Sortie du projet Framacalc, qui se veut être au tableur ce que Framapad est au texte !

Framacalc

Et hop, encore un nouveau projet pour le tentaculaire réseau Framasoft ! Il s’appelle Framacalc et il ambitionne de proposer le même service que Framapad mais pour le tableur cette fois.

Pour rappel, Framapad c’est la possibilité de faire du traitement de texte collaborativement en ligne (nous allons du reste vous en proposer une spectaculaire mise à jour très bientôt). Et pour le tableur me direz-vous ? C’est là qu’intervient Framacalc.

Avec Framacalc donc vous vous retrouvez à travailler à plusieurs sur le même tableur toujours accessible sur Internet.

Vous piaffez déjà d’impatience ? Alors rendez-vous tout de suite sur le site dédié pour le tester.

Attention, quand bien même les fonctionnalités tableur sont déjà bien avancées, celles concernant la collaboration et l’exportation sont encore rudimentaires. Ainsi, contrairement à Framapad, on n’est pas capable de savoir qui se cache derrière telle ou telle édition, même si on observe bien les éditions des autres se faire en temps réel. Il n’y a pas non plus encore de fenêtre de chat et l’export ne se fait pour le moment qu’au format HTML.

Il y a encore du boulot donc (mais cela peut déjà convenir pour de nombreuses situations simple et non confidentielles, on pense notamment à l’éducation).

Tout comme Framapad, il y a une solution libre qui se cache derrière. Il s’agit du projet EtherCalc (avec du Node.js sous le capot). Il est déposé ici sur GitHub et, il va sans dire que nous encourageons les installations individuelles car, Framacalc ou Framapad, les projets Framasoft sont aussi voire surtout là pour que le cloud se décentralise librement (et finisse par contrarier ces capteurs de données personnelles que sont Google, Facebook ou Apple).

Avec Framapad + Framacalc, Google Documents n’a qu’à bien se tenir ? Nous n’en sommes pas encore là mais, un jour, qui sait… 🙂

-> Framacalc : Tableur collaboratif en ligne du réseau Framasoft

PS : Nous vous rappelons que ce service libre et gratuit est l’un des nombreux projets du réseau Framasoft qui ne vit que par vos dons. Pour en assurer la pérennité et le développement, merci de soutenir notre association si vous le pouvez/souhaitez.




Mozilla Persona : Enfin le bon système d’identification sur le Web ?

Avec combien de login et de mots de passe devons-nous jongler dans la journée ?

Beaucoup en effet…

En même encore plus si nous ne les enregistrions pas automatiquement par défaut dans notre machine (avec un gros risque de sécurité). Ou, pire encore, si nous n’avions pas décidé de nous enregistrer sur des services tiers avec notre compte Facebook, Twitter ou Google (avec un énorme risque de se retrouver prisonnier de leurs cages dorées).

À l’heure et à l’ère de la multiplication exponentielle des services Web, la question de l’identification devient cruciale et problématique.

Nous avons besoin d’un système global pratique, sécurisé et auquel nous pourrions faire confiance.. C’est ce que propose Persona, le nouveau système d’authentification de Mozilla.

Il n’est pas forcément aisé de le comprendre de l’intérieur mais c’est pour que ce soit le plus simple possible du côté de l’utilisateur 🙂

Mozilla Persona

Pourquoi Persona de Mozilla apporte la bonne réponse à la question de l’identification

Why Mozilla Persona Is the Right Answer to the Question of Identity

David Somers – 1er octobre 2012 – Blog personnel
(Traduction : greygjhart, ZeHiro, Yho, Evpok, aKa, FredB, Simounet, Mounou, Coyau, Isdf, peupleLa, thot, HgO, salelodenouye)

Le 27 septembre 2012, Mozilla a lancé la première version bêta de Persona. Persona est un système d’authentification d’apparence similaire à OpenID et oAuth, mais qui s’en distingue d’un point de vue technique et fonctionnel.

Nous avons eu la chance de nous associer à Mozilla pour créer la version bêta de The Times Crosswords lors du lancement du Mozilla App Store. Nous sommes ainsi l’un des premiers services tiers à avoir intégré Persona de Mozilla (qui s’appelait encore BrowserID à l’époque), Mozilla en a même fait une vidéo.

Pourquoi un nouveau système d’identification ?

Passons en revue quelques-uns des problèmes d’OpenID et oAuth :

  • OpenID utilise des URLs en tant qu’identifiants.
    • Même si fondamentalement l’idée est bonne, cela peut être déroutant pour les utilisateurs. Le risque ? Se voir demander de « choisir un service d’identification » comme Google, LiveJournal, etc. alors qu’en fait vous n’êtes pas du tout en train de vous identifier avec eux.
    • La plupart des sites voudraient que vous leur fournissiez au moins une adresse email pour pouvoir vous contacter. Il faudra donc presque toujours en passer par une étape supplémentaire lors de la première connexion.
  • OpenID est un système de connexion incohérent : il faut que vous quittiez complètement le site où vous étiez puis y retourner après vous être authentifié avec un outil tiers. On peut en dire autant d’oAuth (même si certaines de ses implémentations permettent une connexion en un seul clic, comme Twitter).
  • oAuth est complexe à implémenter pour les développeurs : cela nécessite le stockage et la gestion de jetons . Il y a également plusieurs versions du protocole, et parfois une authentification supplémentaire (les jetons de rafraîchissement de Google par exemple).
  • Tant OpenId qu’oAuth permettent à votre service d’identification (qu’il s’agisse de Google, Facebook, Twitter) de pister chaque site sur lequel vous vous inscrivez.

Comment Persona et BrowserID résolvent-ils ces problèmes ?

  • Ils utilisent les adresses email au lieu des URLs. Non seulement les adresses email sont plus faciles à mémoriser, mais vous pouvez aussi utiliser une adresse email par identité ; par exemple votre adresse email de travail ou personnelle.
  • Mozilla Persona utilise une « popup », ainsi vous ne quittez pas le site internet sur lequel vous êtes. Mieux encore, si le navigateur supporte le protocole BrowserID, vous n’aurez rien à faire.
  • Persona/BrowserID est en général géré par les navigateurs (que ce soit en JavaScript ou en natif) et en tant que développeur vous n’aurez qu’à vérifier que l’utilisateur est bien celui qu’il dit être. Ceci doit être fait sur votre propre serveur, mais peut être implémenté avec à peine plus qu’une requête cURL.
  • En plaçant le navigateur au centre du processus d’authentification, les services d’identification ne peuvent pas tracer les visites des utilisateurs, mais ils permettent tout de même aux sites visités de vérifier leur identité. On y parvient en incorporant une cryptographie à clé publique dans le protocole.

Bien entendu, Persona ne vous sera d’aucune utilité quand vous aurez besoin d’accéder à des ressources tierces authentifiées comme vos données Twitter, mais ce n’est pas son rôle. Et c’est la ligne de démarcation qu’il faut entre votre identité et vos données.

Comment ça marche ?

Ce qu’il y a de bien avec la solution Persona de Mozilla, c’est qu’elle se décompose en deux niveaux. Le premier est le service BrowserID amorcé : Persona. Le second est le protocole d’identification en lui-même : BrowserID. En concevant ainsi l’amorçage du protocole, Mozilla évite les problèmes de prise en main et le rend attractif pour les développeurs.

BrowserID

Dans un monde idéal où BrowserID serait massivement adopté, voici ce qui se passerait au moment où vous voulez vous connecter à un site Web :

  1. Vous cliquez sur « Connexion ».
  2. Votre navigateur vous demande avec quelle adresse email vous voulez vous identifier.
  3. Vous êtes connecté.

Et voici ce qui se passerait dans le détail :

  1. Vous cliquez sur « Connexion » sur un site désigné ci-dessous par Service Tiers.
  2. Votre navigateur vous demande avec quelle adresse email vous voulez vous identifier.
  3. Votre navigateur contacte votre Service d’Identification (désigné dans la suite par S.I, par exemple Gmail) en utilisant vos identifiants (adresse email et clé publique) et demande un certificat signé.
  4. Optionnel : Votre S.I. vous demande de vous inscrire (avec les habituels identifiant/mot de passe pour cela).
  5. Votre S.I. envoie à votre navigateur un certificat signé qui dure 24 heures.
  6. Votre navigateur génère une « Assertion ». Elle fait preuve que vous êtes le légitime détenteur de votre adresse email : générée à partir de votre clé privée (stockée dans le navigateur), elle contient le domaine du site pour lequel vous vous authentifiez ainsi qu’une date d’expiration.
  7. L’assertion et votre certificat signé sont tous deux envoyés au Service Tiers.
  8. À l’aide de votre clé publique (fournie par votre navigateur), le Service Tiers vérifie que votre Assertion semble correcte.
  9. Le Service Tiers demande la clé publique de votre S.I. (mais n’envoie aucune information sur l’utilisateur) et s’en sert pour vérifier que le certificat, envoyé par votre navigateur, est également correct.
  10. Vous êtes connecté.

Plutôt long le processus ! Mais au moins, il est décentralisé, sécurisé et respecte votre vie privée (votre S.I. ne peut pas savoir quels sites vous êtes en train de visiter).

Si c’était la seule façon d’implémenter BrowserID, son déploiement serait compromis. C’est là que Persona entre en piste.

Mozilla Persona

Mozilla Persona est une application tierce qui fournit une interface de programmation (API) REST plutôt cool pour cacher toute cette cryptographie à clé publique.

  • Persona gère la vérification via les services d’identification et agit également comme service d’identification à part entière pour les services tiers qui n’en possèdent pas (ce qui est la cas de tous les fournisseurs d’adresses email actuellement).
  • Persona fournit une interface de programmation de type REST pour valider chaque assertion.

En traitant toute la partie cryptographie, implémenter BrowserID ne requiert que quelques lignes de JavaScript (le bouton de login et les callbacks en POST pour envoyer l’assertion au serveur) et une requête cURL (pour valider l’assertion).

Envie de l’utiliser ?

