Le matériel libre à l’aube d’une nouvelle ère de l’innovation

Le logiciel libre a été un moteur de l’innovation de ces dix dernières années, permettant à de petites structures, telle que Google à ses débuts, d’émerger en investissant à moindre coût. Suivant son sillage, il en ira de même avec la matériel libre pour la prochaine décennie[1].

Telle est l’hypothèse de Joi Ito, actuel directeur du MIT Media Lab et qui possède l’un des plus beaux CV d’Internet.

Windell Oskay - CC by

Joi Ito : le matériel open source est une évidence

Joi Ito: Open-source hardware is a no brainer

Barb Darrow – 11 janvier 2012 – GigaOM
(Traduction Framalang/Twitter : Goofy, FredB, Albahtaar, Luc, Ipos, Antistress)

Le matériel libre est sur les rails, et il va nourrir une nouvelle ère d’innovation, si on en croit Joichi « Joi » Ito, directeur du MIT Media Lab.

Selon Ito, l’émergence de plans de matériels disponibles librement et de composants quasi-libres va propulser l’innovation technologique, comme a pu le faire le logiciel libre il y a une dizaine d’années.

« Si vous voulez fabriquer une caméra, un jour vous pourrez vous procurer toutes les pièces standard, les plans seront accessibles gratuitement en ligne et vous n’aurez qu’à concevoir les seules parties du produit qui vous intéressent » a déclaré Ito au cours de discussions dans le cadre de MITX à Cambridge (Massachussets).

Les développeurs pourront concentrer leur attention sur la partie la plus importante du matériel qu’ils construiront à partir de cette base standard, tout comme les développeurs de logiciels écrivent des logiciels spécialisés qui tournent sur Linux et le middleware open source plutôt que sur des systèmes d’exploitation propriétaires Unix ou Windows ou que sur les plateformes applicatives Weblogic d’Oracle ou Websphere d’IBM.

L’industrie a débuté les discussions autour du matériel libre grâce à la fondation Open Compute qui se concentre sur les serveurs des centres de traitement des données. Ito évoque des applications bien plus larges.

Ito a cité la naissance de Google comme exemple de créativité rendue possible par le logiciel libre. Si les cofondateurs de Google, Sergey Brin et Larry Page, avaient débuté sans l’open source, ils auraient dû dépenser des sommes considérables en systèmes d’exploitation et autres logiciels commerciaux pour pouvoir faire ce qu’ils ont fait, explique-t-il. Mais grâce à l’open source, « tout ce qu’ils ont eu à faire c’est d’écrire un petit programme et le connecter au réseau universitaire, tout ça pour quelques milliers de dollars ».

L’avènement du logiciel libre a divisé par dix les coûts d’entrée des sociétés éditrices de logiciels, provoquant « l’explosion de l’innovation dans la vallée parce que vous pouviez tout essayer » précise-t-il.

De la même manière, l’adoption du modèle open source réduira les coûts de conception du matériel car les entreprises n’auront pas à consacrer autant d’argent à l’équipement. Elles pourront télécharger les plans des matériels pour les construire elles-mêmes ou pour en sous-traiter la fabrication.

Les économies vont pousser les innovations matérielles « dans les petites et moyennes entreprises, dans les laboratoires académiques et dans les garages, » déclare Ito.

Les avancées de l’impression 3D vont également faciliter et faire baisser pour les entreprises les plus petites le coût de création de prototypes à partir de leurs plans , supprimant ainsi un autre obstacle.

Ito indique que « l’idée d’imprimer des gadgets n’est pas si loin… pas autant que vous le pensez, ».

Tout cela signifie que des sociétés plus petites qui innovent peuvent subvenir à leurs besoins tout en restant petites. « Les investisseurs en capital risque pouvaient sournoisement faire remarquer au sujet d’un produit que ça ne suffisait pas à faire une entreprise. Les produits et les entreprises devaient habituellement être imposants, comme AOL. Mais vous pouvez aujourd’hui avoir de très petites sociétés spécialisées. »

Et c’est dans les petites entreprises, a-t-il dit, que l’innovation se développe.

Notes

[1] Crédit photo : Windell Oskay (Creative Commons By)




Pas de musique classique libre ? Louons les services d’un orchestre symphonique !

Alors même que la plupart des compositeurs sont depuis longtemps dans le domaine public, il est extrêmement rare, voire impossible, de pouvoir écouter et partager librement de la musique classique de qualité, à fortiori lorsque le répertoire exige plus de quatre-vingts musiciens. Parce que l’interprétation elle est soumise au classique et restrictif droit d’auteur. Idem pour l’enregistrement qui entre dans le cadre des droits voisins.

Qu’à cela ne tienne, se dit le site Musopen. Ouvrons un projet Kickstarter et invitons le internautes à financer collectivement la location d’un orchestre symphonique jouant pour nous des morceaux qui iront eux directement dans le domaine public !

Ils souhaitaient atteindre la somme de dix mille dollars et ils en ont eu six fois plus, révélant ainsi une forte demande. Il y eut alors un compréhensible temps de latence nécessaire à trouver un orchestre symphonique[1] disponible et adhérant à cette idée saugrenue. Mais nous y sommes.

À l’ère d’Internet et de la bonne volonté, c’est aussi simple que ça 🙂

Nous attendons avec impatience le résultat sans craindre le moins du monde la foudre Hadopi.

MITO Settembre Musica - CC by

MusOpen.org va diriger l’orchestre symphonique de Prague en janvier

MusOpen.org is Commissioning the Prague Symphony Orchestra this January

Terry Hancock – 4 janvier 2012 – FreeSoftwareMagazine
(Traduction Framalang : Clochix, Goofy et Don Rico)

2012 sera semble-t-il une grande année pour la culture libre. Et la nouvelle qui m’enthousiasme le plus, c’est que les enregistrements de symphonies prévus par MusOpen vont avoir lieu au mois de janvier. En septembre 2010, cette organisation pour la culture libre a réuni plus de 68 000$ (plusieurs fois leur objectif de 11 000$) via une campagne sur le site Kickstarter, avec l’intention de diriger un « orchestre de renommée internationale » pour interpréter les symphonies de Beethoven, Brahms, Sibelius et Tchaïkovsky.

Rien de surprenant à ce que la mise en place d’un tel projet ait pris beaucoup de temps – ses initateurs ont battu la campagne pour trouver un orchestre disponible et désireux de se charger de ce contrat, recherche effectuée avec l’aide soutenue des utilisateurs du site MusOpen, et au bout du compte, ils ont obtenu la collaboration de l’orchestre symphonique de Prague pour une session de plusieurs jours en janvier 2012.

Je trouve que c’est un excellent début d’année, de très bon augure pour les projets de culture libre !

Le site MusOpen constitue une ressource fantastique pour la culture musicale libre, et c’est une source de référence pour les projets de logiciels libres qui ont besoin d’intégrer des airs de musique classique. Non seulement les enregistrements sont stockés et indexés, mais on trouve également sur le site toute une bibliothèque de partitions libres en PDF que l’on peut utiliser pour divers projets, par exemple pour créer des fichiers MIDI qui illustreront des jeux. Ce site fait partie de ceux que je fréquente le plus lorsque je recherche de la musique sous licence libre destinée à mes projets.

Notes

[1] Crédit photo : MITO Settembre Musica (Creative Commons By)




Don’t panic, un indie capitalisme à visage humain est en train de voir le jour !

Paul Stein - CC by-saAttention billet miné et sujet à polémiques !

Il constate, avec optimisme, qu’un nouveau capitalisme se met lentement mais sûrement en place, en prenant appui sur des exemples qui font le lien entre les fab labs et les indignés. Il stipule donc aussi tacitement au passage que ce n’est pas le capitalisme qui est un problème en soi mais ses dérives actuelles[1].

Il l’appelle « indie capitalism », un peu comme la musique indépendante coexiste avec celle des Majors.

Il s’agit d’une traduction d’un article de Bruce Nussbaum et c’est évidemment très américain dans le fond comme dans la forme. D’après lui, « ce nouveau système n’est pas fait que de start-ups et de capital-risqueurs, il est construit sur une communauté de créateurs ».

Désolé mais pour les partisans des lendemains qui chantent mais ce sera une réforme et non une révolution 😉

4 raisons pour lesquelles le futur du capitalisme sera fait maison, à petite échelle et indépendant.

4 Reasons Why The Future Of Capitalism Is Homegrown, Small Scale, And Independent

Bruce Nussbaum – 6 décembre 2011 – FatCoDesign.com
(Traduction Framalang / Twitter : JoKoT3, Kull, Lolo le 13, Ambidoxe et DonRico)

Ce nouveau système, d’après Bruce Nussbaum, n’est pas fait que de start-ups et de capital-risqueurs. Il est construit sur une communauté de créateurs.

