel libre cependant, les logiciels non-libres sont un problème social et migrer vers les logiciels libres est une solution.

« Logiciel libre ». « Open source ». Si ce sont les mêmes logiciels, le nom utilisé pour les qualifier est-il important ? Oui, parce que des mots différents véhiculent des idées différentes. Bien qu’un programme libre avec n’importe quel autre nom vous donnerait la même liberté aujourd’hui, l’établissement de la liberté de manière durable dépend par dessus tout de l’enseignement de la valeur de la liberté. Si vous voulez aider à faire cela, il est essentiel de parler de « logiciel libre ».

Nous, dans le mouvement du logiciel libre, nous ne considérons pas le mouvement « open source » comme un ennemi ; l’ennemi est le logiciel propriétaire. Mais nous voulons que les gens sachent que nous représentons la liberté, alors nous n’acceptons pas d’être incorrectement assimilés aux défenseurs de l’« open source ».

Malentendus courants sur le « logiciel libre » et l’« open source »

Ndt : Le paragraphe suivant traite de l’amalgame qui existe dans le terme « logiciel libre » dans la langue anglaise. En effet, en anglais on parle de « free software », le mot « free » pouvant s’interpréter aussi bien par « libre » que par « gratuit ». En français cet amalgame n’existe pas.

Le terme de « free sofware » souffre d’un problème de mauvaise interprétation : une signification fortuite, « un logiciel que vous pouvez avoir gratuitement » correspond au terme aussi bien que la signification voulue, « un logiciel qui donne certaines libertés à l’utilisateur ». Nous traitons ce problème en publiant la définition de logiciel libre, et en disant « Pensez à la liberté d’expression, pas à la bière gratuite » (ndt : « Think of free speech, not free beer. »). Ce n’est pas une solution parfaite, cela ne peut pas complètement éliminer le problème. Un terme correct non ambigu serait meilleur, s’il n’avait pas d’autres problèmes.

Malheureusement, toutes les alternatives en anglais ont leurs propres problèmes. Nous avons étudié de nombreuses alternatives que les gens nous ont proposées, mais aucune n’est aussi clairement « juste » pour que changer soit une bonne idée. Tous les remplacements suggérés pour « free software » ont des problèmes de sémantique, ce qui inclut « open source software ».

La définition officielle d’un « logiciel open source » (qui est publiée par l’Open Source Initiative est trop longue pour être citée ici) était indirectement dérivée de nos critères pour le logiciel libre. Ce n’est pas la même elle est un peu plus laxiste à quelques égards, en conséquence de quoi les défenseurs de l’open source ont accepté quelques licences que nous considérons inadmissibles par les restrictions qu’elles imposent aux utilisateurs. Néammoins, elle est assez près de notre définition dans la pratique.

Cependant, la signification évidente de « logiciel open source » est « Vous pouvez regardez le code source » et la plupart des gens semble penser que c’est ce que cela signifie. C’est un critère beaucoup plus faible que celui du logiciel libre, et beaucoup plus faible que la définition officielle de l’open source. Elle inclut beaucoup de programmes qui ne sont ni libres, ni open source.

Puisque cette signification évidente d’« open source » n’est pas la signification que ceux qui la préconisent entendent, le résultat est que la plupart des gens se méprennent sur le terme. Voilà comme Neal Stephenson définit l’« open source » :

Linux est la signification du logiciel « open source », simplement que quiconque peut obtenir des copies des fichiers de son code source.

Je ne pense pas qu’il a délibérément cherché à rejeter ou contester la définition officielle. Je pense qu’il a simplement appliqué les conventions de l’anglais pour trouver une signification du terme. L’état du Kansas à publié une définition similaire :

Utiliser le logiciel open source. Le logiciel open source est un le logiciel pour lequel le code source est librement et publiquement disponible, bien que les accords de licence spécifiques changent quant à ce qui est permis de faire avec ce code.

Les gens de l’open source essaient de traiter ceci en renvoyant à leur définition officielle, mais cette approche corrective est moins efficace pour eux qu’elle ne l’est pour nous. Le terme « free software » a deux significations naturelles, l’une d’entre elle est la signification escomptée, ainsi une personne qui aura saisi l’idée de « free speech, not free beer » ne pourra plus dès lors se tromper sur son sens. Ainsi il n’y a aucune manière succincte d’expliquer et de justifier la définition officielle d’« open source ». Cela rend encore pire la confusion.

