Google Chrome deviendra-t-il un nouvel IE6 ?

Denis Dervisevic - CC byBon ben voilà, c’est fait, le navigateur Google Chrome est passé devant Firefox au niveau mondial la semaine dernière. En France cela résiste plutôt bien, mais pour combien de temps encore ?

Ce qui avait été prédit ici-même il y a deux ans, alors que Chrome n’avait à peine que 6% du marché, s’est malheureusement révélé exact : Google Chrome m’a tuer ou le probable déclin de Firefox si nous n’y faisons rien (avec plus de 200 commentaires à la clé).

Dans cet article on pouvait lire en outre ce passage : « Pour ne rien arranger, rappelons également la situation schizophrénique et paradoxale des ressources de la Mozilla Foundation apportées à plus de 90% par l’accord avec… Google ! Quand vous dépendez financièrement d’un partenaire qui se transforme jour après jour en votre principal concurrent, vous vous sentez légèrement coincé aux entournures ! »

Or justement, nous y sommes, car une grosse inquiétude plane actuellement sur la reconduction du partenariat, rendant plus compliquée encore la situation[1].

Mais il y a pire. Comme relatée dans la traduction ci-dessous, Google, conforté par sa position de plus en plus dominante, commence à tomber dans le côté obscur de la force pour proposer des services « optimisés » pour Chrome (comprendre qui marche mieux ou qui marche tout court dans Chrome et uniquement dans Chrome). Gmail, Google Docs, Google Maps, etc. et si un jour vous vous retrouviez contraint de surfer sous Chrome pour utiliser pleinement ces services ?

Ce serait une belle régression et une belle menace pour un Web libre, neutre et ouvert. Et alors la comparaison avec le tristement célèbre Internet Explorer 6 n’est pas si exagérée que cela !

Pour aller plus loin et continuer à prendre garde, on pourra parcourir les articles du tag Chrome du Framablog.

Google Chrome est-il le nouveau IE6 ?

Is Google Chrome the New IE6?

Michael Muchmore – 2 décembre 2011 – PC Mag
(Traduction Framalang : Poupoul, Goofy, Pandark, Marting, Duthils, Toufalk et Deadalnix)

Laissez moi vous parler d’un navigateur. Un navigateur innovant qui fut le premier à implémenter de nouvelles technologies Web permettant une meilleure interactivité. Un navigateur avec une nouvelle interface étonnante. Chrome ? Non, Internet Explorer 6.

Il y a une raison pour laquelle le navigateur de Microsoft prit 95 pour cent du marché des navigateurs Web à Netscape (l’ancêtre de Firefox) : IE6 pouvait faire des choses dont ses prédécesseurs étaient incapables. Il y avait le HTML dynamique, le langage CSS, et même (oui, oui) de nouvelles fonctionnalités en matière de sécurité.

Mais d’années en années, ces fonctionnalités uniques ont montré un tout autre visage. Tous les principaux sites web ont cherché à s’optimiser pour IE, à tel point que ces sites ne fonctionnaient plus correctement avec d’autres navigateurs.

Avançons rapidement jusqu’en 2011. Le nouveau navigateur à la mode s’appelle Google Chrome, qui, d’après StatCounter, vient juste de dépasser l’ex-favori indépendant Firefox en part de marché globale. Chrome peut faire des choses dont les autres navigateurs sont incapables, et Google ne connaît plus que Chrome, ce qui signifie que certains des sites de Google ne fonctionnent intégralement que dans Chrome. Même aujourd’hui, vous pouvez lire sur le blog de Google qu’il existe de nouveaux niveaux d’Angry Birds qui ne fonctionnent que dans Chrome.

C’est perturbant, quand on considère tout ce que Google a fait pour l’ouverture du Web ; Google n’existerait pas si de vrais standards ouverts n’existaient pas sur le Web. Mais de plus en plus, Chrome devient un portail vers les services Google, jusqu’à la mise au ban d’autres navigateurs.

Bien sûr, tout le monde peut faire un site web qui fonctionne sous Chrome, donc il est, d’une certaine façon, ouvert. Mais si ces sites fonctionnent uniquement sous Chrome et plus sous les autres navigateurs, nous avons un manque d’ouverture dans l’écosystème du Web. De même, tout le monde pouvait produire un site qui fonctionnait parfaitement avec IE6, mais nous avons aussi le même problème : le site ne fonctionnera pas complètement dans les autres navigateurs.

Des cas de services Google utilisables uniquement avec Chrome sont en train d’apparaitre. Très récemment, avec la sortie de Chrome 15, le leader de la recherche sur Internet a changé juste une petite fonctionnalité de l’interface — la page d’un nouvel onglet. Et il l’a fait de manière à promouvoir le « Chrome Web Store » de l’entreprise. Cet « app » store — les apps étant en fait tout simplement des sites Web — ne fonctionne qu’avec Chrome. Avant ça, la société annonçait enfin la possibilité d’utiliser le service de webmail Gmail hors-ligne. Et devinez quoi ? Ça ne fonctionne que si vous utilisez Chrome.

Ce ne sont pas les seuls exemples de services de Google à ne fonctionner que sous Chrome ; il y a aussi, parmi tant d’autres, Google Instant Page, Google Cloud Print, le glisser-déposer et l’upload de dossiers dans Google Docs, les notifications des évènements du calendrier et des emails de Google Apps.

Un autre « standard », SPDY, pourrait transformer le Web en Google Wide Web (NdT : référence au World Wide Web). SPDY est un remplacement à HTTP qui compresse les données d’en-tête et permet des connexions persistantes entre le serveur et les navigateurs. Il s’avère que certains sites de Google utilisent déjà SPDY lorsque vous naviguez avec Chrome. De même que pour les Instant Pages, la technologie est disponible à l’implémentation pour les éditeurs Web, mais encore une fois, Google lui-même est le seul acteur majeur à le supporter. Un bon truc, des interactions Web plus rapides, mais n’oublions pas qu’un accès universel avec n’importe quel logiciel est la raison première pour laquelle le Web a décollé.

Cette stratégie prend l’exemple de Microsoft pour IE6 et l’étend à une échelle beaucoup plus grande. Le client Web Outlook (premier exemple majeur de site utilisant massivement Ajax, proche d’une app) ne permettait d’utiliser la fonctionnalité de recherche dans votre boîte de réception que si vous utilisiez Internet Explorer. C’est exactement ce que Google a commencé à faire : offrir un service Web qui fonctionne presque dans tous les navigateurs, mais nécessite le navigateur de l’entreprise pour fonctionner complètement. Heureusement, Microsoft a abandonné ces fonctionnalités réservées à IE. Espérons que Google en fera de même.

Lors d’une discussion que j’ai eu récemment avec Hakum Lie, directeur technique du développeur de navigateur Opera Software, le scandinave s’est inquiété de la démarche de Google.

« Il arrive souvent que Google lance des services sans les tester dans tous les navigateurs. On se réveille parfois un matin avec un nouveau service Google dont certains bugs auraient pu être corrigés s’ils avaient travaillé avec nous pendant la phase de developpement » a dit Lie. « Maintenant qu’ils ont leur propre navigateur, ils pensent moins à s’assurer que tout marche pour tout le monde, ce qui est préoccupant parce que Google n’aurait pas existé sans des standards ouverts. Nous serions probablement restés dans le giron de Microsoft ».

Mais Lie reconnaiît que Google a contribué aux standards du Web, « Certaines de ces expériences sont géniales », dit-il. « Nous avons besoin d’expérimentations de ce genre et on ne peut pas exiger que tout fonctionne avec tous les navigateurs. Mais vous devriez tester avec les navigateurs les plus populaires ».

Les Chromebook sont encore plus verrouillés et privateurs de liberté puisque ce ne sont quasiment que des navigateurs dans des boîtes vides. « Ce que nous reprochons au Chromebook c’est qu’il s’agit d’une plateforme très fermée », dit Lie. « Nous avons râlé après Microsoft pendant toutes ces années, mais avec Windows, vous pouviez au moins créer un navigateur concurrent ».

On pourrait dire la même chose pour les machines Apple tournant sous iOS, comme les iPads. Mais bien que les Chromebooks ne soient pas aussi populaires que les iPad, si un jour tous les ordinateurs sont des Chromebooks, le choix du navigateur et l’ouverture seront des concepts appartenant au passé.

Comme toutes les multinationales, Google veut être le premier partout où elle le peut. Elle a déjà réussi dans la recherche en ligne. Ne vous méprenez pas, Google a fait un boulot fantastique. Chrome ne serait pas aussi populaire si ce n’était pas le cas. C’est mon choix en tant qu’éditeur de PCMag parce qu’il est beaucoup plus rapide que ses prédecesseurs. L’arrivée de Chrome sur la scène a obligé tous les autres navigateurs à s’améliorer. J’espère seulement que ces améliorations n’entraveront pas l’ouverture et l’interopérabilité.

Notes

[1] Crédit photo : Denis Dervisevic (Creative Commons By)




Encourager ou criminaliser le jailbreaking ? Un choix de société !

FHKE - CC by-saDrôle de monde que celui dans lequel nous vivons et qui entrave à tous les étages le partage et le bidouillage.

Parce que déverrouiller son iPhone ou son Android n’est pas qu’un jeu gratuit pour hackers malfaisants. Il permet, mais si, mais si, de favoriser l’innovation, d’améliorer la sécurité et d’assurer une meilleure protection de ses données personnelles.

Cela répond également à la légitime curiosité d’aller regarder sous le capot pour comprendre comment les choses fonctionnent[1].

Messieurs les censeurs, écoutez l’appel de l’Electronic Frontier Foundation, et cessez de criminaliser des pratiques utiles à la communauté. Et ne nous y trompons pas, derrière ce petit problème technique se cache (n’ayons pas peur des mots) un véritable choix de société.