On ne vous apprendra rien à ce sujet dans les écoles de commerce, on ne vous en parlera pas à Wall Street, vous ne verrez rien de semblable à Palo Alto (Ndt : Palo Alto est considérée comme le berceau de la Silicon Valley). Mais si vous passez du temps à Bushwick, à Brooklyn, ou dans Rivington Street à Manhattan, il est possible que vous distinguiez les contours d’un indie capitalism (NdT: capitalisme indé) émergeant. Dans cette nouvelle forme de capitalisme, il n’est pas seulement question de start-ups, de technologie et de capital-risqueurs. Si l’on assemble toutes les tendances de fond qui apparaissent en ce moment, je pense que l’on entrevoit le début d’un phénomène original, et potentiellement formidable. Il se pourrait bien que l’on tienne là l’antidote économique et social au capitalisme financier qui a échoué et au capitalisme népotique qui ne dégage désormais plus de valeur économique en terme d’emploi, de salaire et d’impôts pour les Américains.

L‘indie capitalism est local, pas mondial, il se préoccupe de la communauté et des emplois, et annonce la couleur dès le départ. Des personnes visibles, que l’on peut rencontrer, fabriquent localement des produits de qualité. L’accent mis sur le local fait de l‘indie capitalism un mode de production intrinsèquement durable – si l’énergie est économisée, c’est le résultat d’un mode de vie, pas le fruit d’un effort pour atteindre un but précis et difficile.

L‘indie capitalism n’est pas transactionnel, mais social. Social au sens plus personnel que l’internet social et les amis par milliers. Prenons l’exemple de Kickstarter, où les internautes subventionnent de la musique, des livres et des produits dont ils peuvent suivre le développement. Dans ce modèle, consommateur, investisseur, public, fan, contributeur et producteur se confondent. Ils se procurent et préparent leur nourriture de la même manière qu’ils se procurent et préparent leur musique. Ensuite, ils partagent le tout.

Avant de chercher à vendre, les gens créent. L‘indie capitalism est d’abord un système économique de fabricants établi sur la création de valeur, et non sur l’échange d’une valeur existante. Il englobe toutes les composantes de la culture de la fabrication personnelle – nourriture, musique indé, fabrication maison, artisanat, fabrication numérique 3D, bio-hacking, conception d’applications, modélisation assistée par ordinateur, robotique, bricolage. La fabrication personnelle n’est pas une représentation exceptionnelle jouée par quelques-uns, mais un numéro répétitif auquel tout un chacun contribue. La création et l’utilisation d’outils participent d’une existence pleine de sens. Les outils passent alors d’une présence rituelle à une utilité quotidienne. Avoir de bons outils et créer de grandes choses commencent à remplacer la consommation comme une fin en soi. Wieden + Kennedy (NdT : agence de publicité américaine) a compris cela avec sa publicité pour Chrysler. « Imported from Detroit » (NdT : Importé de Detroit) marque un changement de sensibilité vers le « local ». Le slogan « The Things We Make, Make Us » (NdT : Ce que nous créons nous définit) de Jeep s’accorde à la nouvelle culture créative. « Depuis toujours, nous sommes une nation de bâtisseurs. D’artisans, hommes et femmes, pour qui les coutures droites et les soudures propres sont source de fierté personnelle… Ceci, notre dernière progéniture, a été imaginée, dessinée, sculptée, estampée, taillée et forgée ici en Amérique ».

Dan Provost, qui avec Tom Gerhardt a lancé son projet Glif (un pied d’appareil-photo pour iPhone) sur Kickstarter, résume parfaitement cette nouvelle perspective : « Ce qui nous a énormément plus à Tom et moi à propos du succès de ce projet, c’est sa simplicité inhérente : nous sommes juste deux amis qui avons créé un produit que les gens veulent acheter, et nous le leur vendons. Pas d’intermédiaire, pas de grosses sociétés, pas de capital-risque, pas d’investissements. Je pense qu’au dela de Glif, les gens aiment connaître la provenance de ce qu’ils achètent, et l’histoire qui se cache derrière la fabrication. »

Autre caractéristique de l‘indie capitalism : accorder un sens plus important aux matériaux et aux produits. Il est important de fabriquer moins, mais de meilleure qualité et plus utile. On valorise la réutilisation et le partage de produits de qualité. La sensation que procurent les objets, qu’il s’agisse des produits Apple, des jeans Levi’s vintage, ou des robes de belle facture (mais non griffées), est importante. La notion de marque tout entière est renversée dans l‘indie capitalism, remplacée par l’environnement communautaire de création d’un produit ou d’un service. Dans bien des cas, c’est l’authenticité qui devient la « marque ».

Il y a quelque temps, le visionnaire Paulo Saffo prédisait une nouvelle « économie des créateurs » qui remplacerait les économies industrielles et consuméristes. Ce terme me plaît, mais préfère celui d‘indie capitalism, parce qu’il définit mieux le contexte social et les valeurs de cette nouvelle économie. Je pense qu’il est suffisamment différent de la culture start-up, entrepreneuriale, de Standford et de la Silicon Valley, pour avoir droit à son propre terme. Celui-ci sonne plus 21e siècle, alors que start-up rappelle le 20e siècle. Il est plus social que technologique, plus centré sur l’artiste/le concepteur que sur l’ingénierie. J’aime particulièrement le mot indie car la scène musicale indépendante reflète de nombreuses structures sociales et distributives de cette forme émergente de capitalisme. Ce n’est pas par hasard que Portland et New York accueillent une scène musicale indé très dynamique et soient aussi les centres de l’émergence d’un nouvel indie capitalism.

Occupy Wall Street est le mouvement le plus puissant de ces dernières décennies, et sa remise en question des fondations du capitalisme mondial des grosses multinationales arrive au moment où les commentateurs traditionnels mettent en doute l’efficacité et la légitimité de notre système économique. La Harvard Business Review publie une série d’articles qui critique le capitalisme financier. Foreign Affairs dénonce le paradoxe entre les énormes bénéfices des entreprises et la destruction d’emplois dont souffrent les États-Unis. Même les journalistes financiers des chaînes de télévision évoquent publiquement l’échec de Wall Street à s’acquitter de la tâche qui lui incombe traditionnellement, à savoir financer la création d’entreprise. Et que l’on soit adepte du Tea Party ou partisan du mouvement Occupy, on entend les pleurs du capitalisme népotique.

Qu’en pensez-vous ?

Notes

[1] Crédit photo : Paul Stein (Creative Commons By-Sa)




L’industrie du Copyright – Un siècle de mensonge

Jonathan Powell - CC byDepuis plus d’un siècle les chiens du copyright aboient, la caravane qui transporte la création passe…

Piano mécanique, gramophone, radio, film parlant, télévision, photocopieuse, cassette audio, mp3, internet… à chaque fois qu’est apparu une nouvelle technologie, elle a drainé inévitablement avec elle sa cohorte de réactionnaires hostiles[1].

C’est alors toujours la même rengaine : on brandit la menace de la mort du message alors qu’il ne s’agit que de la mort des messagers qui profitaient du système précédent et qu’il y aura toujours des auteurs de messages.

Une nouvelle traduction de notre ami Rick Falkvinge qui rend optimiste quant à l’issue du combat actuel.

L’industrie du Copyright – Un siècle de mensonge

The Copyright Industry – A Century Of Deceit

Rick Falkvinge – 27 novembre 2011 – Torrent Freak
(Traduction Framalang / Twitter : Kamui57, Yoha, Goofy, Jean-Fred, e-Jim et FredB)

On dit qu’il faut étudier l’Histoire pour ne pas être condamné à répéter les erreurs du passé. L’industrie du copyright a ainsi appris qu’elle pouvait profiter de sa position de monopole et de rentière à chaque apparition d’une nouvelle technologie, simplement en se plaignant assez fort auprès des législateurs.

Ces cent dernières années ont vu l’apparition de nombreuses avancées techniques en matière de diffusion, de duplication et de transmission de la culture. Mais cela a également induit en erreur les législateurs, qui tentent de protéger l’ancien au détriment du nouveau, simplement parce que le premier se plaint. D’abord, jetons un œil à ce que l’industrie du copyright a tenté d’interdire, ou du moins taxer au seul motif de son existence.

Cela a commencé vers 1905, lorsque le piano mécanique est devenu populaire. Les vendeurs de partitions de musique ont affirmé que ce serait la fin de l’art s’ils ne pouvaient plus gagner leur vie en étant l’intermédiaire entre les compositeurs et le public, alors ils ont demandé l’interdiction du piano mécanique. Une célébre lettre de 1906 affirme que le gramophone et le piano mécanique seraient la fin de l’art, et de fait, la fin d’un monde vivant et musical.

Dans les années 1920, alors que la radiodiffusion émergeait, une industrie concurrente demanda son interdiction car elle rognait ses bénéfices. Les ventes de disques ont chuté de 75 millions de dollars en 1929 à 5 millions seulement 4 ans plus tard — une chute bien plus forte que ce que connaît actuellement l’industrie du disque. (à noter que la chute des bénéfices coïncide avec la crise de 1929) L’industrie du copyright a attaqué en justice les stations radio, et les entreprises de collecte ont commencé à récolter une part des bénéfices des stations sous couvert de frais de diffusion. Des lois ont proposé d’immuniser le nouveau médium de diffusion qu’était la radio contre les propriétaires des droits d’auteur, mais elles n’ont pas été votées.

