Pourquoi il nous tient à cœur de ne pas confondre Hacker et Cracker

Gregor_y - CC by-saSi vous êtes un lecteur assidu du Framablog, vous ne découvrirez probablement pas grand-chose de nouveau dans l’article qui suit. Mais il n’est pas non plus dépourvu d’intérêt, loin s’en faut : il peut être une référence pour tous ceux qui ne connaissent pas bien la différence entre les « hackers » et les « crackers », et ils sont nombreux. On dit souvent, à raison, que cette confusion est de nature médiatique, mais malheureusement ce n’est que partiellement vrai. Avec l’influence que les médias ont pu avoir, il est devenu très courant d’entendre au détour d’une conversation que des « hackers ont piraté (ou que des pirates ont hacké !) tel système ». Et même dans les GUL ! C’est pour cela qu’il m’a paru important de revenir aux sources… Pourquoi hacker n’a rien à voir avec cracker ?

Il me semble d’autant plus dommage de confondre ces deux notions qu’à mon avis le « hacking » a un grand rôle à jouer dans notre société. On a souvent beaucoup de préjugés sur Marx, à cause de la simplification de ses écrits qui a nourri le marxisme (à tel point qu’on appelle les personnes qui étudient directement Marx, les marxiens !). Sans tomber dans le marxisme, le concept de fétichisme de la marchandise me semble particulièrement intéressant pour décrire la situation actuelle : pour faire fonctionner le système économique tel qu’il est, il faut que l’acheteur se réduise à une simple fonction de consommation, sans produire par lui-même, ou pour lui-même. Le fétichisme est à la fois une admiration et une soumission. Il faut acheter des produits de marque. Apple est à mon avis un super exemple : le simple fait de poser une pomme (même pas entière) sur un produit de qualité moyenne, double son prix, et entraîne une myriade de « fans ».

Derrière ce nom barbare du fétichisme de la marchandise, se cache un double phénomène : la sacralisation de la marchandise, engendrant l’aliénation de l’homme à cette dernière. Tout cela pour dire que les produits sont pris pour plus qu’ils ne sont réellement, que par exemple l’homme est prêt à sacrifier beaucoup pour acquérir un objet. Ainsi, le fétichisme de la marchandise permet, à mon sens, de rendre compte de la situation de l’économie actuelle. Une instance économique (le plus souvent les entreprises) produit un objet ou un service qui apparaît cher aux yeux des consommateurs, qui ne doivent l’utiliser que dans le sens pour lequel il a été créé. Encore une fois Apple, cas extrême, permet de rendre compte de la situation : tout ne repose que sur leur image de marque, de haut de gamme, alors que la réalité est terrifiante (Big Brother censure, qualité de l’électronique tout à fait moyenne, matériel et logiciels fermés et propriétaires jusqu’à l’os, bidouillabilité et respect des utilisateurs faibles voire nuls, etc). Là où je veux en venir est que le fétichisme de la marchandise permet de masquer les yeux du consommateur pour que celui-ci se contente d’utiliser servilement ce qu’on lui propose tout en étant satisfait.

Pour entrer plus dans le détail du concept, selon Marx si l’objet est sacralisé c’est parce que le rapport social de production, qui est extérieur au produit, est pris comme faisant partie intégrante de la marchandise. Concrètement, un produit (ou un service) est conçu conformément à des exigences sociales, mais on croit que la valeur sociale attribuée à l’objet vient de l’objet lui-même. On croit que le produit peut exister tout seul, en dehors de tout contexte de société. Par exemple, on peut être fier d’avoir le tout dernier joujou à la mode qui en jette plein les yeux. Dans ce cas, la reconnaissance sociale liée à la possession de l’objet est prise comme étant intégralement due à l’objet que l’on achète. La marchandise est alors élevée à un statut supérieur par une opération certes magique mais inconsciente. L’objet est donc sacralisé, l’aliénation en est ensuite la conséquence : l’objet qui semble posséder des pouvoirs « magiques » doit être protégé, conservé, etc. C’est la soumission qui va de pair avec toute forme de sacré. Et c’est exactement ce qu’essaient de cultiver les entreprises.

De plus, un effet de mode étant très éphémère, l’objet devient vite un fardeau, une vieillerie, car son « pouvoir » secret se tarit. Ce qui, à mon sens, explique la frénésie du schéma achat-consommation-rejet-poubelle de notre système économique, et de nos modes de vie. Le fétichisme de la marchandise vient de là : un rapport social occulté qui entraîne une sacralisation du produit : il faut se contenter pour être heureux d’acheter, de ne pas abîmer, de préserver le produit à l’identique (pour essayer de garder ses vertus magiques que l’on a pu avoir l’impression de palper), de ne pas bidouiller, ni en faire une utilisation trop originale.

Quel est le rapport en fin de compte avec le hacking ? C’est une solution ! Je n’ai fait le rapprochement que très récemment dans une interview de la radio des RMLL de John Lejeune, un animateur du projet Hackable Devices, qui disait que « Tout ce qui est do-it-yourself, bidouille, réappropriation des connaissances, etc, est en train de revenir. L’intérêt est aussi de détourner des fonctions, savoir comment ça marche, comprendre, et désacraliser les objets ». Et effectivement, manipuler, bidouiller, faire par soi-même permet de démystifier le produit, de ne plus être dans une attitude de simple consommation, de ne pas se contenter de vivre en lecture seule[1]. On voit que ce n’est pas compliqué de créer, qu’à l’intérieur de la boîte noire du dernier joujou à la mode, il n’y a finalement rien d’extraordinaire, ni de magique. Le rapport à la marchandise s’inverse : au lieu de se soumettre à elle, on la maîtrise, la contrôle et l’adapte à ses besoins. Confondre « Hacking » et « Cracking » est donc d’autant plus dommageable que les deux notions recouvrent des modes de vie et des fonctionnements différents. Égaliser les deux notions, c’est faire réprimer le vrai « Hacking » par la société et donc en un sens se voiler la face sur des problèmes existants. Cet article me parait donc un début de solution !

Hacker vaillant, rien d’impossible 😉

Lettre ouverte aux médias sur le mauvais usage du terme « hacker »

Open letter to the media about the misuse of the term "hacker"

Matija Šuklje – 2 août 2010 – Hook’s Humble
(Traduction Framalang : Marting, Siltaar, Loque Humaine et Barbidule)

Ces derniers jours et semaines, on a beaucoup parlé dans les médias slovènes de trois Slovènes qui auraient collaboré au botnet Mariposa. Si vous ne savez pas de quoi il s’agit, vous pouvez lire ce communiqué de presse du FBI. Les médias n’ont cessé d’appeller ces présumés cybercriminels des « hackers ». Comme c’est un abus de langage et que nous sommes nombreux, au sein du groupe Slovène de la Free Software Foundation Europe, à nous définir par ce terme de « hackers », nous avons estimé que quelque chose devait être fait. Nous avons donc écrit et envoyé une lettre ouverte aux médias pour leur expliquer la différence entre « hacker » et « cracker » et les inviter aimablement à employer ces mots correctement à l’avenir. Cette action a été soutenue par plusieurs autres groupes et organismes. La suite correspond au texte entier de la lettre ouverte et à sa traduction.

Madame, Monsieur,

Ces dernières semaines, au sujet de l’action du FBI contre un cybercrime ayant abouti à l’arrestation d’un suspect en Slovénie, le mot « hacker » a été utilisé à plusieurs reprises dans les médias dans un contexte et dans un sens erronés. Ce terme ayant un sens différent pour les experts et pour le public profane, nous avons trouvé opportun de vous le signaler par cette lettre ouverte.

« Hacker » vient du verbe « to hack », « bidouiller ». Cette expression fut forgée au MIT (Massachusetts Institute of Technology) dans les années 50, et signifie résoudre un problème technique d’une manière originale. Dans le jargon de l’informatique, elle est encore utilisée pour désigner des modifications inventives ou originales d’un programme ou d’un système, basées sur une compréhension profonde et dans un but qui n’était pas celui prévu initalement.

Beaucoup d’autorités dans le domaine de l’informatique et de la sécurité entendent le terme « hacking » comme un état d’esprit, la capacité à penser hors des frontières, des façons de faire et des méthodes établies, en essayant de surmonter ces obstacles. Les exemples sont nombreux de « hackers » mettant leurs compétences et leur créativité au service de causes nobles et de l’intérêt général, en faisant en sorte que tout le monde puisse utiliser ou modifier leur programme. Des exemples de tels logiciels libres sont : GNU/Linux, Mozilla Firefox, Mozilla Thunderbird, Google Chromium, OpenOffice.org, SpamAssassin, GIMP, Scribus etc.

Ce furent les médias et l’industrie du film qui utilisèrent ensuite (à tort) le mot « hacker » pour désigner les cybercriminels, ce qui provoqua évidemment une certaine confusion. Ce désordre est encore alimenté par l’évolution de la terminologie, et par les traductions dans la langue slovène.

Pour désigner une personne qui s’introduit dans des systèmes informatiques avec une intention criminelle, il est plus approprié d’utiliser le terme « cracker ». Ce terme désigne les personnes qui contournent des systèmes de sécurité sans autorisation et/ou qui utilisent les TIC (c’est-à-dire habituellement des ordinateurs, des téléphones ou des réseaux) pour s’introduire dans des systèmes et se livrer à des activités illégales ou criminelles — vandalisme, fraudes aux cartes de crédit, usurpation d’identité, piratage, et autres types d’activités illégales.