Pourquoi Apple, Sony, Amazon, Microsoft et les autres devraient encourager le jailbreaking

Why Apple (and Sony, Amazon, Microsoft etc.) Should Support Jailbreaking

Trevor Timm – 2 décembre 2011 – EFF.org
(Traduction Framalang : Goofy, Clochix et Poupoul2)

Hier l’Electronic Frontier Foundation a demandé à l’administration du Copyright des États-Unis d’accorder une exemption au Digital Millenium Act en faveur du droit de « jailbreaker » les smartphones, les tablettes et les consoles de jeux vidéos. Ces exceptions visent à épargner aux utilisateurs tout souci légal qui pourraient les empêcher de faire tourner des applications et des systèmes d’exploitation qui ne sont pas approuvés par le fabricant de l’appareil. Elles amendent la section 1201 du DMCA qui interdit tout contournement de « mesure technique qui contrôle effectivement l’accès à une œuvre protégée à ce titre ».

En 2009, malgré les cris d’orfraie et la vive opposition d’Apple, l’EFF a obtenu du bureau du Copyright le droit pour les utilisateurs de déverrouiller les iPhones et autres smartphones. C’est en partie grâce à cette disposition légale qu’une communauté en ligne très active s’est constituée autour du jailbreaking pour perfectionner à un degré incommensurable l’innovation, la sécurité, la confidentialité sur ces appareils.

Pourquoi donc Apple et les autres fabricants s’opposeraient-ils à ce processus ? Voilà une question intéressante. Quand Apple a combattu la première fois le droit légal de jailbreaker, la firme a prétendu que cela nuirait à son modèle économique en ruinant sa rentabilité. Pourtant les profits d’Apple atteignent des records jamais atteints selon toutes les statistiques fiables.

En réalité, loin de nuire à des entreprises comme Apple, la communauté autour du jailbreaking finit souvent par leur rendre service, dans la mesure où Apple et d’autres fabricants finissent par adopter de nombreuses fonctionnalités qui avaient été exclues dans un premier temps. Faisons une petite rétrospective de tous le bénéfices du jailbreaking à la fois pour les industriels et les utilisateurs de smartphones, et voyons pourquoi cette pratique devrait être étendue aux tablettes et consoles de jeux vidéos comme le PlayStation 3, la Wii de Nintendo et la XBox 360.

Innovation

À tous égards, la communauté du jailbreaking a formidablement amélioré l’ergonomie des smartphones. Ses membres ont par exemple développé des applications, d’abord rejetées par Apple, qui permettait aux anciennes versions de l’iPhone d’enregistrer des vidéos. Les jailbreakers ont également été les premiers à réussir à configurer le clavier pour qu’il se connecte sans fil au smartphone. Apple a par la suite adopté chacune de ces fonctionnalités.

Ce processus d’imitation a été reproduit pour un tas d’autres innovations initiées par la communauté du jailbreaking, depuis la conception de l’interface utilisateur jusqu’à la gestion des applications sur le téléphone. Comme l’a remarqué David Kravets du magazine Wired, « parmi ces bidouillages on trouve les notifications qui se replient, l’accès direct à la caméra depuis l’écran d’accueil verrouillé et la synchronisation sans fil, pour n’en citer que quelques-uns ».

Sécurité

Les améliorations de la sécurité développées par la communauté des jailbreakers protègent les utilisateurs de smartphones quand le fabricant tarde à régler les problèmes de vulnérabilité ou les néglige carrément.

Quand on a découvert une faille de sécurité à l’ouverture d’un fichier PDF par le navigateur de l’iPhone, Apple ne s’est pas pressé pour régler le problème. Les utilisateurs qui ne voulaient pas attendre que le fabricant s’en occupe avaient une meilleure façon de se protéger : débrider leur appareil et installer un correctif « non autorisé » créé par un développeur indépendant.

Mais la débâcle de DigiNotar en 2011 est le meilleur exemple pour expliquer pourquoi il est si vital de pouvoir déverrouiller un téléphone. Jusqu’à une époque récente, DigiNotar était une autorité de certification — une organisation qui émet des certificats numériques utilisés pour authentifier et sécuriser les communications entre différents services en ligne, comme les transactions de cartes de crédit. Mais en septembre, elle a été piratée et a commencé à émettre des certificats frauduleux, qui ont permis à des utilisateurs mal intentionnés de compromettre des terminaux et des services. Les premières versions d’Android ne se mettaient pas à jour automatiquement, ne laissant aux utilisateurs avec d’anciens systèmes d’exploitation d’autre recours que de déverrouiller leur téléphone pour pouvoir se protéger.

Confidentialité

Alors que les préoccupations sur le respect de la vie privée par les terminaux mobiles augmentent, la communauté des « déverrouilleurs de téléphones » a aussi été vitale en rendant le respect de la vie privée plus sécurisé lorsque les fabricants ne s’en souciaient pas.

Les ouvreurs de prisons numériques ont été les premiers à introduire une application non autorisée sur l’iPhone qui masque les messages apparaissant automatiquement sur l’écran pour signaler qui est aux alentours. Les déverrouilleurs ont également créé une modification du logiciel pour empêcher la journalisation d’informations détaillées sur la localisation de l’iPhone à laquelle se livrait Apple sans y avoir été autorisée. De même, sur Android, une application non autorisée appelée LBE Privacy Guard permet aux utilisateurs de chercher et surveiller les données sensibles auxquelles des applications tierces pourraient essayer d’accéder. Mais ces applications protectrices de la vie privée ne sont accessibles qu’aux utilisateurs qui déverrouillent leur terminal.

La popularité des tablettes a explosé au cours des dernières années, et l’EFF veut que les utilisateurs de terminaux comme l’iPad et le Nook bénéficient également de ce dont ont profité les utilisateurs de smartphones au cours des trois dernières années.

Mais ce n’est pas tout, nous réclamons également une exemption pour les consoles de jeu vidéo.

Consoles de jeux vidéo

Les fabricants de consoles de jeu comme la PlayStation 3, la Xbox et la Wii de Nintendo limitent également le système d’exploitation de l’utilisateur, et les options des logiciels, même lorsque rien ne prouve que d’autres programmes violeraient le copyright. L’exception que nous réclamons permettrait aux utilisateurs d’exécuter le système de leur choix sur leurs consoles, aussi bien que des applications « maison » écrites par eux-mêmes.

Les consoles de jeu vidéo ont des processeurs puissants qui peuvent permettre aux gens de les utiliser comme des alternatives peu coûteuses aux PC de bureau. Des chercheurs, et même l’armée des EUA, ont transformé des grappes de PS3 en puissants supercalculateurs, à l’époque où Sony permettait l’installation de systèmes d’exploitation alternatifs. Mais Sony a supprimé cette possibilité avec une mise à jour du firmware en 2010, et les PS3 ne peuvent désormais plus faire tourner Linux sans être déverrouillées. En fait, plus tôt cette année, Sony avait été jusqu’à poursuivre quelques chercheurs qui avaient publié des informations sur des trous de sécurité qui permettraient aux gens d’installer et de faire tourner Linux sur leur PS3 personnelle. Nous espérons que l’exception que nous cherchons à obtenir énoncera clairement que les gens ont le droit de faire tourner le système d’exploitation et les applications de leur choix sur leur machine.

L’EFF adjure Apple, Sony et les autres de soutenir cette demande d’exemption au DMCA pour améliorer l’expérience des utilisateurs et garantir la sécurité et la confidentialité de leurs données personnelles.

Notes

[1] Crédit photo : FHKE (Creative Commons By-Sa)




Android et la liberté des utilisateurs par Richard Stallman

Laihiuyeung Ryanne - CC byAndroid, le système d’exploitation de Google pour la téléphonie mobile, est-il véritablement un logiciel libre ?

C’est la question que s’est posée récemment Richard Stallman dans le colonne du Guardian.

« Presque » pourrait être une réponse optimiste. Mais c’est un presque subtil et complexe qui demande quelques explications et éclaircissements[1].

Parce qu’ici comme ailleurs, le diable se cache souvent dans les détails…

Android et la liberté des utilisateurs

Android and Users’ Freedom

Richard Stallman – 19 septembre 2011 – GNU.org
Traduction : Sylvain Le Menn – Creative Commons BY-ND

Dans quelle mesure est-ce qu’Android respecte les libertés de ses utilisateurs ? Pour l’utilisateur d’un ordinateur qui chérit la liberté, c’est la question la plus importante à se poser pour tout logiciel.

Dans le mouvement du logiciel libre, nous concevons des logiciels qui respectent les libertés des utilisateurs de sorte que vous comme moi puissiez échapper à l’emprise de ceux qui les dénient. Cela contraste avec l’idée de l’« open source » qui se concentre sur la façon de concevoir le code ; c’est une réflexion différente qui s’intéresse principalement à la qualité du code plutôt qu’à la liberté. Ainsi, le souci principal n’est pas de savoir si Android est « ouvert », mais s’il permet à celui qui l’utilise d’être libre.

Android est un système d’exploitation orienté principalement vers les téléphones portables. Il est constitué du noyau Linux (le noyau de Torvalds), quelques bibliothèques, une plateforme Java, et quelques applications. Sans parler de Linux, le logiciel d’Android versions 1 et 2 a été concu essentiellement par Google. Google l’a sorti sous la licence Apache 2.0, qui est une licence libre permissive sans copyleft.

La version de Linux incluse dans Android n’est pas un logiciel entièrement libre puisque qu’il contient des morceaux de code non libres (des « binary blobs »), tout comme la version de Torvalds de Linux, dont quelques-uns sont réellement utilisés dans des machines tournant sous Android. Les plateformes Android utilisent des microprogrammes non libres aussi, ainsi que des bibliothèques non libres. À part cela, le code source des versions 1 et 2 d’Android telles que faites par Google sont libres, mais ce code est insuffisant pour faire tourner l’appareil. Quelques applications qui viennent généralement avec Android sont aussi non libres.