Dans les années 1930, les films muets ont été supplantés par les films avec des pistes audio. Chaque cinéma employait jusque-là un orchestre pour jouer la musique accompagnant les films muets ; désormais, ceux-ci étaient au chômage. Il est possible que cela fût le pire développement technologique pour les musiciens et interprètes professionnels. Leurs syndicats demandèrent des emplois garantis pour ces musiciens, sous différentes formes.

Dans les années 1940, l’industrie du cinéma s’est plainte de ce que la télévision entraînerait la mort du cinéma, alors que les recettes de l’industrie cinématographique avaient plongé de 120 millions de dollars à 31 millions en cinq ans. Une citation célèbre : « Pourquoi payer pour aller voir un film lorsque vous pouvez le regarder gratuitement chez vous ? »

En 1972, l’industrie du copyright a tenté d’interdire la photocopieuse. Cette campagne venait des éditeurs de livres et magazines. « Le jour n’est peut-être pas loin où personne n’aura à acheter de livres. »

Les années 1970 ont vu l’arrivée de la cassette audio, et c’est à cette période que l’industrie du copyright s’est acharnée à revendiquer son dû. Des publicités scandant « L’enregistrement maison tue la musique ! » étaient diffusées partout. Le groupe Dead Kennedys est connu pour y avoir répondu en changeant subtilement le message en « L’enregistrement maison tue les profits de l’industrie musicale », et « Nous laissons cette face (de la cassette) vierge, pour que vous puissiez aider.»

Les années 1970 ont également été un autre tournant majeur, où les DJ et haut-parleurs ont commencé à prendre la place des orchestres de danse. Les syndicats et l’industrie du copyright sont devenus fous furieux et ont suggéré une « taxe disco » qui serait imposée aux lieux qui diffusent de la musique disco enregistrée, pour être collectée par des organisations privées sous mandat gouvernemental et redistribuées aux orchestres. Cela fait rire de bon cœur de nos jours, mais les rires tournent court lorsqu’on apprend que la taxe disco a réellement été créée, et existe toujours.

Les années 1980 sont un chapitre singulier avec l’apparition des enregistreurs sur cassettes. Depuis cette période, la célèbre citation du plus haut représentant de l’industrie du copyright prononcée au Congrès des États-Unis d’Amérique « Le magnétoscope est aux producteurs et au public américain ce que l’Étrangleur de Boston est à la femme seule au foyer » est entrée dans la légende. Malgré tout, il faut garder à l’esprit que l’affaire Sony-Betamax est allée jusqu’à la Cour suprème des Etats-Unis, et que le magnétoscope n’a jamais été aussi proche d’être écrasé par l’industrie du copyright : l’équipe du Betamax a gagné l’affaire par 5 votes à 4.

Toujours à la fin des années 1980, nous avons assisté au flop complet de la Digital Audio Tape (DAT), principalement parce que l’industrie du copyright a été autorisée à orienter la conception en faveur de ses intérêts. Cette cassette, bien que techniquement supérieure à la cassette audio analogique, empêchait délibérément la copie de musique, à un point tel que le grand public la rejeta en bloc. C’est un exemple de technologie que l’industrie du copyright a réussi à tuer, bien que je doute que cela ait été intentionnel : on a simplement exaucé leurs vœux sur le fonctionnement du matériel afin de ne pas perturber le statu-quo.

En 1994, la Fraunhofer-Gesellschaft publia un prototype d’implémentation de sa technique de codage numérique qui devait révolutionner l’audio numérique. Elle rendait possible des fichiers audio de qualité CD n’occupant qu’un dixième de cet espace, ce qui était très apprécié à cette époque où un disque dur typique ne faisait que quelques gigaoctets. Connu sous le nom technique de MPEG-1 Audio Layer III, il a rapidement été connu sous le nom de « MP3 » dans la vie courante. L’industrie du copyright s’est encore plainte, le qualifiant de technologie ne pouvant être utilisée qu’à des fins criminelles. Le premier lecteur de MP3 à succès, le Diamond Rio, a vu le jour en 1998. Il avait 32 mégaoctets de mémoire. Malgré des bonnes ventes, l’industrie du copyright a attaqué son créateur, Diamond Multimedia, jusqu’à l’oubli : alors que le procès était invalidé, l’entreprise ne s’est pas remise du fardeau de sa défense. Les avocats de ces industries ont agressivement tenté d’obtenir l’interdiction des lecteurs MP3.

À la fin du siècle, les apôtres du copyright firent pression en faveur d’une nouvelle loi aux États-Unis, le Digital Millennium Copyright Act (DMCA), qui aurait tué Internet et les média sociaux en introduisant la responsabilité de l’intermédiaire — tuant dans l’œuf les réseaux sociaux. C’est seulement avec de gros efforts que l’industrie technologique a évité le désastre en introduisant une « responsabilité amoindrie » qui protège les hébergeurs à condition que ceux-ci dénoncent les utilisateurs finaux sur demande. Internet et les media sociaux ont échappé de très peu au massacre opéré par l’industrie du copyright, et n’en sont pas encore pleinement remis.

Juste après le début du nouveau siècle, l’utilisation des enregistreurs numériques était considérée comme du vol car elle permettait d’éviter les coupures publicitaires (comme si personne ne faisait cela avant).

En 2003, l’industrie du copyright a tenté de s’immiscer dans le design de la HDTV, avec un « broadcast flag » (littéralement « marqueur de diffusion ») qui aurait rendu illégale la fabrication de matériel capable de copier des films ainsi marqués. Aux États-Unis, la FCC (« Federal Communications Commission » ? « Commission fédérale des communications ») a miraculeusement accédé à cette demande, mais le projet a été réduit en cendres par les juges, qui ont déclaré qu’elle avait outrepassé ses prérogatives.

Ce que nous avons là, c’est un siècle de mensonges, un siècle qui met au grand jour la culture interne propre à l’industrie du copyright. Chaque fois qu’une nouveauté est apparue, l’industrie du copyright a appris à pleurer comme un bébé affamé, et a presque à chaque fois réussi à faire en sorte que le législateur dirige vers elle l’argent du contribuable ou restreigne les industries concurrentes. Et à chaque fois que l’industrie du copyright réussit à le faire, ce comportement s’en est trouvé encore renforcé.

Il est plus que temps que l’industrie du copyright perde ses privilèges, chacune des redevances qu’elles perçoit et qu’elle soit expulsée de son nid douillet pour se mettre au boulot et apprendre à opérer sur un marché libre et équitable.

Notes

[1] Crédit photo : Jonathan Powell (Creative Commons By)




Encourager ou criminaliser le jailbreaking ? Un choix de société !

FHKE - CC by-saDrôle de monde que celui dans lequel nous vivons et qui entrave à tous les étages le partage et le bidouillage.

Parce que déverrouiller son iPhone ou son Android n’est pas qu’un jeu gratuit pour hackers malfaisants. Il permet, mais si, mais si, de favoriser l’innovation, d’améliorer la sécurité et d’assurer une meilleure protection de ses données personnelles.

Cela répond également à la légitime curiosité d’aller regarder sous le capot pour comprendre comment les choses fonctionnent[1].

Messieurs les censeurs, écoutez l’appel de l’Electronic Frontier Foundation, et cessez de criminaliser des pratiques utiles à la communauté. Et ne nous y trompons pas, derrière ce petit problème technique se cache (n’ayons pas peur des mots) un véritable choix de société.

Pourquoi Apple, Sony, Amazon, Microsoft et les autres devraient encourager le jailbreaking

Why Apple (and Sony, Amazon, Microsoft etc.) Should Support Jailbreaking

Trevor Timm – 2 décembre 2011 – EFF.org
(Traduction Framalang : Goofy, Clochix et Poupoul2)

Hier l’Electronic Frontier Foundation a demandé à l’administration du Copyright des États-Unis d’accorder une exemption au Digital Millenium Act en faveur du droit de « jailbreaker » les smartphones, les tablettes et les consoles de jeux vidéos. Ces exceptions visent à épargner aux utilisateurs tout souci légal qui pourraient les empêcher de faire tourner des applications et des systèmes d’exploitation qui ne sont pas approuvés par le fabricant de l’appareil. Elles amendent la section 1201 du DMCA qui interdit tout contournement de « mesure technique qui contrôle effectivement l’accès à une œuvre protégée à ce titre ».

En 2009, malgré les cris d’orfraie et la vive opposition d’Apple, l’EFF a obtenu du bureau du Copyright le droit pour les utilisateurs de déverrouiller les iPhones et autres smartphones. C’est en partie grâce à cette disposition légale qu’une communauté en ligne très active s’est constituée autour du jailbreaking pour perfectionner à un degré incommensurable l’innovation, la sécurité, la confidentialité sur ces appareils.