Ainsi, le dictionnaire slovène d’informatique fait bien la distinction entre le terme « hacker », entendu comme « un passionné d’informatique orienté sur la technique » et le terme « cracker » « qui s’introduit dans les systèmes informatiques avec l’intention d’utiliser des données ou des programmes sans autorisation ».

C’est pourquoi il convient d’utiliser le terme « crackers » pour désigner ces personnes suspectées de crimes informatiques. Au cours des dernières décennies, de nombreuses avancées technologiques furent le fruit du phénomène « hacker » — les ordinateurs personnels, l’Internet, le logiciel libre — il serait donc abusif d’assimiler hackers et criminels. Cela équivaudrait à qualifier tous les pharmaciens d’empoisonneurs.

Nous comprenons que la confusion actuelle existe depuis assez longtemps et c’est d’ailleurs pour cela que nous pensons qu’il est largement temps de clarifier ce point ensemble. Aussi nous vous demandons, s’il vous plaît, de bien vouloir à l’avenir utiliser le terme approprié.

Bien cordialement,

Matija Šuklje : coordinateur du groupe slovène de la FSFE[2]

Co-signataires : Andrej Kositer (président du COKS[3]), Simon Delakorda, (directeur du INePA[4]), Andrej Vernekar (président du LUGOS[5]), Klemen Robnik (de Kiberpipa/Cyberpipe[6]) et Ljudmila[7].

Notes

[1] Crédit photo : Gregor_y (Creative Commons By-Sa)

[2] Le groupe slovène de l’association FSFE est un groupe supportant la « Free Software Foundation Europe » ainsi que le logiciel libre et open-source en général, organisé en tant que mouvement citoyen. Nous défendons le logiciel libre, les standards et les formats ouverts.

[3] Le Centre Open Source Slovène (COKS – Center odprte kode Slovenije) soutient au niveau national en Slovénie, le développement l’utilisation et la connaissance des technologies open-source ainsi que des systèmes d’exploitation libres. Nous aidons et soutenons les utilisateurs de ces systèmes d’exploitation dans le secteur public et privé, et coopérons avec les instances européennes dans le domaine de l’open-source et des politiques de gouvernance en informatique.

[4] L’Institut d’Apport en Électronique INePA (Inštitut za elektronsko participacijo) est une organisation non gouvernementale à but non-lucratif dans le domaine de l’e-democratie. L’INePA effectue aussi bien des projets applicatifs et de développement que des activités juridiques et en lien avec les ONG, les institutionsn et les individus qui supportent le consolidation de la démocratie et de la participation politique par l’usage des TIC. L’institut est membre du Réseau Pan-Européen d’eParticipation, et du Réseau de Citoyens d’Europe Centrale et de l’Est.

[5] LUGOS (Linux user group of Slovenia) est une association d’utilisateurs du système d’exploitation libre et open-source GNU/Linux. Parmi ses activités, elle propose entre autre un support aux utilisateurs et traduit des logiciels libres. Elle s’occupe aussi du réseau ouvert sans fil de Ljubljana (wlan-lj) et des lectures hebdomadaires de « Pipe’s Open Terms » (en coopération avec Cyberpipe).

[6] Kiberpipa/Cyberpipe est un collectif de défense de l’open-source et des libertés numériques. Dans le centre de Ljublljana, il crée une culture numérique, et informe experts et grand public par le biais de présentations, de lectures et d’ateliers.

[7] Ljudmila Le laboratoire de Ljubljana pour un média et une culture numérique (1994) est le premier laboratoire à but non-lucratif en Slovénie qui supporte la recherche inventive et créative, au travers de projets de travail autour de l’Internet, de la vidéo numérique, de l’art électronique, de la radio numérique, de la communication, du développement du logiciel open-source et connecte tout ceci dans une approche interdisciplinaire. Il promeut aussi aussi bien l’éducation en groupes autonomes qu’en ateliers et il est le fondateur du réseau de centres multimédia « M3C » en Slovénie.




Rue du Logiciel Libre – Berga – Espagne

Free Software StreetIl fallait y penser, des catalans l’ont fait : donner le nom du Logiciel Libre à une rue !

Et qui d’autre que Richard Stallman pour venir l’inaugurer[1].

Ça fait classe sur une carte de visite, non ?!

La voici finement localisée sur OpenStreetMap.

Si certains hackers se demandaient où habiter en Europe, ils ont désormais une option supplémentaire 🙂

Remarque : L’équipe Framalang a participé à Wikipédia pour l’occasion puisque nous y avons directement traduit l’article d’origine anglophone Free Software Street.

Rue du logiciel libre

Free Software Street

Wikipédia en date du 17 juillet 2010
(Traduction Framalang : Cheval boiteux et Siltaar)

La Rue du Logiciel Libre est une rue de 300 mètres dans la ville de Berga, de la province de Barcelone (Espagne). Elle relie directement les coordonnées géodésiques (42.097168 ° – 1.841567 °) et (42.096138 ° – 1.839265 °)., localisée par les coordonnées 42.097168, 1.841567 à 42.096138,1.839265 et a été officiellement inaugurée par Richard Stallman le fondateur de la Free Software Foundation le 3 Juillet 2010.

Au mois de juin 2009, Albert Molina, Xavier Gassó et Abel Parera préparaient les actions pour la première conférence sur les logiciels libres à Berga et Albert Molina a proposé que l’on demande au conseil municipal de nommer une rue en l’honneur des logiciels libres. Puisque Molina avait travaillé au conseil municipal, il sembla préférable de faire porter cette requête par une autre personne, et c’est Xavier Gassó qui en a été chargé.

Cette demande est ensuite restée des mois sans réponse.

En janvier 2010, pendant la préparation de la conférence ayant lieu en 2010, Albert et Xavier ont essayé de contacter les décideurs politiques pour faire avancer l’idée, et ils ont invité Richard Stallman à participer à l’ouverture de cette rue.

Finalement, les multiples tentatives de contact avec les politiques ont abouti, le 10 juin 2010, à ce que le conseil municipal de Berga adopte une résolution visant à nommer « Carrer del Programari Lliure » (traduction catalane de Rue du Logiciel Libre) la rue proposée par Albert.

Le 3 juillet 2010 à 20h00, le maire de Berga M. Juli Gendrau et M. Richard Stallman ont inauguré cette rue.

Free Software Street

Notes

[1] Crédit photos : Telecentre de Berga




Geektionnerd : Ballot Screen

« Toute la vie est une affaire de choix. Cela commence par : la tétine ou le téton ? Et cela s’achève par : Le chêne ou le sapin ? » Pierre Desproges

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




L’ACTA en l’état ne passera pas par moi !

Raïssa Bandou - CC by« Depuis le printemps 2008, l’Union européenne, les États-Unis, le Japon, le Canada, la Corée du Sud, l’Australie ainsi qu’un certain nombre d’autres pays négocient secrètement un accord commercial destiné à lutter contre la contrefaçon (Anti-Counterfeinting Trade Agreement ou ACTA). Suite à des fuites de documents confidentiels, il apparaît clairement que l’un des buts principaux de ce traité est de forcer les pays signataires à mettre en place des mesures de répression de partage d’œuvre sur Internet sous la forme de riposte graduée et de filtrage du Net.

Alors que d’importants débats ont lieu sur la nécessité d’adapter le droit d’auteur à l’ère numérique, ce traité cherche à contourner les processus démocratiques afin d’imposer, par la généralisation de mesures répressives, un régime juridique fondamentalement dépassé. »

Ainsi s’ouvre la rubrique ACTA du site de La Quadrature du Net qui nous demande aujourd’hui d’écrire à nos représentants pour appuyer une initiative de quatre eurodéputés s’opposant à l’accord.

Sur le fond comme dans la forme, cet accord s’apparente à un pur scandale. Ces petites négociations entre amis seraient passées comme une lettre à la poste il y a à peine plus de dix ans. Mais aujourd’hui il y a un caillou dans les souliers de ceux qui estiment bon de garder le secret[1]. Un caillou imprévu qui s’appelle Internet. Raison de plus pour eux de le museler et pour nous de résister…

Pour évoquer cela nous avons choisi de traduire un article de Cory Doctorow qui résume bien la (triste) situation et comment nous pouvons tous ensemble tenter d’y remédier.

ACTA et le Web : quand le copyright s’installe en douce

Copyright Undercover: ACTA & the Web

Cory Doctorow – 17 février 2010 – InternetEvolution.com
(Traduction Framalang : Tinou, Psychoslave, Barbidule, Goofy et Don Rico)

Introduction

Le septième round de négociations secrètes sur l’ACAC (Accord commercial anti-contrefaçon, en anglais ACTA) s’est achevé le mois dernier à Guadalajara (Mexique). Le silence radio sur ces négociations est quasi-total : tels les kremlinologues de l’ère soviétique, nous devons nous contenter d’interpréter les maigres indices qui transpirent au-delà des portes closes.

Voici ce que nous savons : l’idée que des traités fondamentaux sur le droit d’auteur puissent être négociés secrètement est en train de perdre du terrain partout dans le monde. Les législateurs des pays participant aux négociations exigent que ce processus soit ouvert à la presse, aux activistes et au public.

Pour leur répondre, les négociateurs soutiennent — de manière surprenante — que le traité ne modifiera en rien les lois de leur pays, et que seuls les autres états devront faire évoluer leur droit (comme tous ces pays ont des législations foncièrement divergentes en matière de droits d’auteur, quelqu’un ment forcément. Je parie qu’il mentent tous).