Android est très différent du système d’exploitation GNU/Linux, car il contient très peu de GNU. En effet, le seul élément commun entre Android et GNU/Linux se résume à peu près à Linux, le noyau. Les gens qui font l’erreur de croire que « Linux » fait référence à la totalité de l’écosystème GNU/Linux s’emmêlent les pinceaux, et font des affirmations paradoxales telles que « Android contient Linux, mais ce n’est pas Linux ». Si nous évitons cette confusion au départ, la situation est simple : Android contient Linux, mais pas GNU. Ainsi Android et GNU/Linux sont majoritairement différents.

À l’intérieur d’Android, le noyau Linux reste un programme séparé, avec le code source sous licence GNU GPL version 2. Combiner Linux avec le code sous licence Apache 2.0 représenterait une violation du copyright, puisque les licences GPL version 2.0 et Apache 2.0 sont incompatibles. Les rumeurs que Google a d’une manière ou d’une autre fait passer Linux sous licence Apache sont fausses. Google n’a aucun pouvoir pour changer la licence du code de Linux, et n’a pas essayé de le faire. Si les auteurs de Linux autorisaient son usage sous la version 3 de la licence GPL, ensuite ce code pourrait être combiné avec un code sous licence Apache, et la combinaison pourrait être rendue publique sous licence GPL version 3. Mais Linux n’a pas été publié ainsi.

Google a respecté les règles de la licence GPL (General Public License ou Licence publique générale) pour Linux, mais la licence Apache sur le reste d’Android n’oblige pas à montrer le code. Google a dit qu’ils n’allaient jamais publier le code d’Android 3.0 (à part Linux), même si les exécutables ont été rendus disponibles pour le public. Le code source d’Android 3.1 est aussi retenu. Ainsi, Android 3, en dehors de Linux, est purement et simplement du logiciel non libre.

Google a dit qu’ils gardaient le code source de la version 3.0 parce qu’il était bogué, et que les gens devraient attendre la version d’après. Cela pourrait être un bon conseil pour ceux qui veulent juste faire tourner le système Android, mais les utilisateurs devraient être ceux qui prennent ces décisions. Et de toutes façons les développeurs et les bidouilleurs qui voudraient inclure des changements dans leurs propres versions pourraient très bien utiliser ce code.

Le fait de ne pas rendre publique deux versions du code source est source d’inquiétudes dans le sens que Google pourrait vouloir rendre Android propriétaire de manière permanente, que la publication de quelques versions d’Android ait été une stratégie temporaire afin d’obtenir l’aide de la communauté pour améliorer un logiciel propriétaire. Espérons que ce n’est pas le cas.

Dans tous les cas, la plupart du code source de plusieurs versions d’Android ont été publiées en tant que logiciel libre. Est-ce que ça veut dire que des machines qui utilisent ces versions d’Android respectent les libertés de l’utilisateur ? Non, ce n’est pas le cas pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, la majorité des versions comprend des applications non libres de Google pour communiquer avec des services tels que Youtube et Google Maps. Celles-ci ne font pas officiellement partie d’Android, mais cela n’en fait pas un bon produit pour autant. Il y a aussi la présence de bibliothèques non libres. Qu’elles fassent partie d’Android ou pas est discutable, ce qui importe c’est que beaucoup de fonctionnalités en dépendent.

Même les exécutables qui font officiellement partie d’Android peuvent ne pas correspondre au code des versions de Google. Les constructeurs peuvent changer le code, et bien souvent ils ne publient pas le code source de leurs versions. La licence GNU GPL les oblige, en théorie, à redistribuer le code de leurs versions de Linux. Le reste du code sous licence Apache ne les oblige pas à publier le code source des versions qu’ils utilisent réellement.

Replicant, une version libre d’Android qui n’est compatible qu’avec quelques modèles de téléphones, a remplacé beaucoup de bibliothèques, et peut fonctionner sans les applications non libres. Mais il y a d’autres problèmes.

Certains modèles sont conçus pour empêcher leur propriétaire d’installer et de modifier le logiciel. Dans cette situation, les exécutables ne sont pas libres, même s’ils sont faits à partir d’une source libre qui est disponible pour vous. Cependant, certains appareils Android peuvent être «?rootés?», ce qui permet aux utilisateurs d’y installer d’autres logiciels.

Les micrologiciels importants et les pilotes sont généralement propriétaires aussi. Ceux-ci gèrent le matériel pour le réseau, la radio, le wifi, le bluetooth, le GPS, l’accélération 3D, l’appareil photo, les hauts-parleurs, et dans certains cas le microphone aussi. Sur certains modèles, quelques-uns de ces pilotes sont libres, et pour certains on peut s’en passer, mais le microphone et l’accès au réseau sont plutôt indispensables.

Le micrologiciel qui gère l’accès au réseau est préinstallé. Si tout ce que le programme se contentait de faire était de tourner dans son coin, on pourrait le considèrer comme un simple circuit. Quand on insiste sur le fait qu’un logiciel dans un ordinateur doit être libre, on peut passer sur un micrologiciel préinstallé qui ne sera jamais mis à jour, car cela ne fait pas de différence pour l’utilisateur que c’est un programme plutôt qu’un circuit.

Malheureusement, dans ce cas ce serait un circuit malveillant. Des fonctions malveillantes sont inacceptables, quelle que soit la manière dont elles sont implémentées.

Sur la plupart des téléphones Android, ce micrologiciel a tellement de contrôle qu’il pourrait transformer le produit en un appareil d’écoute. Sur certains, il peut prendre le contrôle entier de l’ordinateur principal, à travers la mémoire partagée, et peut ainsi supplanter ou remplacer le logiciel libre que vous avez installé. Avec certains modèles, il est possible d’exercer un contrôle à distance sur ce micrologiciel, et ainsi sur le téléphone tout entier, à travers le logiciel permettant l’accès au réseau. Le principe du logiciel libre, c’est d’avoir le contrôle sur la machine, et cet appareil en l’occurence ne remplit pas cette mission. Bien que n’importe quel système informatique puisse avoir des bogues, ces appareils peuvent être des bogues (Craig Murray, dans Meurtre à Samarkand, fait le récit de son rôle dans une opération de renseignement qui convertit un téléphone portable sans Android d’une cible peu suspicieuse en un appareil d’écoute).

En tout cas, le micrologiciel du téléphone permettant l’accès au réseau n’est pas l’équivalent d’un circuit, car le matériel permet l’installation de nouvelles versions, et il fonctionne dans ce but d’ailleurs. Puisque c’est un micrologiciel propriétaire, en pratique seul le fabricant peut faire de nouvelles versions, les utilisateurs ne le peuvent pas.

Pour résumer, on peut tolérer des versions non libres des micrologiciels gérant l’accès au réseau à la condition que des mises à jour ne seront pas téléchargées, elles ne prendront ainsi pas contrôle de l’ordinateur principal, et il peut seulement communiquer quand et si le système d’exploitation libre le permet. En d’autres termes, il doit avoir un fonctionnement équivalent à un circuit, et ce circuit ne doit pas être malveillant. Il n’y a pas d’obstacles à construire un téléphone Android qui a ces caractéristiques, mais nous n’en connaissons aucun.

De récentes couvertures médiatiques se sont intéressées aux guerres de brevets. Pendant les 20 ans de campagne qui ont été consacrés à l’abolition des brevets logiciels, nous avons prévenu que de telles guerres pouvaient arriver. Les brevets logiciels pourraient contraindre à la disparition de fonctions dans Android, ou même le rendre indisponible (consultez endsoftpatents.org pour plus d’informations sur les raisons nécessitant l’abolition des brevets logiciels).

Pourtant, les attaques sur les brevets, et les réponses de Google, n’ont pas de lien direct avec le sujet de cet article : comment les produits Android sont proches d’un système de distribution éthique, et comment ils échouent de peu. Ce problème mérite l’attention de la presse aussi.

Android représente une étape majeure vers un téléphone portable libre qui soit contrôlé par l’utilisateur, mais il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. Les hackers travaillent sur Replicant, mais c’est un gros travail de rendre un nouveau modèle compatible, et il reste encore le problème du micrologiciel. Même si les téléphones Android d’aujourd’hui sont considérablement moins mauvais que les smartphones d’Apple ou de Windows, on ne peut pas dire qu’ils respectent vos libertés.

Notes

[1] Crédit photo : Laihiuyeung Ryanne (Creative Commons By)




20 ans que sans concurrence Microsoft équipe l’Europe !

Sébastien Bertrand - CC byLes institutions européennes, toujours promptes à donner la leçon, ont peut-être d’autres chats à fouetter actuellement mais il nous semble bon de leur rappeler un passé peu glorieux et un présent scandaleux[1].

Cela fait en effet près de 20 ans que l’on déroule le tapis rouge à la société non européenne Microsoft sans jamais prendre la peine d’évaluer les autres solutions, parmi lesquelles, évidemment, figure le logiciel libre.

Peut-être qu’en 1992, il était hasardeux de choisir autre chose que Windows pour ses postes clients. Mais pourquoi avoir systématiquement reconduit cette forme de partenariat exclusif jusqu’à aujourd’hui alors que parallèlement de réelles et crédibles alternatives voyaient le jour ?

Il est grand temps d’opposer au lobbying un certain bon sens citoyen. Je le dirai à mon député européen la prochaine fois que je le croiserai 🙂

Depuis 20 ans la Commission européenne achète du Microsoft sans concurrence

European Commission buys Microsoft for 20 years without competition

Mark Ballard – 15 août 2011 – ComputerWeekly.com
(Traduction Framalang : Goofy, ZeHiro, Pandark, Lolo le 13)

La Commission européenne achète des produits Microsoft depuis 1993 sans appel d’offre ouvert à la concurrence qui aurait pu proposer des alternatives, selon des documents transmis au magazine Computer Weekly.

Ces documents transmis au magazine Computer Weekly soulevent des questions quant à une politique d’achat qui a permis à un fournisseur unique de régner en maître pendant si longtemps en s’appuyant sur des exceptions législatives habituellement réservées à des circonstances extraordinaires.