Commencez par jeter un œil sur le Persona Quick Setup (NdT : Installer Rapidement Persona) qui vous fournira les instructions pour ajouter Persona à votre site Web, avec des exemples en JavaScript et une implémentation en Python de la vérification de l’assertion (c’est vraiment très simple). Le tout en une soixantaine de lignes de code.

Nous vous suggérons ensuite de consulter le guide des bonnes pratiques pour vous assurer que vous ne faites rien de travers.

NdT : En annexe deux liens de mozilliens francophones :




Grande première chez Framabook : la sortie d’un roman  ! (qui plus est #déjanté)

#Smartarded - Pouhiou - Framabook - CouvertureDes années que je présente ici la sortie d’un nouveau livre de notre libre collection Framabook. Je suis pour ainsi dire rôdé à l’exercice, pas une routine mais presque.

Sauf que là je cale un peu. Je ne sais pas trop par quel bout le prendre celui-là. Il faut dire que sa première phrase ne m’aide pas forcément : « Quand t’as eu des hémorroïdes, tu peux plus croire à la réincarnation ».

Grand moment de solitude…

J’apprends ensuite que ce roman-feuilleton a été écrit et blogué en direct. Chaque matin, il fallait écrire au moins 800 mots. Chaque soir, à 17h28, il fallait les publier. Un épisode par jour, quatre jours par semaine. Ce premier tome recueille les épisodes publiés entre le 6 février et le 7 juin 2012 sur le blog NoeNaute.

Soit.

Les journalistes ne me jetteront pas la pierre, mais, quand on manque d’inspiration, on a la tentation d’aller pomper de gros morceaux du Dossier de presse.

#Smartarded – Le cycle des NoéNautes, I est une fantaisie urbaine où on trouve pêle-mêle du Hello Kitty, du café à ouverture facile qui s’ouvre pas, des lézards qui shootent des chats, des coussins berlinois, une concierge hackeuse, des féministes malignes, du Babybel, des chatons, des hémorroïdes (on le saura !), une maladie mentale pénienne et mortelle et des SDF rebelles.

Nous voici donc bien plus avancés ! Enfin, si ça vous a déjà convaincu, c’est par ici.

Moi je préfère poursuivre en reproduisant ce qui ressemble (vaguement) à un résumé :

Smartarded est la contraction de Smart Ass (petit malin tête à claques) et Retarded (débile mental).

L’histoire, c’est celle d’Enguerrand Kunismos. Ce jeune homme de 25 ans avait une carrière prometteuse en tant qu’ingêneur. Une sorte de consultant en connardise qui gagne très bien sa vie en imaginant comment pourrir efficacement la nôtre. Mais un accident lui fait développer des capacités assez étranges… Celles de voir et d’intervenir dans les histoires qui se jouent dans nos têtes. Dans la noétie, la sphère des idées.

Enguerrand est un NoéNaute. Or, les NoéNautes sont peu nombreux. Et ils détestent savoir que d’autres sont, encore, en vie.

Enguerrand découvre le petit monde des NoéNautes et ses règles subtiles en essayant de sauver sa peau. Il nous blogue donc sa cavale avec Fulbert (énigmatique monsieur je-sais-tout au magnifique fessier) dans un road-movie livresque bourré de #hashtags cyniques, de références geek, d’amours LGBT. Et d’un héros qui se prend pour un méchant.

Soit, vous connaissez désormais le chemin vers la sortie (du livre), parce que, de mon côté, je continue encore un peu, d’autant que, prévoyant tout (et même le pire), on nous donne dix bonnes raisons de parler de #Smartarded :

1. Pour que l’auteur écrive la suite
2. Car c’est un livre gratuit qui peut s’acheter
3. Parce que c’est le 647e livre de la rentrée.
4. Pour y découvrir une Toulouse insoupçonnée
5. Car c’est le premier roman libre édité en France
6. Parce qu’un auteur libre est mieux payé qu’un auteur sous copyright
7. Pour frimer sur twitter avec des #hashtags
8. Car c’est le premier roman écrit sur tablette
9. Parce qu’il y a des chatons dedans.
10. Non mais sérieusement, quoi : des chatons !

PouhiouNotre auteur marque ostensiblement quelques points là (un peu moins de dix quand même). Plus précisément la licence choisie est la CC0 (Creative Commons Zéro) qui est une sorte d’offrande immédiate et volontaire au Domaine Public. Finalement, peut-être qu’il mérite qu’on clique (enfin) sur ce lien.

Tiens, justement, m’aperçois que je n’ai pas encore parlé de l’auteur !

Que dire sinon qu’il s’appelle Pouhiou et que ce n’est pas avec un pseudo pareil qu’on risque un jour d’avoir son article dédié sur Wikipédia.

On va cependant quand même signaler cet entretien sur le site Framabook, ne serait-ce que parce qu’il comporte des questions aussi subtiles que « Pourquoi ton roman est-il Gay & Geek friendly ? » ou encore « La licence libre, c’est parce que t’as pompé ? ».

Et si vous le croisez un jour, ne vous sentez surtout pas obligé(e) de lui dire : « Il faut que je lise ton livre » !




Et les manuels universitaires libres devinrent réalité en Californie

Grande et bonne nouvelle, la Californie est allé au bout de sa réflexion sur l’opportunité des manuels scolaires libres !

C’est de notre point de vue bon sens et évidence mais ça l’est moins quand on pense à la situation dont on a hérité, avec d’énormes résistances de la part de ceux qui éditaient précédemment (et privativement) ces manuels.

Au passage vous remarquerez le choix logique et pertinent de la licence, la Creative Commons la plus dépouillée d’entre toutes : la CC By. Cela fera peut-être réfléchir ceux qui pensent encore que la clause non commerciale NC et/ou non modifiable ND sont bonnes quand il s’agit d’éducation…

Et en France, me direz-vous ? Cela fait six ans (je crois) que nos amis de l’association Sésamath ont publié leur premier manuel libre pour la classe de Cinquième en mathématiques. De véritables pionniers qui depuis ont couvert tout le collège et lorgnent désormais aussi bien sur le primaire que vers le lycée.

Six ans que l’Institution avait en son sein un exemple à soutenir, mettre en avant et montrer aux autres disciplines pour leur emboîter le pas. Pour des raisons que je ne m’explique pas (ou trop bien), elle n’en fit rien ! Il est grand temps de rectifier le tir sinon nous les derniers seront les premiers et nous aurons une fois de plus perdu un temps précieux.

Il est véritablement grand temps ! (et sous licence libre s’il vous plaît !)

L’illustration ci-dessous et un extrait d’une infographie qui résume bien les choses (et les gains) en procédant ainsi.

20mm.org - extrait- CC by

La Californie entérine officiellement son projet de loi inédit sur les manuels scolaires libres

California passes groundbreaking open textbook legislation

Timothy Vollmer – 27 septembre 2012 – CC Blog
(Traduction Framalang : Cyrille L., ehsavoie, M0tty, Rouage, lgodard, Ag3m)

C’est officiel. En Californie, le Gouverneur Jerry Brown a signé deux projets de lois (SB1052 et SB1053) qui permettront la création de manuels numériques sous licence libre pour les cinquante cours les plus populaires des universités de Californie (cf cette vidéo). Ce projet de loi a été proposé par le président du Sénat par intérim Darrell Steinberg et est passé au Sénat et à l’Assemblée de Californie fin août.

Un élément essentiel de la législation Californienne est que les manuels ainsi créés seront disponibles sous licence Creative Commons Paternité (CC-BY) :

Le manuel et d’autres matériels de cours sont placés sous la licence Creative Commons Paternité qui autorise quiconque à utiliser, distribuer, et créer des travaux dérivés basés sur ce matériel numérique tout en permettant aux auteurs ou aux créateurs d’être crédités pour leurs travaux.

La licence CC BY permet aux professeurs d’adapter le contenu des manuels aux besoins des étudiants, aux sociétés commerciales de se servir de ces ressources et d’en créer de nouvelles à partir des premières (comme par exemple des tutoriels vidéos), et ouvre des portes à la collaboration et à l’amélioration de ce matériel de cours.

Pour les étudiants, l’accès à des manuels abordables est extrêmement important, sachant que le coût de ces manuels augmente quatre fois plus vite que l’inflation, dépassant même les frais d’inscription dans certaines universités. Ainsi, en plus de rendre le manuel numérique disponible librement et gratuitement aux élèves, la loi requiert que les copies imprimées du manuel ne dépasse pas 20$.

C’est une grande victoire pour la Californie, et un exemple bien accueilli de politiques ouvertes qui visent à appuyer les licences libres pour économiser l’argent des familles californiennes et soutenir les besoins des professeurs et des élèves.




Polémique : la nouvelle imprimante 3D de MakerBot a-t-elle trahi l’open hardware ?

Le matériel libre, ou open hardware, en général et l’impression 3D en particulier, cela fait longtemps qu’on en parle sur le Framablog (notre premier article sur la RepRap date de 2008).

Nous y croyons parce qu’avec une imprimante 3D libre, vous pouvez non seulement créer des objets en partageant leurs fichiers numériques sous format et licence libres mais également concevoir l’imprimante elle-même, puisque ses sources (c’est-à-dire ses plans de fabrication) sont aussi sous licence libre.

À partir de là, vous voici potentiellement prêt pour… changer le monde (ou tout du moins, ne nous emballons pas, pour dessiner lentement mais sûrement les contours d’un nouveau paysage industriel). Évidemment cela ne se fera pas sans peine et l’on peut déjà anticiper de terribles batailles du côté de la propriété intellectuelle (pire encore que pour la culture), d’où notre long (mais passionnant) article : L’impression 3D, ce sera formidable… s’ils ne foutent pas tout en l’air !.

Or que se passe-t-il aujourd’hui ? L’un des fers de lance de l’impression 3D, la société MakerBot, a récemment annoncé la sortie de son nouveau modèle, la « Replicator 2 » (cf photo ci-dessous). Et à en croire cette percutante vidéo promotionnelle elle semble en effet bien plus mieux que les précédentes, d’ailleurs le célèbre magazine Wired s’en est tout de suite extasié : The New MakerBot Replicator Might Just Change Your World (rien que ça !)