Nous connaissons enfin l’attitude des promoteurs de l’ACAC à l’égard du débat public : au cours de la terne « réunion publique » tenue avant que les négociations ne débutent, une activiste a été expulsée pour avoir ébruité sur Twitter un compte-rendu des promesses faites verbalement par les intervenants à la tribune. Alors qu’on l’emmenait, elle a été huée par les lobbyistes qui peuvent participer à ce traité dont sont exclus les simples citoyens.

Cette situation embarrasse toutes les parties concernées, mettant à nu une attitude pro-capitaliste dont l’intérêt dépasse largement le cadre du copyright. Cela doit cesser. Nous verrons dans cet article comment nous en sommes arrivés là, et ce que vous pouvez faire pour mettre un terme à cette menace.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Un peu d’histoire, pour ceux à qui les épisodes sous-médiatisés précédents auraient échappé : les traités internationaux sur le droit d’auteur émanent à l’origine d’une agence des Nations Unies appelé l’OMPI, l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle. Au départ, il s’agissait d’une agence privée créée pour servir de bras armé aux grandes « industries de la propriété intellectuelle » (musique, films, produits pharmaceutiques, télévision, etc.). Elle a pris forme en tant que consortium d’industries du privé, puis a ultérieurement gagné une légitimité lors de son intégration à l’ONU.

La prise en compte par l’ONU a donné un pouvoir énorme aux intérêts privés qui ont fondé l’OMPI, mais dans le même temps cela signifiait qu’ils devaient suivre les règles de l’ONU, c’est-à-dire que les organismes non-gouvernementaux et la presse était autorisés à assister aux négociations, à en rendre compte et même à y participer. Au début des années 2000, le groupement d’intérêt public Knowledge Ecology International a commencé à embrigader d’autres organisations pour suivre les actions de l’OMPI.

Ah, au fait, j’étais l’un des délégués qui a rejoint cette vague, au nom de l’Electronic Frontier Foundation. Les militants présents à l’OMPI ont tué dans l’œuf le traité en cours de négociation, le Traité de Télédiffusion, et l’ont remplacé par un autre destiné à aider les personnes aveugles et handicapées, les archivistes et les éducateurs. Pas vraiment les actions prioritaires pour les grosses multinationales du divertissement.

Ils ont donc déplacé leurs forums. Depuis 2006, divers pays riches — les États-Unis, le Canada, le Japon, l’Union Européenne, l’Australie et d’autres – ont tenu une série de séances de rédaction de traité en comité privé, sous le sceau de la non-divulgation.

Tout secret connu de deux personnes ou plus finit toujours par s’éventer, aussi de nombreuses divulgations nous donnent-elles un aperçu du chapitre « Internet » du traité, où des dispositions ont été prises sur la gouvernance et les restrictions imposées au réseau mondial. Lisez donc la suite.

Ce qu’a fait l’ACAC jusqu’ici

Arrêtons-nous un instant pour parler des concepts de copyright, d’Internet, et de gouvernance. Historiquement, les lois sur le copyright ont été écrites par et au bénéfice des prestataires de l’industrie du divertissement. Les règles du copyright n’ont pas été pensées pour contrôler de façon appropriée un quelconque autre domaine: on n’essaie pas de caser des morceaux du code du travail, des lois sur la finance, l’éducation, la santé ou les campagnes électorales dans le système du copyright.

Mais dès que vous transférez ces activités à Internet, le copyright devient la première méthode de contrôle, faisant autorité sur tout. Il est impossible de faire quoi que ce soit sur Internet sans faire de copie (vous venez de créer entre 5 et 50 copies de cet article rien qu’en suivant le lien qui vous y a amené). Et comme le copyright régit la copie, toute règle qui touche à la copie touchera également à ces domaines.

Et c’est bien ce qui dérange dans le secret qui entoure l’ACAC, même quand on ne se préoccuppe pas de copyright, d’utilisation équitable (NdT : « fair use »), ou de tout autre sujet biscornu.

Divers brouillons de l’ACAC ont inclus l’obligation pour les FAI d’espionner leurs clients et d’interdire quoi que ce soit qui ressemble à une violation de copyright. (Cela signifie-t-il qu’on vous empêchera d’enregistrer une publicité trompeuse ou mensongère et de l’envoyer à votre député ?) L’ACAC a également soutenu la fouille des supports multimédia aux postes frontières pour y chercher des infractions au copyright (Les secrets professionnels de votre ordinateur portable, les données clients confidentielles, des correspondances personnelles, votre testament, vos coordonnées bancaires et les photos de vos enfants prenant leur bain pourraient être fouillées et copiées la prochaine fois que vous partez en voyage d’affaires).

L’ACAC a en outre appelé à la création de procédures simplifiées pour couper l’accès à Internet d’un foyer entier si l’un de ses membres est accusé d’une infraction (ainsi, votre épouse perdra la capacité de contacter par e-mail un praticien gériatre au sujet de la santé de grand-papa si votre enfant est soupçonné d’avoir téléchargé trop de fichiers par poste-à-poste (P2P).

Ce n’est pas tout, mais ce sont là quelques exemples des propositions principales des sommets secrets de l’ACAC.

Ce qui a eu lieu à Mexico et pourquoi vous devriez vous y intéresser

Je pense par ailleurs que toutes les ébauches de l’ACAC sont également mauvaises pour le copyright et les créations qu’il protège. Je suis l’un des nombreux artistes qui gagnent leur vie en ligne, et qui profitent d’un Internet libre et ouvert. Mes livres sont disponibles au téléchargement gratuit le jour même où mes éditeurs le mettent en rayon. Mon premier roman pour jeunes adultes – Little Brother (NdT : « Petit Frère ») – a atteint le classement des meilleurs ventes du New York Times grâce à cette stratégie.

Mais même si vous vous fichez éperdument de la musique, des films, des jeux ou des livres, vous devez prêter attention à l’ACAC.

Ceci dit, le fait est que nous ne savons presque rien de la façon dont s’est déroulée la septième réunion. Elle a assez mal démarré : lors d’une réunion d’information publique, les organisateurs de l’ACAC ont tenté de faire signer à l’assistance un accord de non-divulgation (lors d’une réunion publique !), et ont ensuite fait sortir une activiste qui ébruitait des notes sur les éléments publiés — elle a été évincée manu militari sous les huées des lobbyistes présents, outrés que le public puisse assister à la réunion.

Pendant la réunion, des membres de diverses représentations parlementaires de par le monde se sont levés au sein de leur institution, et ont exigé de prendre connaissance des détails du traité qui était négocié par le département du commerce de leur pays, sans la supervision de leur sénat ni de leur parlement. Les législateurs de toute l’Europe, les membres des parlements canadien et australien, et les représentants du Congrès des États-Unis se sont vu opposer un silence de marbre et de vagues garanties.

Ces assurances étant les seules informations publiques visibles que nous ayons sur la question, elles méritent notre attention : l’Union Européenne, les États-Unis et le Canada ont tous affirmé que rien dans l’ACAC n’aura d’impact sur le droit national dont les représentants élus sont responsables.

Au lieu de cela, ils prétendent que l’ACAC ne fait qu’incarner les lois nationales dans un accord international, ce qui dans les faits oblige tout le monde à s’aligner sur les lois existantes.

Cette absurdité — pourquoi négocier un traité qui ne changerait rien ? — devient encore plus ridicule lorsque l’on considère que l’Union Européenne, le Canada et les États-Unis ont des règles de droit d’auteur différentes et incompatibles sur les questions en discussion à l’ACAC. Il est littéralement impossible pour l’ACAC de parvenir à un ensemble de règles qui n’entraînerait pas de modifications pour tout le monde.

Ce que l’avenir nous réserve – et ce que vous pouvez faire

Certes, nous pourrions tous constater par nous-mêmes ce qui a été proposé, si seulement l’ACAC était ouvert au public, comme tous les autres traités sur le copyright mondial le sont depuis l’avènement d’Internet.

Là encore, voici une série de déclarations contradictoires sur lesquelles nous creuser la tête : le délégué en chef du commerce États-Unien dit que le secret est une condition requise par les partenaires des États-Unis. Or, la déclaration sur la confidentialité qui a été divulguée provient clairement des États-Unis. De nombreux États de l’UE sont sur le point de lancer un appel officiel pour la transparence de l’ACAC.

Pour ma part, je parie sur les États-Unis. L’industrie mondiale du divertissement a plus d’emprise là-bas que dans toute autre nation, et l’administration Obama est allée jusqu’à nier la loi sur la liberté de l’information (NdT « Freedom of Information Act ») pour le traité en prétextant des raisons de sécurité nationale. (Oui, la sécurité nationale ! Ceci est un traité de droit d’auteur, pas une liste des codes de lancement de missiles.) Et le Bureau du Représentant État-Unien au Commerce (ndt : « United States Trade Representative », USTR) a déclaré clairement que l’administration Obama prévoit de ratifier l’ACAC par décret, sans la faire passer par le Congrès.

Le prochain sommet de l’ACAC se déroulera en Nouvelle-Zélande en avril, et les militants se préparent pour la bataille. En Nouvelle-Zélande, les opposants au copyright (NdT : « copyfighters ») sont aguerris et prêts à en découdre, ayant récemment repoussé le règlement 92A qui aurait permis aux producteurs de cinéma et de musique de couper l’accès à Internet sur simple accusation — sans preuve — de violation de copyright.