Ils soulevent aussi des interrogations quant à la validité des explications officielles fournies par la Commission pour sécuriser ses accords commerciaux avec Microsoft, appelés « procédures négociées ». Le dernier en date, concerne l’acquisition pour environ 50 millions d’euros de licences logicielles pour les 36 000 PC et les infrastructures associées que comptent les 42 institutions européennes, y compris le Parlement Européen et la Cour de Justice.

Karsten Gerloff, président de la Free Software Foundation Europe, a dit que l’accord en cours avec Microsoft était une « honte » pour la Commission Européenne. « Il est effarant de constater que tous les accords passés entre la Commission et Microsoft depuis 1993 ont été conclus sans aucun appel d’offre public » a-t-il déclaré. « Il en résulte que la Commission Européenne est totalement dépendante d’un seul et unique fournisseur de logiciels pour ses outils de bureautique. Il est clair que les lois régulant les procédures d’achat de l’Europe doivent être rapidement mises à jour. Actuellement, celles-ci laissent bien trop de place aux accords négociés et anticoncurrentiels. »

« Ceci montre bien que le marché n’est ni juste ni égal », renchérit Paul Holt, directeur des ventes chez Canonical (NdT : Ceux qui distribuent Ubuntu). Il a ajouté que les accords que Microsoft a signé avec les institutions européennes empêchent celles-ci d’utiliser des standards ouverts qui permettraient de promouvoir la concurrence. Ainsi, Microsoft a pu imposer aux institutions européennes ses propres spécificités techniques.

Un porte-parole de Microsoft a affirmé que l’entreprise ne ferait pas de commentaires. « La Commission est le contractant et eux seuls décident de leur procédure d’achat » a-t-il dit.

Computer Weekly comprend toutefois que Microsoft s’appuie sur la ligne adoptée par le Directoire pour l’Informatique de la Commission Européenne (DIGIT) en réponse aux récentes questions des députés européens à propos de leurs contrats.

Maroš Šef?ovi?, le vice-président de la Commission et commissaire pour l’administration et les relations inter-institutionnelles, qui mène une réforme majeure des Technologies de l’Information et de la Communication dans la Commission Européenne, a déclaré aux députés européens que la Commission s’engageait dans la « promotion de l’interopérabilité » en utilisant des standards. Mais il a indiqué que ces standards pouvaient inclure ceux implémentés par les vendeurs de logiciels commerciaux. Il a démenti que la Commission ait été contrainte de se procurer des produits chez un unique fournisseur.

Le DIGIT affirma en 1992 qu’il était obligé de signer un arrangement privé avec Microsoft parce qu’aucune autre entreprise ne pouvait fournir le logiciel adéquat. Mais la justification officielle de la Commission pour cet arrangement demeure vague. Des procédures similairesen 1996 et 1999 confirment la position de Microsoft comme étant le seul fournisseur de systèmes d’exploitation et d’applications de bureautique pour la Commission.

Depuis 2003 cependant, la justification officielle de la Commission a évolué. La raison invoquée ici est qu’un logiciel alternatif impliquerait une incompatibilité technique et des migrations trop lourdes. Aiinsi il n’y a pas d’autre choix que de continuer à acheter du Microsoft.

La Commission a utilisé la même excuse d’incompatibilité pour justifier des achats sans concurrence avec Microsoft en 2007 et 2011. La justification contredit apparemment le discours de Šef?ovi? qui prétend que la Commission n’est pas pieds et poings liés à Microsoft, et qu’elle s’était engagée résolument dans la voie des standards interopérables.

Un porte-parole du DIGIT a déclaré que les directives concernant les achats de l’Union Européenne avaient changé plusieurs fois ces vingt dernières années, mais que les fournisseurs ont été choisis après une analyse approfondie du marché, des besoins des utilisateurs et du coût des achats.

« Il existe un grand nombre de procédures pour l’achat de biens et de services et tout choix particulier est dûment motivé et explicité. Il résulte d’une analyse poussée de la situation du marché, des besoins des utilisateurs et du coût total de l’acquisition. L’ensemble est mené dans un cadre qui a fait ses preuves, celui de la procédure Gestion des Technologies », a-t-il indiqué dans une déclaration écrite. Les décisions prises ont été soumises à un contrôle interne et sont conformes à la législation européenne.

Il a affirmé avec insistance que la Commission n’était pas contrainte à acheter des produits Microsoft : « Nous avons toujours dit clairement que ce n’était pas le cas, et que nous analysons en permanence les options offertes par le marché ».

Le dernier accord conclu en mai a assuré l’achat de licences pour que l’administration européenne puisse continuer à utiliser une gamme complète de logiciels Microsoft. Elle comprend les systèmes d’exploitation, la suite Office, le logiciel de gestion de base de données SQL Server Entreprise, des outils pour collaborer et gérer des projets ainsi qu’un volet sur la sécurité et le courrier électronique.

Mais Šef?ovi? a créé plusieurs comités de gestion des TIC qui n’ont toujours pas décidé si la Commission devait continuer à utiliser exclusivement des logiciels Microsoft. Ainsi on attend toujours la décision à prendre concernant la mise à niveau vers le système d’exploitation Windows 7, et ce neuf mois après avoir été soumise aux équipes dirigeantes.

Graham Taylor, directeur général d’Open Forum Europe, un groupe de pression activé par Google, IBM, Oracle et Red Hat, a déclaré qu’ils avaient abordé la procédure négociée avec « la plus extrême prudence », sans comprendre pourquoi la Commission l’avait utilisée pour empêcher la concurrence sur le marché du logiciel pour ordinateur de bureau.

Notes

[1] Crédit photo : Sébastien Bertrand (Creative Commons By)




Les brevets logiciels : une histoire de fous !

Kalidoskopika - CC by-sa« Les entreprises trouvent plus intéressant de gagner de l’argent en se faisant mutuellement des procès qu’en créant vraiment des produits. » Tel est le cinglant résumé de ce récent éditorial du Guardian qui prend appui sur l’actualité, dont le fameux rachat de Motorola par Google, pour nous livrer un constat aussi amer qu’objectif[1].

« Les brevets étaient censés protéger l’innovation. Maintenant ils menacent de l’étouffer. » Voilà où nous en sommes clairement maintenant.

Un nouvel exemple d’un monde qui ne tourne pas rond. Un nouvel exemple où le logiciel libre pourrait aider à améliorer grandement la situation si le paradigme et les mentalités voulaient bien évoluer.

Brevets logiciels : une histoire de fous

Software patents: foolish business

Éditorial du Guardian – 21 aout 2011 (Traduction Framalang : Goofy et Pandark)

Les entreprises trouvent plus intéressant de gagner de l’argent en se faisant mutuellement des procès qu’en créant vraiment des produits.

La plupart des gens comprennent les raisons et les arguments en faveur des brevets industriels. Ces derniers fournissent à un laboratoire pharmaceutique — qui a investi une fortune dans le développement d’un nouveau médicament — une sorte d’opportunité pour, pendant une période limitée, rentabiliser sa mise initiale avant que le reste du monde ne puisse en faire des versions moins chères. Mais les brevets logiciels, bien que semblables au plan juridique, sont très différents sur le plan pratique. Quand Google a racheté la division téléphone mobile de Motorola pour 12, 5 milliards de dollars la semaine dernière, l’événement a fait des vagues dans le commerce comme dans l’industrie, parce qu’il ne s’agissait pas d’acheter les mobiles de Motorola mais son portefeuille de plus de 17000 brevets logiciels, denrée devenue la poudre d’or de l’âge numérique.

Les brevets constituent une industrie qui brasse plusieurs milliards, et les entreprises trouvent plus intéressant de gagner de l’argent en se faisant des procès qu’en créant un produit. Jusqu’au milieu des années 90 l’industrie informatique — Microsoft compris — étaient opposée à cet abus de licences. essentiellement parce que l’industrie était suffisamment innovatrice pour pouvoir se passer de la protection des brevets, qui de toutes façons incluaient des avancées technologiques relativement ordinaires, considérées comme la routine du travail d’ingénieur.

Puis, la tentation entra en scène. Les juristes des entreprises prirent conscience qu’ils pouvaient poursuivre les autres pour infraction aux brevets souvent achetés par lots. Ils furent rejoints par des entreprises « troll », constituées dans l’unique but d’acheter des brevets et de faire des procès aux autres entreprises et aux développeurs, sachant pertinemment que la plupart accepteraient une transaction à l’amiable plutôt que d’affronter les coûts prohibitifs de leur défense juridique. Les entreprise qui étaient précédemment opposées aux brevets logiciels se sont aujourd’hui lancées dans la course à l’armement. Microsoft a accumulé un gigantesque arsenal de brevets et peut taxer un fabricant comme HTC à raison de 5 dollars par téléphone portable vendu — même si le système d’exploitation Android (développé par Google) utilisé sur les téléphones HTC est « open source » et supposé disponible pour tous. Avec des centaines, si ce n’est des milliers de brevets maintenant en jeu dans un téléphone mobile, il est pratiquement impossible de ne pas enfreindre un brevet d’une manière ou d’une autre. Dans le même temps Google, confronté au puissant aspirateur à brevet de ses rivaux, a été contraint de s’acheter son propre portefeuille en réaction d’auto-défense.

Les brevets étaient censés protéger l’innovation. Maintenant ils menacent de l’étouffer. De telles acquisitions peuvent entraîner les entreprises de technologies de l’information bien loin de leur cœur de métier. Une recherche universitaire menée par le Berkman Center for Internet and Society a montré que les brevets logiciels n’ont procuré aucun bénéfice à l’industrie du logiciel, et encore moins à la société dans son ensemble. C’est dramatique, car un grand nombre d’entreprises qui étaient auparavant opposées aux brevets logiciels se sont ralliées à ce système, rendant plus difficile de trouver une solution efficace. Une fois de plus les consommateurs sont vent debout contre les entreprises. Où sont les forces régulatrices quand on en a besoin ?

Notes

[1] Crédit photo : Kalidoskopika (Creative Commons By-Sa)




Google m’a tuer

Stephen Brace - CC byVous vous réveillez un matin et constatez la disparition de la totalité de votre vie numérique !