Des valeurs différentes peuvent amener à des conclusions similaires… mais pas toujours

Les groupes radicaux dans les années 60 avaient une réputation pour le sectarisme : quelques organismes se sont scindés en deux en raison des désaccords sur des détails de stratégie et les deux groupes résultants se sont traités l’un l’autre comme des ennemis en dépit du fait qu’ils aient les mêmes buts et des valeurs de base semblables. La droite a fait grand cas de ceci et a utilisé cela pour critiquer la gauche toute entière.

Certains essaient de déprécier le mouvement du logiciel libre en comparant notre désaccord avec l’open source avec les désaccords de ces groupes radicaux. Ces personnes ne font que reculer. Nous sommes en désaccord avec le camp de l’open source sur les buts et les valeurs de base, mais leurs points de vue et les nôtres mènent dans beaucoup de cas au même comportement pratique, comme développer du logiciel libre.

En conséquence, les gens du mouvement du logiciel libre et du camp de l’open source travaillent souvent ensemble sur des projets pratiques tels que le développement de logiciel. Il est remarquable que de telles différences de point de vue philosophiques puissent tellement souvent motiver des personnes différentes à participer aux mêmes projets. Néanmoins, ces vues sont très différentes et il y a des situations où elles mènent à des actions très différentes.

L’idée de l’open source c’est que permettre aux utilisateurs de modifier et redistribuer le logiciel le rendra plus puissant et fiable. Mais ce n’est pas garanti. Les développeurs de logiciel propriétaire ne sont pas nécessairement incompétents. Parfois il produisent un programme qui est puissant et fiable, bien qu’il ne respecte pas les libertés des utilisateurs. Comment les activistes du logiciel libre et les supporters de l’open source vont réagir à cela ?

Un supporter de l’open source, un qui n’est pas du tout influencé par les idéaux du logiciel libre, dira, « Je suis surpris que vous ayez été capable de faire fonctionner ce programme si bien sans utiliser notre modèle de développement, mais vous l’avez fait. Comment puis-je avoir une copie ? ». Ce genre d’attitude incite des arrangements qui emportent avec eux notre liberté, la menant à sa perte.

L’activiste du logiciel libre dira « Votre programme est vraiment attrayant, mais pas au prix de ma liberté. Je dois donc faire sans. Au lieu de cela je soutiendrai un projet pour développer un remplacement libre. Si nous accordons de la valeur à notre liberté, nous pouvons agir pour la maintenir et la défendre.

Le logiciel puissant et fiable peut être mauvais

L’idée que nous voulons que le logiciel soit puissant et fiable vient de la supposition que le logiciel est fait pour servir ses utilisateurs. S’il est puissant et fiable, il les sert mieux.

Mais on ne peut dire d’un logiciel qu’il sert ses utilisateurs seulement s’il respecte leur liberté. Que dire si le logiciel est conçu pour enchaîner ses utilisateurs ? La fiabilité ne signifie alors uniquement que les chaînes sont plus difficiles à retirer.

Sous la pression des compagnies de film et de disque, les logiciels à usage individuel sont de plus en plus conçus spécifiquement pour imposer des restrictions. Ce dispositif malveillant est connu sous le nom de DRM, ou Digital Restrictions Management (ndt : Gestion Numérique des Droits) (voir DefectiveByDesign.org), et c’est l’antithèse dans l’esprit de la liberté que le logiciel libre vise à fournir. Et pas simplement dans l’esprit : puisque le but des DRM est de piétiner votre liberté, les concepteurs de DRM essayent de rendre difficile, impossible ou même illégal pour vous de modifier le logiciel qui met en application les DRM.

Pourtant quelques défenseurs de l’open source ont proposé des logiciels « DRM open source ». Leur idée est qu’en publiant le code source de leur programme conçu pour restreindre votre accès aux medias chiffrés, et en autorisant d’autres à le modifier, ils produiront un logiciel plus puissant et plus fiable pour limiter le droit des utilisateurs comme vous. Il vous sera alors livré dans des dispositifs qui ne vous permettent pas de le changer.

Ce logiciel pourrait être « open source » et utiliser le modèle de développement open source ; mais il ne sera pas un logiciel libre, étant donné qu’il ne respectera pas la liberté des utilisateurs qui l’utiliseront. Si le modèle de développement open source réussi à réaliser un logiciel plus puissant et fiable pour limiter vos droits, cela le rendra encore pire.

La crainte de la liberté

La principale motivation initiale pour le terme « logiciel open source » est que les idées éthiques du « logiciel libre » rend certaines personnes mal à l’aise. C’est vrai : parler de liberté, de problèmes d’éthique, de responsabilités aussi bien que de commodités, c’est demander aux gens de penser à des choses qu’ils préféreraient ignorer, comme leur conduite est-elle éthique ou non. Ceci peut déclencher un malaise et certains peuvent simplement fermer leurs esprits à cela. Il ne s’en suit pas que nous devrions cesser de parler de ces choses.