Mais, car il y a un mais, il semblerait que ce nouveau modèle ne soit tout simplement plus libre, aussi bien dans ses sources de fabrication que (et c’est peut-être le plus choquant) dans le format de fichier numérique permettant de créer les objets en 3D (qui se partagent du reste sur le site Thingiverse de MakerBot qui lui aussi a récemment changé ses conditions d’utilisation dans le sens de la fermeture, d’où l’apparition d’alternatives). Tout ceci reste au conditionnel mais force est de reconnaître que MakerBot navigue en ce moment entre flou et silence quant à la réponse à donner à ce début de polémique.

Si cela s’avérait fondé, cela serait très mal vécu par la communauté qui y verrait là comme une sorte de trahison avec les principes du matériel libre, d’autant que la société MakerBot s’est fait connaître dans l’enthousiasme justement parce qu’elle proposait des modèles d’imprimantes 3D libres (quand vous vous rendez sur l’article Imprimante 3D de Wikipédia, MakerBot est cité en exemple de matériel libre).

Ceci étant dit, la question sous-jacente est aussi celle de la viabilité des entreprises de matériels libres. MakerBot a levé des fonds (dix millions de dollars), a investi, vient d’ouvrir un magasin à New York, etc. MakerBot a donc le vent en poupe et est en train de changer de dimension industrielle. Cela peut-il se faire tout en restant totalement libre ? Peut-être que les investisseurs ont fait pression vers la fermeture (par rapport au profit, à la concurrence, etc. quid d’un petit malin qui prendrait les sources délocaliserait en Chine et inonderait le marché ? d’ailleurs on y a déjà plus que pensé !).

Pour rentre compte de cette polémique nous vous proposons coup sur coup trois traductions ci-dessous (une fois de plus, merci à tous les traducteurs bénévoles).

La première émane de Josef Prusa, développeur tchèque pionnier (et passionné) du projet RepRap que l’on peut considérer comme la première imprimante 3D libre (et qui elle, on en est sûr, l’est restée). C’est d’ailleurs sur cette RepRap que s’est construit MakerBot et ils ne s’en cachent pas. C’est lui qui a levé le lièvre et il réagit ici avec véhémence et émotion (d’où le style parfois confus, flottant et familier sachant que l’anglais n’est pas sa langue maternelle non plus).

La seconde est un réponse directe à Josef Prusa. Son auteur est Bre Pettis, l’un des fondateurs de MakerBpot. Il semblerait qu’elle soit destinée avant tout à éteindre l’incendie.

La dernière traduction provient lui aussi de l’un des fondateurs de MakerBot, sauf qu’il a été viré de l’entreprise depuis ! On peut estimer qu’il y a de la rancœur dans son propos mais il n’a pas forcément tort de qualifier la réponse de Bre Pettis de « tas de conneries issu du double langage d’entreprise » en rappelant la définition de l’open hardware.

Et pour finir cette (longue) introduction, un lien vers un petit dessin qui résume amèrement la situation.

Louis Seigal - CC by

Crédit photo : Louis Seigal (Creative Commons By)

Le sens de l’Open Hardware

Open Hardware meaning

Josef Prusa – 20 Septembre 2012 – Blog personnel
(Traduction : fcharton, KoS, Smonff, Pascal, Alex, Gatitac, @jfomhover, ProgVal, Dam, Ag3m, tanguy)

Ddurant123 - CC byJe voulais écrire sur ce sujet depuis longtemps. Certains d’entre vous le savent peut-être, d’autres non, mais j’ai lancé ma propre société de RepRap. Elle se nomme Prusa Research, et c’est sans doute la première entreprise basée sur l’open hardware en République Tchèque, mais certainement pas la première au monde. Il y a plusieurs projets qui le font très bien, par exemple Arduino (à qui je dois tellement que, grâce à RepRap, je peux maintenant considérer Massimo comme mon ami car j’ai commencé à faire du hardware grâce à lui et Arduino), Adafruit, Sparkfun, etc.

La RepRap et surtout l’impression 3D sont pleine de conneries actuellement, c’est vrai. Il y a ainsi tous les jours de nouvelles entreprises qui se montent. La majorité des gens n’y ont pas contribué d’un yotta, pas apporté la moindre contribution et pourtant ils se prétendent inventeurs, mais fini le troll. Je fais partie de la communauté RepRap depuis vraiment longtemps et je puis affirmer sans fausse modestie que j’ai beaucoup aidé à le diffuser. La Prusa Mendel est probablement le modèle d’imprimante 3D le plus répandu sur la planète.

Croyez moi, c’est parfois vraiment tentant de prétendre avoir réalisé des choses que vous n’avez pas vraiment faites, n’est-ce pas ? Comme « Hé, mon imprimante peut imprimer à une résolution de 50 microns! » LOL. J’ai conçu un putain de tatouage pour me défendre de ça. C’est le logo de l’Open Hardware avec la goutte standard de RepRap dedans. C’est directement sur mon avant-bras droit, tout le monde peut le voir quand on me serre la main, quand je rencontre quelqu’un ou que je signe un contrat, peu importe. C’est un symbole pour moi. L’Open Hardware et RepRap ont fait de moi ce que je suis.

Un triste évènement qui s’est produit aujourd’hui m’a finalement motivé à écrire cet article. Makerbot a fermé ses sources, du moins tout semble le laisser présager. Makerbot a été lancé par plusieurs développeurs principaux du projet RepRap, Zach Smith, Bre Pettis (NdT : lire sa réponse juste après) et Adam Mayer. Adrian Bowyer, le fondateur du projet RepRap, leur a donné, comme d’autres, de l’argent pour démarrer. Makerbot est basé sur la RepRap, et ils n’ont jamais eu honte de cela. Mais cela a changé et Makerbot a commencé à prendre de la distance. Les gens m’ont accusé de dénigrer Makerbot lorsque je donne des conférences sur la RepRap. Je me suis dit « qu’est-ce que c’est que ce délire ! ». J’ai même échangé quelques e-mails avec Bre. Je vois toujours Makerbot comme un ami important de l’univers Open Hardware, également comme un bouclier qui protègerait de potentielles poursuites judiciaires.

Bre a donné une conférence l’an dernier à l’Open Hardware Summit, bla bla…. « une entreprise qui montre aux autres que le chemin de l’open source est possible ». J’avoue que je grinçais des dents en entendant le directeur des relations publiques laisser penser qu’ils avaient inventé la chose, vous savez, cette connerie que Makerbot a créé : l’extrudeur pas à pas. Ils en ont même fait une vidéo sympa. Plus tard, ils ont levé la bagatelle de 10 millions de dollars et les choses ont commencé à changer.

Et surprise, surprise, maintenant on a la Replicator 2 et sa version en source fermée. Hé, regardez, on a récupéré toutes les améliorations que vous avez partagé sur Thingiverse, compilé le tout dans un paquet et on l’a fermé. Pareil avec le logiciels MakerWare. (Ils ont finalement, après des années, arrêté d’utiliser Skeinforge, un logiciel libre créé par un brésilien qui n’avait même pas d’imprimante).

Et vous savez ce qui est le plus sournois ? Ne pas en parler lorsqu’ils l’ont annoncé, pas même lorsque les premières commandes sont parties ou juste après l’Open Hardware Summit où Bre Pettis est allé faire un beau discours (relayé par des magazines comme Make: faisant de MakerBot l’un des héros de l’Open Hardware).

J’ai demandé des précisions sur leur page Facebook, demandé à Bre directement et à d’autres employés, mais je n’ai eu aucune réponse. Si c’est vraiment ouvert, pourquoi ne pas le dire ?

Lettre ouverte à Bre Pettis.
Salut Bre,
On se connait depuis un moment. Je voulais te demander si la Replicator 2 est fermée ou non. Et si oui, pourquoi ? J’aimerais aussi t’interviewer pour mon émission RepRap sur Youtube, je te promets de rester neutre. Mais il faudra t’expliquer sur ton comportement bizarre que je mentionne dans cet article.
Jo Prusa, core développeur du projet RepRap

Crédit photo : Ddurant123 (Creative Commons By)

Corriger la désinformation avec de l’information

Fixing Misinformation with Information

Bre Pettis – 20 septembre 2012 – MakerBot.com
(Traduction : fcharton, KoS, Smonff, Pascal, Alex, Gatitac, @jfomhover, ProgVal, Dam, Ag3m, tanguy)

Bre Pettis - CC by-ncIl y a de fausses informations que j’aimerais éclaircir.

Question 1 : Le MakerBot Replicator 2 est-il open source ?

Nous travaillons dessus et allons être aussi ouvert que possible tout en ayant une activité viable. Nous allons continuer à respecter les licences et à contribuer à la technologie ouverte des imprimantes 3D, dont certaines sont de notre initiative. Nous ne voulons pas abuser de la bonne volonté et du soutien de notre communauté. Nous aimons ce que nous faisons, nous aimons partager et nous aimons ce que notre communauté invente. J’ai l’intime conviction que les entreprises qui partagent seront celles qui réussiront demain et je ne pense pas que ce soit un secret. Ces jours-ci, même des sociétés comme Google et IBM se lancent dans l’open source et trouvent de nouvelles manières de partager.

J’attends avec impatience de pouvoir parler avec les gens du Open Hardware Summit pour voir comment MakerBot peut partager autant que possible, donner du travail à ses 150 employés, produire du hardware fabuleux, et rester pérenne. Est-ce que nous devrons expérimenter pour rendre cela possible ? Oui, et cela va demander beaucoup de collaboration, de coopération, et de compréhension.

J’aimerais qu’il y ait plus d’exemples de grandes entreprises prospères dans le domaine du matériel « ouvert ». D’un point de vue commercial, nous avons été ouvert de manière absurbe, plus ouverte que n’importe quelle autre entreprise que je connais. Il n’y a pas de modèles ou de sociétés que je connaisse qui ait plus de 150 employés et qui soient plus ouverte que nous (je serais ravi d’avoir tort, mais je ne le pense pas). Nous expérimentons la manière d’être aussi ouvert que possible tout en ayant toujours un travail à la fin de la journée. Allons-nous réussir ? Je l’espère, mais même si ce nest pas le cas, tout le monde va découvrir qu’être aussi ouvert que possible est une bonne chose pour les affaires ou bien que personne ne devrait le faire, ou quelque chose entre les deux.