Plus de mails, plus de contacts, plus de photos, plus de vidéos, plus de documents, plus de calendrier, plus de blog, plus de favoris, plus de flux RSS… tout, absolument tout, s’est évanoui !

De la science-fiction ?

Non, un simple compte Google désactivé unilatéralement et sans préavis par la société.

En l’occurrence le compte de Dylan M. (@ThomasMonopoly sur Twitter) qui avait décidé peu de temps auparavant de tout faire migrer sur son unique compte Google. Compte sur lequel étaient attachés les nombreux services qu’offre la firme de Mountain View (Gmail, Picasa, Google Docs, Calendar, Reader, Blogger, etc.).

Et ce sont donc ici 7 années digitales qui partent en fumée d’un simple clic. Adieu données personnelles. Ce n’est alors pas que votre identité numérique qui vacille, mais votre identité toute entière…

Cette triste ou effroyable histoire vraie est malheureusement riche d’enseignements. D’abord parce qu’elle peut arriver à n’importe quel possesseur d’un compte Google (ici on ne saura pas pourquoi le compte a été désactivé et rien ne pourra être fait pour le rétablir !). Mais aussi et surtout parce qu’elle en dit long sur ce que nous acceptons tacitement lorsque nous décidons de faire confiance à ces « sociétés du nuage » en nous inscrivant, le plus souvent gratuitement, à leurs services en ligne.

Et il va sans dire que Facebook, Twitter ou Apple ont toutes le droit d’en faire autant.

Exaspéré et désespéré, Dylan M. a conté sa mésaventure dans une longue lettre ouverte à Google, que vous trouverez traduite ci-dessous. Une lettre publiée sur… TwitLonger et non sur son blog, puisque ce dernier était sur Blogger et dépendait lui aussi de son compte Google !

De quoi faire réfléchir non seulement sur les pratiques du géant Google mais également sur le monde dans lequel nous avons choisi de vivre…

Je vous laisse, j’ai quelques sauvegardes urgentes à faire sur mon disque dur[1].

Edit du 17 août : Il y a une suite à cette histoire.

Cher Google…

Dear Google…

Thomas Monopoly – 22 juillet 2011 – TwitLonger
(Traduction Framalang : Marting, Slystone, Siltaar, Juu, Padoup et Goofy)

Cher Google,

Je voudrais attirer votre attention sur quelques points avant de me déconnecter définitivement de tous vos services.

Le 15 juillet 2011 vous avez bloqué la totalité de mon compte Google. Vous n’aviez absolument aucune raison de faire cela, même si votre message automatique me disait que votre systeme avait repéré une « violation ». Je n’ai en aucun cas violé les Conditions Génerales d’Utilisation, que ce soit celles de Google ou celles spécifiques au compte, et votre refus de me fournir une quelconque explication ne fait que renforcer ma certitude. Et je souhaiterais vous montrer les dégâts que votre négligence a causés.

Mon compte Google était lié à presque tous les produits que Google a développés, ce qui veut dire que j’ai aussi perdu tout ce qui était dans ces comptes. Je venais aussi d’entreprendre de tout regrouper sur un seul compte Google. En fait, j’avais réfléchi à tout cela voici quelques mois et avais décidé que Google était une entreprise sérieuse et digne de confiance. Donc j’ai tout importé de mes autres comptes Hotmail, Yahoo…, dans mon unique compte Gmail. J’ai passé environ 4 mois à migrer lentement toute ma présence en ligne : comptes email, informations bancaires, documents professionnels, etc., dans cet unique compte Google, l’ayant déterminé comme étant fiable. Cela signifie en termes d’informations environ 7 années de correspondances, plus de 4800 photographies et vidéos, mes messages Google Voice, plus de 500 articles enregistrés dans mon compte Google Reader pour mes études (lorsque j’ai fermé mon compte Reader d’origine pour tout regrouper dans mon unique compte portant mon nom, j’ai ré-enregistré plusieurs centaines d’articles et de flux moi-même, à la main, un par un dans ce nouveau compte, celui que vous avez fermé et dont j’ai maintenant perdu tous les articles). J’ai également perdu tous mes favoris, ayant utilisé Google Bookmarks.

J’avais migré mes favoris d’ordinateur à ordinateur pendant peut-être 6 ans, environ 200, et je les ai finalement tous envoyés sur Google Bookmarks, content d’avoir trouvé une solution pour les migrer et content de me préserver de leur perte. J’ai aussi perdu plus de 200 contacts. Nombreux sont ceux pour lesquels je n’ai pas de sauvegarde. J’ai aussi perdu l’accès à mon compte Google Docs avec des documents partagés et des sauvegardes de fichiers archivés. J’ai par ailleurs perdu l’accès à mon calendrier. Avec cela, j’ai perdu non seulement mon propre calendrier personnel avec des rendez-vous chez le médecin, des réunions et autres, mais j’ai aussi perdu mes calendriers collaboratifs que j’avais créés et pour lesquels plusieurs heures de travail humain ont été nécessaires, des calendriers communautaires qui sont maintenant perdus.

Aucun de ces calendriers n’était non plus sauvegardé. J’ai également perdu mes cartes Google Maps sauvegardées et mon historique de voyages. J’ai perdu mes dossiers de correspondances médicales et diverses notes très importantes qui étaient attachées à mon compte. Mon site Web, un compte Blogger pour lequel j’ai acheté le domaine via Google et que j’ai conçu moi-même, a été aussi désactivé et perdu. Pensez-vous réellement que je ferais sciemment quelque chose qui mettrait en péril autant de données personnelles et professionnelles ? Au fur et à mesure que les jours passent, je suis certain que je vais prendre connaissance d’autres choses que Google a détruites dans la désactivation injustifiée de mon compte. Je suis seulement trop en colère en ce moment pour réflechir correctement et tout passer en revue. Pourquoi quelqu’un confierait-il quoi que ce soit à « l’informatique dans les nuages » après ce que j’ai traversé ? C’est quelque chose qui me dépasse complétement.

Je voudrai aussi préciser que je suis en fait un client payant, au point que j’ai acheté mon domaine via Google et j’ai aussi acheté de l’espace de stockage supplémentaire.

J’aimerais attirer votre attention sur d’autres éléments : je suis en ce moment en train de soumettre ma candidature pour les études supérieures. Je recevais occasionnellement des courriels de professeurs et d’autres personnes que je n’attendais pas et dont je n’avais pas les coordonnées. Ceci entraînant qu’en plus de mes amis et de ma famille à l’étanger ou des gens qui ne pouvaient pas me joindre autrement, ces personnes recevront maintenant un message de Google leur signalant que mon adresse électronique n’existe pas. Et j’ose imaginer que certains d’entre eux n’auront pas le temps de trouver d’autres moyens de contacter un candidat à qui ils faisaient une faveur en faisant le premier pas.

J’aimerais attirer votre attention sur d’autres éléments : J’ai été ce que l’on pourrait appeler un supporter enthousiaste de Google en tant qu’entreprise. Étant un utilisateur de la première heure, on pourrait presque dire que j’ai été un apôtre du travail de Google. Google sortait ses produits prématurément, et je contribuais au feedback sur ces produits. Lorsque Google a réussi son coup politique en Chine en re-routant les serveurs vers Hong-Kong, j’ai applaudi et j’ai posté des articles à ce sujet sur tous mes réseaux sociaux, et j’ai fait la remarque, par ces mots, à plusieurs personnes que je connais : « Ils l’ont fait avec classe et dignité ». J’ai également convaincu l’entreprise pour laquelle je travaillais de migrer vers Google Business Apps et d’utiliser les Google Apps pour à peu près tout. Je les ai aussi encouragés à acheter de l’espace de stockage avec Picasa pour construire notre base de données d’images. De plus, j’ai convaincu presque toute ma famille et mes amis d’ouvrir un compte Google ou Gmail dans les deux dernières années, et j’ai montré aux gens comment les utiliser et leur ai expliqué les bénéfices de Chrome sur les autres navigateurs. J’ai même des actions Google.

J’aimerais attirer votre attention sur d’autres éléments encore : je ne suis pas fâché que Google ait suspendu mon compte s’ils pensent qu’il a été corrompu, mais je suis absolument furieux qu’ils aient suspendu mon compte sans me prévenir, sans même me donner une raison, et sans me donner quelque moyen que ce soit pour le réactiver, et ensuite ignorer toutes mes tentatives de trouver un interlocuteur. Aucun autre prestataire de service Internet ne se comporte ainsi. Je comprends que Google ne puisse pas offrir de l’aide personnalisée pour chaque demande de ses utilisateurs, mais quand une société comme Google a pris une position de monopole sur des pans entiers de l’Internet, elle a le devoir de se montrer responsable envers leurs clients quand des évènements comme ceux-ci arrivent. J’ai utilisé tous les forums d’aide : en vain. Et cela n’a fait que me mettre davantage en colère. Je ne vais pas prendre la peine de citer toutes les conversations absurdes que j’ai eues, elles sont trop nombreuses et elles vont seulement me rendre de plus mauvaise humeur.

La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est quand un « top contributeur » a déplacé le fil de la discussion du forum d’aide initial sur lequel je postais vers un autre forum sans ma permission. Puis, quelques jours plus tard, un autre « top contributeur » a laissé un message indiquant que le fil se trouvait dans le mauvais forum et a fermé la conversation, m’empêchant dorénavant au même titre que n’importe quelle autre personne d’y participer ou de faire des progrès. Les forums d’utilisateurs ne sont pas des sources d’information contrairement à ce que pense Google. Et la seule fois qu’un employé de Google a contribué dans mon fil, cela a été pour dire que ma question n’était pas posée dans le bon forum, et pour me dire que j’aurais dû poster dans le forum où je l’avais initialement placé. Cela s’est produit quand j’ai reposé sans arrêt les mêmes questions. En voici un exemple :

Moi : S’il vous plait, aidez-moi, mon compte a été désactivé et je ne sais pas pourquoi !