Impliquez-vous. Appelez votre sénateur, votre député, votre euro-député. Dites-leur que vous voulez que l’ACTA soit négocié de façon ouverte, avec la participation du public et de la presse.

Refusez que des règles affectant les moindres recoins de votre vie en ligne soient décidées en douce par ceux qui ne défendent que les intérêts de leur portefeuille.

Cory Doctorow
Militant de l’Internet, blogueur – Co-rédacteur en chef de Boing Boing

Notes

[1] Crédit photo : Raïssa Bandou (Creative Commons By)




Au secours, l’Hadopi arrive en Belgique !

Yumyumbubblegum - CC byOn peut être éventuellement fiers d’exporter nos parfums et nos vins, mais certainement pas notre Hadopi !

C’est pourtant la menace qui plane en Belgique. Ce court extrait vidéo d’un récent débat télévisé de la RTBF vous rappellera en effet illico bien des souvenirs.

Pour en savoir plus nous avons recontré un membre d’une association locale qui souhaite sensibiliser et mobiliser le grand public pour éviter la contagion française.

PS : Désolé pour le choix de la photo clichée de la Belgique[1], mais ça symbolise les quatre majors du disque pissant dans les violons des artistes 😉

Entretien avec André Loconte du collectif NURPA

Bonjour, pouvez-vous vous présenter succinctement ?

André Loconte, belge, étudiant ingénieur, politiquement orienté vers le logiciel libre, développeur et fervent défenseur de l’accessibilité du Web et de la neutralité du Net. Mes connaissances techniques liées à l’informatique sont issues principalement (pour ne pas dire « exclusivement ») du Net.

Je suis l’un des trois co-fondateurs de NURPA (avec Laurent Peuch et Frédéric Van Der Essen).

Qu’est ce que NURPA ? (et pourquoi un acronyme anglophone dans un pays qui a déjà trois autres langues officielles ?)

Nous sommes un collectif hétéroclite constitué initialement d’étudiants (sciences informatiques, ingénieurs, ..) bercés dans la culture du libre mais qui s’est très vite complété de citoyens de tous horizons professionnels, concernés par les problèmes que l’application de lois telles que celle proposée par le sénateur Philippe Monfils (Proposition de loi visant à promouvoir la création culturelle sur Internet) serait susceptible d’engendrer. Deux des co-fondateurs ont contribué (et contribuent toujours) chacun à leur manière aux débats qui font rage en France.

La Net Users’ Rights Protecion Association (trad. Association de protection des droits des internautes) est la réponse collective de citoyens amoureux du Net et de leurs libertés, décidés à ne brader ni l’un ni l’autre au prétexte qu’un gouvernement flexible au poids des industries du divertissement tente d’imposer subrepticement une surveillance généralisée du Net. Si l’on écarte une hypothétique pression des lobbys, il est évident que nos politiques ont un retard considérable dans l’appréhension d’Internet et dans la compréhension de sa complexité. C’est donc avant tout dans une démarche pédagogique forte que s’inscrit NURPA : (in)former pour éviter de voir se reproduire en Belgique les erreurs qui ont conduit à la promulgation d’HADOPI en France (et qui ont poussé les députés à aller plus loin dans l’absurde avec HADOPI2, LOPPSI…).

En observateurs avisés des déboires français et du contexte européen, nous craignons que cet HADOPI à la belge ne soit qu’un cheval de Troie, le calme avant la tempête. L’ombre d’ACTA plane. Nous ne nous positionnons pas comme collectif uniquement contre l’HADOPI de Monfils, nous sommes évidemment contre cette loi, mais le débat ne s’arrête pas là.

Dans un pays qui possède trois langues officielles (l’allemand, le néerlandais et le français), l’utilisation de l’anglais pour la formation du nom, in fine de l’acronyme, a été pour nous une manière de passer outre cette indéniable barrière linguistique. Il nous a semblé que l’anglais était le meilleur choix pour garantir que notre but soit compris de tous.

Voici donc que la Belgique nous propose par l’entremise du sénateur Philippe Monfils son « Hadopi locale » baptisée tendancieusement « Proposition de loi visant à promouvoir la création culturelle sur Internet ». Pouvez-vous nous en dire plus ? Quelles sont les similarités et différences par rapport à la loi française ?

Le sénateur Monfils, qui a déclaré « la culture gratuite, ça n’existe pas » (lors de l’émission InterMedia de la RTBF du 25 janvier 2010), explique que des systèmes de juste rémunération des artistes et de contrôle du Net ont fait leur preuve ailleurs et cite sans scrupule, .. HADOPI en France (page 5, paragraphe 5 de sa proposition de loi). Signe évident selon nous d’une part, de sa méconnaissance du contexte qui a entouré la promulgation du texte de loi non seulement dans l’hexagone mais également au niveau européen; d’autre part, de la nature inapplicable de la loi française.

Le texte belge est une version édulcorée de l’HADOPI français, on y retrouve d’ailleurs les erreurs de jeunesse d’HADOPI :

  • Pas de Haute Autorité de Contrôle mais des agents commissionnés par le ministère de l’économie : des agents qui ont un pouvoir d’investigation a priori illimité (car non-défini dans la proposition de loi), qui constatent les infractions et qui décident des sanctions.
  • Pas de mouchard mais une collaboration des FAI : les FAI (Fournisseurs d’Accès à Internet) auront l’obligation juridique de fournir toutes les informations nécessaires pour l’association d’une personne physique à une adresse IP. Actuellement, obtenir ce type d’information nécessite l’ordonnance d’un juge, ce qui garantit le respect de la vie privée et limite les dérapages.

    Une différence importante par rapport au dispositif français qui pénalise le titulaire de la ligne en cas de défaut de sécurisation, le texte belge ne prévoit de peine que pour le titulaire qui télécharge illégalement du contenu soumis au droits d’auteur ou droits voisins sur sa propre ligne. On imagine aisément l’immense difficulté de prouver qu’il s’agit effectivement du titulaire qui s’est rendu coupable de téléchargements illégaux sur sa propre ligne.

  • Double peine : le paiement de l’abonnement à Internet dans sa totalité est d’application même si celui-ci a été suspendu pour raison de téléchargement illégal.
  • Théoriquement pas de coupure de la ligne mais un bridage du débit : « en théorie » car bien que cela semble être l’argument clé de Philippe Monfils, sa proposition de loi ne manque pas de préciser que la coupure serait tout à fait envisageable en cas de multiple récidive. Bridage du débit, c’est à dire : diminuer la vitesse de transfert de telle sorte que l’internaute puisse continuer à chercher du travail et à consulter ses mails (sic).

    On conçoit un peu mieux la qualité de ce texte quand on sait qu’un débit suffisant à la consultation de mail et à la recherche d’emploi est également suffisant au téléchargement de la plupart des fichiers (moins rapidement certes). Ne parlons même pas des mises à jour de sécurité qui vont devenir pénible à obtenir et toutes les conséquences fâcheuses que cela risquerait d’entraîner.

    Lors d’une coupure (en cas de récidive après le bridage), quid du téléchargement légal ? L’internaute qui verrait sa ligne coupée serait en effet dans l’incapacité d’acheter du contenu légalement en ligne. A cela s’ajoute la décision du 10 juin 2009 du Conseil Constitutionnel français qui présente Internet comme une composante de la liberté d’expression et de consommation nécessaire à l’exercice la liberté d’expression et de consommation tel que décrit dans l’article 11 de la déclaration des droits de l’homme de 1789.

  • Enfin, le texte qui trouve sa justification dans la juste rémunération des artistes, ne contient pas une ligne à leur propos.

L’Hadopi est certes passée en France mais modifiée par rapport au texte initial (et non encore appliquée). Et puis « nous » avons coutume de dire que c’est une victoire à la Pyrrhus car « nous » avons gagné au passage la bataille de la médiatisation et des idées. Comment alors selon vous peut-elle encore servir d’exemple à d’autres pays ?

Je soulevais la question plus haut : profonde méconnaissance du dossier, incompétence technique, influence des lobbys du divertissement ? Probablement un savant mélange des trois.

Et pour citer un certain Jérémie Zimmerman (reprenant Michel Audiard) : « Les cons ça osent tout, c’est à ça qu’on les reconnaît ».

D’autres sénateurs (écologistes je crois) ont rédigé une proposition de loi visant à instaurer quelque chose qui ressembe à une « licence globale ». Approuvez-vous cette initiative ? A-t-elle une chance d’être comprise et entendue par les politiques en particulier et la société belge en générale ?

Cette idée de licence globale est en effet portée par Ecolo (à travers Benoit Hellings) et n’a pas encore été déposée. Il nous est donc impossible de nous prononcer précisément à son sujet. Les interventions télévisuelles de Benoit Hellings permettent cependant de dresser un rapide état des lieux : il semble que cette licence globale soit largement inspirée du livre de Philippe Aigrain « Internet & Création. Comment reconnaître les échanges hors-marché sur internet en finançant et rémunérant la création ? » (sic); que la contribution de l’internaute serait répercutée directement dans le prix de l’abonnement (sans sur-coût); que la grille de répartition des biens aux artistes serait semblable à celle actuellement en usage par la SABAM (NDLR : la SACEM locale). Il est évoqué également la possibilité de création d’un organisme indépendant chargé d’établir des statistiques sur les téléchargements sur base d’enquêtes anonymes.

