Eben Moglen : l’innovation sous l’austérité

Voici une traduction d’une conférence qu’Eben Moglen a donnée il y a déjà un an à Washington en 2012, mais ses propos demeurent d’une actualité brûlante aujourd’hui. J’avais déjà traduit une de ses interventions ici. Peu de personnes parlent aussi bien que lui pour expliquer le lien entre le logiciel libre et nos libertés personnelles. Cette fois il revient nous parler non seulement de libertés, mais aussi d’économie, ce qui ne manquera pas d’intéresser tout homme politique (ou personne qui s’y intéresse). L’intégralité de cette vidéo est disponible sur la plateforme Amara qui m’a permis de la sous-titrer en français. Si des bonnes volontés ont envie de faire une relecture et d’achever la session de questions/réponses, elles sont plus que bienvenues. Bonne lecture !

Sylvain

L’innovation sous l’austérité

(…) Je vais parler principalement d’un sujet qui est presque aussi geek que les choses dont on parle tous tout le temps, c’est-à-dire de politique économique. Je vais essayer d’en parler d’une manière moins ennuyeuse que d’habitude, mais vous me pardonnerez j’en suis sûr de commencer assez loin d’OpenSSL, nous nous en rapprocherons au fur et à mesure plus tard.

Les économies développées dans le monde, commencent toutes à connaître maintenant un état de crise fondamentalement identique. Elles sont obligées d’imposer l’austérité car les niveaux d’endettement privé ont cassé les rouages de l’économie, et la volonté des détenteurs de capitaux de prendre des gros risques avec l’argent d’autres personnes a fini par donner des résultats désastreux au cours de cette dernière décennie. Et donc l’austérité est une position inévitable et dommageable sur le plan politique pour tous les gouvernements du monde développé, et certains de ces gouvernements sont entrés dans un processus auto-destructeur, dans lequel le besoin d’imposer l’austérité et de réduire les subventions publiques et les mesures sociales pour les jeunes stoppe la croissance économique, ce qui empêche l’austérité de produire ses résultats désirables. Au lieu de supprimer de mauvaises dettes et de reprendre la croissance, nous sommes les spectateurs d’un théâtre où la troisième économie du monde, l’Union européenne, se trouve proche de voir un effondrement de sa monnaie et une génération perdue, ce qui aurait des conséquences néfastes sur toute l’économie mondiale.

Pour les décideurs politiques, je vois que peu d’entre eux sont là aujourd’hui, ils ont bien sûr mieux à faire que de nous écouter, pour les politiciens en d’autres mots, il s’agit de faire face maintenant à un problème insurmontable : comment a-t-on de l’innovation et de la croissance sous l’austérité ?

Ils ne connaissent pas la réponse à cette question, et cela devient si urgent que cela commence à miner leur contrôle politique. Des partis marginaux dans plusieurs sociétés très développées et très avancées commencent à attirer de nombreux suffrages, et à menacer la stabilité même de la capacité des décideurs économiques à résoudre (ou essayer de résoudre) le problème de l’innovation sous l’austérité.

Ce n’est une bonne nouvelle pour personne. Ce n’est bon pour personne. Nous n’avons pas d’occasion de nous réjouir de ce résultat, qui est largement le résultat de l’incompétence de ces personnes qui disent mériter tout cet argent parce qu’elles sont si intelligentes, c’est en partie la conséquence d’une lâcheté des politiciens qui leur ont laissé trop d’espace. Ce n’est pas que nous soyons ravis de voir cela arriver, mais il y a un bon côté. Peu de personnes dans le monde savent comment avoir de l’innovation sous l’austérité. Nous en faisons partie.

Nous avons produit de l’innovation sous l’austérité pendant cette dernière génération, et non seulement nous avons fait des innovations plutôt bonnes, nous avons fait des innovations dont toutes les autres personnes riches se sont attribuées le crédit. La majeure partie de la croissance qui s’est produite pendant cette période folle et mouvementée où ils ont pris de l’argent d’autres personnes et sont allés faire des paris avec, c’est de l’innovation que nous avons produite pour eux. Donc maintenant, en dépit des circonstances désastreuses que l’on peut nous aussi regretter, car le chômage est celui de mes étudiants qui obtiennent leur diplôme, de vos enfants, et de tous ces autres jeunes dont la vie sera abîmée pour de vrai par la mauvaise situation économique actuelle. Les gens qui commencent leur carrière maintenant souffriront de baisses de salaire pendant leur vie. Leurs enfants auront un moins bon départ dans la vie en raison de ce qui arrive maintenant, on ne peut pas s’en réjouir.

Mais nous avons une occasion politique très réelle, car nous avons la réponse à la question la plus importante qui fait maintenant courir tous les décideurs politiques dans le monde. Cela veut dire que nous avons quelque chose de très important à dire, et je suis venu ici ce matin principalement pour commencer la discussion sur la manière dont on devrait précisément le formuler.

Et je veux présenter une première ébauche fonctionnelle de notre argumentaire, je dis « notre » car je regarde autour de moi et je vous vois ici ce matin. Notre argumentaire sur ce que l’on doit faire avec le bazar dans lequel se trouve le monde. L’innovation sous l’austérité n’arrive pas en collectant beaucoup d’argent pour payer des intermédiaires de l’innovation. Un des aspects les plus importants de la politique économique du XXIe siècle, c’est le processus que l’on appelle la désintermédiation, quand on jargonne, elle est impitoyable, constante, et sans répit. La télévision est en train de disparaître. Je n’ai pas besoin de vous le dire, vous le savez déjà. Personne n’essaiera plus jamais de créer une encyclopédie commerciale. Les machines pourries d’Amazon, qui vous permettent de lire des livres sauf si je décide de vous les reprendre, transforment l’édition en éliminant le pouvoir de sélection des éditeurs, tout comme M. Jobs a presque détruit la totalité de l’industrie musicale sous le prétexte de la sauver. Une tâche que son fantôme est déjà en train de faire pour les éditeurs de magazines comme vous pouvez le voir.

Le Web lui-même est le résultat d’une innovation sans intermédiaires.

La désintermédiation, le mouvement d’émancipation qui nous vient du cœur même du Net, est un fait crucial sur la politique économique du 21e siècle. Elle démontre son existence tout le temps. Quelqu’un va gagner un prix Nobel en économie pour décrire en termes formels la nature de la désintermédiation. Les intermédiaires qui ont fait de bonnes affaires pendant les dix dernières années sont confinés à deux ensembles?: les assureurs pour la santé aux États-Unis, en raison d’une pathologie politique, et la finance.

Les assureurs de santé aux États-Unis sont peut-être capables de capitaliser sur une pathologie politique continuelle pour rester des intermédiaires chers et peu sûrs pour un peu plus de temps. Mais la finance s’est fait dessus dans sa propre niche, et se dégonfle maintenant, et va continuer ainsi pour quelques temps. En conséquence, comme les décideurs politiques l’observent à travers le système économique, la réalité que la désintermédiation s’établit et qu’on ne peut pas l’arrêter, elle devient un point de repère dans la définition de la politique industrielle nationale. Donc nous devons affirmer que c’est vrai pour l’innovation aussi.

La plus grande invention technologique de la fin du Xe siècle est la chose que nous appelons la grande toile mondiale, une invention qui est âgée de moins de 8000 jours. Cette invention est déjà en train de transformer la société humaine plus rapidement qu’aucune autre chose depuis l’adoption de l’écriture. Nous en verrons davantage de preuves. La nature de ce processus, cette innovation, alimente la désintermédiation, en permettant à toutes sortes de contacts humains de se produire sans intermédiaires, sans acheteurs, vendeurs, agents, ou contrôleurs, et offre un espace dans lequel se déroule une guerre pour la puissance et le pouvoir de contrôle social, un sujet auquel je reviendrai dans quelques minutes. Pour l’instant, ce sur quoi je veux attirer l’attention, c’est le fait capital que le Web lui-même est un résultat d’une innovation sans intermédiaires.

Ce que Tim a fait le premier au CERN n’était pas le Web que l’on connaît maintenant, le Web qu’on connaît a été conçu par un très grand nombre d’invividus à travers une innovation sans intermédiaires. Je me rappelle ce que j’ai écrit sur le futur des pages personnelles en 1995, et je vois plus ou moins arriver ce que je pensais qu’il arriverait. J’avais dit alors que ces quelques pages personnelles étaient des jeunes pousses, et qu’une prairie allait apparaître, et ce fut le cas.

Les réseaux sociaux ne devraient pas exister avec une faille de l’homme du milieu incluse dès le départ.

Bien sûr, comme avec toute autre innovation, il y eut des conséquences inattendues. Le navigateur rendit le Web très facile à écrire. Bien qu’on ait construit Apache, bien qu’on ait fait des navigateurs, bien qu’on ait conçu un tas de choses par dessus Apache et les navigateurs, on n’a pas rendu le Web facile à écrire. Donc une petite frappe vêtue d’un pull à capuche a rendu le Web facile à écrire, et a créé une faille de l’homme du milieu[1] dans la civilisation humaine, (petits rires dans le public) qui déclenche maintenant toute une série de maux sociaux. Mais c’est l’innovation intermédiaire dont on devrait se soucier. On a rendu tout possible, y compris malheureusement PHP, et puis des intermédiaires de l’innovation l’ont transformé en cette horreur qu’est Facebook. Cela ne s’avérera pas être, comme on peut déjà le voir d’après les marchés de la bourse, une forme d’innovation sociale particulièrement positive. Elle va enrichir quelques personnes, le gouvernement d’Abu Dhabi, un gangster russe qui a déjà plusieurs milliards de dollars, un type qui est impatient de changer de nationalité afin de n’avoir plus à payer d’impôts pour soutenir les écoles publiques, et quelques autres reliques du bazar du XXe siècle.

Mais la réalité de l’histoire dessous tout ça, c’est que si on avait eu un peu plus d’innovation sans intermédiaires, si on avait fait en sorte qu’opérer son propre serveur web soit facile, si on avait expliqué aux gens dès le tout début à quel point les journaux des serveurs sont importants, et pourquoi vous ne devriez pas laisser d’autres personnes les garder pour vous, nous serions dans une situation très différente maintenant. Le prochain Facebook ne devrait jamais exister. C’est de l’innovation des intermédiaires qui sert les besoins des capitalistes, pas ceux des gens, ce qui ne veut pas dire que les réseaux sociaux ne devraient pas exister, ils ne devraient pas exister avec une faille de l’homme du milieu incluse dès le départ. Tout le monde dans cette pièce sait cela. La question est de savoir comment on l’apprend à tout le monde.

Mais si j’ai beaucoup de considération pour tout le monde, maintenant je veux vous parler des décideurs politiques. Comment est-ce qu’on leur explique ? Et là on commence à séparer le discours en deux parties bien distinctes. Premièrement, que sait-on de la manière d’obtenir de l’innovation sous l’austérité. Deuxièmement, qu’est-ce qui empêche les gouvernements d’être d’accord avec nous là-dessus ?

Donc permettez-moi de vous présenter ma première ébauche d’un plaidoyer pour l’innovation sous l’austérité. Il est intitulé « Nous avons fait l’informatique dans les nuages ».

Tout le monde comprend cela dans cette pièce. Le sens même de ce qui est en train d’arriver aux technologies de l’information dans le monde maintenant, est en rapport avec ce qui est arrivé à la fin du XXe siècle. Nous avons imaginé qu’on pouvait partager les systèmes d’exploitation et toute la pile logicielle par-dessus. Nous l’avons fait en utilisant la curiosité des jeunes. C’était le moteur, pas le capital-risque. Nous y avions travaillé pendant 15 ans, et notre bousin tournait déjà partout, avant que le capital-risque ou les capitaux accumulés par les géants des industries de l’informatique n’investissent. Ils sont venus vers nous pas parce que l’innovation devait se faire, mais parce que l’innovation avait déjà été créée, et qu’ils avaient besoin d’en tirer les profits. C’était un résultat extrêmement positif, je n’ai rien de mal à en dire. Mais la nature de ce résultat, l’histoire qu’on a en effet vécue et que d’autres peuvent maintenant étudier, montrera comment l’innovation sous l’austérité peut se produire. C’est très bien de dire que c’est arrivé car on a suscité la curiosité des jeunes, c’est historiquement correct. Mais il y a d’autres choses à dire.