Pourquoi donc Apple et les autres fabricants s’opposeraient-ils à ce processus ? Voilà une question intéressante. Quand Apple a combattu la première fois le droit légal de jailbreaker, la firme a prétendu que cela nuirait à son modèle économique en ruinant sa rentabilité. Pourtant les profits d’Apple atteignent des records jamais atteints selon toutes les statistiques fiables.

En réalité, loin de nuire à des entreprises comme Apple, la communauté autour du jailbreaking finit souvent par leur rendre service, dans la mesure où Apple et d’autres fabricants finissent par adopter de nombreuses fonctionnalités qui avaient été exclues dans un premier temps. Faisons une petite rétrospective de tous le bénéfices du jailbreaking à la fois pour les industriels et les utilisateurs de smartphones, et voyons pourquoi cette pratique devrait être étendue aux tablettes et consoles de jeux vidéos comme le PlayStation 3, la Wii de Nintendo et la XBox 360.

Innovation

À tous égards, la communauté du jailbreaking a formidablement amélioré l’ergonomie des smartphones. Ses membres ont par exemple développé des applications, d’abord rejetées par Apple, qui permettait aux anciennes versions de l’iPhone d’enregistrer des vidéos. Les jailbreakers ont également été les premiers à réussir à configurer le clavier pour qu’il se connecte sans fil au smartphone. Apple a par la suite adopté chacune de ces fonctionnalités.

Ce processus d’imitation a été reproduit pour un tas d’autres innovations initiées par la communauté du jailbreaking, depuis la conception de l’interface utilisateur jusqu’à la gestion des applications sur le téléphone. Comme l’a remarqué David Kravets du magazine Wired, « parmi ces bidouillages on trouve les notifications qui se replient, l’accès direct à la caméra depuis l’écran d’accueil verrouillé et la synchronisation sans fil, pour n’en citer que quelques-uns ».

Sécurité

Les améliorations de la sécurité développées par la communauté des jailbreakers protègent les utilisateurs de smartphones quand le fabricant tarde à régler les problèmes de vulnérabilité ou les néglige carrément.

Quand on a découvert une faille de sécurité à l’ouverture d’un fichier PDF par le navigateur de l’iPhone, Apple ne s’est pas pressé pour régler le problème. Les utilisateurs qui ne voulaient pas attendre que le fabricant s’en occupe avaient une meilleure façon de se protéger : débrider leur appareil et installer un correctif « non autorisé » créé par un développeur indépendant.

Mais la débâcle de DigiNotar en 2011 est le meilleur exemple pour expliquer pourquoi il est si vital de pouvoir déverrouiller un téléphone. Jusqu’à une époque récente, DigiNotar était une autorité de certification — une organisation qui émet des certificats numériques utilisés pour authentifier et sécuriser les communications entre différents services en ligne, comme les transactions de cartes de crédit. Mais en septembre, elle a été piratée et a commencé à émettre des certificats frauduleux, qui ont permis à des utilisateurs mal intentionnés de compromettre des terminaux et des services. Les premières versions d’Android ne se mettaient pas à jour automatiquement, ne laissant aux utilisateurs avec d’anciens systèmes d’exploitation d’autre recours que de déverrouiller leur téléphone pour pouvoir se protéger.

Confidentialité

Alors que les préoccupations sur le respect de la vie privée par les terminaux mobiles augmentent, la communauté des « déverrouilleurs de téléphones » a aussi été vitale en rendant le respect de la vie privée plus sécurisé lorsque les fabricants ne s’en souciaient pas.

Les ouvreurs de prisons numériques ont été les premiers à introduire une application non autorisée sur l’iPhone qui masque les messages apparaissant automatiquement sur l’écran pour signaler qui est aux alentours. Les déverrouilleurs ont également créé une modification du logiciel pour empêcher la journalisation d’informations détaillées sur la localisation de l’iPhone à laquelle se livrait Apple sans y avoir été autorisée. De même, sur Android, une application non autorisée appelée LBE Privacy Guard permet aux utilisateurs de chercher et surveiller les données sensibles auxquelles des applications tierces pourraient essayer d’accéder. Mais ces applications protectrices de la vie privée ne sont accessibles qu’aux utilisateurs qui déverrouillent leur terminal.

La popularité des tablettes a explosé au cours des dernières années, et l’EFF veut que les utilisateurs de terminaux comme l’iPad et le Nook bénéficient également de ce dont ont profité les utilisateurs de smartphones au cours des trois dernières années.

Mais ce n’est pas tout, nous réclamons également une exemption pour les consoles de jeu vidéo.

Consoles de jeux vidéo

Les fabricants de consoles de jeu comme la PlayStation 3, la Xbox et la Wii de Nintendo limitent également le système d’exploitation de l’utilisateur, et les options des logiciels, même lorsque rien ne prouve que d’autres programmes violeraient le copyright. L’exception que nous réclamons permettrait aux utilisateurs d’exécuter le système de leur choix sur leurs consoles, aussi bien que des applications « maison » écrites par eux-mêmes.

Les consoles de jeu vidéo ont des processeurs puissants qui peuvent permettre aux gens de les utiliser comme des alternatives peu coûteuses aux PC de bureau. Des chercheurs, et même l’armée des EUA, ont transformé des grappes de PS3 en puissants supercalculateurs, à l’époque où Sony permettait l’installation de systèmes d’exploitation alternatifs. Mais Sony a supprimé cette possibilité avec une mise à jour du firmware en 2010, et les PS3 ne peuvent désormais plus faire tourner Linux sans être déverrouillées. En fait, plus tôt cette année, Sony avait été jusqu’à poursuivre quelques chercheurs qui avaient publié des informations sur des trous de sécurité qui permettraient aux gens d’installer et de faire tourner Linux sur leur PS3 personnelle. Nous espérons que l’exception que nous cherchons à obtenir énoncera clairement que les gens ont le droit de faire tourner le système d’exploitation et les applications de leur choix sur leur machine.

L’EFF adjure Apple, Sony et les autres de soutenir cette demande d’exemption au DMCA pour améliorer l’expérience des utilisateurs et garantir la sécurité et la confidentialité de leurs données personnelles.

Notes

[1] Crédit photo : FHKE (Creative Commons By-Sa)




L’ordinateur personnel est mort pour laisser place à des prisons dorées ?

Victoria Reay - CC byQu’est-ce que Framasoft, si ce n’est au départ avant tout un vaste service se proposant de mettre en relation les développeurs et les utilisateurs (que l’on souhaite toujours plus nombreux) de logiciels libres.

Un service d’autant plus pertinent que l’on peut facilement installer et tester les logiciels et que les développeurs (dont on n’entrave ni la création ni l’innovation) se trouvent disséminés un peu partout sur le Web.

Le problème c’est qu’aujourd’hui tout ce processus est remis en cause par le développement conjoint du cloud et des appareils mobiles (smartphones, tablettes…) à qui l’on demande de ne venir s’abreuver qu’à une seule source dûment contrôlée : la boutique d’applications, ou apps, Apple ou Google. Pire encore, ces plateformes fermées ne se contentent pas de proposer des applications « logiciel », elle offrent également des applications « contenu ». Et c’est toute l’information qui se trouve prisonnière du bon vouloir de quelques sociétés (américaines) qui détiennent alors un pouvoir potentiel exorbitant.

Même des ses rêves hégémoniques les plus fous, Microsoft n’aurait osé envisager une telle situation pour ses PC Windows qui, en comparaison, apparaissent tout d’un coup bien plus ouverts qu’il ne l’étaient une dizaine d’années auparavant[1].

Certains appellent cela le progrès et célèbrent avec ferveur et dévotion le génial Steve Jobs à l’occasion de son triste départ. D’autres ne doivent pas s’en laisser compter, parce que quand la trappe sera définitivement refermée, il sera trop tard…

Jonathan Zittrain est professeur de droit et d’informatique à Harvard et est l’auteur de The Future of the Internet and How to Stop It.

L’ordinateur personnel est mort

The Personal Computer Is Dead

Jonathan Zittrain – 30 novembre 2011 – TechnologyReview
(Traduction Framalang : Clochix et Goofy)

Le pouvoir migre rapidement des utilisateurs finaux et des développeurs de logiciels vers les vendeurs de systèmes d’exploitation.

Le PC est mort. Le nombre croissant de terminaux mobiles, légers et centré sur le cloud n’est pas qu’une mue dans la forme. Au contraire, nous sommes en présence d’un transfert de pouvoir sans précédent des utilisateurs finaux et des développeurs logiciels d’un côté vers les vendeurs de systèmes d’exploitation de l’autre — et même ceux qui conservent leur PC sont emportés par ce mouvement. C’est un peu pour le meilleur, et beaucoup pour le pire.

C’est une transformation de produits en services. Les applications que nous avions l’habitude d’acheter tous les deux ou trois ans — comme les systèmes d’exploitation — sont désormais en relation permanente avec le vendeur, tant pour les utilisateurs finaux que pour les développeurs de logiciels. J’avais décrit cette mutation, motivée par un désir d’une meilleure sécurité et de plus de confort, dans mon livre de 2008 Le futur de l’Internet — et comment l’arrêter.