Sans chercher à créer la polémique avant même que la proposition de loi d’Ecolo ne soit déposée, nous relevons déjà plusieurs points qui à n’en pas douter seraient problématiques s’ils étaient introduits dans la proposition de loi :

  • Je parlais de contribution directement répercutée dans le prix de l’abonnement, Benoit Heillings va plus loin : il suggère une retarification des connexions au Net selon le critère du téléchargement, en d’autres termes les « gros téléchargeurs » bénéficieraient, pour des tarifs semblables à ceux pratiqués actuellement, de vitesses de connexion plus élevées et d’une capacité de téléchargement supérieure (illimitée ?); les autres, pour un tarif plus modeste, de vitesses de connexion réduites et de capacité de téléchargement inférieure (permettant uniquement la consultation des mails et la recherche d’emploi). De notre point de vue, cette vision bipolaire du comportement des internautes (soit il télécharge, soit il ne télécharge pas du tout) traduit une fois de plus une méconnaissance profonde d’Internet et de ses usages.

    Ce n’est pas la première fois que le gouvernement belge est pris à défaut sur cette problématique, on se rappellera le courrier adressé par Microsoft au Ministre fédéral des télécommunications à propos des quotas de téléchargement en application en Belgique qui empêcheraient la firme de Redmond de déployer son service de VOD.

  • Ensuite, l’utilisation de la grille de répartition – déjà obsolète – de la SABAM ne permettrait en rien une meilleure rémunération des artistes.
  • Enfin, nous voyons d’un oeil méfiant la création d’un organisme indépendant, ô combien respectueux de l’anonymat soit-t-il. A quel niveau et de quelle manière s’effectuerait l’analyse des échanges ? Qui s’assurait que cet organisme respecte le cadre de ses attributions, la vie privée des internautes ? Quels moyens cet organisme serait-il capable de mettre en place afin d’observer les échanges via les VPN ou dans les Darknet ?

Nous n’hésiterions pas à leur faire part de ces remarques si nos craintes s’avéraient fondées à la lecture du projet de loi.

NURPA est-elle la seule structure belge à s’opposer ? Quelles sont les forces en présence ? Etes-vous en contact avec, par exemple, La Quadrature du Net ? Et quelles sont vos relations avec le tout jeune Parti Pirate belge ?

NURPA n’est heureusement pas la seule association que cette proposition de loi révolte. Citons par exemple « HADOPI mayonnaise » qui partage de nombreux points d’accord avec notre vision et avec qui nous collaborerons bientôt.

Quant aux forces en présence, le système de majorité étant différent en Belgique et en France, c’est avec la proposition Ecolo et la proposition annoncée du PS que les débats parlementaires se dérouleront. Contrairement à la situation qu’a connu la France avec l’UMP, la possibilité pour le Mouvement Réformateur (dont est issu P. Monfils) de faire passer sa loi de force est rendue complexe (pour ne pas dire impossible) tant la répartition des sièges à la Chambre et au Sénat est panachée.

Nous avons eu il y a quelques semaines, des échanges avec Jeremy Zimmerman, il nous a prodigué – fort de son expérience avec La Quadrature du Net – de précieux conseils d’ordre organisationnel. Des actions coordonnées pourraient être envisagées mais ne sont pas d’actualité.

Nous avons contacté le Parti Pirate belge afin de recueillir leur avis concernant la proposition de loi du sénateur MR. Notre interlocuteur (Germain Cabot) a manifesté un réel intérêt pour la question et nous a informé que le PP belge dressait un état des initiatives citoyennes afin d’envisager des collaborations. Le Parti Pirate belge fait les frais de sa jeunesse politique (création en juillet 2009), ne disposant pas de siège parlementaire, il verra son rôle limité à celui de commentateur sans avoir l’opportunité d’apporter un réel contre-poids politique.

Nous tenons à conserver une indépendance politique certaine, nos rapports au PP belge ne seront pas différents de ceux envers les autres partis politiques.

Quelles sont les échéances et quels moyens d’action envisagez-vous ?

Il n’y a pour l’instant pas d’échéances précises, en Belgique, un projet de loi met habituellement une année à passer à travers les rouages parlementaires. Bien que le projet de loi de P. Monfils ait été déposé, celui-ci est en cours de correction et de traduction. ECOLO n’a pas encore publié le leur et le PS s’en tient à des déclarations d’intention sans plus de précisions. Cela ne nous dispense pas de faire preuve de vigilence dès à présent, c’est un combat de longue haleine qui nous attend.

Nous allons principalement nous concentrer sur l’information et la sensibilisation de l’opinion publique et politique à ce sujet au travers d’analyses, de dossiers et de communiqués de presses, de rencontres et d’actions sur le terrain.

Nous avons, dès les premiers jours, mis à disposition un wiki afin d’asseoir l’aspect communautaire prépondérant de notre action.

Inspiré par le modèle de La Quadrature du Net, nous comptons également attirer les projecteurs des médias pour éviter que cette proposition de loi et les débats qui l’entourent soient passés sous silence.

Au delà d’Hadopi, vous dites être également sensible à des sujets comme le filtrage du Net ou la taxe sur la copie privée. En France on est actuellement mobilisé sur le front de la loi Loppsi et les cachotteries de l’Acta. Les libertés numériques dans leur ensemble sont-elles menacées ?

Lorsque l’on constate l’inconscience et l’incompétence avec laquelle les libertés numériques sont abordées par les politiques, on ne peut que craindre pour la pérennité de celles-ci. C’est pourquoi nous nous faisons un devoir d’éduquer et de sensibiliser les politiques à ces sujets.

Nous craignons que cet « HADOPI à la belge » soit le précédent nécessaire et suffisant à l’émergence d’autres lois plus pernicieuses encore. Je le disais en préambule, nous partons avec l’avance non négligeable que sont les enseignements tirés de l’expérience française.

Nous ferons ce qui est en notre pouvoir afin de nous assurer que ce projet de loi ne soit jamais promulgué et que LOPPSI et consorts demeurent le fait de l’exception française.

Brel disait « Je préfère les hommes qui donnent à ceux qui expliquent ».

La connaissance est parfois tout ce que l’on a à offrir. Tant qu’à la partager, autant que cela se fasse sous licence libre.

Que ferait le Grand Jacques aujourd’hui, il s’enfuirait aux Marquises ou résisterait debout ?

Il chanterait.

Pour NURPA, André Loconte

Notes

[1] Crédit photo : Yumyumbubblegum (Creative Commons By)




Pour que La Quadrature du Net continue à écrire la doc et les pages man d’Internet

La Quadrature va-t-elle jetter l’éponge ? C’est le cri qu’a poussé Benjamin Bayart hier sur son blog.

Rien de tel que de se remémorer alors son intervention, en juillet dernier aux Rencontres Mondiales du Logiciel Libre de Nantes, où il explique pourquoi La Quadrature a besoin de notre soutien.

Et de laisser ensuite la parole à un Jérémie Zimmermann éloquent quant au sens donné à leur action : « S’appuyer sur notre expertise pour écrire la doc et les pages man de l’outil que l’on a bâti et que l’on veut préserver : Internet ».

PS : Et comme on ne peut plus s’en passer, il y a également une vidéo bonus de Stallman en fin d’article 😉

—> La vidéo au format webm

Transcript

Jérémie Zimmermann : Je pense que les sociologues, ethnologues et autres bidulogues se pencheront sur la question, s’ils ne le font pas déjà. De voir que c’est nous, la bande de geeks, qui allons retourner les parlements.

Alors nous la bande de geeks, on est ceux qui connaissons le mieux Internet, ceux qui l’utilisons tous les jours depuis plus longtemps que tout le monde, et ceux qui en quelque sorte l’avons fabriqué. Et donc on peut dire sans se vanter qu’on a une expertise en la matière, un expertise en matière d’Internet et des technologies numériques.

Et c’est intéressant de voir que l’on utilise spécifiquement notre expertise dans quelque chose que l’on a bâti. Pour le préserver tel qu’on le connaît aujourd’hui et tel qu’on aime à l’utiliser aujourd’hui.

Et j’aimerais me livrer ici a un parallèle peut-être un petit peu hasardeux. Je sais que pas grand monde aime la politique, ou en tout cas la politique telle qu’elle existe aujourd’hui, à base de spectacle et de petites phrases, de connards bronzés qui ne connaissent pas leurs dossiers et qui raisonnent à coups de sondages, etc.

Mais la politique, la vraie, c’est pas ça. C’est s’intéresser à la vie de la cité. Et pour s’intéresser à la vie de la cité, pour participer, il faut précisément transmettre son expertise, transmettre sa connaissance.

Et donc notre rôle, ce que l’on fait tous les jours dans ces campagnes, on transmet l’expertise que l’on a de l’outil que l’on veut préserver.

Mais transmettre de l’expertise, c’est un petit peu de la communication, et c’est un petit peu un truc que les geeks ne savent pas bien faire en général.

Et le parallèle hasardeux que je vais faire, c’est dire qu’en gros ce que l’on est en train de faire. c’est faire la doc et faire les pages man qui vont avec l’outil qu’on a développé.

Et que nous les geeks, on sait qu’on n’aime pas faire les pages man, et qu’on n’aime pas rédiger la doc. Et le problème c’est que si on ne les fait pas, le projet ne va pas décoller et il n’ira pas très loin. Et donc voilà, à vos éditeurs de texte quoi !