…donner aux jeunes la possibilité de bidouiller le monde réel

Ce que l’on a besoin d’exprimer, c’est que la curiosité des jeunes pouvait être excitée, car toutes sortes d’ordinateurs dans leur vie de tous les jours pouvaient être hackés. Et donc les jeunes pouvaient hacker ce que tout le monde utilisait. Cela a rendu l’innovation possible, où elle pouvait se produire, sans problème, tout en bas de la pyramide du système économique. Cela est en train de se passer autre part dans le monde de la manière dont c’est arrivé aux États-Unis dans les années 80. Des centaines de milliers de jeunes dans le monde qui hackent des ordinateurs portables, des serveurs, qui hackent des ordinateurs à usage général afin de pouvoir satisfaire leurs lubies, des lubies techniques, sociales, pour une carrière, ou juste pour s’amuser. « Je veux faire ceci, cela serait cool ». C’est la source primaire de l’innovation qui a poussé toute le développement de la grande croissance économique dans le monde ces dix dernières années. Toutes la croissance, des milliers de milliards de transactions avec le commerce électronique. Ceux d’entre vous qui sont assez vieux pour se rappeler s’être battus bec et ongle pour un système de chiffrement public, se rappelleront l’intensité de leur combat quand la politique du gouvernement états-unien était d’empêcher l’apparition dans le monde d’un marché d’une valeur de 3800 milliards de dollars de transactions de commerce électronique.

Nous étions (soi-disant) des partisans du terrorisme nucléaire et de la pédophilie au début des années 1990, et tout l’argent qu’ils ont gagné dans les campagnes de don, avec les profits d’intérêts privés, et tout le reste, c’est grâce à la mondialisation du commerce que nous l’avons rendu possible, avec la technologie pour laquelle ils voulaient envoyer nos clients en prison. Cela montre clairement à la prochaine génération de décideurs politiques, je pense, à quel point leur adhésion à des idées reçues est susceptible de contribuer au processus auto-destructeur dans lequel ils redoutent maintenant d’être entraînés. Et cela devait nous encourager à souligner encore que la meilleure façon pour qu’une innovation arrive, c’est de donner aux jeunes l’opportunité de la créer, avec des moyens qui leur permettent de créer une infrastructure avec laquelle ils pourront bidouiller le monde réel, et de partager les résultats.

Quand Richard Stallman a rédigé l’appel pour une encyclopédie universelle, lui et Jimmy Wales et moi-même étions bien plus jeunes alors, c’était considéré comme une idée fantaisiste. Cela a maintenant transformé la vie de toute personne qui sait lire dans le monde. Et cela va continuer ainsi.

Le laboratoire informatique dans la poche de chaque enfant de 12 ans est en train de se fermer.

La nature de l’innovation faite par Creative Commons, par le mouvement du logiciel libre, par la culture libre, ce qui transparaît dans le Web et dans Wikipédia, dans tous les systèmes d’exploitation libre qui font maintenant tout tourner, même l’intérieur de ces choses d’Apple fermées et vampiriques que je vois tout autour de cette pièce… toute cette innovation vient de la simple action de laisser des gamins bidouiller et de leur laisser le champ libre, ce que, comme vous le savez, on essaie aussi fortement que possible d’interdire complètement. De plus en plus, tout autour du monde, le matériel informatique de la vie de tous les jours pour des individus est fait de telle façon qu’on ne peut pas le hacker. Le laboratoire informatique dans la poche de chaque enfant de 12 ans est en train de se fermer.

Quand on est entré dans la phase 3 des négociations de la GPL3 contre l’enfermement au cours de cette dernière décennie, il y avait une certaine croyance que le but principal que M. Stallman et moi poursuivions en poussant tout le monde à ne pas verrouiller, avait quelque chose en rapport avec les films prohibés. Et on a continué à dire, « Ce n’est pas la fondation du film libre. Nous ne nous soucions pas de cela. Nous nous soucions de protéger les droits de tout le monde à hacker ce qu’ils possèdent. Et la raison pour laquelle on s’en soucie, c’est que si vous empêchez les gens de hacker ce qu’ils possèdent eux-mêmes, vous détruirez le moteur de l’innovation duquel tout le monde profite ».

C’est toujours vrai. Et c’est plus important maintenant précisément parce que très peu de personnes pensaient qu’on avait alors raison, et n’ont pas fait d’efforts elles-mêmes pour défendre ce point de vue. Et maintenant vous avez Microsoft qui dit qu’ils ne vont pas autoriser de navigateurs tiers avec des machines basées sur ARM avec Windows. Et vous avez le fantôme de M. Jobs qui essaye de trouver comment empêcher une suite libre d’exister en relation avec IOS, et vous avez un monde dans lequel le but des opérateurs réseau est de plus en plus d’attacher chaque jeune humain à un réseau propriétaire avec des terminaux verrouillés, desquels on ne peut rien apprendre, qu’on ne peut pas étudier, pas comprendre, sur lesquels pas se faire les dents, rien faire sauf envoyer des textos qui coûtent un million de fois plus qu’ils ne devraient.

Cela a une deuxième conséquence de grande importance. L’innovation sous l’austérité arrive en premier lieu car la curiosité des jeunes est suscitée par l’amélioration des situations réelles de la vie de tous les jours. La conséquence de second ordre, c’est que la population devient plus éduquée.

La désintermédiation commence à arriver dans l’éducation supérieure aux États-Unis, ce qui veut dire que cela commence à arriver dans l’éducation supérieure dans le monde entier. On a actuellement deux modèles. Coursera est essentiellement la googlisation de l’éducation supérieure, un projet dérivé de Stanford en tant qu’entreprise pour le profit, utilisant des logiciels fermés et des ressources éducatives propriétaires. MITx, qui a maintenant edX à travers la formation en partenariat avec l’université Harvard est essentiellement la réponse du monde libre, des programmes similaires et évolutifs pour l’éducation supérieure, fournis à travers du logiciel libre en utilisant des ressources éducatives. Nous avons un très gros enjeu dans le résultat de cette concurrence. Il nous importe à tous de fournir autant d’énergie que possible en soutien aux solutions qui reposent sur un programme libre que tout le monde peut modifier, utiliser, et redistribuer, et autres ressources éducatives basées sur la même politique économique.

Chaque société qui essaie en ce moment de reprendre l’innovation dans le but de redémarrer une croissance économique dans un contexte d’austérité a besoin de davantage d’éducation, qui soit disponible a un coût plus bas, et qui forme des jeunes esprits de manière plus efficace pour créer des nouvelles choses dans les entreprises. Cela ne sera pas réalisé sans précisément les formes d’apprentissage social que nous avons expérimentées. Nous avons dit depuis le début que le logiciel libre est le système éducatif technique le plus abouti au monde. Il permet à quiconque sur la planète d’accéder à ce qui se fait de mieux de ce qu’on peut faire dans l’informatique, en lisant ce qui est disponible librement, en le testant et en partageant librement les résultats. De la vraie science informatique. Des expériences, des formulations d’hypothèses, davantage d’expériences, davantage de connaissances pour l’être humain.

L’universalisation de l’accès au savoir est l’atout primordial le plus important dont nous disposions, pour augmenter l’innovation et le bien-être de l’humanité sur la terre.

Nous devions développer cela dans d’autres domaines de la culture, et de grands héros comme Jimmy Wales et Larry Lessig ont posé les bases de l’infrastructure pour le faire, nous devons maintenant faire en sorte que nos gouvernements comprennent comment aller plus loin.

Le comité directeur sur les médias et la société de l’information de la commission européenne a publié un rapport il y 18 mois dans lequel ils disaient qu’ils pouvaient scanner 1/6 de tous les livres dans les bibliothèques européennes pour le coût de 100 km de route. Cela veut dire, et c’est toujours vrai, que pour le coût de 600 km de route, dans une économie qui construit des milliers de kilomètres de route chaque année, chaque livre dans toutes les bibliothèques européennes pourrait être disponible pour l’humanité toute entière, cela devrait être fait. (quelqu’un crie « Copyright ! » dans le public) Rappelez-vous que la plupart de ces livres sont dans le domaine public, avant que vous ne me criiez « copyright ». Rappelez-vous que la majorité de ce qui représente le savoir humain n’a pas été fait récemment, avant que vous ne me criiez « droit d’auteur ». On devrait entrer dans un monde où toutes les connaissances précédemment disponibles auparavant seront universellement accessibles. Sinon on freinera l’innovation qui permet la croissance. C’est un pré-requis social. Le système du droit d’auteur n’est pas immuable, il est juste commode. Nous n’avons pas à commettre de suicide culturel ou intellectuel, de manière à maintenir un système qui ne s’applique même pas à presque tout le savoir humain important dans la plupart des disciplines. Platon n’est pas détenu par qui que ce soit.

Donc nous en sommes là, à nous demander à quoi va ressembler le système éducatif du XXe siècle, et comment il va distribuer la connaissance socialement à travers l’humanité. J’ai une question pour vous. À combien d’Einstein qui ont jamais vécu on a laissé la possibilité d’apprendre la physique ? Quelques-uns. Combien de Shakespeare ont jamais vécu et sont décédés sans apprendre à lire et écrire ? Des quantités. Avec 7 milliards de personnes dans le monde en ce moment, 3 milliards sont des enfants. Combien d’Einstein voulez-vous rejeter aujourd’hui ? L’universalisation de l’accès au savoir est l’atout primordial le plus important dont nous disposions, pour augmenter l’innovation et le bien-être de l’humanité sur la terre. Personne ne devrait avoir peur de militer pour cela parce que quelqu’un pourrait crier « droit d’auteur ».

Donc nous nous intéressons maintenant à la conséquence de second ordre, de ce qu’on comprend sur comment susciter l’innovation sous l’austérité. Améliorer l’accès aux outils qui permettent d’apprendre, adapter la technologie pour permettre aux scientifiques qui n’ont pas 20 ans de mener des expériences et de partager les résultats, permettre la continuité de la croissance de l’univers des technologies de l’information que nous avons créées, en partageant depuis ces vingt-cinq dernières années, et on pourrait connaître les plus hauts taux d’innovation qu’on puisse atteindre, en dépit d’un baisse massive des investissements dans le social qui a lieu à cause de l’austérité.

Les règles ont changé. Les gouvernements ne le savent pas.

Nous donnons aussi aux jeunes la possibilité de mieux prendre en mains leur futur économique et professionnel, un impératif inévitable si on veut avoir une stabilité politique et sociale pour la prochaine génération. Personne ne devrait se berner d’illusions sur les chances d’amélioration sociale dans des sociétés où 50% des personnes de moins de 30 ans sont sans emploi. Cela ne va pas se résoudre en leur donnant du travail à la chaîne pour faire des voitures. Tout le monde comprend cela. Les gouvernements lèvent ensemble leurs mains aux ciel sur la question de ce qu’il faut faire de cette situation. Cela explique la rapidité avec laquelle dans les systèmes de représentation proportionnelle, les jeunes gens abandonnent les partis politiques traditionnels. Quand les pirates prennent 8,3% des voix dans le Schleswig-Holstein, il est déjà clair que les jeunes gens réalisent que les décisions politiques des partis traditionnels ne vont pas porter sur leur futur bien-être économique. Et nous devons écouter, de manière démocratique, le grand nombre de jeunes gens dans le monde qui se lèvent pour affirmer que les libertés numériques et une fin de l’espionnage et de la surveillance sont nécessaires à leur bien-être et à leur capacité à créer et vivre.

La désintermédiation signifie qu’il y aura plus de prestataires de services à travers l’économie avec laquelle nous sommes directement en contact. Cela veut dire plus de travail en dehors de la hiérarchie, et moins de travail dans la hiérarchie. Les jeunes dans le monde, qu’ils soient mes étudiants en droit qui vont avoir leur licence, ou des ingénieurs informatiques qui vont débuter leur carrière, ou des artistes, ou des musiciens, ou des photographes, ont besoin de plus de liberté sur le Net, et de plus d’outils avec lesquels créer des plateformes innovantes de services pour eux-mêmes. C’est un défi que leurs aînés n’auraient pas relevé avec succès en 1955, mais nous sommes une nouvelle génération d’êtres humains qui travaillent dans de nouvelles conditions, et ces règles ont changé. Ils savent que les règles ont changé. Les indignados dans chaque parc en Espagne savent que les règles ont changé. Ce sont leurs gouvernements qui ne le savent pas.

Cela nous ramène, je vous le concède, à la question de l’anonymat, ou plutôt de l’autonomie personnelle. Un des éléments vraiment problématiques pour enseigner à la jeune génération, du moins les jeunes auxquels j’enseigne sur les questions de vie privée, c’est qu’on utilise l’expression « vie privée » pour signifier plusieurs choses assez distinctes. La vie privée veut parfois dire le secret. C’est-à-dire que le contenu d’un message est secret pour tout le monde, sauf son créateur et son destinataire. La vie privée veut dire parfois l’anonymat. Cela veut dire que les messages ne sont pas secrets, mais que lieux d’émission et de réception le sont. Et il y a un troisième aspect de la vie privée, que j’appelle autonomie dans mes cours. C’est la chance de vivre une vie dans laquelle les décisions que vous prenez ne sont pas influencées par l’accès des autres à des communications secrètes ou anonymes.