Personnellement, j’espère que nous réussirons, et pas seulement parce que j’aime ce que les gens font avec produits MakerBot et que j’adore les employés qui fabriquent ces machines, mais parce que je crois que MakerBot en tant qu’entreprise peut créer un nouveau modèle riche d’enseignements. Mais je n’ai pas l’intention de laisser les vulnérabilités de l’open hardware détruire ce que nous avons créé.

Des business que je connais, liés à l’open source hardware, ceux qui ont du succès sont ceux qui créent des projets éducatifs. Adafruit, Evil Mad Science et Sparkfun font des choses fabuleuses. Des entreprises comme Chumby et OpenMoko n’y sont pas parvenus, malgré le fait que des gens vraiment intelligents y étaient impliqués. Un grand nombre des projets hardware sur Kickstarter sont open source, mais je n’en ai vu aucun qui tienne le passage à la production industrielle. Encore une fois, je suis preneur de n’importe quel exemple réussi d’une grande entreprise de matériel open source. Il y a quelque chose de très intéressant à observer là dedans. Les entreprises hardware qui ont le plus de succès sont celles qui font des projets en étant open source.

Nous allons continuer à contribuer aux projets que nous avons démarré et à d’autres projets open source. J’ai été un fan de l’EFF et la FSF depuis suffisamment longtemps pour respecter les licenses. J’ai été prof depuis plusieurs années et je sais que quand on partage avec une communauté respectueuse, tout le monde dans cette communauté y gagne.

Nous sommes en train de travailler activement à un programme de développement pour créer des trucs super disruptifs et innovants. Nous attendons vraiment de pouvoir trouver des moyens de créer des situations gagnant/gagnant avec des développeurs et des entreprises. Heureusement, tout le monde n’est pas là pour manger gratos, à la fois Ultimaker et plusieurs projets RepRap ont contribué à la technologie et montrent que nous pouvons bosser ensemble et reposer sur les épaules les uns des autres.

Ce n’est pas le premier changement que nous avons effectué pour devenir professionnels et ça ne sera pas le dernier.

Question 2 : Est-ce que les conditions d’utilisation de Thingiverse ont changé pour « voler » les choses des gens

Thingiverse ne vole pas. Nous avons créé Thingiverse afin qu’il soit le meilleur endroit pour partager des choses en utilisant des licences libres. Les nouvelles conditions d’utilisation, que nous avons mis en place en février de cette année, nous permettent avant tout de partager vos créations sur notre site mais aussi de nous protéger contre les entreprises et leurs avocats. Peut-on la rendre plus conviviale ? Oui, mais les honoraires d’avocats sont chers et rendre cela plus simple prend beaucoup de temps.

J’ai mis sur notre liste de choses à faire en 2013 : rendre les conditions d’utilisation plus faciles à comprendre et éviter les malentendus. Si vous êtes préoccupés par cela, faites en sorte de lire le billet que j’ai écrit plus tôt cette année sur les conditions d’utilisation de Thingiverse.

Crédit photo : Bre Pettis (Creative Commons By-Nc)

MakerBot contre Open Source – Du point de vue d’un fondateur

MakerBot vs. Open Source – A Founder Perspective

Zachary Smith – 21 septembre 2012 – Hoektronics.com
(Traduction : fcharton, KoS, Smonff, Pascal, Alex, Gatitac, @jfomhover, ProgVal, Dam, Ag3m, tanguy)

Mark Demers - CC by-nc-ndJe m’appelle Zachary Smith (aussi connu sous le pseudo de Hoeken), je fabrique des imprimantes 3D depuis 2007 en prenant part au projet RepRap. J’ai créé une organisation à but non lucratif (la RRRF, RepRap Research Foundation) dédiée à la promotion des imprimantes 3D. En 2009, j’ai convié mes amis Adam Mayer et Bre Pettis à se lancer dans la fabrication d’imprimantes 3D. Partant de là, MakerBot Industries était né. Revenons-en à avril 2012, quand j’ai été poussé à la porte de l’entreprise du même nom. Aujourd’hui, je n’ai aucune information sur le fonctionnement interne de l’entreprise que j’ai créé. Allez voir cet article de Chris Thompson pour plus d’informations.

Je ne soutiens aucun mouvement qui restreint la nature libre du MakerBot, qu’il s’agisse de matériel, d’électronique, de logiciel, de firmware, ou d’aucun autre projet ouvert. MakerBot a été créé sur les bases de projets de matériel libre, tels que RepRap ou Arduino, aussi bien que d’autres projets logiciels libres pour le développement de notre propre logiciel. Je reste dévoué au mouvement de l’open source, et je crois aux idéaux et buts de l’Open Source Hardware. Je n’ai jamais dévié de cette position et j’espère que je ne le ferai jamais.

Je réserve mon jugement jusqu’à ce qu’on entende quelque chose d’officiel de la part de MakerBot sur la nature open source (ou pas) de sa dernière imprimante. J’essaie de rentrer en contact avec les gens pour comprendre, mais jusqu’à présent personne ne parle, et mes ex-partenaires n’ont pas répondu à mes appels téléphoniques ou mes e-mails. Cela ne sent pas bon. La meilleure information que j’ai trouvée est un tas de conneries issues du double langage d’entreprise (NdT : le « tas de conneries » c’est justement la traduction ci-dessus « Corriger la désinformation avec de l’information » !).

Si ces allégations se révèlent vraies, ce serait une triste journée pour le mouvement du matériel libre. Non seulement ce serait la perte d’un grand fabriquant de matériel ouvert, mais ce serait aussi la perte d’un exemple pour le mouvement. Beaucoup de gens se sont tournés vers Makerbot en disant : « Oui, le matériel ouvert est un secteur viable, regardez la réussite de MakerBot ». S’ils ferment ces portes, alors cela donnera des arguments à ceux qui disent que le matériel ouvert n’est pas viable. Cela va aussi décourager d’autres entreprises de se lancer dans le matériel ouvert. Ce serait effectivement une bien triste nouvelle.

Personnellement, je considère les migrations vers les formats propriétaires comme la trahison ultime. Quand on m’a chassé ce n’était dû qu’à un malheureux mais classique clash de personnalités, où une personne devait partir et l’autre rester. J’ai ravalé mon égo et je suis parti parce que je savais que la société que j’avais fondé porterait mes idéaux plus loin dans le monde. Sans m’attarder sur nos différences, j’avais pensé que Bre aurait continué à suivre les principes sur lesquels nous avions fondé notre société et les mêmes principes qui avaient joués un rôle de premier plan dans le succès de notre société. Passer d’un format libre à un format propriétaire est contraire à tout ce que je défends et en tant que co-fondateur de MakerBot Industries, j’ai honte d’y voir mon nom associé.

Bre Pettis, je t’en prie, montre-moi que j’ai tort en clarifiant exactement sous quelle license Makerbot va diffuser les fichiers de conception et le logiciel. C’est tout ce que nous (la communauté) souhaitons.

Enfin, je voudrais rappeler et souligner la définition de l’Open Source Hardware, que MakerBot a approuvé. Ce document énonce en des termes très clairs ce que cela signifie être une entreprise d’open hardware. Je le laisse ici à votre jugement :

Open source hardware regroupe les conceptions Hardware réalisées publiquement et disponibles de manière à ce que n’importe qui puisse étudier, modifier, distribuer, créer et vendre un design ou un produit basé sur ce design. La source du produit hardware, le design duquel le produit est issu, est disponible sous un format choisi pour permettre de faire des modifications. Idéalement, open source hardware utilisera des composants et matériaux facilement approvisionnables, des procédés de fabrication standard, des infrastructures libres, des contenus libres de droit et des outils de design open source pour maximiser la possibilité donnée à d’autres de concevoir ou utiliser un produit hardware. Open source hardware permet à quiconque d’avoir le contrôle sur leur technologie du moment qu’elles partagent leur savoir et encourage le commerce au travers de l’échange de design libre.

Crédit photo : Mark Demers (Creative Commons By-Nc-Nd)




Ceci est une Révolution : ce que l’Open Source a changé

Patrice Bertrand - SmilePatrice Bertrand est directeur général de la SSII Smile spécialisée dans l’intégration de solutions open source ainsi que président du prochain Open Word Forum (dont Framasoft sera).

Il a tout récemment fait paraître un article dans le quotidien économique et financier La Tribune qu’il nous a semblé intéressant de reproduire ici (enrichi de quelques liens) avec son aimable autorisation.

C’est accessible et synthétique. On n’hésite pas à employer les grand mots.

Et, clin d’œil à nos plus fidèles lecteurs, on peut également y trouver là comme une sorte de réconciliation entre les frères ennemis « open source » et « logiciel libre » (enfin vous nous direz dans les commentaires).

Ceci est une Révolution : ce que l’Open Source a changé

Patrice Bertrand – 17 septembre 2012 – La Tribune

URL d’origine du document

Les 11, 12 et 13 octobre prochains se tiendra à Paris, l’Open World Forum, un événement de renommée internationale dédié à l’open source et aux approches ouvertes. L’open source est une idée qui a pris naissance dans le monde du logiciel, mais a inspiré et bousculé bien d’autres domaines. Tout comprendre en quelques clics sur une révolution qui bien au-delà de l’informatique, touche l’ensemble de la société…

Logiciel libre et open source

Revenons aux origines. Le logiciel libre est imaginé dans les années 80 par Richard Stallman. Il affirme que les programmes informatiques doivent pouvoir être librement utilisés, et surtout étudiés et modifiés. Utopique pour certains, il amorce pourtant une véritable révolution, qui 20 ans plus tard a bousculé toute l’économie du logiciel, et bien au delà. Fin des années 90, certains préfèrent l’appellation alternative de logiciel open source pour désigner à peu près la même chose, mais en mettant en avant non pas tant la liberté, que les qualités spécifiques de ces programmes réalisés de manière collective, peu centralisée, dont le code source (le programme tel qu’il est écrit par un informaticien) est disponible et peut être modifié, utilisé pour créer de nouveaux programmes, des oeuvres dérivées.