Benjamin Bayart : On ne peut pas laisser les parlementaires écrire tout seul le manuel d’Internet, ça ça va pas être bon, va falloir qu’on s’en mêle…

Soutien de Richard Stallman à La Quadrature du Net

—> La vidéo au format webm




Filtrage du Net : danger pour la démocratie et l’État de droit

Dolmang - CC by-saLe groupe de travail Framalang du réseau Framasoft, et La Quadrature du Net publient la traduction du résumé d’une étude juridique indépendante sur les dangers du filtrage du Net.

Ce que l’on retire de la lecture de cette étude, c’est que comme lors de la bataille HADOPI, où le gouvernement se cachait derrière la supposée « défense des artistes » pour imposer une absurde et dangereuse coupure de l’accès au Net, des politiques publiques légitimes sont désormais instrumentalisées pour imposer le filtrage gouvernemental des contenus sur Internet[1].

Toutefois, de même que les coupures d’accès, si elles sont appliquées, n’apporteront pas un centime de plus aux artistes et ne feront pas remonter les ventes de disques, le filtrage ne peut en aucun cas résoudre les problèmes au prétexte desquels il sera mis en place.

Si l’objectif de lutter contre la pédopornographie et son commerce est bien évidemment légitime, la solution qui consiste à bloquer les sites incriminés pour éviter leur consultation revient en réalité à pousser, dangereusement, la poussière sous le tapis. Le seul moyen de lutte véritablement efficace contre ces pratiques ignobles passe par le renforcement des moyens humains et financiers des enquêteurs, l’infiltration des réseaux criminels ainsi que le blocage des flux financiers et le retrait des contenus des serveurs eux-mêmes. Or, en la matière, des politiques efficaces existent déjà.

Il importe donc d’améliorer ces dispositifs existants et d’y consacrer les ressources nécessaires, plutôt que de remettre en cause les libertés au motif de politiques de prévention du crime totalement inefficaces. En effet, les arguments de lutte contre la criminalité, au potentiel émotionnel fort, sont aujourd’hui instrumentalisés pour tenter de légitimer un filtrage du Net qui porte pourtant radicalement atteinte à la structure du réseau, et entraîne de grands risques pour les libertés individuelles et « l’état de droit » tout entier.

L’étude dont le résumé de 30 pages vient d’être traduit en français conjointement par les volontaires de Framalang et de La Quadrature du Net est un pavé dans la mare. Elle conteste, démonstrations juridiques à l’appui, l’idée – évoquée par un nombre croissant de gouvernements européens – que le filtrage du Net puisse être une solution efficace et indolore de régulation des pratiques sur Internet. Réalisée par les éminents spécialistes Cormac Callanan[2], Marco Gercke[3], Estelle De Marco[4] et Hein Dries-Ziekenheine[5], ses conclusions sur l’inefficacité et la dangerosité du dispositif sont sans appel :

  • Quel que soit le mode de filtrage des contenus utilisé, il entraîne de graves risques de sur-blocage (risques de faux-positif : des sites innocents rendus inaccessibles).
  • Quel que soit le mode de filtrage retenu, il sera ridiculement facile à contourner. Les criminels se servent déjà de moyens de contournement et continueront d’agir en toute impunité.

La seule mise en place du filtrage entraine des risques de dérives : si l’on commence pour la pédopornographie, pourquoi ne pas continuer par la suite pour la vente de cigarettes sans TVA[6], le partage de musique et de films (comme le souhaitent les lobbies derrière l’ACTA)[7], les sondages en sorties des urnes ou même les insultes au président ? La plupart des pays non-démocratiques (Chine, Iran, Birmanie, etc.) utilisent le filtrage du Net aujourd’hui, systématiquement à des fins de contrôle politique.

La loi LOPPSI (loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure) sera bientôt examinée au Parlement français. Elle contient des dispositions visant à imposer le filtrage du Net sans contrôle de l’autorité judiciaire, par une autorité administrative dépendante du ministère de l’intérieur.

Il est indispensable que les citoyens attachés à Internet, aux valeurs démocratiques et à l’État de droit se saisissent de cette question, grâce à cette étude, afin de stimuler un débat public. Il est crucial de contrer cette tentative d’imposer un filtrage du Net attentatoire aux libertés fondamentales !

Passages essentiels :

p. 4 : Dans les pays où l’autorité judiciaire est indépendante du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif, ce qui devrait être le cas dans toutes les démocraties libérales, seul un juge devrait avoir la compétence de déclarer illégal un contenu, une situation ou une action.

Un problème crucial autour des listes noires est celui de leur sécurité et leur intégrité. Une liste de contenus tels que ceux-là est extrêmement recherchée par ceux qui sont enclins à tirer parti d’une telle ressource. Sans même mentionner les fuites de listes noires directement sur Internet, des recherches indiquent qu’il serait possible de faire de la rétro ingénierie des listes utilisées par n’importe quel fournisseur de services.

p. 5 : En tout état de cause, il faut souligner qu’aucune stratégie identifiée dans le présent rapport ne semble capable d’empêcher complètement le filtrage abusif. Ceci est d’une importance décisive lorsqu’on met en balance la nécessité de bloquer la pédo-pornographie et les exigences des droits de l’Homme et de la liberté d’expression. Il semble inévitable que des contenus légaux soient aussi bloqués lorsque le filtrage sera mis en œuvre.

p. 13 : Aucune des stratégies identifiées dans ce rapport ne semble être capable de protéger du sur-filtrage. C’est une des préoccupations majeures dans l’équilibre entre la protection des enfants et les droits de l’homme et de la liberté. Il parait inévitable que le contenu légal soit filtré aux endroits où les filtres sont implémentés. Le sous-filtrage est aussi un phénomène universel spécialement présent dans la plupart des stratégies étudiées.

p 18 : Que l’accès à Internet soit ou non un droit fondamental indépendant, celui-ci est tout au moins protégé comme un moyen d’exercer la liberté d’expression, et chaque mesure de filtrage d’Internet qui tente d’empêcher les personnes d’accéder à l’information est par conséquent en conflit avec cette liberté. Chaque mesure de filtrage limite le droit à la liberté d’expression, de manière plus ou moins large selon les caractéristiques du filtrage et le degré de sur-filtrage, puisque l’objectif initial d’une telle mesure est de limiter l’accès à un contenu particulier.

p 21 : La seule sorte d’accord qui pourrait autoriser une mesure de filtrage serait le contrat entre l’utilisateur d’Internet et le fournisseur d’accès. La légalité d’une telle mesure de filtrage dépendrait pour beaucoup du type de contenu consulté, de la nature de l’entorse aux droits et libertés et des preuves requises. Si cela n’est pas précisé d’une façon raisonnable, il est facile d’envisager que de tels contrats soient considérés comme des entorses à la directive européenne sur les clauses contractuelles abusives, particulièrement si cela permet au fournisseur d’accès à Internet de prendre des sanctions unilatérales à l’encontre de son client.

p 23 : Le filtrage du web et du P2P dans l’intérêt de l’industrie de la propriété intellectuelle. Une mesure de filtrage du web ou du P2P, qui servirait l’intérêt des ayants droit, aurait probablement un effet global plus négatif :

  • tout d’abord, si le filtrage du P2P peut être présenté comme menant à un chiffrement des échanges rendant toute surveillance ou la plupart des contenus impossible, il deviendrait alors impossible de surveiller ces communications, même dans les conditions où cela est autorisé ;
  • ensuite, cela impliquerait des coûts. Elevés pour l’industrie d’Internet, les gouvernements et les internautes ;
  • enfin, cela mènerait à coup sûr au filtrage de fichiers légaux.

Au regard du critère qui requiert qu’il existe une base suffisante pour croire que les intérêts des ayants-droits soient en péril , nous pouvons dire qu’il n’y a aucune preuve d’un tel danger. Il n’y a aucune preuve de la nature et de l’étendue des pertes possibles dont souffrent les ayants-droits à cause des infractions commises à l’encontre de leurs droits sur le web ou les réseaux P2P, étant donné que les études sur ce problème sont insuffisantes ou démontrent un résultat inverse.