Il y a une raison pour laquelle les villes ont toujours été des moteurs de croissance économique. Ce n’est pas parce que les banquiers y vivent. Les banquiers y vivent car les villes sont des moteurs de croissance économique. La raison pour laquelle les villes ont été des moteurs de croissance économique depuis l’antiquité, c’est que les jeunes s’y déplacent pour inventer de nouvelles manières d’exister, en tirant avantage du fait que la ville est le lieu où vous échappez à la surveillance du village, et du contrôle social de la ferme. « Comment est-ce que vous allez les retenir à la ferme une fois qu’ils ont vu Paris ? » était une question sensée en 1919, et elle avait beaucoup à voir avec la façon dont le XXe siècle fonctionnait aux États-Unis. La ville est le système historique pour l’obtention de l’anonymat et la capacité à tester de manière autonome des façons de vivre. Nous le supprimons.

Il y a quelques années, c’est à dire au début de 1995, nous avions un débat à l’école de droit de Harvard sur la clé de chiffrement publique, deux paires de personnes. Dans un camp se trouvaient Jamie Gorelick, alors secrétaire d’état à la justice aux États-Unis, et Stewart Baker, alors comme maintenant employé à Steptoe & Johnson quand il ne travaille pas dans le gouvernement des États-Unis pour faire des politique sociales horribles. De l’autre côté se trouvaient Danny Weitzner, alors à la Maison-Blanche, et moi. Et on a passé l’après-midi à échanger pour savoir si on devait confier nos clés au gouvernement des États-Unis, si la puce du nom Clipper allait fonctionner, et de plein d’autres sujets très intéressants maintenant aussi obsolètes que Babylone. Et une fois tout cela fini, on a traversé le campus de Harvard pour dîner au club de la faculté d’Harvard, et sur le chemin à travers le campus, Jamie Gorelick me dit : « Eben, sur la seule base de ce que tu as dit publiquement cet après-midi, c’est suffisant pour que je donne l’ordre d’intercepter tes conversations téléphoniques. » En 1995, c’était une blague. C’était une blague de mauvais goût quand elle était racontée par un fonctionnaire du ministère de la justice états-unien, mais c’était une blague, et on a tous rigolé car tout le monde savait qu’ils ne pouvaient pas le faire.

Donc nous avons mangé notre dîner, et la table fut débarrassée et toutes les assiettes furent enlevées, et le porto et les noisettes furent emportés, et Stewart Baker me regarda et me dit « ok, détachons nos cheveux », et il n’en avait pas alors, et il n’en a pas maintenant, mais « on va détacher nos cheveux » dit Stewart, « on ne va pas poursuivre votre client M. Zimmermann. On a consacré des décennies à se battre contre les clés de chiffrement publiques, cela a plutôt bien marché, mais c’est presque terminé, on va laisser cela arriver. » Et puis il regarda autour de la table, et il dit : « mais personne ici ne se soucie de l’anonymat, n’est-ce pas ? ». Et je fus pris d’un frisson.

Et je pensai : « OK, Stewart, je comprends ce qu’il se passe. Tu vas laisser arriver le chiffrement à clé publique car les banquiers vont en avoir besoin. Et tu vas consacrer les 20 prochaines de ta vie à essayer d’empêcher les gens d’être anonymes pour toujours, et je vais consacrer les 20 prochaines années de ma vie à essayer de t’arrêter. » Jusqu’ici, je dois dire que mon ami M. Baker a fait mieux que je ne l’avais espéré, et j’ai fait pire que ce que je craignais. C’est en partie à cause du gangster avec la capuche, et en partie pour d’autres raisons. Nous sommes proches d’éliminer le droit humain de la vie privée. Nous sommes proches d’éliminer le droit humain de la libre pensée, dans votre propre maison, selon votre propre manière, sans que personne ne le sache. Quelqu’un vient de prouver dans cette pièce il y a juste quelques minutes que s’il fait des courses sur un site d’achat particulier en utilisant un navigateur, il obtient un prix différent avec un autre navigateur, car un de ses navigateurs est relié à son historique de navigation : les prix, les offres, les produits, les bonnes affaires, sont maintenant basés sur la fouille intégrale des données. Un haut fonctionnaire du gouvernement m’a confié depuis que les États-Unis ont changé la loi sur la durée de rétention de données de toute personne qui n’est suspecte de rien. Vous savez tout ça, n’est-ce pas ? Un mercredi pluvieux, un 21 mars, bien après la fermeture des commerces, le ministère de la justice et le DNI, c’est le directeur du renseignement intérieur, ont publié ensemble un communiqué de presse annonçant des changements mineurs sur les lois Ashcroft, en incluant un petit changement qui dit que toute donnée personnelle identifiable dans les bases de données du gouvernement au centre national anti-terrorisme qui concernent des personnes qui ne sont suspectes de rien ne seront plus retenues sous le coup de la loi Ashcroft pour un maximum de 180 jours, le maximum a été changé pour 5 ans, ce qui est une éternité.

En fait j’ai dit à mes étudiants dans ma salle de classe, que la seule raison pour laquelle ils avaient dit 5 ans, c’est parce qu’ils ne savaient pas faire le 8 couché dans la police (rires) pour le communiqué de presse, donc ils ont fait une approximation. Donc je discutais avec un haut fonctionnaire du gouvernement de cette conclusion, et il m’a dit « eh bien, vous savez, on est devenu conscient qu’on avait besoin d’un sociogramme complet des États-Unis ». C’est de cette manière qu’on va relier les nouvelles données aux anciennes données. J’ai dit : « parlons un peu des questions constitutionnelles à ce sujet pendant un instant. Vous parlez de nous déplacer d’une société qu’on a toujours connue, à laquelle on se réfère de manière pittoresque en tant que société libre, vers une société dans laquelle le gouvernement tient une liste de toutes les relations qu’un Américain entretient. Donc si vous allez nous déplacer depuis ce qu’on avait l’habitude d’appeler un société libre vers une société dans laquelle le gouvernement des États-Unis tient une liste de toutes les relations qu’a chaque Américain, quelle devrait être la procédure constitutionnelle pour faire cela ? Est-ce qu’on devrait avoir, par exemple, une loi ? » Il s’est contenté de rigoler. Car évidemment, ils n’avaient pas besoin d’une loi. Ils l’ont fait avec un communiqué de presse, publié un mercredi pluvieux, la nuit, quand tout le monde était rentré à la maison. Et vous vivez là maintenant.

La question de savoir s’il est possible d’avoir de l’innovation dans une situation de despotisme total est intéressante. Les Américains d’extrême-droite ou même de centre-droit ont longtemps mis en avant qu’un des problèmes avec le totalitarisme du XXe siècle, duquel ils se démarquent de manière légitime, c’est qu’il éliminait la possibilité de ce qu’ils appellent le marché libre et l’innovation. Nous sommes prêts à savoir s’ils avaient raison.

Le réseau, tel qu’il est maintenant, est une plateforme extraordinaire pour un contrôle social sophistiqué. Très rapidement, et sans remord visible, les deux plus gros gouvernements de la planète, celui des États-Unis et celui de la République populaire de Chine ont adopté des points de vue fondamentalement identiques (Applaudissements). Un sociogramme complet qui connecte le gouvernement à tout le monde, et une fouille de données exhaustives sur la société représentent tous les deux une politique majeure du gouvernement, par rapport aux différentes formes de gouvernement dont ils se réclament, dans le domaine du maintien de l’ordre. Il est vrai, bien sûr, qu’ils ont différentes théories sur la manière de maintenir l’ordre suivant les personnes ou la manière, mais la technologie pour le maintien de l’ordre devient fondamentalement identique.

Nous avons le devoir, nous, qui comprenons ce qui est en train de se passer, de nous exprimer haut et fort à ce sujet. Mais ce ne sont pas seulement nos libertés civiles qui sont en jeu. Je ne devrais pas avoir besoin de dire cela, ce serait déjà suffisant, mais bien sûr ça ne l’est pas. Nous avons besoin de dire clairement, que l’autre partie qui nous importe, c’est la vitalité et l’éclat de l’innovation artistique et de l’expression, ces débats vifs très ouverts faits par des participants sans entraves, ceux que la Cour suprême aime tant (…). Et cette liberté de bidouiller, d’inventer, d’être différent, d’être anti-conformiste, ce pourquoi les gens se sont toujours déplacés vers les villes qui leur fournissent l’anonymat, et une chance de vivre avec ce qu’ils sont, et ce qu’ils peuvent faire.

Ceci plus que tout est ce qui soutient la force sociale et la croissance économique au XXIe siècle. Bien sûr, on a besoin de l’anonymat pour d’autres raisons. Bien sûr, on touche ici à quelque chose qui peut être décrit correctement comme la protection pour l’intégrité de l’âme humaine. Mais ce n’est pas le souci du gouvernement. C’est précisément la beauté de notre interprétation de ce qu’est la société civile qui ne préoccupe pas le gouvernement. C’est précisément notre engagement pour l’idée qu’un individu se construit à son propre rythme, et selon sa propre manière, cela a été au centre de la façon dont on concevait notre engagement fondamentalement civil, cela veut dire que la défense pour l’intégrité de l’âme humaine est notre affaire, pas celle du gouvernement. Mais le gouvernement doit s’occuper du bien-être matériel de ses citoyens et il doit s’occuper sur le long terme du bien de la société qu’il dirige. Et on doit dire clairement au gouvernement qu’il n’y a pas de tension entre le maintien des libertés civiles sous la forme du droit à une vie privée, il n’y a pas de distinction entre la politique de liberté civile à assurer le droit à la vie privée, et la politique économique qui vise à assurer l’innovation sous l’austérité. Elles demandent la même chose.

Nous avons besoin de logiciel libre, nous avons besoin de matériel libre qu’on peut bidouiller, nous avons besoin d’un spectre d’outils libres qu’on peut utiliser pour communiquer avec chacun, sans permission ou sans entrave. Nous avons besoin d’être capables d’éduquer et de fournir un accès aux ressources éducatives à tout le monde sur la terre, sans considérer de solvabilité financière. Nous devons fournir un accès pour chaque jeune à une vie intellectuelle et indépendante de l’économie. La technologie dont nous avons besoin, nous l’avons. J’y ai passé du temps, et beaucoup de personnes dans cette pièce (…) ont passé plus de temps maintenant, à essayer de faire des serveurs économiques, efficaces, et compacts, de la taille d’un serveur pour téléphone portable, avec lesquels on peut utiliser les bons logiciels pour peupler le Net de robots qui respectent notre vie privée, au lieu des robots qui ne respectent pas la vie privée, ceux qu’on porte dans presque chaque poche.

Nous avons besoin de moderniser la première loi de la robotique dans cette société d’ici les quelques prochaines minutes, sinon on est foutus ! Nous pouvons le faire. C’est de l’innovation civile. Nous pouvons aider à prolonger la longue durée de vie des ordinateurs à usage général qu’ont peut tous hacker. En les utilisant, en en ayant besoin, en les distribuant autour de nous. Nous pouvons utiliser notre propre force de consommateurs et de technologistes pour déprécier les réseaux fermés et les objets verrouillés. Mais sans ligne de conduite claire dans les politiques publiques, nous resterons une minorité,allez, disons 8,3%, ce qui ne sera pas suffisant pour nous sortir du bourbier dans lequel les banques nous ont conduits.

L’innovation sous l’austérité est notre cri de guerre. Ce n’est pas un cri de guerre pour les choses dont on se soucie, mais pour celles dont les autres personnes se soucient, notre porte d’entrée pour les politiques sociales ces cinq prochaines années, et notre dernière chance de faire dans la gouvernance ce que nous n’avons pas réussi à faire en essayant de préserver nos simples libertés. Celles-ci ont été honteusement violées par nos amis du gouvernement, aussi bien que par nos adversaires. On s’est fait avoir, en ce qui concerne le respect de nos droits et on s’est fait avoir, en ce qui concerne l’argent de tout le monde.

J’aimerais pouvoir dire que la chose la plus simple à faire serait de reprendre notre liberté, ça ne l’est pas. Personne ne va être candidat aux élections cette année sur la seule base du rétablissement de nos libertés civiles. Mais ils parleront de l’austérité et de la croissance. Et nous devons faire porter notre message où ils seront.