Utilisateur 1 : Connectez-vous simplement au tableau de bord et faites quelque chose.

Moi : Je ne peux pas, mon compte a été désactivé.

Utilisateur 2 : Salut, je viens juste de voir votre post. Pouvez-vous vous connecter à votre compte et me dire ce que quelque chose dit ?

Moi : Mais puisque JE VOUS DIS que JE NE PEUX PAS me connecter à mon compte !

Utilisateur 1 : Ok, ne vous énervez pas, pouvez-vous faire quelque chose qui implique que je sois connecté ?

Moi : Mais NON ! Je ne peux pas DU TOUT me connecter à mon compte !!!

Puis la conversation a été fermée par quelqu’un et j’ai abandonné, après 5 jours. Je comprends la philosophie qui est derrière les forums modérés par les utilisateurs eux-mêmes. Mais dans de nombreux cas, les problèmes sont hors de portée des autres utilisateurs. Je ne demande pas comment activer les émoticônes dans une signature Gmail ou comment modifier ma photo de profil. Mon problème est un problème grave pour lequel une voie de secours sérieuse devrait être disponible. Je pense mettre le doigt sur une critique valide des insuffisances de l’aide géré par les communautés d’utilisateurs en ligne. Google a mis en place une gestion type Ferme des Animaux sur son site avec des utilisateurs qui pour la plupart sont bien intentionnés mais complètement incapables de prendre des décisions à un niveau administrateur ou d’offrir de l’aide à un tel niveau.

Et cela peut fonctionner en douceur aussi bien pour l’utilisateur que pour l’entreprise, du moment que l’entreprise reste impliquée et prend ses responsabilités quand la résolution d’un problème est entièrement hors de portée d’un autre utilisateur. Google ne fait pas cela.

Je me fiche qu’un service Google soit gratuit. C’est Google qui adopte l’approche : « Vous n’aimez pas ? Tant pis, de toutes façons c’est gratuit ». Gratuit ou non, tous les utilisateurs sont dans l’orbite de Google et c’est en nous montrant des publicités que Google a gagné ses milliards de dollars. Il n’y a pas d’autre société côtée en bourse du niveau de Google qui ne propose pas un support simple et complet à ses utilisateurs.

En plus des forums, j’ai également rempli tous les formulaires et demandes que j’ai pu trouver, et tenté de contacter chaque bureau et même chaque personne dans les deux bureaux de Manhattan. Mais pas une seule personne n’a été capable de m’aider, ce que je trouve choquant et exaspérant comme dans un cauchemar kafkaïen. Un employé m’a même répondu qu’il ne savait pas ce que je devais faire, ajoutant : « honnêtement, je n’utilise même pas Google » !

Après avoir exploré tous les canaux possibles pour obtenir de l’aide, j’ai finalement été contacté tout à coup par un employé de Google qui a vu par hasard mes protestations sur Twitter, un service que j’ai utilisé suite à l’absence complète de support à la clientèle de Google. Il a dit qu’il allait essayer de contacter des personnes chez Google pour m’aider à restaurer mon compte. Après plusieurs échanges d’emails avec lui, il m’a rapporté qu’il avait parlé à quelqu’un de chez Google qui lui a dit que mon compte avait été désactivé, sans lui dire pourquoi. Il a essayé d’expliquer que ça devait être une erreur, mais ils ne pouvaient pas se l’expliquer eux-mêmes.

Alors Google, voici autre chose à laquelle je voudrais que vous réfléchissiez. L’un de vos propres employés est allé vers vous pour moi et vous a indiqué que vous aviez désactivé mon compte par erreur, et votre réponse a été : « Non, on est presque sûr que non ». Votre propre employé a dit : « Écoutez, j’ai parlé à cette personne et je pense qu’une erreur a été faite, vous devriez revérifier ou lui parler ». Et à nouveau, votre réponse a été « Non, on est presque sûr ». Alors, posez-vous la question, quelqu’un comme moi qui a vu son compte être désactivé se lancerait-il dans une telle campagne vociférante et bruyante pour parler à quelqu’un de chez Google afin de leur expliquer qu’une erreur a été commise et que des années de données importantes ont été détruites, quelqu’un comme moi qui aurait volontairement mené des activités illégales sur son compte ferait-il cela ? Vous avez seulement besoin de bon sens pour répondre.

D’autres éléments : J’ai eu des comptes Hotmail, Yahoo, AOL et Compuserve et jamais l’un de ces comptes n’a été désactivé. Lorsque l’une de ces entreprises pensait que mon compte était compromis, il m’en ont averti et j’ai changé mon mot de passe. Pourquoi Google ne m’a-t-il pas notifié, à l’adresse email alternative que j’ai fournie à l’inscription, avant de prendre la décision de désactiver mon compte ? Cela me laisse perplexe. Si vous dites que j’ai violé certaines Conditions Génerales d’Utilisation c’est votre droit, et dans ce cas il est justifié de résilier mon compte. Mais je vous demande maintenant un minimum de preuves de cette violation.

Concernant toute violation, je veux être tout à fait clair : je n’ai causé aucune infraction aux Conditions Génerales d’Utilisation. Si Google pense que quelque chose a été fait de mon côté, je les défie de me dire ce que c’est. Je n’ai d’aucune façon violé de Conditions d’Utilisation, c’est un fait. Je voudrais signaler que quelques jours avant que mon compte ne soit désactivé j’obtenais des messages d’erreur quand j’essayais d’accéder à Google.com via Chrome. Je sais que je ne suis pas la seule personne que je connais à qui cela est arrivé. Mes amis et membres de ma famille utilisant Chrome obtenaient des messages d’erreur en essayant d’accéder à Google.com. Je pense que c’était des avertissements de redirections ou de certificat du site. J’ajoute que mon compte Google Plus se comportait de façon étrange lui aussi avant la désactivation de mon compte. Mais je lance des vérifications antivirus régulièrement et je n’ai jamais eu de virus. Une quelconque « violation perçue » est une méprise de la part de Google, ceci aussi est un fait.

Vous avez coupé mes moyens de communication, perturbé ma vie personnelle et professionnelle, détruit de larges parties des mes données personnelles et professionnelles, m’avez accusé de quelque chose sans me dire de quoi, avez bloqué toute communication directe avec mon accusateur, et ne m’avez donné aucune possibilité de faire appel de cette décision ou de parler à quelqu’un des faits connus dans cette affaire. Cette entreprise se dirige vers une voie très, très menaçante, si elle continue ainsi.

Plusieurs appels ont été faits à l’ONU pour que l’accès à Internet, aux communications essentielles et aux services d’information deviennent des Droits de l’Homme. En Grèce, en Espagne, en France et en Scandinavie, cela a déjà été accordé. Ce ne sera pas long avant que des lois ne soient mises en place concernant les comptes personnels utilisés pour accéder à ces services de communication et d’information, et des lois régulant la sauvegarde des informations personnelles contenues dans ces comptes, comme les correspondances. Il est impardonnable qu’une entreprise telle que Google, qui fait tant de déclarations sur les bonnes pratiques dans les domaines de la communication et de l’information, n’ait pas pris d’elle-même l’initiative et ait à la place choisi de traîner les pieds tant qu’ils n’y sont pas contraints par les gouvernements.

Les entreprises comme Google profitent des lois actuelles et écrivent dans leurs Conditions Générales d’Utilisation des choses telles que :

« …vous accordez à Google le droit permanent, irrévocable, mondial, gratuit et non exclusif de reproduire, adapter, modifier, traduire, publier, présenter en public et distribuer tout Contenu que vous avez fourni, publié ou affiché sur les Services ou par le biais de ces derniers. »
(NdT : Tiré directement de la version française)

Ces conditions ne sont pas viables et je ne doute pas qu’elles seront modifiées à un moment ou à un autre à l’avenir. De nombreux grands médias, tel que le Washington Post, ont déjà commencé à scruter Google et d’autres entreprises qui ont choisi d’imposer de telles drastiques conditions à leurs clients. Voir Google agir de la sorte est infect et inexcusable.

Et je m’inquiète réellement de l’avenir de la dissidence sociale et politique qui devra se battre pour exister dans l’œil du cyclone formé par les réseaux sociaux et l’actuelle politique de Google. Un climat dans lequel la Responsable de la Vie Privée chez Google, Alma Whitten, a encensé YouTube comme un moyen pour les activistes politiques de poster du contenu de manière anonyme. Quelques mois plus tard, une nouvelle décision interne éliminait tranquillement toute possibilité de publier anonymement.

Je tiens aussi à mentionner qu’en aucun cas je n’ouvrirai un autre compte Google.

Comme je l’ai déjà dit, j’ai toujours été un apôtre et un fidèle de Google. Aujourd’hui c’est terminé. Je vais en finir avec les Google Apps qu’utilise mon entreprise et laisser tomber tous les autres produits Google que j’utilise, même les services comme Google News que je consultais auparavant plusieurs fois par jour. J’étais même sur le point de remplacer mon iPhone par un téléphone tournant sous Android. Au lieu de cela, je vais dépenser la même énergie que je consacrais à encenser Google à dénoncer cette entreprise que je considère désormais comme extrêmement nuisible et aux pratiques honteuses. Je vais écrire à mon sénateur, vendre mes actions et contacter ma banque à propos de l’argent que j’ai versé pour le domaine et l’espace de stockage qui sont à présent inaccessibles. Je vais faire pression sur Google par tous les biais possibles pour qu’ils m’expliquent ce qu’ils ont perçu comme une violation de leurs Conditions d’Utilisation. Ces conditions que Google nous présente lors de l’ouverture d’un compte : « Google se réserve le droit de clore votre compte à n’importe quel moment, pour n’importe quelle raison, avec ou sans préavis » ne sont pas des termes défendables (pour certains points, je pense qu’un tribunal pourrait conclure que ces termes sont inacceptables).