Pendant des années, nous avons utilisé avec plaisir un moyen simple de créer des logiciels et de les partager ou de les vendre. Les gens achetaient des ordinateurs généralistes, des PC y compris ceux qu’on appelle Mac. Ces ordinateurs étaient livrés avec un système d’exploitation qui s’occupait des tâches de base. Tout le monde pouvait écrire et exécuter un logiciel pour un système d’exploitation donné, et c’est ainsi que sont apparus une suite sans fin de tableurs, traitements de texte, messageries instantanées, navigateurs Web, clients de messagerie et jeux. Ces logiciels allaient du sublime au ridicule et au dangereux — pour en décider il n’y avait d’autre arbitre que le bon goût et le bon sens de l’utilisateur, avec un peu d’aide de sites Web rédigés par des passionnés d’informatique et des logiciels antivirus (cela fonctionnait tant que l’antivirus n’était pas lui-même un malware, chose qui a eu tendance à devenir fâcheusement monnaie courante).

Choisir un système d’exploitation (ou OS), c’était aussi faire le choix des logiciels qui y étaient attachés. Windows plutôt que Mac signifiait opter sur le long terme entre différentes collections de logiciels. Même si parfois un développeur offrait des versions de son logiciel pour chaque OS, migrer d’un OS à un autre signifiait qu’il fallait racheter ce logiciel.

C’est une des raisons pour lesquelles nous avons fini par avoir un OS dominant ces deux dernières décennies. Les gens étaient sous Windows, ce qui poussait les développeurs de logiciels à coder pour Windows, ce qui incitait davantage de gens à acheter Windows, ce qui le rendait encore plus attirant pour les développeurs, et ainsi de suite. Dans les années 90, les gouvernements américains et européens se sont lancées dans une bataille contre la position dominante de Microsoft, bataille légendaire et pourtant facilement oubliable vue d’aujourd’hui. Leur principal reproche ? Microsoft a faussé la concurrence entre son propre navigateur, Internet Explorer, et son principal concurrent de l’époque, Netscape Navigator. Microsoft a procédé en imposant aux fabricants de PC de s’assurer qu’Internet Explorer serait prêt à être utilisé sur le bureau de Windows lorsque l’utilisateur déballerait son ordinateur et l’allumerait (la fameuse icône du « E bleu »). Des années de procédure et un dossier de trois kilomètres de long peuvent se résumer en un péché original : un fabricant de système d’exploitation avait excessivement favorisé ses propres applications.

Lorsque l’iPhone est arrivé sur le marché en 2007, sa conception était bien plus restrictive. Aucun code étranger n’était autorisé sur le téléphone, toutes les applications installées étaient issues d’Apple. On n’y a pas pris garde sur le moment car ça n’était qu’un téléphone et non un ordinateur, et les téléphones concurrents étaient tout autant verrouillés. Nous comptions sur les ordinateurs pour être des plateformes ouvertes et considérions ces téléphones comme de simples appareils, plus proches des postes de radio, des téléviseurs et des percolateurs.

Puis, en 2008, Apple a annoncé un kit de développement logiciel pour l’iPhone. Les développeurs tiers étaient invités à créer des logiciels pour le téléphone, de la même manière qu’ils l’avaient fait pendant des années avec Windows et Mac OS. Avec une grosse différence : les utilisateurs ne pouvaient installer un logiciel sur leur téléphone que s’il était disponible dans la boutique Apple d’applications pour iPhone. Les développeurs devaient montrer patte blanche et être accrédités par Apple. Ainsi chaque application se trouvait être contrôlée et filtrée selon les critères propres, flous et changeants d’Apple. Par exemple, les applications qui émulaient ou même amélioraient les propres applications d’Apple n’étaient pas autorisées. Le péché originel de Microsoft était devenu bien pire. Le problème n’était pas de savoir si on pouvait acheter un iPhone sans le navigateur Safari d’Apple. Il était qu’aucun autre navigateur ne serait autorisé (et s’il était, il ne s’agissait que d’une tolérance ponctuelle d’Apple). Sans oublier que pas moins de 30% du prix de chaque application vendue pour l’iPhone (et de de toutes les transactions effectuées grâce à l’application) vont dans les poches d’Apple.

Même Microsoft, connu pour ses logiciels privateurs, n’aurait pas osé prélever une taxe sur chaque bout de code écrit par d’autres pour Windows, mais peut-être n’était-ce dû qu’au fait qu’en l’absence de connexion fiable à Internet dans les années 90, il n’y avait aucun moyen réaliste de le faire en gérant les achats et les licences. Quinze ans plus tard, c’est exactement ce qu’Apple a fait avec la boutique d’applications pour iOS.

En 2008, on pouvait penser que cette situation n’était pas aussi inquiétante que le comportement de Microsoft à l’époque de la guerre des navigateurs. D’abord parce que la part d’Apple dans le marché des téléphones mobiles n’avait rien à voir avec la domination de Microsoft sur le marché des systèmes d’exploitation pour PC. Ensuite parce qu’on était passé d’un système totalement verrouillé en 2007 à un système partiellement ouvert aux développeurs extérieurs. De plus, bien qu’Apple rejetât de nombreuses applications pour n’importe quelle raison (et que certains développeurs étaient suffisament apeurés par le couperet qu’ils confessaient avoir peur de dire publiquement du mal d’Apple), dans les faits des centaines de milliers d’application passaient la barrière. Enfin, indépendamment de la volonté de contrôle d’Apple, ces restrictions avaient au moins quelques bonnes raisons sécuritaires sur le papier, au moment même où le nombre croissant de logiciels malveillants voyait le monde du PC Windows glisser de l’anarchie au chaos. Une mauvaise frappe sur le clavier ou un mauvais clic de souris pouvait livrer tout le contenu du PC à un lointain créateur de virus. Apple était déterminé à ce que cela n’arrive pas avec l’iPhone.

À la fin de 2008, il y avait à priori encore moins de raisons de s’inquiéter : la place de marché pour le système Android de Google avait été inaugurée (NdT : Android Market), créant de la compétition pour l’iPhone avec un modèle un peu moins paranoïaque de développement d’applications par des tiers. Les développeurs devaient toujours s’enregistrer pour proposer des logiciels via la place de marché, mais une fois qu’ils étaient enregistrés, ils pouvaient diffuser leur logiciel immédiatement, sans que Google les contrôle. Il y avait encore une taxe de 30% sur les ventes, et les applications qui ne respectaient pas les règles pouvaient être supprimées rétroactivement de la place de marché. Mais il y avait et il y a toujours une grosse soupape de sécurité : les développeurs pouvaient donner ou vendre leurs applications directement aux possesseurs de terminaux Android, sous passer par Android Market. S’ils n’aimaient pas les règles de la place de marché, cela ne signifiait pas qu’ils devaient renoncer à atteindre les utilisateurs d’Android. Aujourd’hui, la part de marché d’Android est nettement supérieure à celle de l’iPhone (c’est l’inverse pour les tablettes, actuellement trustée par l’iPad à 97% mais de nouvelles tablettes arrivent, comme le Kindle Fire d’Amazon basé sur Android et le roi peut rapidement être démis de son trône).

Avec cette évolution positive et ces réponses apportées entre 2007 et 2011, pourquoi devrions-nous alors nous inquiéter ?

La principale raison relève de l’effet boule de neige du modèle de l’iPhone. Le modèle de la boutique d’applications est revenu comme un boomerang sur le PC. On trouve à présent une telle boutique pour le Mac qui correspond à celles de l’iPhone et de l’iPad, et elle comporte les mêmes restrictions. Certaines, acceptées car jugées normales dans le cadre d’un téléphone mobile, semblent beaucoup moins familières dans le monde de l’ordinateur de bureau.

Par exemple, les logiciels dans la boutique pour Mac n’ont pas le droit de modifier l’apparence de l’environnement du Mac. (Ironique de la part d’une compagnie dont un précédent slogan incitait les gens à penser différemment). Les développeurs ne peuvent ainsi ajouter une icône pour leur application sur le bureau ou dans le dock sans demander la permission à l’utilisateur, ce qui est un extraordinaire écho à ce qui a valu des ennuis à Microsoft (bien que dans le cas de Microsoft le problème était d’interdire la suppression de l’icône d’Internet Explorer, mais jamais Microsoft n’a essayé d’empêcher l’ajout d’icônes d’autres applications, qu’elles soient installées par le constructeur du PC ou par l’utilisateur). Les développeurs ne peuvent pas développer de fonctionnalités déjà présentes dans la boutique. Ils ne peuvent pas diffuser leur logiciel sous une licence libre, car les termes de ces licences entrent en conflit avec ceux de la licence d’Apple.