Ceci est ma première ébauche. Elle est insuffisante en tous points, mais au moins c’est un point de départ. Et si nous n’avons pas de point de départ, nous perdrons. Et notre perte sera durable. Et la nuit sera très noire.

Merci beaucoup. Et maintenant discutons-en ensemble.

Notes

[1] la faille de l’homme du milieu est le nom qu’on donne en informatique à une vulnérabilité qui expose à la fuite d’informations censées êtres privées : voir cet article de Wikipédia.

Crédit photo Eben Moglen Wikimédia Creative CommonsCC-Zero




Quand la connaissance rencontre le Libre ça donne un livre exemplaire

Un livre sur la théorie homotopique des types vient d’être publié par des mathématiciens. A priori ça ne concerne que les spécialistes du sujet…

Et pourtant ça concerne tout le monde, tant sa conception originale et les leçons qui en sont tirées ci-dessous ont valeur d’exemplarité.

Du Libre à tous les étages (LaTeX, Creative Commons By-Sa…) mais surtout dans son état d’esprit de partage et de collaboration. Un projet et un article passionnants, à faire lire dans la sphère académique et bien au-delà.

Remarque : Pour commencer, on pourra voir cette courte vidéo « making-of » du livre.

Homotopy Type Theory - The team

Le livre HoTT

The HoTT book

Andrej Bauer – 20 juin 2013 – Blog personnel
(Traduction : Lgodard, Ilphrin, tcit, Guillaume, igor_d, Yaf, ronanov, fif + anonymes)

Le livre HoTT est terminé !

Depuis le printemps, et même avant, j’ai participé à un super effort collaboratif pour écrire un livre à propos de la Théorie homotopique des types (NdT : HoTT en anglais pour Homotopy Type Theory). Il est enfin terminé et accessible au public. Vous pouvez obtenir le livre librement et gratuitement. Mike Shulman a écrit à propos du contenu de ce livre, donc je ne vais pas répéter cela ici. À la place, je voudrais commenter les aspects socio-technologiques de la création du livre, et en particulier de ce que nous avons appris de la communauté open source sur la recherche collaborative.

Nous sommes un groupe de deux douzaines de mathématiciens qui avons écrit un livre de 600 pages en moins de 6 mois. C’est assez impressionnant, d’autant que les mathématiciens n’ont pas l’habitude de travailler ensemble au sein de grands groupes. Dans un petit groupe ils peuvent s’en sortir en utilisant des technologies obsolètes, comme envoyer aux autres un fichier source LaTeX par email, mais avec deux douzaines de personnes, même Dropbox ou n’importe quel autre système de synchronisation de fichier aurait échoué lamentablement. Par chance, beaucoup d’entre nous sont des chercheurs en Informatique déguisés en mathématiciens, donc nous savions comment attaquer les problèmes de logistique. Nous avons utilisé git et github.com.

Au début, il a fallu convaincre les gens, et se faire à l’outil. Malgré tout, cela n’a pas été trop difficile. À la fin, le dépôt sur le serveur n’était pas seulement une archive pour nos fichiers, mais également un point central pour notre planification et nos discussions. Durant plusieurs mois j’ai consulté GitHub plus souvent que mes emails ou Facebook. Github était mon Facebook (sans les petits chats mignons). Si vous ne connaissez rien aux outils comme git mais que vous écrivez des articles scientifiques (ou que vous créez n’importe quel type de contenu numérique) vous devriez vraiment, vraiment vous renseigner sur des systèmes de gestion de versions. Même en tant que seul auteur d’un article, vous allez gagner à apprendre comment en utiliser un, sans même parler des belles vidéos que vous pouvez produire sur la manière dont vous avez écrit votre papier.

Mais de manière plus importante, c’est l’esprit collaboratif qui imprégnait notre groupe à l’Institute for Advanced Study (Princeton) qui était incroyable. Nous ne nous sommes pas éparpillés. Nous avons discuté, partagé des idées, expliqué certains éléments les uns aux autres, et avons totalement oublié qui avait fait quoi (à tel point que nous avons dû faire des efforts pour reconstruire un historique de peur que ce ne soit oublié pour toujours). Le résultat final a été une augmentation considérable de notre productivité.

Il y a une leçon à en tirer (mis à part le fait que l’Institute for Advanced Study est évidemment le meilleur institut de recherche au monde), à savoir que les mathématiciens ont à gagner à devenir un peu moins possessifs vis-à-vis de leurs idées et leurs résultats. Je sais, je sais, une carrière académique dépend de la juste répartition des mérites de chacun et ainsi de suite, mais ce sont seulement les idiosyncrasies de notre époque. Si nous pouvons faire en sorte que les mathématiciens partagent des idées à moitié développées, ne s’inquiètent pas de savoir qui a apporté quelle contribution à un article, ou même qui en sont les auteurs, alors nous atteindrons un nouveau niveau de productivité encore jamais imaginé. Le progrès est le fait de ceux qui osent enfreindre les règles.

Les milieux de recherche vraiment ouverts ne peuvent être gênés par le copyright, les éditeurs qui s’accaparent le profit, les brevets, les secrets commerciaux, et les programmes de financement qui sont basés sur des outils de mesures de réussite défectueux. Malheureusement nous sommes tous coincés dans un système qui souffre de ces maux. Mais nous avons fait un premier pas dans la bonne direction en mettant le code source du livre disponible librement sous une licence permissive Creative Commons (la CC-By-Sa). N’importe qui peut prendre le livre et le modifier, nous envoyer des améliorations et des corrections, le traduire, ou même le vendre sans même nous donner le moindre sou (si cette dernière phrase vous a quelque peu crispé c’est que vous avez été conditionné par le système).

Homotopy Type Theory - Couverture

Nous avons décidé de ne pas faire publier le livre par un éditeur académique pour le moment car nous voulions qu’il soit accessible à tous, rapidement et sans frais. Le livre peut être téléchargé gratuitement, ou bien acheté à peu de frais avec une couverture rigide ou souple sur lulu.com (quand avez-vous pour la dernière fois payé moins de 30$ pour une monographie de 600 pages à couverture rigide ?). Une fois de plus, j’entends déjà certaines personnes dire : « oh mais un vrai éditeur universitaire est synonyme de qualité ». Cette façon de penser rappelle les arguments opposant Wikipédia et Britannica, et nous savons tous comment cette histoire s’est terminée. Oui, la bonne qualité de la recherche doit être assurée. Mais une fois que nous acceptons le fait que n’importe qui peut publier n’importe quoi sur Internet permettant au monde entier de le consulter et en faire un livre bon marché à l’air professionnel, nous réalisons rapidement que la censure n’est plus efficace. À la place, nous avons besoin d’un système décentralisé d’approbation qui ne pourrait pas être manipulé par des groupes d’intérêts spéciaux. Les choses sont en train de bouger dans cette direction, avec la création récente du Selected Papers Networks (Réseaux d’écrits sélectionnés) et d’autres projets similaires. J’espère qu’ils auront un bel avenir.

Cependant, il y a quelque chose d’autre que nous pouvons faire. C’est plus radical, mais aussi plus utile. Plutôt que de laisser les gens se contenter d’évaluer les articles, pourquoi ne pas leur donner une chance de participer et aussi d’améliorer ces articles ? Mettez tous vos articles sur GitHub et laissez les autres en discuter, poser des questions, les utiliser comme bases pour leur travail (fork), les améliorer, et vous envoyer des corrections. Est-ce que cela paraît fou? Bien sûr que oui, l‘open source paraissait également une idée folle lorsque Richard Stallman a lancé son manifeste. Soyons honnêtes, qui va vous voler votre code source LaTeX ? Il y a bien d’autres choses de valeur susceptibles d’être volées. Si vous êtes un professeur titulaire vous pouvez vous permettre d’ouvrir le chemin. Faites-vous enseigner git par vos thésards et mettez vos trucs dans un endroit public. N’ayez pas peur, ils vous ont titularisé pour que vous fassiez des choses comme ça.

Donc nous invitons tout le monde à améliorer le livre en participant sur GitHub. Vous pouvez laisser des commentaires, signaler des erreurs, et même mieux, faire des corrections par vous-même ! Nous n’allons pas nous inquiéter de savoir qui vous êtes et combien vous contribuez et qui devrait recevoir les honneurs. La seule chose qui importe est de savoir si vos contributions sont bonnes.

Ma dernière observation est à propos de la formalisation des mathématiques. Les mathématiciens aiment imaginer que leurs publications peuvent en principe être formalisées dans la Théorie des Ensembles. Ceci leur donne un sentiment de sécurité, qui n’est pas différente de celui ressenti par un croyant entrant dans une cathédrale d’âge canonique. C’est une forme de foi professée par les logiciens. La Théorie homotopique des types est un fondement alternatif à la Théorie des Ensembles. Nous revendiquons nous aussi que les mathématiques ordinaires peuvent en principe être formalisées en Théorie homotopique des types . Mais devinez quoi, vous n’avez pas à nous croire sur parole ! Nous avons formalisé les parties les plus complexes du livre HoTT et vérifié les preuves avec des assistants de preuve électroniques. Pas une fois mais deux. Et nous avons formalisé en premier lieu, puis nous avons écrit le livre car c’était plus simple de formaliser. Nous sommes gagnants sur tous les plans (s’il y a une compétition).

J’espère que le livre vous plaira, il contient une impressionnante quantité de mathématiques inédites.

Homotopy Type Theory - Tor




Éducation : priorité au logiciel libre ou respect de la « neutralité technologique » ?

On commence à connaître la chanson et elle est emblématique de l’époque actuelle : le privé qui s’alarme et demande au public de le soutenir sur le dos des biens communs.

Ici nous sommes dans le secteur sensible de l’éducation et pour refuser la priorité aux logiciels libres on est prêt à tout, comme sortir du chapeau la notion pour le moins vague et floue de « neutralité technologique » (sans oublier le FUD sur l’innovation, la croissance, la destruction d’emplois, toussa…)

Le Sénat a en effet examiné cette semaine le projet de loi sur la refondation de l’école de la République. Parmi les dispositions introduites par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, on trouve une modification apportée à l’article 101 qui donne la priorité au logiciel libre et aux formats ouverts dans le futur service public du numérique éducatif.

Pour ceux (comme l’April ou l’Aful) qui se battent depuis des années, voire des décennies, pour qu’il en soit ainsi, c’est déjà un grand pas en avant.

Un pas en avant clairement non partagé par le Syntec Numérique et l’AFINEF (Association Française des Industriels du Numérique dans l’Education et la Formation) qui ont publié dans la foulée un communiqué de presse que nous avons reproduit ci-dessous.

Dans la mesure où les communiqués de l’April, de l’Aful et du Syntec ne proposent pas d’espace de discussion sous article, nous invitons toutes celles et ceux que le sujet intéresse à intervenir dans les commentaires.

PS : Rappelons à l’occasion l’article de Richard Stallman : Pourquoi les écoles devraient utiliser le logiciel libre et l’enseigner.

Sashomasho - CC by-sa

Numérique éducatif et pédagogique : les professionnels du numérique interpellent le Gouvernement sur le respect de la neutralité technologique

CP du Syntec Numérique et l’AFINEF (22 mai 2013)

URL d’origine du document

Syntec Numérique et l’AFINEF interpellent le Gouvernement sur la mention favorisant de manière prioritaire l’utilisation de logiciels libres pour le service public du numérique éducatif, dans le projet de loi en débat ce mercredi 22 mai au Sénat sur la Refondation de l’Ecole de la République. Syntec Numérique, le syndicat professionnel des industries et métiers du numérique, et l’Association Française des Industriels de l’Education et de la Formation (AFINEF) interpellent le Gouvernement sur les dispositions modifiées du Projet de Loi de Refondation de l’Ecole de la République issues du travail en commission au Sénat, donnant la priorité à l’utilisation de logiciels libres pour le service public du numérique éducatif.

Malgré un avis défavorable du Gouvernement en commission, la rédaction retenue à l’alinéa 7 de l’article 10, « Ce service public utilise en priorité des logiciels libres et des formats ouverts de documents », porte atteinte au principe de neutralité technologique qui est la règle notamment pour la commande et l’achat publics.

Par ailleurs, le rapport annexé à la Loi à l’article 1er, définissant les moyens et les orientations de la refondation de l’école de la République mentionne que « L’incitation au développement de ressources numériques se fera notamment en faveur de contenus et de services numériques dits « libres » ».

Les professionnels du numérique regrettent que ces deux dispositions contredisent la circulaire du premier ministre du 19 septembre 2012 sur les modalités de l’utilisation des logiciels libres dans l’administration tout en portant atteinte au pluralisme des ressources informatiques.