Le filtrage des contenus illégaux du web ou du P2P dans le but de la prévention du crime. L’objectif de la prévention du crime devrait être d’empêcher les gens de commettre des crimes ou délits ou d’en être complices en achetant, téléchargeant ou vendant des contenus illégaux. Sa proportionnalité dépendrait de l’équilibre trouvé entre, d’une part, le pourcentage de la population qui ne commettrait plus de délits puisque n’ayant plus accès aux contenus illégaux et, d’autre part, les restrictions des libertés publiques que causerait la mesure. L’effet de la mesure ne devrait pas être une réduction significative de la liberté d’expression ni du droit à la vie privée de chaque citoyen. Il n’existe pour l’instant aucune preuve qu’une mesure de filtrage pourrait aboutir à une diminution des crimes et délits, alors qu’elle restreindrait certains comportements légitimes et proportionnés.

p 25 : Si avoir le droit d’attaquer devant un tribunal une décision qui limite une des libertés est un droit fondamental, cela suppose que cette limitation a déjà été mise en place et que le citoyen a déjà subi ses effets. Par conséquent, il est essentiel qu’un juge puisse intervenir avant qu’une telle décision de filtrage ne soit prise. En ce qui concerne le filtrage d’Internet, ces situations sont tout d’abord relatives à l’estimation et la déclaration d’illégalité d’un contenu ou d’une action, puis à l’appréciation de la proportionnalité de la réponse apportée à la situation illégale.

p. 26 : Un passage en revue technique des principaux systèmes de filtrage d’Internet utilisés de nos jours, et la façon dont ils s’appliquent à différents services en ligne, soulignent la gamme croissante des contenus et des services qu’on envisage de filtrer. Une analyse de l’efficacité des systèmes de filtrage d’Internet met en évidence de nombreuses questions sans réponse à propos du succès de ces systèmes et de leur capacité à atteindre les objectifs qu’on leur assigne. Presque tous les systèmes ont un impact technique sur la capacité de résistance d’Internet et ajoutent un degré supplémentaire de complexité à un réseau déjà complexe. Tous les systèmes de filtrage d’Internet peuvent être contournés et quelquefois, il suffit de modestes connaissances techniques pour le faire. Il existe des solutions logicielles largement disponibles sur Internet qui aident à échapper aux mesures de filtrage.

p. 27 : En bref, le filtrage d’Internet est conçu avec des solutions techniques qui sont inadéquates par elles-mêmes et qui en outre sont sapées par la disponibilité de protocoles alternatifs permettant d’accéder à du matériel illégal et de le télécharger. Il en résulte que l’estimation du caractère proportionné des mesures ne doit pas seulement respecter l’équilibre des divers droits en jeu, mais aussi garder à l’esprit l’incapacité des technologies de filtrage à préserver les droits en question, ainsi que les risques d’effets pervers, tels qu’une diminution de la pression politique pour rechercher des solutions complètes, ou le risque d’introduction de nouvelles stratégies chez les fournisseurs de sites illégaux pour éviter le filtrage, ce qui rendrait à l’avenir plus difficiles encore les enquêtes pénales.

Notes

[1] Crédit photo : Dolmang (Creative Commons By-Sa)

[2] Cormac Callanan est Membre du conseil consultatif Irlandais sur la sûreté d’Internet et directeur d’Aconite Internet Solutions, qui fournit des expertises dans le domaine de la cybercriminalité.

[3] Marco Gercke est Directeur de l’Institut du droit de la cybercriminalité et professeur de droit pénal à l’Université de Cologne.

[4] Estelle De Marco est juriste. Ancienne consultante de l’Association des Fournisseurs d’Accès.

[5] Hein Dries-Ziekenheine est PDG de Vigilo Consult, cabinet de juristes spécialisés dans le droit de l’Internet.

[6] Voir Tabac et vente sur Internet : le gouvernement dément.

[7] En juin 2008, interrogé par PCINpact, le directeur général de la SPPF, Jérome Roger, qui représente les producteurs indépendants français, a déclaré : « les problématiques de l’industrie musicale ne sont pas éloignées de ces autres préoccupations (la pédophilie) qui peuvent paraître évidemment beaucoup plus graves et urgentes à traiter. Bien évidemment, les solutions de filtrage qui pourraient être déployées à cette occasion devraient faire l’objet d’une réflexion à l’égard des contenus, dans le cadre de la propriété intellectuelle ». Voir Quand l’industrie du disque instrumentalise la pédopornographie.




Rencontre avec le Parti Pirate suédois

Ann Catrin Brockman - CC by-saDans notre imaginaire collectif la Suède est un pays où il fait bon vivre, auquel on accole souvent certains adjectifs comme « social », « mesuré », « organisé », « tranquille, voire même « conservateur ».

C’est pourquoi l’irruption soudaine dans le paysage politique local du Parti Pirate (ou Piratpartiet) a surpris bon nombre d’observateurs.

Surprise qui a dépassé les frontières lors du récent et tonitruant succès du parti aux dernières élections européennes (7% des voix, 1 et peut-être 2 sièges).

Nous avons eu envie d’en savoir plus en traduisant un entretien réalisé par Bruce Byfield avec le leader du parti, Rickard Falkvinge (cf photo[1] ci-dessus).

Ce succès est-il reproductible dans d’autres pays à commencer par l’Europe et par la France ? C’est une question que l’on peut se poser à l’heure où les différents (et groupusculaires) partis pirates français ont, semble-t-il, décidé d’unir (enfin) leurs forces. À moins d’estimer que l’action, l’information et la pression d’une structure comme La Quadrature du Net sont amplement suffisants pour le moment (j’en profite pour signaler qu’eux aussi ont besoin de sou(s)tien actuellement).

Remarque : C’est le troisième article que le Framablog consacre directement au Parti Pirate suédois après l’appel à voter pour eux (vidéo inside) et la toute récente mise au point de Richard Stallman sur les conséquences potentielles pour le logiciel libre de leur programme politique (question précise que le journaliste n’évoque pas dans son interview).

Interview avec le leader du Parti Pirate : « Des libertés cruciales »

Interview with Pirate Party Leader: "These are Crucial Freedoms"

Bruce Byfield – 16 juin 2009 – Datamation
(Traduction Framalang : Tyah, Olivier et Severino)

Le 7 Juin 2009, les électeurs suédois ont élu un membre du PiratPartiet (Parti Pirate) au Parlement Européen. Ils bénéficieront même d’un second siège si le Traité de Lisbonne est ratifié, celui-ci octroyant à la Suède deux sièges supplémentaires.

Bien que relativement faibles, ce sont de bons résultats pour un parti fondé il y a à peine trois ans, et qui fait campagne avec très peu de moyens, s’appuyant essentiellement sur ses militants. Que s’est-il passé et pourquoi cet événement est-il important bien au-delà de la Suède ?

Pour Richard Falkvinge, fondateur et leader du Parti Pirate, l’explication est simple : les pirates ont fait entrer pour la première fois dans le débat public les préoccupations de la communauté libre concernant la question du copyright et du brevet, et cela en utilisant les réseaux sociaux, un média complètement ignoré par leurs opposants.

Falkvinge nous en a dit un peu plus sur le sujet à l’occasion d’une présentation au cours du récent congrès Open Web Vancouver, ainsi que dans une brève interview qu’il nous a accordée le lendemain.

Falkvinge, entrepreneur depuis son adolescence, s’est intéressé à l’informatique toute sa vie d’adulte, et naturellement aux logiciels libres. « J’ai participé à différents projets open source » dit-il en ajoutant promptement : « Vous ne risquez pas d’avoir entendu parler des projets auxquels j’ai participé. Je fais partie des gens qui ont la malchance de toujours s’engager dans des projets qui ne vont nulle part – excepté celui-ci, évidemment. »

Comme pour de nombreuses autres personnes, le tournant fut pour Falkvinge la volonté de l’Europe d’imposer des droits d’auteurs plus strictes encore en 2005. Selon Falkvinge, le sujet fut largement couvert et débattu en Suède par tout le monde – sauf par les politiciens.

« Je me suis donc demandé : que faut-il faire pour obtenir l’attention des politiciens ? J’ai réalisé que l’on ne pouvait sûrement pas capter leur attention sans amener le débat sur leur terrain. Le seul recours était de contourner totalement les politiciens et de s’adresser directement aux citoyens lors des élections, de nous lancer sur leur terrain pour qu’ils ne puissent plus nous ignorer. »

Si pour les nord-américains, le nom peut sembler provocateur, Falkvinge explique que c’était un choix évident étant donné le contexte politique. En 2001 fut fondé un lobby défendant le copyright nommé le Bureau Anti-Pirate, donc quand un think-tank adverse s’est créé en 2003, il prit tout naturellement le nom de Bureau Pirate.

Selon Falkvinge, « la politique pirate devint connue et reconnue. Chacun savait ce qu’était la politique pirate, l’important n’était donc pas de réfléchir à un nom, mais bien de fonder le parti. », ce qu’il fit le 1er janvier 2006.

Dès le départ, Falkvinge rejetta l’idée de s’appuyer sur les vieux média : TV, radio, presse.

« Ils n’auraient jamais accordé le moindre crédit à ce qu’ils considéraient comme une mouvance marginale. Ils n’auraient jamais parlé suffisamment de nous pour que nos idées se répandent. Il faut dire aussi qu’elles ne rentrent pas vraiment dans leur moule, alors comment expliquer quelque chose que vous avez du mal à saisir ? »

« Nous n’avions d’autre choix que de construire un réseau d’activistes. Nous savions que nous devions faire de la politique d’une manière jamais vue auparavant, de proposer aux gens quelque chose de nouveau, de nous appuyer sur ce qui fait le succès de l’open source. Nous avons essentiellement contourné tous les vieux médias. Nous n’avons pas attendu qu’ils décident de s’intéresser à nous; nous nous sommes simplement exprimés partout où nous le pouvions. »

Leur succès prit tous les autres partis politiques par surprise. Seulement quelques jours après avoir mis en ligne le premier site du parti, le 1er janvier 2006, Falkvinge apprit que celui-ci comptabilisait déjà plusieurs millions de visiteurs. La descente dans les locaux de Pirate Bay et les élections nationales suédoises qui se sont tenues plus tard dans l’année ont contribué à faire connaître le parti, mais c’est bien sur Internet, grâce aux blogs et à d’autres médias sociaux, qu’il a gagné sa notoriété.

Aujourd’hui c’est le troisième parti le plus important de Suède, et il peut se vanter d’être le parti politique qui rassemble, et de loin, le plus de militants parmi les jeunes.