Les restrictions de contenus sont des territoires encore inexplorés. Du haut de sa domination du marché Windows, Microsoft n’a eu aucun rôle dans le choix des logiciels qui pourraient ou ne pourraient pas s’exécuter sur ses machines, et encore moins son mot à dire pour autoriser le contenu de ces applications à voir la lumière de l’écran. L’éditorialiste dessinateur Mark Fiore, lauréat du Prix Pulitzer, a ainsi vu son application iPhone refusée car elle contenait du « contenu qui ridiculisait des personnalités publiques ». Fiore était suffisamment connu pour que ce refus provoque des froncements de sourcils, et Apple est revenue sur sa décision. Mais le fait que des applications doivent de manière routinière être approuvées masque à quel point la situation est extraordinaire : des entreprises de technologies ont entrepris d’approuver, un à un, tous les textes, les images et les sons que nous sommes autorisés à trouver et utiliser sur les portails que nous utilisons le plus souvent pour nous connecter au réseau mondial. Est-ce ainsi que nous souhaitons que la culture se diffuse ?

C’est d’autant plus dérangeant que les gouvernements ont réalisé que ce cadre rend leur propre censure bien plus facile : alors que leur lutte pour arrêter la diffusion de livres, tracts et à présent de sites Web ressemblait au travail de Sisyphe, elle va de plus en plus se résumer à l’envoi de demandes de suppression aux gardiens des portails numériques. Soudain, les contenus dérangeants peuvent être supprimés en mettant la pression sur un intermédiaire technique. Lorsque Exodus International (« mobiliser le corps du Christ pour soigner par la grâce et la vérité un monde impacté par l’homosexualité ») a publié une application qui entre autres lançait des invectives contre l’homosexualité, ses opposants ne se sont pas contenté de mal la noter (il y avait deux fois plus de notations une étoile que cinq étoiles), mais ils ont également envoyé des pétitions à Apple pour lui demander de supprimer l’application. Apple l’a fait (NdT : cf cet article des Inrocks).

Précisons qu’à la différence de ses homologues pour iPhone et iPad, la boutique d’applications pour Mac n’est pas le seul moyen de mettre des logiciels sur un Mac. Pour l’instant, vous pouvez toujours installer des logiciels sans passer par la boutique. Et même sur l’iPhone et l’iPad, qui sont bien plus verrouillés, il reste le navigateur : Apple peut contrôler le contenu des applications (et de ce fait en être jugée responsable) mais personne ne semble penser qu’Apple devrait se lancer dans le contrôle, le filtrage et la restriction de sites Web que les utilisateurs du navigateur Safari peuvent visiter. Une question aux gens qui ont lancé la pétition contre Exodus : est-ce que vous seriez également favorables à une pétition demandant qu’Apple interdise aux utilisateurs de Safari d’aller sur le site Web d’Exodus ? Sinon, qu’elle différence faites-vous, puisque Apple pourrait très simplement programmer Safari pour implémenter de telles restrictions ? Y a-t-il un sens à ce que les épisodes de South Park puissent être téléchargés via iTunes, mais que l’application South Park, qui contient le même contenu, ait été bannie de l’App Store ?

Étant donné que des applications tierces peuvent toujours s’exécuter sur un Mac et sur Android, il faut se demander pourquoi les boutiques et les places de marché occupent une position aussi dominante (et suffisamment attractives pour que les développeurs acceptent de relever le défi de faire approuver leurs applications et de perdre 30% de leurs revenus) plutôt que de simplement vendre directement leurs applications. L’iPhone a des restrictions sur l’exécution de code tiers, mais les développeurs peuvent toujours, dans de nombreux cas, se débrouiller pour offrir les fonctionnalités via un site Web enrichi et accessible avec le navigateur Safari du téléphone. Très rares sont les structures qui ont cette démarche avec leurs développeurs. Le Financial Times est un de ces fournisseurs de contenus qui a retiré son application de la boutique iOS pour éviter de partager avec Apple les données de ses utilisateurs et ses profits, mais il est isolé dans le monde des médias.

La réponse réside peut-être dans des choses en apparence triviales. En effet, même un ou deux clics de plus peuvent dissuader un utilisateur de consommer ce qu’il avait l’intention de faire (une leçon que l’affaire Microsoft a mise en lumière, quand l’accessibilité d’Internet Explorer directement sur le bureau a été vue comme un avantage déterminant par rapport à Netscape que les utilisateurs devaient télécharger et installer). Le choix par défaut a tous les pouvoirs, un constat confirmé par le montant des accords pour choisir le moteur par défaut des navigateurs. Ce genre d’accords a fourni en 2010 à Mozilla, le créateur de Firefox, 97% de ses revenus, c’est-à-dire pas moins de 121 millions de dollars. La soupape de sécurité des applications « tout-terrain » semble moins utile lorsque les gens sont attirés par les boutiques et les places de marché pour chercher sans effort les applications dont ils ont besoin.

La sécurité est également un facteur à prendre en considération. Lorsqu’ils voient tant de logiciels malveillant dans la nature, les consommateurs peuvent vouloir déléguer le contrôle de leurs programmes aux vendeurs de systèmes d’exploitation. Il existe une grande variété d’approches pour gérer la question de la sécurité, certaines impliquant l’utilisation d’un bac à sable, c’est à dire d’un environnement protégé à l’intérieur duquel s’exécute le logiciel. L’exécution dans un bac à sable sera bientôt obligatoire pour les application de la boutique pour Mac. On trouvera plus d’informations sur le sujet et une discussion sur ses avantages et ses inconvénients, ici.

Le fait est qu’aujourd’hui les développeurs écrivent du code en veillant non seulement à ce qu’il soit acceptable par les consommateurs, mais aussi par les vendeurs. Aujourd’hui, si un développeur souhaite proposer une application, il va devoir nécessairement en passer par la place de marché Android de Google et par la boutique iOS d’Apple; aucun des deux ne peut remplacer l’autre. Les deux placent le développeur dans une relation de dépendance avec le vendeur du système d’exploitation. L’utilisateur aussi est mis en difficulté : si je migre de l’iPhone à Android, je ne peux pas emporter mes applications avec moi, et vice-versa. Et au fur et à mesure que le contenu est distribué par des applications, cela peut signifier que je ne peux pas non plus emporter avec moi mon contenu ! (ou, si je peux, c’est uniquement parce qu’il y a un autre acteur comme Amazon qui a une application qui s’exécute sur plus d’une plateforme, aggrégeant le contenu). On ne se libère ici de la relation suffocante avec Apple, Google ou Microsoft que grace à un nouvel entrant comme Amazon, qui a structurellement la dimension suffisante pour peser et faire la même chose.

L’avènement du PC et du Web ont été un formidable accélérateur de communication et d’innovation. Des myriades d’applications sont nées créant une relation directe entre développeurs et utilisateurs sur des myriades de sites Web. À présent l’activité s’agglutine autour d’une poignée de portails, deux ou trois fabricants de systèmes d’exploitation qui sont en position de gérer en continu toutes les applications (et leur contenu).

Les développeurs de logiciels et les utilisateurs devraient exiger davantage. Les développeurs devraient chercher des moyens d’atteindre leurs utilisateurs sans être entravés, via des plateformes ouvertes, ou en faisant pression sur les conditions imposées par les plateformes fermées. Et les utilisateurs, informés et avertis, ne doivent pas céder à la facilité et au confort, en retournant à l’esprit originel du PC.

Si nous nous laissons bercer, voire hypnotiser, par ces beaux jardins clos, nous passerons à côté des innovations que les gardiens de ces jardins refusent. Et nous pouvons nous préparer à une censure du code et des contenus qui aurait été impossible et inenvisageable quelques années auparavant. Nous avons besoin de nerds en colère.

Notes

[1] Crédit photo : Victoria Reay (Creative Commons By)




Manuel « Introduction à la science informatique » – Commentaires sur les commentaires

La mise en ligne sur le Framablog de l’article Sortie du manuel « Introduction à la science informatique » a naturellement suscité des commentaires, bienvenus, variés et intéressants.

Quelques éléments pour poursuivre le débat entamé.

1) Quelle culture générale scolaire au 21è siècle ?

L’enseignement de spécialité optionnel « Informatique et Sciences du numérique » créé en Terminale S à la rentrée 2012 est un enseignement de culture générale. Comme il y en a d’autres au lycée : mathématiques, histoire-géographie, sciences physiques, philosophie… Il n’a pas vocation à former des spécialistes, cela étant il peut contribuer à susciter des vocations. Il correspond aux missions du système éducatif, à savoir former l’homme, le travailleur et le citoyen.

Les disciplines enseignées évoluent au fil du temps. On ne fait plus de géométrie descriptive en mathématiques mais des probabilités et des statistiques. Le latin et le grec n’ont plus la même place qu’au début du siècle dernier. Les sciences physiques sont devenues discipline scolaire car elles sous-tendaient les réalisations de la société industrielle. Or le monde devient numérique… L’informatique doit avoir sa place dans la culture générale scolaire car elle fait partie de la culture générale de notre époque. C’est un choix que la société fait, doit faire. Car il est clair que l’on ne peut pas tout étudier à l’Ecole. Il faut choisir le « midi qui a le plus de portes ».