A certains égards, l’open source est un mouvement humaniste. Il considère que le logiciel est, à la manière de la connaissance scientifique, une forme de patrimoine de l’humanité, un bien commun que nous enrichissons collectivement, pour le bien être de tous.

L’open source, disons ici plutôt le logiciel libre, porte aussi un message particulièrement d’actualité: le logiciel nous contrôle, il est vital pour nous de contrôler le logiciel. Des pans de plus en plus grands de notre vie sont sous la maîtrise de logiciels. Un logiciel détermine si votre voiture va freiner, un autre si votre pacemaker va faire battre votre coeur, et un autre peut-être déterminera pour qui vous avez voulu voter aux présidentielles. Le logiciel fait désormais plus que nous rendre service, il nous contrôle. Ce n’est pas un mal en soi, à condition seulement que le contrôlions aussi, que nous sachions ce qu’il fait exactement, et ayons le droit de le modifier si besoin. Cette exigence première du logiciel libre est plus que jamais essentielle.

Ces 20 dernières années, le logiciel libre et open source, réuni sous l’appellation FLOSS, a apporté d’incroyables bouleversements.

Dans l’informatique, une révolution aux multiples facettes

D’abord dans la manière de créer des programmes. Dans les années 90, peu après la naissance du web, c’est une révélation : les programmes les plus critiques de la toile, les programmes les plus utilisés, les programmes les plus complexes, sont des programmes open source. Même Bill Gates en prend soudain conscience, et adresse en 1998 un mémo à ses troupes, où il s’alarme de cette transformation, de ces logiciels aussi bons et parfois meilleurs, de cette nouvelle forme de concurrence.

L’open source a apporté une rupture dans l’économie du logiciel en abaissant les coûts d’une manière incroyable. Tout ce qui constitue le socle d’une plateforme informatique, d’une plateforme web, est devenu tout simplement gratuit : système d’exploitation, bases de données, logiciels serveurs, outils de développement, outils d’administration. Bien sûr, le coût total de possession n’est jamais nul : il faut du matériel, du support et de l’expertise humaine pour déployer et faire marcher tout cela. Mais pour une start-up, la barrière à l’entrée a été abaissée de manière phénoménale, stimulant et accélérant la création d’entreprises innovantes. Et pour les entreprises utilisatrices, cette nouvelle donne s’est traduite en gains de compétitivité.

Comme toutes les révolutions technologiques depuis la machine à vapeur, l’open source a amené une forme de destruction créatrice, comme l’avait décrit l’économiste Joseph Schumpeter. En produisant des alternatives quasi-gratuites à des logiciels anciennement coûteux, l’open source a fait disparaître des acteurs devenus non compétitifs, et réduit les marges de quelques autres. Mais le contexte nouveau d’un socle logiciel devenu un bien commun a permis l’émergence de milliers d’acteurs, de startups innovantes, dont certaines sont déjà grandes. Et a permis, plus largement, l’émergence du web, de ses acteurs géants, et des milliers d’acteurs plus petits mais innovants et grandissants.

Le développement logiciel a été profondément modifié lui aussi. L’approche moderne du développement consiste à assembler des composants, grands et petits, pour l’essentiel open source. Une part déterminante du développement consiste donc à sélectionner les bons composants et les intégrer, en ne développant réellement que les parties spécifiques, qui concentrent la valeur ajoutée de l’application. C’est une transformation du développement logiciel qui a apporté d’importants gains de productivité.

L’open source domine sur les serveurs et dans le cloud

L’open source a eu des succès mitigés sur le poste de travail, sur le PC ordinaire. Et pourtant, moins visible et moins connue du public, la victoire de l’open source a été écrasante du côté serveurs et Cloud. Si Windows domine sur les postes de travail, le système d’exploitation Linux a une domination plus grande encore sur les millions de serveurs des grandes plateformes du web, de Google, Facebook, Amazon, ou eBay, mais des plus petits acteurs de la même manière. Une étude récente estimait à 90 % la part de marché de Linux sur le Cloud de Amazon. Dans beaucoup de domaines, l’open source est en pointe, faisant naître les outils de demain. Citons par exemple l’émergence du Big Data, la manipulation des données à une échelle nouvelle, où les outils de bases de données anciens atteignent leurs limites, et où des technologies nouvelles sont nécessaires. Ces nouvelles bases, dites NoSql, sont pratiquement toutes des logiciels open source.

Open Innovation

L’open source a apporté aussi une nouvelle approche de la R&D. Une belle illustration est donnée par le projet open source Genivi, qui a l’initiative de BMW et PSA a réuni des grands constructeurs automobiles et équipementiers dans une démarche typique de R&D mutualisée, construisant ensemble une plateforme logicielle destinée à leurs véhicules. Pour réussir ce projet stratégique, ces grands industriels ont adopté le modèle open source tant en termes de socle, de développement, de diffusion, que de gouvernance. Et l’on pourrait citer évidemment le noyau du système Linux lui-même, auquel contribuent des dizaines d’entreprise, en faisant sans doutes le plus bel exemple de R&D mutualisée, à l’échelle mondiale. Les démarches appelées parfois « open innovation » ont montré les bénéfices d’une innovation plus ouverte sur le monde, moins cachée, fonctionnant en réseau.

Open Art

Certains ont présenté l’open source comme antagoniste à la propriété intellectuelle. C’est tout le contraire, puisque l’open source se définit par ses licences d’utilisation, qui s’appuient elles-mêmes sur le droit d’auteur. L’auteur, titulaire des droits, donne à l’utilisateur des droits étendus, et quelques devoirs. Ce principe par lequel l’auteur d’une oeuvre reste parfaitement identifié, conserve ses droits, mais autorise différentes utilisations et la redistribution de son oeuvre a été étendue à de nombreux domaines, bien au delà du logiciel.

L’open source se décline dans l’art également. Les licences Creative Commons ont permis de diffuser des oeuvres de toutes natures en donnant des droits étendus, en particulier une libre rediffusion, avec ou sans le droit de modifier l’oeuvre originale. Ainsi, la fondation Blender, qui développe l’un des meilleurs programmes d’animation 3D du monde, un programme open source, réalise des open movies, des films d’animation dont tous les fichiers source, qui permettent de générer le film, sont rendus disponibles et peuvent être modifiés. Comme un roman dont on pourrait réécrire la fin.

Open hardware

L’open source a gagné le matériel également, sous l’appellation de « open hardware ». Il s’agit ici de partager les plans de circuits et d’équipements entiers. Un bel exemple d’open hardware, le projet Arduino est un microcontrôleur programmable totalement open source, matériel et logiciel, qui peut être adapté pour toutes formes de traitement du signal, ou de contrôle de process. Il peut être programmé pour réagir aux signaux de capteurs externes, les traiter, et commander des actions. Depuis 2005 il s’enrichit d’année en année, et plus de 300 000 unités ont été fabriquées. La diffusion de l’open hardware est encore modeste, mais souvenons-nous que c’était le cas aussi de l’open source logiciel à ses débuts : un « truc de geek ». Mais ces trucs de geeks font tourner les plateformes du web aujourd’hui.

Le mot clé derrière ces projets, ces démarches, est celui de réappropriation de la technologie. La technologie n’est pas le domaine réservé d’une élite minuscule, du fond de la Silicon Valley. Nous pouvons la maîtriser, et particulièrement si nous réunissons nos forces. C’est le principe des FabLabs. Nous ne sommes pas que des consommateurs idiots qui s’endettent pour acheter le dernier smartphone, dont on n’aura pas le droit même de changer la batterie. Avec quelques amis, avec un peu d’aide, avec des plans et des logiciels open source, nous pouvons construire des choses extraordinaires, dans notre garage. Pas tout à fait le dernier smartphone, mais pas très loin. Les imprimantes 3D ouvrent de nouvelles frontières pour ces démarches. Après avoir pris le contrôle des logiciels, il sera possible de reprendre le contrôle sur le matériel. On rêve déjà de pouvoir télécharger, sous licence libre, les plans d’une pièce de rechange pour sa cafetière, d’imprimer chez soi sa pièce en 3D. Et un peu plus tard, d’imprimer la cafetière open source elle-même ! Utopique ?

Mais justement, c’est la plus grande révolution de l’open source, de montrer que l’utopie gagne, parfois.

Open médecine ?

Les systèmes open source ne sont pas que pour les bricoleurs du dimanche. Ils gagnent par exemple la recherche en médecine. Merveilleux exemple de matériel et de logiciel open source associé à une démarche de recherche : des chercheurs ont développé Raven, un robot chirurgien open source, mis à disposition des équipes de recherche du monde entier afin de faire progresser les logiciels et technologies de chirurgie assistée. D’autres chercheurs travaillent à une machine combinant scanneur et radiothérapie, dont les plans, le code source, et les instructions de fabrication seront open source. Il est intéressant de remarquer que certains de ces projets de médecine open source ont reçu le soutien de la FDA, qui est un peu l’équivalent de l’AFSSAPS, avec l’espoir en particulier que le logiciel open source améliore la qualité, jugée insuffisante, des équipements propriétaires.

Fédérer les énergies citoyennes

L’open source a montré aussi que l’on pouvait fédérer et organiser les efforts d’un grand nombre de personnes sur un projet commun. Il était précurseur de ce qu’on a appelé plus tard le crowdsourcing, ces projets qui impliquent un grand nombre de contributeurs bénévoles, dont la réussite emblématique est celle de Wikipedia, mais qui a aussi donné OpenStreetMap. Avec un double crédo : d’une part la connaissance est un bien commun qui doit être accessible à tous sans barrière économique, d’autre part les citoyens peuvent gérer eux-mêmes ce patrimoine, dans le cadre d’une organisation décentralisée, et d’une gouvernanceouverte.

Parmi les déclinaisons de l’open source, on peut citer aussi le mouvement de l’open data, la mise à disposition des données publiques, mais aussi des données de certaines entreprises. Une démarche citoyenne et démocratique d’une part, mais aussi le socle de nombreuses initiatives et modèles économiques nouveaux appuyés sur ces données.