Google est une entreprise à qui les gens confient de nombreuses données personnelles dont ils dépendent fortement. C’est pourquoi Google doit fournir la preuve de ce qui cause la désactivation d’un compte. Une fois de plus, on ne peut pas prendre l’argent des gens et avoir un monopole sur des pans entiers de l’Internet sans montrer un minimum de responsabilité vis-à-vis de ses clients. J’ose espérer que Google sera forcé de fournir un moyen de récupérer ses données personnelles telles que sa correspondance ou ses contacts lors de la fermeture d’un compte.

Le fait que pour le moment Google n’offre pas cette option lorsqu’il désactive arbitrairement le compte d’un utilisateur ne fait qu’ajouter l’insulte aux dommages causés.

Quand je pense à tout le business que j’ai fait faire à Google, à tout l’argent que j’ai apporté à cette entreprise, à tous les gens que j’ai convertis de Yahoo ou d’Hotmail, à tous les prêches que j’ai faits envers Android, à tout le travail que j’ai consacré à la souscription de mon entreprise à Google Apps, ça me met en rage et je regrette tout ce que j’ai fait. Et je vais faire tout ce qui est humainement possible pour défaire toutes ces actions, ainsi que pour mettre Google sous pression pour qu’elle devienne une entreprise plus responsable.

Honte à vous et à vos associés ainsi qu’à vos employés qui tolèrent de telles pratiques d’entreprise déplorables, déshonorantes et répréhensibles !

Notes

[1] Crédit photo : Stephen Brace (Creative Commons By)




Google Chromebook ou le choix volontaire du confortable totalitarisme numérique

Jule Berlin - CC byÇa y est, les premiers « ordinateurs Google », les Chromebooks – un Acer et un Samsung pour commencer – vont bientôt arriver sur le marché. Ils seront tous les deux munis du système d’exploitation maison Google Chrome OS (qui, rappelons-le, repose sur une couche open source Chromium OS).

Potentiellement il s’agit bien moins d’une évolution que d’une véritable révolution.

Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans… mais souvenons-nous de nos premiers PC. On avait nos applications (téléchargées en ligne ou installées depuis un cédérom) que l’on mettait à jour volontairement et manuellement. Parmi ces applications, il y a une qui a pris de plus en plus d’importance au fil des ans, c’est notre navigateur Web. Mais on conservait encore du temps pour notre suite bureautique ou notre traitement d’images. Si on n’avait pas la chance d’être sur un OS libre alors il fallait aussi un antivirus. Et puis on avait nos fichiers, dans notre disque dur ou nos périphériques.

Avec un Chromebook, tout ceci disparaît d’un coup de baguette magique ! Direction : « le nuage » !

Ici notre ordinateur se confond avec notre navigateur et se transforme en un terminal de connexion à Internet (vous avez dit Minitel 2.0 ?). Nous n’avons plus à nous soucier des applications, de leurs mises à jour, des fichiers et de leur stockage. Ce sont les serveurs de Google qui s’en chargent pour nous. Quel confort, quelle praticité, quelle simplicité !

C’est bien l’image que souhaite nous en donner Google en tout cas dans cette signifiante publicité vidéo : le Chromebook ce n’est pas un ordinateur portable, ce n’est pas un portable qui a accès au Web, c’est le Web matérialisé dans le Chromebook, on peut tout faire désormais sur le Web, y accéder de n’importe où, etc. et la dernière phrase, emblématique : le Chromebook sera prêt quand vous le serez.

Bon, imaginons que ces ordinateurs soient massivement adoptés et qu’au fur à mesure que le temps passe et que la connexion en tout lieu s’améliore, ils soient de plus en plus plébiscités… en grignotant chaque jour davantage de part de marché. Alors, soyons un peu provocateur, il ne servira plus à rien de se rendre, comme nous la semaine prochaine[1], à l’Ubuntu Party de Paris. Car l’adoption ou la migration de Windows vers GNU/Linux sera alors complètement court-circuitée. Idem pour d’autres célèbres migrations, d’Internet Explorer à Firefox (bonjour Google Chrome), de MIcrosoft Office à LibreOffice (bonjour Google Documents). Framasoft aussi du reste ne servira plus à rien (ou presque) puisque son annuaire, ses clés ou ses dvd seront définitivement à ranger dans les archives du Web.

Le danger est réel pour « la communauté du libre ». D’autant qu’en son sein Google jouit d’une bien meilleure image qu’un Microsoft, Apple ou Facebook et que nous sommes nombreux à posséder un compte Gmail.

Mais le danger est encore plus réel pour le futur acheteur d’un Chromebook. Car la condition sine qua non pour l’utiliser c’est de posséder un compte Google et de souscrire de facto à ses conditions d’utilisation. Conditions pas toujours très claires quant à l’usage de vos données personnelles et qui peuvent changer à tout moment selon le bon vouloir de Google (et de ses actionnaires). Vous ne vendrez pas spécialement votre âme au diable, mais dites-vous bien que vous confiez tout, absolument tout, à la société commerciale américaine Google[2].

C’est, entre autres critiques, ce que souligne Ryan Cartwright dans la traduction ci-dessous.

Si le Chromebook devient un succès, peut-être allons-nous devenir de « vieux réacs du Web » (des « Zemmour du Web » !) avec notre souhait et notre souci de conserver le contrôle et donc la liberté sur nos serveurs, nos machines, nos applications, nos fichiers et nos données.

Mais au moins aura-t-on tenté de résister et de vous prévenir…

Chromebooks – Le futur commence aujourd’hui ?

Chromebooks – has the future arrived?

Ryan Cartwright – 18 mai 2011 – Free Software Magazine
(Traduction Framalang : Goofy et Lolo le 13)

On a l’impression que ça fait une éternité que Google a annoncé ChromeOS, ce qui bien sûr a fait couler beaucoup d’encre, y compris dans ce magazine. Maintenant que deux fabricants s’apprêtent à lancer deux modèles de Chromebooks, il pourrait être utile de se souvenir des problèmes liés au « système d’exploitation basé sur le nuage », en général et dans ce cas précis.

C’est quoi le « nuage » ?

Il n’y a pas de réelle définition de ce qu’est le « nuage ». C’est comme la « Propriété Intellectuelle » : c’est surtout un terme de marketing qu’on peut recycler à son gré pour lui faire dire ce qu’on veut. Quand j’utiliserai l’expression ici, « un système d’exploitation dans les nuages » est quelque chose où toutes les données et les applications utilisateurs sont sur le World Wide Web. La seule chose qui reste au plan du matériel lui-même, c’est un système d’exploitation basique sur un disque et un navigateur Web. Je suis certain qu’on peut trouver des définitions plus complexes et plus détaillées de système d’exploitation dans les nuages et/ou de ChromeOS, mais ma définition ira bien pour cet article.

Vie privée et confidentialité des données

Ce sera toujours le plus gros problème en ce qui concerne le système d’exploitation basé sur le nuage. Si vous-même en tant qu’utilisateur vous espérez stocker vos données en ligne, alors vous les mettez (avec beaucoup d’autres choses) en danger. Il y a assez d’exemples de données en lignes qui ont été lues par des personnes non autorisées pour rendre inquiétant un système d’exploitation entier basé sur ce concept. Alors qu’il est vrai que beaucoup de gens ne font pas l’effort de sécuriser leurs données sur un support externe, certains pensent que ces données seront protégées derrière une porte fermée. Oui, donner à ces soi-disant ordinateurs un accès au Web en fait des ressources ouvertes, même si la plupart des données personnelles de l’utilisateur lambda manquent d’intérêt pour les malfaisants. Cependant, réunissez toutes les données sur un simple serveur (ou un groupe de serveurs) et soudain les données deviennent bien plus attractives. Et plus elles sont attirantes plus le risque est élevé. Pour faire une analogie, c’est comme la différence entre ceux qui stockent leur économies dans un coffre-fort à la maison et ceux qui les confient à la banque. Le fait de passer de maison en maison pour faire une série de casses n’était pas très attirant pour les voleurs. Par contre, mettez tout cet argent dans un seul coffre-fort d’une banque et soudain le facteur de retour sur l’effort fait que la chose est bien plus séduisante.

Donc si ChromeOS m’autorisait à stocker mes données dans un serveur de mon choix et me laissait la possibilité d’avoir un autre apps store dans un autre endroit, alors au moins les données pourraient être davantage sous mon contrôle. C’est vrai, plein d’utilisateurs de ces Chromebooks n’y feront probablement pas attention mais sans même cette éventualité, il est inutile de chercher à leur faire comprendre l’idiotie de leur renoncement.

Accès

ChromeOS est conçu et vendu comme « basé sur le nuage », avec la Wi-Fi et la 3G (il existe des versions avec la wifi seule). Ce qui présente aussitôt à mes yeux un problème particulier. Que se passe-t-il quand vous n’avez pas de connexion ? Existe-t-il une option hors-connexion ? Mes recherches suggèrent que non mais pour être honnête toute la documentation sur ce point est soit du marketing de Google ou des fabricants soit rédigée au doigt mouillé sur des sites de technos qui veulent se positionner au plus haut dans les résultats des moteurs de recherche.

J’imagine que la cible marketing des Chromebooks sera le marché des netbooks et tablettes. J’ai noté qu’on utilisait la plupart du temps ce genre d’appareils dans des conférences ou des cafés. Il existe une bonne raison à ça — on trouve généralement dans ces endroits une connexion wifi à peu près correcte. Dans ce genre d’environnement le Chromebook conviendra parfaitement, mais si la connexion Internet devient un peu chancelante, que se passera-t-il ? Que va devenir un document que vous avez à moitié entamé au moment où la connexion s’interrompt ? Je suis certain que Google s’est penché sur le problème mais jusqu’à maintenant je n’ai pas vu grand-chose qui aille dans le sens d’une solution.