Dans les commentaires, un argument nous a quelque peu surpris. Il ne faudrait pas d’informatique à l’École car « cela dégoûterait les élèves ». Le propos vaut-il pour la lecture ? N’apprenons pas à lire aux enfants. Comme cela ils ne seront pas dégoûtés et tous sauront lire. Pas sûr…

Il a été fait état, c’est inévitable, de la comparaison avec la conduite des automobiles. Rappelons que conduire une voiture, en fabriquer et étudier la thermodynamique sont trois activités de natures différentes. Comme l’utilisation des ordinateurs, leur fabrication et la science informatique le sont.

Tout le monde a en tête les débats vifs qui ont accompagné la transposition de la directive européenne DADVSI ou le vote de la loi Hadopi, et du sentiment que l’on a pu éprouver que beaucoup ne savaient pas de quoi ils parlaient. Quand les citoyens s’intéressent au nucléaire ils peuvent peu ou prou se référer à ce qu’ils ont appris à l’école en cours de sciences physiques (atome, courant électrique…). Quand ils s’intéressent aux OGM ils peuvent se référer à leurs cours de SVT. Le problème concernant l’informatique et le numérique est qu’il n’y a pas encore de cours d’informatique, scientifique et technique.

Enseigner une discipline informatique au lycée signifie fondamentalement être en phase avec la société telle qu’elle est devenue.

2) Pourquoi de la programmation ?

Faisons un détour par les mathématiques. Tous les élèves en font, de la Maternelle à la Terminale. Pourtant, bien peu seront chercheurs en mathématiques. Et tous ne seront pas ingénieurs ou professeurs de mathématiques. Ils apprennent à résoudre des équations, chose qu’ils ne feront plus le reste de leur vie. Ils étudient et construisent des fonctions. Pourquoi ? Parce qu’il est important de savoir qu’une grandeur peut dépendre d’une autre grandeur. Que, par exemple, la courbe du chômage indique une progression, éventuellement une accélération de cette progression. Pour s’approprier ces notions, il y a tout un long cheminement avec des appropriations de notions dont on ne se servira plus dans la vie. Mais il reste la culture, à savoir ce qui reste quand on a tout oublié !

Il en va de même pour la programmation. Elle est avec l’algorithmique, la théorie de l’information, l’architecture et les matériels l’un des quatre grands domaines de l’informatique, constituant une clé de voûte où les quatre arcs qui structurent l’informatique se rejoignent, A ce titre elle est déjà incontournable. Elle permet de comprendre ce qu’est l’informatique, de percevoir sa « nature profonde », de s’en imprégner. Pour s’approprier des notions (fichier, protocole de communication, « verrou mortel »…), rien de tel que d’écrire des « petits » programmes.

Cela vaut également pour l’apprentissage des autres disciplines. Encore faut-il que les élèves sachent programmer ! La programmation est un élément de cursus informatique apprécié des élèves, car elle les place dans une situation active et créative, dans laquelle ils peuvent eux-mêmes fabriquer un objet. On constate en effet avec l’ordinateur une transposition des comportements classiques que l’on observe dans le domaine de la fabrication des objets matériels. À la manière d’un artisan qui prolonge ses efforts tant que son ouvrage n’est pas effectivement terminé et qu’il fonctionne, un lycéen, qui par ailleurs se contentera d’avoir résolu neuf questions sur dix de son problème de mathématiques (ce qui n’est déjà pas si mal !), s’acharnera jusqu’à ce que « tourne » le programme de résolution de l’équation du second degré que son professeur lui a demandé d’écrire, pour qu’il cerne mieux les notions d’inconnue, de coefficient et de paramètre. Ces potentialités pédagogiques de la programmation, qui favorisent l’activité intellectuelle, sont parfois paradoxalement et curieusement oubliées par des pédagogues avertis (qui, par ailleurs apprécient les vertus de l’ordinateur et d’internet, outil pédagogique).

De plus, la programmation est une excellente école de la rigueur, de la logique. Vraiment, pourquoi s’en priver ?

3) Formation de culture générale et formations professionnalisantes

Si les disciplines scolaires sont générales et concernent tous les élèves, il n’empêche qu’elles contribuent à donner des fondamentaux que certains retrouveront dans leurs formations ultérieures et leur vie professionnelle. Toutes les disciplines sont des outils au service des autres, et aussi des fins en soi. Cela vaut par exemple pour les mathématiques qui sont au service des sciences physiques ou des sciences économiques. Et pour l’informatique bien sûr. Plus les disciplines sont au service des autres, plus elles deviennent une fin en elles-mêmes. Plus elles sont des composantes majeures de la culture des hommes. Informatique et littérature même combat. Écrire un programme ou écrire un texte sont deux activités d’égale dignité, tout aussi passionnantes l’une que l’autre : une fin en soi !

Une formation structurée sur une longue durée doit être organisée comme une fusée à deux étages : les premières années doivent être consacrées à l’apprentissage de savoirs fondamentaux, puis doivent venir les savoirs spécialisés, qui ont vocation à être directement utilisés dans (les premières années d’) une activité professionnelle. Par exemple la formation d’un médecin consiste à apprendre d’abord (dès l’école primaire, le collège et le lycée) des généralités sur l’anatomie et la physiologie humaine, avant d’apprendre tel ou tel geste chirurgical ou la posologie de tel ou tel médicament. Cette seconde phase de la formation est très variable en fonction du métier que l’on souhaite exercer : les mêmes savoirs spécialisés ne sont pas nécessaires à un ophtalmologiste et un anesthésiste, alors que l’un et l’autre doivent savoir que le cœur est à gauche et le foie à droite ou qu’une cellule humaine contient vingt-trois paires de chromosomes.

Avec l’arrivée de l’informatique au lycée se pose la question de l’identification des savoirs fondamentaux que l’on souhaite partager, non avec ses collègues, mais avec tous. Pour faire partie de la culture générale ces savoirs doivent :

  • avoir une certaine stabilité,
  • donner une image diversifiée, mais cohérente de la discipline,
  • éclairer la vie quotidienne, mais aussi ouvrir de nouveaux horizons,
  • permettre de comprendre comment utiliser des objets mais aussi comment ils sont conçus,
  • être agréables et valorisants à apprendre.

Les besoins croissants en matière d’informatique et de numérique concernent des compétences diversifiées qui évoluent rapidement (outils, langages…), des métiers nouveaux avec peu de formations existantes (web 2,0, e-économie…). Cela signifie qu’il faut distinguer la formation pour tous aux fondamentaux de culture générale informatique, scientifique et technique, dans l’enseignement scolaire et dans l’enseignement supérieur, et les formations professionnalisantes qui, de par les évolutions incessantes des besoins, doivent justement pouvoir s’appuyer sur une solide formation initiale.

Jean-Pierre Archambault
Gilles Dowek




Dans les ateliers libres du futur tout objet produit est en bêta

Il y a de l’espoir. Qu’on les appelle fab lab ou, comme ici, open source workshops, il se passe véritablement quelque chose dans le monde matériel actuellement. Quelque chose qui localement nous donne envie de nous retrouver pour créer ensemble et donner du sens à cette production[1].

Dans ce monde en gestation, certains mots comme compétition, délocalisation, marketing, argent, banque, normalisation… s’estompent pour laisser place à un vivre ensemble potentiel qui sonne moins creux que dans la bouche des politiciens.

Il en aura fallu passer par internet, et par l’expérience virtuelle probante de projets collaboratifs comme le logiciel libre ou Wikipédia, pour en arriver là. Là c’est-à-dire en des lieux où il ne tient qu’à nous de faire pousser nos propres ateliers libres, tel l’Open Design City de Berlin dont nous vous racontons l’histoire ci-dessous.

Comme le dit Stallman lorsqu’il nous salue : « Happy Hacking! »

Un aperçu du futur du « Do It Yourself » : les ateliers libres – Tout produit est en bêta !

A Peek at the Future of DIY: Open-source Workshops – Every product is beta!

Jude Stewart – 4 octobre 2010 – Fast Co Design
(Traduction Framalang : Lolo le 13, Goofy, Julien, Mammig et Martin)

Le « faites-le vous-même » (NdT : Traduction littérale et non satisfaisante du DIY pour Do It Yourself) règne en maître dans le monde virtuel. Nous pouvons en effet aujourd’hui construire librement et sans trop de frais nos propres blogs, e-books et magazines Web. Par contre fabriquer des choses réelles, palpables et tangibles semble être le domaine réservé de ceux qui savent s’y prendre avec un marteau et des clous.

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Ce n’est pourtant plus le cas désormais. La révolution open source est en train de mettre la conception des produits entre les mains de tout un chacun. Prenez l’Open Design City (ODC) basé à Berlin. C’est un atelier dans lequel n’importe qui peut apprendre à faire à peu près n’importe quoi, du portefeuille en bioplastique à la lampe à pull-overs (cf ci-dessous). La recette est simple comme un sourire : rassemblez des personnes qui veulent partager des idées et collaborer, apprennez-leur à utiliser quelques machines-outils, puis faites des choses sympas ensemble.