En effet, au moment où le Gouvernement engage une politique d’aide à la création d’une filière d’acteurs français du numérique éducatif et pédagogique, ces dispositions, si elles sont définitivement adoptées, handicaperont gravement les efforts de développement de la plupart des entreprises déjà présentes sur cette filière qui n’a pas encore trouvé sa consolidation et dissuaderont de nouveaux acteurs innovants de s’y engager.

Pour les acteurs du numérique, le pluralisme et la neutralité technologique, adossés à l’interopérabilité, sont les conditions sine qua none afin de s’engager dans le développement des produits et supports technologiques pour répondre à l’enjeu essentiel de la modernisation du service public éducatif et à l’accompagnement des enseignants dans leur investissement pédagogique.

Ils souhaitent par ailleurs alerter les pouvoirs publics sur les conséquences que ces dispositions auraient sur la lisibilité de l’offre e-éducative française à l’international, notamment en direction de continents où le pluralisme et la neutralité technologique conditionnent la pénétration des marchés.

Ils soulignent enfin que ces dispositions évidement inconstitutionnelles, augmenteront le risque de recours contentieux entre les opérateurs privés du secteur et les administrations. En effet, ces dispositions rentrent en contradiction avec les principes d’égalité de traitement et de liberté d’accès à la commande publique, rappelés à l’article 1er du Code des marchés publics et qui ont acquis valeur constitutionnelle (Cons. Const. 26 juin 2003) : « Les marchés publics et les accords-cadres soumis au présent code respectent les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Ces principes permettent d’assurer l’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics. Ces obligations sont mises en œuvre conformément aux règles fixées par le présent code ».

Force est de constater que ces dispositions vont en effet à l’encontre du principe de neutralité du droit des marchés publics, qui ne permet aucunement de favoriser des opérateurs économiques au détriment d’autres. Au contraire, les règles de la commande publique ont pour objet de permettre au pouvoir adjudicateur de sélectionner l’offre économiquement la plus avantageuse, correspondant à ses besoins, après une mise en concurrence. Ainsi, écarter la fourniture de certaines solutions, en imposant un type de logiciels, violerait les principes fondamentaux de la commande publique consacrés tant au niveau français qu’européen et jamais démentis.

Syntec Numérique et l’AFINEV en appellent ainsi à la sagesse de la Haute Assemblée et au respect de la feuille de route numérique du Gouvernement, afin de soutenir une filière qui a besoin d’être stimulée par un environnement législatif et juridique stable, et non par des mesures discriminatoires infondées, pour donner la mesure de tout son potentiel, en termes d’innovation, de croissance et de création d’emplois.

Crédit photo : Sashomasho (Creative Commons By-Sa)




Former la prochaine génération de bidouilleurs libres

Comment des hackers adultes peuvent-ils s’assurer de faire émerger une nouvelle génération de hackers libres ?

La réponse d’un père de famille dynamique et avisé 😉

See-Ming Lee - CC by-sa

Former la prochaine génération de bidouilleurs open source

Growing the next generation of open source hackers

Dave Neary (Red Hat) – 26 février 2013 – OpenSource.com
(Traduction Framalang : Antoine, cherry, psychoslave, Jeff_, Eijebong, biglittledragoon, goofy, Vero, mathilde, tcit, Quentin, Metal-Mighty, jtanguy, Penguin, Pat, Asta, arnaudbey + anonymes)

En tant que père de trois enfants de 5, 7 et 10 ans, j’ai hâte de partager avec eux les valeurs qui m’ont attiré vers l’open source : partager et créer ensemble des choses géniales, prendre le contrôle de son environnement numérique, adopter la technologie comme moyen de communication plutôt qu’un média de consommation de masse. En d’autres termes :

Comment des bidouilleurs adultes peuvent-ils s’assurer de faire émerger une nouvelle génération de bidouilleurs open source ?

Une des choses que j’ai apprise est qu’il ne faut pas aller trop vite. J’ai mis mes enfants devant Scratch et Sugar à l’âge de 5 et 8 ans, et, bien qu’ils se soient amusés à changer les nombres sur un petit programme que je leur ai montré et aient aimé dessiner leurs propres voitures pour ensuite les diriger sur l’écran, ils étaient trop petits pour comprendre le concept de lier des fonctions entres elles pour arriver à obtenir des comportements plus sophistiqués.

Voici quelques-unes des leçons que j’ai apprises en tant que parent qui, je crois, peuvent être adaptées selon l’âge et les centres d’intérêt de vos enfants.

Un espace à vivre bidouillable

Nous avons encouragé nos garçons à décorer leur chambre, à organiser leurs meubles comme ils voulaient et à avoir leurs propres petits fiefs. Parfois cela nous rend complètement dingues en tant que parents, et, régulièrement, nous devons les aider à ranger, mais leur espace leur appartient.

De même, chaque enfant de plus de 7 ans peut avoir un vrai couteau qu’il peut utiliser pour tailler du bois et couper de la ficelle.

Ingénierie préscolaire

J’adore les jouets qui permettent aux enfants de donner libre cours à leur imagination. En plus c’est génial, parce qu’en tant qu’adulte, je prends autant de plaisir qu’eux à jouer ensemble ! Mes jeux de construction préférés (achetés à peu près au moment où les enfants ont l’habileté nécessaire pour les manipuler) sont les Kapla, les trains en bois, les lots de Duplo, Playmobil, Lego et les voitures Meccano.

Lego et Meccano notamment font un super boulot pour faire des kits adaptés aux enfants de tout âge. Une autre petite astuce est d’encourager le mélange et d’assembler différentes marques de jouets. Nous avons des ponts Kapla passant par-dessus des trains Ikea et des camions Lego qui transportent des personnages Playmobil.

Les Kapla aussi sont très intéressants. Ce sont des planchettes en bois découpées selon des proportions très précises ; elles sont trois fois plus larges qu’épaisses, et cinq fois plus longues que larges. Avec ces simples proportions et la précision des découpes, il est possible de construire des objets très complexes, comme la Tour Eiffel ou une maison Kapla.

Se lancer dans l’électronique

Nous avons un kit Arduino, et mon aîné commence à avoir le niveau pour comprendre comment câbler un circuit, mais il n’a pas encore découvert comment programmer dans le dialecte C propre à Arduino.

Mais même avant quelque chose de ce genre, les arts et les activités artisanales sont un excellent entraînement pour le DIY (NdT : Do It Yourself, c’est-à-dire « Faites-le vous-même »), et nous avons toujours quelques bâtonnets de glaces ou des pinces à linge et un pistolet à colle pour des cadeaux « faits main ».

Puis vous pouvez laisser traîner des tournevis, pinces, multimètres et autres fers à souder, pour que les enfants puissent désosser leurs vieux jouets, ou des appareils électroniques cassés, réparer les choses par eux-mêmes avec de simples circuits électriques, lorsque que quelque chose ne marche pas, et récupérer des pièces détachées pour les intégrer dans leurs futurs projets. Une supervision parentale est recommandée avec le fer à souder jusqu’à ce qu’ils maîtrisent son utilisation.

Apprendre aux enfants à bidouiller

J’adorerais entendre parler de ressources pour que les enfants apprennent à maîtriser la programmation ! Je connais l’existence de la Code Academy et la Khan Academy qui apprennent aux enfants à coder ; et Scratch and Sugar, que j’ai déjà mentionné.

Merci de partager vos propres conseils sur la manière d’endoctriner la prochaine génération de bidouilleurs open source !

Crédit photo : See-Ming Lee (Creative Commons By-Sa)




La génération GitHub

GitHub a beau être une plateforme non libre de projets libres, force est de constater que cette « forge sociale » est devenue en quelques années l’un des centres névralgiques de la communauté.

Avec sa facilité d’usage, son appel permanent au fork et l’individuation des contributions, GitHub a permis a plus de monde de participer tout en ouvrant le Libre au delà du logiciel puisqu’il n’y a pas que du code proprement dit dedans (cf la liste de l’article traduit ci-dessous).

À tel point que certains n’hésitent pas à y voir un modèle pertinent pour toutes sorte de choses à commencer par la… démocratie !

Et si une génération toute entière était effectivement en train de naître sous nos yeux ?

GitHub

La génération Github : Pourquoi vous et moi pouvons désormais faire de l’Open Source

The GitHub Generation: Why We’re All in Open Source Now

Mikeal Rogers – 7 mars 2013 – Wired Opinion
(Traduction : Moosh, Sphinx, Peekmo, Chopin, goofy, misc, Uflex + anonymes)

GitHub a été conçu pour être une plate-forme de collaboration logicielle ouverte, mais c’est devenu une plate-forme pour déposer beaucoup plus de choses que du simple code. Elle est maintenant utilisée par des artistes, des créateurs, des propriétaires de maisons et des tas d’autres gens, par des entreprises entières… et même par des municipalités.

« N’importe qui peut maintenant changer les données quand de nouvelles pistes cyclables sont aménagées, quand de nouvelles routes sont construites ou quand de nouveaux immeubles sont construits » a annoncé récemment la ville de Chicago. Les gens planifient leurs projets de rénovation de maison sur GitHub. Un cabinet d’avocats a annoncé il y a quelques jours qu’il postait des documents juridiques pour des start-ups sur GitHub. Quelqu’un a même publié toutes les lois d’Allemagne sur GitHub l’année dernière (avec, s’il vous plaît, déjà 17 pull requests pour des modifications).

Bien sûr, GitHub reste majoritairement toujours utilisé par les programmeurs et développeurs qui font voler des AR.Drones avec Node.js ou construisent des sites web avec jQuery. Mais de plus en plus de gens passent de consommateurs à producteurs, et ils redéfinissent ainsi la culture de l’open source. Je crois que GitHub transforme l’open source comme l’internet a transformé l’industrie de la publication : un fossé culturel est en train de se creuser entre l’ancienne génération de gros projets libres et la nouvelle génération d’amateurs de projets libres d’aujourd’hui.

La révolution ne sera pas centralisée

Quand la plupart des gens entendent « open » source, ils pensent démocratie, distribution, égalité : tout le monde construit des choses pour que tout un chacun les utilise.

Mais cela n’a pas toujours été le cas. La plupart des logiciels open source ont été créés et maintenus par une classe privilégiée et protégée, les développeurs professionnels, qui interagissaient avec d’autre développeurs très semblables (ils sont pourtant suffisamment différents pour avoir de belles disputes).

Avant GitHub, je passais beaucoup de temps à penser et à discuter de la meilleure façon de gérer des projets open source parce que la coordination représentait un coût important d’un projet open source. Si important que lorsqu’un projet réussissait et développait une communauté assez grande, il était logique que le projet grandisse plutôt qu’il ne se fracture en projets plus petits. Mais plus le projet du logiciel devenait grand et complexe, plus il était difficile d’y contribuer. Ainsi, un choix de membres, les commiters – étaient assignés à la gestion et à la production du projet. Cela menait souvent à des ruptures séparant ceux qui produisaient le projet et ceux qui les utilisaient.

GitHub a comblé ce fossé en faisant de l’open source quelque chose de bien plus décentralisé. C’est devenu davantage centré sur les individus que sur le projet.

La façon d’utiliser GitHub est trés personnelle. Une personne (je suis github.com/mikeal) a un compte, et tout ce qu’elle publie existe à un niveau en dessous d’elle. Si quelqu’un veut corriger quelque chose, il suffit de « forker » le projet, ce qui place une copie sous son propre compte.

Cette façon de travailler est trés stimulante : elle encourage les individus à corriger les problèmes et à prendre possession des correctifs au même niveau que le projet de départ. Cela donne également à chacun une identité dans cette nouvelle culture du libre. GitHub est actuellement le premier fournisseur d’identité pour la production collaborative sur internet pour faire plus que du développement de code.

J’ai contribué à des projets libres depuis plus de 10 ans, mais ce qui est différent maintenant est que je ne suis pas un membre d’un de ces projets, je suis un simple utilisateur, et contribuer un peu est devenu une petite partie du rôle d’un utilisateur. Des petites interactions entre moi et les mainteneurs de projets arrivent plusieurs fois par semaine sur tout type de projet que j’utilise. Et ça arrive encore plus souvent dans l’autre sens : des gens dont je n”ai jamais entendu parler m’envoient des petits bouts de code sur les petits projets que j’ai publiés.

La décentralisation comme démocratie

Les premières versions de GitHub ont très bien fait une chose : rendre la publication de votre code beaucoup plus facile (que la non-publication). Ceci était suffisant pour que beaucoup de projets connus, notamment Ruby on Rails, migrent sur GitHub presque immédiatement.