L’open source a fédéré des combats citoyens fondamentaux. Les militants de l’open source ont une force particulière : ils réfléchissent aux tendances sociétales, mais sont aussi au coeur des technologies nouvelles et parfois de leurs rouages économiques. Ils ont compris par exemple l’importance de standards réellement ouverts, dont la spécification soit librement accessible, dont la gouvernance soit ouverte, dont l’utilisation soit gratuite. Ils se battent pour la neutralité du Net, ce principe fondateur de non-discrimination des flux sur le réseau mondial, qui a permis l’émergence de toute une industrie du web et qui est menacée aujourd’hui. Ils tentent d’expliquer aux politiques pourquoi les brevets ne sont pas applicables au monde du logiciel, où la seule protection du copyright est amplement suffisante. Dans le monde du logiciel, les brevets sont contre-productifs, ils découragent l’innovation, ils sont l’arme d’un oligopole de géants et d’entités mafieuses appelées patent trolls. Pour les premiers il s’agit d’effrayer les petits concurrents plus innovants. Pour les seconds, d’extorquer une rente sur l’innovation des autres.

Une industrie florissante

L’open source n’est pas à l’écart de l’économie, au contraire. Les développeurs qui construisent les programmes open source ne sont pas toujours des bénévoles : la plupart sont payés par des entreprises qui voient un intérêt bien analysé dans leurs participations à ces travaux : elles bénéficient de logiciels performants dont elles n’ont eu à financer qu’une fraction de la R&D, elles ont une parfaite maîtrise de ces technologies qui deviennent des standards, elles ont un rôle dans la gouvernance de ces projets.

En France, l’économie du logiciel libre représente plus de 300 PME et ETI, éditeurs de logiciels ou sociétés de services, dédiées au logiciel libre. Elles sont souvent réunies en associations régionales, elles-mêmes fédérées au sein du CNLL, le Conseil National du Logiciel Libre. Elles représentent ensemble plus de 3000 salariés, et connaissent une croissance annuelle de près de 30 %. Si on comptabilise également les emplois liés au logiciel libre dans les sociétés de services généralistes, l’industrie (notamment aéronautique) et les télécommunications, le chiffre d’affaires global lié à l’open source est estimé à 2.5 milliards d’euros, soit 6% du marché des logiciels et des services informatiques, et plus de 30.000 emplois, en croissance annuelle de 30%. Source : Pierre Audoin Consultants.

On le voit, les déclinaisons de l’open source sont nombreuses, les impacts de l’open source vont bien au-delà du logiciel, des nouvelles technologies, ils s’étendent à d’autres industries, à l’ensemble de la société, à nos conceptions de la citoyenneté, de la démocratie. Toutes ces facettes de l’open source, à l’articulation de la technologie et du sociétal, sont représentées à l’Open World Forum. Ceci est une révolution, comme le dit une célèbre marque technologique…




Rebootons la civilisation avec Marcin Jakubowski d’Open Source Ecology

Marcin Jakubowski est le fondateur d’Open Source Ecology (évoqué la première fois ici sur notre blog)

C’est l’un des projets les plus enthousiasmants qui soit : disposer d’un kit de machines pour bâtir en toute autonomie les bases d’un village, d’une communauté ou d’une… civilisation ! Et là où tout ceci devient passionnant c’est que ces machines sont libres, permettant à tout un chacun de reprendre les plans pour s’en aller poser la première pierre de sa propre future communauté.

Si vous ne connaissez pas bien, nous vous suggérons de commencer par cette conférence TED de Marcin sous-titrée en français. Et pour aller plus loin, nous vous proposons ci-dessous la traduction d’un récent entretien donné par Marcin Jakubowski au blog du site TED.

Remarque : il y a également ces autres très instructives vidéos qui donnent plus de détails sur les différentes machines.

Marcin Jakubowksi - TED

Le rédémarrage de la civilisation – Entretien avec Marcin Jakubowski

Civilization reboot: Fellows Friday with Marcin Jakubowski

Karen Eng – 27 juillet 2012 – TED’s Blog
(Traduction : boubou, kamui57, steeve bois, xtof, maxlath, Lou, Slystone, KarmaSama, lorenzo11)

Le fondateur du mouvement Open Source Ecology, Marcin Jakubowski, est en train de jeter les bases libres d’une future civilisation, en commençant avec le Kit de Construction du Village Mondial (Global Village Construction Set). Ce kit de 50 machines à bas coût permettra à quiconque de bâtir toute l’infrastructure dont une communauté a besoin (Factor e Farm).

Le Kit de Construction du Village Mondial est une idée extrêmement ambitieuse. Quelle a été votre approche ?

Depuis mon enfance je suis passionné par la technologie. Mon père est un scientifique et ma mère est une enseignante, et très tôt j’ai pressenti que la science était une invention humaine incroyable qui pouvait nous permettre de rendre la vie meilleure. C’est ce qui explique pourquoi j’ai toujours voulu faire quelque chose d’extraordinaire avec la technologie.

Mais plus j’ai progressé dans le système éducatif, moins je me suis senti utile. Pendant ma deuxième année de préparation à mon doctorat sur l’énergie de fusion nucléaire, je ne me suis plus senti en phase avec le travail que je faisais : je pensais toujours que la fusion nucléaire était l’une des solutions aux problèmes énergétiques humains, mais plus je m’y intéressais, plus je réalisais que ce n’était pas la réponse. Cette technologie a beaucoup de problèmes, dont la radioactivité et le fait qu’il s’agisse d’une autre technologie de centralisation. Je sentais que cela ne contribuerait pas à une solution honnête pour une base technologique saine pour les Hommes. Donc j’ai commencé à réfléchir. « Et bien, alors, qu’est-ce qu’une base technologique saine ? Et comment peut-on se développer avec les technologies extraordinaires que nous possédons actuellement ? »

C’est comme cela que le Kit de Construction du Village Mondial a commencé. Et si on recommençait à partir de zéro ? Est-ce que l’on peut créer des communautés qui soient vraiment des témoins du développement humain et qui ne finissent pas empêtrées dans des problèmes géopolitiques et de mauvais compromis que l’on connaît dans les sociétés d’aujourd’hui ?

Comment et pourquoi avez-vous décidé de rendre le projet open source ?

Pendant que je travaillais sur mon doctorat, j’ai remarqué que je ne pouvais pas parler librement à d’autres groupes car nous avions des éléments sensibles et confidentiels. Donc je me suis dit : « Bigre ! Je suis à l’université et je ne peux pas travailler en collaboration de manière transparente ! » J’ai senti que ces limites étaient simplement un frein pour ma capacité à apprendre – quelle opportunité manquée ! Le concept d’Ecologie Open Source est issu de la tentative de répondre à la simple question suivante : « Qu’est-ce qui se passe lorsque l’on décide de travailler véritablement ensemble avec les autres ? » Ce principe s’applique à tous les secteurs de la société, de l’économie, à tout le reste. Pour le moment, la plupart des personnes ne travaillent pas ensemble. Chaque entreprise a son propre service d’ingénierie propriétaire. Il y a beaucoup de personnes qui réinventent la roue. Je pense que si on collaborait simplement, on pourrait accélérer le progrès par un facteur dix ou cent.

C’est cela l’essence de l’open source : nous essayons de bâtir sur ce qui existe déjà, et après on contribue en retour et on laisse tout le monde en profiter, en opposition au profit de quelques-uns seulement. C’est donc un changement complet d’état d’esprit, on passe d’un jeu à somme nulle à une société de post-pénurie.

Quelles sont les machines produites et envisagées, et pourquoi sont-elles les éléments clés d’une civilisation ?

L’ensemble de machines que je conçois englobe l’agriculture, l’énergie, les transports, la production… En gros tous les éléments d’infrastructure humaine sur lesquels on se repose pour fournir un standard de vie moderne. Est-ce que vous mangez ? Oui vous mangez. Donc vous avez besoin d’équipements agricoles pour nourrir les gens de manière optimale, depuis le tracteur jusqu’au four à pain. De quels outils pourriez-vous avoir besoin ? Une machine pour faire des circuits, des robots industriels, des équipements pour les énergies renouvelables, des machines pour construire, des machines pour fabriquer. Pour les transports, une voiture qui consomme 2 litres au 100 et qui fonctionne grâce à de l’énergie renouvelable avec un moteur moderne à vapeur, de la biomasse en granules pour le carburant. Les algues pourraient potentiellement marcher aussi. Pour l’énergie renouvelable, nous travaillons sur un concentrateur solaire à plusieurs miroirs, mais sur une échelle de 5 à 50 kilowatts. Ils sont réglables et modulables, donc nous pouvons en fabriquer plusieurs pour produire beaucoup d’énergie.

Toutes nos conceptions sont modulables. Par exemple, vous pouvez enlever les roues d’un tracteur en actionnant un levier, en retirant un boulon, pour l’utiliser sur une autre machine comme un mini tracteur ou un bulldozer, en maximisant la flexibilité de l’ensemble.

Avec la fabrication assistée par ordinateur comme les table de découpe contrôlées par ordinateur, les machines de précisions, les perceuses de circuits et les imprimantes 3D, les produits peuvent être conçus comme des Legos. Nous nous concentrons sur des designs modulaires, à assembler ensemble. En principe, c’est ce que nous visons. Une fois que nous auront optimisé la conception, je dirais qu’en un mois et avec, disons, quatre personnes, vous pourrez tout produire en utilisant des machines de fabrication avancée : tracteurs, voitures, bulldozers, pelleteuse, moissonneuse-batteuses, bétonnières, machines des puits de forages – à peu près 30 appareils mécaniques différents, en un mois, avec une production hyper-efficace. Nous insistons sur le fait que nous n’en sommes pas encore là – mais les témoignages que nous avons recueuillis jusqu’à maintenant indiquent la réalité future d’une production efficiente, distribuée et open source.

Où trouvez-vous les matières premières pour toutes ces machines ?