Cependant, c’est ce que les dirigeants de l’« open source » ont décidé de faire. Ils se sont figuré qu’en passant sous silence l’éthique et la liberté, et en ne parlant que des bénéfices immédiats de certains logiciels libres, ils seraient à même de « vendre » le logiciel plus efficacement à certains utilisateurs, particulièrement aux entreprises.

Cette approche à prouvé son efficacité, dans ses propres termes. La rhétorique de l’open source à convaincu beaucoup d’entreprises et d’individus à utiliser, et même à développer du logiciel libre, ce qui a étendu notre communauté, mais seulement au niveau superficiel et pratique. La philosophie de l’open source avec ses valeurs purement pratiques, empêche la compréhension des idées plus profondes du logiciel libre ; elle apporte beaucoup de monde dans notre communauté, mais ne leur enseigne pas à la défendre. Cela est bon, tant que les choses vont bien, mais ce n’est pas assez pour instaurer une liberté durable. Attirer des utilisateurs vers le logiciel libre ne fait que leur faire prendre une partie du chemin pour devenir des défenseurs de leur propre liberté.

Tôt ou tard, ces utilisateurs seront invités à retourner vers le logiciel propriétaire pour quelques avantages pratiques. D’innombrables compagnies cherchent à offrir une telle tentation, certaines offrent même des copies gratuites. Pourquoi les utilisateurs refuseraient-ils ? C’est seulement s’ils ont appris la valeur de la liberté que le logiciel libre leur donne, la valeur de cette liberté en tant que telle plutôt que la commodité technique et pratique de logiciels libres spécifiques. Pour diffuser cette idée, nous devons parler de logiciel libre. Une certaine quantité de l’approche « passer sous silence » avec les entreprises peut être utile pour la communauté, mais elle est dangereuse si elle devient si commune que l’amour de la liberté en vient à sembler comme une excentricité.

Cette dangereuse situation est exactement ce que nous avons. La plupart des gens impliqué dans le logiciel libre en disent peu sur la liberté, habituellement parce qu’ils cherchent à sembler « plus acceptables pour les entreprises ». Les distributeurs de logiciel montrent particulièrement ce modèle. Pratiquement tous les distributeurs de système d’exploitation GNU/Linux ajoutent des paquetages propriétaires au système de base libre, et ils invitent les utilisateurs à considérer cela comme un avantage, plutôt qu’un pas en arrière vis-à-vis de la liberté.

Les greffons logiciels propriétaires et particulièrement les distributions non-libres GNU/Linux, trouvent un sol fertile parce que notre communauté n’insiste pas sur la liberté de ses logiciels. Ce n’est pas une coïncidence. La plupart des utilisateurs GNU/Linux furent introduits au système par un discours « open source » qui ne leur a pas dit que la liberté était le but. Les aspects pratiques qui n’impliquent pas la liberté et les discours qui ne parlent pas de liberté vont de pair, l’un favorisant l’autre. Pour surmonter cette tendance, nous avons besoin de plus parler de liberté, pas l’inverse.

Conclusion

Alors que ceux qui préconisent l’open source amènent de nouveaux utilisateurs dans notre communauté, nous, activistes du logiciel libre, devons travailler encore plus pour porter l’attention de ces nouveaux utilisateurs sur les problèmes de liberté. Nous devons leur dire « C’est le logiciel libre et il te donne la liberté ! » plus souvent et plus fort que jamais. Chaque fois que vous dites « logiciel libre » plutôt qu’« open source » vous aidez notre campagne.

Apostille

Joe Barr a écrit un article intitulé Live and let license (ndt : Vivre et laisser licencier) qui donne sa perspective sur cette question.

Le paper on the motivation of free software developers (ndt : le papier sur la motivation des développeurs de logiciel libre) de Lakhani et Wolf dit qu’une fraction considérable est motivée par la perspective que le logiciel devrait être libre. Cela malgré le fait qu’ils ont examiné les développeurs de SourceForge, un site qui ne soutient pas le point de vue qui veut qu’il s’agit d’un problème éthique.

Copyright © 2007 Richard Stallman

Verbatim copying and distribution of this entire article is permitted in any medium, provided this notice is preserved.

La reproduction exacte et la distribution intégrale de cet article est permise sur n’importe quel support d’archivage, pourvu que cette notice soit préservée.

Notes

[1] Crédit photo : Gianca (Creative Commons By-Sa)