Mais ce qui s’est passé après est encore plus intéressant : les gens ont commencé à tout publier sur GitHub. Pousser du code est presque devenu une habitude, comme tweeter. En abaissant la barrière pour entrer et rendant plus facile la contribution à l’open source, GitHub a élargi la production collaborative aux utilisateurs occasionnels.

Aujourd’hui un vaste choix de logiciels simples et compréhensibles est accessible à une catégorie de gens créatifs qui n’avaient jusqu’alors pas les compétences techniques requises pour participer à des projets open source par le passé.

Ce mélange des relations entre les producteurs, les contributeurs et les consommateurs valorise naturellement les projets plus petits et plus faciles à comprendre — et a conduit à de nombreuses contributions. Au cours du mois de septembre 2012 par exemple, la moitié des utilisateurs actifs de GitHub qui ont poussé au moins un changeset, l’ont fait moins de cinq fois, avec 22% (environ 44 000 personnes) qui ont poussé seulement un seul changeset ce mois-ci.

L’accès de l’open source aux amateurs présente certains avantages évidents.

Faciliter les usages

Un des problèmes récurrents, avec le logiciel open source, a été la qualité des finitions. La documentation, le design des sites web et l’ergonomie en général ont toujours été un problème — spécialement par rapport à de nombreux concurrents propriétaires.

Mais maintenant, avec les facilités de collaboration, des utilisateurs moins portés sur la technologie et la connaissance du code peuvent plus facilement participer à améliorer les logiciels sur lesquels ils travaillent (ce qui peut être des petites choses comme l’humanisation des messages d’erreur de codage ou de légers changements graphiques en une ligne de CSS qui optimisent le rendu des sites web des navigateurs, anciennes versions incluses, et sur les téléphones mobiles).

Dans le nouvel open source, les gens veulent utiliser la technologie sans avoir besoin de devenir des experts. La facilité d’utilisation est plus valorisée que jamais.

Éviter de réinventer la roue

Les développeurs aiment les défis et plus ils ont de chances de les relever, plus leurs solutions peuvent être astucieuses. C’était parfait lorsque les utilisateurs de ces solutions étaient eux aussi des gens très compétents techniquement comme ceux qui prenaient plaisir à résoudre astucieusement ces anciens problèmes.

Mais les amateurs préfèrent les solutions qu’ils peuvent tenir pour acquises : une fois qu’un problème est résolu, ils reviennent rarement en arrière pour le réexaminer. Et dans la mesure où les amateurs ne créeront qu’à partir des solutions les plus compréhensibles, cela contraint les développeurs à élaborer des solutions simples qui rendent les problèmes complexes plus faciles à appréhender.

Soutenir un écosystème plus vaste

Node.js, projet dans lequel je suis activement impliqué, définit des modèles suffisamment simples pour que les gens puissent écrire de petites bibliothèques indépendantes et les publier à leur gré. Tous ceux qui s’impliquent dans l’écosystème peuvent en tirer profit sans coordination. C’est le pôle inverse de l’énorme pile verticale qui accompagne des tas d’outils et fonctionnalités (tels que dans les systèmes intégrant des plugins, comme Ember, Dojo et YUI) qui sont nécessaires pour réussir à développer dans des environnement propriétaires (pensez à Cocoa et au développement pour iOS). Dans les environnements ouverts, tels que Node.js sur GitHub, nous constatons que des API bien plus légères peuvent facilement tirer parti du reste de l’écosystème sans coordination. Moins il y a de coordination entre les développeurs et les bibliothèques et plus nous pouvons créer de la valeur.

GitHub a donné les capacités à une nouvelle génération de collaborer, de créer, de produire. Beaucoup de développeurs regretteront l’abandon des normes culturelles précédentes, telles que le statut des commiters (ceux qui sont autorisés à envoyer le code sur le dépôt) ou la bonne vieille guerre pour le choix de la bonne licence — mais l’avenir est déjà entre les mains d’une nouvelle génération qui a évolué.

Ce n’est pas un simple outil : c’est à la naissance d’une nouvelle culture à laquelle nous assistons.




Les lunettes Google Glass ou la fin définitive de notre vie privée ?

Google Glass c’est le projet Google de lunettes révolutionnaires à réalité augmentée. On nous promet leur commercialisation avant la fin de l’année. Une vidéo spectaculaire a été publiée récemment. Si vous ne l’avez pas encore vue, nous vous invitons à le faire car vous allez mieux comprendre la traduction qui suit.

Bientôt donc vous retrouverez quelque part avec des gens qui porteront ces lunettes. À tout moment, ceux-ci peuvent vous filmer à votre insu et mettre en ligne en temps réel la vidéo sur YouTube, non sans qu’un système automatisé de reconnaissance faciale et de tags vous ait peut-être identifié au passage !

Ce n’est plus de la science-fiction et comme Google n’est pas une entreprise philanthropique, on imagine sans peine l’impact majeur d’une telle innovation sur notre vie privée et le devenir de nos données personnelles.

Max Braun - CC by-sa

Gare aux Google Glasses !

Watch Out for Google Glasses

Anton Wahlman – 25 février 2013 – TheStreet.com
(Traduction : jtanguy, 3wen, Benoît, Jeanba88, misterk, goofy + anonymes)

D’ici la fin de cette année, notre société va subir un changement très particulier, qui va susciter beaucoup de controverses. La cause ? Les Google Glasses.

Les Google Glasses vont impacter les comportements sociaux dès leur mise en circulation. Au moment où vous les apercevez, vous savez que vous pouvez être filmé. Et les gens n’aiment pas être filmés.

Bien sûr, tous les smartphones peuvent enregistrer des vidéos et prendre des photos. Mais vous savez quand ça arrive. Vous n’avez pas constamment l’impression que tout le monde autour de vous est en train de vous filmer sous tous les angles. Vous les voyez faire quand ils le font.

Les Google Glasses sont différentes. Au-delà des photos et des vidéos, qu’advient-il de ces données ?

Imaginons que je sois derrière le guichet d’une entreprise : banque, restauration rapide, guichet d’enregistrement à l’aéroport, peu importe. Mes Google Glasses pourraient afficher le numéro de sécurité sociale, le casier judiciaire, la présence sur les réseaux sociaux, etc. de la personne en face de moi.

C’est peut-être un progrès pour certains mais d’autres trouveront cela terrifiant. Pouvez-vous imaginer la scène dans un bar où les gens commencent à porter des Google Glasses ? En l’espace d’une seconde ou deux, vous aurez toutes les informations disponibles à propos de la personne en face de vous. Et certaines de ces informations pourraient ne pas être flatteuses.

Les lieux publics devront élaborer de nouvelles politiques. Hôtels, aéroports, restaurants, salles de sport et écoles voudront avoir leur mot à dire concernant le port des Google Glasses dans leurs locaux. Vous pourrez entendre les tollés dès que les premières images de gens trichant dans les écoles, ou filmant dans les vestiaires seront publiées sur YouTube. De futurs conflits vont certainement très mal tourner.

D’autre dimensions du problème apparaissent aussitôt. Que se passera-t-il si les versions futures des Google Glass deviennent très difficiles à distinguer des lunettes traditionnelles ?

Aujourd’hui, que se passe-il si vous pénétrez dans un établissement en tenant une caméra qui filme les visages des gens, dans un restaurant, une banque ou une salle de sport ? On vous demandera d’éteindre votre caméra, et si vous n’obéissez pas rapidement, on vous jettera dehors.

Les Google Glasses vont rendre les interactions publiques et sociales très délicates car vous prenez le risque potentiel d’être sur YouTube quel que soit l’endroit où vous allez. Quelques mois après leur arrivée sur le marché, les Google Glasses pourraient être déjà si répandues que vous serez filmé dès que vous pointerez le nez dehors.

Défenseurs de la vie privée, en avant !

Les données photos et vidéos des Google Glasses ne vont pas être utilisées seulement par la personne qui porte les lunettes. La personne qui prend ces images voudra peut-être « taguer automatiquement » ces médias avec l’identité des personnes dans la photo ou vidéo.

Il y a des gens qui préfèrent passer sous les radars. Ils payent en liquide, n’utilisent pas de GPS en voiture, n’ont pas de téléphone, et ne sont membres d’aucun réseau social en ligne. Ils ont réussi à rester en-dehors de la plupart des bases de données disponibles publiquement.

Une fois qu’une partie significative de la population aura commencé à déambuler dans les rues avec des Google Glasses, ils ne le pourront plus vraiment. Il n’y aura plus de place pour se cacher, à moins que les gouvernements ne légifèrent sur ces Google Glasses, ou que les établissements privés décident de les interdire.

Qu’en est-il de Google lui-même ?

Les Google Glasses deviendront une arme décisive dans la guerre imminente pour les données personnelles. Si d’autres personnes les utilisent, pourquoi pas moi ? Je prédis que toutes les personnes avec suffisamment de moyens vont se ruer pour en obtenir, surtout si le prix baisse de 1 500$ à 1 000$, puis à 500$ et finalement en-dessous, lors des deux premières années de commercialisation.

Si Google arrive à sortir ce genre de lunettes avant ses concurrents directs, non seulement Apple, mais aussi Microsoft, son avance pourrait bien être décisive. Google possède déjà 70% des parts de marché des smartphones avec Android, donc il est plutôt bien parti, mais n’oublions pas que la part de marché des PC de Microsoft atteignait 95% il y a seulement quelques années.

Comme Google va probablement inventer un lien fort entre les Google Glasses et les smartphones Android, les Google Glasses vont être une véritable aubaine pour Android. N’importe qui regardera son iPhone et devra sérieusement envisager de passer à Android.

Les Google Glasses risquent de causer un chaos social, mais elles vont être très bénéfiques pour les finances de Google.

Crédit photo : Max Braun (Creative Commons By-Sa)




Débat : 9 points (ou tabous ?) jamais (ou rarement) discutés dans le logiciel libre

Nous traduisons souvent Bruce Byfield, libre penseur du logiciel libre, sur le Framablog.

A-t-il raison d’affirmer qu’il est des sujets pour ainsi dire tabous dans la communauté et surtout que la situation a évolué, n’en déplaise à certains ?

Laëtitia Dulac - CC by

Neuf choses dont on ne discute jamais sur l’open source

9 Things That Are Never Admitted About Open Source

Bruce Byfield – 22 janvier 2013 – Datamation
(Traduction : Moosh, brandelune, Sky, ehsavoie, Astalaseven, petit bonhomme noir en haut à droite, mike, goofy, KoS, Mowee, arcady, maxlath, Astalaseven, mariek, VifArgent, Rudloff, VIfArgent, Penguin, peupleLa, Vilrax, lamessen + anonymous)

Quels sont les sujets tabous dans l‘open source de nos jours ? Certains peuvent se deviner mais d’autres pourraient bien vous surprendre.

On pourrait penser qu’un groupe de personnes intelligentes comme les membres de la communauté des logiciels libres et open source (NdT : FOSS pour Free and Open Source Software) seraient sans tabous. On pourrait s’attendre à ce qu’un tel groupe d’intellectuels juge qu’aucune idée n’est interdite ou gênante – mais ce serait une erreur.

Comme toute sous-culture, la communauté FOSS est cimentée par des croyances. Ces croyances contribuent à bâtir une identité commune : par conséquent, les remettre en cause revient à remettre en cause cette identité.

Certains de ces sujets tabous peuvent saper des évidences admises depuis vingt ans ou plus. D’autres sont nouveaux et contestent des vérités communément acceptées. Quand on les examine, on s’aperçoit que chacun d’entre eux peut être aussi menaçant que la déclaration de valeurs communes peut être rassurante.

Pourtant, même s’il est inconfortable d’interroger ces tabous, il est souvent nécessaire de le faire. Les croyances peuvent perdurer longtemps après le temps où elles s’appliquaient, ou après avoir dégénéré en semi-vérités. Il est utile de temps en temps de penser l’impensable, ne serait-ce que pour mettre ces croyances en phase avec la réalité.

Suivant cette logique, voici neuf observations sur l‘open source qui nécessitent selon moi un nouvel examen.

1. Ubuntu n’est plus le dernier grand espoir de l’open source

Quand Ubuntu est apparue il y a neuf ans, nombreux sont ceux qui l’ont considérée comme la distribution qui mènerait la communauté à dominer le monde. Débarquant de nulle part, Ubuntu s’est immédiatement concentrée sur le bureau comme aucune autre distribution avant elle. Des outils et des utilitaires furent ajoutés. De nombreux développeurs Debian trouvèrent un travail chez Canonical, la branche commerciale d’Ubuntu. Des développeurs virent leurs frais payés pour des conférences auxquelles ils n’auraient pas pu se rendre autrement.