Pour le moment, nous achetons les matériaux en magasin. Mais dans le Kit de Construction il y a un four à induction et les procédures de roulage à chaud du métal. Donc vous pouvez prendre de l’acier de récupération, le fondre et en sortir de l’acier neuf. Ce qui fait que chaque décharge de métal est par essence un endroit où l’on peut reconstruire une civilisation.

Wow ! C’est en gros un kit pour l’Apocalypse.

C’est ce que disent certaines personnes. Je le vois plutôt comme un moyen de faciliter la mise en production. Je voudrais qu’on l’utilise pour construire une véritable communauté. C’est pourquoi la Factor e Farm existe. Nous avons 12 hectares dans le Missouri, et nous avons réuni une équipe solide où nous avons simultanément développé et utilisé des outils pour construire une communauté. À l’heure actuelle nous avons 14 personnes vivant à la ferme. D’ici à la fin de l’année nous voulons pousser ce groupe à 24. Le challenge étant de trouver les bonnes personnes.

Vous avez aussi besoin d’autres ressources pour commencer, comme des graines.

Oui, nous avons besoin de quelques graines. Si vous voulez une agriculture pérenne, vous devez générer tout votre stock génétique et le propager en utilisant une nurserie. Si vous avez besoin de verre, vous avez du sable. Si vous avez du sable, vous avez de la silice, ce qu’est l’âge digital. Si vous avez de l’argile, vous avez des aluminosilicates, ou aluminium, ce qui est une part de la civilisation moderne, les métaux. Pour le moment, l’extracteur d’aluminium est l’un des outils les plus avancé du kit.

Est-ce que la Factor e Farm vise l’auto-suffisance ?

C’est l’autonomie. Nous la cherchons comme but de notre entreprise sociale. Nous créons des outils qui permettent aux gens de produire à peu près n’importe quoi. Pour le moment, nous développons les outils, mais notre but ultime est de former les gens à être des entrepreneurs sociaux qui soient capables de tout créer, d’un Fab Lab open source à une ferme bio en passant par un centre de recherche.

Combien de machines avez-vous déjà finies ?

Nous avons sorti quatre machines en version bêta – un tracteur, une presse à brique, un pulvérisateur agricole et une pompe hydraulique. Le tout cumulé, nous avons un peu moins de 15 prototypes dont la fraiseuse commandée par ordinateur, la torche de découpe commandée par ordinateur, le mini-tracteur, la bétonnière, le tour en 3 dimensions, le marteau-pilon, l’échangeur de chaleur. Nous travaillons actuellement sur une machine à vapeur moderne.

Toutes nos machines sont open source (tout le monde peut télécharger les plans et les budgets). Mais nous vendons aussi nos machines prêtes à l’emloi. Nous travaillons à l’optimisation de la production avec l’objectif de vendre des presses à briques en terre et engranger 20 000$ par mois, ce qui nous permettrait de financer notre projet. Nous rationalisons la production de telle sorte que 8 personnes puissent produire une presse en un jour de travail collaboratif. Cela nous coûte 4 000$ de matériaux et nous vendons les presses 9 000$, soit une marge de presque 5000$ par machine. Nous prévoyons de lancer 4 cycles de production par mois, et le reste du temps nous le passons à developper le Kit et la communauté. Les gens n’arrêtent pas de me contacter pour obtenir des presses, nous avons un marché. La plupart du temps je suis obligé de leur dire « Hey, téléchargez les plans, récupérez votre chaîne de production, nous sommes débordés pour le moment ! ».

Qu’en est-il de la communauté de la Factor e Farm ?

Nous cherchons de gens qui souhaitent nous rejoindre. Notre but est d’arriver à 24 membres avant la fin 2013. Nous avons maintenant un responsable agricole sur site, nous commençons à pouvoir produire de notre sol toute notre nourriture. Nous visons à construire des habitations en blocs compressés (de 28 m²) en une semaine, presse et pose comprises. Nous venons de construire une unité de vie pour 10 personnes de 370 m² (double mur de brique séparés par une isolation à la paille). Nous ne sommes pas raccordés mais nous avons des toilettes à chasse d’eau et l’électricité. Nous avons aussi des toilettes à compost, soit différentes options pour différentes personnes.

Il y a un léger manque de parité. Nous avons une seule femme sur le site ! Nous encourageons donc les femmes à nous rejoindre. Et nous construisons la communauté. Et c’est là où nous en sommes pour le moment. Plus tard, nous déciderons d’une stratégie et d’un business plan, parce qu’il existe de nombreuses directions où l’on pourrait aller.

Quel type de personnes cherchez-vous ?

Nous cherchons des personnes qui sont par nature motivées, qui veulent lancer des opérations similaires et qui soient partie prenante du projet. La personne qui dirige la ferme voudrait à terme devenir agricultrice, et elle apprend en ce moment les techniques et l’utilisation des outils nécessaires. Notre directeur de production veut installer un nouveau centre une fois que le premier sera opérationnel. Nous cherchons donc des personnes qui soient réellement prêtes à utiliser les outils par eux-mêmes. Nous rémunérons les participants en fournissant un accès aux connaissances et aux technologies qui nécessiterait sinon d’être payé. C’est le modèle de ceux qui font de l’investissement personnel un mode de vie, avec des gens qui sont vraiment intéressés, qui ont donc la motivation et la bonne volonté de travailler dur pour faire de ce but une réalité. Nous pouvons aussi rémunérer directement les personnes pour le talent qu’ils ont et que nous ne pourrions pas obtenir autrement.

Psychologiquement parlant, c’est une expérience intéressante.

C’est la partie la plus intéressante. Ceci est, en fait, en train de devenir le plus gros challenge. La technologie est simple. Cela n’a pas une âme en soi. Mais avec les autres, nous remarquons que lorsque nous avançons dans l’expérience, nous devons aussi former les participants à une bonne santé psychique et mentale. Vous devenez une personne plus mature. Votre esprit doit évoluer d’un jeu à somme nulle vers l’après-rareté. C’est vraiment un développement personnel. C’est énorme, c’est tout simplement arriver à l’évolution d’une personne en tant qu’être humain.

Je pense beaucoup en termes d’équilibre de vie et en particulier d’équilibre travail/détente. Pourquoi les gens ne travaillent pas vraiment ou ne font pas de leur vie leur passion et leur travail ? Nous, ce que nous faisons, c’est notre passion. Ce niveau d’équilibre est le réel bénéfice de l’opération. C’est presque philosophique, et cela se vérifie très bien sur moi. Je vis cela en ce moment et je poursuis ma passion. Et j’ai environnement à bas-prix qui rend cela possible de façon responsable.

Jusqu’à quel point pouvez-vous allez ? En regardant plus loin dans le temps vous allez avoir besoin d’un système de santé, d’éducation…

Absolument. Pour le moment nous commençons simplement avec des infrastructures simples. Viendra ensuite l’éducation, la santé, un système financier, une gouvernance. Le matériel médical sera probablement le plus dur à obtenir. Viendront ensuite des choses comme la fabrication de semi-conduteurs. Notre but est de montrer qu’avec 12 hectares et 30 personnes, on peut créer ou recréer un standard de vie moderne saine, jusqu’à avoir des semi-conducteurs et du métal, le tout à partir des ressources du site. Jusqu’où un petit groupe de gens peuvent aller pour créer ensemble une référence de prospérité.

Comment la communauté TED a changé votre manière de travailler ?

Avant le TED 2011, nous disposions d’un budget mensuel de dons de près de 1 500 $. Du coup je suis assez vite arrivé à court d’argent. Depuis que nous avons rejoint la communauté, nous avons eu près d’un million de visites sur le site de la vidéo de ma conférence TED et 500 000 $ de financement. Tout cet argent et la plupart de l’équipe sur site est arrivé essentiellement après avoir vu cette conférence.

Donc en gros, depuis 2011, on a explosé et on essaye en ce moment même de gérer ces problèmes de croissance. C’est assez génial ce qui se passe en fait actuellement !

Comment les gens accueillent-ils l’idée ?

Il y a essentiellement deux camps. Les uns disent « Waou, l’idée va se répandre partout et cela vaut le coup de la soutenir ». Beaucoup sont intéressés par le principe.

Puis il y a ceux qui disent, « Si vous êtes open source, vous ne pourrez pas passer à grande échelle. Quel est votre business model ? Comment allez-vous vous développer et diffuser ? » Et c’est une question difficile. Pour moi la réponse est claire, il faut que nous reproduisions des objets très courants que tout le monde utilise. Si nous pouvons les produire à un coût plus bas – disons 5 à 10 fois moins cher – alors nous pouvons être dans le coup. Nous sommes en train d’optimiser le design de nos produits vers la simplicité, la durée de vie, la modularité, l’interchangeabilité des pièces. Nous essayons d’apprivoiser la technologie. Je pense que c’est une base solide.

Et alors les gens disent, « Bon, et comment vous générez votre revenu ?  » Nous cherchons à montrer qu’une installation de 400 m², une installation flexible et informatisée qui fait partie de notre boîte à outils – peut générer 80 000 $ par mois. Notre but est de faire la démonstration d’une production rentable et efficace, qui servira à amorcer notre trésorerie puis enseigner aux autres comment devenir une entreprise. Donc c’est un modèle entre production et formation que nous répliquerons en partageant les connaissances acquises avec d’autres personnes. Ils pourront alors soit commencer une installation du même type, soit mettre en place un centre de recherche, ou n’importe quelle sorte d’installation agricole. Ces outils peuvent avoir des usages allant de la reconstruction de villages, au lancement d’écoles, de fermes bio, d’unités de production, toutes sortes de choses. Il y a donc un grand potentiel en nous positionnant en tant que pépinière distributive de telles entreprises. Nous apporterons simplement des produits efficaces, bon marché et qui donnent envie partout dans le monde.

Cela passe à côté de l’objectif, non ? Parce que le but n’est pas de générer des revenus massifs, le but est de créer un monde auto-suffisant. Le but est de pouvoir vivre comme on le souhaite.