« Ce n’est pas seulement le plus grand parti en ligne », dit Falkvinge. « C’est le seul parti dont les idées sont débattues en ligne. »

Les analystes politiques traditionnels avaient du mal à croire que le Parti Pirate puisse être régulièrement crédité de 7 à 9% d’intentions de vote dans les sondages.

« J’ai lu une analyste politique qui se disait complètement surprise » rapporte Falkvinge. « Elle disait : « Comment peuvent-ils être si haut dans les sondages ? Ils sont complètement invisibles ». Son analyse était évidemment entièrement basée sur sa connaissance classique de la politique. La blogosphère de son côté se demandait si elle n’avait pas passé ces dernières années dans une caverne. »

La plateforme du Parti Pirate

Aux yeux de Falkvinge, la lutte pour l’extension des droits d’auteurs et des brevets, c’est l’Histoire qui bégaye. Il aborde le sujet des droits d’auteurs en rappelant que l’Église catholique réagit à l’invention de l’imprimerie, qui rendait possible la diffusion de points de vue alternatifs, en bannissant la technologie de France en 1535.

Un exemple plus marquant encore est celui de l’Angleterre, qui créa un monopole commercial sur l’imprimerie. Bien qu’elle connue une période sans droit d’auteur, après l’abdication de Jacques II en 1688, il fut restauré en 1709 par le Statute of Anne. Les monopolistes, qui affirmaient que les écrivains tireraient bénéfice du droit d’auteur, ont largement pesé sur cette décision.

Dans les faits, explique Falkvinge, « le droit d’auteur a toujours bénéficié aux éditeurs. Jamais, ô grand jamais, aux créateurs. Les créateurs ont été utilisés comme prétexte pour les lois sur les droits d’auteur, et c’est toujours le cas 300 ans plus tard. Les politiciens emploient toujours la même rhétorique que celle utilisée en 1709, il y a 300 foutues années ! »

Aujourd’hui, Falkvinge décrit le droit d’auteur comme « une limitation du droit de propriété » qui a de graves conséquences sur les libertés civiles. Pour Falkvinge, les efforts faits par des groupes comme les distributeurs de musique et de films pour renforcer et étendre les droits d’auteurs menacent ce qu’il appelle le « secret de correspondance », la possibilité de jouir de communications privées grâce à un service public ou privé.

Partout dans le monde les pressions montent pour rendre les fournisseurs d’accès responsables de ce qui circule sur leurs réseaux, ce qui remet en cause leur statut de simple intermédiaire. « C’est comme si l’on poursuivait les services postaux parce que l’on sait qu’ils sont les plus gros distributeurs de narcotiques en Suède », raisonne Falkvinge par analogie.

Une autre conséquence concerne la liberté de la presse, sujet cher aux journalistes et aux dénonciateurs. « Si vous ne pouvez confier un scandale à la presse sans que des groupes privés ou gouvernementaux y jettent un œil avant qu’il ne parvienne à la presse, quels sujets allez-vous traiter ? Et bien, rien ne sera révélé, car personne ne sera assez fou pour prendre ce risque. À quoi vous servira alors la liberté de la presse ? À écrire des communiqués de presse ? »

Falkvinge défend un droit d’auteur beaucoup plus souple, réservé uniquement à la distribution commerciale et sévèrement restreint ; cinq ans serait une durée raisonnable, suggère-t-il. « Il faut que les droits d’auteurs sortent de la vie privée des personnes honnêtes. Les droits d’auteurs ressemblent de plus en plus à des policiers en uniformes qui font des descentes avec des chiens chez les gens honnêtes. C’est inacceptable. »

Il croit aussi que la copie privée est un progrès social, en faisant valoir que « Nous savons que la société avance quand le culture et les connaissances se diffusent aux citoyens. Nous voulons donc encourager la copie non-commerciale. »

De même, le Parti Pirate s’oppose aux brevets, particulièrement aux brevets logiciels, mais aussi dans d’autres domaines.

« Chaque brevet, dans sa conception même, inhibe l’innovation », maintient-il. « Les brevets ont retardé la révolution industrielle de trente ans, ils ont retardé l’avènement de l’industrie aéronautique nord-américaine de trente autres années, jusqu’à ce que la Première Guerre mondiale éclate et que le gouvernement des États-Unis confisque les brevets. Ils ont retardé la radio de cinq ans. » Aujourd’hui, suggère t-il, les progrès technologiques en matière de voitures électriques et d’infrastructures écologiques sont bloqués par les brevets.

« Tout cela n’est en rien différent de la réaction de l’Église Catholique », explique Falkvinge. « Quand il y a une technologie dérangeante, vecteur d’égalisation, la classe dirigeante n’attaque pas les personnes qui essaient de devenir égales. Elle s’en prend à la technologie qui rend cela possible. On le voit dans le monde entier, la classe dirigeante attaque Internet. »

« Les excuses varient. En Chine, c’est le contrôle. En Asie du Sud, c’est la morale publique, dans d’autres endroits, c’est l’ordre et la loi. En Égypte, je pense, la raison est de respecter les préceptes de la religion, l’Islam dans leur cas. Aux États-Unis, il y a trois excuses majeures : le droit d’auteur, le terrorisme et la pédophilie. Ces excuses sont en train d’être utilisées pour briser le plus grand égalisateur de population jamais inventé. »

« Voilà le véritable enjeu. Les libertés fondamentales doivent être grignotées ou abolies pour sauvegarder un monopole chancelant d’industries obsolètes. Il est compréhensible qu’une industrie déliquescente se batte pour sa survie, mais il appartient aux politiciens de dire que, non, nous n’allons pas démanteler les libertés fondamentales juste pour que vous n’ayez pas à changer. Adaptez-vous ou bien mourrez. »

C’est dans cette situation, déclare Falkvinge, que les perspectives du Parti Pirate sont si importantes.

Le Parti Pirate « adopte une position sur les droits civiques que les politiciens ne comprennent pas. Ils écoutent les lobbys et s’attaquent de manière extrêmement dangereuse aux libertés fondamentales. »

Les efforts du lobby pro-copyright pourraient se révéler en fin de compte futiles, pour Falkvinge ils se battent pour une cause perdue. Mais il met aussi en garde contre les dommages considérables que pourrait causer le lobby avant d’être finalement emporté par l’inéluctable.

Courtiser les Pirates

Cybriks - CC byÀ la prochaine séance du Parlement Européen, Christian Engstrom siègera dans l’hémicycle, un entrepreneur devenu activiste qui milite contre les brevets depuis ces cinq dernières années. Si le Parti Pirate obtient un second siège, Engstrom sera rejoint par Amelia Andersdotter (cf photo ci-contre), que Falksvinge décrit comme « un des plus brillants esprits que nous ayons dans le Parti Pirate ». Elle serait alors la plus jeune membre jamais élue du Parlement Européen.

Le Parti Pirate aborde des problèmes dont personne, jusqu’à maintenant, n’a vraiment pris conscience. Est-ce là l’explication pour le soudain intérêt dont bénéficie le parti ? Peut-être. Mais leur popularité chez les électeurs de moins de trente ans, un groupe que les autres partis ont toujours eu du mal à séduire, compte au moins autant.

De plus, avec un électorat divisé entre une multitude de partie, les 7% recueillis par le Parti Pirate sont loin d’être négligeables.

« Ces sept coalitions se mettent en quatre pour s’approprier notre crédibilité », résume Falkvinge. « Nous jouissons d’un vrai soutien populaire que ces partis se battent pour nous avoir. »

S’exprimant quelques jours après les élections, Falkvinge ne cachait pas sa satisfaction. Malgré tout, il se prépare déjà pour les prochaines élections nationales en Suède, où il espère que le Parti Pirate jouera un rôle dans un gouvernement minoritaire. Le prix d’une alliance avec les Pirates sera, bien sûr, l’adoption de leurs idées.

« Aux élections européennes nous avons gagné notre légitimité », constate Falkvinge. « Les prochaines élections nationales nous permettront de réécrire les lois. »

Si tel est le cas, l’Union Européenne et le reste du monde pourront peut-être en sentir les effets. Déjà, des Partis Pirates se mettent en place à l’image du parti suédois, et, comme le montre leur faculté à attirer les jeunes, pour des milliers d’entre eux le Parti Pirate est le seul parti politique qui aborde les questions qui les intéressent.

« Il y a deux choses qu’il ne faut pas perdre de vue » remarque Falkvinge. « Premièrement, nous faisons partie de la nouvelle génération de défenseurs des libertés fondamentales. C’est un mouvement pour les libertés fondamentales. Des libertés fondamentales et des droits fondamentaux essentiels sont compromis par des personnes voulant contrôler le Net, et nous voulons sauvegarder ces droits. Au fond, nous voulons que les droits et devoirs fondamentaux s’appliquent aussi bien sur Internet que dans la vie courante. »

« Le deuxième point que je voudrais souligner c’est que nous nous faisons connaître uniquement par le bouche à oreille. Nous avons gagné à peu près un quart de million de voix, 50 000 membres, 17 000 activistes, par le bouche à oreille, conversation après conversation, collègue, parent, étudiant, un par un, en trois ans. »

« C’est, je crois, la meilleure preuve que c’est possible. Vous n’êtes plus dépendants des médias traditionnels. Si vous avez un message fort et que les gens s’y reconnaissent, vous pouvez y arriver. »

Notes

[1] Crédit photos : 1. Ann Catrin Brockman (Creative Commons By-Sa) 2. Cybriks (Creative Commons By)