Au fil du temps, une bonne partie de l’enthousiasme initial est retombée. Personne ne semble s’être intéressé à la demande de Mark Shuttleworth, le fondateur d’Ubuntu, à ce que les principaux projets coordonnent leurs cycles de livraison ; ils l’ont tout simplement ignorée. Mais on a vu des sourcils se froncer lorsqu’Ubuntu a commencé à développer sa propre interface plutôt que de contribuer à GNOME. Canonical a commencé à contrôler ce qui se passait dans Ubuntu, apparemment pas pour l’intérêt général mais surtout pour la recherche de profits. Nombreux, aussi, furent ceux qui n’apprécièrent pas l’interface d’Ubuntu, Unity, à sa sortie.

Pourtant, à écouter les employés de Canonical, ou les bénévoles Ubuntu, on aurait presque l’impression qu’il ne s’est rien passé pendant ces neuf dernières années. Lisez notamment le blog de Shuttleworth ou ses déclarations publiques : il se donne le rôle de figure de proue de la communauté et déclare que les « hurlements des idéologues » finiront par cesser devant son succès.

2. Le « cloud computing » sape les licences libres

Il y a sept ans, Tim O’Reilly affirmait que les licences libres étaient devenues obsolètes. C’était sa manière un peu dramatique de nous prévenir que les services en ligne mettent à mal les objectifs du logiciel libre. Comme le logiciel, le cloud computing offre aux utilisateurs l’usage gracieux des applications et du stockage, mais sans aucune garantie ou contrôle quant à la vie privée.

La Free Software Foundation (NdT : Fondation pour le Logiciel Libre) répondit à la popularité grandissante du cloud computing en dépoussiérant la GNU Affero General Public License, qui étend les idéaux du FOSS au cloud computing.

Après cela, pourtant, les inquiétudes à propos de la liberté logicielle au sein du cloud ont faibli. Identi.ca fut créé comme une réponse libre à Twitter, et MediaGoblin développé comme l’équivalent libre d’Instagram ou de Flickr, mais ce genre d’efforts est occulté par la compétition. On n’a pas mis l’accent sur l’importance des licences libres ou du respect de la vie privée dans le cloud.

Par conséquent, les avertissements de O’Reilly sont toujours aussi pertinents de nos jours.

3. Richard Stallman est devenu un atout contestable

Le fondateur de la Free Software Foundation et le moteur derrière la licence GNU GPL, Richard M. Stallman, est une des légendes des logiciels libres et open source. Pendant des années, il a été l’un des plus ardents défenseurs de la liberté du logiciel et la communauté n’existerait probablement pas sans lui.

Ce que ses supporters rechignent à admettre, c’est que la stratégie de Stallman a ses limites. Nombreux sont ceux qui disent que c’est un handicapé social, et que ses arguments se basent sur la sémantique — sur les mots choisis et comment ils influencent le débat.

Cette approche peut être éclairante. Par exemple, lorsque Stallman s’interroge sur l’analogie entre le partage de fichiers et les pillages perpétrés par les pirates, il révèle en fait le parti-pris que l’industrie du disque et du cinéma tente d’imposer.

Mais, malheureusement, c’est à peu près la seule stratégie de Stallman. Il dépasse rarement ce raisonnement qu’il utilise pour fustiger les gens, et il se répète même davantage que des personnes qui passent leur temps à faire des discours. Il est perçu de plus en plus, par une partie de la communauté, comme quelqu’un hors de propos voire même embarrassant. Comme quelqu’un qui fut efficace… mais ne l’est plus. Il semble que la communauté a du mal à admettre l’idée que Stallman a eu un impact certain pendant des années, mais qu’il est moins utile aujourd’hui. Soit il est défendu férocement pour son passé glorieux, soit il est attaqué comme un usurpateur parasite. Je crois que les affirmations concernant ce qu’il a accompli et son manque d’efficacité actuel sont vraies toutes les deux.

4. L’open source n’est pas une méritocratie

L’une des légendes que les développeurs de logiciels libres aiment à se raconter est que la communauté est une méritocratie. Votre statut dans la communauté est censément basé sur vos dernières contributions, que ce soit en code ou en temps.

L’idée d’une méritocratie est très attirante, en cela qu’elle forme l’identité du groupe et assure la motivation. Elle encourage les individus à travailler de longues heures et donne aux membres de la communauté un sentiment d’identification et de supériorité.

Dans sa forme la plus pure, comme par exemple au sein d’un petit projet où les contributeurs ont travaillé ensemble pendant de nombreuses années, la méritocratie peut exister.

Mais le plus souvent, d’autres règles s’appliquent. Dans de nombreux projets, ceux qui se chargent de la documentation ou bien les graphistes sont moins influents que les programmeurs. Bien souvent, vos relations peuvent influencer la validation de votre contribution au moins autant que la qualité de votre travail.

De même, la notoriété est plus susceptible d’influencer les décisions prises que le grade et les (surtout si elles sont récentes) contributions. Des personnes comme Mark Shuttleworth ou des sociétés comme Google peuvent acheter leur influence sur le cours des choses. Des projets communautaires peuvent voir leurs instances dirigeantes dominées par les sponsors privés, comme c’est de fait le cas avec Fedora. Bien que la méritocratie soit l’idéal, ce n’est presque jamais la seule pratique.

5. L’open source est gangrené par un sexisme systémique

Une autre tendance qui plombe l’idéal méritocratique est le sexisme (parfois sour la forme de la misogynie la plus imbécile) que l’on trouve dans quelques recoins de la communauté. Au cours des dernières années, les porte-parole du FOSS ont dénoncé ce sexisme et mis en place des règles officielles pour décourager quelques uns de ses pires aspects, comme le harcèlement pendant les conférences. Mais le problème demeure profondément ancré à d’autres niveaux.

Le nombre de femmes varie selon les projets, mais 15 à 20 pour cent peut être considéré comme un chiffre élevé pour un projet open source. Dans de nombreux cas, ce nombre est en dessous des cinq pour cent, même en comptabilisant les non-programmeurs.

De plus les femmes sont sous-représentées lors des conférences, à l’exception de celles où les femmes sont activement encouragées à faire part de leurs propositions (ces efforts entraînent, inévitablement, leur lot d’accusations quant à des traitements spéciaux et des quotas, quand bien même aucune preuve ne peut être avancée).

La plus grande évidence de sexisme se produit quotidiennement. Par exemple, Slashdot a récemment publié un entretien avec Rikki Ensley, membre de la communauté USENIX. Parmi les premiers commentaires, certains se référaient à une chanson populaire dont le refrain mentionne le prénom Rikki. D’autres discutent de son apparence et lui donnent des conseils pour avoir l’air plus « glamour ».

On assiste à des réactions du même ordre, et bien d’autres pires encore sur de nombreux sites dédiés au monde du libre ou sur IRC, dès qu’une femme apparaît, surtout s’il s’agit d’une nouvelle venue. Voilà qui dément les affirmations d’une communauté qui prétend ne s’intéresser qu’aux seules contributions, ou encore l’illusion que la sous-représentation des femmes serait simplement une question de choix individuels.

6. Microsoft n’est plus l’ennemi irréductible du logiciel libre

Il y a à peine plus d’une dizaine d’années, vous pouviez compter sur Microsoft pour traiter le monde du Logiciel Libre de « communiste » ou « anti-Américain », ou sur leurs intentions parfois divulguées dans la presse de vouloir détruire la communauté.

Une grande partie de la communauté s’accroche encore à ces souvenirs. Après tout, rien ne rassemble plus les gens qu’un ennemi commun, puissant et inépuisable.

Mais ce dont la communauté ne se rend pas compte, c’est que la réaction de Microsoft est devenue plus nuancée, et qu’elle varie d’un service à l’autre au sein de l’entreprise.

Nul doute que les dirigeants de Microsoft continuent de voir le logiciel libre comme un concurrent, bien que les dénonciations hautes en couleur aient cessé.

Cependant, Microsoft a pris conscience que, compte-tenu de la popularité du logiciel libre, les intérêts à court terme de l’entreprise seraient mieux servis si elle s’assurait que les outils libres (en particulier les langages de programmation les plus populaires) fonctionnent correctement avec ses propres produits. C’est d’ailleurs la mission principale du projet Microsoft Open Technologies. Récemment, Microsoft est même allé jusqu’à publier une courte déclaration faisant l’éloge de la dernière version de Samba, qui permet l’administration des serveurs Microsoft depuis Linux et les systèmes Unix (NdT : Voir aussi cette FAQ en français publiée par Microsoft).

Bien sûr, il ne faut pas non plus s’attendre à voir Microsoft devenir une entreprise open source ou faire des dons désintéressés d’argent ou de code à la communauté. Mais, si vous faites abstraction des vieux antagonismes, l’approche égoïste de Microsoft à l’égard du logiciel libre n’est pas très différente de nos jours de celle de Google, HP, ou n’importe quelle autre entreprise.

7. L’innovation des interfaces stagne

En 2012, nombreux furent ceux qui n’ont pas adopté GNOME 3 et Unity, les deux dernières interfaces graphiques majeures. Cet abandon fut largement lié à l’impression que GNOME et Ubuntu ignoraient les préoccupations des utilisateurs et qu’ils imposaient leur propre vision, sans concertation.

À court terme, cela a mené à la résurrection de GNOME 2 sous des formes variées.

En tant que prédécesseur de GNOME 3 et de Unity, GNOME 2 fut un choix évident. C’est une interface populaire qui n’impose que peu de restrictions aux utilisateurs.

Quoi qu’il en soit, cela risque d’être, à long terme, étouffant pour l’innovation. Non seulement parce que le temps passé à ressuciter GNOME 2 n’est pas mis à profit pour explorer de nouvelles voies, mais parce que cela semble être une réaction à l’idée même d’innovation.

Peu sont ceux, par exemple, qui sont prêts à reconnaître que GNOME 3 ou Unity ont des fonctionnalités intéressantes. Au contraire, les deux sont condamnés dans leur ensemble. Et les développements futurs, tels l’intention de GNOME de rendre la sécurisation et la confidentialité plus simples, n’ont pas reçu l’attention qu’ils méritaient.

Au final, au cours des prochaines années, l’innovation en sera probablement réduite à une série de changements ponctuels, avec peu d’efforts pour améliorer l’ergonomie dans son ensemble. Même les développeurs hésiteront à tenter quoi que ce soit de trop différent, afin d’éviter le rejet de leurs projets.

Je me dois d’applaudir le fait que les diverses résurrections de GNOME 2 marquent le triomphe des requêtes des utilisateurs. Mais le conservatisme qui semble accompagner ces aboutissements m’inquiète : j’ai bien peur que cette victoire n’engendre d’autres problèmes tout aussi importants.

8. L’open source est en train de devenir une monoculture

Ses partisans aiment à revendiquer que l’un des avantages du logiciel libre et open source, c’est d’encourager la diversité. À la différence de Windows, les logiciels libres sont supposés être plus accueillants pour les idées nouvelles et moins vulnérables aux virus, la plupart des catégories de logiciels incluant plusieurs applications.

La réalité est quelque peu différente. À la lecture d’une étude utilisateurs vous remarquerez un modèle plutôt constant : une application ou technologie recueille 50 à 65% des votes, et la suivante 15 à 30%.

Par exemple, parmi les distributions, Debian, Linux Mint et Ubuntu, qui utilisent toutes le format de packet en .DEB, recueillent 58% du choix des lecteurs 2012 du Linux Journal, que l’on peut comparer aux 16% recueillis par Fedora, openSUSE, et CentOS, qui utilisent quant à elles le format .RPM.

De même, Virtualbox atteint 56% dans la catégorie « Meilleure solution de virtualisation », et VMWare 18%. Dans la catégorie « Meilleure gestion de versions », Git recueille 56% et Subversion 18%. La catégorie la plus asymétrique est celle des « Suites bureautiques » dans laquelle LibreOffice recueille 73% et (sic) Google Docs 12%.

Il n’y avait que deux exceptions à cette configuration. La première était la catégorie « Meilleur environnement de bureau », dans laquelle la diversification des dernières années était illustrée par les scores de 26% pour KDE, 22% pour GNOME 3, 15% pour GNOME 2 et 12% pour Xfce. La deuxième catégorie était celle de « Meilleur navigateur web »dans laquelle Mozilla Firefox recueillait 50% et Chromium 40%.