C’est un mouvement qui peut potentiellement se substituer à la manière traditionnelle de concevoir et fabriquer industriellement des objets, voire même changer notre mode de consommation. « Je crois fortement que nous verrons émerger de plus en plus d’espaces comme celui-ci » dit Christoph Fahle d’Open Design City. « Nous ne sommes pas à proprement parler dans du développement scientifique, parce que pour que cela marche, il n’y a pas besoin d’expert en balistique. Il s’agit plutôt de favoriser les interactions sociales permettant de créer de nouvelles choses. Si vous regardez Facebook, ce bien moins sa technologie qui a influencé les usages que l’idée du réseau social

Les ateliers ouverts sont une conséquence et un prolongement de la fièvre que connaît actuellement le Do It Yourself. Il y a beaucoup de ressources et d’énergie sur des sites comme MAKE, Instructables.com et IKEAhacker ou de réseaux de vente comme Etsy et Supermarket. Aujourd’hui les gens peuvent acheter leurs propres imprimantes 3D pour moins de 1 000 $.

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Le co-fondateur Jay Cousins est arrivé dans Open Design City par une voie détournée. Il était un concepteur de produits haut de gamme spécialisé dans ce qu’il appelle la vaisselle et il fut déçu de cette expérience. « Ce travail s’est transformé en piège, tout devenait management au lieu d’être créativité » se souvient-il. « C’est ce qui m’a fait penser en un lieu où les concepteurs et les inventeurs se retrouvent ensemble pour participer à la production. » À la recherche d’une nouvelle inspiration, Jay Cousins a déménagé à Berlin en 2009 et a attéri à Palomar 5, un espace innovant sponsorisé par Deutsche Telecom (malgré son nom qui sonne très hippie). À Palomar 5, « nous avons beaucoup observé comment nous nous collaborions » dit Jay Cousins. « Vous entrez dans un intense conscience de ce qui vous soutient dans votre énergie créative et de ce qui vous bloque ». Là-bas, il rencontra Christopher Doering, un concepteur produit qui est passé par la Bauhaus University de Weimar.

Après ces six semaines à Palomar 5, tout deux eurent envie de créer leur propre atelier ouvert. La fortune souriant aux audacieux, l’occasion de présenta et, au cours du printemps dernier, Jay Cousins et Christopher Doering mirent sur pied un atelier DoIt Yourself à Betahaus, un nouvel espace de travail collaboratif dans le quartier Kreuzberg de Berlin, Open Design CIty était né.

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À Open Design City les travailleurs du premier étage peuvent déambuler au rez-de chaussée et louer des outils à l’heure ou au jour. Ils peuvent participer à un atelier ouvert dans lequel un responsable enseigne au groupe une technique particulière puis ouvre l’étage aux expérimentations.

L’équipement mis à leur disposition des participants est vaste. Ils peuvent ainsi faire joujou avec des outils (scies, scies sauteuses, marteaux…), un sérigraphe pour les textiles, du matériel photographique, des plaques électriques et un évier, de la laine, du savon et du papier-bulle pour faire du feutre, un stock généreux de fécule, de vinaigre et de glycérine qui une fois mélangés avec de l’eau et chauffés font un bioplastique modelable et modulable.

Peu d’outils sont véritablement high-tech mis à part une imprimante 3D qui imprime en pressant de fines couches de certains matériaux et qui est capable de produire une forme en utilisant les données en trois dimensions que l’utilisateur lui donne. Une telle machine ressemble à un four : une fine couche de nylon est chauffée jusqu’à ce qu’elle s’amolisse puis est injectée dans un moule dans lequel elle se durcit à nouveau. Open Design City n’a pas de découpage laser ou d’autres outils similaires permettant de le qualifier pleinement de « fablab ».

La grosse partie de l’équipement provient des dons. « Un type a un jour acheté une tonne de briques Légo blanches en choisissant d’en offrir quelques uns à l’atelier » dit Fahle.

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Apprendre à utiliser l’équipement est d’ordinaire la partie la plus difficile.

Doering se souvient d’un membre de l’ODC, une responsable de communication née en Iran qui travailait au betahaus. Elle voulait faire des énormes lettres en polystyrène expansé pour écrire des slogans lors d’un événement de soutien à la résistance iranienne (cf ci-dessous). Après avoir fait faire des devis « incroyablement cher » dans un atelier de prototypage traditionnel, elle est venue à l’ODC pensant qu’elle pourrait expliquer son projet et ensuite le laisser entre des mains plus expertes. Eh bien non. « Nous avons fait un marché : qu’elle nous aide à acheter une machine pour couper le polystyrène et on lui enseignera alors (à elle et à ses amis) comment l’utiliser » explique Doering. « Au début, elle ne cessa de répéter : Ce n’est pas possible ! Comment pourrai-je faire ça ? Mais une fois que nous avions passé 15 minutes ensemble, elle a vu comment c’est vraiment amusant et facile à faire. Elle et ses amis se sont totalement éclatés à faire ça. Ils ont passé une semaine à couper comme des dingues, monter une fausse prison en briques et inventer une méthode pour joindre les lettres. Tout ce dont il y avait besoin était ce petit coup de pouce de départ. »

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Open Design City enourage une méthode parallèle de travail qui compose avec les égos et promeut le sens du jeu. Cousins explique : « Si je crois qu’un projet doit être réalisé d’une certaine manière et Chris a une idée différente, au lieu de nous disputer pour savoir laquelle est la meilleure, nous essayons les deux méthodes en même temps et partageons ce que nous apprenons au fur et à mesure. »

Est-ce que le talent ou l’expérience importe dans ce meilleur des mondes ? Oui et non.

Doering aime la façon dont les ateliers ouverts comme Open Design City remettent en question l’idée même de qualité (d’autant que c’est le sujet de sa thèse au Bauhaus). « La qualité doit toujours répondre à certains critères objectifs, bien sûr », explique-t-il, « la culture industrielle dit : voici un produit pour une certaine utilisation et qui a une certaine valeur. Mais les objets aiment à s’échapper des carcans. Il est totalement limitant de dire : c’est une lampe, son but est de remplir l’espace avec de la lumière. Parce que c’est aussi un cadeau de votre grand-mère, c’est une touche personnelle dans votre living-room, etc. et il faut conserver cette flexibilité-là. »

Il a pris une feuille de plastique d’amidon sur l’établi et il l’a brandie. « C’est un biopolymère. Ce n’est pas résistant à l’eau et je ne sais pas combien de temps cela peut tenir en état, un an, peut-être. Voilà au contraire ce qui se passe avec les plastiques à base de pétrole : ils durent éternellement et ce n’est pas une bonne façon de penser. Nous n’aimons pas nos produits aussi longtemps ».

La valorisation des déchets (NdT : upcycling), qui récupère de vieux produits pour les recombiner dans de nouveaux objets désirables, est au programme de futurs événements de l’ODC.

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Tout cela résonne furieusement anti-industriel — et d’un certain côté c’est bien le cas.

Mais en tant que concepteur produit et pionnier du mouvement Open Design, Ronen Kadushin nous rappelle que renverser la structure du pouvoir dans l’entreprise n’est pas le but. « Vous connaissez le vieux proverbe romain à propos de la hache de votre grand-père ? » dit-il. « Mon père a changé son manche et j’ai changé la lame. Rien de ce que j’ai dans la main ne vient de mon grand-père, mais c’est toujours la sienne. C’est une tradition de valeur. Nous n’avons désormais plus d’objets qui remplissent ce besoin ; nous n’avons pas de hache. La meilleure façon de rester attaché à un produit ou un objet est de le faire soi-même. »

Vers quel avenir pourrait nous mener la fabrication libre de tels produits ?

Vers un Moyen Âge dopé au silicium, répondent Doering, Fahle et Cousins, dans lequel des artisans seraient connectés « localement » avec toute la planète grâce à internet. « Une telle perspective est un peu régressive, en fait » admet Cousins. « Elle nous ramène à l’ère du boulanger, du fabricant de meubles, du spécialiste en électronique, de votre homme à tout faire — un système distribué dans lequel nous reconnaissons mutuellement nos compétences, et les valorisons. Nous ne pouvons plus nous permettre de prendre un objet et de déclarer : « il est 100% éthique, personne n’a été blessé, aucune communauté n’a été décimée au cours de sa fabrication » parce que c’est trop complexe à gérer et non satisfaisant puisque nous demeurons passifs. Diffuser et partager la connaissance de la fabrication d’objets au sein de la communauté ODC nous apporte de la résilience tout en nous permettant de mieux nous débrouiller seuls ».

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« Mais ce n’est pas seulement une question de survie », poursuit Cousins, « Nous luttons pour nous reconnecter à une communauté et une culture de la participation. C’est un lien très puissant qui s’est progressivement étiolé au cours de ces cent dernières années ». Le paradoxe n’est qu’apparent : les déchets de la révolution industrielle devenant le matériau brut pour des ateliers de type médiéval, un mouvement rendu possible par un Internet massivement collaboratif, une population lassée de vivre virtuellement, et des machines dont le prix s’est démocratisé grâce à une base de consommateurs désireuses d’acheter de nouveaux moyens de production. Ce qui est vieux redevient alors réellement nouveau.

Notes

[1] Crédit photos : Betahaus