Pendant que j’y suis, parlons un peu de l’impression. Comme Chromebooks fait tout « dans le nuage », imprimer localement devient un problème. Il semble que la solution soit de connecter votre imprimante locale à l’Internet et d’imprimer via les serveurs de Google. Oui, vous avez bien lu, et je le répète : pour imprimer avec un Chromebook, vous aurez besoin d’utiliser une imprimante qui sera connectée au réseau. Donc, vous devez partager non seulement vos données avec Google, mais aussi votre imprimante. Bon d’accord en réalité la plupart des utilisateurs enregistreront leurs documents avec Google docs et les imprimeront depuis un ordinateur qui ne sera pas dans le nuage, à l’aide d’une imprimante locale. Mais même ainsi c’est à mes yeux un nouvel inconvénient.

Applis

Aucun appareil digne de ce nom ne peut être lancé sans une myriade d’applis. Dans le cas de Chromebook il existe des applis web pour le navigateur Chrome. Certaines sont gratuites, d’autres sont gratuites dans la période d’essai, d’autres enfin sont carrément commerciales. Aucune de celles que j’ai vues n’est libre au sens où nous en parlons ici. je ne suis pas toujours d’accord à 100% avec Richard Stallman (gare au troll) mais il a raison de déclarer :

« C’est aussi nul que d’utiliser un programme propriétaire. Faites vos opérations informatiques sur votre propre ordinateur avec votre programme respectueux de vos libertés. Si vous utilisez un programme propriétaire ou le serveur web de quelqu’un d’autre, vous êtes sans défenses. Vous êtes à la merci de celui qui a conçu le logiciel ». Richard Stallman, cité par le Guardian, 29 septembre 2008.

Il existe aussi un autre problème qui nous concerne en tant qu’utilisateurs de logiciels libres. La licence de ces applis web n’est pas mentionnée dans la boutique d’applis de Chrome. Google a probablement raison de prétendre que la plupart des utilisateurs de ChromeOS seront plus préoccupés par le prix que par la liberté, mais malgré tout l’absence d’information sur la licence soustrait un point important de l’esprit du public. Quand vous pensez à tout le temps qu’il a fallu pour avoir les libertés en informatique que nous avons aujourd’hui, omettre délibérément ces informations revient simplement à encourager les gens à ignorer les problèmes de liberté et de confidentialité. Les cyniques répondront que c’est le problème de Google (et autres géants du secteur informatique) et que c’est certainement payé par Android. Ce qui a été lancé comme un système d’exploitation pour mobile « basé sur Linux » est maintenant connu comme « Android de Google ». Tout comme si des questions importantes — mais finalement un peu barbantes — comme la sécurité, la confidentialité et la liberté devaient être sacrifiées sur l’autel non du prix cassé mais de l’accès facile. Tant qu’on peut le faire facilement, le sacrifice que vous devez faire passe inaperçu.

Pas ma tasse de thé

Vous aurez probablement deviné que le Chromebook ne figure pas en tête de la liste de cadeaux à me faire sur mon compte Amazon. Mais ce n’est pas un problème car je n’ai pas pour habitude de partager ma liste de vœux avec tout le monde. Il existe simplement beaucoup trop de problèmes importants à mes yeux qui restent sans solution et qui ne pourront être résolus compte-tenu du modèle économique de ChromeOS. Toutefois à la différence des iTrucs (que je déteste pour des raisons évidentes) et les tablettes, qui ne me donnent pas la moindre raison de les acheter (l’indice certain que je vieillis), j’ai comme l’intuition que les Chromebooks ne se vendront pas si bien que ça. La raison majeure c’est que beaucoup ne supporteront pas l’idée de devoir être toujours en ligne. Avoir une connexion un peu faiblarde pour un usage basique du Web c’est une chose, mais quand vous en avez besoin pour votre travail vous êtes vraiment très vite furieux. Mais je pense que les problèmes que je viens de soulever ne vont pas se dissiper. Nous autres dans la communauté du logiciel libre (encore une expression dont les contours sont flous), nous avons pris conscience depuis un certain temps des problèmes de libertés posés par « l’informatique dans le nuage », mais nous avons flirté avec ça sur le marché des appareils mobiles. Je crains que des entreprises propriétaires rapaces ne se mettent à vouloir prendre le contrôle de portions toujours plus vastes de nos vies grâce à des choses comme Chromebook. En quelque sorte ils auront plus vite résolu les problèmes de bande passante que ceux posés par le respect de la vie privée.

Retour vers le passé

La dernière fois que j’ai publié un billet sur ChromeOs j’ai fait quelques prédictions. Comme toujours dans ces cas-là, certaines étaient évidentes (le magasin ChromeOs, les netbooks plus petits et moins voraces en énergie), et d’autres restent encore à accomplir (le développement des logiciels qu’on paiera suivant la consommation). Mais l’une d’entre elles a malheureusement bien des chances de s’accomplir. Si les problèmes que j’ai soulignés dans ce billet comme la confidentialité et les libertés prennent de l’ampleur, alors les logiciels libres, sans forcément disparaître, vont sortir de la sphère d’influence publique et c’est une bien mauvaise chose.

Notes

[1] Voici le programme de l’UP de Paris qui aura lieu du 27 au 29 mai prochain. On notera pour ce qui concerne Framasoft : Le vendredi 27 mai à 13h Utiliser les licences libres par Benjamin Jean, à 14h30 Les logiciels libres c’est quoi par Simon Descarpentries – Le samedi 28 à 14h30 La route est longue mais la voie est libre par Alexis Kauffmann, à 16h Le libre au delà du logiciel par Pierre-Yves Gosset – Le dimanche 29 à 13h Utiliser les licences libres par Benjamin Jean, à 16h l’atelier Framapad, contribuer en ligne par Pierre-Yves Gosset.

[2] Crédit photo : Jule Berlin (Creative Commons By-Sa)




Le temps de cerveau disponible des utilisateurs de Google Chrome

Elliott Brown - CC byNous nous faisons régulièrement l’écho de la concurrence entre les navigateurs Mozilla Firefox et Google Chrome, et ce au sein même de la communauté du Libre.

Faites comme vous voulez mais ce petit rappel sur les réelles motivations de Google n’est pas inutile, car on comprend alors mieux pourquoi Google fournit tant d’efforts pour développer et faire connaître son navigateur[1].

Et nous sommes tout d’un coup bien loin du Mozilla Manifesto

Le véritable intérêt de Chrome pour Google : l’utilisateur captif

Why is Chrome so important to Google? It’s a ‘locked-in user’

Larry Dignan – 14 avril 2011 – ZDNet
(Traduction Framalang : Vincent, Don Rico et Goofy)

Au départ, le navigateur Chrome n’est apparu que comme un projet secondaire de plus pour l’entreprise Google. Bien sûr, c’est un navigateur rapide. Bien sûr, Google a engrangé d’impressionnantes parts de marché en un temps record. Et bien sûr Google a donné un coup de fouet au développement des navigateurs.

Mais l’importance véritable de Chrome – qui explique pourquoi Google fait un tel battage publicitaire pour son navigateur dans le monde entier –, se résume à la valeur du capital client (NdT : customer lifetime value) de l’utilisateur de Chrome.

Au cours d’une conférence de presse sur les revenus de l’entreprise, on a demandé au directeur financier Patrick Pichette quelle était l’importance de Chrome, et sa réponse est édifiante.

En fait, Chrome a deux aspects distincts. Côté pile c’est une arme tactique, côté face c’est une arme stratégique. Chrome bouscule vraiment le Web et il offre un avantage extraordinaire : dès qu’un internaute l’adopte, il accède directement à ses requêtes Google via la barre d’adresses au lieu d’avoir à trouver la barre de recherche. D’un point de vue stratégique, il est intégré dans le système d’exploitation Chrome OS. D’un point de vue tactique, nous avons la garantie que tous les utilisateurs de Chrome restent captifs du moteur de recherche Google.

Nikesh Arora, directeur commercial chez Google, a lui aussi donné son analyse du retour sur investissement du marketing de Chrome.

Nous avons plus de 120 millions d’utilisateurs quotidiens et 40% d’entre eux sont arrivés récemment après notre campagne de publicité. L’usage de Chrome a progressé de 30% d’un trimestre à l’autre. Je pense donc que la stratégie de Chrome est la bonne. Voilà comment nous diffusons Chrome : soit les gens l’adoptent d’eux-mêmes, soit ils le font suite à nos efforts de marketing, ou bien encore nous travaillons avec des partenaires qui nous aident à le promouvoir.

Dans ce contexte, nous avons donc estimé que la campagne marketing produit finalement un retour sur investissement bien meilleur que lorsque nous devons passer des accords de partenariat. Vous verrez un jour ou l’autre que les coûts d’acquisition du trafic et celui du marketing de Chrome sont interchangeables. Quand nous investissons dans le marketing de Chrome, c’est autant que nous n’avons pas à sortir pour le coût d’acquisition du trafic. Vous pouvez donc vous attendre à ce que nous continuions à mener cette stratégie pour Chrome parce qu’il ne s’agit pas seulement pour nous d’un avantage spécifique de Chrome, mais parce que nos autres produits liés à Chrome en bénéficient. Le temps consacré à Chrome par chaque utilisateur a donc pour nous une valeur phénoménale.

Si l’on extrait l’essentiel de ces commentaires, voici ce qu’on peut retenir de Chrome :

  • Chaque utilisateur de Chrome contribue par son usage à l’amélioration de la qualité de la recherche.
  • Chaque utilisateur de Chrome utilisera Google de façon massive et presque exclusive.
  • Google peut dépenser moins en coût d’acquisition du trafic.
  • L’entreprise n’a pas besoin de dépenser autant pour la diffusion de son produit – pensez par exemple au budget consacré à la boîte de recherche dans Firefox (NdT : et qui fait vivre en grande partie Mozilla).
  • Enfin, il y a de grandes chances que l’utilisateur captif augmente encore sa consommation de produits Google à mesure que l’entreprise développe ses applications pour Chrome et les fonctionnalités sociales qui gravitent autour.

Au passage, Chrome permet aussi à Google de mieux faire respecter les standards des navigateurs, mais ce retour sur investissement semble décidément bien naïf comparé au profit que représente le temps de cerveau disponible de l’utilisateur de Chrome.

Notes

[1] Crédit photo : Elliott Brown (Creative Commons By-Sa)