De manière générale, les chiffres ne rendent pas compte d’un monopole, mais dans la plupart des catégories, la tendance est là. Au mieux, on pourrait dire que, si la motivation n’est pas le profit, le fait d’être moins populaire n’implique pas que l’application va disparaître. Mais si la concurrence est saine, comme tout le monde aime à le dire, il y a tout de même des raisons de s’inquiéter. Quand on y regarde de près, les logiciels libres sont loin d’être aussi diversifiés que ce que l’on croit.

9. Le logiciel libre est bloqué si près de ses objectifs

En 2004, les logiciels libres et open source en étaient au stade où ils couvraient la plupart des usages de base des utilisateurs : envoi de courriels, navigation sur internet et la plupart des activités productives sur ordinateur. En dehors des espoirs de disposer un jour d’un BIOS libre, il ne manquait plus que les pilotes pour les imprimantes 3D et les cartes WiFi pour atteindre l’utopie d’un système informatique entièrement libre et open source.

Neuf ans plus tard, de nombreux pilotes libres de carte WiFi et quelques pilotes libres de cartes graphiques sont disponibles – mais nous sommes loin du compte. Pourtant la Free Software Foundation ne mentionne que rarement ce qui reste à faire, et la Linux Foundation ne le fait pratiquement jamais, alors même qu’elle sponsorise l’OpenPrinting database, qui liste les imprimantes ayant des pilotes libres. Si l’on combinait les ressources des utilisateurs de Linux en entreprise, on pourrait atteindre ces objectifs en quelques mois, pourtant personne n’en fait une priorité.

Admettons que certaines entreprises se préoccupent de leur soi-disant propriété intellectuelle sur le matériel qu’elles fabriquent. Il est possible également que personne ne veuille courir le risque de fâcher leurs partenaires commerciaux en pratiquant la rétroingénierie. Pourtant, on a bien l’impression que l’état actuel de statu quo persiste parce que c’est déjà bien assez, et que trop peu de personnes ont à cœur d’atteindre des objectifs dont des milliers ont fait le travail de leur vie.

Des discussions, non des disputes

Certains ont peut-être déjà conscience de ces sujets tabous. Cependant, il est probable que chacun trouvera dans cette liste au moins un sujet pour se mettre en rogne.

Par ailleurs, mon intention n’est pas de mettre en place neuf aimants à trolls. Même si je le voulais, je n’en aurais pas le temps.

Ces lignes sont plutôt le résultat de mes efforts pour identifier en quoi des évidences largement admises dans la communauté devraient être remises en question. Je peux me tromper. Après tout, je parle de ce que j’ai pris pour habitude de penser, moi aussi. Mais au pire, cette liste est un bon début.

Si vous pensez qu’il y a d’autres sujets tabous à aborder et à reconsidérer au sein de la communauté des logiciels libres et open source, laissez un commentaire. Cela m’intéresse de voir ce que je pourrais avoir oublié.

Crédit photo : Laëtitia Dulac (Creative Commons By)




MakerPlane : quand l’open source prend son envol dans l’aviation

Cette décennie est et sera marquée par le développement tous azimut du matériel libre.

Sera-t-on à terme capable de réellement modifier la donne dans le secteur industriel ?

Difficile à dire aujourd’hui mais rien n’empêche d’essayer, d’explorer, de bidouiller, même dans les secteurs les plus fous comme l’aviation…

MakerPlane

MakerPlane : L’open source prend son envol dans l’aviation

MakerPlane: Open source takes flight in aviation

Ted Brunell – 7 janvier 2013 – OpenSourceWay
(Traduction : tibs, Kenoris, RavageJo, KoS, ehsavoie, goofy, lamessen + anonymous)

J’ai parlé avec John Nicol du projet MakerPlane à propos de leur équipe passionnée de contributeurs des quatres coins du monde qui conçoivent et construisent un ULM biplace complet. Leur objectif est de « créer des avions innovants et de changer la donne dans l’avionique et ses systèmes connexes ainsi que dans les procédés de fabrication ».

Quand avez vous entendu parler de l’open source pour la première fois, et qu’est-ce qui vous a le plus impressionné à propos de celui-ci ?

J’ai évolué dans l’industrie de haute technologie depuis plus de 20 ans, à des postes différents, comme vice-président de la branche ingénierie d’une entreprise cotée au NASDAQ à Fremont (Californie), et PDG de mes propres entreprises en Nouvelle-Zélande et au Canada. J’ai donc été confronté à l’open source depuis un certain temps. J’ai utilisé et développé des logiciels et ressources open source tout au long de ma carrière et je continue à le faire pour un autre projet que je mène actuellement (je ne veux pas vendre la mèche, mais j’espère pouvoir publier des logiciels de modélisation 3D open source l’année prochaine).

Ce qui m’impressionne le plus, c’est qu’une communauté intéressée peut grandir et stimuler l’innovation de manière exponentielle. Elle peut devenir autonome et, dans de bonnes conditions, peut être très prolifique. Ce que je veux dire, c’est que de nouveaux développeurs motivés peuvent toujours prendre le relais et apporter de la fraîcheur au logiciel ou au système en cours de développement. Bien sûr, la communauté est la clé de ce genre de projet et c’est là que tout se joue : l’open source peut survivre en dehors des entreprises et sans la présence de personnalités.


Les principes de l’open source sont désormais tout aussi bien ancrés dans le domaine matériel, et j’ai récemment présenté MakerPlane à l’Open Source Hardware Summit (NdT : Sommet du matériel libre) à New York.

Comment est utilisé l’open source dans le projet MakerPlane ?

Pour résumer, nous fournissons du matériel open source et le logiciel dirigeant l’avion « fait maison ». Ce logiciel est toujours en cours de développement, mais il contiendra un système de visualisation électronique (EFIS), qui est une sorte d’ordinateur de bord qui affiche des informations sur le vol et les moteurs. Il contient également des micrologiciels pour des périphériques comme Android et Arduino.

Le matériel se trouve dans deux domaines principaux : l’avionique et l’avion. Les instruments de bord et l’électronique à l’intérieur de l’avion constituent l’avionique. A ce jour, nous avons 24 plans de matériel avionique open source disponibles en téléchargement dans nos dépôts, pour que tout le monde puisse les construire. La gamme de projets s’élargit en permanence. Pour ce qui est des avions, nous sommes en train de concevoir et de construire notre premier ULM open source (un ULM biplace grandeur nature). Nous cherchons à améliorer le design pour qu’il puisse être construit à la maison, grâce à des machines à commande numérique ou des imprimantes 3D. Avec la démocratisation de celles-ci, et la vague du « fait maison », on profite à la fois de la technologie et du matériel de construction à bas prix, indispensables à ceux qui veulent construire leur propre avion.

Les chiffres que nous avons indiquent que 75% des projets de construction d’avion en kit ou à partir de plans sont abandonnés avant d’être terminés. Les entreprises aéronautiques qui fournissent des kits ou des plans font faillite, laissant à l’abandon de nombreux projets. Notre but est de rassembler le plus possible de plans d’avions open source, avec des notices semblables à celles d’IKEA pour les assembler (enfin, en espérant qu’elles soient plus facile à comprendre que celles d’IKEA !). Ces plans, étant open source, seraient disponibles pour quiconque voudrait y accéder, et pourraient survivre aux fondateurs de MakerPlane.

Les gens ont tendance à s’inquiéter quand je parle d’avion open source. Leur principale préoccupation est le fait que n’importe qui peut venir modifier les plans, les rendant du même coup dangereux. Mais un ingénieur en aéronautique est responsable des plans. Comme pour un logiciel open source, il surveille les modifications et aucune ne sera appliquée sans son accord. Bien sûr, tout le monde peut modifier et personnaliser l’avion à sa convenance, et c’est une des principales qualités de l’open source. Cependant, dans 99% des pays, tout avion doit normalement être inspecté par les autorités aériennes ou leurs représentants, avant de recevoir l’autorisation de décoller. Aux Etats-Unis, c’est le rôle de la Federal Aviation Administration (FAA) (Administration Fédérale de l’Aviation). Ces règles sont élaborées pour assurer la sécurité des pilotes, des passagers, et des populations au sol. Vous devez aussi avoir un brevet de pilote, particulièrement pour la catégorie des avions que nous concevons et fabriquons.

Quels sont les défis avec le projet ?

Le financement est le plus gros défi, comme pour la plupart des sociétés à initiatives open source ! De nombreuses personnes n’imaginent sans doute pas qu’un nombre important de projets open source sont financés par des grosses sociétés. La base des mouvements open source semble être toujours sous-financée et nous ne faisons pas exception. La dimension supplémentaire avec nous, c’est que nous avons besoin d’acheter beaucoup de matériel et d’équipements pour arriver à construire un avion. Nous sommes conscients que pour demander des dons et continuer, nous devons faire des progrès et faire voler l’avion. Or nous ne pouvons pas l’envoyer dans les airs sans argent pour acheter les fournitures, c’est donc en quelque sorte un cercle vicieux.

Les modèles commerciaux pour soutenir les initiatives open source sont de fournir des produits et/ou services qui gravitent autour du produit open source libre. Pour aider à financer notre projet nous avons donc ouvert une boutique en ligne et nous y vendons des pièces et des kits pour l’avionique et finalement pour l’avion. Pour le moment l’ensemble de l’entreprise est financé par mes propres économies et cartes de crédits, c’est comme ça. Cela signifie que la progression est plus lente que je le voudrais étant donné que je ne peux malheureusement pas sortir et acheter les pièces quand je le veux. Je voudrais plus que tout avoir une plus grosse machine à commande numérique et une imprimante 3D, mais nous faisons avec ce que j’ai actuellement. Si nous avions le financement, nous aurions sans doute beaucoup plus avancé.

Quel sera selon vous l’impact de MakerPlane sur le monde ?

L’utilisation de technologies de fabrication à domicile change la façon dont les gens font des choses et la vitesse à laquelle ils le font. Une bonne machine-outil à commande numérique peut être faite ou assemblée à partir de kit pour quelques milliers de dollars et une personne peu qualifiée peut utiliser une machine à commande numérique ou une imprimante 3D pour produire quelques objets très précis et le faire de nombreuses fois. Au lieu de prendre une paire d’années pour faire des pièces d’avion, je devrais être capable de découper les pièces en quelques jours, les assembler et terminer avec un avion complet. Je ne veux plus avoir à faire expédier des pièces par un fabriquant ou un distributeur. Je veux pouvoir faire mes propres kits comme j’en ai besoin. J’aurais juste besoin de télécharger un fichier, charger les matériaux dans la machine et les couper. Les méthodes que nous explorons pour assembler l’avion comprennent des fentes et des languettes, ce qui permet aux pièces de ne se monter que dans un sens et sont auto-équerrés. Il est à espérer que de nombreuses techniques permettant de gagner du temps que nous avons appris grâce à MakerPlane trouveront leur place chez les grands constructeurs d’avions en kit.

Comment peut-on s’impliquer dans MakerPlane ?

Il y a plusieurs manière pour les gens de contribuer à notre ambition de changer le monde de l’aviation ! Voici quelques idées :

  • Rejoignez le forum MakerPlane et participez aux discussions. Dites-nous quelles sont vos compétences et même si vous ne pouvez pas contribuer directement de façon technique, dites simplement « Salut » et dites nous ce que vous aimez ou n’aimez pas sur les designs.
  • Reprenez un projet open source déjà disponible dans le dépôt. De très bons projets ont déjà été envoyés, mais beaucoup ont encore besoin de TLC, de mises à jour, et d’une documentation plus aboutie.
  • Commencez un nouveau projet ! Si vous avez une idée géniale pour quelque chose en rapport avec l’aviation open source et quelques compétences pour l’implémenter, ouvrez un nouveau projet sur le dépôt et allez-y ! Si vous avez déjà du code, ou du matériel que vous avez conçu et construit, alors nous serions ravis de le voir dans le dépôt également.
  • Parlez de MakerPlane à vos amis, qu’ils soient pilotes ou pas. Aimez notre page Facebook, suivez-nous sur Twitter, partagez, envoyez des courriels, ou des vraies lettres ! Faites passer le mot, pour que nous puissions vraiment construire notre communauté.
  • Nous acceptons avec gratitude des dons de pièces détachées, de ressources, et/ou d’argent. Et nous sommes toujours à la recherche de sponsors. Merci beaucoup pour votre aide !

Quel est votre utilisation de l’open source en dehors de votre projet ?

J’utilise quotidiennement OpenOffice pour le travail et Inkscape, Gimp, et Blender de façon plus occasionnelle. J’ai de l’expérience en électronique, donc je m’amuse avec du matériel Arduino open source, et mon téléphone et ma tablette sont bien entendus sous Android. L’open source est partout dans ma vie !

Voir cette vidéo illustrant les étapes de la création d’un prototype de MakerPlane.