Absolument, c’est exactement ça. Une de nos critiques économiques courantes est que le marché devient efficace avant de faire faillite. Nous pouvons profiter de notre avantage concurrentiel seulement pour un laps de temps court pour un projet open source, avant que d’autres n’entrent dans la compétition et ne fassent baisser les prix. Mais c’est en fait un indicateur de notre succès : les gens adoptent une production à faible coût, distribuée de telle sorte que le monde en général atteint un état de post-pénurie matérielle (un stade dans lequel la pénurie matérielle devient impossible).

Alors, comment survivre à long terme ? En tant que pionniers, nous jouissons d’une primauté économique et d’un capital social initial – jusqu’à ce que nous soyons en mesure de financer un développement futur. Nous passons ensuite au développement de nouvelles machines. Notre modèle est effectivement fragile parce que nous sommes open source. Mais si c’est effectivement le cas (et si nous réussissons à faire cela pour un ensemble d’outils qui peuvent engendrer une économie complète) alors nous avons effectivement réussi à inventer un modèle évolutif pour créer des communautés économiquement autonomes. Pour moi, cela implique un monde meilleur où la pénurie matérielle ne serait plus une force motrice sous-jacente de la plupart des dynamiques de la civilisation. Ainsi, les gens pourront poursuivre de plus grands objectifs, une intégration entre la vie et le travail, et un standard de vie moderne qui ne nous ramène pas à l’âge de pierre.

Personnellement, je pense que c’est possible avec une infrastructure technologique vraiment appropriée à la civilisation. Nous pouvons créer un standard de vie moderne avec moins de deux heures de travail par jour, en utilisant d’abondantes ressources locales. Après cela, que faisons-nous de notre temps libre ? Nous nous concentrons sur des choses qui sont vraiment importantes pour nous. Cela nécessite un retournement complet de la façon de penser. J’ai l’espoir que nous allons évoluer à ce niveau en tant qu’être humain en moins d’une génération.




La troisième révolution industrielle est en marche et nous pouvons tous y participer

La « troisième révolution industrielle » est une expression popularisée par un récent essai de Jeremy Rifkin. Mais s’il se penche attentivement sur la question de l’énergie, qu’il envisage durable et distribuée, il se montre moins prolixe sur la question de la production.

Or là aussi de profonds bouleversements nous attendent…

Je casse une assiette aujourd’hui. Je prends ma voiture pour aller chez Ikea en acheter une autre (construit en Chine). Je casse une assiette demain. Je vais chercher sur Internet le fichier numérique « assiette », puis je demande à mon imprimante 3D de m’en créer une nouvelle sous mes yeux ébahis.

Et là où ça devient encore plus intéressant c’est quand l’imprimante tout comme le fichier sont libres, m’assurant alors que j’aurais une grande variétés de fichiers « assiette » à télécharger et que je pourrais même les modifier à ma guise avant de les imprimer 🙂

Pasukaru76 - CC by

La Troisième Révolution industrielle

The third industrial revolution

The Economist – Avril 2012
(Traduction : Louson, Lolo le 13, angezanetti, Fe-lor, GPif, xaccrocheur, @poulpita, fck, Coyau)

La numérisation de la fabrication modifiera la manière de fabriquer les biens ainsi que la notion même de travail.

La première révolution industrielle commença à la fin du XVIIIe siècle, avec la mécanisation de l’industrie du textile. Les tâches qui avant étaient exécutées laborieusement à la main par des centaines de petites industries de tisserand ont été réunies en une seule fabrique, et l’usine était née. la seconde révolution industrielle arriva au début du XXe siècle quand Henry Ford maîtrisa l’évolution des lignes d’assemblage et conduit à l’âge de la production de masse. Les deux premières révolutions rendirent les gens plus riches et plus urbains. Maintenant une troisième révolution est en cours. La fabrication devient numérique. Elle risque pas de ne changer que les affaires, mais bien plus de choses encore.

De nombreuses technologies innovantes convergent : logiciels, nouveaux matériaux, robots plus habiles, nouveaux procédés (en particulier l’impression 3D) et une large variété de services web. L’usine du passé reposait sur la production en masse de produits identiques : Ford disait que les acheteurs de voiture pouvaient avoir la couleur qu’ils voulaient, tant que c’était noir. Mais le coût de production de lots plus petits, d’une plus grande variété, où chaque produit est fait précisément sur mesure selon le vœu de chaque client, est en train de chuter. L’usine du futur se concentrera sur la personnalisation de masse et ressemblera bien davantage à de toutes petites industries qu’à la ligne de montage de Ford.

Vers une troisième dimension

Autrefois, pour faire des choses, on vissait et on soudait. Maintenant un produit peut être conçu sur un ordinateur et « imprimé » sur une imprimante 3D, qui crée un objet en volume en accumulant des couches successives de matière. La conception numérique peut être ajustée en quelques coups de souris. L’imprimante 3D peut fonctionner sans surveillance et peut faire des objets trop complexes pour être produits dans une usine traditionnelle. Un jour, ces machines étonnantes pourront faire presque tout, partout, dans votre garage ou dans un village en Afrique.

Les applications d’impression 3D sont particulièrement époustouflantes. Déjà, les prothèses auditives, et les parties haute technologie des avions militaires sont imprimées avec des formes adaptées. Un ingénieur travaillant au milieu du désert, à qui il manquerait un certain outil n’a plus besoin de se le faire livrer dans la ville la plus proche. Il peut simplement télécharger le design et l’imprimer. Les jours où les projets sont arrêtés pour cause de pièce manquante, ou encore, lorsque les clients se plaignent de ne plus pouvoir trouver les pièces de rechange de ce qu’ils avaient achetés, seront bientôt de lointains souvenirs.

Les autres changements sont presque aussi capitaux. Les nouveaux matériaux sont plus légers, plus résistants et ont une durée de vie plus longue que les anciens. Les fibres de carbone remplacent l’acier et l’aluminium pour des produits allant du VTT aux avions de ligne. Les nouvelles techniques permettent aux ingénieurs de réduire la taille des objets. Les nanotechnologies donnent de nouvelles fonctions aux produits comme les bandages qui guérissent les coupures, les moteurs avec un rendement supérieur ou de la vaisselle qui se nettoie plus facilement. Les virus crées génétiquement sont développés pour être utilisés comme batteries. Et, avec Internet qui permet aux designers de collaborer sur les nouveaux produits, les barrières d’entrées sont en train de s’effondrer. Ford avait besoin d’un gros tas de capital pour construire sa colossale usine River Rouge; son équivalent moderne peut commencer avec trois fois rien dont un ordinateur portable connecté et la soif d’inventer.

Comme toutes les révolutions, celle-ci sera fortement perturbatrice. La technologie numérique a déjà renversé les média et la vente au détail, comme les filatures de coton ont écrasé les métiers à tisser manuels et la Ford T a mis les maréchaux-ferrants au chômage. Les gens seront extrêmement surpris devant les usines du futur. Elle ne seront pas pleines de machines crasseuses commandées par des hommes en blouse graisseuse. Beaucoup seront d’une propreté irréprochable et quasi-désertes. Certains fabricants de voitures produisent le double de véhicules par employé qu’il y a dix ans. La plupart des emplois ne sera plus dans les usines mais dans les bureaux non loin, qui seront pleins de designers, d’ingénieurs, d’informaticiens, d’experts en logistique, de commerciaux et d’autre professions. Les emplois manufacturiers du futur demanderont d’avantage de compétences. De nombreuses taches répétitives et ennuyeuses deviendront obsolètes : on n’a pas besoin de riveteur quand un produit n’a plus de rivets.

La révolution n’affectera pas seulement la façon dont les choses sont faites, mais aussi le lieu où elles sont produites. Avant les usines se délocalisaient dans des pays à bas salaires pour diminuer le coût du travail. Mais le coût du travail est de moins en moins important : un iPad de première génération à 499 $ comprend aujourd’hui seulement 33 $ de travail manufacturé sur lequel l’assemblage final en Chine ne représente que 8 $. La production aujourd’hui offshore va de plus en plus souvent revenir dans les pays riches, bien moins à cause d’une hausse des salaires chinois que parce que les compagnies veulent désormais être plus proches de leurs clients de façon à pouvoir répondre plus rapidement à leurs demandes de modifications. Et certains produits sont si sophistiqués qu’il est pratique d’avoir les personnes qui les ont conçus et celles qui les ont fabriqués au même endroit. Le Boston Consulting Group estime que dans des domaines comme les transports, les ordinateurs, la fabrication de produits métalliques et la machinerie, 10 à 30 % des biens que les américains importent actuellement de Chine pourraient être fabriqués à domicile d’ici 2020, stimulant l’exportation américaine de 20 à 55 milliards de dollars par an.

Le choc de la nouveauté

Les consommateurs auront peu de difficultés à s’adapter à cette nouvelle ère de meilleurs produits rapidement livrés et créés près de chez eux. Les gouvernements pourraient toutefois commencer par résister au mouvement. Leur instinct est de protéger les industries et les entreprises qui existent déjà plutôt que de promouvoir les nouvelles qui les détruiront. Ils attirent les anciennes usines avec des subventions et stigmatisent les patrons qui voudraient délocaliser. Ils dépensent des milliards dans de nouvelles technologies qui, à leur avis, prévaudront dans l’avenir. Et ils s’accrochent à la croyance romantique que la fabrication est supérieure aux services, sans prendre en compte la finance.

Rien de ceci n’a de sens. Les frontières entre la manufacture et les services deviennent floues. Rolls-Royce ne vend plus de réacteurs, elle vend les heures pendant lesquelles chaque moteur propulse un avion dans le ciel. Les gouvernements ont rarement choisi les vainqueurs, et ils vont probablement mettre du temps à voir ces légions d’entrepreneurs et de bricoleurs qui s’échangent des plans en ligne, les transforment en produits chez eux et les vendent à l’échelle mondiale depuis un garage.

Pendant que la révolution gronde, les gouvernements devraient en rester aux bases : de meilleures écoles pour une main d’œuvre qualifiée, des règles claires et équitables pour les entreprises de toutes sortes. Laissez le reste aux révolutionnaires.

Crédit photo : Pasukaru76 (Creative Commons By)